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Relations sémantiques N1-N2 dans les composés timbre-poste

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<strong>Relations</strong> <strong>sémantiques</strong> <strong>N1</strong>-<strong>N2</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong><strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>Pierre J. L. ARNAUDUniversité Lumière-Lyon 2, CRTT (Centre de Recherche en Terminologie etTraduction)RESUME. Parmi <strong>les</strong> noms <strong>composés</strong> du français, <strong>les</strong> <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong> constituent unvaste ensemble, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels <strong>les</strong> liens <strong>sémantiques</strong> de détermination de <strong>N2</strong> vers <strong>N1</strong> sontmultip<strong>les</strong>. Il s'agit de catégoriser ces liens, en partant des données pour remonter le plus hautpossible <strong>dans</strong> l'abstraction.ABSTRACT. Among French compound nouns, <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong> compounds form a large set withmultiple semantic <strong>N2</strong> to <strong>N1</strong> determination links. The aim of this investigation was tocategorize these links, starting up from the data and attempting to reach the highest possiblelevel of abstraction.mots-clés. <strong>composés</strong>, sémantique, lexiquekey words. compounds, semantics, lexicon


1. IntroductionLa typologie des unités lexica<strong>les</strong> composées du français est extrêmementcomplexe, et le demeure même si on s'intéresse aux seuls <strong>composés</strong> binominaux(NN). Les <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong> peuvent se définir cependant assez simplement dela façon suivante : ce sont des <strong>composés</strong> endocentriques avec <strong>N1</strong> comme recteur ettête, pour <strong>les</strong>quels le test sémantique(art.) <strong>N1</strong><strong>N2</strong> est (comme) (art.) <strong>N2</strong>donne des énoncés anormaux. Ainsi, poisson perroquet ou voiture balai ne sont pasdes <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>, alors que compte titres ou micro trottoir répondent aucritère.Il existe, et c'est là que la complexité d'ensemble de la situation réapparaît, dessous-classes sémantiquement intermédiaires pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> la prise de décisionquant à la normalité de l'énoncé-test doit reposer sur des considérations référentiel<strong>les</strong>et logiques qui ne sont pas à la portée de l'informateur non-linguiste : c’est entreautres le cas lorsqu'une relation mérologique est impliquée, comme <strong>dans</strong> poissonscie ou locomotive tender. Dans l'ensemble, cependant, le critère ci-dessus permetd'isoler une classe nombreuse, intuitivement unique, mais apparaissant à premièrevue comme regroupant une infinité de sous-classes relationnel<strong>les</strong>. Il s'agit donc dedépasser une définition essentiellement négative pour parvenir à une meilleurecompréhension de la situation sémantique qui se cache derrière la multiplicité dessous-classes. Comprendre le fonctionnement des <strong>composés</strong> est en effet désirable dupoint de vue fondamental de la linguistique du français, mais aussi parce qu'enT.A.L.N. (Traitement Automatique des Langues Naturel<strong>les</strong>), l'analyse des <strong>composés</strong>non préalablement stockés <strong>dans</strong> le dictionnaire reste un problème redoutable.Un obstacle considérable sur cette voie est constitué par la prolifération endiscours, et notamment <strong>dans</strong> le langage de la publicité et des médias, de suites NNoccasionnel<strong>les</strong> à substantif épithète (Noailly 1990) du genre événement minceur,cadeau saveur, collier vérité, de toute évidence non-lexica<strong>les</strong>, mais qu'il estpratiquement impossible de distinguer formellement des unités lexica<strong>les</strong> que sont <strong>les</strong><strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong> car le français ne manifeste pas de traces de la lexicalité auniveau du signifiant, notamment parce qu'il n'a pas d'accent lexical et que le traitd'union est employé de façon erratique. La lexicalité des suites NN étudiées a étévérifiée par leur présence <strong>dans</strong> <strong>les</strong> dictionnaires, mais aussi sur le moteur derecherche Google, qui se prête bien à une exploitation comme concordancier. Larecherche présentée a porté sur une collection d'unités rassemblées au fil desrencontres sur plusieurs années, ainsi que par dépouillement de terminologies, etdont l'effectif est actuellement supérieur à 600.2. Recherches antérieuresLa littérature sur <strong>les</strong> <strong>composés</strong> français, dont l'étude princeps semble remonter à1874 (Darmesteter) est abondante, mais il y a un contraste étonnant entre sonétendue et ce qui y est dit sur <strong>les</strong> <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>, notamment sur leurs


