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La perception visuelle ou l'art de voir », par Aurélie MASSAUX ...

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54© E. Bastid.<strong>La</strong> <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong>AURÉLIE <strong>MASSAUX</strong>Docteur en neurosciences<strong>ou</strong> l’art <strong>de</strong> <strong>voir</strong>


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6 55Ouvrez les yeuxet observez le mon<strong>de</strong>qui v<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>re !Que voyez-v<strong>ou</strong>s ?Le ciel bleu et les nuages,les montagnes et la mer, la rueet ses maisons, vos semblables Homosapiens… T<strong>ou</strong>t un ensemble <strong>de</strong>formes, <strong>de</strong> c<strong>ou</strong>leurs, <strong>de</strong> tailles et<strong>de</strong> volumes variés. Voir, en ap<strong>par</strong>enceil n'y a rien <strong>de</strong> plus simple,mais p<strong>ou</strong>rtant, c'est t<strong>ou</strong>t un art…Un art <strong>de</strong> reconnaître un ami <strong>de</strong> loindans la rue, un art <strong>de</strong> distinguer unarbre à moitié masqué <strong>par</strong> la maisonsituée <strong>de</strong>vant lui, un art aussi<strong>de</strong> repérer <strong>de</strong>s objets en m<strong>ou</strong>vement,<strong>de</strong> différencier t<strong>ou</strong>tes les c<strong>ou</strong>leurs <strong>de</strong>l'arc-en-ciel, et un art <strong>de</strong> comprendrece que n<strong>ou</strong>s voyons. Commentsommes-n<strong>ou</strong>s capables <strong>de</strong> perce<strong>voir</strong>aussi rapi<strong>de</strong>ment et sans effortsap<strong>par</strong>ents t<strong>ou</strong>te cette richesse dumon<strong>de</strong> en trois dimensions (3D)qui n<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>re ? C'est la questionque se pose nombre <strong>de</strong> scientifiques.L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la vision est un champ <strong>de</strong>recherche qui regr<strong>ou</strong>pe diverses disciplines,telles que la biologie, la psychologie, les neurosciences,l'optique, la modélisation informatique.C'est sans d<strong>ou</strong>te <strong>par</strong> ces différentesapproches complémentaires que l'on réussiraà mieux appréhen<strong>de</strong>r comment fonctionne lavision. Mais p<strong>ou</strong>r l'heure, <strong>par</strong>tons ensembleexplorer ce système sensoriel complexe, afin<strong>de</strong> comprendre étape <strong>par</strong> étape en quoi <strong>voir</strong> estun art !Au commencementétait la lumière…N<strong>ou</strong>s avons t<strong>ou</strong>s l'impression <strong>de</strong> <strong>voir</strong> t<strong>ou</strong>tessortes d'objets… mais en réalité, n<strong>ou</strong>s nevoyons que <strong>de</strong> la lumière ! En effet, la lumièrevient n<strong>ou</strong>s « taper dans l'œil <strong>»</strong> soit directement<strong>de</strong>puis sa s<strong>ou</strong>rce, là où elle a pris naissance(soleil, lampe, b<strong>ou</strong>gie…), soit après a<strong>voir</strong> rencontré<strong>de</strong> la matière. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, l'interaction<strong>de</strong> la lumière avec la matièrerencontrée modifie certaines <strong>de</strong> ses caractéristiques,comme <strong>par</strong> exemple sa c<strong>ou</strong>leur, sadirection <strong>de</strong> propagation, son intensité... <strong>La</strong>modification dépend <strong>de</strong> la matièrerencontrée : la lumière interagit <strong>de</strong> manièretrès différente avec l'air, un miroir, une feuilleblanche <strong>ou</strong> bien une plaque métallique. Ainsi,elle peut traverser la matière en étant très peuatténuée (cas <strong>de</strong> l'air <strong>ou</strong> du verre) <strong>ou</strong> aucontraire beauc<strong>ou</strong>p (verres colorés <strong>de</strong>slunettes <strong>de</strong> soleil) : c'est la transmission. Ellepeut aussi être renvoyée (réflexion <strong>par</strong> unmiroir, diffusion <strong>par</strong> une feuille blanche) <strong>ou</strong>bien être absorbée <strong>par</strong>tiellement (surfacecolorée) <strong>ou</strong> totalement (surface noire). De <strong>par</strong>ses caractéristiques, la lumière que n<strong>ou</strong>s percevonsn<strong>ou</strong>s renseigne sur la nature et la qualité<strong>de</strong> la matière rencontrée. À titred'exemples, il est <strong>visuelle</strong>ment facile <strong>de</strong> sa<strong>voir</strong>si une surface est métallique, en bois <strong>ou</strong> enplastique ; si une surface est lisse <strong>ou</strong> rugueuse; si elle est opaque <strong>ou</strong> trans<strong>par</strong>ente…


56© E. Bastid.<strong>La</strong> <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> utilisenos acquis.N<strong>ou</strong>s ne voyons que <strong>de</strong> la lumière (transmise,réfléchie, diffusée, absorbée), et p<strong>ou</strong>rtantn<strong>ou</strong>s voyons <strong>de</strong>s objets. Comment cettelumière perçue <strong>de</strong> façon inconsciente n<strong>ou</strong>spermet-elle <strong>de</strong> perce<strong>voir</strong> consciemment lesobjets qui n<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>rent ? C'est à la suite <strong>de</strong>snombreux traitements subis <strong>par</strong> l'informationlumineuse, réalisés au sein <strong>de</strong> notre systèmenerveux, que va naître notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong>.De l'œil au cerveau,le système visuelAvant d'abor<strong>de</strong>r la <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong>,décrivons le système nerveux visuel, d'abordanatomiquement puis fonctionnellement.Notre système visuel est composé d'unorgane sensoriel périphérique, l'œil, et <strong>de</strong>nombreuses structures centrales, situées