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Mise en page 1 - Algérie news quotidien national d'information

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Lég<strong>en</strong>des et personnagesUn mari pour Fatma (3 e partie)Goussem était plus radine etplus cupide que son père etcelui-ci <strong>en</strong> la vénérait <strong>en</strong>coreplus. Ce n’était plus jamaisLala Rahma qui donnait lesordres à Aouda, originaire des terres sahéli<strong>en</strong>nesdu Ténéré, récupérée par Ess<strong>en</strong>diquand elle avait à peine une douzaine d’années,desc<strong>en</strong>dant du pont d’un grand navirequi v<strong>en</strong>ait de Port Soudan, mais sa filleaînée, Aouda était « el khadem » de ladouera qui s’occupait de l’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> intégralde tout, depuis le système de bascule de laporte d’<strong>en</strong>trée de la maison, <strong>en</strong> bas, jusqu’àla mise <strong>en</strong> ordre du moindre détail dans lacour supérieure de la terrasse, <strong>en</strong> haut. Lesplus puissants maîtres de la citadelle <strong>en</strong>dét<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t au moins deux khadem mais decrainte d’<strong>en</strong> faire nourrir plus d’une,Ess<strong>en</strong>di s’<strong>en</strong> crût se suffire de la seule Aoudaet Goussem s’<strong>en</strong> servait comme de quatre.Elle lui faisait m<strong>en</strong>er l’exist<strong>en</strong>ce de l’<strong>en</strong>fer,de la prière de l’aube jusqu’à celle du crépuscule,sans jamais la laisser souffler pourrepr<strong>en</strong>dre une cad<strong>en</strong>ce normale de respirationet de battem<strong>en</strong>t de cœur. Ce qui n’eutjamais plu à sa génitrice qui n’avait pas laforce ni le courage d’affronter son époux, <strong>en</strong>perpétuelle acrobatie m<strong>en</strong>tale pour ne pasperdre un sourdi. Pour lui tant qu’elle mangeait,se lavait, s’habillait et dormait, elledevait travailler et ne p<strong>en</strong>ser qu’à travaillerparce qu’elle était à Dar Ess<strong>en</strong>di uniquem<strong>en</strong>tpour çà !Fatma avait plus que de la simple pitiépour la malheureuse Aouda mais de la compassioninnée parce qu’elle l’aimait commeune sœur, comme une vraie sœur qu’ell<strong>en</strong>’eût jamais eue <strong>en</strong> la personne deGoussem. En secret, elle s’adonnait à destâches, parfois très pénibles pour son âge,qu’elle laissait accroire que ce fut el khademqui les eût exécutées. Lala Rahma, dans laperman<strong>en</strong>te angoisse et le désarroi de soninaptitude à réagir, ne faisait que prier etméditer p<strong>en</strong>dant que le père et sa fille aîné<strong>en</strong>e sortai<strong>en</strong>t pas du tourbillon de la cupiditéaveugle et sourde à toute velléité inhér<strong>en</strong>te àla simplicité humaine et du monde humbleet serein jusqu’à ne pas faire att<strong>en</strong>tion àl’évolution de la seconde et dernière née,Fatma l’effacée qui n’allait pas tarder àdev<strong>en</strong>ir, sous très peu «Fatma la grimée»,(Fatma el Maakra)…Personne ne se r<strong>en</strong>dit compte, sinonAouda malgré son herculé<strong>en</strong>ne charge et unpeu aussi sa maman quasim<strong>en</strong>t prostrée,que Fatma était déjà une beauté respl<strong>en</strong>dissante.Ce ne fut que quelque temps plus tard,presque par hasard, à l’approche de sapuberté, un matin tôt, p<strong>en</strong>dant qu’Ess<strong>en</strong>dise préparait pour un long voyage de négoceet que Fatma était à côté de Aouda dans laterrasse <strong>en</strong> train de s’occuper d’une volièrede serins et que la lumière du jour naissantbaignait le ciel et les visages de sa t<strong>en</strong>drelueur estivale, que l’invétéré rapiat remarquala joliesse de sa fille <strong>en</strong> lui faisant lereproche d’accomplir la besogne de Aouda.Fatma avait souri et lui avait réponduqu’elle eût eu du plaisir à le faire parcequ’elle adorait les oiseaux chanteurs. L’avarelui rétorqua la r<strong>en</strong>gaine qu’el khadem étaitnourrie, lavée, vêtue, couchée, et, cette fois,il ajouta « vécue », pour bi<strong>en</strong> le faire sansl’aide de personne. Mais Fatma avait <strong>en</strong>coresouri sans répondre. Depuis sa toute petite<strong>en</strong>fance, à chaque fois qu’elle souriait à sonpère, au fond d’elle-même quelque chose lafaisait, <strong>en</strong> réalité, rire