Palabres 14 - Association des Revues Plurielles

autorités françaises s’étaient inquiétées
de ce nationalisme noir.
En 1924, il vient d’être arrêté. Kodjo
mourra à la prison centrale de
Dakar. Pour André Matsoua, le
temps est venu de passer à l’action.
Œuvrer à l’émancipation politique,
économique et sociale de
ses compatriotes devient désormais
son seul souci. Tout d’abord,
il sollicite des autorités la citoyenneté
française dans le but de pouvoir
agir et parler d’égal à égal
avec les blancs qui dirigent son
pays. Parallèlement, il prend
contact avec tous les émigrés de
l’Afrique équatoriale et même ceux
du Congo belge, dont il peut se
procurer les coordonnées. Les uns
sont plantons, ouvriers, les autres
domestiques. Un rendez-vous est
fixé dans un café du premier arrondissement.
Arrivé le premier, Matsoua attend
fébrilement en prenant un
verre à la terrasse. Combien seront-ils
à venir ? se demande-t-il.
De sa place, il peut aisément les
voir arriver. Peu après, en effet, au
bout du trottoir, des silhouettes
sombres se dessinent. Certaines
lui sont déjà connues, comme
celles de Pierre Kinzonzi et de Lucien
Tchicaya. Heureux de se revoir,
ils se congratulent tandis que
les nouveaux apparaissent un à
un. Les présentations ne prennent
pas moins d’une heure. Quand
Matsoua décide d’ouvrir la séance
à l’intérieur du café, ils sont environ
trente compatriotes rassemblés.
Mes chers amis, déclare-t-il,
aujourd’hui nous allons fonder ensemble
une association destinée à
aider les travailleurs émigrés de
nos pays et à améliorer le sort de
I MAGES & MÉMOIRE
nos pays et à améliorer le sort de
nos parents restés au pays. Nous
serons les premiers bénéficiaires
de cette société de secours mutuel,
si nous savons nous entendre
et nous organiser. Qu’en
pensez-vous ?
Devant l’approbation générale,
André Matsoua fait voter, un par
un, les articles des statuts de l’association,
puis il fait procéder à
l’élection du bureau permanent.
En créant l’Amicale qui aura
des ramifications au Congo, sous
le nom de Mikalé, l’intention majeure
de son fondateur est de ne
pas inquiéter par des visées politiques,
le gouvernement et les milieux
colonialistes français. Il souhaite
sincèrement que s’établisse
avec eux un dialogue cordial et
constructif. Cependant, l’ambiguïté
de son programme, déjà contenue
dans l’article 13 des statuts , se
révèle dans les mois qui suivent la
fondation.
Comment, en effet, André Matsoua
peut-il remédier à l’état d’infériorité
de ses compatriotes vis-àvis
des blancs sans mettre en cause
la politique coloniale ? Son ambition,
qui consiste à former, par
des cours du soir intensifs, une
élite africaine capable d’affronter
les problèmes avec des méthodes
de pensée et la science occidentale
est, elle aussi, d’ordre politique.
En devenant le porte-parole de
tous les opprimés congolais et aéfiens,
en défendant systématiquement
les intérêts de ses frères exploités,
il risque d’attirer sur lui les
foudres de gouvernements métropolitains
et coloniaux. D’ailleurs le
succès de l’Amicale en France fait
insensiblement glisser celle-ci vers
l’arbre à Palabres
# 14 - Novembre 2003
41