dansle cerveau. <strong>La</strong> lumière pénètre dans notre œilet atteint la rétine qui le tapisse. Les photorécepteurs– cônes et bâtonnets – contiennent<strong>de</strong>s photopigments : ce sont eux qui, au sein<strong>de</strong> la rétine, sont sensibles à la lumière.Activés <strong>par</strong> la lumière, ces pigments vont permettreaux cônes et aux bâtonnets – après unecasca<strong>de</strong> complexe <strong>de</strong> réactions intracellulaires– <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s signaux électriques(les potentiels d'action), supports <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>teinformation circulant dans notre système nerveux.Cette transformation d'une informationlumineuse en une information électrique estappelée la phototransduction. Les cônes et lesbâtonnets sont reliés à d'autres cellules <strong>de</strong> larétine, qui communiquent entre elles. Lerésultat <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>s ces échanges est un messageélectrique qui chemine via les nerfs optiquesjusqu'à une structure située au centre du cerveau,le thalamus visuel, puis à <strong>par</strong>tir <strong>de</strong> cettestructure vers le cortex visuel primaire. Lesinformations <strong>visuelle</strong>s <strong>par</strong>c<strong>ou</strong>rent ensuitebien <strong>de</strong>s chemins à travers notre cerveau(fig. 1). Il existe <strong>par</strong> exemple un circuit qui<strong>par</strong>t <strong>de</strong>s yeux et atteint l'hypothalamus, structureimpliquée dans la régulation <strong>de</strong>s cycles<strong>de</strong> nos divers rythmes biologiques. Un autrecircuit, appelé système visuel accessoire, <strong>par</strong>vientà une région profon<strong>de</strong> du cerveau impliquéedans le contrôle <strong>de</strong> l'<strong>ou</strong>verture <strong>de</strong> lapupille, <strong>de</strong>s m<strong>ou</strong>vements oculaires, ainsi que<strong>de</strong>s m<strong>ou</strong>vements <strong>de</strong> la tête. Ainsi, <strong>voir</strong> ne sollicitepas uniquement nos yeux, mais nécessite<strong>de</strong> nombreuses structures distribuées ausein du cerveau.Le cerveau n'est pas seul à analyser lesinformations lumineuses, la rétine le faitaussi. On assimile s<strong>ou</strong>vent à tort la rétine àune pellicule photographique alors qu'elle faitbien plus que simplement capter la lumière.À <strong>par</strong>tir <strong>de</strong>s variations d'éclairement en différentspoints <strong>de</strong> la rétine naît un message électriqueà <strong>de</strong>stination <strong>de</strong>s étages suivants. Cemessage contient déjà <strong>de</strong>s informations sur lac<strong>ou</strong>leur <strong>de</strong>s objets, sur leur forme, sur leurm<strong>ou</strong>vement et sur les contrastes entre lesobjets. En fait, à chaque étage du systèmevisuel s'effectue un traitement <strong>de</strong> l'informationlumineuse, qui est <strong>de</strong> plus en plus complexeà mesure que l'on se rapproche <strong>de</strong>sétages supérieurs. C'est <strong>par</strong> exemple auniveau du cortex cérébral que l'on tr<strong>ou</strong>ve p<strong>ou</strong>rla première fois <strong>de</strong>s cellules qui sont sensiblesà l'orientation d'un objet dans l'espace,<strong>ou</strong> à la direction <strong>de</strong> leur m<strong>ou</strong>vement. Maisplus important encore, les informations lumineusestraitées à chaque étage sont ségréguées: elles sont sé<strong>par</strong>ées en <strong>de</strong>ux canaux,dès la rétine et jusqu'aux <strong>de</strong>rniers étages dusystème. Le premier canal est spécialisé dansla reconnaissance détaillée <strong>de</strong>s objets en traitantles informations <strong>de</strong> forme et <strong>de</strong> c<strong>ou</strong>leur ;le second est spécialisé dans l'analyse dum<strong>ou</strong>vement <strong>de</strong>s objets en traitant les informations<strong>de</strong> contraste et <strong>de</strong> m<strong>ou</strong>vement.Ainsi, la lumière provenant <strong>de</strong>s objets quin<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>rent est captée <strong>par</strong> notre rétine etanalysée jusqu'aux <strong>de</strong>rniers étages <strong>de</strong> notresystème visuel, afin d'extraire t<strong>ou</strong>tes les


57construction. D'autant plus que l'image qui seforme sur la rétine est une image en 2D <strong>de</strong>notre environnement en 3D…Si l'on exclut la 4 e dimension, le temps, lemon<strong>de</strong> externe est fait <strong>de</strong> trois dimensionsspatiales (X, Y et Z). <strong>La</strong> lumière illumine cemon<strong>de</strong> et atteint notre rétine où elle forme <strong>de</strong>simages inversées <strong>de</strong>s objets. Ces images rétiniennessont composées <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux dimensions(X et Y) : elles ont perdu les informations <strong>de</strong>profon<strong>de</strong>ur du mon<strong>de</strong> en 3D (Z), à sa<strong>voir</strong> ladistance entre la rétine <strong>de</strong> l'observateur et lasurface d'où provient la lumière. Or, n<strong>ou</strong>ssommes <strong>par</strong>faitement capables <strong>de</strong> perce<strong>voir</strong>en trois dimensions. Comment, à <strong>par</strong>tir d'uneimage en 2D, arrivons-n<strong>ou</strong>s à la <strong>perception</strong>d'un mon<strong>de</strong> visuel en 3D ? Un problème évi<strong>de</strong>ntse pose. <strong>La</strong> projection d'un espace en 3Dsur une image en 2D est une fonction géométriquebien définie : chaque point <strong>de</strong> l'environa)c)b)informations disponibles sur l'objet (forme,c<strong>ou</strong>leur, m<strong>ou</strong>vement…). C'est à <strong>par</strong>tir <strong>de</strong> cestraitements <strong>par</strong>allèles <strong>de</strong> l'information lumineuseque se construit notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong>.Qu'est-ce que la <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> ?