de lui.Au mom<strong>en</strong>t où le commis arriva pourpr<strong>en</strong>dre les bagages du maître afin de leconduire au-devant de son carrosse,Ess<strong>en</strong>di fixa pour une dernière fois, avantde partir, l’impeccable sourire de sa cadettepour l’emporter avec lui. Il ne se le fit pasaffublé par le réflexe filial d’un être normalPersonne ne se r<strong>en</strong>ditcompte, sinon Aoudamalgré son herculé<strong>en</strong>necharge et un peu aussi samaman quasim<strong>en</strong>tprostrée, que Fatma étaitdéjà une beautérespl<strong>en</strong>dissante.allant pour assez longtemps ne pas voir tousles jours la belle créature qui était sa chair etson sang, non, il mit le sourire dans uneespèce de tiroir de bonnes affaires pot<strong>en</strong>tiellesà traiter au mom<strong>en</strong>t propice. Mais il serappela soudain, le regard du commis qu’ileût déjà remarqué à plusieurs reprises dirigéavec intéressem<strong>en</strong>t sur Fatma. Son trèsjeune dévoué était orphelin et ne se lassaitjamais au labeur pour subv<strong>en</strong>ir aux besoinsde sa maman souffrante et de ses deuxpetits frères et s?ur, avec l’espoir d’épargnerun peu de subside afin de pr<strong>en</strong>dre épouse età chaque fois qu’il v<strong>en</strong>ait à la douer pour lanécessité des obligations d’ouvrage, il neratait jamais une occasion, bi<strong>en</strong> respectueuse,de remplir ses yeux par le charmemagnétique de la fille cadette de sidiMustapha, son maître.Ess<strong>en</strong>di était au courant que son dévouévoulait se marier et que le fait qu’il eût euune ?illade traînante sur sa fille n’était paspour lui l’ess<strong>en</strong>tiel. Le plus important ce futqu’il <strong>en</strong> vînt <strong>en</strong> même temps à sa mercantilemémoire le souv<strong>en</strong>ir d’une vieille connaissance,les rênes <strong>en</strong>core dans les mains juste<strong>en</strong> approchant Bab Dzira. Et ce fut déjà làqu’il ouvrit le tiroir à peine fermé. La vieilleconnaissance <strong>en</strong> question était HasanKudur Barzatuni, un richissime orfèvred’Izmir qui possédait aussi d’imm<strong>en</strong>sesintérêts sur des embarcadères dans le grandport ottoman. Il <strong>en</strong> souvint alors aussitôt àEss<strong>en</strong>di que Barzatuni eût un héritier àmarier. Et que le richissime izmiri voulait laplus belle vierge pour son fils et le dignitairede la Citadelle, immédiatem<strong>en</strong>t, p<strong>en</strong>sa quela fascinante Fatma ne pouvait ne pas fairel’affaire ! D’autant que son illustrissimerelation lui avait récemm<strong>en</strong>t précisé saméfiance pour les trop jolies chastes fillesd’Izmir quel qu’eût été leur rang. Et sapetite Fatma, belle, généreuse et discrète, lafille de son sang et de ses espérances, n’étaitellepas la candidate qasbaouia pure souche,pure lignée ? Et pourquoi donc, alors, lesportes d’Izmir ne s’ouvrirai<strong>en</strong>t-elles pas <strong>en</strong>même temps pour sidi Mustapha le sourdiet tout de suite après celle de la Sublimeporte et les f<strong>en</strong>êtres du Paradis ?Mais ce jour-là, Ess<strong>en</strong>di devait embarquerpour la Sicile et il y resterait tout unmois pour négocier une importante <strong>en</strong>treprisede précieuse transaction <strong>en</strong> produitsde soie et coton devant arrivés par la Chineou par les Indes, il n’<strong>en</strong> savait pas exactem<strong>en</strong>tpour l’heure. Toutefois, Barzatunidét<strong>en</strong>ait un comptoir dans la péninsule et ilserait facile à sidi Mustapha, le sourdi, de luifaire parv<strong>en</strong>ir un message à partir des proprespigeonniers de l’orfèvre ottoman, installésà proximité du comptoir.P<strong>en</strong>dant toute son abs<strong>en</strong>ce, Goussemfaisait la loi à Dar Ess<strong>en</strong>di. Lala Rahma avaittout juste le droit de toucher furtivem<strong>en</strong>tFatma, de l’embrasser à la sauvette et d’essayerde lui dire, <strong>en</strong>tre deux portes ou deuxmarches, des mots d’affection parce quesachant que sa fille aînée ne manqueraaucune chance de la mépriser <strong>en</strong> sonabs<strong>en</strong>ce parce qu’il ne fallait pas qu’ellemontrât à sa mère le moindre signe dejalousie morbide. Goussem était aussi habitéepar cet autre vice, la fierté arrogante. Ellecultivait la jalousie pour Fatma d’unemanière sournoise, parfois