LE POIDS-LU - Département de sociologie - UQAM

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Frédéric Proulx
Le vieux réact, le tamoul et le gauchiste
La semaine passée, je suis allé comme d’habitude acheter
un peu de bouffe à l’épicerie tamoule (tenue par un exilé srilankais)
tout près de chez moi. En arrivant à la caisse,
j’aperçois sur la page couverture du journal La Presse, une
photo de camarades en grève contre la hausse des frais de
scolarité, tout comme moi. C’est ainsi que je décide d’entamer
une conversation avec un quinquagénaire, en file derrière
moi, en lui demandant ce qu’il pense de la grève étudiante.
Celui-ci me répond « Ça n’a pas de bon sens! Vous avez toutes
les raisons du monde de vous opposer à une telle hausse. ». Il
me dit qu’il a lui-même étudié à l’UQÀM autour de 1978.
D’abord en histoire, en philosophie puis en sciences
politiques. Il poursuit : « À l’époque, les frais de scolarité
étaient des plus bas, pas de frais afférents bidons non plus.
Nous avions chacun un 4 et demi, nous n’avions pas besoin de
vivre en colocation à trois ou quatre. Nous avions assez
d’argent pour boire de la bière quatre ou cinq fois par
semaine. Nous fréquentions quotidiennement les restaurants
du Quartier Latin. Nous voyagions et puis il nous restait
encore de l’argent de poche ».
Je continue la conversation en lui demandant ce qu’il
pense de l’accessibilité aux études. Celui-ci me parle de
l’UQÀM comme d'une université populaire créée pour que ce
ne soit pas seulement la bourgeoisie qui ait accès aux bancs
d’école. Je lui réponds, à la blague, qu’il passerait pour un
vieux gauchiste aujourd’hui. « Bin tu sais, nous étions tous
marxistes, de gauche, même d’extrême gauche. Je ne sais pas
quelles sont vos allégeances politiques, vous les jeunes, mais
c’est tellement pire la situation que v'là trente ans… Je serais
plus que révolté à votre place. » Voilà un discours qui fait du
bien à entendre surtout lorsque l’on nous martèle sans arrêt
qu’il y a un écart générationnel, je fus des plus heureux de
recevoir ce témoignage de solidarité.
La discussion n’étant pas terminée, celui-ci poursuivit son
analyse sociale des plus pertinentes : « Tu sais, c’est à cause du
néolibéralisme. Reagan et Thatcher ont foutu la marde entre
les années 80 et 90. Le Québec n’a pas été épargné de ce climat
politique. Les banques sont de plus en plus riches et les
multinationales contrôlent notre monde. Je n’ai pas hâte
d’être rendu à 80 ans ». Moi qui m’attendais à une réponse
réactionnaire de la part d’un « vieux », je fus réjoui d’avoir
engagé cette conversation. Le commis nous écoutait avec
attention et il nous dit qu’il avait poursuivit des études
universitaires dans son pays d’origine, mais qu’en arrivant
ici, il dût consacrer son plein temps derrière une caisse
enregistreuse…
J’allais quitter l’épicerie, lorsque le quinquagénaire
termina la discussion en disant : « Le pire dans tout ça, c’est
que l’élite politique au pouvoir (en parlant du Parti Libéral
et de la plupart des élus et élues à l’Assemblé Nationale) veut
augmenter vos frais alors que c’est elle qui a profité le plus de
l’accessibilité à l’éducation post-secondaire. Belle façon de se
solidariser avec ces jeunes ! » Je retournai chez moi avec le
sentiment que notre lutte politique était plus que légitime et
qu’il restait quand même de l’espoir.