<strong>La</strong> vision ne se réduit pas à une simple photographiedu mon<strong>de</strong> environnant car les traitementseffectués dans le système visuel n<strong>ou</strong>sapportent <strong>de</strong>s connaissances sur les objets etles événements environnants que n'acquièrentpas les ap<strong>par</strong>eils photographiques. <strong>La</strong> visionest un mécanisme qui implique <strong>de</strong>s fonctionssupérieures ; c'est un acte cognitif.L'acquisition <strong>de</strong> connaissances à <strong>par</strong>tir <strong>de</strong>sinformations lumineuses est rendue possiblegrâce aux traitements <strong>par</strong>allèles et synchrones<strong>de</strong> t<strong>ou</strong>tes les informations liées aux objets réalisésdans le système nerveux. Notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> naît à <strong>par</strong>tir <strong>de</strong> la mise encommun <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>tes ces informations : c'est uneFIGURE 1Le système visuel.Les informations lumineuses atteignent larétine et cheminent via le nerf, le chiasma etle tractus optiques a) p<strong>ou</strong>r atteindre lethalamus et le cortex visuels b). En réalité, lesvoies <strong>visuelle</strong>s sont bien plus complexes c).S<strong>ou</strong>rce fig. 1a) et 1b) : Neurosciences - À ladéc<strong>ou</strong>verte du cerveau (Neuroscience -Exploring the brain), Mark F. Bear, Barry W.Connors, Michael A. Paradiso, 2 e édition(éditions Pra<strong>de</strong>l/Wolters Kluwer France,Rueil-Malmaison, 2002, p<strong>ou</strong>r la traductionfrançaise ; éditions Lippincott Williams andWilkins, Baltimore, 2001, p<strong>ou</strong>r l'édition originaleaméricaine). Adaptation <strong>de</strong>s illustrations: E. Bastid. Fig. 1c) : © E. Bastid.


58D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6Taille réelleTaille perçueMursvirtuels perçus© A. Patras.a)Mur réelnon perçuFIGURE 2<strong>La</strong> chambre <strong>de</strong> Ames.Deux personnes, p<strong>ou</strong>rtant <strong>de</strong> taillesi<strong>de</strong>ntiques, vont ap<strong>par</strong>aître dans lachambre <strong>de</strong> Ames comme géanteet lilliputienne a).Le mystère <strong>de</strong> cette chambre rési<strong>de</strong>dans sa construction b).b)Point <strong>de</strong> vueTaille réellenon perçueTaille perçuenement sera représenté <strong>par</strong> un point surl'image. Mais l'inverse est-il vrai ?Malheureusement non, chaque point d'uneimage en 2D peut être représenté <strong>par</strong> une infinité<strong>de</strong> points dans le mon<strong>de</strong> en 3D, car l'information<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur (Z) est justementmanquante. Comment sa<strong>voir</strong> alors ce quereprésentent ces images en 2D ? Notresystème visuel rés<strong>ou</strong>t ce problème en faisant<strong>de</strong>s hypothèses sur la nature <strong>de</strong> notre environnementet sur les conditions dans lesquelles ilest vu. Il prédit quel mon<strong>de</strong> en 3D a donnénaissance à <strong>de</strong> telles images rétiniennes en 2D.Notre <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> du mon<strong>de</strong> en 3Dest donc une construction fondée sur <strong>de</strong> nombreusesprédictions. Ces prédictions se révèlentvéridiques dans la majorité <strong>de</strong>s cas, maisil arrive <strong>par</strong>fois qu'elles soient erronées. Lesillusions <strong>visuelle</strong>s mettent quelquefois en évi<strong>de</strong>nceles cas où les prédictions sont fausses.Elles peuvent aussi n<strong>ou</strong>s dévoiler comment seconstruit notre <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong>.Parc<strong>ou</strong>rons ensemble quelques illusions, etdéc<strong>ou</strong>vrons comment fonctionne notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong>.<strong>La</strong> chambre <strong>de</strong> Ames<strong>La</strong> chambre <strong>de</strong> Ames, du nom d'A<strong>de</strong>lbertAmes, ex-peintre <strong>de</strong>venu psychologue, est unepièce intrigante qui n<strong>ou</strong>s <strong>par</strong>aît <strong>par</strong>faitementrectangulaire (fig. 2a). Deux personnes <strong>de</strong>tailles i<strong>de</strong>ntiques se tr<strong>ou</strong>vent dans cette pièce,et p<strong>ou</strong>rtant elles semblent a<strong>voir</strong> <strong>de</strong>s tailles biendifférentes ! Que se passe-t-il dans cettechambre surprenante ?En réalité, la chambre <strong>de</strong> Ames n'est pas rectangulaire(fig. 2b) : les indices visuels dudécor, ainsi que notre habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s pièces rectangulairesdans la vie c<strong>ou</strong>rante, n<strong>ou</strong>s l'ont faitcroire. <strong>La</strong> personne située à gauche est beauc<strong>ou</strong>pplus éloignée <strong>de</strong> n<strong>ou</strong>s que ne l'est la personne<strong>de</strong> droite : en conséquence, son imagerétinienne dans notre œil est beauc<strong>ou</strong>p pluspetite que celle <strong>de</strong> la personne dans le coindroit. Après traitement <strong>de</strong> cette informationrétinienne, n<strong>ou</strong>s allons perce<strong>voir</strong> une personnelilliputienne et une autre géante. Deplus, cette chambre ne contient pas d'indices<strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur et <strong>de</strong> perspective p<strong>ou</strong>vant n<strong>ou</strong>srenseigner sur la distance qui n<strong>ou</strong>s sé<strong>par</strong>e <strong>de</strong>spersonnes. Les seuls indices qui n<strong>ou</strong>s <strong>par</strong>viennentsont les informations <strong>de</strong> convergence <strong>de</strong>


