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par Olivier COULON, février-mars 2006 (n°335-336 - Palais de la ...

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D É C O U V E R T E N ° 3 3 5 - 3 3 6 F É V R I E R - M A R S 2 0 0 6<br />

61<br />

Les chaînes<br />

<strong>de</strong> montagnes<br />

Un déséquilibre<br />

permanent<br />

OLIVIER <strong>COULON</strong><br />

Médiateur scientifique au dé<strong>par</strong>tement<br />

<strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre<br />

du <strong>Pa<strong>la</strong>is</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte<br />

FIGURE 1<br />

Plougrescant (lieu-dit du gouffre)<br />

dans les côtes d'Armor.<br />

Ce paysage <strong>de</strong> Bretagne n'évoque<br />

guère un massif montagneux<br />

et pourtant… Ces roches granitiques<br />

se sont formées il y a 500 millions<br />

d'années à <strong>la</strong> fin <strong>de</strong> l'é<strong>la</strong>boration<br />

d'un vaste relief aujourd'hui totalement<br />

dis<strong>par</strong>u ! © E. Lambert.<br />

Associe-t-on spontanément montagne<br />

et déséquilibre Certes, on pense à <strong>de</strong>s<br />

phénomènes superficiels tels que chute<br />

<strong>de</strong> pierres ou ava<strong>la</strong>nches ou <strong>la</strong> sensation<br />

personnelle <strong>de</strong> vertige, mais généralement<br />

le spectacle majestueux <strong>de</strong> ces imposants<br />

reliefs évoque plutôt une rassurante<br />

stabilité. Et pourtant tout est question<br />

d'échelle ! En réalité, il vaut mieux aller<br />

en Bretagne que dans les Alpes pour<br />

découvrir ce qu'est le serein équilibre<br />

d'une montagne (fig. 1)…


62<br />

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FIGURE 2<br />

Cordillère <strong>de</strong>s An<strong>de</strong>s<br />

péruviennes.<br />

Depuis l'altip<strong>la</strong>no,<br />

p<strong>la</strong>teau situé à près<br />

<strong>de</strong> 4 000 m d'altitu<strong>de</strong>,<br />

on observe au loin<br />

les massifs <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

cordillère orientale<br />

(cordillère b<strong>la</strong>nche).<br />

© E. Lambert.<br />

Notre vie d'Homme <strong>par</strong>aît bien ridicule<br />

com<strong>par</strong>ée à celle <strong>de</strong>s chaînes <strong>de</strong> montagnes<br />

qui mettent quelques dizaines <strong>de</strong><br />

millions d'années à s'é<strong>la</strong>borer et plus<br />

encore à dis<strong>par</strong>aître. Dès lors, nous ne<br />

<strong>par</strong>venons pas à percevoir qu'elles possè<strong>de</strong>nt<br />

une histoire pleine <strong>de</strong> rebondissements qui<br />

passe <strong>par</strong> <strong>de</strong>s sta<strong>de</strong>s successifs d'équilibres<br />

re<strong>la</strong>tifs et temporaires.<br />

Pour comprendre ce curieux <strong>par</strong>adoxe, prenons<br />

l'histoire <strong>de</strong>puis le commencement. Le<br />

déséquilibre thermique profond du globe (se<br />

reporter à l'encadré À l'origine, un déséquilibre<br />

thermique profond) est à l'origine <strong>de</strong> <strong>la</strong> dis<strong>par</strong>ition<br />

progressive <strong>de</strong> certaines p<strong>la</strong>ques océaniques<br />

sous <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ques continentales, et ce<br />

phénomène, appelé subduction, est le moteur<br />

principal <strong>de</strong> l'é<strong>la</strong>boration <strong>de</strong>s chaînes <strong>de</strong> montagnes.<br />

En Amérique du Sud<br />

le déséquilibre s'exprime<br />

en altitu<strong>de</strong><br />

L'Amérique du Sud, bordée <strong>par</strong> <strong>de</strong>ux océans,<br />

présente un double visage exemp<strong>la</strong>ire. À l'est,<br />

<strong>la</strong> transition entre ce continent et l'At<strong>la</strong>ntique<br />

est continue ; on passe sans gran<strong>de</strong> rupture <strong>de</strong><br />

l'Amazonie aux abysses océaniques situées à<br />

4 000 m <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur. En revanche à l'ouest se<br />

dresse l'imposante chaîne <strong>de</strong> <strong>la</strong> cordillère <strong>de</strong>s<br />

An<strong>de</strong>s (fig. 2), atteignant souvent les 7 000 m<br />

d'altitu<strong>de</strong>, secouée <strong>de</strong> séismes, <strong>par</strong>semée <strong>de</strong><br />

volcans explosifs, et bordée <strong>par</strong> une fosse océanique<br />

<strong>de</strong> près <strong>de</strong> 8 000 m <strong>de</strong> fond ! Autant d'indices<br />

qui révèlent l'existence d'une subduction<br />

du p<strong>la</strong>ncher <strong>de</strong> l'océan Pacifique sous le continent<br />

sud-américain (se reporter à l'encadré<br />

À l'origine, un déséquilibre thermique profond).<br />

Cependant, <strong>la</strong> subduction n'implique pas<br />

obligatoirement <strong>la</strong> formation d'un relief montagneux.<br />

Ainsi, volcans et séismes sont les<br />

uniques expressions <strong>de</strong> ce processus au Japon,<br />

sur le versant occi<strong>de</strong>ntal du Pacifique. Une<br />

fois <strong>de</strong> plus, c'est l'équilibre thermique qui<br />

joue un rôle prépondérant : plus une croûte<br />

océanique s'éloigne <strong>de</strong> son berceau volcanique,<br />

plus elle se refroidit et <strong>de</strong>vient <strong>de</strong>nse,<br />

mais il faut près <strong>de</strong> 100 millions d'années pour<br />

qu'elle atteigne son équilibre thermique.<br />

La croûte Pacifique près du Japon est<br />

ancienne et équilibrée, elle s'enfonce facilement<br />

sous le continent eurasiatique et plonge<br />

avec un angle proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> verticale. En<br />

revanche, près <strong>de</strong> l'Amérique du Sud, elle est<br />

très jeune donc peu <strong>de</strong>nse re<strong>la</strong>tivement au<br />

manteau et s'y enfonce avec un angle faible.<br />

Elle maintient ainsi un fort contact avec le<br />

continent sous lequel elle s'enfonce et sur<br />

lequel elle bute. Elle lui transmet facilement<br />

<strong>la</strong> compression liée à <strong>la</strong> convergence et <strong>par</strong>ticipe<br />

ainsi, <strong>de</strong>puis 140 millions d'années (<strong>par</strong><br />

plissement et superposition <strong>de</strong>s roches), à é<strong>la</strong>borer<br />

