31.03.2014 Views

L'Agence Européenne pour la Sécurité Maritime - EM Normandie

L'Agence Européenne pour la Sécurité Maritime - EM Normandie

L'Agence Européenne pour la Sécurité Maritime - EM Normandie

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

L’Agence européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime : un produit des<br />

représentations d'acteurs?<br />

Dupré Sophie, 61 rue de Bagnolet 75020 Paris, dupre.sophie@gmail.com /<br />

sophie.dupre.1@u<strong>la</strong>val.ca, post-doctorante, Chaire de recherche en transport maritime,<br />

Université du Québec à Rimouski et Laboratoire Métis, Ecole de management de <strong>Normandie</strong><br />

Guy Emmanuel, Chaire de recherche en transport maritime, Unité départementale des<br />

sciences de <strong>la</strong> gestion, Université du Québec à Rimouski<br />

300, allée des Ursulines, C. P. 3300, Rimouski (Québec) Canada G5L 3A1,<br />

emmanuel_guy@uqar.qc.ca<br />

Introduction _______________________________________________________________ 3<br />

1. Trois paradigmes <strong>pour</strong> analyser les politiques publiques du transport maritime _______ 4<br />

1.1. Le paradigme pluraliste ________________________________________________ 4<br />

1.2. Le courant néo-institutionnaliste ________________________________________ 6<br />

1.3. L’analyse cognitive des politiques publiques et le cas de l’Agence européenne <strong>pour</strong><br />

<strong>la</strong> sécurité maritime _______________________________________________________ 7<br />

2. Etude de cas : l’Agence européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime ____________________ 10<br />

2.1. De <strong>la</strong> méthode _______________________________________________________ 10<br />

2.2. Les référentiels à l’origine de l’Agence Européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Sécurité <strong>Maritime</strong> _ 10<br />

2.2.1. Le référentiel de cette politique _______________________________________ 10<br />

2.2.2. Le référentiel global du transport maritime ______________________________ 11<br />

2.2.3. Les référentiels européen et du secteur maritime _________________________ 12<br />

2.3. Évolution des référentiels européen et du secteur maritime _________________ 15<br />

2.3.1. Début de <strong>la</strong> mise en œuvre de l’AESM _________________________________ 15<br />

2.3.2. Évolution de l’AESM 2003-2009 _____________________________________ 17<br />

Conclusion _______________________________________________________________ 19<br />

Page1


Résumé :<br />

Cet article a <strong>pour</strong> but une réflexion sur les politiques publiques maritimes. Les enjeux et les<br />

représentations des acteurs sont analysés par le biais d’une approche empruntée à <strong>la</strong> science<br />

politique juxtaposée à une description empirique caractéristique des études maritimes. Le cas<br />

de l’Agence européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime est étudiée. L’analyse cognitive des<br />

politiques publiques permet de réfléchir aux référentiels à l’origine de <strong>la</strong> création de cette<br />

agence ainsi qu’aux rôles des acteurs dans son évolution. Les résultats montrent toute <strong>la</strong><br />

pertinence d’utiliser une telle approche <strong>pour</strong> analyser l’évolution du secteur maritime,<br />

notamment l’intérêt grandissant accordé aux considérations environnementales au sein de<br />

celui-ci.<br />

The European <strong>Maritime</strong> Safety Agency, a product of stakeholders’ representations<br />

Abstract:<br />

This article proposes a reflection on maritime policies. Stakeholder’s positions and<br />

representations are analysed with a political science perspective using the cognitive policy<br />

analysis approach. The creation of the European <strong>Maritime</strong> Safety Agency serves as case<br />

study. The results demonstrate the relevance of this approach to study changes in the maritme<br />

sector, particu<strong>la</strong>rly how this sector adapts to the rise in environmental awareness and<br />

expectations.<br />

Page2<br />

C<strong>la</strong>ssification JEL : L98, P48, R41<br />

Les auteurs remercient le ministère des Transports du Québec et <strong>la</strong> Société de développement économique du<br />

Saint-Laurent <strong>pour</strong> leur appui à <strong>la</strong> Chaire de recherche en transport maritime qui a permis de réaliser les<br />

travaux dont cette publication découle. Le texte n'engage néanmoins que ses auteurs.


Introduction<br />

Peut-on renouveler l’analyse des politiques maritimes et, plus spécifiquement, son étude des<br />

dimensions d’acteurs et des représentations, en empruntant aux approches développées en<br />

science politique ?<br />

L’objectif est ambitieux, les recherches dans le domaine maritime étant encore peu<br />

conceptualisées (Aufray, 2004).<br />

Nous postulons que le recours à des approches développées dans les sciences politiques, telle<br />

celle défendue par Pierre Müller, peut contribuer de façon pertinente à l’étude des politiques<br />

maritimes à l’image, par exemple, des apports de <strong>la</strong> science politique aux recherches<br />

sociologiques sur <strong>la</strong> ruralité française (présentés notamment dans Mischi et Renahy, 2008).<br />

Nous soutenons en effet que l’analyse cognitive des politiques publiques peut permettre une<br />

meilleure compréhension de certaines politiques publiques maritimes.<br />

Prenons <strong>pour</strong> exemple, l’adoption d’une politique maritime commune qui à <strong>la</strong> création de<br />

l’Europe a du sembler pertinente <strong>pour</strong> deux raisons principales : le déclin de l’industrie<br />

maritime européenne des décennies antérieures et l’importance du commerce maritime <strong>pour</strong><br />

l’Europe. A l’heure actuelle <strong>la</strong> politique maritime, malgré une volonté d’é<strong>la</strong>borer une<br />

politique indépendante de <strong>la</strong> mer, reste soumise à <strong>la</strong> politique commune des transports.<br />

Pourtant, une véritable politique maritime européenne est un enjeu de taille et <strong>la</strong><br />

compréhension de son développement une priorité scientifique et politique. Nous en voulons<br />

<strong>pour</strong> preuve certaines décisions attestant <strong>la</strong> volonté d’une approche globale de <strong>la</strong> sécurité<br />

maritime et marquant l’intérêt grandissant accordé aux considérations environnementales au<br />

sein de l’UE. Il en est ainsi de <strong>la</strong> création de l’Agence Européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Sécurité <strong>Maritime</strong><br />

(AESM) dont le rôle consiste à assister <strong>la</strong> Commission et les Etats membres en matière de<br />

sécurité maritime, de sûreté maritime et de prévention de <strong>la</strong> pollution causée par les navires.<br />

Certes, à <strong>la</strong> suite des naufrages de l’Erika, en 1999 et du Prestige en 2002, l’Union<br />

européenne a souhaité renforcer <strong>la</strong> sécurité maritime par le bais de différentes mesures<br />

légis<strong>la</strong>tives. Pourtant, l’intérêt commun en matière de sécurité maritime ne va pas de soi, en<br />

raison du rôle de l’industrie maritime et du désir des Etats membres d’exercer seuls leurs<br />

compétences.<br />

L’objet des travaux présentés ici est alors de sonder l'applicabilité des approches cognitives<br />

aux politiques maritimes et tenter de cerner son apport aux études maritimes.<br />

Nous commençons par exposer trois paradigmes différents d’analyse des politiques publiques.<br />

Puis, le cas de l’Agence européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime est étudié par le biais de<br />

l’analyse cognitive des politiques publiques.<br />

Page3


1. Trois paradigmes <strong>pour</strong> analyser les politiques publiques du<br />

transport maritime<br />

La question de l’approche pertinente <strong>pour</strong> analyser l’é<strong>la</strong>boration des politiques publiques du<br />

transport maritime peut sembler évidente, toutefois elle trouve sa justification dans <strong>la</strong> sousconceptualisation<br />

des travaux en recherche maritime.<br />

A l’inverse, les approches contemporaines d’analyses des politiques publiques sont plurielles,<br />

selon l’objet d’analyse et l’angle d’approche choisi. L’analyse de l’Etat a <strong>pour</strong>tant longtemps<br />

été centrée sur deux approches, celle étatique et celle pluraliste, avec chacune leurs méthodes<br />

et leurs outils, en fonction de leur conception respective de l’Etat. Depuis, l’analyse des<br />

politiques publiques s’est enrichie, entre autres par ses rapports complexes avec <strong>la</strong> théorie et<br />

<strong>la</strong> sociologie de l’Etat, qui a fait naître de nouvelles questions (Badie, Birnbaum, 1979). Nous<br />

présentons ici l’analyse contemporaine des politiques publiques influencée par différents<br />

courants. Notre objectif est de situer notre démarche d’analyse par rapport à celle-ci.<br />

1.1. Le paradigme pluraliste<br />

En matière d’études maritimes, les recherches de Sophia Everett constituent une des<br />

approches les plus abouties en matière de théorisation de l’é<strong>la</strong>boration des politiques<br />

publiques, ces dernières ayant été re<strong>la</strong>tivement peu conceptualisées dans le domaine maritime.<br />

Cette approche se focalise sur les jeux de pouvoir entre les acteurs et rejoint donc directement<br />

le paradigme pluraliste incarné en sciences politiques par Charles Lindblom, Robert A. Dahl,<br />

etc. La saisir permet d’en cerner les limites et incite à s’intéresser aux travaux menés en<br />

sciences politiques sur <strong>la</strong> création des politiques publiques.<br />

L’approche pluraliste considère que l’Etat résulte de processus sociaux, l’Etat est donc produit<br />

par <strong>la</strong> société, à l’inverse de l’approche étatique. Dans un tel système, <strong>la</strong> notion d’intérêt<br />

général a peu de sens puisque l’action de l’Etat n’est qu’un résultat aléatoire des jeux de<br />

pouvoir en présence (Müller et Surel, 1998 : 39).<br />

Dans son analyse de l’aménagement territorial et de l’é<strong>la</strong>boration des politiques dans le<br />

domaine du secteur portuaire, Everett critique le paradigme rationnel. Celui-ci considère une<br />

conduite cohérente, voire optimale, par rapport aux buts de l'individu. Toute réalité sociale, en<br />

dépit de son côté collectif, <strong>pour</strong>rait s’expliquer par des calculs rationnels des individus<br />

impliqués. Selon Everett (2003), le débat actuel sur <strong>la</strong> compréhension de l’é<strong>la</strong>boration de<br />

politiques efficaces et des mécanismes de décision politique semble revenir à une certaine<br />

forme de rationalité dans <strong>la</strong> mesure où un processus politique est perçu comme « bon » si ses<br />

résultats sont efficaces. La thèse d’Everett consiste alors à démontrer qu’il y a peu de raison<br />

de douter que l’efficacité d’une politique requière un processus rigoureux mais il est erroné et<br />

simpliste de penser que le contenu de <strong>la</strong> politique est dérivé d’un modèle théorique de cycle<br />

politique 1 . Ce dernier n’est pas un substitut à <strong>la</strong> prise de décision mais un mécanisme<br />

administratif et bureaucratique <strong>pour</strong> mettre en œuvre les processus, une fois les décisions<br />