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 659ŒilgauchePoint <strong>de</strong> fixation à l’horizonAxe <strong>de</strong> rotation <strong>de</strong> l’œilFixation d’un objet distant<strong>ou</strong> procheŒildroitnos <strong>de</strong>ux yeux (fig. 3). Ces informationsn<strong>ou</strong>s disent que les <strong>de</strong>ux personnes ne sontpas à la même distance <strong>par</strong> rapport à n<strong>ou</strong>s,que l'une est éloignée et l'autre proche. Etp<strong>ou</strong>rtant n<strong>ou</strong>s les percevons à la même distance.P<strong>ou</strong>rquoi ? En fait, notre systèmevisuel ne tient pas compte <strong>de</strong>s informations<strong>de</strong> convergence et privilégie l'hypothèsefausse d'une pièce rectangulaire danslaquelle les personnes seraient à la mêmedistance <strong>de</strong> l'observateur.Grâce à cette illusion <strong>de</strong> la chambre <strong>de</strong>Ames, n<strong>ou</strong>s venons <strong>de</strong> déc<strong>ou</strong>vrir quelquesindices permettant <strong>de</strong> déterminer la taille <strong>de</strong>sobjets. N<strong>ou</strong>s reviendrons plus tard sur leshypothèses émises <strong>par</strong> notre système visuelet servant à l'émergence <strong>de</strong> la <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong>.ŒilgaucheŒildroitθ 1θ 1θ 2θ 2Rotation <strong>de</strong> l’œil d’un angle θ 1<strong>ou</strong> θ 2FIGURE 3Distance <strong>de</strong>s objets et convergence <strong>de</strong>s yeux.Le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> convergence <strong>de</strong>s yeux permetd'estimer la distance d'un objet. En effet, plusun objet est proche et plus les yeux convergentl'un vers l'autre, formant ainsi un angle q 2 élevé.<strong>La</strong> valeur <strong>de</strong> cet angle est transmise au cerveau,qui l'analysera et en déduira la distance <strong>de</strong> l'objet.Illusions <strong>de</strong> <strong>perception</strong><strong>de</strong> la tailleComment percevons-n<strong>ou</strong>s la taille <strong>de</strong>sobjets ? P<strong>ou</strong>r cela, notre système visuel sefon<strong>de</strong> sur plusieurs indices. Le premier est lataille <strong>de</strong> l'image qu'ils forment sur la rétine.Le <strong>de</strong>uxième est leur distance <strong>par</strong> rapport àn<strong>ou</strong>s, estimée grâce aux informations <strong>de</strong>convergence en provenance <strong>de</strong> nos <strong>de</strong>uxyeux, et aux informations <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur et<strong>de</strong> perspective. Un troisième indice est lataille relative <strong>de</strong>s objets les uns <strong>par</strong> rapportaux autres, que n<strong>ou</strong>s avons accumulée etmémorisée <strong>de</strong>puis notre naissance, t<strong>ou</strong>t aulong <strong>de</strong> l'apprentissage <strong>de</strong> notre environnement.Quelle taille attribuons-n<strong>ou</strong>s aux objets enfonction <strong>de</strong> ces différents indices ? Un objetlointain – qui forme une petite image sur larétine – sera-t-il perçu plus petit, plus grand<strong>ou</strong> <strong>de</strong> taille égale à l'objet i<strong>de</strong>ntique prochequi forme une gran<strong>de</strong> image sur la rétine ?Répon<strong>de</strong>z v<strong>ou</strong>s-même à cette question enréalisant l'expérience suivante (fig. 4).Prenez <strong>de</strong>ux verres <strong>par</strong>faitement i<strong>de</strong>ntiques,un dans chaque main. Ten<strong>de</strong>z vos bras versl'horizon, en gardant vos bras écartés <strong>de</strong> la


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 661FIGURE 5Illusion <strong>de</strong> Ponzo.Les lignes convergentes<strong>de</strong> l'illusion <strong>de</strong> Ponzon<strong>ou</strong>s rappellent laperspective d'une voie<strong>de</strong> chemin <strong>de</strong> fer.<strong>La</strong> taille <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux traitsr<strong>ou</strong>ges est i<strong>de</strong>ntique !© Photographie<strong>de</strong> A. Hervé-Minvielle.lité, et n<strong>ou</strong>s allons appliquer la constance <strong>de</strong>gran<strong>de</strong>ur. Les <strong>de</strong>ux lignes horizontales ont lamême taille, t<strong>ou</strong>t comme leurs images rétiniennes,mais les indices <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>ur indiquentque la ligne supérieure est éloignée. <strong>La</strong>constance <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur j<strong>ou</strong>e son rôle <strong>de</strong> compensation,ce qui augmente la taille perçue <strong>de</strong>cette ligne <strong>par</strong> rapport à la ligne inférieure : laligne supérieure n<strong>ou</strong>s <strong>par</strong>aît ainsi plus gran<strong>de</strong>.N<strong>ou</strong>s venons <strong>de</strong> <strong>voir</strong> à travers les <strong>de</strong>ux illusions<strong>visuelle</strong>s précé<strong>de</strong>ntes, l'illusion <strong>de</strong>s verreset celle <strong>de</strong> Ponzo, que la <strong>perception</strong> <strong>de</strong> la tailleest un processus cognitif complexe qui tire profit<strong>de</strong>s indices présents dans notre environnementdirect (comme la distance <strong>de</strong>s objets),mais aussi <strong>de</strong> ceux présents sur notre rétine (lataille <strong>de</strong>s images <strong>de</strong>s objets) <strong>ou</strong> dans notremémoire (les tailles relatives <strong>de</strong>s objets).Illusion <strong>de</strong> <strong>perception</strong>du m<strong>ou</strong>vementComment percevons-n<strong>ou</strong>s le m<strong>ou</strong>vement<strong>de</strong>s objets ? <strong>La</strong> <strong>perception</strong> du m<strong>ou</strong>vement <strong>de</strong>sobjets est un processus très complexe, quidépend non seulement