Arman - Vicky David Gallery
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qui est désormais installé aux États-Unis a une vision plus large d’une prise de possession du territoire<br />
artistique par ses propres moyens.<br />
Dans une de ses lettres à Eliane, envoyée au cours de l’année 1959, <strong>Arman</strong> commente ainsi un grand<br />
Cachet: «il est un peu moins cachet que les autres et un peu plus […] propositions picturales concrètes 10 ».<br />
Conséquence de la maïeutique évoquée au début de ce texte, <strong>Arman</strong> réalise à cette époque des compositions<br />
de très grands formats, qui commencent à lui apporter un succès d’estime et ses premiers revenus.<br />
La terminologie de «propositions picturales concrètes» employée par <strong>Arman</strong> est directement empruntée<br />
à l’univers de la musique concrète de Pierre Schaeffer, créateur du Groupe de recherches musicales (GRM).<br />
<strong>Arman</strong> et Éliane Radigue sont en contact avec Schaeffer depuis l’année 1957. Si <strong>Arman</strong> évoque déjà<br />
cet univers concret à propos des Cachets, la rencontre et les échanges avec ce milieu, la problématique<br />
de l’objet sonore, va initier une nouvelle typologie d’œuvres, une nouvelle praxis, les Allures d’objets dès<br />
l’année 1958 et une avancée personnelle d’<strong>Arman</strong> dans la sphère de l’objet.<br />
Les Allures orchestrent une calligraphie de l’objet soumis à l’organisation volontaire de l’artiste. L’objet roule,<br />
effleure, griffe, frôle, pivote ou tournoie sur le papier ou la surface de la toile. L’Allure d’objet n’est pas une<br />
empreinte à proprement parler, résultant d’un estampage de la surface comme l’avaient été les Cachets<br />
ou comme le seront les Lyrical Surfaces réalisées en 1974 par contacts répétés de l’objet à même la surface<br />
du papier, mais l’orchestration d’un déplacement spatial et temporel de l’objet sur une surface – <strong>Arman</strong><br />
emploiera le terme «catalyse» – et dont l’artiste «recueille» sur le papier, la graphie. <strong>Arman</strong> porte<br />
d’immenses espoirs sur ce champ d’investigations, écrivant toujours à Éliane : « J’ai vraiment ici un territoire<br />
immense. Christophe Colomb découvrant l’Amérique c’est de la petite bière 11 ». Il explicitera au début de<br />
l’année 1960, dans un texte demeuré inédit, sa démarche des Cachets et des Allures, qu’il place sous l’aspect<br />
anthropologique : « L’homme a sculpté le propulseur en os, maintenant à chaque jet l’image de l’élan devra<br />
rejoindre sa démarcation vivante et supporter de la nourriture. Sur les grottes les mains sont des pochoirs<br />
magiques. La prise de possession et l’exorcisme sont les buts d’un art qui a son terrain de chasse et ses<br />
armes adaptées à chaque époque; qu’il s’agisse d’une lourde nature morte ou du portrait de l’infante le<br />
chemin est identique, maintenant à l’époque H les éclaireurs, l’œil aux aguets rabattent les matériaux dont<br />
nous nous nourrirons, la bataille se situe dans l’inconscient, dans les objets, dans les mondes inanimés,<br />
mécaniques, et ceux que nous animerons d’un geste, d’une lancée précise et somptueuse 12 ». Cette sémantique<br />
du propulseur ou de la lancée fait référence à la condition de l’homme-chasseur, dont les avatars contemporains<br />
seraient certaines pratiques sportives basées sur des trajectoires ; ces dernières mettent en jeu un contrôle<br />
corporel, où chaque muscle du corps a pour mission une maitrise de la trajectoire idéale de l’objet à envoyer<br />
dans l’espace. « Le destin de l’objet s’inscrit entre deux séries de piliers extrêmement conscients, de l’instant<br />
du choix à celui de la projection 13 », écrira Restany pour l’exposition des Allures d’<strong>Arman</strong> à la galerie<br />
Saint-Germain en 1960. À propos de ces Allures, Sacha Sosnowsky (dit Sosno) ou Pierre Restany emploieront<br />
de manière récurrente le terme de «projection» des objets: «<strong>Arman</strong>, une projection, puisque projeté et<br />
projeté 14 » écrira le premier sur un mode itératif, accumulatif même, faisant vraisemblablement allusion<br />
à la technique du nage waza dans les arts martiaux, technique d’équilibre et de détournement de l’énergie<br />
de l’adversaire à son profit. Le terme est celui de l’époque: il renvoie également au tachisme de Georges<br />
Mathieu 15 , à la musique – «Tout objet a un potentiel de conscience dont la volonté est la projection<br />
de son image 16 », écrira Luc Ferrari –, au cinéma bien évidemment. Restany évoque l’intention de l’artiste<br />
mais aussi l’autonomie de l’objet au cours d’une Allure 17 . <strong>Arman</strong> s’inscrit dans la grande problématique<br />
duchampienne de l’utilisation intentionnelle du hasard, mais, pour paraphraser Pontus Hulten à propos<br />
de Tinguely, il ne s’agit pas d’un hasard en conserve, mais bien d’un hasard en action 18 .<br />
Ces Allures partagent avec le dripping pollockien d’être les «impulsions d’une énergie sans corps 19 …»,<br />
telles que les décrivait Michael Fried à propos de Pollock. En effet <strong>Arman</strong> lâche l’objet, lui donne son<br />
autonomie dès le départ de sa trajectoire et pendant toute la période du contact avec la toile ou le papier.<br />
L’engagement du corps ne va pas au-delà de la préparation de l’Allure.<br />
Qu’ont apporté les recherches de Schaeffer dans le lent développement d’<strong>Arman</strong> autour de l’objet?<br />
La théorie de Schaeffer argue d’un principe d’autonomie de l’objet: «C’est l’objet […] qui a quelque chose<br />
à nous dire si nous savons le lui faire dire 20 ». Nous venons de voir ce que le principe d’autonomie signifie<br />
quant à l’engagement de l’artiste dans l’Allure. L’objet sonore, dont la traduction cinématographique sera<br />
le principe d’objet animé, pourrait rapidement résumer par la perception des structures de l’objet dans le<br />
temps avec ses variations (Schaeffer et <strong>Arman</strong> parleront d’anamorphoses), son «entretien», son rythme<br />
interne. Cette réflexion sur des états différents de l’objet amènera Schaeffer à la pensée phénoménologique<br />
d’Husserl, où la réalité de l’objet n’est plus dans sa perception unitaire et immédiate mais dans une série<br />
de différentes approches: «Nous tendons vers un pôle d’identité immanent aux vécus particuliers