Page4<br />

1 Il existe plusieurs modèles de cycle politique, tous se fondent sur le même processus qui décompose l’analyse<br />

d’une politique en un certain nombre d’étapes systématiques : <strong>la</strong> définition des problèmes, l'analyse des<br />

politiques, et des instruments de politique, <strong>la</strong> consultation, <strong>la</strong> coordination, <strong>la</strong> décision, <strong>la</strong> mise en œuvre et<br />

l'évaluation (Bridgman et Davis 1998 : 24, dans Edwards, 2003 : 67). Son caractère logique et décomposable se<br />

rapproche des théories rationnelles.


prises. Aujourd’hui, les partisans des modèles de cycle politique stipulent que ce type de<br />

modèle n’est pas construit à partir d’une logique nécessairement rationnelle en raison de <strong>la</strong><br />

prise en compte d’autres paramètres et éléments subjectifs qui entrent en jeu dans le processus<br />

politique. Selon Edwards (2001, dans Everett, 2003 : 67), ces modèles, dans le cadre de<br />

processus politiques complexes, permettent d’assister les gestionnaires publics et d’injecter de<br />

<strong>la</strong> rigueur. Pourtant, selon Everett, ces modèles relèvent de l’approche rationnelle (cf. le<br />

modèle d’Edwards, 2001, dans Everett, 2003).<br />

Everett s’interroge alors sur <strong>la</strong> manière dont les modèles de cycle politique peuvent remp<strong>la</strong>cer<br />

le modèle du jeu de pouvoir et <strong>la</strong> contestation politique, qui détermine qui obtient quoi. Elle<br />

s’interroge aussi sur le rôle de <strong>la</strong> consultation publique. Cette dernière est importante mais elle<br />

n’explique pas <strong>la</strong> manière dont les décisions sont prises ; elle ne permet donc pas forcément<br />

de parvenir à des solutions et des politiques concrètes. Everett se rattache à <strong>la</strong> position de<br />

Bridgam et Davis (1998) : ni l’approche du cycle politique ni <strong>la</strong> consultation publique ne<br />

peuvent rendre compte de <strong>la</strong> complexité de l’é<strong>la</strong>boration des décisions politiques et de <strong>la</strong><br />

manière dont les questions émergent dans l’agenda politique et dont <strong>la</strong> solution ultime est<br />

trouvée :<br />

Major public policies are the outcome of a complex round of negotiation between<br />

interests, choices between values and competition between resources … there are no<br />

single ‘best’ options for any p<strong>la</strong>yer in this game, for the ‘best’ outcome depends on what<br />

others do and what deals are possible. (Davis et al. (1993), dans Everett, 2003 : 68).<br />

De fait, Everett (2005) dans son étude sur <strong>la</strong> localisation des infrastructures de transport du<br />

charbon en Australie propose une autre théorie explicative. Dans le cas étudié, le contenu de<br />

<strong>la</strong> politique résulte d’une contestation politique intense entre des groupes d’intérêts cherchant<br />

à maintenir le contrôle d’un système ou d’une activité dont ils tiraient profit. La position des<br />

protagonistes a été adoptée dans un contexte électoral du à l’imminence de l’élection<br />

gouvernementale. Dans ce cas, <strong>la</strong> concertation publique et l’application <strong>la</strong> plus rigoureuse de<br />

l’approche de cycle politique n’auraient pu résoudre les controverses (Everett, 2005).<br />

Ces exemples d’étude sont intéressants à analyser <strong>pour</strong> diverses raisons. D’abord, les travaux<br />

d’Everett portent sur <strong>la</strong> localisation d’infrastructures de transport maritime et cherchent à<br />

comprendre l’é<strong>la</strong>boration des politiques en amont. Peu de recherches sur le transport maritime<br />

et <strong>la</strong> localisation d’infrastructures s’attachent à théoriser l’é<strong>la</strong>boration des politiques<br />

publiques. De plus, alors qu’Everett critique le paradigme rationnel revisité dans l’approche<br />

des modèles politiques, elle reste de manière générale attachée à l’approche pluraliste : les<br />

jeux de pouvoir entre groupes d’intérêts sont au cœur de son analyse. En effet, elle reconnaît<br />

d’une part qu’une plus grande participation du public est nécessaire, d’autre part que <strong>la</strong><br />

structure du processus de décisions politiques est en proie à des conflits : un mécanisme de<br />

logique raisonnée doit refléter les compromis entre forces opposées (Everett, 2005 : 361).<br />

Dans l’approche pluraliste, l’Etat résulte de <strong>la</strong> société, il est produit par elle. La société est<br />

constituée de groupes formés librement et l’Etat est perméable aux intérêts divergents des<br />

groupes, du moins au départ (Müller et Surel, 1998 : 38). En effet, progressivement, <strong>la</strong><br />

possibilité de différences en termes de structure entre les groupes a été prise en compte<br />

comme l’idée que le contenu des demandes adressées à l’Etat pouvait être réinterprété ou<br />

modifié au cours de son cheminement administratif. Ainsi, le contenu d’une politique résulte<br />

« des différentes pressions exercées par les groupes d’intérêts concernés » (Müller et Surel,<br />

1998 : 38). Tout dépend alors de <strong>la</strong> mobilisation des ressources de chacun des groupes et de<br />

leur capacité à convaincre et à imposer leur vision. Par ailleurs, les groupes d’intérêts sont<br />

Page5


produits par <strong>la</strong> société selon les représentations et appartenances variés des acteurs. Ils sont<br />

indépendants de l’Etat. Il en est de même <strong>pour</strong> <strong>la</strong> bureaucratie, perçue comme une multitude<br />

de groupes concurrents qui cherchent à faire valoir les intérêts des différents services dans un<br />

processus de décision (Müller et Surel, 1998 : 39).<br />

Müller et Surel soulignent <strong>la</strong> proximité intellectuelle entre ce paradigme pluraliste et les<br />

fondements de l’analyse des politiques publiques des travaux américains : les approches<br />

c<strong>la</strong>ssiques ont pu être décriées dans des analyses des politiques publiques fondées sur<br />

l’approche pluraliste (1998 : 39).<br />

« Dans <strong>la</strong> mesure où le regard que porte l’analyse des politiques publiques sur l’Etat<br />

s’applique aux acteurs des politiques publiques et aux stratégies mises en œuvre, il a en<br />

effet alimenté une forme de « déconstruction » de l’Etat, en faisant apparaître ce que les<br />

analyses « européennes » avaient eu du mal à masquer : l’existence d’une multiplicité de<br />

rationalités concurrentes au sein de l’Etat, portées par des acteurs dont les intérêts ne<br />

coïncident pas nécessairement et, surtout, sont distincts de ce que <strong>pour</strong>rait être l’intérêt<br />

général » (Müller et Surel, 1998 : 39-40).<br />

Ainsi, ce paradigme pluraliste est intéressant à cerner comme prémisse à des analyses des<br />

politiques publiques plus contemporaines.<br />

1.2. Le courant néo-institutionnaliste<br />

La richesse des perspectives du courant néo-institutionnel sont plurielles, trois angles<br />

d’analyse sont possibles : les « idées », les « intérêts », les « institutions », d’où l’expression<br />

les « trois i ». Tout l’intérêt de cette approche est de réfléchir systématiquement à plusieurs<br />

dimensions, souvent séparées dans l’analyse. Trois propriétés <strong>la</strong> caractérise : porter attention à<br />

<strong>la</strong> pluralité des dimensions d’analyse et aux diverses causes possibles, formuler des<br />

hypothèses a priori dont l’étude a posteriori permettra de cerner leurs liens (complémentarité<br />

vs concurrence) ; hiérarchiser après coup les différentes dimensions d’analyse en découpant<br />

les processus en séquence (Palier et Surel, 2005 : 8). Cette démarche des « trois i » a émergé<br />

<strong>pour</strong> combler un manque par rapport à d’autres approches trop exclusives les unes des autres.<br />

Page6<br />

Pourtant Palier et Surel ne parlent pas de nouvelle approche mais dans une démarche<br />

inductive de trois temporalités nécessaires à l’analyse des politiques publiques (2005 : 9),<br />

l’objectif étant de tenir compte de <strong>la</strong> pluralité des variables, leurs articu<strong>la</strong>tions et leurs<br />

combinaisons. Dans les trois approches néo-institutionnelles, les institutions sont considérées<br />

« comme un ensemble de contraintes socialement construites, qui permettent de mieux<br />

appréhender les comportements des individus et des organisations dans l’espace public, en<br />

s’affranchissant des limites des approches antérieures d’inspiration béhavioraliste » (Palier et<br />

Surel, 2005 : 9). L’objectif consiste donc à dépasser les approches concurrentes. Pour ce faire,<br />

le réel est décomposé en dimensions. Ainsi, saisir les intérêts revient à cerner les acteurs<br />

pertinents et les dynamiques à l’origine de l’action collective en fonction des stratégies et des<br />

calculs des individus et des groupes d’individus. En d’autres termes, il s’agit de repérer les<br />

intérêts et préférences des acteurs. Comprendre les institutions revient à intégrer une<br />

dimension historique à l’analyse <strong>pour</strong> saisir les dynamiques institutionnelles, leurs ressources<br />

et contraintes à l’origine des interactions du milieu étudié. On repère ainsi les caractéristiques


institutionnelles qui peuvent peser sur les processus étudiés. Il faut souligner ici <strong>la</strong> proximité<br />

avec l’approche cognitive des politiques publiques car les institutions sont perçues comme des<br />

cadres d’interprétation du monde. Enfin, les idées sont les éléments cognitifs et normatifs qui<br />

participent à l’action publique. Cette perspective rejoint là encore l’approche cognitive et<br />

normative des politiques publiques autour des notions de référentiels et de paradigmes et des<br />

auteurs tels que Pierre Muller, Bruno Jobert, etc. Il est certes difficile d’isoler les éléments<br />

normatifs et cognitifs toutefois ces éléments peuvent être repérés par l’étude des récits tenus<br />

par les acteurs car les discours sont révé<strong>la</strong>teurs des représentations véhiculées de manière<br />

inégalement consciente, comme l’explique Radatelli (dans Palier et Surel, 2005 : 17). Ainsi,<br />

de ces analyses décomposées se révèlent d’emblée des interactions : entre les intérêts et les<br />

institutions, les premiers ne peuvent être détachés du contexte institutionnel dans lequel ils<br />