du m<strong>ou</strong>vement <strong>de</strong> l'objetdans notre environnement et du m<strong>ou</strong>vement<strong>de</strong> l'image <strong>de</strong> cet objet sur notre rétine,mais aussi <strong>de</strong> nos propres m<strong>ou</strong>vements (m<strong>ou</strong>vements<strong>de</strong>s yeux, <strong>de</strong> la tête, du corps) quiinfluencent la position <strong>de</strong> cet objet dans notreenvironnement et sur notre rétine.S'il est un domaine <strong>de</strong> la vision où beauc<strong>ou</strong>p<strong>de</strong> choses restent encore à déc<strong>ou</strong>vrir, c'estbien dans la <strong>perception</strong> du m<strong>ou</strong>vement.Malgré t<strong>ou</strong>t, certaines données sont connues<strong>de</strong>puis les années 1960.Barlow et Hill ont montré en 1963 l'existenceau sein du cortex visuel <strong>de</strong> certains neuronesrépondant sélectivement auxm<strong>ou</strong>vements. Plus précisément, ces cellulesnerveuses répon<strong>de</strong>nt à une direction du m<strong>ou</strong>vementbien spécifique : certaines à un m<strong>ou</strong>vementdirigé <strong>de</strong> haut en bas, d'autres à unm<strong>ou</strong>vement <strong>de</strong> bas en haut, d'autres encore àun m<strong>ou</strong>vement <strong>de</strong> droite à gauche, etc., danst<strong>ou</strong>tes les directions possibles <strong>de</strong> l'espace.Certaines illusions <strong>visuelle</strong>s où l'on ressent unm<strong>ou</strong>vement illusoire peuvent être expliquées<strong>par</strong> l'activité <strong>de</strong> ces neurones…Par exemple, au cinéma, regar<strong>de</strong>z fixementle générique <strong>de</strong> fin défiler sur l'écran. Afind'expérimenter l'illusion, il est important <strong>de</strong>fixer un point dans le vi<strong>de</strong>, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l'écran.Au b<strong>ou</strong>t <strong>de</strong> quelques minutes, posez votreregard sur un autre endroit, impérativementstatique. V<strong>ou</strong>s allez a<strong>voir</strong> l'impression que ceque v<strong>ou</strong>s regar<strong>de</strong>z b<strong>ou</strong>ge dans le sens inversedu m<strong>ou</strong>vement du générique. V<strong>ou</strong>s êtes victimed'un m<strong>ou</strong>vement illusoire, explicable <strong>par</strong>© E. Bastid.<strong>La</strong> <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> se fait <strong>par</strong>interprétations.


62D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6FIGURE 6Figures ambiguës.a) Jeune <strong>ou</strong> vieille femme ?Le menton <strong>de</strong> la jeune femmeest le nez <strong>de</strong> la vieille dame.Wife and mother in law (Hill, Puck, 1915)a) b)b) Tête d'indien <strong>ou</strong> esquimau ?L'oreille <strong>de</strong> l'indien est le bras droit<strong>de</strong> l'esquimau vu <strong>de</strong> dos.Wilson figure D. R.l'adaptation <strong>de</strong>s neurones visuels qui répon<strong>de</strong>ntsélectivement aux m<strong>ou</strong>vements. T<strong>ou</strong>s cesneurones du cortex visuel ont presque lamême activité, appelée activité <strong>de</strong> base,lorsque aucun objet ne b<strong>ou</strong>ge dans l'environnement.Il suffit qu'ap<strong>par</strong>aisse un m<strong>ou</strong>vementdans une direction bien précise p<strong>ou</strong>r que <strong>de</strong>schamb<strong>ou</strong>lements surviennent. Certains neuronescodant p<strong>ou</strong>r la direction du m<strong>ou</strong>vementap<strong>par</strong>u (neurones A) vont augmenter leur activitéen réponse à ce m<strong>ou</strong>vement ; t<strong>ou</strong>s lesautres (neurones B) gar<strong>de</strong>ront leur activité <strong>de</strong>base. Puis, progressivement, les neurones Avont « se fatiguer <strong>»</strong> et a<strong>voir</strong> une activité inférieureà leur activité <strong>de</strong> base : on dit qu'ilss'adaptent. Si, à ce moment précis, on fait lasomme <strong>de</strong> l'activité <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>s ces neurones, c'estl'activité <strong>de</strong>s neurones B qui va être prépondérante.Et le système visuel va interpréter cetteactivité, qui est p<strong>ou</strong>rtant une activité <strong>de</strong> base,comme la présence d'un m<strong>ou</strong>vement dans ladirection à laquelle les neurones B répon<strong>de</strong>nt…C'est p<strong>ou</strong>r cette raison qu'après a<strong>voir</strong>regardé le générique du film, n<strong>ou</strong>s percevonsun m<strong>ou</strong>vement illusoire, dont la direction esten sens contraire <strong>de</strong> celle du m<strong>ou</strong>vement dugénérique.<strong>La</strong> <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> repose sur <strong>de</strong> nombreusesinterprétations <strong>de</strong>s activités neuronales: l'émergence d'une caractéristique <strong>de</strong>l'objet (comme la direction <strong>de</strong> son m<strong>ou</strong>vement)est le résultat global <strong>de</strong> l'activité <strong>de</strong> milliers<strong>de</strong> neurones fonctionnant en réseauxinterconnectés. Dans l'illusion du générique<strong>de</strong> film, que v<strong>ou</strong>s obtiendriez aussi en fixantattentivement une chute d'eau, la <strong>perception</strong>d'un m<strong>ou</strong>vement illusoire est une interprétationerronée <strong>de</strong>s activités neuronales, quiconduit à une mauvaise <strong>perception</strong>. Fort heureusement,cela arrive peu fréquemment :notre système visuel interprète <strong>de</strong> façon fiableles données issues <strong>de</strong>s informations lumineuses,ce qui n<strong>ou</strong>s permet <strong>par</strong> exemple <strong>de</strong>distinguer clairement les objets en m<strong>ou</strong>vementdans notre environnement.Les figures ambiguësEn quoi les images <strong>de</strong> la figure 6 sont-ellesambiguës ? Elles sont ambiguës car v<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>vezles interpréter <strong>de</strong> plusieurs façons, si v<strong>ou</strong>sles fixez assez longtemps. Essayez <strong>de</strong> <strong>voir</strong>dans ces images les <strong>de</strong>ux interprétations possibles…Une fois que v<strong>ou</strong>s avez vu les <strong>de</strong>uxinterprétations, votre <strong>perception</strong> passe d'uneinterprétation à une autre sans difficulté. Maisv<strong>ou</strong>s ne percevez jamais les <strong>de</strong>ux interprétationsen même temps. Que se produit-il dansnotre système visuel lorsque n<strong>ou</strong>s observonsce type <strong>de</strong> figures ?Une <strong>de</strong>s théories p<strong>ou</strong>vant rendre compte <strong>de</strong>ce phénomène <strong>de</strong> bistabilité n<strong>ou</strong>s vient <strong>de</strong>sannées 1940 et d'un psychologue allemandnommé Wolfgang Köhler. Cette théorie proposeque si notre <strong>perception</strong> alterne commecela d'une interprétation à une autre, c'est<strong>par</strong>ce que le réseau <strong>de</strong> neurones responsable<strong>de</strong> la <strong>perception</strong> d'une solution « se fatigue <strong>»</strong>,et laisse la place à un autre réseau <strong>de</strong> neurones,responsable <strong>de</strong> la <strong>perception</strong> d'uneautre solution, et vice-versa jusqu'à ce quel'on arrête <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r la figure. Mais il sep<strong>ou</strong>rrait aussi que notre <strong>perception</strong> alterned'une figure à une autre, <strong>par</strong>ce que n<strong>ou</strong>s foca-


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 663lisons notre attention sur la déc<strong>ou</strong>verte <strong>de</strong>l'autre interprétation. En effet, si l'on v<strong>ou</strong>savait présenté ces figures ambiguës sans v<strong>ou</strong>sdire que v<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>viez y <strong>voir</strong> autre chose quevotre première <strong>perception</strong>, sans d<strong>ou</strong>te n'auriez-v<strong>ou</strong>sperçu qu'une seule et unique interprétation.Preuve que la consigne influencenotre <strong>perception</strong> dans les tests psychologiques.Existe-il un corrélat expérimental <strong>de</strong> cesthéories <strong>de</strong> la bistabilité ? P<strong>ou</strong>r l'heure, lesétu<strong>de</strong>s menées chez l'Homme, en utilisant latechnique d'électroencéphalographie, ont permis<strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce une synchronisationd'un type précis d'on<strong>de</strong>s cérébrales, leson<strong>de</strong>s gamma, en divers sites du cuir chevelu,lorsque ce phénomène <strong>de</strong> bistabilité a lieu.Mais il est encore trop tôt p<strong>ou</strong>r confirmerquelque théorie que ce soit ; <strong>de</strong>s expériencesdoivent encore être menées sur ce sujet.L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces figures ambiguës n<strong>ou</strong>smontre que le système visuel peut interpréter<strong>de</strong> plusieurs façons le mon<strong>de</strong> qui n<strong>ou</strong>sent<strong>ou</strong>re, et passer spontanément d'une interprétationà une autre. <strong>La</strong> <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong>est donc bien un processus interprétatif.Les illusions <strong>de</strong> complétionLes illusions <strong>visuelle</strong>s <strong>de</strong> complétion ontFIGURE 7Le triangle <strong>de</strong> Kanizsa.Cette figure illustre le phénomène <strong>de</strong> complétion.Le cerveau n<strong>ou</strong>s fait perce<strong>voir</strong> un trianglequi n'existe pas !© Gaetano Kanizsa, 1955/Rivista di Psicologia.FIGURE 8Phénomène <strong>de</strong> complétion.Que percevez-v<strong>ou</strong>s dans ce méli-mélo<strong>de</strong> formes ? © Ebullioscope.quelque chose <strong>de</strong> spécial. Sur la figure 7,v<strong>ou</strong>s percevez spontanément un triangleblanc au centre alors que cette image necontient en réalité que trois cercles noirs. Deplus, une fois que v<strong>ou</strong>s percevez <strong>de</strong> façonclaire ce triangle blanc, v<strong>ou</strong>s avez l'impressionqu'il occulte <strong>par</strong>tiellement les cercles.Cette figure, inventée <strong>par</strong> Kanizsa dans lesannées 1950, représente <strong>de</strong>s cont<strong>ou</strong>rs illusoireset fait aussi intervenir une occlusiond'objets. Les figures 8 et 9 illustrent une autreforme <strong>de</strong> complétion. Alors que la lecture estdifficile sur la figure 8, l'aj<strong>ou</strong>t d'une simpletâche d'encre permet <strong>de</strong> comprendre les mots(fig. 9). Que signifient donc ces illusionsstupéfiantes ? Les illusions <strong>de</strong> cont<strong>ou</strong>rs (aussiappelés cont<strong>ou</strong>rs subjectifs) sont connues<strong>de</strong>puis le début du XX e siècle, mais Kanizsaproposa d'étonnantes explications <strong>de</strong>s phénomènesmis en jeu. Le phénomène qui intervientdans ces illusions est la complétion.Elle ne s'applique pas uniquement dans lesillusions inventées <strong>par</strong> <strong>de</strong>s psychologues :elle est aussi présente dans notre vie <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>sles j<strong>ou</strong>rs.N<strong>ou</strong>s voyons rarement les objets <strong>de</strong> notreenvironnement dans leur intégralité car ilssont s<strong>ou</strong>vent à moitié cachés <strong>par</strong> d'autres. <strong>La</strong>maison, qui occulte <strong>par</strong>tiellement l'arbre <strong>de</strong>rrièreelle, v<strong>ou</strong>s empêche-t-elle <strong>de</strong> le perce<strong>voir</strong>dans son intégralité ? <strong>La</strong> réponse est t<strong>ou</strong>tsimplement non. Notre système visuelperçoit <strong>de</strong> façon automatique notre environnementcomme un t<strong>ou</strong>t, alors qu'il n'estjamais visible dans son intégralité, s<strong>ou</strong>ventcomposé d'objets <strong>ou</strong> <strong>de</strong> surfaces <strong>par</strong>tielle-


