D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 663lisons notre attention sur la déc<strong>ou</strong>verte <strong>de</strong>l'autre interprétation. En effet, si l'on v<strong>ou</strong>savait présenté ces figures ambiguës sans v<strong>ou</strong>sdire que v<strong>ou</strong>s p<strong>ou</strong>viez y <strong>voir</strong> autre chose quevotre première <strong>perception</strong>, sans d<strong>ou</strong>te n'auriez-v<strong>ou</strong>sperçu qu'une seule et unique interprétation.Preuve que la consigne influencenotre <strong>perception</strong> dans les tests psychologiques.Existe-il un corrélat expérimental <strong>de</strong> cesthéories <strong>de</strong> la bistabilité ? P<strong>ou</strong>r l'heure, lesétu<strong>de</strong>s menées chez l'Homme, en utilisant latechnique d'électroencéphalographie, ont permis<strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce une synchronisationd'un type précis d'on<strong>de</strong>s cérébrales, leson<strong>de</strong>s gamma, en divers sites du cuir chevelu,lorsque ce phénomène <strong>de</strong> bistabilité a lieu.Mais il est encore trop tôt p<strong>ou</strong>r confirmerquelque théorie que ce soit ; <strong>de</strong>s expériencesdoivent encore être menées sur ce sujet.L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces figures ambiguës n<strong>ou</strong>smontre que le système visuel peut interpréter<strong>de</strong> plusieurs façons le mon<strong>de</strong> qui n<strong>ou</strong>sent<strong>ou</strong>re, et passer spontanément d'une interprétationà une autre. <strong>La</strong> <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong>est donc bien un processus interprétatif.Les illusions <strong>de</strong> complétionLes illusions <strong>visuelle</strong>s <strong>de</strong> complétion ontFIGURE 7Le triangle <strong>de</strong> Kanizsa.Cette figure illustre le phénomène <strong>de</strong> complétion.Le cerveau n<strong>ou</strong>s fait perce<strong>voir</strong> un trianglequi n'existe pas !© Gaetano Kanizsa, 1955/Rivista di Psicologia.FIGURE 8Phénomène <strong>de</strong> complétion.Que percevez-v<strong>ou</strong>s dans ce méli-mélo<strong>de</strong> formes ? © Ebullioscope.quelque chose <strong>de</strong> spécial. Sur la figure 7,v<strong>ou</strong>s percevez spontanément un triangleblanc au centre alors que cette image necontient en réalité que trois cercles noirs. Deplus, une fois que v<strong>ou</strong>s percevez <strong>de</strong> façonclaire ce triangle blanc, v<strong>ou</strong>s avez l'impressionqu'il occulte <strong>par</strong>tiellement les cercles.Cette figure, inventée <strong>par</strong> Kanizsa dans lesannées 1950, représente <strong>de</strong>s cont<strong>ou</strong>rs illusoireset fait aussi intervenir une occlusiond'objets. Les figures 8 et 9 illustrent une autreforme <strong>de</strong> complétion. Alors que la lecture estdifficile sur la figure 8, l'aj<strong>ou</strong>t d'une simpletâche d'encre permet <strong>de</strong> comprendre les mots(fig. 9). Que signifient donc ces illusionsstupéfiantes ? Les illusions <strong>de</strong> cont<strong>ou</strong>rs (aussiappelés cont<strong>ou</strong>rs subjectifs) sont connues<strong>de</strong>puis le début du XX e siècle, mais Kanizsaproposa d'étonnantes explications <strong>de</strong>s phénomènesmis en jeu. Le phénomène qui intervientdans ces illusions est la complétion.Elle ne s'applique pas uniquement dans lesillusions inventées <strong>par</strong> <strong>de</strong>s psychologues :elle est aussi présente dans notre vie <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>sles j<strong>ou</strong>rs.N<strong>ou</strong>s voyons rarement les objets <strong>de</strong> notreenvironnement dans leur intégralité car ilssont s<strong>ou</strong>vent à moitié cachés <strong>par</strong> d'autres. <strong>La</strong>maison, qui occulte <strong>par</strong>tiellement l'arbre <strong>de</strong>rrièreelle, v<strong>ou</strong>s empêche-t-elle <strong>de</strong> le perce<strong>voir</strong>dans son intégralité ? <strong>La</strong> réponse est t<strong>ou</strong>tsimplement non. Notre système visuelperçoit <strong>de</strong> façon automatique notre environnementcomme un t<strong>ou</strong>t, alors qu'il n'estjamais visible dans son intégralité, s<strong>ou</strong>ventcomposé d'objets <strong>ou</strong> <strong>de</strong> surfaces <strong>par</strong>tielle-