évoluent, entre les idées et les intérêts car l’enjeu d’une action publique est de rassembler, il<br />

s’agit d’agréger des intérêts et perspectives différentes (c’est <strong>pour</strong>quoi on parle de « logique<br />

d’agrégation ») (Palier et Surel, 1998 : 18). En résumé :<br />

Comprendre <strong>pour</strong>quoi une mesure de politique publique a été adoptée passe donc par<br />

l’analyse de sa capacité à agréger des intérêts divergents, voire contradictoires, par <strong>la</strong><br />

compréhension de <strong>la</strong> polysémie de son contenu, qui repose sur ce que Bruno Jobert<br />

qualifie d’« idéologie molle ». Plutôt que de chercher à reconstituer le sens d’une<br />

mesure au moment de son é<strong>la</strong>boration et de son adoption, il convient, dès lors, d’en<br />

saisir les sens possibles, afin de comprendre comment un consensus ambigu a pu se<br />

créer autour de cette mesure. (Palier et Surel, 1998 : 19)<br />

Dans ce processus des trois « i », l’apport des éléments cognitifs et normatifs est indéniable :<br />

ils permettent de s’interroger sur les changements de représentations et leurs conséquences<br />

<strong>pour</strong> l’action publique.<br />

Il faut ainsi reconnaître <strong>la</strong> pertinence et l’intérêt de cette perspective d’analyse des « 3 i » <strong>pour</strong><br />

cerner une vision et une étude globale de l’action publique. Pourtant, dans le cas de l’Agence<br />

Européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Sécurité <strong>Maritime</strong> (AESM), nous ne cherchons pas à établir de<br />

mécanisme par le séquençage des processus au sein d’une grille d’analyse. Notre intérêt se<br />

porte sur les représentations et leurs évolutions qui ont conduit à <strong>la</strong> création de l’AESM en<br />

lien avec les intérêts. C’est <strong>pour</strong>quoi les travaux sur l’approche cognitive des politiques<br />

publiques nous interpellent. Ceux-ci sont d’une grande diversité 2 surtout lorsque l’on définit<br />

les approches cognitives de l’action publique de manière <strong>la</strong>rge, comme le font Sabatier et<br />

Sch<strong>la</strong>ger qui considèrent comme telles toutes les démarches qui mettent l’accent sur le rôle<br />

des idées et de l’apprentissage (2000 : 210).<br />

1.3. L’analyse cognitive des politiques publiques et le cas de l’Agence<br />

européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime<br />

Nous nous concentrons ici sur l'approche cognitive des politiques publiques, illustrées en<br />

France par les travaux de Pierre Müller. D’une part, le concept de référentiel, central dans<br />

cette approche, permet d’aborder <strong>la</strong> question des représentations à l’origine de <strong>la</strong> création de<br />

l’AESM. En effet, cette démarche qui considère que l’objet des politiques publiques ne<br />

consiste pas seulement à solutionner des problèmes mais aussi à construire des cadres<br />

2 A ce propos, l’article de Sabatier et Sch<strong>la</strong>ger, revue française de science politique, 2000, vol. 50, n°2, pp 209-<br />

234 est des plus pertinents.<br />

Page7


d’interprétation du monde s'attache à montrer qu’il n’y a pas d'action publique sans<br />

référentiels (Müller, 2000 : 189-208). Ces derniers désignent les normes, les représentations et<br />

croyances partagées par des acteurs qui agissent collectivement. De fait, un référentiel est un<br />

construit ; soit <strong>la</strong> perception de <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce d’un secteur donné dans <strong>la</strong> société. Jobert et Müller<br />

(1987 : 65-) distinguent alors trois types de référentiels : le référentiel global, le référentiel<br />

sectoriel et des éléments d’intégration du référentiel sectoriel au global. Le référentiel global<br />

délimite des valeurs, normes et re<strong>la</strong>tions causales qui composent un cadre cognitif et normatif<br />

<strong>pour</strong> les acteurs engagés dans <strong>la</strong> confrontation de leurs intérêts, il permet alors de dépasser en<br />

partie <strong>la</strong> situation d’hyperchoix, celle-ci étant définie comme le « choix entre options qui ne<br />

relèvent pas du même espace de sens » (Müller, 2005 : 162).<br />

D’autre part, cette approche permet d’inclure les re<strong>la</strong>tions causales. En effet, d’après <strong>la</strong><br />

définition des politiques publiques donnée par Müller, l’objet d’une politique publique revient<br />

à gérer le rapport global/sectoriel (« RGS »). En d’autres termes, une politique publique est<br />

une tentative d’ajustement entre <strong>la</strong> représentation d’un secteur donné et celle de <strong>la</strong> société<br />

<strong>pour</strong> réduire les désajustements sociaux (Jobert et Müller, 1987). Le RGS est l’objet des<br />

politiques publiques, et <strong>la</strong> variable déterminante dans les conditions d’é<strong>la</strong>boration de ces<br />

dernières (Müller, 1990 : 25). Car, du point de vue du gouvernement de <strong>la</strong> société, l’objet<br />

d’une politique publique est toujours d’influencer <strong>la</strong> transformation du secteur donné, <strong>la</strong><br />

freinant ou l’accélérant et créant d’autres déca<strong>la</strong>ges entre les secteurs (Müller, 2005 : 156).<br />

Précisions ici que c’est <strong>la</strong> fragmentation de <strong>la</strong> société suivant diverses configurations<br />

d’acteurs (secteurs, communautés diverses) qui nécessite le problème de <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion<br />

politique (Müller, 2005 : 160). Le secteur est alors défini comme un groupement de rôles<br />

sociaux qui sont organisés suivant une logique de fonctionnement propre, généralement<br />

professionnelle 3 .<br />

Müller décompose ensuite toute politique en 3 processus :<br />

- tenter de gérer le secteur par rapport à <strong>la</strong> société globale (RGS),<br />

- évaluer si ce RGS peut faire l’objet d’une action publique en fonction des<br />

représentations des acteurs concernés (ce que Müller nomme le référentiel),<br />

- déterminer l’acteur ou le groupe d’acteurs qui influence <strong>la</strong> transformation du RGS,<br />

nommé médiateurs par Müller, dont <strong>la</strong> position est stratégique dans l’ensemble du<br />

processus de décisions.<br />

Nous considérons ici les critiques de Palier et Surel qui expliquent qu’il est souvent difficile<br />

de repérer un groupe homogène d’acteurs (2005 : 18). Nous préférons considérer a priori des<br />

influences plurielles tout en tentant, a posteriori de repérer ce que Müller nomme les<br />

« médiateurs ». D’ailleurs, Müller lui-même considère <strong>la</strong> complexité du rôle des acteurs dans<br />

<strong>la</strong> création des matrices normatives et cognitives (Müller, 2000 : 199). A ce titre, le concept<br />

de médiateurs renvoie à des acteurs capables de faire le pont entre deux configurations, deux<br />

univers de sens <strong>pour</strong> lier deux espaces d’actions et de production de sens particulier : le global<br />

et le sectoriel (Müller, 2005 : 183).<br />

En outre, dans l’analyse cognitive des politiques publiques, « même si les matrices cognitives<br />

sont produites par l’interaction d’individus-acteurs, elles tendent à s’autonomiser par rapport à<br />

leur processus de construction et à s’imposer aux acteurs comme modèles dominants<br />

d’interprétation du monde » (Müller, 2000 : 194). Ainsi, le point de départ de l’analyse<br />

Page8<br />

3 Ainsi, l’industrie maritime constitue un secteur et <strong>la</strong> création de l’AESM a <strong>pour</strong> but de modifier <strong>la</strong> prise en<br />

compte de l’environnement et du risque dans le transport maritime. Et, <strong>la</strong> création de l’AESM résulte bien d’une<br />

politique publique puisqu’une autorité, ici supranationale, cherche à « modifier l’environnement culturel, social<br />

ou économique des acteurs sociaux saisis en général dans une logique sectorielle » par le biais « d’un<br />

programme d’action coordonné ».


cognitive des politiques publiques est de reconnaître que l’action publique est plus complexe<br />

que <strong>la</strong> simple résolution de problèmes. En effet, chaque politique publique a plusieurs enjeux,<br />

or chacun se crée en système d’actions dans lequel des coalitions de causes modifient celui-ci.<br />

Les politiques publiques « constituent des espaces (forums) au sein desquels les différents<br />

acteurs concernés vont construire et exprimer un « rapport au monde » qui renvoie à <strong>la</strong><br />

manière dont ils perçoivent le réel, leur p<strong>la</strong>ce dans le monde et ce que le monde devrait être »<br />

(Ibid. 195). Le caractère cognitif et normatif est alors prégnant.<br />

Dès lors se pose <strong>la</strong> question de savoir <strong>pour</strong>quoi un référentiel s’impose aux acteurs, <strong>pour</strong>quoi<br />

celui-ci, à ce moment donné est en adéquation avec <strong>la</strong> perception des acteurs. La question<br />

d’échelle se pose avec ici un besoin d’analyse à échelle globale <strong>pour</strong> comprendre le RGS.<br />

Ainsi, Müller défend une thèse tripartite. Premièrement, l’objectif d’une politique publique est<br />

de traiter les problèmes et les tensions qui sont issus des désajustements entre les différents<br />

sous-systèmes ou secteurs de <strong>la</strong> société. Deuxièmement, ceux-ci induisent des perceptions<br />

selon <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ce et le rôle des secteurs de <strong>la</strong> société. Or, l’ampleur des désajustements structurels<br />

découle de l’adéquation entre ces logiques sectorielles. En outre, le déca<strong>la</strong>ge n’est pas<br />

tolérable car <strong>la</strong> matrice cognitive et normative structurant le sens de <strong>la</strong> politique et l’action des<br />

acteurs n’est plus cohérente <strong>pour</strong> les acteurs dans leur rapport au monde. Le RGS est donc<br />

l’outil nécessaire à l’analyse du changement et du rôle de l’action publique dans <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion<br />

du changement social (Müller, 2005 : 168). Pour expliciter ses propos, Müller prend le cas de<br />

<strong>la</strong> création de l’entreprise Airbus qui résulte de quelques acteurs capables d’entrevoir de<br />

nouvelles réalités – les avions civils devaient désormais être construits d’après les besoins du<br />

marché et non plus selon les technologies disponibles - et d’adapter leur <strong>la</strong>ngage <strong>pour</strong><br />

convaincre les responsables de l’aéronautique (2000 : 200-201).<br />

Plus précisément Müller distingue quatre niveaux de perceptions du référentiel d’une<br />

politique : les valeurs sont les représentations les plus fondamentales, les normes traduisent<br />

l’écart entre le réel perçu et le réel souhaité, les algorithmes sont des re<strong>la</strong>tions causales qui<br />

expriment une théorie de l’action. Enfin, les images sont les vecteurs implicites des valeurs,<br />

des normes ou même des algorithmes.<br />

Enfin, Müller précise que l’échelle globale -échelle de transaction entre les politiquess’organise<br />

de plus en plus au delà de l’Etat, dans des cadres supranationaux. Dans l’analyse<br />

cognitive des politiques publiques, ce<strong>la</strong> provoque une séparation entre les fonctions de<br />

construction des cadres généraux d’interprétation du monde et celles du compromis social sur<br />

lequel se fonde les systèmes politiques. Ces nouveaux modes de gouvernance <strong>la</strong>issent<br />

supposer que <strong>la</strong> production des référentiels dépasse désormais les acteurs gouvernementaux<br />