elations <strong>sémantiques</strong> internes. On regroupera sous l'étiquette « classique » <strong>les</strong>travaux antérieurs à la période générative et transformationnelle (GT). Darmesteter(1874) ne semble guère aller au delà de la désignation des <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>par le terme <strong>composés</strong> avec génitif, guère éclairant et ne pouvant en aucun cascouvrir l'ensemble de la catégorie. En 1877, il évoque une 'relation de dépendance'qui unit <strong>les</strong> deux termes, ce qui ne mène pas non plus très loin en l'absence de toutetypologie interne de cette relation. Se fondant sur la 'littérature des prospectus et desannonces', il mentionne toutefois la possibilité de l'ellipse d'une préposition. Enoutre, il est le premier à émettre l'idée que <strong>les</strong> <strong>composés</strong> seraient de naturesyntaxique, et constitueraient en fait des propositions en raccourci. Cette opinionréapparaît chez Bally (1944/1932), pour qui <strong>les</strong> éléments des <strong>composés</strong> remontentaux 'éléments actualisés de la phrase'. Mais ni chez lui, ni chez Nyrop (1936) ouGrévisse (1993/1939), on ne trouve d'examen détaillé des relations. C'est <strong>dans</strong> lalittérature sur <strong>les</strong> <strong>composés</strong> germaniques qu'on trouve des examens plus détaillés,comme celui de Jespersen (1961/1949:142sq.), qui présente un classement annoncécomme non-exhaustif, et avec des exemp<strong>les</strong> ne rentrant pas <strong>dans</strong> ses catégories.Selon lui, le nombre de relations possib<strong>les</strong> est en fait 'à n'en plus finir' (end<strong>les</strong>s).Précurseur de la période suivante, Benveniste (1967) envisage la compositioncomme une micro-syntaxe, <strong>les</strong> <strong>composés</strong> représentant la transformation de certainespropositions typiques, simp<strong>les</strong> ou complexes, en signes nominaux. La prédominancedu paradigme GT allait donner lieu à plusieurs études sur <strong>les</strong> <strong>composés</strong>, héritièresindirectes de l'idée de Darmesteter d'une condensation d'une proposition <strong>dans</strong> lecomposé. Ces travaux sont d'une technicité variable par rapport au modèle GT.Guilbert (1971, 1975) reste assez vague sur <strong>les</strong> détails du mécanisme, sansformalisme en arbre ni structure profonde différente d'une phrase réalisée :la grève est par surprise → une grève surprise (1971:LXXIII)Tout ce qu'on trouve chez Guilbert concernant le détail des relations <strong>N1</strong>-<strong>N2</strong> se réduità une liste des prépositions « <strong>les</strong> plus diverses » susceptib<strong>les</strong> d'être effacées par latransformation. D'autres travaux, comme ceux de Barbaud (1971) et Giurescu (1975)sont plus explicites quant aux structures profondes et aux détails des transformationsimpliquées, voire (Barbaud) aux restrictions de sélection jugées nécessaires. PourGiurescu comme pour Barbaud, <strong>les</strong> <strong>composés</strong> NN résultent de la transformation derelatives déterminant <strong>N1</strong>, et Barbaud distingue cel<strong>les</strong> avec <strong>N2</strong> comme circonstant, etcel<strong>les</strong> où <strong>N2</strong> est objet, comme <strong>dans</strong> l'exemple suivant :une opération # QU+ provoque/cause/amène/etc. + une surprise #L'auteur précise qu'il est en fait vain de vouloir actualiser chaque symbolepréterminal par une entrée lexicale exclusive. Il énumère <strong>les</strong> fonctionscirconstanciel<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus exploitées : finalité, origine, appartenance, fractionnel,locatif (vectoriel, inclusif, directionnel), matière, temporel (synchronique, duratif),mais ajoute, de façon significative et faisant écho à Jespersen, « nous n'en finirionsplus de relever <strong>les</strong> diverses complémentarités possib<strong>les</strong> à l'intérieur de la structurebinomiale ».