<strong>la</strong> cordillère <strong>de</strong>s An<strong>de</strong>s qui court <strong>de</strong><br />

l'Équateur à <strong>la</strong> Terre <strong>de</strong> Feu.<br />

Mais qu'en est-il <strong>de</strong> ce relief lui-même et <strong>de</strong><br />

ses roches


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63<br />

À l'origine, un déséquilibre thermique profond<br />

Avec 3 000 °C au sommet <strong>de</strong> son noyau et 15 °C<br />

en moyenne à sa surface, <strong>la</strong> Terre est loin d'être<br />

en équilibre thermique. Ce déséquilibre implique<br />

<strong>de</strong>s échanges <strong>de</strong> chaleur entre le manteau profond<br />

et le manteau superficiel moins chaud qui<br />

n'affectent que le manteau dit « p<strong>la</strong>stique » (en<br />

raison <strong>de</strong> sa rhéologie non cassante, voir figure)<br />

généralement caractérisé <strong>par</strong> une température<br />

supérieure à 1 300 °C. Le rééquilibrage thermique<br />

s'exprime <strong>par</strong> <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> convection au<br />

sein d'une roche soli<strong>de</strong> ; il est <strong>par</strong> conséquent très<br />

lent à notre échelle (<strong>de</strong> l'ordre <strong>de</strong> quelques<br />

centimètres <strong>par</strong> an). Cette convection interne<br />

affecte <strong>la</strong> <strong>par</strong>tie supérieure du globe constituée <strong>par</strong><br />

<strong>la</strong> lithosphère – plus résistante, plus froi<strong>de</strong> et plus<br />

cassante – qui est alors fracturée en p<strong>la</strong>ques<br />

tectoniques, mobiles les unes <strong>par</strong> rapport aux<br />

autres. Lorsque le manteau chaud, donc moins<br />

<strong>de</strong>nse, remonte et s'étend sous une p<strong>la</strong>que<br />

continentale, cette <strong>de</strong>rnière subit <strong>de</strong>s mouvements<br />

d'écartement (divergence). Elle s'amincit et se<br />

casse, ce qui décomprime <strong>la</strong> roche et <strong>la</strong> fait fondre<br />

en <strong>par</strong>tie : une croûte basaltique d'origine<br />

volcanique est ici continuellement é<strong>la</strong>borée. Ainsi<br />

naissent <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ques océaniques qui permettent <strong>la</strong><br />

dérive <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ques continentales qu'elles sé<strong>par</strong>ent.<br />

À l'inverse, il existe <strong>de</strong>s zones où les p<strong>la</strong>ques se<br />

rapprochent l'une <strong>de</strong> l'autre (convergence) et c'est à<br />

leur niveau que l'on trouve <strong>la</strong> majorité <strong>de</strong>s chaînes<br />

<strong>de</strong> montagnes.<br />

Comme ces dép<strong>la</strong>cements découlent du<br />

déséquilibre thermique du manteau, à cet<br />

affrontement correspond une plongée du manteau<br />

re<strong>la</strong>tivement froid, donc plus <strong>de</strong>nse, vers le<br />

noyau. Pour accommo<strong>de</strong>r au mieux ce<br />

mécanisme, <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que <strong>la</strong> plus <strong>de</strong>nse est alors<br />

progressivement entraînée en profon<strong>de</strong>ur dans<br />

le manteau, tandis que <strong>la</strong> moins <strong>de</strong>nse <strong>de</strong>meure<br />

en surface. Ce phénomène, nommé subduction,<br />

nécessite donc un contraste <strong>de</strong> <strong>de</strong>nsité qui se<br />

rencontre majoritairement dans les zones <strong>de</strong><br />

transition entre continent et océan. En effet, <strong>la</strong><br />

croûte continentale dotée d'une composition<br />

chimique proche <strong>de</strong> celle du granite se révèle<br />

beaucoup moins <strong>de</strong>nse que <strong>la</strong> croûte basaltique<br />

<strong>de</strong>s p<strong>la</strong>nchers océaniques. Ce sont donc les<br />

p<strong>la</strong>ques océaniques qui s'enfoncent sous les<br />

p<strong>la</strong>ques continentales, sur lesquelles s'é<strong>la</strong>borent<br />

<strong>par</strong>fois <strong>de</strong>s massifs montagneux près <strong>de</strong> <strong>la</strong> zone<br />

d'affrontement. Mais lorsque le p<strong>la</strong>ncher<br />

océanique a totalement dis<strong>par</strong>u dans le manteau<br />

(tout en <strong>de</strong>meurant à l'état soli<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>s milliers<br />

<strong>de</strong> kilomètres), <strong>la</strong> confrontation implique les<br />

<strong>de</strong>ux masses continentales que cet ancien océan<br />

sé<strong>par</strong>ait. Bien que ce<strong>la</strong> fut longtemps difficile à<br />

admettre (du fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> faible <strong>de</strong>nsité <strong>de</strong>s<br />

continents <strong>par</strong> rapport au manteau sous-jacent),<br />

<strong>la</strong> subduction se poursuit entre les <strong>de</strong>ux p<strong>la</strong>ques<br />

continentales é<strong>la</strong>borant alors les reliefs<br />

montagneux les plus imposants.


