D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6 55Ouvrez les yeuxet observez le mon<strong>de</strong>qui v<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>re !Que voyez-v<strong>ou</strong>s ?Le ciel bleu et les nuages,les montagnes et la mer, la rueet ses maisons, vos semblables Homosapiens… T<strong>ou</strong>t un ensemble <strong>de</strong>formes, <strong>de</strong> c<strong>ou</strong>leurs, <strong>de</strong> tailles et<strong>de</strong> volumes variés. Voir, en ap<strong>par</strong>enceil n'y a rien <strong>de</strong> plus simple,mais p<strong>ou</strong>rtant, c'est t<strong>ou</strong>t un art…Un art <strong>de</strong> reconnaître un ami <strong>de</strong> loindans la rue, un art <strong>de</strong> distinguer unarbre à moitié masqué <strong>par</strong> la maisonsituée <strong>de</strong>vant lui, un art aussi<strong>de</strong> repérer <strong>de</strong>s objets en m<strong>ou</strong>vement,<strong>de</strong> différencier t<strong>ou</strong>tes les c<strong>ou</strong>leurs <strong>de</strong>l'arc-en-ciel, et un art <strong>de</strong> comprendrece que n<strong>ou</strong>s voyons. Commentsommes-n<strong>ou</strong>s capables <strong>de</strong> perce<strong>voir</strong>aussi rapi<strong>de</strong>ment et sans effortsap<strong>par</strong>ents t<strong>ou</strong>te cette richesse dumon<strong>de</strong> en trois dimensions (3D)qui n<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>re ? C'est la questionque se pose nombre <strong>de</strong> scientifiques.L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> la vision est un champ <strong>de</strong>recherche qui regr<strong>ou</strong>pe diverses disciplines,telles que la biologie, la psychologie, les neurosciences,l'optique, la modélisation informatique.C'est sans d<strong>ou</strong>te <strong>par</strong> ces différentesapproches complémentaires que l'on réussiraà mieux appréhen<strong>de</strong>r comment fonctionne lavision. Mais p<strong>ou</strong>r l'heure, <strong>par</strong>tons ensembleexplorer ce système sensoriel complexe, afin<strong>de</strong> comprendre étape <strong>par</strong> étape en quoi <strong>voir</strong> estun art !Au commencementétait la lumière…N<strong>ou</strong>s avons t<strong>ou</strong>s l'impression <strong>de</strong> <strong>voir</strong> t<strong>ou</strong>tessortes d'objets… mais en réalité, n<strong>ou</strong>s nevoyons que <strong>de</strong> la lumière ! En effet, la lumièrevient n<strong>ou</strong>s « taper dans l'œil <strong>»</strong> soit directement<strong>de</strong>puis sa s<strong>ou</strong>rce, là où elle a pris naissance(soleil, lampe, b<strong>ou</strong>gie…), soit après a<strong>voir</strong> rencontré<strong>de</strong> la matière. Dans ce <strong>de</strong>rnier cas, l'interaction<strong>de</strong> la lumière avec la matièrerencontrée modifie certaines <strong>de</strong> ses caractéristiques,comme <strong>par</strong> exemple sa c<strong>ou</strong>leur, sadirection <strong>de</strong> propagation, son intensité... <strong>La</strong>modification dépend <strong>de</strong> la matièrerencontrée : la lumière interagit <strong>de</strong> manièretrès différente avec l'air, un miroir, une feuilleblanche <strong>ou</strong> bien une plaque métallique. Ainsi,elle peut traverser la matière en étant très peuatténuée (cas <strong>de</strong> l'air <strong>ou</strong> du verre) <strong>ou</strong> aucontraire beauc<strong>ou</strong>p (verres colorés <strong>de</strong>slunettes <strong>de</strong> soleil) : c'est la transmission. Ellepeut aussi être renvoyée (réflexion <strong>par</strong> unmiroir, diffusion <strong>par</strong> une feuille blanche) <strong>ou</strong>bien être absorbée <strong>par</strong>tiellement (surfacecolorée) <strong>ou</strong> totalement (surface noire). De <strong>par</strong>ses caractéristiques, la lumière que n<strong>ou</strong>s percevonsn<strong>ou</strong>s renseigne sur la nature et la qualité<strong>de</strong> la matière rencontrée. À titred'exemples, il est <strong>visuelle</strong>ment facile <strong>de</strong> sa<strong>voir</strong>si une surface est métallique, en bois <strong>ou</strong> enplastique ; si une surface est lisse <strong>ou</strong> rugueuse; si elle est opaque <strong>ou</strong> trans<strong>par</strong>ente…