(Müller, 2000 : 204-205). Toutefois, <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> gouvernance soulève aussi de nouvelles<br />

questions autour de <strong>la</strong> multiplication des acteurs non étatiques et de <strong>la</strong> superposition entre<br />

l’Etat et les politiques publiques, ce qui revient à s’interroger sur le sens de l’Etat comme<br />

communauté (Müller, 2005 : 163). Quoi qu’il en soit, les politiques publiques ont une p<strong>la</strong>ce<br />

centrale dans l’action publique en tant que lieu d’application des actions des sociétés<br />

modernes sur elles-mêmes (Ibid.)<br />

Au vu de <strong>la</strong> concordance entre les concepts de l’approche cognitive des politiques publiques<br />

et l’objet de notre recherche sur l’AESM, il apparaît pertinent d’explorer l’application de cette<br />

approche à notre cas d’étude du transport maritime.<br />

Page9


2. Etude de cas : l’Agence européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime<br />

Notre analyse du secteur maritime, très ancré dans le système de <strong>la</strong> mondialisation des<br />

échanges s’inscrit dans les nouveaux modes de gouvernance. Nous allons chercher à<br />

déterminer si dans le cadre de <strong>la</strong> création de l’AESM, le rapport du secteur maritime à <strong>la</strong><br />

société globale est en cause. En d’autres termes, nous cherchons à savoir si le référentiel<br />

global sectoriel de l’époque – avant 2001, date de création de l’agence - résulte d’une action<br />

publique induite par un déca<strong>la</strong>ge avec le référentiel global. Quels sont les acteurs à l’origine<br />

de cette création ? Et, comment ont agit et interagit les différents acteurs du secteur maritime<br />

dans ce dossier ?<br />

2.1. De <strong>la</strong> méthode<br />

Nous avons choisi une approche diachronique fondée sur des sources écrites <strong>pour</strong> comprendre<br />

le contexte à l’origine de <strong>la</strong> création de l’AESM. Le périodique Lloyd's List a été choisi<br />

comme source principale <strong>pour</strong> trois raisons principales. D’abord il s’agit du plus connu et<br />

reconnu des journaux de l'industrie maritime. Le lectorat visé est constitué en priorité de<br />

gestionnaires travail<strong>la</strong>nt auprès des armateurs, dans les ports, et de courtiers maritimes,<br />

d’assureurs, etc. Ce lectorat est très au fait du secteur, les nouvelles qui sont issues de <strong>la</strong><br />

Lloyd’s List sont donc perçues comme étant très pointues. Les rédacteurs sont des journalistes<br />

professionnels qui travaillent uniquement dans le secteur maritime et qui, par conséquence, le<br />

connaissent intimement. Historiquement, <strong>la</strong> Lloyd’s List date de 1734. Elle a eu un lien avec<br />

<strong>la</strong> Lloyds of London jusqu’en 1998. Depuis, elle relève du Groupe Informa, un groupe<br />

d’édition et d’information qui possède entre autres les éditeurs de revues universitaires<br />

Routledge et Taylor and Francis (Lloyd’s List et Informa, sites Internet). Enfin, <strong>la</strong> Lloyd's<br />

List est fréquemment cité par les chercheurs en transport maritime.<br />

Une requête intitulée « Agence européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime » effectuée au sein du<br />

périodique Lloyd’s List, le 14 avril 2009, a généré 312 articles. Le plus ancien date du 16<br />

septembre 2000, le plus récent du 19 mars 2009. Ces 312 articles constituent notre corpus<br />

d’analyse. Du 16 septembre 2000 au 30 janvier 2003, date à <strong>la</strong>quelle le directeur de l’AESM,<br />

Mr Willem de Ruiter, a été nommé, tous les articles ont été analysés <strong>pour</strong> cerner le contexte,<br />

les causes et les acteurs à l’origine de <strong>la</strong> création de l’AESM. Ce<strong>la</strong> représente un total de 46<br />

articles. Du 30 janvier 2003 au 14 avril 2009, seuls les articles traitant principalement de<br />

l’AESM ont été étudiés soit un total de 72 articles sur 266 4 .<br />

2.2. Les référentiels à l’origine de l’Agence Européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> Sécurité<br />

<strong>Maritime</strong><br />

2.2.1. Le référentiel de cette politique<br />

Page10<br />

4 Soit, 14 articles sur 56 <strong>pour</strong> l’année 2003, 14 articles sur 42 <strong>pour</strong> l’anné 2004, 11 articles sur 43 <strong>pour</strong> l’année<br />

2005, 14 articles sur 47 <strong>pour</strong> l’année 2006, 9 articles sur 42 <strong>pour</strong> l’année 2007, 9 articles sur 25 <strong>pour</strong> l’année<br />

2008 et 1 article sur 11 <strong>pour</strong> l’année 2009. En précision, parmi ses 266 articles, 15 sont des doublons.


Comme l’explique Müller, é<strong>la</strong>borer une politique publique revient d’abord à construire une<br />

représentation, une image de <strong>la</strong> réalité sur <strong>la</strong>quelle on souhaite intervenir ; car c’est en<br />

référence à celle-ci que les acteurs construisent leur stratégie, de <strong>la</strong> définition des problèmes<br />

au p<strong>la</strong>n d’actions (2009 : 60).<br />

Ainsi, l’é<strong>la</strong>boration d’une politique publique traitant de <strong>la</strong> sécurité maritime à échelle de<br />

l’Union européenne dépend de <strong>la</strong> perception du risque et de l’intérêt accordé à<br />

l’environnement et à <strong>la</strong> sécurité au sein des États membres. L’agence créée se nomme agence<br />

européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime, <strong>la</strong> notion de sécurité est transverse à <strong>la</strong> question des<br />

transports et de l’environnement. Par ailleurs, elle nécessite que les États membres concèdent<br />

une partie de leur suprématie. Parallèlement, les années 2000 sont marquées par une « prise de<br />

conscience environnementale » à échelle globale : l’image du transport maritime souffre des<br />

catastrophes de marée noire successives, il en résulte une pression de l’opinion publique,<br />

perceptible dans le corpus analysé.<br />

De surcroît, le secteur maritime est un secteur industriel en perte de vitesse. L’enjeu de<br />

compétitivité est une des raisons qui fonde l’idée d’une politique maritime commune <strong>pour</strong><br />

l’Europe (Aufray, 2004 : 36).<br />

Dans le cas de l’AESM, les 4 niveaux de perceptions du référentiel de cette politique ont été<br />

identifiés :<br />

‐ Les valeurs fondamentales sont <strong>la</strong> protection de l’environnement et l’amélioration de<br />

<strong>la</strong> sécurité maritime.<br />

‐ Les normes constituent l’amélioration de <strong>la</strong> compétitivité de l’industrie maritime (le<br />

réel perçu est <strong>la</strong> perte de compétitivité, le réel souhaité <strong>la</strong> reprise de celle-ci).<br />

‐ Les algorithmes renvoient aux échelles d’action : le premier élément est de vouloir<br />

agir à échelle supra nationale, « si les États membres concèdent une partie de leur<br />

compétences en matière de politique maritime à l’UE alors <strong>la</strong> politique maritime<br />

européenne sera plus intégrée » (Aufray, 2004). Les autres éléments sont à<br />

déterminer : savoir si telle ou telle thématique en matière de sécurité maritime doit être<br />

exécutée à échelle de l’UE ou si les États et <strong>la</strong> Commission européenne (CE) décident<br />

de s’en remettre à l’OMI. Dans les discussions à <strong>la</strong> base de <strong>la</strong> création de l’agence et<br />

depuis sa création, une des représentations majeures est cette détermination de<br />

l’échelle d’action : UE vs OMI.<br />

‐ Les images : les marées noires de l’Erika et du Prestige constituent des raccourcis<br />

cognitifs dont le sens est perçu immédiatement.<br />

Le référentiel de <strong>la</strong> politique publique que constitue l’AESM est plus complexe à saisir dans<br />

un cadre supranational en raison de <strong>la</strong> multiplication des acteurs, des enjeux et, de fait, des<br />

représentations. L’adaptation de l’approche cognitive des politiques publiques à l’échelle<br />

d’une politique publique de l’Union européenne souffre de ce point. Il s’agit d’un élément<br />

important à considérer, surtout dans <strong>la</strong> définition des référentiels global et sectoriel.<br />

2.2.2. Le référentiel global du transport maritime<br />

Le référentiel global est souvent défini dans un cadre d’étude national. Là encore, le<br />

changement d’échelle d’analyse induit un besoin d’adaptation. Dans cette perspective, Müller<br />

explique que le changement d’échelle du cadre strictement national à l’échelle globale<br />

entraîne un découp<strong>la</strong>ge entre les formes d’interprétation du monde et les fonctions de<br />

construction du compromis social sur lequel reposent les systèmes politiques modernes<br />

(2009 : 65).<br />

Page11


Dans cette étude, les formes d’interprétation du monde doivent s’appréhender à échelle<br />

mondiale, et les fonctions de construction du compromis social s’organisent à échelle de l’UE.<br />

La première étape est alors de saisir un référentiel global qui reprend toutes les échelles<br />

géographiques de notre analyse et de fait une plus grande multitude d’acteurs. Rappelons que<br />

les acteurs ont un rôle crucial dans <strong>la</strong> création de ces référentiels : le global est <strong>la</strong> résultante<br />

des élites dirigeantes, à <strong>la</strong> différence du sectoriel, issus des opérateurs opérationnels (Müller et<br />

Jobert, 1987).<br />

Depuis les années 1980, le référentiel global sur lequel est fondée <strong>la</strong> vision de <strong>la</strong> société est<br />

organisé autour de principes néolibéraux, ce que Müller nomme le « référentiel de marché ».<br />

Ce référentiel est communément accepté, <strong>pour</strong>tant, il ne représente pas une logique unique.<br />

Par exemple, <strong>pour</strong> <strong>la</strong> question maritime, certains garde-fous demeurent à échelle<br />

internationale ou sont recherchés <strong>pour</strong> encadrer ce principe de marché et son autorégu<strong>la</strong>tion.<br />

Ainsi, dans un contexte de croissance économique recherchée, le cadre sociétal et<br />

environnemental qui caractérise le référentiel global en matière de transport maritime est<br />

marqué par quatre grandes représentations.<br />

Premièrement, les grandes catastrophes maritimes à l’échelle internationale, le Titanic et<br />

d’autres, puis, les marées noires : le Torrey Canyon en 1967, l’Amoco Cadix 1978, l’Exxon<br />

