trois registres de memoire collective marie-claude groshens

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112 M.-C. GROSHENS ils doivent être compris comme des serments ; les procédures répétitives sont les moyens par lesquels une collectivité se rappelle de tels serments. La coutume n'est pas la seule de ces procédures répétitives ; les lieux commémoratifs susceptibles de rappeler l'événement à chaque perception, de même que la production de récits oraux ou écrits sont également utilisés. M. Halbwachs a montré l'importance des lieux dans les mécanismes de mémoration collective ( 3 ) et R. Bastide a développé les thèses en soulignant que «les phénomènes de déstructuration ou structuration de la mémoire collective ne sont que le verso des phénomènes de déstructuration ou structuration sociale» ( 4 ). Quant aux récits, ils permettent d'élucider la symbolique généralement obscure inhérente aux coutumes ou aux lieux commémoratifs. Il est ainsi possible de supposer qu'un système de signification se dégage de la confrontation de ces trois registres conçus synchroniquement. Nous présenterons ici, à titre d'exemples, deux de ces ensembles signifiants propres à la collectivité Strasbourgeoise ; le premier commémore l'adoption du christianisme ; le second l'établissement d'une forme particulière de rapport entre l'évêché et l'Empire, entre une instance décentralisée de l'autorité religieuse et la puissance politique suprême. Dans ces deux cas, la cathédrale de Strasbourg fonctionne comme système de lieux commémoratifs ; elle fournit à la fois les scènes, les instruments et les constructions des événements à ne pas oublier. Pour les coutumes choisies, ce sont celles de l'utilisation généralisée de l'eau de son puits pour les baptêmes, celles des cérémonies dites du «haut de la cathédrale» et celle de «la prébende du roi du chœur». Les récits enfin sont de plusieurs genres ; certains appartiennent à des chroniques et peuvent être compris comme relevant d'une vérité plutôt historique ; d'autres offrent — consciemment ou non - des éléments légendaires soulignant la signification de l'ensemble. Nous distinguerons également les récits portant directement sur la coutume d'autres qui - tout en ne s'y rapportant pas - se réfèrent à la même signification. Des «familles narratives» peuvent ainsi être dégagées tournant autour d'un récit-souche. Ce point est important car il manifeste la capacité d'un souvenir collectif (récit-souche) à induire un imaginaire (récits dérivés) Les récits seront présentés sous la forme de résumés succints. (3) Pour les lieux voir surtout : La Topographie Légendaire des Evangiles en Terre Sainte, Paris. 1941, PUF. (4) Cette conclusion résulte d'une comparaison des mémoires des peuples déplacés et de celles de ceux qui ne le sont pas (ainsi les africain réduits en esclavage et ceux demeurés en Afrique) «en gros on peut dire que dans les déplacements, nous avons affaire à une mémoire collective disjointe et dont les souvenirs ne peuvent plus s'accrocher à l'espace (tout comme si. dans le système nerveux, certains filets étaient rompus, ne permettant plus la structuration des images d'où une mémoire collective pleine de trous), (op. cit., p. 325).
LES COUTUMES , LES LIEUX ET LES RÉCITS 113 I. Le choix du christianisme A. La conversion L'abbé Grandidier atteste l'existence jusque vers le milieu du xvi e siècle de la coutume selon laquelle les curés de la ville et de ses environs dépendant de l'archiprêtre de St Laurent s'approvisionnaient en eau de baptême au puits situé dans le collatéral droit de la cathédrale ( 5 ). D'un autre côté un informateur contemporain affirme que «toute l'eau bénite employée dans tous le diocèse était cherchée à la source de la cathédrale jusqu'au début du xx e siècle» ( 6 ). L'ethnographe rappelle que les puits de baptême (Taufbrunnen) - nombreux en Alsace - mais dont le plus important était celui de la cathédrale, sanctifient chrétiennement ce qui était à l'origine des «puits des enfants» (Kinderbrunnen) ; des légendes - d'origine animiste - racontent en effet que les enfants viennent des puits ( 7 ). Les récits d'origine de la coutume présentent de façon figurée une interprétation presque semblable. Ils rappellent le baptême légendaire de Clovis par Saint Rémi à Strasbourg. Cet événement aurait christianisé ce puits puisque Clovis y aurait été baptisé ; le puits lui-même aurait été construit aux temps gallo-romains pour recueillir l'eau de la source sacrée de la tribu celtique du triboques ; ceux-ci auraient en effet choisi comme lieu de culte une clairière située entre trois hêtres (tri-bochi), à l'emplacement même de la future cathédrale ( 8 ). D'autres légendes plus récentes lient le thème badois de la cigogne, importé après 1870, à celui du Kinderbrunne ; ainsi celle du «gnome de la cathédrale» péchant les enfants, à partir d'un petit bateau de cuivre bien astiqué, dans le lac souterrain ( 9 ) et les conduisant au fond du puits d'où la cigogne les extrait pour les porter à leur parents ( 10 ). Il faut noter toutefois que les eaux souterraines de la cathédrale ne paraissent pas avoir été parfaitement sanctifiées et pacifiées puisque d'autres récits font état des monstres grouillant dans le lac(") sur lequel la cathédrale flotterait C 2 ). (5) M. GRANDIDIER. Essais historiques et topographiques sur la cathédrale de Strasbourg, Strasbourg. Berger-Levrault. 1782, p. 7. (6) Propos oral de M. Moszberger recueilli par M. N. Denis en Décembre 1978. Selon le même personne ne puits ayant été scellé en 1766, l'eau aurait été recueillie à une fontaine reliée au puits situé dans l'ancien atelier des tailleurs de pierre. (7) Cf. F. SARG, En Alsace, du Berceau à la Tombe, Strasbourg, 1977, Oberlin, p. 18. (8) A. STÔBER, Les légendes et traditions d'Alsace (...), Paris, 1919, CRES, pp. 35. Trad. Des feuilles. (9) La cathédrale serait construite sur ce lac. (10) O. GEVIN-CASSAI.. Les légendes d'Alsace, Paris, 1917, Boivin et Cie, p. 89. L'inscription du puits installé à l'intérieur d'un magasin strasbourgeois très connu de la population fait allusion à une légende semblable. (11) A. STÔBER, op. cit., 45-48. ( 12) «Un groupe d'écoliers de la campagne des environs de Sélestat m'a demandé si la cathédrale
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