56© E. Bastid.<strong>La</strong> <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> utilisenos acquis.N<strong>ou</strong>s ne voyons que <strong>de</strong> la lumière (transmise,réfléchie, diffusée, absorbée), et p<strong>ou</strong>rtantn<strong>ou</strong>s voyons <strong>de</strong>s objets. Comment cettelumière perçue <strong>de</strong> façon inconsciente n<strong>ou</strong>spermet-elle <strong>de</strong> perce<strong>voir</strong> consciemment lesobjets qui n<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>rent ? C'est à la suite <strong>de</strong>snombreux traitements subis <strong>par</strong> l'informationlumineuse, réalisés au sein <strong>de</strong> notre systèmenerveux, que va naître notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong>.De l'œil au cerveau,le système visuelAvant d'abor<strong>de</strong>r la <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong>,décrivons le système nerveux visuel, d'abordanatomiquement puis fonctionnellement.Notre système visuel est composé d'unorgane sensoriel périphérique, l'œil, et <strong>de</strong>nombreuses structures centrales, situées dansle cerveau. <strong>La</strong> lumière pénètre dans notre œilet atteint la rétine qui le tapisse. Les photorécepteurs– cônes et bâtonnets – contiennent<strong>de</strong>s photopigments : ce sont eux qui, au sein<strong>de</strong> la rétine, sont sensibles à la lumière.Activés <strong>par</strong> la lumière, ces pigments vont permettreaux cônes et aux bâtonnets – après unecasca<strong>de</strong> complexe <strong>de</strong> réactions intracellulaires– <strong>de</strong> produire <strong>de</strong>s signaux électriques(les potentiels d'action), supports <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>teinformation circulant dans notre système nerveux.Cette transformation d'une informationlumineuse en une information électrique estappelée la phototransduction. Les cônes et lesbâtonnets sont reliés à d'autres cellules <strong>de</strong> larétine, qui communiquent entre elles. Lerésultat <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>s ces échanges est un messageélectrique qui chemine via les nerfs optiquesjusqu'à une structure située au centre du cerveau,le thalamus visuel, puis à <strong>par</strong>tir <strong>de</strong> cettestructure vers le cortex visuel primaire. Lesinformations <strong>visuelle</strong>s <strong>par</strong>c<strong>ou</strong>rent ensuitebien <strong>de</strong>s chemins à travers notre cerveau(fig. 1). Il existe <strong>par</strong> exemple un circuit qui<strong>par</strong>t <strong>de</strong>s yeux et atteint l'hypothalamus, structureimpliquée dans la régulation <strong>de</strong>s cycles<strong>de</strong> nos divers rythmes biologiques. Un autrecircuit, appelé système visuel accessoire, <strong>par</strong>vientà une région profon<strong>de</strong> du cerveau impliquéedans le contrôle <strong>de</strong> l'<strong>ou</strong>verture <strong>de</strong> lapupille, <strong>de</strong>s m<strong>ou</strong>vements oculaires, ainsi que<strong>de</strong>s m<strong>ou</strong>vements <strong>de</strong> la tête. Ainsi, <strong>voir</strong> ne sollicitepas uniquement nos yeux, mais nécessite<strong>de</strong> nombreuses structures distribuées ausein du cerveau.Le cerveau n'est pas seul à analyser lesinformations lumineuses, la rétine le faitaussi. On assimile s<strong>ou</strong>vent à tort la rétine àune pellicule photographique alors qu'elle faitbien plus que simplement capter la lumière.À <strong>par</strong>tir <strong>de</strong>s variations d'éclairement en différentspoints <strong>de</strong> la rétine naît un message électriqueà <strong>de</strong>stination <strong>de</strong>s étages suivants. Cemessage contient déjà <strong>de</strong>s informations sur lac<strong>ou</strong>leur <strong>de</strong>s objets, sur leur forme, sur leurm<strong>ou</strong>vement et sur les contrastes entre lesobjets. En fait, à chaque étage du systèmevisuel s'effectue un traitement <strong>de</strong> l'informationlumineuse, qui est <strong>de</strong> plus en plus complexeà mesure que l'on se rapproche <strong>de</strong>sétages supérieurs. C'est <strong>par</strong> exemple auniveau du cortex cérébral que l'on tr<strong>ou</strong>ve p<strong>ou</strong>rla première fois <strong>de</strong>s cellules qui sont sensiblesà l'orientation d'un objet dans l'espace,<strong>ou</strong> à la direction <strong>de</strong> leur m<strong>ou</strong>vement. Maisplus important encore, les informations lumineusestraitées à chaque étage sont ségréguées: elles sont sé<strong>par</strong>ées en <strong>de</strong>ux canaux,dès la rétine et jusqu'aux <strong>de</strong>rniers étages dusystème. Le premier canal est spécialisé dansla reconnaissance détaillée <strong>de</strong>s objets en traitantles informations <strong>de</strong> forme et <strong>de</strong> c<strong>ou</strong>leur ;le second est spécialisé dans l'analyse dum<strong>ou</strong>vement <strong>de</strong>s objets en traitant les informations<strong>de</strong> contraste et <strong>de</strong> m<strong>ou</strong>vement.Ainsi, la lumière provenant <strong>de</strong>s objets quin<strong>ou</strong>s ent<strong>ou</strong>rent est captée <strong>par</strong> notre rétine etanalysée jusqu'aux <strong>de</strong>rniers étages <strong>de</strong> notresystème visuel, afin d'extraire t<strong>ou</strong>tes les