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FIGURE 3<br />

La subduction du centre <strong>de</strong> l'Amérique du Sud.<br />

a) L'enfoncement <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que Pacifique<br />

océanique dans le manteau induit <strong>la</strong> formation<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> cordillère <strong>de</strong>s An<strong>de</strong>s dans <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que<br />

continentale sud-américaine.<br />

b) On retrouve à plus petite échelle ces<br />

phénomènes dans les prismes d'accrétion<br />

situés au front <strong>de</strong>s subductions où sont<br />

remobilisées les roches sédimentaires<br />

du fond <strong>de</strong> l'océan et celles issues <strong>de</strong> l'érosion<br />

du continent. Sont précisées les pressions<br />

qu'elles subissent selon leur profon<strong>de</strong>ur<br />

d'enfouissement en kilobars (kb).<br />

Les flèches en noir indiquent les effets <strong>de</strong>s<br />

forces horizontales <strong>de</strong> compression et les<br />

flèches en rose ceux <strong>de</strong>s forces verticales<br />

d'épaississement.<br />

Écail<strong>la</strong>ge et empilement,<br />

un subtil jeu d'équilibres<br />

Dans le cadre <strong>de</strong> <strong>la</strong> subduction andine, on<br />

peut observer les conséquences <strong>de</strong> <strong>la</strong> convergence<br />

sur <strong>de</strong>ux familles <strong>de</strong> matériaux : ceux<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> cordillère et les roches sédimentaires<br />

océaniques accumulées au niveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> fosse.<br />

Dans les <strong>de</strong>ux cas, le relief provient d'un<br />

« écail<strong>la</strong>ge » <strong>de</strong>s roches qui sont accumulées<br />

les unes sur les autres, grâce à <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns <strong>de</strong><br />

décollement ou <strong>de</strong> ruptures (failles).<br />

Les roches sédimentaires qui constituent un<br />

relief nommé prisme d'accrétion (fig. 3) révèlent<br />

<strong>par</strong>faitement, à plus petite échelle, ce qui<br />

se produit dans le continent avec, toutefois,


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65<br />

une différence notable : aucune structure ne<br />

correspond à l'altip<strong>la</strong>no andin, immense vallée<br />

centrale installée au cœur <strong>de</strong> <strong>la</strong> cordillère. La<br />

différence d'échelle <strong>de</strong>s reliefs peut l'expliquer<br />

mais une fois <strong>de</strong> plus c'est un rapport d'équilibres<br />

qui en est <strong>la</strong> cause. Ainsi, pendant<br />

l'é<strong>la</strong>boration d'un prisme sédimentaire ou<br />

d'une jeune chaîne <strong>de</strong> montagne, les forces <strong>de</strong><br />

compression (contrainte horizontale), qui<br />

gouvernent l'écail<strong>la</strong>ge et l'augmentation du<br />

relief, sont supérieures aux forces dues au<br />

poids <strong>de</strong>s roches empilées les unes sur les<br />

autres (contrainte verticale). Dans <strong>la</strong> cordillère<br />

andine fortement épaissie, il n'en va<br />

pas <strong>de</strong> même : malgré <strong>la</strong> convergence, le poids<br />

<strong>de</strong>s roches accumulées tend à étaler – voire<br />

faire s'écrouler – le relief. L'équilibre entre<br />

ces <strong>de</strong>ux forces (gravité et tectonique) est<br />

atteint dans <strong>la</strong> cordillère, ce qui implique<br />

d'une <strong>par</strong>t <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> bassins centraux et<br />

d'autre <strong>par</strong>t <strong>la</strong> progression <strong>de</strong> <strong>la</strong> cordillère sur<br />

<strong>la</strong> bordure amazonienne : <strong>la</strong> chaîne s'étale en<br />

progressant vers l'est !<br />

Nous verrons <strong>par</strong> <strong>la</strong> suite ce qui peut advenir<br />

lorsque le déséquilibre est établi à nouveau<br />

dans un rapport <strong>de</strong> forces opposées, mais<br />

interrogeons au<strong>par</strong>avant l'équilibre perturbé<br />

<strong>de</strong>s acteurs principaux <strong>de</strong> cette épopée, nos<br />

témoins les roches.<br />

Le métamorphisme témoin<br />

d'un équilibre très re<strong>la</strong>tif<br />

Comment affirmer sérieusement qu'il y a<br />

400 millions d'années crampons et piolet<br />

auraient été <strong>de</strong>s bagages indispensables dans<br />

le cadre d'un voyage en Bretagne (fig. 1) En<br />

menant l'enquête sur le terrain ! Toute une<br />

catégorie <strong>de</strong> roches formées en ces temps<br />

anciens dans cette région sont semb<strong>la</strong>bles à<br />

celles que l'on trouve essentiellement dans les<br />

chaînes <strong>de</strong> montagnes actuelles : il s'agit <strong>de</strong>s<br />

roches métamorphiques (schistes et gneiss).<br />

Ces roches, comme leur nom l'indique, ont<br />

subi une véritable métamorphose. Par<br />

exemple un calcaire quelconque peut <strong>de</strong>venir<br />

un marbre véritable, tout comme un têtard<br />

<strong>de</strong>vient grenouille ! Pourquoi <strong>de</strong> telles transformations,<br />

quel rapport avec les montagnes <br />

FIGURE 4<br />

Métamorphisme d'une roche<br />

<strong>de</strong> croûte océanique écaillée et enfouie.<br />

Selon les conditions <strong>de</strong> pression<br />

et température, un gabbro se<br />

métamorphose ; on définit ainsi <strong>de</strong>s zones<br />

<strong>de</strong> stabilité minérale nommées en fonction<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> roche obtenue.<br />

La flèche A indique les changements<br />

<strong>de</strong> pression et <strong>de</strong> température subis <strong>par</strong><br />

une roche située initialement au niveau<br />

du point marron et enfouie rapi<strong>de</strong>ment :<br />

elle est anormalement froi<strong>de</strong> <strong>par</strong> rapport<br />

au gradient géothermique normal<br />

(en violet).<br />

La flèche B indique les changements<br />

affectant une roche enfouie plus<br />

lentement donc rééquilibrée<br />

thermiquement.<br />

Question d'équilibre une fois <strong>de</strong> plus !<br />

Prenez une roche é<strong>la</strong>borée au fond d'un<br />

océan (température et pression re<strong>la</strong>tivement<br />

faibles pour les minéraux), puis, <strong>par</strong> le biais<br />

d'un prisme d'accrétion, enfouissez-<strong>la</strong> sous<br />

<strong>de</strong>s kilomètres d'épaisseur d'autres roches en<br />

quelques millions d'années à peine, que lui<br />

arrive-t-il Étant donné <strong>la</strong> rapidité <strong>de</strong>s mouvements<br />

tectoniques <strong>par</strong> rapport aux échanges<br />

thermiques, <strong>la</strong> température <strong>de</strong> cette roche aura<br />