Avec le recul du temps, il n'est pas certain que le paradigme GT des années1970, avec le 'tout-syntaxique' qu'il impliquait, ait beaucoup fait progresser lacompréhension des <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>. Barbaud (1971) reprochait aux étudesde la période 'classique' leur caractère taxinomique et non explicatif. On pourraitretourner l'argument contre <strong>les</strong> approches GT, dont beaucoup d'auteurs se sontlancés <strong>dans</strong> l'explication – ou plutôt la modélisation, ce qui n'est pas la mêmechose – sans avoir cherché à regarder de trop près la taxinomie.Les deux études à ce jour <strong>les</strong> plus décisives sont hors de l'orbite GT. Lapremière, menée sur <strong>les</strong> <strong>composés</strong> anglais par Hatcher (1960) à partir d'une sévèrecritique de la typologie de Jespersen, et la seconde, fragment d'un plus vaste ouvrages'affirmant comme syntaxique sur le « Nom épithète » (Noailly 1990), parviennentindépendamment à une quadripartition en deux paires de relations symétriques,symbolisab<strong>les</strong> comme suit (en s'inspirant de la notation de Hatcher et avec sesexemp<strong>les</strong>, étant entendu que l'ordre déterminant-déterminé est à inverser pour lefrançais):(B) B inclus <strong>dans</strong> A orange seed(A) A inclus <strong>dans</strong> B seed orangeA→B B destination, but de A cane sugarA←B A destination, but de B sugar caneDe tel<strong>les</strong> relations sont à un niveau d'abstraction élevé, et représentent le pointd'aboutissement d'une démarche logique. La convergence de ces deux résultatsconstitue un argument prima facie en leur faveur, mais si l'on est d'un caractèresceptique, on ne se laissera pas séduire par l'esthétique symétrie de cettecatégorisation et on pourra ressentir le besoin de confronter cette classification avecses propres données.3. Les donnéesLa démarche suivie <strong>dans</strong> la présente recherche, résolument data driven, aconsisté à partir des <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong> collectés, l'auteur faisant correspondre àchacun une paraphrase et lui attribuant une catégorie relationnelle. Un obstacle detaille est très vite apparu, celui des ambiguïtés catégoriel<strong>les</strong>. Pour prendre desexemp<strong>les</strong> simp<strong>les</strong>, un audit qualité est-il un audit portant sur la qualité, ou bien unaudit destiné à obtenir la qualité ; une promotion canapé a-t-elle un canapé commelocalisation ou comme source ; un local poubel<strong>les</strong> est-il un local qui contient <strong>les</strong>poubel<strong>les</strong>, ou bien un local destiné aux poubel<strong>les</strong> ? Dans certains cas, le problèmeest mineur, car il suffit de se placer à un niveau de généralité suffisant pourregrouper <strong>les</strong> deux catégories, mais <strong>dans</strong> d'autres cas, on aura affaire à deuxcatégories inconciliab<strong>les</strong> quel que soit le niveau d'abstraction auquel on monte. Detel<strong>les</strong> ambiguïtés, qui sont de nature à mettre à mal le plus étanche des classements,sont en fait une caractéristique importante de la classe des <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>,voire des <strong>composés</strong> NN en général, et un effet de leur sous-spécification sémantique.Je propose le terme relation complexe pour de tels cas d'ambiguïté : en effet, on n'asans doute pas affaire à une simple difficulté de choix taxinomique découlant del'inaptitude du linguiste à prendre des décisions, mais bien à la coexistence, voire à