64D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6FIGURE 9Une tâche d'encre répandue <strong>par</strong>tiellement surce méli-mélo <strong>de</strong> formes v<strong>ou</strong>s révèle trois mots,les avez-v<strong>ou</strong>s reconnus ?Le phénomène <strong>de</strong> complétion v<strong>ou</strong>s a permis<strong>de</strong> les <strong>de</strong>viner. Un indice : l'Europe v<strong>ou</strong>s salue !© Ebullioscope.ment occultés. Cela implique que notresystème visuel émette <strong>de</strong>s hypothèses, <strong>de</strong>sprédictions sur ce qui se cache <strong>de</strong>rrière cesobjets occultés. En effet, sans cesse n<strong>ou</strong>sémettons inconsciemment <strong>de</strong>s hypothèses surce que n<strong>ou</strong>s voyons, et dans la majorité <strong>de</strong>scas, les prédictions faites <strong>par</strong> le système visuelsont exactes. Sur quoi ce <strong>de</strong>rnier se fon<strong>de</strong>-t-ilp<strong>ou</strong>r émettre <strong>de</strong> telles prédictions ? Plusieursthéories ont été formulées, mais les <strong>de</strong>ux principalessont les suivantes. T<strong>ou</strong>t d'abord, n<strong>ou</strong>scompléterions les objets occultés en utilisantt<strong>ou</strong>tes les informations disponibles dans notremémoire sur notre environnement et sesobjets, afin <strong>de</strong> retr<strong>ou</strong>ver l'objet qui correspondle mieux aux informations incomplètes misesà notre disposition. C'est la théorie <strong>de</strong> la familiarité.Ensuite, n<strong>ou</strong>s compléterions les objetsoccultés <strong>de</strong> façon à perce<strong>voir</strong> les choses lesplus simples possibles. Il s'agit <strong>de</strong> la théorie<strong>de</strong> la simplicité. Mais savons-n<strong>ou</strong>s exactementce qui se passe dans notre système nerveuxpendant ce phénomène <strong>de</strong> complétion ?Rien n'est moins sûr ! P<strong>ou</strong>r l'instant, les scientifiquesont déc<strong>ou</strong>vert chez l'animal <strong>de</strong>s cellulessituées dans les cortex visuels primaireet secondaire répondant à la présence <strong>de</strong>cont<strong>ou</strong>rs illusoires. Des étu<strong>de</strong>s chez l'Hommeen imagerie <strong>par</strong> résonance magnétique fonctionnelle(IRMf) ont aussi montré une activation<strong>de</strong> ces zones, ainsi que <strong>de</strong> régionsvoisines spécifiques lors <strong>de</strong> la présentation <strong>de</strong>cont<strong>ou</strong>rs illusoires. Mais n<strong>ou</strong>s sommes encorebien loin <strong>de</strong> comprendre les mécanismes neuronauxs<strong>ou</strong>s-tendant la complétion.Les illusions <strong>de</strong> complétion n<strong>ou</strong>s montrent àquel point notre <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> estinfluencée <strong>par</strong> nos acquis. Notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> fonctionne <strong>par</strong> prédictions. Celles-làreposent sur les connaissances que n<strong>ou</strong>s avons<strong>de</strong>s objets, en termes d'attributs (forme, c<strong>ou</strong>leur,distance, m<strong>ou</strong>vement…) mais aussi entermes <strong>de</strong> signification et <strong>de</strong> fonction. Unchêne est reconnu comme tel car n<strong>ou</strong>s distinguonsses caractéristiques propres <strong>de</strong> taille, <strong>de</strong>c<strong>ou</strong>leur, <strong>de</strong> forme <strong>de</strong>s feuilles et <strong>de</strong>s glands,mais aussi car n<strong>ou</strong>s avons appris qu'il ap<strong>par</strong>tientà la catégorie <strong>de</strong>s arbres, et qu'il peutn<strong>ou</strong>s chauffer l'hiver <strong>ou</strong> n<strong>ou</strong>s offrir <strong>de</strong> l'ombres<strong>ou</strong>s un soleil <strong>de</strong> plomb. <strong>La</strong> prédiction quip<strong>ou</strong>rra être faite sur lui tient compte <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>sces éléments. S'y aj<strong>ou</strong>te aussi une autredimension liée à nos actions : notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> est influencée <strong>par</strong> notre état cognitifdu moment. Un lion affamé aura plus tendanceà repérer le zèbre dissimulé <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>sbranchages qu'un lion repu.<strong>La</strong> <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong>est-elle véridique ?Il reste une propriété <strong>de</strong> la <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> que n<strong>ou</strong>s n'avons pas encoreabordée… <strong>La</strong> <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> reflète-ellela réalité, est-elle véridique ? Prenons unexemple : si v<strong>ou</strong>s entrez dans une salle <strong>de</strong>cinéma après v<strong>ou</strong>s être prélassé au soleil d'unebelle après-midi d'été, v<strong>ou</strong>s n'allez pas <strong>voir</strong>grand-chose ! Mais progressivement, v<strong>ou</strong>sallez commencer à distinguer les sièges, l'écranet les autres spectateurs jusqu'à a<strong>voir</strong> unevision précise <strong>de</strong> cette salle. En fait, votre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> change au fur et à mesurequ'elle s'adapte à <strong>de</strong>s conditions <strong>par</strong>ticulières.Dans ce cas précis, il se produit une adaptationà l'obscurité : vos photorécepteurs quiétaient saturés <strong>de</strong> lumière au soleil n'ont paspu capter t<strong>ou</strong>t <strong>de</strong> suite les photons présents enpetit nombre dans cette salle obscure. Il leur a