cynique. Elle nela lui manifestait pas d’une façon directe,frontale. Elle lui causait du mal et de lasouffrance par personnes ou objets interposés.Goussem était telle la sombre gardi<strong>en</strong>neà avoir toute la sci<strong>en</strong>ce apte à épier, guetteret scruter. Elle n’ignorait ri<strong>en</strong> de ce que faisaitsa jeune sœur, surtout pour aider elkhadem. Et ainsi, elle surchargeait celle-cipour faire doublem<strong>en</strong>t pâtir celle-là. Elle latouchait même par l’intermédiaire de lamère, d’une manière démoniaque <strong>en</strong> racontantdes m<strong>en</strong>songes à son père quand ilrev<strong>en</strong>ait à la maison, surtout <strong>en</strong> fin de journéefatigué - et elle analysait ses premierscomportem<strong>en</strong>ts pour voir s’il avait étécontrarié dehors, donc prêt à s’emporterfacilem<strong>en</strong>t- au mom<strong>en</strong>t où il terminait delaver ses pieds pour mettre ses babouches<strong>en</strong> peau de chamelle et s’apprêter à rejoindreel m<strong>en</strong>zeh, elle incriminait, par exemple,Lala Rahma au sujet d’une porcelaineracée brisée par mégarde et jetée <strong>en</strong> secretparmi les immondices du quartier, derrièrele petit rond-point desc<strong>en</strong>dant la ruelle oùse regroupe la file asini<strong>en</strong>ne avant le ramassage,ou alors pour quelques morceaux deviandes donnés aux chats de gouttière. Elleamplifiait la délation fabulatrice d’unefaçon si convaincante et pernicieuse qu’ellelui disait tout de suite après que Fatma nefût pas au courant, car auquel cas, parcequ’adorant sa mère plus que tout autre à ladouera, elle pr<strong>en</strong>drait le dégât pour elle.Aussitôt, le maître de la douera, gonflé àbloc, il chercherait une diversion accusatricepour faire passer un infernal quartd’heure à la pauvre innoc<strong>en</strong>te, sous leregard torturé de Fatma.A chaque fois qu’il quittait la maison,même pour l’abs<strong>en</strong>ce d’une nuit, le sinistreet cupide négociant disait : «Voilà Ess<strong>en</strong>diqui me remplace !», <strong>en</strong> montrant du regardsa très laide héritière. Mais pour cette longueabs<strong>en</strong>ce, il ordonna aussi que ce fûtGoussem qui dirigeât les prières à sa place,le canon musulman malékite permettant,dans des cas extrêmes, que les femmes puiss<strong>en</strong>taccomplir la prière collective <strong>en</strong>tre ellesmais toujours dans le sil<strong>en</strong>ce sol<strong>en</strong>nel.Ce fut l’occasion, alors, pour que lavilaine prît un malin plaisir à faire durer lerituel <strong>en</strong> s’accordant les versets les pluslongs. Elle ress<strong>en</strong>tait une incomm<strong>en</strong>surablejouissance à ret<strong>en</strong>ir debout éreintée toute lafamille, Aouda y compris, <strong>en</strong> respect, cinqfois par jour, une bonne demi-heure parséance de devoir. Déjà avant la prière ducrépuscule, el maghreb, la malheureuseAouda avait à peine la force d’<strong>en</strong>jamber laplus petite des marches ou de soulever leplus frêle des bidons. Ce jour-là, dès ledépart du maître et jusqu’à l’appel à laprière de l’après-midi (el asr), Aouda avaitraclé <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t la terrasse - la khaïma, lamansarde, les cabinets et les deux cours avecl’<strong>en</strong>treti<strong>en</strong> des plantes, pied par pied. Lavéet rangé toutes les structures et les élém<strong>en</strong>tsdu fouqani, les deux escaliers avec ledépoussiérage des objets dans les placards,le nettoyage intégral du ouest eddar et, àune souv<strong>en</strong>ance subite, Goussem ordonnala repeinte de la chambre d’amis et de labuanderie à la chaux. Elle décida aussi de lefaire faire pour la «nos ghorfa» de sa sœurmais Fatma intercéda <strong>en</strong> simulant une forte<strong>en</strong>vie de faire une sieste de reprise de force -jusqu’à s’évanouir au seuil sur les marches.Goussem comprit le jeu protectionniste et<strong>en</strong>registra l’affront.Goussem avait préparé une dholma(légumes de saison farcis, pois chiches etsauce blanche persillée au veau, patates,courgettes et tomates). Elle avait pour celafait subir le calvaire à Aouda pour le hachisde la viande. A chaque effort de lacérationconcis et répété elle lui faisait r<strong>en</strong>ouveler lamanœuvre.N. B.

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