la coa<strong>les</strong>cence de plusieurs relations. Les auteurs parlent généralement peu de cefait. Comme il est douteux qu'il soit passé inaperçu, c'est sans doute qu'il dérangepar l'indétermination qu'il introduit.La solution retenue a été d'attribuer aux items concernés autant de paraphrasesque nécessaire, et donc d'admettre la possibilité de <strong>composés</strong> pluri-appartenants. Ladeuxième phase a consisté à passer en revue <strong>les</strong> paraphrases, à en unifier laterminologie, à <strong>les</strong> condenser, et surtout à en réduire le nombre, ce qui impliquaitbien sûr un début de catégorisation intermédiaire, en comparant <strong>les</strong> <strong>composés</strong>relevant de paraphrases voisines. Par ailleurs, et suivant le précepte d'Occam, il futprocédé à une chasse aux catégories à faible effectif ou hapax, tout en gardant àl'esprit que des hapax n'avaient rien de logiquement illégitimes et que s'ilss'avéraient rebel<strong>les</strong> au regroupement il serait nécessaire de <strong>les</strong> conserver.De nombreuses décisions de catégorisation n'ont pu être prises qu'après plusieurspassages en revue de la collection et comportent une part d'incertitude, effet de lasous-spécification sémantique évoquée ci-dessus. L'impression donnée par l'analysedes données est en effet, outre <strong>les</strong> ambiguïtés, celle de cette infinité de relations quieffrayait Jespersen et Barbaud, chaque catégorie référentielle de <strong>N1</strong> et de <strong>N2</strong>contribuant à colorer la relation entre ceux-ci. Cette impression n'est pas unecaractéristique gênante, parasite, des <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong> : elle est essentielle, jele répète, de leur nature sémantique. La catégorisation de bas niveau obtenue estdonc déjà le résultat d'une abstraction certaine, qui a abouti cependant à pas moinsde 52 catégories - et elle n'est pas close <strong>dans</strong> la mesure où la collection de <strong>composés</strong>ne peut pas être complète, de nouveaux <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong> lexicaux étantthéoriquement susceptib<strong>les</strong> de requérir la création de catégories supplémentaires(exemp<strong>les</strong> au Tableau 1).La ressemblance entre deux <strong>composés</strong> peut être trompeuse. Ainsi, retour chariotet retour ligne (terme d'électronique concernant le balayage des écrans) apparaissentà l'analyse comme étant le siège de relations différentes (respectivement if « <strong>N2</strong> estl'agent/source du procès représenté par <strong>N1</strong> » et aa « <strong>N2</strong> est la localisation,l'environnement de <strong>N1</strong> (général)) ». Inversement, l'abstraction déjà inhérente à ceclassement a mené à regrouper crayon feutre et crayon gomme sous af « <strong>N2</strong> concretdiscretest une des parties de <strong>N1</strong> », alors que le feutre d'un crayon feutre est unepartie essentielle à son fonctionnement, la gomme d'un crayon gomme n'étant qu'unaccessoire. En raison de tel<strong>les</strong> décisions, il n'y a guère de doute qu'un autrechercheur aurait pu arriver à un découpage différent avec le même degré degranularité.On ne manquera pas d'être frappé par le caractère très divers de ces catégories.On y trouve en effet :− des catégories abstraites et généra<strong>les</strong>, comme al « <strong>N2</strong> est la destination ,l'objet de <strong>N1</strong> (général) », qui ont vocation à subsister <strong>dans</strong> un classement deniveau supérieur (ex. : coupon réponse, interface usager)− des catégories reposant partiellement sur <strong>les</strong> caractéristiques référentiel<strong>les</strong>de <strong>N1</strong> ou <strong>N2</strong>, comme ab « <strong>N2</strong> est le conteneur de <strong>N1</strong> » ou bien ax « <strong>N2</strong> est