peu varié. Pourtant, le fait d'être en profon<strong>de</strong>ur<br />

<strong>de</strong>vrait lui conférer une température plus<br />

élevée qu'au<strong>par</strong>avant, elle est donc anormalement<br />

froi<strong>de</strong> dans son milieu et sera réchauffée<br />

progressivement au cours du temps. Mais<br />

notre échantillon est surtout soumis à une


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FIGURE 5<br />

Paysages <strong>de</strong>s Alpes francoitaliennes.<br />

a) Le massif du Chenaillet dans<br />

le Briançonnais est formé <strong>de</strong><br />

roches ayant jadis ap<strong>par</strong>tenu<br />

à un p<strong>la</strong>ncher océanique.<br />

Au premier p<strong>la</strong>n on peut<br />

reconnaître <strong>de</strong>s basaltes en<br />

coussin (roches qui s'é<strong>la</strong>borent<br />

en surface <strong>de</strong> <strong>la</strong> croûte <strong>de</strong>s<br />

océans). © A. Lemaistre.<br />

b) Le massif italien du Gran<br />

Paradiso. Ce relief qui dépasse<br />

les 4 000 m d'altitu<strong>de</strong> est formé<br />

<strong>de</strong> roches dont l'é<strong>la</strong>boration<br />

a nécessité un enfouissement<br />

à plus <strong>de</strong> 50 000 m <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur<br />

il y a 60 millions d'années.<br />

© O. Coulon.<br />

pression environnante qui se trouve brutalement<br />

modifiée : enfoui, il subit le poids<br />

qu'exercent toutes les roches nouvellement<br />

accumulées au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong> lui. La stabilité chimique<br />

<strong>de</strong> ses minéraux n'est plus va<strong>la</strong>ble dans<br />

cet environnement différent. Pour s'équilibrer,<br />

ses éléments chimiques vont se réarranger en<br />

nouveaux minéraux et l'ap<strong>par</strong>ence <strong>de</strong> notre<br />

roche en sera profondément affectée.<br />

Ainsi, <strong>la</strong> figure 4 donne une idée <strong>de</strong>s transformations<br />

que peut subir un gabbro (roche<br />

volcanique proche du basalte) dans différents<br />

domaines <strong>de</strong> pression et température. Par<br />

commodité, on gar<strong>de</strong> pour chacun d'eux le<br />

nom donné à <strong>la</strong> roche modifiée (éclogite,<br />

amphibolite, etc.), mais ce sont en fait les<br />

ap<strong>par</strong>itions et dis<strong>par</strong>itions <strong>de</strong> minéraux qui<br />

sont pertinentes et témoignent pour toute<br />

roche métamorphique <strong>de</strong> son histoire antérieure.<br />

Les Alpes, un déséquilibre<br />

sous haute pression<br />

Dans les Alpes franco-italiennes (fig. 5), on<br />

retrouve ainsi tout un massif (Dora Maira) où<br />

les roches contiennent <strong>de</strong> <strong>la</strong> cœsite, un minéral<br />

d'ultra-haute pression qui ne peut se former<br />

qu'à <strong>par</strong>tir d'une profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> 100 km !<br />

Ces roches témoignent donc d'un déséquilibre<br />

ancien, consécutif à un enfouissement <strong>par</strong><br />

subduction. Pourtant, point d'océan en bordure<br />

du massif <strong>de</strong> Dora Maira, c'est une subduction<br />

plus complexe qui s'effectue ici.<br />

En réalisant une traversée <strong>de</strong>s Alpes <strong>de</strong>puis<br />

Grenoble jusqu'à <strong>la</strong> p<strong>la</strong>ine du Pô (fig. 6), on<br />

marche sur <strong>de</strong>s roches affectées <strong>par</strong> un métamorphisme<br />

<strong>de</strong> faible pression (donc faible<br />

profon<strong>de</strong>ur) dans <strong>la</strong> région <strong>de</strong> Briançon, puis<br />

<strong>par</strong> un métamorphisme <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur croissante<br />

lorsque l'on progresse vers le sud-est.


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FIGURE 6<br />

Histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> formation <strong>de</strong>s Alpes franco-italiennes.<br />

Il y a 140 millions d'années (Ma) un océan alpin sé<strong>par</strong>ait l'Europe (à gauche)<br />

d'un morceau d'Afrique constitué <strong>par</strong> le promontoire apulien (à droite).<br />

Un petit bassin océanique (va<strong>la</strong>isan) sé<strong>par</strong>ait en outre <strong>la</strong> marge européenne<br />

d'un petit bloc continental (briançonnais).<br />

La subduction complète <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux domaines océaniques a conduit<br />

à l'é<strong>la</strong>boration du massif alpin.<br />

En bas : coupe simplifiée réalisée le long du trajet rouge sur <strong>la</strong> carte<br />

(à droite). Les minéraux d'ultra-haute pression observés dans le massif<br />

<strong>de</strong> Dora Maira sont également indiqués <strong>par</strong> le symbole jaune sur <strong>la</strong> carte.


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FIGURE 7<br />

Métamorphisme <strong>de</strong> roches enfouies<br />

puis exhumées dans différents contextes.<br />

Une roche initialement située au niveau<br />

du point rouge a été enfouie en profon<strong>de</strong>ur<br />

<strong>par</strong> subduction (point jaune).<br />

La flèche A indique les changements <strong>de</strong><br />

pression et <strong>de</strong> température subis <strong>par</strong> une roche<br />

ramenée en surface <strong>par</strong> le biais <strong>de</strong> l'érosion.<br />

La flèche B indique les changements affectant<br />

une roche ramenée en surface en chevauchant<br />

<strong>de</strong>s unités nettement plus froi<strong>de</strong>s : il n'y a pas<br />

<strong>de</strong> réchauffement notable.<br />

La flèche C indique les changements affectant<br />

une roche ramenée en surface lentement<br />

avec rééquilibrage thermique : le réchauffement<br />

est important et permet <strong>par</strong>fois <strong>la</strong> formation<br />

locale <strong>de</strong> granites formés <strong>par</strong> fusion<br />

en présence <strong>de</strong> flui<strong>de</strong>s (courbe violette).<br />

Ces roches prouvent l'enfoncement progressif<br />

<strong>de</strong> l'Europe sous l'Italie (géologiquement africaine).<br />

L'océan alpin a bien existé mais il a<br />

complètement dis<strong>par</strong>u (on en retrouve <strong>de</strong>s<br />

<strong>la</strong>mbeaux en Vanoise et dans le mont Viso) et<br />

c'est désormais <strong>la</strong> marge européenne qui est<br />

fortement écaillée et entraînée dans le manteau<br />

: <strong>la</strong> subduction actuelle est continentale.<br />

Mais comment ces roches, formées en profon<strong>de</strong>ur,<br />

se retrouvent-elles en surface, et surtout<br />

comment conservent-elles leur équilibre<br />

acquis sous haute pression La remontée en<br />

surface, appelée exhumation, peut s'expliquer<br />

<strong>par</strong> l'érosion <strong>de</strong>s roches sus-jacentes, un<br />

