05.04.2014 Views

Istanbul, ville monde - La pensée de midi

Istanbul, ville monde - La pensée de midi

Istanbul, ville monde - La pensée de midi

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Un cosmopolitisme sans fierté<br />

À la vision optimiste d'Elif Safak s'oppose celle <strong>de</strong> Kerem Öktem. Chercheur et directeur d'étu<strong>de</strong>s<br />

en politique du Moyen-Orient à l'Université d'Oxford, Kerem Öktem met l'accent sur la réticence<br />

d'<strong>Istanbul</strong> « à accepter les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie étrangers ». Une réticence qui s'enracine dans une peur viscérale<br />

<strong>de</strong> l'altérité. Quelle que soit l'origine <strong>de</strong> cette altérité. Sociale, ethnique, religieuse... Pour Kerem<br />

Öktem, s'il existe indéniablement un cosmopolitisme stambouliote, il n'en <strong>de</strong>meure pas moins qu'il est<br />

le résultat <strong>de</strong>s efforts permanents entrepris par le ministère <strong>de</strong> la Culture pour donner d'<strong>Istanbul</strong> l'image<br />

d'un cosmopolitisme réussi. Or, les <strong>mon<strong>de</strong></strong>s qui composent le patchwork intérieur d'<strong>Istanbul</strong>, sont<br />

<strong>de</strong>s entités distinctes qui s'excluent et se déchirent, jusque dans leur imaginaire culturel.<br />

Ainsi nombreux sont les écrivains turcs d'aujourd'hui qui, à la recherche d'une « diversité ethnique<br />

et culturelle disparue », explorent leur <strong>ville</strong> et tentent <strong>de</strong> recréer la « splen<strong>de</strong>ur perdue <strong>de</strong><br />

l'époque ottomane ». Paradoxalement, le romancier Orhan Pamuk, nostalgique <strong>de</strong> ce passé disparu,<br />

s'attache à peindre dans son <strong>de</strong>rnier roman, The Museum of Innocence (Faber and Faber, 2009) une<br />

<strong>Istanbul</strong> monochrome et grise. C'est l'<strong>Istanbul</strong> <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité <strong>de</strong>s années 1970. C'est aussi celle <strong>de</strong> la<br />

gran<strong>de</strong> désertion <strong>de</strong>s communautés grecques et juives.<br />

En revanche, la <strong>de</strong>scription que fait Ihsan Oktay Anar <strong>de</strong> la <strong>ville</strong> <strong>de</strong> Constantin, Konstantiniyye,<br />

dans Atlas <strong>de</strong>s continents brumeux (Actes Sud, 2001), est sans doute plus proche <strong>de</strong> l'<strong>Istanbul</strong> d'aujourd'hui.<br />

« Une <strong>ville</strong> où la différence et la diversité sont porteuse <strong>de</strong> synergie, mais aussi d'une tension,<br />

d'une angoisse et d'une créativité en perpétuel mouvement, et où le désir <strong>de</strong> cosmopolitisme et l'expérience<br />

quotidienne coïnci<strong>de</strong>nt rarement ».<br />

D'autres écrivains ont cessé <strong>de</strong> se tourner vers un passé rassurant pour affronter un présent agité<br />

<strong>de</strong> tensions multiples dont le passé lui-même n'est pas exclu. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la littérature et <strong>de</strong> la création<br />

artistique, un « imaginaire historique original » s'est établi <strong>de</strong>puis 1994. « L'âge d'or ottoman ». « Un<br />

Jardin d'E<strong>de</strong>n turc », vision d'une « société où les religions et les cultures coexistaient en parfaite harmonie,<br />

sous la domination bienveillante et incontestée <strong>de</strong>s classes dirigeantes musulmanes et<br />

turques. »<br />

Derrière ce rêve édénique c'est une autre réalité qui s'impose : celle <strong>de</strong>s conflits qui divisent les<br />

quartiers et les rues <strong>de</strong> la <strong>ville</strong>. Et <strong>de</strong> la répression. Nombre d'habitants indésirables font l'objet d'expulsions.<br />

Que conclure sur le cosmopolitisme stambouliote ? Certes, ce cosmopolitisme est indéniable.<br />

Certes <strong>Istanbul</strong> est une <strong>ville</strong> « véritablement internationale ». Elle est aussi une « <strong>ville</strong> <strong>de</strong> transit et<br />

d’immigration africaine et arabe », une <strong>ville</strong> qui abrite la plus vaste communauté kur<strong>de</strong> ; une <strong>ville</strong><br />

ouverte à tous les mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie et à tous les choix sexuels ; une « <strong>ville</strong> <strong>de</strong> femmes », enfin. Mais, <strong>de</strong><br />

ce cosmopolitisme, <strong>Istanbul</strong> ne tire aucune fierté. Derrière le cosmopolitisme d’<strong>Istanbul</strong>, ce qui persiste<br />

ce sont les conflits et les tensions d’une <strong>ville</strong> en pleine mutation qui a du mal à vivre dans le « plaisir<br />

<strong>de</strong> la différence » sa vocation multiculturelle.<br />

<strong>Istanbul</strong> « Clic-Clac »<br />

Dans un récit kaléidoscopique où alternent souvenirs d’enfance et présent d’adulte, Karin<br />

Karakasli, écrivain et journaliste, évoque avec une émotion toujours très vive, la personnalité <strong>de</strong> Hrant<br />

Dink. Cet écrivain turc d’origine arménienne, fondateur du journal turco-arménien Agos, est mort en<br />

2007, assassiné par un nationaliste turc, <strong>de</strong>vant la porte du journal. <strong>La</strong> communauté arménienne a<br />

rendu hommage, lors <strong>de</strong> ses funérailles, dans le plus grand silence, au grand homme disparu dans la<br />

violence du sang versé. Karin Karakasli, elle, s’est convaincue que son <strong>de</strong>stin était d’écrire.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!