Palabres 14 - Association des Revues Plurielles

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jugé au même titre qu’un citoyen français d’origine. Mais la légalité sera une fois de plus bafouée. La requête de Grenard est rejetée, il sera jugé comme tous ses compatriotes. Quatre ou cinq jours avant le procès, en signe de protestation, tous les Lari abandonnent le travail. Ils refusent même d’approvisionner la ville. Le matin du 2 avril 1930, sur la place de la mairie, des milliers d’hommes, de femmes et d’enfants sont réunis. Tout comme les citadins, les ruraux ont abandonné leur travail et envahi les rues de la ville. En quelques instants, la place est occupée. Les spectateurs sont passifs ; on les sent inquiets, attentifs. Mais au fur et à mesure que se déroule le procès, la tension monte. Les Noirs, pour manifester leur solidarité avec leurs frères – ne sont-ils pas venus pour les arracher à la haine de leurs accusateurs ? – accueillent les paroles des juges, I MAGES & MÉMOIRE Le soulèvement populaire. (Gouache de Ray-M’) d’abord par des murmures, puis par des cris de colère. Après une journée de débats, au cours desquels Grenard a essayé de prouver sa bonne foi et de défendre l’Amicale, le procès est ajourné au lendemain. Le soir même, les chefs coutumiers et les responsables de l’Amicale se réunissent et concertent sur les mesures à prendre au cas où Grenard et les délégués de l’Amicale seraient condamnés à des peines d’emprisonnement. D’un commun accord, ils décident d’arracher les prisonniers aux autorités françaises. Cette décision ne peut surprendre : depuis des mois, toutes les démarches entreprises par les amis de Grenard se sont révélées vaines. Or l’enjeu de la partie qui se livre est trop important. Coûte que coûte Grenard doit être libéré, légalement ou bien par la force. Au soir du premier jour du procès, les Lari ne se font plus d’illusions. Ils se sentent acculés à l’action directe. Maintel’arbre à Palabres # 14 - Novembre 2003 51
I MAGES & MÉMOIRE nant que leur décision est prise, rien ne les arrêtera. Le lendemain 3 avril 1930, dès les premières heures du jour, les Lari assiègent la place de la mairie. La patience de la veille a fait place à une colère mal contenue. Une atmosphère chargée de méfiance et de haine plane sur les assistants, qui, tour à tour, s’indignent et protestent. En fin d’après-midi, le verdict est prononcé : Grenard est condamné à trois ans de prison et dix ans d’interdiction de séjour ; les délégués sont frappés de la même peine de prison mais avec seulement cinq ans d’interdiction de séjour. La foule qui depuis deux jours trépigne d’impatience et de colère, apprend avec indignation et amertume la lourde peine infligée aux dirigeants de l’Amicale. En quelques instants, la place de la mairie est en pleine effervescence. Des cris de protestation, des menaces, des clameurs retentissent ; les bureaux de la mairie sont pris d’assaut ; les manifestants s’efforcent de délivrer les prisonniers. Le maire de Brazzaville lui-même, M. Auclair, qui s’apprêtait à prononcer un discours sévère à l’intention des manifestants, est bousculé. Les amicalistes pénètrent jusque dans la salle de la mairie où quelques instants auparavant se déroulait le procès. Mais malgré la soudaineté de leur action, les manifestants ne réussissent pas à arracher les prisonniers aux forces de police, leur colère s’en trouve accrue. Un maçon chef des environs de Brazzaville, Mayindou, qui jouit d’une grande audience en pays Lari, saisit le maire au collet et le gifle violemment : les agents de police, les adjoints au maire au tribunal indigène sont molestés à leur tour. La police ne contrôle plus la foule dense, compacte. Celle-ci avance toujours. On se bat à coups de pierre, de matraques, de gourdins, de chaises. C’est alors que les autorités civiles, qui se sentent débordées par ce peuple solidaire, font appel de toute urgence aux policiers, aux miliciens, aux tirailleurs. À leur arrivée, les forces de l’ordre se heurtent aux manifestants. Le combat s’engage, inégal. Les Lari ne sont pas armés ; ils ne disposent que de gourdins, de pierres, de briques, ils luttent avec acharnement, au coude à coude. C’est avec beaucoup de peine que les forces de l’ordre parviennent à disperser cette masse compacte. La lutte se poursuit sur la place de la mairie qui est transformée en véritable champ de bataille. Pourtant, les Lari doivent céder, abandonner le combat. Craignant les représailles, beaucoup d’entre eux se réfugient dans les villages de brousse. Le Révérend Père Jaffré, de la congrégation du Saint-Esprit, commente ainsi les incidents des 2 et 3 avril : Enfin, après une petite mêlée, agrémentée de coups de crosse et de matraques, la place se vide, nette de combattants. Il n’y reste que des débris de bâtons, des casques, des chapeaux, des vêtements déchirés, des parapluies, des bicyclettes, butin que l’on remit pêle-mêle au commissariat. En fait, l’affaire ne s’est pas réduite à une petite mêlée. Pour la première fois, les Congolais se sont opposés par la force à l’administration française. Et cette émeute n’est pas le fait de quelques amicalistes ; 52 l’arbre à Palabres # 14 - Novembre 2003
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