écail<strong>la</strong>ge inverse près <strong>de</strong> <strong>la</strong> butée du prisme<br />

d'accrétion (fig. 3) ou <strong>de</strong>s phénomènes d'écroulement<br />

<strong>de</strong> nappe dus au poids. Pour ce qui<br />

concerne les équilibres, seule une augmentation<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> température ou <strong>de</strong> <strong>la</strong> pression<br />

affecte les minéraux. Or, dans le cas <strong>de</strong>s<br />

Alpes, l'exhumation s'effectue assez rapi<strong>de</strong>ment<br />

et sur une croûte superficielle plutôt<br />

froi<strong>de</strong>. Les roches ont donc été peu<br />

réchauffées et leur équilibre profond reste<br />

conservé pour l'instant en surface malgré <strong>la</strong><br />

chute <strong>de</strong> pression (fig. 7B). Elles seront toutefois<br />

soumises à un nouveau rééquilibrage lié à<br />

l'érosion, processus <strong>par</strong>ticulièrement lent mais<br />

à terme efficacement corrosif (se reporter à<br />

l'encadré Érosion rapi<strong>de</strong> face à une érosion<br />

lente).<br />

L'histoire d'une montagne en formation<br />

comme les Alpes <strong>par</strong>aît assez simple, mais si<br />

nous observons les roches métamorphiques <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> plus haute chaîne du mon<strong>de</strong>, l'Hima<strong>la</strong>ya,<br />

elle <strong>de</strong>vient tout autre et l'enquête se complique.<br />

L'Hima<strong>la</strong>ya ou le déséquilibre<br />

du fer à repasser<br />

Le massif hima<strong>la</strong>yen résulte <strong>de</strong> l'écail<strong>la</strong>ge <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> p<strong>la</strong>que indienne qui dis<strong>par</strong>aît <strong>par</strong> subduction<br />

sous le continent eurasiatique. Bien que<br />

géologiquement un peu plus jeune, il est à un<br />

sta<strong>de</strong> plus avancé que celui <strong>de</strong>s Alpes : <strong>la</strong><br />

croûte continentale écaillée est beaucoup plus<br />

épaisse et profon<strong>de</strong>, et ce sont les roches<br />

métamorphiques qui, à nouveau, nous l'apprennent.<br />

La dalle du Tibet, portant les massifs <strong>de</strong><br />

l'Anapurna et <strong>de</strong> l'Everest, est une écaille <strong>de</strong><br />

20 km d'épaisseur qui chevauche <strong>la</strong> région du<br />

moyen Hima<strong>la</strong>ya. De <strong>par</strong>t et d'autre <strong>de</strong> ce<br />

contact, les associations minérales <strong>de</strong>s roches<br />

métamorphiques traduisent <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong><br />

forte température (fig. 8). On assiste, en fait,<br />

d'un côté à un rééquilibrage dans <strong>la</strong> dalle qui<br />

fut enfouie en profon<strong>de</strong>ur suffisamment longtemps<br />

pour être réchauffée avant d'être


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69<br />

FIGURE 8<br />

Histoire <strong>de</strong> <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne hima<strong>la</strong>yenne.<br />

Il y a 80 millions d'années <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que continentale indienne (à gauche)<br />

était sé<strong>par</strong>ée <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que continentale eurasienne (à droite) <strong>par</strong> <strong>la</strong><br />

p<strong>la</strong>que océanique <strong>de</strong> <strong>la</strong> Néotéthys.<br />

En bas : actuellement c'est <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que indienne épaisse qui est écaillée<br />

<strong>par</strong> subduction continentale, ce qui implique un métamorphisme<br />

<strong>de</strong> haute température (flèches dégradées) pour les roches <strong>de</strong> <strong>la</strong> dalle<br />

du Tibet qui s'écroule à son sommet et celles du moyen Hima<strong>la</strong>ya<br />

qu'elles chevauchent .


70<br />

D É C O U V E R T E N ° 3 3 5 - 3 3 6 F É V R I E R - M A R S 2 0 0 6<br />

FIGURE 9<br />

Effet régional <strong>de</strong> <strong>la</strong> subduction<br />

continentale <strong>de</strong> l'In<strong>de</strong> sous l'Europe.<br />

Outre l'é<strong>la</strong>boration du relief <strong>de</strong><br />

l'Hima<strong>la</strong>ya, <strong>la</strong> collision <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ques<br />

indienne (en violet) et eurasienne<br />

(en marron) s'exprime <strong>par</strong> le<br />

coulissement <strong>de</strong> grands blocs<br />

continentaux issus d'anciennes<br />

collisions (flèches b<strong>la</strong>nches).<br />

Ce phénomène d'extrusion traduit<br />

un déséquilibre régional d'étalement<br />

qui s'explique <strong>par</strong> <strong>la</strong> forme du continent<br />

indien agissant comme un poinçon<br />

à l'ouest (flèche noire).<br />

exhumée, et <strong>de</strong> l'autre à un effet <strong>de</strong> fer à repasser<br />

: <strong>la</strong> dalle pendant sa remontée réchauffe et<br />

déséquilibre les roches qu'elle chevauche !<br />

Mieux encore, <strong>la</strong> dalle se déséquilibre également<br />

en réaction : les flui<strong>de</strong>s qu'elle a<br />

réchauffés dans l'Hima<strong>la</strong>ya migrent dans sa<br />

croûte (un peu comme lorsque l'on repasse un<br />

tissu mouillé) et permettent localement sa<br />

fusion, entraînant <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> nombreux<br />

massifs granitiques (fig. 7C).<br />

Enfin, elle subit également une véritable<br />

décapitation : un grand détachement fait glisser<br />

le sommet <strong>de</strong> <strong>la</strong> dalle en arrière pendant<br />

qu'elle remonte. Qu'en conclure Que nous<br />

retrouvons l'équilibre <strong>de</strong>s forces évoqué dans<br />

<strong>la</strong> cordillère <strong>de</strong>s An<strong>de</strong>s ! Les forces exercées<br />

