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Arman - Vicky David Gallery

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à une situation de multiplication et de blocage dans un volume donné 28 . C’est le principe inversé de<br />

celui de l’Allure, où l’objet était dans une configuration d’expansion spatiale, et le retour aux compositions<br />

all over initiées avec les grands Cachets.<br />

À Otto Hahn qui comparant la violence du gutai à la sienne, <strong>Arman</strong> répondit: «Moi le geste m’a conduit<br />

vers l’objet: ayant brisé une soucoupe sur la toile, j’en ai gardé les morceaux et les ai collés dans l’œuvre.<br />

Je suis entré dans la logique de l’objet. J’en utilisais de toutes sortes et j’avais des tiroirs plein de rouages<br />

et de lampes de radio. Un jour, en 1959, j’ai considéré qu’un tiroir plein de lampes était une œuvre<br />

complète. J’ai fixé un rhodoïd dessus, j’ai peint les côtés en noir et je l’ai montré tel quel. C’était ma<br />

première Accumulation 29 ».<br />

Cependant, présenter l’Accumulation et la Poubelle comme des découvertes, avec leur soudaineté, c’est<br />

oublier un effet de superposition des diverses procédures chez <strong>Arman</strong>, et les origines plus profondes qui<br />

ont prévalu. Les grands Cachets sont déjà en soi des Accumulations graphiques. L’artiste a par ailleurs<br />

explicité, à juste titre, que l’univers de l’Accumulation était un univers latent depuis son enfance et dont<br />

l’origine est le principe de collection, un atavisme familial avec une grand-mère conservant les bouchons<br />

et un père possédant des magasins de meubles à Nice, où <strong>Arman</strong> lui-même travailla pendant près de huit<br />

années de sa vie. À la manière d’un phénomène psychique, l’Accumulation serait passée de l’état latent<br />

au passage à l’acte en 1959 pour devenir un langage artistique.<br />

Or, dès 1957, l’Accumulation est déjà présente sous forme de création poïétique, quand il écrit:<br />

«Croisons les fers à souder de nos yeux et du chaud métal affectif, coulons l’enclume de nos passions<br />

et de notre rage martelante de ne pas donner plus en notre humain amour 30 ». Enfin, <strong>Arman</strong> revendique<br />

au moment de la création des premières accumulations, la filiation du monochrome, situant ses travaux<br />

dans ce contexte d’enchevêtrements conceptuels entre Klein et lui: «je désire voir mes propositions<br />

prises dans l’optique d’une surface […]. Dans ces surfaces dont l’élément unique dans son choix se trouve<br />

être une proclamation monotypique bien que plurale par son nombre et donc très proches des démarches<br />

monochromes d’Yves Klein 31 ».<br />

L’artiste a relaté le fait qu’Iris Clert avait refusé le projet du «Plein» qu’il lui avait proposé dans la foulée<br />

du «Vide» de Klein et que sa galeriste ne s’y était ralliée que deux années plus tard, après le succès de<br />

son exposition chez Alfred Schmela en Allemagne. On peut se poser la question de savoir ce qu’aurait été<br />

l’exposition en 1958, alors que ni le concept d’Accumulation, ni celui de Poubelle n’avaient été édictés.<br />

En 1960, <strong>Arman</strong> présentera «Le Plein», comme l’acmé de sa nouvelle démarche quantitativiste entamée<br />

l’année précédente: «Iris Clert vous prie de venir contempler dans “Le Plein”toute la force du réel<br />

condensé en une masse critique 32 ». Cette notion empruntée à la physique apparue au cours de l’année<br />

1960 permet d’expliciter la condition de l’objet au sein des Accumulations: perte d’identité et de ses<br />

référents fonctionnels ou sémiologiques, réduction de sa volumétrie à un effet granulaire, à une présence<br />

dupliquée qui «sensibilise» la surface autant de fois que l’objet y est répété 33 . Pour légitimer ce<br />

qui pourrait être une quatrième dimension de l’objet où celui-ci disparait unitairement pour n’être que<br />

la particule élémentaire d’une représentation en nombre, <strong>Arman</strong> évoque «l’expression de la conscience<br />

collective de ce même objet 34 ». Là où l’objet était perçu individuellement par une valeur moyenne<br />

d’impressions dans la démarche phénoménologique du schaefferisme, l’Accumulation fait basculer<br />

l’expérience intérieure vers un tropisme collectif.<br />

Qu’<strong>Arman</strong> use de la notion de masse critique à propos de l’exposition «Le Plein» relève vraisemblablement<br />

de sa stratégie personnelle. Imaginée en 1958 comme l’antithèse du «Vide», <strong>Arman</strong> conçut initialement<br />

«Le Plein» sur un principe «architectonique» analogue à celui du «Vide» 35 , consistant à «conquérir<br />

affectivement » un espace ; cette démarche est de nature conceptuelle, sur-matérielle, puisqu’elle propose<br />

de transformer radicalement le rapport phénoménologique et comportemental du visiteur avec un lieu<br />

par l’action d’une saturation matérielle, qui répond à la vacuité immatérielle de son ami. Dans un tel<br />

projet, les objets ne sont pas les éléments constitutifs d’une œuvre d’art, mais seulement la cause et les<br />

moyens à partir desquels il va réaliser les conditions d’une appréhension inédite de l’espace. «Le Plein»<br />

relève à ce titre du fameux partage du monde de 1947 entre Klein, Claude Pascal et <strong>Arman</strong> et qu’<strong>Arman</strong><br />

rappellera quelques mois avant l’exposition, comme une sorte de viatique permanent dans sa démarche 36 .<br />

Le bilan qu’<strong>Arman</strong> fait du «Plein» donne toute la portée de son projet: «Et même maintenant les<br />

Accumulations les Poubelles les Allures les Colères me paraissent un peu étriquées. Lui c’était un animal<br />

sauvage avec une sagesse et une connaissance millénaire. J’ai envie de faire quelques pleins dans<br />

le monde et maïeutique pour moi suprême aider à naître de ces doux animaux formidables tapis dans<br />

un espace restreint et prêt à dévorer un sucre d’orge. Les mains se tendent tout le monde emporte ce qui<br />

lui fait plaisir et malgré ces petites amputations il est toujours bien plein et beau 37 .» «Le Plein» marque<br />

une évolution radicale du readymade ou du paradigme surréaliste de l’objet trouvé, par son échelle

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