Dossier - Till R. Kuhnle
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<strong>Dossier</strong><br />
participation n’est point en contradiction avec son intérêt pour le cinéma, notamment<br />
pour un cinéma défini à partir des principes qui lui sont propres. Et il aurait<br />
certainement souscrit à Elie Faure constatant cette étonnante coïncidence que le<br />
cinématographe et la découverte des arts dits primitifs venaient en même temps<br />
„bouleverser nos notions esthétiques les plus arrêtées, et par suite éveiller le doute<br />
dans nos âmes et l’angoisse dans nos cœurs“. 32<br />
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*<br />
Face à une situation „qui semble nous situer au plein milieu de l’Apocalypse de<br />
Jean“, 33 Fondane s’en prend à une philosophie de l’Histoire cherchant à sceller le<br />
triomphe de la Raison: „Une telle vue, écrit-il dans son article L’Homme devant<br />
l’histoire de 1939, est à l’origine des maux les plus importants qui affligent le<br />
monde moderne“, 34 Par ce constat, il anticipe, en quelque sorte, La Dialectique de<br />
la Raison de Theodor W. Adorno et de Max Horkheimer, texte fondateur de l’Ecole<br />
de Francfort qu’il dépasse pourtant en lucidité: „Vous voyez bien que, aussi ‘barbare’<br />
qu’il soit, M. Hitler est non seulement raisonnable, mais qu’il est la Raison<br />
même enfin sincère, cette raison qui, bien avant le dictateur allemand, avait été<br />
gênée que le Christ fût mort ‘en pleurnichant’ et qui fut si heureuse lorsque Jean<br />
[19, 16-30] s’avisa de le faire mourir noblement, en le faisant crier à l’instar de Planetta:<br />
‘Heil Jéhova! Tout est accompli!’“. 35 Face à cette situation, il faut se révolter,<br />
il faut se défendre, mais point au nom d’une idée puisque l’Idée a engendré<br />
l’abjection du national-socialisme. Ainsi, L’Homme devant l’Histoire finit sur la critique<br />
d’une modernité tournée exclusivement vers le progrès scientifique où<br />
l’homme demande à la physique de répondre aux questions existentielles: „Celui<br />
qui a besoin de ces réponses, et coûte que coûte (ne s’inclinant pas devant<br />
l’inévitable), continuera à les exiger et dût-on les lui donner sous des espèces auxquelles<br />
sa raison d’homme répugne; mais quand il a échoué partout, ce n’est plus<br />
à l’homme de poser des conditions“. 36 Ce sont les paroles d’un irrésigné face au<br />
gouffre que la modernité ne cesse de creuser!<br />
A la manière de Walter Benjamin, Fondane se sert de Charles Baudelaire afin<br />
d’illustrer cette modernité dévastatrice (cf. la contribution d’I. Pop-Curşeu). En<br />
revanche, il ne partage pas le matérialisme dialectique du philosophe allemand –<br />
tout en partageant le même espoir. Dans son livre Baudelaire et l’expérience du<br />
gouffre, 37 c’est à travers Kafka que devient sensible l’unique espoir de l’irrésigné:<br />
l’espoir messianique (Cf. la contribution de J. David). 38 Et c’est à Kafka que Fondane<br />
empruntera la devise – citée au début de cette introduction – pour Le Lundi<br />
existentiel et le Dimanche de l’Histoire.<br />
Malgré la reprise des thèmes récurrents d’une pensée profondément ancrée<br />
dans le judaïsme, ce texte surprenant n’est point le testament philosophique d’une<br />
victime de la Shoah, mais il propose une défense et illustration de la pensée existentielle<br />
contre toute philosophia perennis et universalis. Or, l’homme cherche – tel<br />
est son paradoxe – à se soumettre à ce qui est non seulement fait pour lui, mais