Valdez en 1989, l’Erika en 1999, le Prestige en 2002, etc.- paraissent de plus en plus<br />

inacceptables. Deuxièmement, les pavillons de comp<strong>la</strong>isance sont très souvent perçus comme<br />

des formes de délocalisation dans le but d’une exploitation abusive. Dans ce contexte, les<br />

multinationales sont vues comme ayant un pouvoir d’action illimité voire immoral. Enfin, <strong>la</strong><br />

prise en compte <strong>pour</strong> l’environnement et l’intérêt croissant <strong>pour</strong> celui-ci se traduisent par une<br />

conscience commune. Ces représentations imposent des gardes-fous, d’une part <strong>pour</strong> limiter<br />

ces visions négatives qui <strong>pour</strong>raient nuire au secteur, d’autre part <strong>pour</strong> réglementer certains<br />

aspects maritimes dans le but de diminuer les risques que <strong>la</strong> navigation fait peser sur<br />

l’environnement. Ainsi, <strong>la</strong> réglementation ou, de manière plus générale les garde-fous, ne sont<br />

pas forcément contraires au développement économique et à <strong>la</strong> croissance.<br />

Un dernier élément est à considérer, le rôle de nouveaux acteurs : citoyens, affréteurs, etc. En<br />

guise d’exemple, l’Erika a changé le contexte : dans le milieu opérationnel, <strong>la</strong> procédure de<br />

veting soit, inspecter le navire avant son chargement devient une condition <strong>pour</strong> affréter, tout<br />

comme l’âge du navire, les demandes de certification, etc. Ces normes sont édictées par les<br />

expéditeurs, donc les affréteurs, <strong>pour</strong> se couvrir en termes d’image car <strong>la</strong> représentation<br />

commerciale est cruciale <strong>pour</strong> les expéditeurs.<br />

C’est au sein de telles représentations, en partie contradictoires, que les discussions à l’origine<br />

de <strong>la</strong> création d’une agence de sécurité maritime s’organisent en Europe. La volonté d’une<br />

économie de marché forte, en autres dans le domaine maritime, se mêle à <strong>la</strong> volonté d’agir en<br />

matière de sécurité maritime, suite au naufrage de l’Erika.<br />

Ces caractéristiques du référentiel global sont à saisir avant d’appréhender le référentiel<br />

sectoriel.<br />

2.2.3. Les référentiels européen et du secteur maritime<br />

Page12<br />

La création de l’agence traduit deux référentiels sectoriels qui s’enchevêtrent, comme nous<br />

allons le voir. Ceux-ci interagissent entre eux et, respectivement, avec le référentiel global.


A l’origine des discussions sur <strong>la</strong> création de l’AESM, deux référentiels sectoriels se<br />

distinguent, liés selon nous à l’échelle d’analyse supranationale. L’européanisation de<br />

certaines politiques publiques ne doit pas <strong>la</strong>isser croire que l’é<strong>la</strong>boration de politiques<br />

communautaires suit le même processus de décision qu’au niveau national. Effectivement, le<br />

problème crucial vient de l’acceptabilité des normes communautaires au sein de multiples<br />

systèmes politiques ayant leur culture et tradition spécifique (Müller, 2009 : 102). C’est<br />

<strong>pour</strong>quoi nous pensons que le cadre européen d’é<strong>la</strong>boration de politiques publiques peut faire<br />

l’objet d’un référentiel sectoriel (à lui seul).<br />

Expliquons ces deux référentiels sectoriels.<br />

À échelle européenne, suite à <strong>la</strong> catastrophe de l’Erika et dans un contexte de pression du<br />

grand public, le besoin d’une nouvelle légis<strong>la</strong>tion traitant de <strong>la</strong> dimension environnementale<br />

du transport maritime se ressent : « <strong>Maritime</strong> safety and the need for environmentally-friendly<br />

freight transport will figure prominently on the agenda of the new Belgian presidency of the<br />

European Union, which started on July 1 » (Article du 5.07.01). Parallèlement, un des grands<br />

défis de l’UE est de rétablir <strong>la</strong> perte de compétitivité de <strong>la</strong> flotte européenne et d’adopter des<br />

mesures permettant à ses opérateurs s’être concurrents à l’échelle internationale.<br />

Nous l’avons déjà souligné, l’échelle d’action est un point fondamental des discussions<br />

menées dans ce contexte d’amélioration de <strong>la</strong> sécurité maritime. Certains États membres<br />

optent <strong>pour</strong> faire des progrès d’abord à l’Organisation <strong>Maritime</strong> Internationale soit, à l’échelle<br />

internationale. D’autres États, dont <strong>la</strong> France, soutenue par <strong>la</strong> Communauté européenne,<br />

proposent des progrès à échelle internationale tout en se protégeant à échelle régionale. Ainsi,<br />

en octobre 2000, les représentations quant à cette création d’une Agence européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />

sécurité maritime sont divergentes, les premiers s’interrogent sur sa pertinence alors que les<br />

autres <strong>la</strong> considèrent déjà très utile (Article du 3.10.00). Progressivement cette représentation<br />

évolue vers une vision commune, parallèlement au contexte d’action. A ce propos, une<br />

analyse plus fine montre que les thématiques de <strong>la</strong> sécurité maritime ne sont pas toutes<br />

perçues à l’identique quant à l’échelle d’action.<br />

Cette question du choix de l’échelle d’action est d’autant plus cruciale que l’action à échelle<br />

régionale de l’UE comporte un risque majeur : celui de faire croître en Europe <strong>la</strong> perception<br />

que <strong>la</strong> communauté internationale est incapable d’agir et de faire face aux défis qui<br />

s’imposent.<br />

Certes, aux yeux de l’UE, l’OMI ne semble pas toujours suffisamment radicale et sa portée<br />

internationale induit des vitesses d’action lentes. Margot Wallström, commissaire européenne<br />

à l’environnement explique, par exemple, que dans <strong>la</strong> question du transport de certains fiouls<br />

par certains types de navires, l’OMI doit être plus radicale (Article du 27.11.02).<br />

L’augmentation des limites d’indemnisation des déversements de pétrole divise l’OMI<br />

(Article du 16.10.00) et, <strong>la</strong> question des déversements de produits chimiques comporte des<br />

vides juridiques en matière de responsabilité : <strong>la</strong> convention de l’OMI sur ce point doit encore<br />

être ratifiée et entrée en vigueur, ce qui nécessite du temps (Article du 06.11.00). De fait, en<br />

septembre 2001, Bruxelles s’apprête à prendre des mesures sur le régime de responsabilités en<br />

cas de déversements, même si elle espère toujours une action à échelle mondiale (Article du<br />

19.09.01).<br />

Dans ce contexte l’UE veut explorer de nouvelles façons d’améliorer <strong>la</strong> sécurité maritime à<br />

l’OMI autour de <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce d’un cadre international stable et fondé sur le principe de <strong>la</strong><br />

liberté, durable et légitime (Article du 05.06.02). Pour ce faire, le besoin de standards<br />

européens <strong>pour</strong> faire pression sur l’OMI apparaît rapidement. L’UE cherche de fait à agir à<br />

Page13


double échelle même si, là encore, toutes les thématiques ne seront pas réglées à échelle<br />

régionale. Dès avril 2001, les hauts fonctionnaires européens travaillent à une ligne commune<br />

de l’UE <strong>pour</strong> préparer les négociations sur l’amélioration du p<strong>la</strong>fond des indemnités (Article<br />

du 06.04.01). La plupart des États membres sont dès lors en faveur du principe d’une agence<br />

européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime (Article du 04.04.01). Cette volonté d’une vision<br />

commune <strong>pour</strong> peser davantage comme poids politique dans les décisions de l’OMI an<br />

semble-t-il, joué en faveur de cette nouvelle agence.<br />

Le second référentiel, celui du secteur maritime, se distingue de cette visée européenne.<br />

L’industrie maritime paraît plutôt favorable à l’amélioration de <strong>la</strong> sécurité maritime, même si<br />

certaines mesures sont mal perçues. Par exemple, début 2001, Intertanko, association<br />

indépendante d’armateurs de pétroliers, renforce sa présence à Londres dans le but de<br />

maintenir un esprit de conciliation avec <strong>la</strong> Communauté européenne et le Parlement européen<br />

en contribuant aux diverses initiatives prévues dans le cadre du Pack Erika 2 (Article du<br />

14.02.01). En avril 2001, W. Hoegh, président de cette association se dit favorable à l’AESM<br />

<strong>pour</strong> développer des règles uniformes <strong>pour</strong> une croissance des standards de qualité (Article du<br />

20.04.01). Les acteurs du monde maritime semblent conscients de <strong>la</strong> nécessité et de <strong>la</strong><br />

légitimité de <strong>la</strong> protection environnementale mais, ils souhaitent éviter <strong>la</strong> multiplication des<br />

standards et ne veulent pas nuire à <strong>la</strong> compétitivité de l’Europe dans les affaires maritimes.<br />

Dans cette perspective, l’ECSA, association des armateurs européens, suit de près l’évolution<br />

de <strong>la</strong> politique maritime de <strong>la</strong> commission européenne (Article du 21.10.02). Par ailleurs,<br />

diverses associations représentantes de l’industrie maritime multiplient les actions auprès de<br />

l’OMI et de l’UE <strong>pour</strong> faire avancer le sujet des ports refuges, preuve que <strong>la</strong> sécurité maritime<br />

est une préoccupation.<br />

La création d’une agence européenne <strong>pour</strong> <strong>la</strong> sécurité maritime ne fait <strong>pour</strong>tant pas<br />

l’unanimité au sein du secteur maritime. Il faut dire que, suivant une perspective historique, <strong>la</strong><br />

tradition d’intervention en transport maritime reste régie par un cadre international. De fait,<br />

des arguments contre une telle agence se retrouvent dans les articles de Lloyd’s ListPour<br />

certains, une telle agence est tout à fait inutile car les autorités de l’UE coopèrent déjà quand<br />

elles en ont besoin et ce, efficacement : le Paris Mou et <strong>la</strong> base Equasis sont d’ailleurs des<br />

modèles de cette coopération (Article du 21.08.01). La crainte d’une entité trop administrative<br />

semble fonder en partie ces critiques. Pourtant, celles-ci semblent précoces en 2001 car<br />

l’agence et les missions qui lui seraient confiées ne sont pas encore tangibles : c’est à partir de<br />

l’année 2002 que <strong>la</strong> création de l’agence devient plus concrète.<br />

Page14<br />

Ainsi, aux prémisses de <strong>la</strong> création de l’agence, deux référentiels se distinguent, l’un<br />

européen, l’autre maritime. La comparaison de ces référentiels au référentiel global, amène<br />

plusieurs constats. Le référentiel européen se distingue du référentiel global dans le sens où<br />

les limites du système sont représentées par <strong>la</strong> perte de compétitivité et non par les pavillons<br />

de comp<strong>la</strong>isance et <strong>la</strong> crainte des multinationales. Par ailleurs, cette comparaison renvoie aux<br />

garde-fous et à leur échelle d’action, pas suffisamment adéquate si l’on considère le<br />

référentiel européen au sein duquel une réflexion sur les réglementations et actions à échelle<br />

régionale est menée.<br />

Les représentations du référentiel maritime sont différentes de celles du référentiel global. Les<br />

premières ne sont pas empreintes de catastrophisme bien que <strong>la</strong> protection environnementale<br />

apparaisse de plus en plus légitime. Pourtant, certaines de ces représentations sont proches en<br />

termes d’échelle d’action : par tradition l’intervention maritime est induite par l’échelle<br />

internationale, l’implication régionale fait donc craindre une atteinte à <strong>la</strong> compétitivité et une<br />

multiplication des standards. De fait, entre les deux référentiels sectoriels, les représentations<br />

divergent mais sont identifiées. D’ailleurs les ponts entre l’un et l’autre existent.