un état du continu constituant <strong>N1</strong> » (ex., respectivement, bière bouteille,vernis boule)− des catégories reposant sur une caractéristique référentielle de la relationelle-même, comme bq « <strong>N2</strong> est l'un des éléments identiques constituant<strong>N1</strong> » (ex. : échel<strong>les</strong> lettres, presse magazine)− des catégories combinant <strong>les</strong> caractéristiques référentiel<strong>les</strong> de la relation etd'un des N, comme db « <strong>N2</strong> concret-continu a <strong>N1</strong> comme support » (ex. :papier carbone, toile émeri)− enfin, des catégories actanciel<strong>les</strong> ou quasi-actanciel<strong>les</strong>, très abstraites,comme dd « <strong>N2</strong> a <strong>N1</strong> » ou bb « <strong>N2</strong> est le patient du procès dénommé par<strong>N1</strong> », jugées nécessaires lorsqu'aucune autre formulation n'est apparuepossible (ex., respectivement, centre ville, garantie crédit).Il aurait sans doute été possible de procéder à un classement plus rigoureux àpremière vue, en se fondant sur la présence de ces relations actanciel<strong>les</strong> irréductib<strong>les</strong>pour proposer un classement des autres relations en relations circonstanciel<strong>les</strong>, maisceci n'aurait pas rendu justice à la variété sémantique observée.Voici deux exemp<strong>les</strong> de <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong> à relations complexes :carte mémoireal (<strong>N2</strong> est la destination, l'objet de <strong>N1</strong>)ic (<strong>N2</strong> abstrait-continu a <strong>N1</strong> comme support)cravate clubae (<strong>N2</strong> a ou comprend <strong>N1</strong> (d'un type qui lui est propre))ck (<strong>N2</strong> est symbolisé par <strong>N1</strong>)Il est important de noter que, outre l'appartenance possible à plusieurs catégoriessimultanées qu'on trouve <strong>dans</strong> ces cas de relations complexes, l'appartenance à telleou telle catégorie n'est pas une question de tout ou rien, et il y existe clairement demeilleurs exemplaires que d'autres. Ainsi, café filtre me semble un meilleurexemplaire que couverture or ou frein moteur de an « <strong>N2</strong> est utilisé pour produire<strong>N1</strong> ». Sans doute convient-il de voir <strong>les</strong> relations possib<strong>les</strong> entre <strong>N1</strong> et <strong>N2</strong> commesituées <strong>dans</strong> un espace sémantique, avec des centres attracteurs. Certaines desrelations seront proches d'un centre attracteur, d'autres seront plus ou moinsdistantes de lui, d'autres encore subiront l'attraction conjointe, égale ou inégale, dedeux centres.L'étape suivante consistait, logiquement, à se détacher de considérationsréférentiel<strong>les</strong> et à monter <strong>dans</strong> le degré d'abstraction par le regroupement descatégories de bas niveau. Dans de nombreux cas, ce regroupement était évident.Ainsi, ca « <strong>N2</strong> est du concret-continu entièrement constituant de <strong>N1</strong> » (ex. : semellecrêpe) et aw « <strong>N2</strong> est du concret-continu partiellement constituant de <strong>N1</strong> » (ex. :couverture toile) appelaient à leur regroupement immédiat, de même que de « <strong>N2</strong> estproduit par <strong>N1</strong> (dont c'est la fonction) » (ex. : charbon vapeur) et ba « <strong>N2</strong> est produitpar <strong>N1</strong> (sans que cette production soit la fonction de <strong>N1</strong>) » (ex. : route collision). Ilaurait été sans intérêt de multiplier <strong>les</strong> paliers intermédiaires, et la catégorisationprésentée ici est le résultat de l'agrégation aux regroupements évidents de catégories


eaucoup plus margina<strong>les</strong>. C'est ainsi, par exemple, que cl « <strong>N2</strong> est une unité demesure monétaire en vigueur <strong>dans</strong> <strong>N1</strong> » (ex. : zone euro) est allé rejoindre ca et awcités ci-dessus. Certaines catégories de bas niveau ont été intégrées aux catégoriessupérieures lors d'une ultime passe, non sans réticence devant leur forte marginalité.C'est le cas, par exemple, de ap « <strong>N2</strong> est une particularité perceptible par <strong>les</strong> sens de<strong>N1</strong> » (ex. téléviseur couleur).Ayant perdu mon innocence taxinomique au contact de Hatcher et Noailly, je nepeux affirmer que leurs quatre catégories soient apparues ex nihilo lors desregroupements, mais il est clair qu'el<strong>les</strong> sont