64D É C O U V E R T E N ° 3 4 1 O C T O B R E 2 0 0 6FIGURE 9Une tâche d'encre répandue <strong>par</strong>tiellement surce méli-mélo <strong>de</strong> formes v<strong>ou</strong>s révèle trois mots,les avez-v<strong>ou</strong>s reconnus ?Le phénomène <strong>de</strong> complétion v<strong>ou</strong>s a permis<strong>de</strong> les <strong>de</strong>viner. Un indice : l'Europe v<strong>ou</strong>s salue !© Ebullioscope.ment occultés. Cela implique que notresystème visuel émette <strong>de</strong>s hypothèses, <strong>de</strong>sprédictions sur ce qui se cache <strong>de</strong>rrière cesobjets occultés. En effet, sans cesse n<strong>ou</strong>sémettons inconsciemment <strong>de</strong>s hypothèses surce que n<strong>ou</strong>s voyons, et dans la majorité <strong>de</strong>scas, les prédictions faites <strong>par</strong> le système visuelsont exactes. Sur quoi ce <strong>de</strong>rnier se fon<strong>de</strong>-t-ilp<strong>ou</strong>r émettre <strong>de</strong> telles prédictions ? Plusieursthéories ont été formulées, mais les <strong>de</strong>ux principalessont les suivantes. T<strong>ou</strong>t d'abord, n<strong>ou</strong>scompléterions les objets occultés en utilisantt<strong>ou</strong>tes les informations disponibles dans notremémoire sur notre environnement et sesobjets, afin <strong>de</strong> retr<strong>ou</strong>ver l'objet qui correspondle mieux aux informations incomplètes misesà notre disposition. C'est la théorie <strong>de</strong> la familiarité.Ensuite, n<strong>ou</strong>s compléterions les objetsoccultés <strong>de</strong> façon à perce<strong>voir</strong> les choses lesplus simples possibles. Il s'agit <strong>de</strong> la théorie<strong>de</strong> la simplicité. Mais savons-n<strong>ou</strong>s exactementce qui se passe dans notre système nerveuxpendant ce phénomène <strong>de</strong> complétion ?Rien n'est moins sûr ! P<strong>ou</strong>r l'instant, les scientifiquesont déc<strong>ou</strong>vert chez l'animal <strong>de</strong>s cellulessituées dans les cortex visuels primaireet secondaire répondant à la présence <strong>de</strong>cont<strong>ou</strong>rs illusoires. Des étu<strong>de</strong>s chez l'Hommeen imagerie <strong>par</strong> résonance magnétique fonctionnelle(IRMf) ont aussi montré une activation<strong>de</strong> ces zones, ainsi que <strong>de</strong> régionsvoisines spécifiques lors <strong>de</strong> la présentation <strong>de</strong>cont<strong>ou</strong>rs illusoires. Mais n<strong>ou</strong>s sommes encorebien loin <strong>de</strong> comprendre les mécanismes neuronauxs<strong>ou</strong>s-tendant la complétion.Les illusions <strong>de</strong> complétion n<strong>ou</strong>s montrent àquel point notre <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> estinfluencée <strong>par</strong> nos acquis. Notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> fonctionne <strong>par</strong> prédictions. Celles-làreposent sur les connaissances que n<strong>ou</strong>s avons<strong>de</strong>s objets, en termes d'attributs (forme, c<strong>ou</strong>leur,distance, m<strong>ou</strong>vement…) mais aussi entermes <strong>de</strong> signification et <strong>de</strong> fonction. Unchêne est reconnu comme tel car n<strong>ou</strong>s distinguonsses caractéristiques propres <strong>de</strong> taille, <strong>de</strong>c<strong>ou</strong>leur, <strong>de</strong> forme <strong>de</strong>s feuilles et <strong>de</strong>s glands,mais aussi car n<strong>ou</strong>s avons appris qu'il ap<strong>par</strong>tientà la catégorie <strong>de</strong>s arbres, et qu'il peutn<strong>ou</strong>s chauffer l'hiver <strong>ou</strong> n<strong>ou</strong>s offrir <strong>de</strong> l'ombres<strong>ou</strong>s un soleil <strong>de</strong> plomb. <strong>La</strong> prédiction quip<strong>ou</strong>rra être faite sur lui tient compte <strong>de</strong> t<strong>ou</strong>sces éléments. S'y aj<strong>ou</strong>te aussi une autredimension liée à nos actions : notre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> est influencée <strong>par</strong> notre état cognitifdu moment. Un lion affamé aura plus tendanceà repérer le zèbre dissimulé <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>sbranchages qu'un lion repu.<strong>La</strong> <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong>est-elle véridique ?Il reste une propriété <strong>de</strong> la <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> que n<strong>ou</strong>s n'avons pas encoreabordée… <strong>La</strong> <strong>perception</strong> <strong>visuelle</strong> reflète-ellela réalité, est-elle véridique ? Prenons unexemple : si v<strong>ou</strong>s entrez dans une salle <strong>de</strong>cinéma après v<strong>ou</strong>s être prélassé au soleil d'unebelle après-midi d'été, v<strong>ou</strong>s n'allez pas <strong>voir</strong>grand-chose ! Mais progressivement, v<strong>ou</strong>sallez commencer à distinguer les sièges, l'écranet les autres spectateurs jusqu'à a<strong>voir</strong> unevision précise <strong>de</strong> cette salle. En fait, votre <strong>perception</strong><strong>visuelle</strong> change au fur et à mesurequ'elle s'adapte à <strong>de</strong>s conditions <strong>par</strong>ticulières.Dans ce cas précis, il se produit une adaptationà l'obscurité : vos photorécepteurs quiétaient saturés <strong>de</strong> lumière au soleil n'ont paspu capter t<strong>ou</strong>t <strong>de</strong> suite les photons présents enpetit nombre dans cette salle obscure. Il leur a