Comme l’explique Mme Lalis, directrice du transport maritime à <strong>la</strong> Commission européenne,<br />

<strong>la</strong> première difficulté <strong>pour</strong> agir en matière de sécurité maritime à l’échelle de l’UE tient au fait<br />

de représenter une institution publique. Les réticences sont accrues par le caractère régional<br />

de l’institution, bien qu’elle ne cherche pas à interférer avec les normes internationales<br />

(Article du 18.09.00) :<br />

“You can sometimes also hear the argument that the commission is 'exercising its muscles'<br />

to compete with the IMO and that we invent and propose rules mainly for the sake of<br />

occupying the field! This is p<strong>la</strong>inly wrong. The commission has consistently recognised<br />

that IMO has a leading role in fixing safety standards worldwide. This is the reason why,<br />

for example, we always refrained from fixing our own standards even though we can find<br />

the technical expertise to do it and indeed we do it in other sectors.”<br />

Malgré certaines représentations connexes aux deux secteurs, <strong>la</strong> nouvelle agence européenne<br />

est acceptée différemment. Au sein du référentiel européen, l’agence devient une perspective<br />

conjointe à tous les Etats membres dès 2001, avec <strong>la</strong> nécessité d’voir une vision commune à<br />

l’UE en matière de sécurité maritime. Ces perceptions modèlent <strong>la</strong> future agence. Au sein du<br />

référentiel maritime, l’agence est acceptée comme telle seulement après qu’il eut été reconnu<br />

qu’elle ne dédouble pas les standards existants. C’est donc passée sa première année complète<br />

d’existence que les représentations à son propos changent progressivement : « Like it or not<br />

<strong>EM</strong>SA is here to stay. And it seems clear that it is becoming genuinely useful, and not just to<br />

European Union member states with less effective maritime administrations than others. And,<br />

while it does promote an element of harmony, it is as a facilitator that its principal benefits are<br />

most apparent.” (Article du 03.03.06).<br />

Ces référentiels à différentes échelles ayant été é<strong>la</strong>borés, nous nous interrogeons sur les<br />

apports de cette approche cognitive? Que met-elle en lumière dans <strong>la</strong> création de l’agence?<br />

2.3. Évolution des référentiels européen et du secteur maritime<br />

2.3.1. Début de <strong>la</strong> mise en œuvre de l’AESM<br />

À cette époque, <strong>la</strong> nouvelle agence est seulement partiellement reconnue.<br />

Le référentiel européen évolue, <strong>la</strong> Commission européenne devient décisionnaire en matière<br />

de sécurité maritime. En effet, c’est elle qui détermine le programme d’action de <strong>la</strong> future<br />

agence. Celui-ci est é<strong>la</strong>boré autour de 3 axes :<br />

• <strong>la</strong> collecte de l'information et <strong>la</strong> gestion de bases de données sur <strong>la</strong> sécurité maritime,<br />

• l'évaluation et de l'audit des sociétés de c<strong>la</strong>ssification maritime,<br />

• l'organisation des inspections dans les États membres <strong>pour</strong> vérifier le contrôle par<br />

l’État du port (Article du 29.08.02).<br />

Il est en outre défini que <strong>la</strong> nouvelle agence fournira des conseils techniques et scientifiques<br />

nécessaires <strong>pour</strong> augmenter le niveau de sécurité maritime, <strong>pour</strong> assurer leur application<br />

uniforme en Europe et <strong>pour</strong> promouvoir leur diffusion dans le monde entier (Ibid.).<br />

La question du lieu où sera basée l’agence, très débattue - 5 villes européennes en<br />

concurrence – révèle une importance stratégique et politique à l’échelle de l’UE. Ainsi, même<br />

si cette nouvelle agence apparaît encore fragile en termes de reconnaissance et de nécessité,<br />

elle revêt des enjeux politiques (Article du 18.12.01). Le recrutement de son futur directeur<br />

constitue de même un point important <strong>pour</strong> l’UE. L’avis de vacance d'emploi, publié au<br />

Journal officiel, en témoigne. Il stipule que <strong>la</strong> réputation de l’agence est à gagner rapidement<br />

Page15


<strong>pour</strong> devenir une référence incontournable en matière d’expertise sur <strong>la</strong> sécurité maritime. Les<br />

tâches principales du directeur, décrites, montrent surtout les liens à tisser avec les<br />

opérationnels à diverses échelles (Article du 15.01.03).<br />

La nomination de Willem de Ruiter à <strong>la</strong> tête de l’AESM en janvier 2003 fait naître des<br />

réactions variées. Elle vient néanmoins sceller le débat sur <strong>la</strong> naissance ou non d’une telle<br />

agence, elle conclut de fait une phase cruciale.<br />

Les représentations au sein de l’UE ont évolué autour de <strong>la</strong> concrétisation de l’agence. Qu’en<br />

est-il au sein du secteur maritime?<br />

Il est important de préciser que dès le début des discussions à l’origine de <strong>la</strong> création de<br />

l’AESM, Mme Lalis, directrice du transport maritime à <strong>la</strong> commission européenne, a cherché<br />

à dissiper les craintes de l’industrie en explicitant que l’ajout de nouvelles contraintes serait<br />

mal venue et que l’agence ne <strong>pour</strong>rait créer ni standards techniques, ni lois, ni faire de<br />

contrôles additionnels des navires…(Article du 18.09.00).<br />

De manière récurrente, ce rôle consultatif et de proposition de l’agence est mis en avant, <strong>la</strong><br />

nouvelle agence constitue seulement un organe <strong>pour</strong> le maintien de <strong>la</strong> sécurité maritime.<br />

Pourtant, l’industrie maritime ne semble pas convaincue par ce propos. Dans un contexte où<br />

celle-ci est encore très dubitative face à <strong>la</strong> création de cette agence, le choix du directeur<br />

constitue un élément crucial.<br />

M. de Ruiter, auparavant chef de <strong>la</strong> sécurité maritime au sein de <strong>la</strong> direction de l'énergie et des<br />

transports, remporte ce rôle essentiel de mener à bien les initiatives en matière de sécurité<br />

maritime à Bruxelles (Article du 30.01.03). Ce poste est reconnu comme sensible eu égard<br />

aux enjeux politiques nationaux et internationaux qu’il comporte. Les avis de l’industrie quant<br />

à cette nomination semblent plutôt favorables (Ibid.): « Intertanko said that Mr de Ruiter "has<br />

been open to with industry and understands the very well».<br />

D’emblée, Mr de Ruiter cherche à limiter les craintes de l’industrie quant à cette nouvelle<br />

agence, notamment quant à ses actions régionales (Article du 12.02.03).Des critiques et des<br />

craintes subsistent cependant. Plusieurs auteurs de l’industrie maritime confrontent leurs<br />

points de vue dans trois articles du 20 février au 27 février 2003, avec toujours comme thème<br />

principal le besoin ou non d’agir à échelle régionale. Pour les uns, les efforts déjà fournis <strong>pour</strong><br />

limiter <strong>la</strong> pollution ne sont pas pris en compte et l’amélioration de <strong>la</strong> sécurité apparaît quelque<br />

peu comme un faux problème ; du moins, dans le cadre du Prestige, le problème a été<br />

l’absence de lieu de refuge <strong>pour</strong> un navire en détresse (Article du 20.02.03).<br />

Par ailleurs, le comité grec de Londres de coopération de <strong>la</strong> navigation (London’s Greek<br />

Shipping Co-operation Committee) fustige <strong>la</strong> politique européenne de sécurité maritime mise<br />

en p<strong>la</strong>ce après <strong>la</strong> catastrophe du Prestige, il <strong>la</strong> qualifie de démagogie politique. Il dénonce<br />

aussi certains propos de Mr de Ruiter (Article du 27.02.03):<br />

“ […] how we have arrived at the situation where the head of a European agency can<br />

address a gathering of respectable businessmen as if they were naughty schoolboys,<br />

the Committee said. It commented: We are looking for some recognition and respect<br />

from governments for an industry, which has reduced incidents involving pollution of<br />

the maritime environment from ships to 10% of the level that existed 20 years ago.”<br />

Page16<br />

Le besoin de reconnaissance face aux efforts déjà effectués est de nouveau à noter, et les<br />

pressions politiques utilisées comme argument <strong>pour</strong> légitimer cette politique de sécurité<br />

maritime sont critiquées. Ainsi, ce comité grec souhaite des résistances (Ibid.).<br />

La double position qui persiste au sein de l’industrie maritime européenne incite le<br />

gouvernement grec qui assure <strong>la</strong> présidence de l'UE a demandé une approche plus globale à


propos de <strong>la</strong> thématique de l’élimination des navires pétroliers à simple-coques. Pour ce<strong>la</strong>, il<br />

demande une position commune de l’UE, même si <strong>la</strong> question des dates peut rester<br />

problématique, <strong>pour</strong> faire pression à l’OMI.<br />

Ainsi, les tensions de l’industrie sont encore palpables, elles influent sur <strong>la</strong> politique<br />

européenne qui se doit à nouveau de suivre une position commune.<br />

La comparaison des deux référentiels européen et de l’industrie maritime à l’époque de <strong>la</strong><br />

mise en p<strong>la</strong>ce de l’agence montre que les représentations à échelle européenne sont<br />

semb<strong>la</strong>bles autour d’une Commission européenne décisionnaire en matière de sécurité<br />

maritime. Les débats sur <strong>la</strong> localisation de l’agence et le choix du futur directeur traduisent le<br />

caractère stratégique et encore incertain de l’agence qui doit s’affirmer. Parallèlement, les<br />

positions et les représentations de l’industrie maritime restent controversées quant à <strong>la</strong><br />

pertinence d’une action régionale.<br />

La comparaison avec le référentiel global montre à nouveau un déca<strong>la</strong>ge entre celui-ci et le<br />

référentiel de l’UE en termes d’échelle de règlementations. L’UE s’est détachée de l’idée de<br />

créer des garde-fous <strong>pour</strong> encadrer le secteur maritime seulement à échelle mondiale, elle a<br />

choisi d’agir à son échelle par le biais de <strong>la</strong> Commission européenne. À l’inverse, les<br />

représentations induites par le référentiel global et, à échelle sectorielle, par l’industrie<br />

maritime sont assez simi<strong>la</strong>ires autour du besoin d’agir en matière de règlementation de <strong>la</strong><br />

sécurité maritime, d’abord à échelle mondiale avec des dé<strong>la</strong>is d’actions plus longs.<br />