<strong>par</strong> le poids <strong>de</strong>s roches accumulées vont à<br />

l'encontre <strong>de</strong>s forces <strong>de</strong> convergence et entraînent,<br />

sur une gran<strong>de</strong> échelle, l'étalement <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

chaîne.<br />

Outre ce scalp <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s écailles <strong>de</strong><br />

croûte, on observe aussi <strong>la</strong> formation <strong>de</strong> bassins<br />

dans tout le Tibet, une progression <strong>de</strong> l'écail<strong>la</strong>ge<br />

vers le sud (p<strong>la</strong>ine du Gange) et surtout<br />

le coulissement d'immenses régions<br />

situées en arrière <strong>de</strong> l'Hima<strong>la</strong>ya : l'In<strong>de</strong> agit<br />

comme un poinçon qui expulse <strong>la</strong>téralement<br />

<strong>de</strong>s blocs fortement fracturés issus <strong>de</strong> plus<br />

anciennes collisions (fig. 9).<br />

Avec le temps, ce type <strong>de</strong> chaîne <strong>de</strong> montagne<br />

peut donc déséquilibrer un domaine<br />

beaucoup plus vaste que celui concerné directement<br />

<strong>par</strong> <strong>la</strong> subduction. Est-il alors possible<br />

d'atteindre un équilibre stable dans une montagne<br />

Bien sûr, sitôt qu'elle dis<strong>par</strong>aît...<br />

Vers l'équilibre absolu,<br />

<strong>la</strong> dis<strong>par</strong>ition <strong>de</strong>s montagnes<br />

Dans les états <strong>de</strong> l'Utah et du Nevada sur <strong>la</strong><br />

côte ouest <strong>de</strong>s États-Unis, le paysage est<br />

constitué d'une alternance régulière <strong>de</strong> p<strong>la</strong>ines<br />

et <strong>de</strong> petits reliefs disposés en ban<strong>de</strong>s<br />

<strong>par</strong>allèles. La région a pour ce<strong>la</strong> été nommée


D É C O U V E R T E N ° 3 3 5 - 3 3 6 F É V R I E R - M A R S 2 0 0 6<br />

71<br />

FIGURE 10<br />

Écroulement d'une chaîne <strong>de</strong> montagnes, exemple du Basin<br />

and range.<br />

Dans le Nevada d'Amérique du Nord, une ancienne chaîne<br />

<strong>de</strong> montagnes (en haut) s'étale <strong>de</strong>puis 30 millions d'années<br />

<strong>par</strong> rééquilibrage thermique. Une coupe simplifiée <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

côte californienne <strong>de</strong> l'Amérique du Nord (en bas) permet<br />

d'expliquer le phénomène : l'océan Pacifique coulisse<br />

désormais le long du continent, <strong>la</strong> compression a donc<br />

cessé mais l'équilibrage thermique étant très lent,<br />

seuls les reliefs anciens s'écroulent actuellement (liseré<br />

b<strong>la</strong>nc sur <strong>la</strong> carte), les plus jeunes sont encore préservés.


72<br />

D É C O U V E R T E N ° 3 3 5 - 3 3 6 F É V R I E R - M A R S 2 0 0 6<br />

basin and range. Les roches métamorphiques<br />

qui affleurent au niveau <strong>de</strong>s bassins recèlent<br />

une histoire en <strong>de</strong>ux épiso<strong>de</strong>s. D'abord, un<br />

passé haute pression <strong>de</strong> chaîne montagneuse<br />

en formation, pratiquement effacé <strong>par</strong> un<br />

remaniement plus récent en régime <strong>de</strong> fort<br />

réchauffement, avec à nouveau <strong>de</strong>s phénomènes<br />

<strong>de</strong> fusion locale à l'origine <strong>de</strong> granites.<br />

Comment expliquer l'étendue du phénomène<br />

sur une si vaste région En liant l'âge <strong>de</strong>s<br />

transformations avec l'histoire tectonique <strong>de</strong><br />

l'ouest <strong>de</strong>s États-Unis. Il y a 140 millions<br />

d'années, <strong>la</strong> région du Nevada était une chaîne<br />

<strong>de</strong> montagnes issue d'une compression estouest,<br />

et <strong>de</strong>puis 20 millions d'années, <strong>la</strong> compression<br />

a cessé et <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que Pacifique<br />

coulisse désormais le long <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que<br />

Amérique grâce à <strong>la</strong> fameuse faille <strong>de</strong> San<br />

Andreas qui fit trembler San Francisco.<br />

La croûte froi<strong>de</strong> et épaissie du Nevada est<br />

donc <strong>la</strong>issée au repos et le lent rééquilibrage<br />

thermique peut s'effectuer : <strong>la</strong> p<strong>la</strong>que continentale<br />

se réchauffe progressivement. En<br />

conséquence, <strong>la</strong> limite entre manteau cassant<br />

et manteau p<strong>la</strong>stique remonte et le relief s'étale<br />

<strong>par</strong> écroulement (fig. 10). Ce nivellement<br />

tectonique ramène <strong>la</strong> région montagneuse à<br />

son équilibre ultime, sa quasidis<strong>par</strong>ition,<br />

l'érosion prenant alors le re<strong>la</strong>is<br />

pour définitivement ap<strong>la</strong>nir les reliefs.<br />

On retrouve ce phénomène dans les chaînes<br />

alpines au niveau <strong>de</strong>s ensembles d'îles Corse-<br />

Elbe (écroulement <strong>de</strong>s Appenins italiens) ou<br />

Paros-Naxos. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong><br />

Grèce (Helléni<strong>de</strong>s) s'écroule dans <strong>la</strong> région<br />

égéenne bien qu'une subduction subsiste au sud<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Crète. Non seulement le métamorphisme<br />

dans les Cyc<strong>la</strong><strong>de</strong>s traduit un réchauffement <strong>de</strong><br />

rééquilibrage, mais on peut en plus quantifier,<br />

grâce au système <strong>de</strong> positionnement <strong>par</strong> satellite<br />

GPS, l'extension <strong>de</strong> <strong>la</strong> région et sa direction<br />

sur une année. De telles mesures confirment<br />

qu'extension et compression cohabitent dans<br />

les chaînes <strong>de</strong> montagnes, selon un subtil jeu<br />

d'équilibre <strong>de</strong>s forces, mais elles ai<strong>de</strong>nt<br />

également à prédire que d'ici une centaine <strong>de</strong><br />

millions d'années les chaînes alpines auront<br />

atteint leur équilibre en dis<strong>par</strong>aissant. Le paysage<br />

local se sera alors fortement modifié<br />

et prendra probablement <strong>la</strong> paisible ap<strong>par</strong>ence<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> Bretagne d'aujourd'hui.<br />