incontournab<strong>les</strong>. Comme Hatcher, jepréfère utiliser une notation abstraite, même au prix de sa lisibilité : ((<strong>N1</strong>)<strong>N2</strong>) [lire« <strong>N1</strong> inclus <strong>dans</strong> <strong>N2</strong> »], (<strong>N1</strong>(<strong>N2</strong>)), <strong>N1</strong>→<strong>N2</strong> [lire « <strong>N1</strong> vers <strong>N2</strong> »], <strong>N1</strong>←<strong>N2</strong>.aa ((<strong>N1</strong>)<strong>N2</strong>)ab ((<strong>N1</strong>)<strong>N2</strong>)ad <strong>N1</strong><strong>N2</strong>C'est contre <strong>les</strong> effets de <strong>N2</strong> que <strong>N1</strong> est fait, conçu, mis sur piedallocation chômage, redevance pollution, capital décèsal<strong>N1</strong>><strong>N2</strong><strong>N2</strong> est la destination, l'objet de <strong>N1</strong> (général)bloc notes, camion poubel<strong>les</strong>, compte chèquesan <strong>N1</strong>


aq <strong>N1</strong>


sémantique de <strong>N2</strong> déterminant <strong>N1</strong>. Hatcher estime que matière (ca, aw, bh chez moi)et trait caractérisant se regroupent d'eux-mêmes, pour faire partie finalement de (A)- (<strong>N1</strong>(<strong>N2</strong>)) chez moi. L'examen des <strong>composés</strong> concernés ne me donne aucune enviede la suivre sur ce point, et je ne peux pas me convaincre que <strong>dans</strong> élément trace ouserpent minute, trace est <strong>dans</strong> élément ou minute <strong>dans</strong> serpent. Les <strong>N2</strong> de cette sériedénotent une manière d'être de <strong>N1</strong>. Est-ce-à-dire, alors, qu'ils sont de type ((<strong>N1</strong>)<strong>N2</strong>),élément étant <strong>dans</strong> trace et serpent <strong>dans</strong> minute ? L'élément laisse une trace, et c'estl'effet du serpent qui est <strong>dans</strong> la minute, pas le serpent. Quel que soit l'angle souslequel on examine ces relations, quel que soit le nombre d'acrobaties deraisonnement auquel<strong>les</strong> on se livre, aucune inclusion <strong>dans</strong> <strong>les</strong> quatre premièrescatégories ne me semble satisfaisante. Comment alors dénommer cette catégorie dehaut niveau, étant donné son caractère difficilement saisissable et verbalisable ?Comme il s'agit d'une manière d'être de <strong>N1</strong>, je propose ETRE, être étant pris trèsmétaphoriquement comme la manifestation de la prédication d'une qualité, étantentendu que, comme nous sommes à l'intérieur de la classe des <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong><strong>poste</strong>,il ne risque pas d'y avoir de confusion avec <strong>les</strong> <strong>composés</strong> du genre de poissonperroquet,pour <strong>les</strong>quels, on s'en souvient, être peut figurer directement <strong>dans</strong> unénoncé-test, ce qui n'est absolument pas le cas ici.Le deuxième regroupement supplémentaire qui se dessine rassemble ae « <strong>N2</strong> a oucomprend <strong>N1</strong> d'un type qui lui est propre = '<strong>N1</strong> type <strong>N2</strong>' », ja « <strong>N2</strong> désigne paranalogie une caractéristique sensorielle de <strong>N1</strong> », ar « <strong>N2</strong> est une entité qui paranalogie identifie <strong>N1</strong> abstrait-discontinu », et ce « <strong>N2</strong> est ce sur quoi <strong>N1</strong> a étéidentifié ». Comme <strong>dans</strong> le cas de tous <strong>les</strong> <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>, <strong>N2</strong> détermine <strong>N1</strong>,mais, <strong>dans</strong> le cadre de ces relations, il le fait par un lien indirect. Un col officier n'estpas le col d'un uniforme d'officier, mais un col qui ressemble à celui d'un uniformed'officier ; <strong>dans</strong> la plupart des cas, <strong>les</strong> bureaux ministres ne servent pas à unministre, mais ce sont des bureaux identiques à ceux qu'on attribue aux ministres.Dans le cas de ae, une analogie intervient sur la détermination (mais le test