Il convient désormais de s’interroger sur l’évolution de ces deux référentiels, européens et de<br />

l’industrie maritime <strong>pour</strong> cerner <strong>la</strong> mise en p<strong>la</strong>ce de cette nouvelle agence grâce à une<br />

approche systémique.<br />

2.3.2. Évolution de l’AESM 2003-2009<br />

Le référentiel de l’UE continue à évoluer : dès février 2003, <strong>la</strong> Commission européenne<br />

confie de nouvelles tâches à l’AESM. Succinctement, <strong>la</strong> lutte contre <strong>la</strong> pollution et<br />

l’amélioration de <strong>la</strong> sécurité maritime deviennent de nouveaux enjeux <strong>pour</strong> l’agence dès août<br />

2003 : <strong>la</strong> CE propose qu’une flotte de navires dotés de technologies avancées et de moyens<br />

d’intervention et de lutte contre les pollutions, soit à sa disposition (Article du 08.08.03). Le<br />

rôle de l'AESM dans l'audit des sociétés de c<strong>la</strong>ssification est également intensifié (Article du<br />

04.02.04). Et, d’autres projets apparaissent progressivement, par exemple, CleanSeaNet en<br />

2006. Le budget de l’AESM augmente et se pérennise en lien avec ses nouvelles tâches. De<br />

même, les effectifs de l’agence croissent, témoignant d’un ancrage de celle-ci.<br />

L’AESM souhaite travailler de concert avec l’OMI entre autres sur <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> révision<br />

de <strong>la</strong> Convention du droit de <strong>la</strong> mer. Dans le contexte de double position qui a existé au sein<br />

de l’UE à propos de <strong>la</strong> régu<strong>la</strong>tion régionale, il semble nécessaire d’engager un débat<br />

constructif entre l’UE et l’OMI. Une représentation intéressante apparaît dès lors : l’idée qu’il<br />

n’y a pas de désaccord fondamental entre ces deux instances quant à <strong>la</strong> nécessité de veiller à<br />

ce que des catastrophes maritimes ne se reproduisent pas. Or, les questions et les enjeux <strong>pour</strong><br />

ce faire ont des ramifications techniques, juridiques et économiques à diverses échelles, c’est<br />

<strong>pour</strong>quoi des liens constructifs entre l’OMI et l’UE sont cruciaux (Article du 04.03.03). Dans<br />

cette perspective le Parlement européen explique, en septembre 2003, l’urgence de pousser les<br />

initiatives européennes en matière de sécurité maritime à l'OMI. Il réitère alors l'appel à <strong>la</strong><br />

Commission européenne de se doter d'un mandat <strong>pour</strong> négocier à l'ONU au nom des<br />

gouvernements européens (Article du 23.09.03).<br />

Page17


La coopération entre l’UE et l’OMI s’établit : « Emergency response has been an evolutionary<br />

process, in which agencies including IMO and <strong>EM</strong>SA have worked in parallel with private<br />

sector responders such as the salvage and pollution response providers » (Article du<br />

19.04.04). Certaines résolutions de l’OMI restent <strong>pour</strong>tant difficiles à mettre en p<strong>la</strong>ce. L’UE<br />

se dit alors contrainte de légiférer sur certains dossiers (par exemple sur les risques induits par<br />

<strong>la</strong> pollution pétrolière). Puis, lors de l’ouverture officielle du nouveau siège de l’AESM à<br />

Lisbonne, en 2006, le secrétaire général de l’OMI déc<strong>la</strong>re que l’AESM sera un allié <strong>pour</strong><br />

l’OMI <strong>pour</strong> éradiquer <strong>la</strong> navigation dont les normes sont en dessous des standards de qualité.<br />

Par ailleurs, avec le président de <strong>la</strong> CE, ils s’engagent tous deux publiquement en expliquant<br />

que l’AESM ne constitue pas une menace <strong>pour</strong> l’OMI (Article du 15.09.06)<br />

Progressivement, cette question des liens entre <strong>la</strong> nouvelle agence européenne et l’OMI<br />

semble perdre en importance car elle devient de moins en moins abordée voire inexistante<br />

dans les articles du corpus analysé. D’ailleurs, <strong>la</strong> crainte de minimiser le rôle de l’OMI en<br />

mettant en p<strong>la</strong>ce des actions régionales se trouve invalidée par <strong>la</strong> coopération qui se<br />

développe entre l’AESM et l’OMI.<br />

Ainsi, dès ces débuts, l’AESM voit son mandat s’é<strong>la</strong>rgir, résultante de <strong>la</strong> volonté des ministres<br />

des États membres. De fait, sa croissance est rapide et soulève quelques craintes dans<br />

l’industrie, notamment celle d’en faire une agence tentacu<strong>la</strong>ire (Article du 09.09.04).<br />

Peu à peu, <strong>la</strong> jeune agence est <strong>pour</strong>tant perçue positivement par <strong>la</strong> communauté maritime et<br />

ce, <strong>pour</strong> diverses raisons. Le travail qu’elle effectue est reconnu comme nécessaire <strong>pour</strong> <strong>la</strong><br />

propagation de <strong>la</strong> cohérence du contrôle par l’État du port dans toute <strong>la</strong> façade maritime<br />

européenne et, excellent. De fait, elle contribue à harmoniser les normes et procédures <strong>pour</strong><br />

les inspecteurs qui effectuent ces contrôles. D’autre part, elle est aussi moteur dans d’autres<br />

initiatives européennes, comme le service CleanSeaNet, conçu <strong>pour</strong> traiter et transmettre aux<br />

autorités les informations de contrôle de <strong>la</strong> pollution par le biais d’images satellites. Elle est<br />

étroitement impliquée dans <strong>la</strong> création du centre européen de données <strong>pour</strong> l'identification et<br />

le suivi des navires longue distances (Article du 09.04.08). Or, l’échange et le partage de<br />

données est très positif <strong>pour</strong> le secteur maritime.<br />

Page18


Conclusion<br />

Ainsi, l’AESM vue au départ avec scepticisme s’est imposée <strong>pour</strong> montrer toute sa<br />

nécessité (Article du 09.04.08) :<br />

“Is Emsa necessary? There may have been initial scepticism about this, but in that there<br />

are clearly wide differences in the capability of maritime authorities the length and<br />

breadth of the European Union, with effectiveness ranging from highly capable to barely<br />

competent, the requirement for an agency that can mitigate the problems caused by these<br />

differences must be well-proven by now.”<br />

En résumé, l’AESM n’a pas dédoublé les rôles et missions des autorités maritimes des États<br />

membres ; au contraire l'agence s’est positionnée à une dimension supplémentaire, elle est<br />

désormais identifiée comme référente en matière de sécurité maritime européenne (Article du<br />

30.10.08). De fait, l'agence est de plus en plus invoquée par <strong>la</strong> CE et les États membres <strong>pour</strong><br />

des données techniques et elle a une bonne réputation dans l'industrie (Article du 11.02.09).<br />

Sa pertinence et son intérêt s’affirment et ses capacités opérationnelles sont reconnues par le<br />

monde maritime.<br />

La crainte d’une agence tentacu<strong>la</strong>ire et d’une évolution vers une forme de garde-côtière<br />

européenne, soulignée lors de ces premiers mois d’existence, disparaît progressivement. En<br />

effet, selon certains avis, une telle instance semb<strong>la</strong>it être une évolution logique de l’AESM car<br />

les ambitions maritimes de Bruxelles augmentaient (Article du 20.01.05). Mais, toute<br />

référence à une garde-côtière européenne cesse rapidement : ce<strong>la</strong> ne semble pas refléter <strong>la</strong><br />

volonté de Bruxelles qui préfère le fonctionnement actuel de l’agence (i.e. tenter de fournir<br />

une couverture unifiée d’intervention en cas d’urgence et une meilleure gestion de <strong>la</strong> pollution<br />

des côtes européennes par <strong>la</strong> reconnaissance de <strong>la</strong> diversité des pays) (Ibid.).<br />

Suite à <strong>la</strong> publication du rapport annuel du directeur exécutif de l’agence, un premier bi<strong>la</strong>n est<br />

dressé dans l’article Lloyd’s List du 15 novembre 2005. L’auteur de l’article rappelle d’abord<br />

que le périodique Lloyd’s List était au départ sceptique quant à <strong>la</strong> nécessité d’une telle<br />

agence. Ensuite, il explique que <strong>la</strong> crainte de faire de l’AESM une structure bureaucratique<br />

lourde et doub<strong>la</strong>nt le travail de certaines administrations maritimes a été gommée par les dixhuit<br />

mois de travaux grâce à des capacités opérationnelles et à un directeur exécutif compétent<br />

et apaisant vis à vis des critiques (Article du 15.11.05). De manière plus pragmatique, le<br />

rapport de M. de Ruiter publié en 2005 constate <strong>la</strong> volonté d’une exigence générale de fournir<br />

un niveau de concurrence équitable <strong>pour</strong> les États membres et l’industrie maritime, surtout<br />

dans le contexte d’é<strong>la</strong>rgissement européen. Des différences considérables existent dans les<br />

capacités des États à gérer le secteur maritime, c’est <strong>pour</strong>quoi, une meilleure harmonisation ne<br />

peut être que bénéfique. Ainsi, M. de Ruiter est optimiste dans <strong>la</strong> politique européenne de<br />

sécurité maritime qui donne globalement de bons résultats (Article du 24.02.05). Dix ans<br />

auparavant, <strong>la</strong> communauté maritime européenne se montrait pessimiste à ce propos, les<br />

propriétaires européens craignaient de perdre des parts de marchés au profit d’opérateurs<br />

moins scrupuleux en termes de sécurité ; certains affirmaient même que le secteur était à<br />

l’agonie (Ibid.). Pourtant, comme l’explique M. de Ruiter, les propriétaires de qualité<br />

semblent récompensés : "Today we see that quality owners are regaining market share, are<br />

having ships built and are increasingly using the f<strong>la</strong>gs of member states," he said (Ibid.). Cet<br />

élément doit cependant être nuancé car, début 2009, <strong>la</strong> crise économique fait craindre une<br />

hausse des accidents de navires et de pollution maritime, <strong>la</strong> navigation étant sous pression en<br />

raison de <strong>la</strong> baisse spectacu<strong>la</strong>ire du commerce mondial et d’une gamme de nouvelles normes<br />