Nous pouvons donc conclure après ce survol<br />

<strong>de</strong> quelques massifs actuels que, en définitive,<br />

l'é<strong>la</strong>boration d'une chaîne <strong>de</strong> montagnes s'exprime<br />

<strong>par</strong> un changement progressif d'états d'équilibres<br />

(ou <strong>de</strong> déséquilibres, question <strong>de</strong><br />

point <strong>de</strong> vue) qui n'est résolu qu'au moment <strong>de</strong><br />

<strong>la</strong> dis<strong>par</strong>ition <strong>de</strong> son « traditionnel » relief.<br />

L'explication principale <strong>de</strong> cet étrange <strong>par</strong>adoxe<br />

rési<strong>de</strong> dans <strong>la</strong> différence d'échelle <strong>de</strong><br />

temps entre l'é<strong>la</strong>boration mécanique, <strong>de</strong> l'ordre<br />

<strong>de</strong> 10 millions d'années, et l'équilibre thermique<br />

<strong>de</strong>s roches concernées, beaucoup plus lent puisqu'il<br />

peut atteindre 100 millions d'années.<br />

O. C.<br />

Pour en savoir plus<br />

<br />

JOLIVET (LAURENT), La déformation <strong>de</strong>s<br />

continents, éditions Hermann (collection<br />

enseignement <strong>de</strong>s sciences), 1997.<br />

http://christian.nicollet.free.fr/page/<br />

enseignement/licencemetam.html<br />

Géologue <strong>de</strong> formation, passionné<br />

<strong>par</strong> <strong>la</strong> géodynamique et <strong>la</strong> dérive <strong>de</strong>s<br />

continents, <strong>Olivier</strong> Coulon s'est orienté<br />

<strong>par</strong> souci et besoin <strong>de</strong> communication<br />

vers l'enseignement <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

vie et <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre et <strong>la</strong> pratique du<br />

théâtre. Ces chemins l'ont conjointement<br />

et tout naturellement amené à travailler<br />

actuellement comme médiateur<br />

scientifique au dé<strong>par</strong>tement<br />

<strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre du <strong>Pa<strong>la</strong>is</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte.


D É C O U V E R T E N ° 3 3 5 - 3 3 6 F É V R I E R - M A R S 2 0 0 6<br />

73<br />

Érosion rapi<strong>de</strong> face à une chimie lente<br />

Pourquoi pouvons-nous observer du granite<br />

(fig. I) le long <strong>de</strong> nos trottoirs ou lors<br />

<strong>de</strong> nos bal<strong>la</strong><strong>de</strong>s en montagne Pourtant,<br />

cette roche cristallise à <strong>par</strong>tir d'un liqui<strong>de</strong><br />

magmatique qui s'est formé à plus <strong>de</strong> 10 km<br />

<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur et au moins 750 °C. Le granite<br />

ne <strong>de</strong>vrait donc plus exister dans les<br />

conditions – pression, température – <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

surface terrestre. La thermodynamique<br />

nous enseigne d'ailleurs que le matériau<br />

granitique, construit à 2 500 fois <strong>la</strong> pression<br />

atmosphérique, n'est pas stable à l'air libre.<br />

En fait, cette science <strong>de</strong> l'équilibre énergétique<br />

n'est pas fausse mais néglige le facteur<br />

« temps ». Pour comprendre comment notre<br />

granite, non pas stable mais métastable en<br />

surface, se maintient, prenons le cas d'un<br />

massif granitique cristallisé au cœur d'une<br />

montagne et examinons <strong>la</strong> façon dont <strong>la</strong><br />

nature le ramène en surface.<br />

La chaîne <strong>de</strong> montagnes est constituée<br />

majoritairement <strong>de</strong> morceaux <strong>de</strong> croûte<br />

continentale, dont <strong>la</strong> <strong>de</strong>nsité moyenne est<br />

<strong>de</strong> 2,7 et repose sur le manteau fait <strong>de</strong><br />

roches plus <strong>de</strong>nses (<strong>de</strong>nsité d’environ 3).<br />

Les hauts reliefs extérieurs subissent <strong>de</strong>ux<br />

facteurs qui ten<strong>de</strong>nt à les abaisser. D'une<br />

<strong>par</strong>t, un rééquilibrage gravitaire oblige <strong>la</strong><br />

chaîne <strong>de</strong> montagnes à s'effondrer sur ses<br />

f<strong>la</strong>ncs. D'autre <strong>par</strong>t, l'érosion mécanique<br />

fractionne les roches à sa merci, via le gel et<br />

les g<strong>la</strong>ciers, en morceaux plus ou moins<br />

gros qui s'écoulent vers <strong>la</strong> mer <strong>par</strong> l'intermédiaire<br />

<strong>de</strong>s rivières et <strong>de</strong>s fleuves.<br />

L'altération chimique qui dissout les roches<br />

FIGURE I<br />

Granite rose.<br />

Le granite est composé <strong>de</strong> trois minéraux<br />

principaux : quartz (d'un gris qui ressemble<br />

à du gros sel), feldspath (ici rose et verdâtre),<br />

mica (en paillettes noires).<br />

© <strong>Pa<strong>la</strong>is</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte/C. Rousselin<br />

contribue à réduire <strong>la</strong> hauteur <strong>de</strong>s pics,<br />

mais si lentement que nous <strong>la</strong> négligerons<br />

ici.<br />

En conséquence, <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong> montagnes<br />

perd <strong>de</strong> l'épaisseur et pèse moins sur le<br />

manteau (fig. II). Le principe <strong>de</strong> <strong>la</strong><br />

poussée d'Archimè<strong>de</strong> s'applique aussi à <strong>la</strong><br />