D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 665fallu un temps d'adaptation aux n<strong>ou</strong>vellesconditions environnementales. Le fait quev<strong>ou</strong>s ne distinguiez pas immédiatement t<strong>ou</strong>tesles propriétés <strong>de</strong>s objets présents dans cettesalle <strong>de</strong> cinéma, alors qu'ils sont réellement là,montre que votre <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> n'est pasune simple fenêtre sur la réalité. Ce ne sontpas les objets qui changent dans le temps,mais la <strong>perception</strong> que v<strong>ou</strong>s en avez, et cette<strong>perception</strong> est dépendante <strong>de</strong> l'état d'activité<strong>de</strong> notre système visuel.Parfois aussi, n<strong>ou</strong>s percevons <strong>de</strong>s objets quin'existent pas physiquement. Après a<strong>voir</strong> étéébl<strong>ou</strong>i(e) <strong>par</strong> la torche <strong>de</strong> votre voisin <strong>de</strong> campingbraquée sur v<strong>ou</strong>s, v<strong>ou</strong>s allez perce<strong>voir</strong>une grosse tache noire au milieu <strong>de</strong> votrechamp visuel. Et p<strong>ou</strong>rtant, cette tache ne correspondà aucun objet réel présent dans votreenvironnement : c'est ce que les scientifiquesappellent une image rémanente (<strong>ou</strong> afterimageen anglais). Cette image est consécutiveà votre ébl<strong>ou</strong>issement, car vosphotorécepteurs ont été saturés <strong>de</strong> lumière etn'ont pas encore récupéré t<strong>ou</strong>tes leurs capacitésdétectrices. Cette image rémanente v<strong>ou</strong>sempêche <strong>de</strong> perce<strong>voir</strong> le mon<strong>de</strong> à l'endroit <strong>de</strong>votre champ visuel où était pointée la torche.Ainsi, notre <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> ne reflètepas t<strong>ou</strong>j<strong>ou</strong>rs la réalité physique du mon<strong>de</strong> quin<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>re. Mais dans la très gran<strong>de</strong> majorité<strong>de</strong>s cas, notre <strong>perception</strong> est fiable etreproduit fidèlement notre environnement.En quoi <strong>voir</strong> est un art...© E. Bastid.D'un point <strong>de</strong> vue physiologique et cognitif,la vision est une fonction sensorielle extrêmementcomplexe, et j'espère v<strong>ou</strong>s en a<strong>voir</strong>convaincu à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s différentes illusions<strong>visuelle</strong>s présentées ici. <strong>La</strong> <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> est le résultat d'apprentissages implicites,<strong>de</strong> la mémorisation <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>tes nos expériences<strong>visuelle</strong>s, <strong>de</strong>puis que n<strong>ou</strong>s avons p<strong>ou</strong>rla première fois <strong>ou</strong>vert les yeux. <strong>La</strong> <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> est une interprétation <strong>de</strong>s activitésneuronales <strong>de</strong> notre système visuel, etune interprétation <strong>de</strong> notre environnement.Elle est construite et repose sur <strong>de</strong>s prédictions,qui sont créées à <strong>par</strong>tir <strong>de</strong> nos acquis, <strong>de</strong>nos données mémorisées sur notre environnement.Au hasard <strong>de</strong> l'évolution et <strong>de</strong> la sélectionnaturelle, la vision est ap<strong>par</strong>ue, a étéconservée, améliorée, jusqu'à atteindre leniveau <strong>de</strong> perfection que l'on lui connaîtauj<strong>ou</strong>rd'hui. Elle possè<strong>de</strong> un at<strong>ou</strong>t évolutifcertain, à tel point qu'elle est, à quelquesexceptions près comme la chauve-s<strong>ou</strong>ris, unsystème sensoriel primordial chez bien <strong>de</strong>sanimaux : elle favorise la survie et la reproduction<strong>de</strong>s organismes qui l'utilisent. Ellepermet <strong>de</strong> repérer dans l'environnement <strong>de</strong> lan<strong>ou</strong>rriture, <strong>de</strong>s abris <strong>ou</strong> <strong>de</strong>s <strong>par</strong>tenairessexuels, mais aussi d'éviter les s<strong>ou</strong>rces <strong>de</strong> dangertels les prédateurs. Elle assure une i<strong>de</strong>ntificationfine <strong>de</strong>s objets environnants,notamment grâce aux prédictions, et permetaux individus <strong>de</strong> se construire une représentationdu mon<strong>de</strong> dans lequel ils vivent, p<strong>ou</strong>rinteragir rapi<strong>de</strong>ment avec leur environnement.Que ce soit p<strong>ou</strong>r la <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> <strong>ou</strong>p<strong>ou</strong>r la <strong>perception</strong> en général, il s'agit <strong>de</strong> fairele meilleur choix <strong>par</strong>mi t<strong>ou</strong>tes les prédictionsissues <strong>de</strong>s données sensorielles disponiblesdans l'environnement afin d'assurer notrepérennité.<strong>La</strong> <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> est uneconstruction.Après <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> biologie et <strong>de</strong>stravaux <strong>de</strong> recherche fondamentalevisant à comprendre le fonctionnementdu cerveau, <strong>Aurélie</strong> Massaux, jeunedocteur en neurosciences, se consacremaintenant à la médiation et lavulgarisation scientifiques. Elle collaboreen tant que médiateur au dé<strong>par</strong>tement<strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> la vie du Palais <strong>de</strong> ladéc<strong>ou</strong>verte, et travaille égalementau Centre <strong>de</strong> vulgarisation <strong>de</strong> laconnaissance à Orsay.

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