Page19


à mettre en œuvre (J.Hammer Hansen, président du conseil d'administration de l’AESM,<br />

préface du programme de travail de l'agence <strong>pour</strong> 2009, Article du 11.02.09).<br />

De manière plus analytique, dans <strong>la</strong> perspective de tester l’applicabilité de l’approche<br />

cognitive aux politiques maritimes, l’analyse des deux référentiels « sectoriels », européen et<br />

de l’industrie maritime, révèle deux constats. D’une part, l’UE, par le biais de l’AESM,<br />

coopère avec l’OMI <strong>pour</strong> améliorer <strong>la</strong> sécurité maritime ce qui fonde progressivement l’idée<br />

qu’il n’y a pas de désaccord entre ces deux instances. D’autre part, c’est le travail développé<br />

par l’AESM au cours de ses deux premières années d’existence qui a modifié les perceptions<br />

de l’industrie maritime à son égard. Nous nous sommes demandés si ces deux constats sont<br />

interdépendants. En d’autres termes, l’un a-t-il engendré l’autre?<br />

Pour une analyse fine, il convient de rapporter chaque référentiel au référentiel global. À<br />

partir du moment où l’industrie maritime accepte une intervention à échelle régionale en<br />

admettant que les travaux effectués par l’AESM sont efficaces (fin 2005), l’OMI est plus<br />

« contrainte » de coopérer avec l’UE car celle-ci représente alors une vision commune qui<br />

intègre le politique et l’industrie. Réciproquement, un blocage de l’OMI justifierait davantage<br />

<strong>la</strong> pertinence de l’AESM. Ainsi, en septembre 2006 lors de l’inauguration de l’AESM à<br />

Lisbonne, une coopération efficace est entérinée. Le rapport de force entre l’UE et l’OMI a<br />

été favorisé par le secteur de l’industrie maritime. Dans ce cas présent, <strong>la</strong> politique publique<br />

que constitue l’AESM a été générée non pas par un déca<strong>la</strong>ge entre le référentiel global et le<br />

référentiel sectoriel mais, par un troisième référentiel, celui de l’UE, induit par l’échelle<br />

d’action des politiques supranationales.<br />

Il apparaît donc important de considérer ici l’échelle de l’UE comme un référentiel <strong>pour</strong> saisir<br />

l’origine de <strong>la</strong> politique publique mais, surtout, son application. En fait, c’est le<br />

développement de cette politique autour de <strong>la</strong> création de l’AESM qui a modifié les<br />

représentations de l’industrie maritime à son égard et, de fait, engendré une modification de<br />

son référentiel. C’est le déca<strong>la</strong>ge entre le référentiel de l’UE et de l’industrie maritime, qui<br />

modifie ensuite l’échelle internationale.<br />

Page20<br />

Plus conceptuellement, il est pertinent de conclure sur l’apport du recours à des concepts plus<br />

politiques, telle l'approche de Müller, à l'étude des politiques maritimes.<br />

Les travaux sur les politiques publiques reconnaissent l'influence de jeux de pouvoir. Mais de<br />

cette reconnaissance, ils passent à l'identification des blocages induits par ces oppositions<br />

d'intérêts <strong>pour</strong> tendre à suggérer des zones de consensus potentiellement plus productives. En<br />

contraste, si l’on s'intéresse aux représentations des acteurs plutôt qu'à <strong>la</strong> mécanique des<br />

mesures qui sont, ou ne sont pas, mises en p<strong>la</strong>ce, les oppositions entre les parties prenantes<br />

peuvent être comprises comme des moteurs d'évolution. Autrement dit, les débats issus des<br />

confrontations constituent des arènes dans lesquelles les représentations entrent en contact et<br />

se transforment. Ainsi, <strong>pour</strong> les décideurs publics, cette perspective peut permettre de<br />

valoriser des progrès préa<strong>la</strong>bles, et probablement nécessaires (comme <strong>la</strong> reconnaissance des<br />

responsabilités et prérogatives de chacun), aux progrès quantifiables par rapport aux<br />

changements concrets que l'on cherche à induire par les politiques publiques (par exemple <strong>la</strong><br />

réduction du nombre de tonnes d'hydrocarbure à <strong>la</strong> mer). Pour les chercheurs, l'approche<br />

permet d'étudier une dimension de processus de création des politiques publiques dont<br />

l'influence a été jusqu'à maintenant <strong>la</strong>rgement sous-estimée dans l'étude de <strong>la</strong> sphère maritime.


Références<br />

Aufray (D) La politique maritime à l’heure mondiale, Paris, L’Harmattan, <strong>Maritime</strong>s, 2004.<br />

Birnbaum Pierre et Bertrand Badie, Sociologie de l’État, Paris, Grasset, 1979.<br />

Dahl, R. A. (1961). Who governs? Democracy and power in an American city. . New Haven,:<br />

Yale University Press.<br />

Everett (S), « Policy making and p<strong>la</strong>nning for the port sector: paradigms in conflict »,<br />

<strong>Maritime</strong> Policy & Management, 32, n°4, 2005.<br />

Everett (S), « The Policy Cycle: Democratic Process or Rational Paradigm Revisited? »<br />

Australian Journal of Public Administration, 62, n°2, 2003.<br />

Lascoumes (P), Le Galès (P), dir., Gouverner par les instruments, Paris, Les Presses de<br />

Sciences Po, collection « Nouveaux débats », 2005.<br />

Lindblom (C. E), The science of muddling through, Public Administration Review,<br />

19(2), Spring, 79–88, 1959.<br />

Mischi (J), Renahy (N), « Pour un sociologie politiques des mondes ruraux », Politix, 3,<br />

n°83, 2008.<br />

Müller (P), « Esquisse d'une théorie du changement dans l'action publiques : structures,<br />

acteurs et cadres cognitifs », Revue française de science politique, 55, 2005.<br />

Müller (P), « Vers une sociologie politique de l'action publique », Revue française de science<br />

politique, 50, 2000.<br />

Müller (P), Les politiques publiques, Paris : PUF, coll. Que sais-je ?, 1990.<br />

Müller (P), Jobert (B), L'Etat en action, politiques publiques et corporatismes, Paris : PUF,<br />

coll. Recherches politiques, 1987.<br />

Müller (P), Surel (Y), L’analyse des politiques publiques, Paris, Montchrestien, collection<br />

Clefs, 1998.<br />

Palier (B),Surel (Y), « Les trois «i» et l’analyse de l’Etat en action », Revue française de<br />

science politique, 55(1), 2005.<br />

Sabatier (P.A.), Schalger (E), « Les approches cognitives des politiques : perspectives<br />

américaines », Revue française de science politique, 50(2), 2000.<br />

Thoenig (J. C.), Politiques publiques, in Boussaguet (L), Jacquot (S), Ravinet (P), dir.<br />

Dictionnaire des politiques publiques. Paris, Presses de Sciences Po, 2004.<br />

Articles de Loyd’s List (les articles du quotidien ne sont jamais signés personnellement par<br />

ses journalistes) :<br />

Page21


11.02.2009. «Economic downturn will 'jeopardise ship safety' as owners s<strong>la</strong>sh costs»<br />

30.10.2008. «A distinctive agency»<br />

09.04.2008. « Emsa hires extra staff as remit grows; Number is five times higher than<br />

expected»<br />

15.09.2006. Julian Bray « Emsa wins global support in maritime safety battle: Opening of<br />

headquarters brings backing from world regu<strong>la</strong>tors»<br />

03.03 2006. «<strong>EM</strong>SA grows in stature»<br />

15.11.2005. «<strong>EM</strong>SA makes an impact»<br />

24.10.2005. «EU f<strong>la</strong>gs and c<strong>la</strong>ss get <strong>EM</strong>SA safety nod»<br />

20.01.05. «Guarding the Eurocoast»<br />

09.09.2004. «Building a giant European safety net, not a mini commission empire: Willem de<br />

Ruiter, executive director of the European <strong>Maritime</strong> Safety Agency, talks to Justin Stares»<br />

19.04.2004. «Disasters that have changed our attitudes to response: How do we consider the<br />

issue of "response" and our capabilities to deal with a maritime emergency?, asks Michael<br />

Grey»<br />

04.02.2004. «Aviation model for sea probes»<br />

23.09.2003. Brian Reyes «Europe to vote on anti-pollution measures»<br />

08.08.2003. Roger Hailey «Ships and security role for Brussels safety agency»<br />

04.03.2003. «Constructive dialogue»<br />

27.02.2003. Nigel Lowry «Tankers - London Greek ire at Prestige witch-hunt»<br />

20.02.2003. «Getting real on oil»<br />

12.02.2003. «Europe - Owners pay for tanker crackdownIt could get worse, says de Ruiter,<br />

writes Hugh O'Mahony»<br />

30.01.2003. Roger Hailey «De Ruiter to head Europe's maritime safety agency Dutchman<br />

wins key role to lead Brussels ship safety initiatives»<br />

15 .01.2003. Roger Hailey «Brussels - Candidates for Europe safety post 'whittled down to<br />

three'»<br />

Page22<br />

27.11.2002. «Substandard vessels to be b<strong>la</strong>cklisted»<br />

21.10 2002. Hailey «Europe - Prospect of Iraq attack adds to gloomy future for owners»


29.08.2002. «Europe starts hunt for sea safety supremo»<br />

05.06 2002. «Pa<strong>la</strong>cio praises progress but sets new benchmarks»<br />

18.12 2001. Michael Grey «EU leaders mull sites for agencies»<br />

19.09.2001. «Environment - Brussels poised to take initiative on liability»<br />

21.08.01. «Risk and reality»<br />

05.07 2001. Brian Reyes «Belgian prime minister Guy Verhofstadt addresses the European<br />

Parliament yesterday outlining the programme for the next six months as Belgium takes the<br />

EU presidency»<br />

20.04.2001. «Westye Hoegh leaves members in good heart»<br />

06.04.2001. Nigel Tutt «Europe's transport ministers set sights on Brussels oil fund»<br />

04.04.2001. «Brussels - Ministers move to de<strong>la</strong>y oil spill fund»<br />

14.02.2001. Michael Grey «Tankers Intertanko lifts London profile with expansion of UK<br />

offices»<br />

06.11.2000 «Tankers EC undecided on chemical spill <strong>la</strong>w»<br />

16.10.2000 Sandra Speares «International: Timing c<strong>la</strong>sh on IMO talks bid to raise oil spill<br />

compensation limits»<br />

03.10.2000. Nigel Tutt «EU ministers to defer to IMO»<br />

18.09.2000 Julian Bray «Europe to get safety agency»<br />

Sites Internet<br />

http://www.lloydslist.com/ll/home/index.htm<br />

http://www.informa.com/<br />

Page23

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!