Istanbul, ville monde - La pensée de midi
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<strong>Istanbul</strong>, <strong>ville</strong> <strong>mon<strong>de</strong></strong><br />
par Nil Deniz et Thierry Fabre<br />
Texte d’introduction du dossier du n°29 <strong>de</strong> <strong>La</strong> pensée <strong>de</strong> <strong>midi</strong><br />
<strong>Istanbul</strong> est une <strong>ville</strong> saturée <strong>de</strong> clichés. Minarets et mosquée Bleue, Bosphore et Corne<br />
d’Or, perle d’Orient et rêve d’Occi<strong>de</strong>nt… Comment échapper à ces images toutes faites ?<br />
Comment se détacher du poids <strong>de</strong> l’histoire qui fait <strong>de</strong> cette <strong>ville</strong> une <strong>de</strong>s rares mégapoles<br />
<strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> 2000 ans, à travers Byzance, Constantinople puis <strong>Istanbul</strong> ?... Polis, la <strong>ville</strong> par<br />
excellence !<br />
Ville immense, démesurée et insaisissable, dont il est bien difficile <strong>de</strong> tracer les contours,<br />
entre mer Noire et mer <strong>de</strong> Marmara, entre rive européenne et rive asiatique, qui s’étend<br />
jusque vers <strong>de</strong>s confins improbables. Ville dont le nombre <strong>de</strong>s habitants reste en suspens,<br />
selon les interlocuteurs, 13 millions, 14, 16 ou 17 millions ? <strong>La</strong> marge d’appréciation n’est pas<br />
mince et peut inclure la population entière d’autres gran<strong>de</strong>s <strong>ville</strong>s européennes… Il faut donc<br />
accepter <strong>de</strong> s’y perdre, c’est sans doute une <strong>de</strong>s meilleures façons <strong>de</strong> s’y retrouver. Surtout ne<br />
pas vouloir la réduire, l’enfermer dans <strong>de</strong>s catégories qui le len<strong>de</strong>main même seraient<br />
obsolètes.<br />
Notre seul véritable choix a été <strong>de</strong> tenter d’approcher la <strong>ville</strong> d’aujourd’hui, dans ses<br />
facettes les plus contemporaines. Mais cela ne permet pas pour autant <strong>de</strong> faire le tour du<br />
Moloch ! Une <strong>ville</strong> <strong>mon<strong>de</strong></strong>, une <strong>ville</strong> monstre qui laisse une empreinte durable, rarement<br />
dépourvue <strong>de</strong> charme. Une <strong>ville</strong>-aimant, qui s’entoure d’un halo <strong>de</strong> mystère et <strong>de</strong> brume, une<br />
<strong>ville</strong> étendard, <strong>de</strong> la Turquie contemporaine, qui porte fièrement cette sorte d’aura qui traverse<br />
le temps et les <strong>mon<strong>de</strong></strong>s si divers qui la composent, ou parfois la décomposent…<br />
Une <strong>de</strong>s clefs, si l’on en croit la romancière Elif Safak, c’est <strong>de</strong> consentir à un secret,<br />
“<strong>Istanbul</strong> n’existe pas. Au lieu <strong>de</strong> cela, il existe plusieurs <strong>Istanbul</strong> qui vivent côte à côte. Il ne<br />
s’agit pas d’une <strong>ville</strong> unique, mais d’une énorme poupée gigogne.” Et elle nous fait découvrir<br />
ses quatre fragments <strong>de</strong> <strong>ville</strong>… Kerem Öktem s’inscrit pleinement dans cette multiplicité constitutive,<br />
avec ces populations d’origines diverses qui font la <strong>ville</strong>. Mais loin <strong>de</strong>s belles images<br />
sur le cosmopolitisme d’hier et la coexistence d’aujourd’hui, au nom d’un héritage ottoman<br />
revisité, il pointe le nationalisme, la xénophobie et l’intolérance qui habite la <strong>ville</strong> dans ses profon<strong>de</strong>urs.<br />
Karin Karakaslı ne le démentira pas, elle qui fait le portrait sensible <strong>de</strong> sa rencontre<br />
avec l’immense et belle figure <strong>de</strong> Hrant Dink, intellectuel turc d’origine arménienne, assassiné<br />
<strong>de</strong>vant son journal, Agos, en janvier 2007, par un jeune militant nationaliste.<br />
Becoming <strong>Istanbul</strong>… Expositions, cartes et banques <strong>de</strong> données, publications <strong>de</strong> catalogues,<br />
ce travail exemplaire sur l’urbain nous a inspiré pour réaliser ce numéro. L’accueil si<br />
chaleureux et la disponibilité magnifique <strong>de</strong> Pelin Dervis, coordinatrice du projet, avec Bülent<br />
Tanju et Ugur Tanyeli (Garanti Galeri, 2008) nous a permis d’enrichir notre approche et <strong>de</strong><br />
traduire cinq courts textes, inédits en français, <strong>de</strong> ce nouveau dictionnaire d’<strong>Istanbul</strong>.<br />
“Fragments d’un discours amoureux” et critique sur la <strong>ville</strong>, à travers Stambouliote, un mythe<br />
urbain d’Ugur Tanyeli, Zaman <strong>de</strong> Senem Deviren, Balık-ekmek <strong>de</strong> Tangör Tan, Simit d’Orhan<br />
Esen et Biennale <strong>de</strong> Pelin Tan. Le photographe Alp Sime prolonge ces fragments et nous fait<br />
partager son regard singulier dans un portfolio noir et blanc en huit images, qui permet <strong>de</strong><br />
saisir un peu mieux le climat humain et le mystère persistant <strong>de</strong> cette <strong>ville</strong>.