Terre et donc le manteau plus <strong>de</strong>nse<br />

« remonte » <strong>la</strong> croûte et sa chaîne <strong>de</strong> montagnes<br />

allégée. Ce rééquilibrage se perpétue<br />

tant que subsistent <strong>de</strong>s reliefs. Le<br />

granite, bien qu'il fût formé en profon<strong>de</strong>ur,<br />

finira donc <strong>par</strong> gagner <strong>la</strong> surface, et il<br />

conservera sa texture et sa composition<br />

car <strong>la</strong> vitesse <strong>de</strong> son ascension, fonction


74<br />

D É C O U V E R T E N ° 3 3 5 - 3 3 6 F É V R I E R - M A R S 2 0 0 6<br />

FIGURE II<br />

Remontée d'un massif granitique.<br />

Au fur et à mesure <strong>de</strong> l'ab<strong>la</strong>tion <strong>de</strong>s reliefs <strong>par</strong><br />

l'érosion mécanique et <strong>de</strong> l'effondrement gravitaire<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> chaîne <strong>de</strong> montagnes, le manteau plus <strong>de</strong>nse<br />

exerce une poussée d'Archimè<strong>de</strong> sur <strong>la</strong> croûte<br />

moins <strong>de</strong>nse : le granite (représenté <strong>par</strong> le disque<br />

moucheté), initialement en profon<strong>de</strong>ur, finit <strong>par</strong><br />

affleurer en surface.<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> rapidité d'étalement et <strong>de</strong> l'efficacité <strong>de</strong><br />

l'érosion, dépasse nettement celle <strong>de</strong> son<br />

rééquilibrage minéralogique. Cette vitesse<br />

d'exhumation n'est, bien sûr, pas linéaire :<br />

importante lorsque les reliefs sont hauts,<br />

elle <strong>de</strong>vient faible pour <strong>de</strong>s hauteurs et <strong>de</strong>s<br />

pentes mo<strong>de</strong>stes. Les mesures situent ses<br />

variations entre 0,1 mm et quelques centimètres<br />

<strong>par</strong> an. Comptez donc au maximum<br />

100 millions d'années pour raser <strong>la</strong><br />

montagne (en utilisant 0,1 mm/an) et 1 million<br />

d'années environ pour ramener un massif<br />

granitique <strong>de</strong> 10 km <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur au<br />

niveau du sol en prenant une vitesse théorique<br />

<strong>de</strong> 1 cm/an. Ces durées, qui dépassent<br />

l'enten<strong>de</strong>ment humain, sont toutefois <strong>de</strong>s<br />

unités banales à l'échelle <strong>de</strong>s temps géologiques.<br />

L'érosion physique capable <strong>de</strong> ramener du<br />

granite à l'affleurement va bien plus vite que<br />

les réactions chimiques susceptibles <strong>de</strong><br />

modifier sa composition minéralogique – <strong>la</strong><br />

meilleure preuve est que l'on trouve du granite<br />

sur <strong>la</strong> surface terrestre. En fait, le granite<br />

lors <strong>de</strong> sa remontée se retrouve dans <strong>de</strong>s<br />

environnements moins comprimés mais<br />

surtout <strong>de</strong> moins en moins chauds. Or les<br />

réactions chimiques <strong>de</strong> transformation<br />

minérale internes à <strong>la</strong> Terre, dite <strong>de</strong> métamorphisme,<br />

sont plus rapi<strong>de</strong>s dans un<br />

milieu plus chaud. La vitesse <strong>de</strong> ces réactions<br />

est pratiquement nulle à <strong>la</strong> température<br />

<strong>de</strong> <strong>la</strong> surface terrestre. Nous avons<br />

considéré le cas du granite, mais le principe<br />

s'applique à tous les minéraux qui se forment<br />

dans le sous-sol. Tant mieux pour certains<br />

d'entre nous, qui peuvent s'orner <strong>de</strong><br />

grenats (fig. III) formés à 1,8 GPa (60 km<br />

<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur) et 500 °C.<br />

Arrivé en surface, notre granite reste donc<br />

métastable. Pour comprendre cette notion,<br />

pas si évi<strong>de</strong>nte, on peut utiliser l'image <strong>de</strong>s<br />

congères <strong>de</strong> neige dans nos station <strong>de</strong> ski.<br />

Nous savons en effet que les neiges qui s'ac-


D É C O U V E R T E N ° 3 3 5 - 3 3 6 F É V R I E R - M A R S 2 0 0 6<br />

75<br />

cumulent en hiver sur nos montagnes ne fon<strong>de</strong>nt<br />

pas instantanément, même si <strong>la</strong> température<br />

atteint 5 °C pendant plusieurs jours : elles<br />

sont métastables car <strong>la</strong> fusion <strong>de</strong> <strong>la</strong> g<strong>la</strong>ce reste<br />

lente à basse température.<br />

Et notre granite persistera en surface malgré<br />

l'érosion qui continue <strong>de</strong> le grignoter et malgré<br />

<strong>la</strong> lente altération chimique qui s'y rajoute,<br />

engendrée <strong>par</strong> les pluies acidifiées <strong>par</strong> le CO 2<br />

atmosphérique. On observe <strong>de</strong>s massifs granitiques<br />

(fig. IV) âgés <strong>de</strong> 300 millions d'années<br />

dans le Massif central, <strong>par</strong> exemple.<br />

Notons enfin que l'érosion physique et l'altération<br />

chimique sont un sujet <strong>de</strong> recherches<br />

actuelles. L'Institut national <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong><br />

l'Univers (INSU) a en effet <strong>la</strong>ncé en 2004 le<br />

programme « Reliefs <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre » auprès<br />

d'environ 300 chercheurs. Ces géomorphologues,<br />

géophysiciens, tectoniciens et géochimistes<br />

doivent améliorer notre évaluation <strong>de</strong>s<br />

flux d'érosion, <strong>par</strong>ticu<strong>la</strong>ires et dissous, afin <strong>de</strong><br />

mieux cerner les interactions entre érosion,<br />

tectonique et climat à <strong>la</strong> surface <strong>de</strong> <strong>la</strong> p<strong>la</strong>nète.<br />

MONICA ROTARU<br />

Responsable du dé<strong>par</strong>tement<br />

<strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> <strong>la</strong> Terre<br />

au <strong>Pa<strong>la</strong>is</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte<br />

FIGURE III<br />

Grenats.<br />

Les cristaux roses sont <strong>de</strong>s<br />

grenats inclus dans les schistes<br />

bleus <strong>de</strong> l'île <strong>de</strong> Groix.<br />

© C. Sabouraud.<br />

FIGURE IV<br />

Vieux granite.<br />

Après <strong>de</strong>s dizaines <strong>de</strong> millions<br />

d'années d'attaque, l'érosion<br />

physique et l'altération chimique<br />

ont réduit un massif granitique<br />

initial à ce chaos, mais ils ne sont<br />

pas encore <strong>par</strong>venus à « digérer »<br />

entièrement ce granite.<br />

© <strong>Pa<strong>la</strong>is</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> découverte/<br />

M. Rotaru

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