présenté<strong>dans</strong> l'introduction donne un résultat négatif). En fait, <strong>N2</strong> fonctionne ici un peucomme une étiquette, ce que révèle la paraphrase en « type <strong>N2</strong> ». Ce, relation hapax,concerne facteur rhésus. Le facteur sanguin ainsi désigné a été identifié sur lemacaque rhésus. Cette détermination de <strong>N1</strong> par <strong>N2</strong> me semble proche de celle quiest manifestée par la relation précédente – mais pas suffisamment pour ne pas devoirconstituer une relation de bas niveau séparée. La relation ja concerne un très faibleeffectif. Laurier amande, terme disparu, désignait un laurier dont <strong>les</strong> feuil<strong>les</strong>froissées dégagent une odeur d'amande amère. On a donc ici également un casd'analogie : « laurier (sentant comme l')amande (amère) ». La rose thé, selon <strong>les</strong>sources, sent le thé ou est un hybride de thé. La tenue léopard n'est pas undéguisement, mais une tenue de combat camouflée. Ce genre d'analogie nous amèned'ailleurs très près d'un substantif adjectivisé. Le cas de ar est quelque peu différent,et on peut l'estimer proche de suites à <strong>N2</strong> autonyme comme rayon bricolage. Il esthors de doute, cependant, que de tels groupes NN constituent des termes ou deslexèmes (microscope à effet tunnel). L'effet d'« étiquetage » de <strong>N1</strong> par <strong>N2</strong> unit cettecatégorie de bas niveau, qui concerne des <strong>composés</strong> un peu marginaux <strong>dans</strong> la classedes <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>, aux <strong>composés</strong> manifestant <strong>les</strong> trois relationsprécédentes. Comment désigner cette catégorie de haut niveau encore plus


insaisissable que ETRE ? Comme on y trouve de l'analogie, je propose ANALOG. Onse souviendra que le test présenté <strong>dans</strong> l'Introduction reposait sur l'identité oul'analogie entre <strong>N1</strong><strong>N2</strong> et <strong>N2</strong> ; l'analogie dont il est question ici est d'une autre nature,et on vérifiera aisément sur des exemp<strong>les</strong> comme effet placebo ou style bistrot que letest donne cette fois-ci des énoncés douteux ou anormaux Il est cependant clair quela dose d'analogie qui sous-tend ANALOG en fait une super-relation moins centraleque <strong>les</strong> autres <strong>dans</strong> la classe des <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>.Reste un groupe de quatre relations de bas niveau, qui ne manifestent à premièrevue aucune affinité mutuelle. Ck « <strong>N2</strong> est symbolisé par <strong>N1</strong> » (ex. : franc or, vecteurvitesse) concerne des <strong>composés</strong> qui ressortissent souvent à une ou plusieurs autresrelations, manifestant ainsi une relation de bas niveau complexe.« Symbolisé » doitêtre pris <strong>dans</strong> un sens non-technique ; il faut entendre par là que, d'une façon oud'une autre, <strong>N1</strong> représente <strong>N2</strong>, s'y substitue, en constitue une formalisation, peuts'échanger contre. Le franc or correspondait à une quantité d'or en laquelle il pouvaitoriginellement se convertir, un chèque cadeau peut être échangé contre un objet devaleur correspondante, le vecteur vitesse est la représentation graphique de lavitesse, etc. On a donc là une relation d'équivalence virtuelle. Il ne semble paspossible de l'agréger à l'une des relations de haut niveau déjà identifiées, et jepropose pour elle l'étiquette SYMB.La formulation de dd, if et bb est de nature plus linguistique. Dd, comme laprécédente, forme souvent des relations complexes. Prenons d'abord quelquesexemp<strong>les</strong> simp<strong>les</strong>. Le cas sujet et le cas régime ne sont pas des cas « destinés » ausujet et aux régimes, ils ne « contiennent » pas non plus ces fonctions. Peut-on direpour autant que la fonction grammaticale est à la source du cas ? C'est un peu plusacceptable, mais il semble quand même plus juste de dire que le cas « correspond »à la fonction. De façon plus abstraite, la fonction « a » son cas. Pour année modèle(exemple : j' acheté ma voiture en juin 1998, mais c'était déjà l'année modèle 1999),composé à relation complexe redoutable analysable en pas moins de trois relationsde bas niveau, on peut également dire qu'un modèle « a » une année différente del'année civile. Si l'on admet que le sens de avoir est le placement de l'« objet » <strong>dans</strong>la sphère du « sujet », il n'est sans doute pas impossible, au prix d'unemétaphorisation considérable et en jouant sur l'extrême abstraction de avoir, deplacer dd <strong>dans</strong> ((<strong>N1</strong>)<strong>N2</strong>). Mais là nous se sommes plus en terrain ferme, et je neprésente ceci que comme une suggestion.If « <strong>N2</strong> est l'agent/source du procès représenté par <strong>N2</strong> » est une catégorie peureprésentée (ex. : retour chariot, frein moteur) dont il serait souhaitable de sedébarrasser. Je ne suis pas sûr que ceci soit possible. On peut certes, voyant <strong>dans</strong> laprédication une dynamique sur un trajet (métaphorique) de l'agent/source vers leprocès, utiliser la symbolisation <strong>N1</strong>←<strong>N2</strong>, et, si l'on ne craint pas de réifier une tellereprésentation, intégrer if à la catégorie de haut niveau ainsi désignée.On raisonnera de même avec bb « <strong>N2</strong> est le patient du procès représenté par <strong>N1</strong> »(ex. : essais moteurs, saisie contrefaçon), qu'on intégrera avec moins de réticences à<strong>N1</strong>→<strong>N2</strong> du fait que 8 des 23 <strong>composés</strong> concernés manifestent également unerelation al « <strong>N2</strong> est la destination, l'objet de <strong>N1</strong> ».


En fait, si l'on se rappelle ma suggestion de voir <strong>dans</strong> l'ensemble des relationspossib<strong>les</strong> un espace sémantique avec des centres attracteurs, et pour poursuivre cettemétaphore, on peut dire que ces dernières relations seront très éloignées de leurscentres attracteurs, respectivement <strong>N1</strong>←<strong>N2</strong> et <strong>N1</strong>→<strong>N2</strong>.Nous sommes donc finalement parvenus à sept catégories de haut niveau pour<strong>les</strong> relations <strong>N1</strong>/<strong>N2</strong> :((<strong>N1</strong>)<strong>N2</strong>)(<strong>N1</strong>(<strong>N2</strong>))<strong>N1</strong>←<strong>N2</strong><strong>N1</strong>→<strong>N2</strong>ETREANALOGSYMBDans un monde idéal et harmonieux, ces catégories devraient être étanches, ce qui,nous l'avons vu, n'est pas le cas des catégories de bas niveau. Ce n'est pas non plus lecas au plus haut niveau où nous sommes parvenus. Si l'on voit sans surprise que((<strong>N1</strong>)<strong>N2</strong>) et (<strong>N1</strong>(<strong>N2</strong>)), logiquement incompatib<strong>les</strong>, ne sont jamais représentés <strong>dans</strong>le même composé, il n'en va pas de même de <strong>N1</strong>←<strong>N2</strong> et <strong>N1</strong>→<strong>N2</strong>, pas pluscompatib<strong>les</strong> a priori et pourtant co-présents <strong>dans</strong> 10 cas. Est-ce le résultat demauvaises décisions ? Si l'on examine des exemp<strong>les</strong>, on constate qu'ils sontambigus. Ainsi, l'impôt sécheresse a été instauré contre <strong>les</strong> effets de la sécheresse(ak, donc <strong>N1</strong>→<strong>N2</strong>), mais aussi la sécheresse a été la cause de l'existence de cetimpôt (ad, donc <strong>N1</strong>←<strong>N2</strong>). Le plus frappant de ces recouvrements de haut niveau estcelui entre (<strong>N1</strong>(<strong>N2</strong>)) et <strong>N1</strong>→<strong>N2</strong>. Nous avons vu l'exemple de local poubel<strong>les</strong>, maisce sont en tout 51 unités qui sont concernées, tel<strong>les</strong> base vie ou carte mémoire. Cecis'explique par le fait que tout artefact, quelle que soit sa nature, outil, conteneur,bâtiment, etc., et donc <strong>les</strong> liens de détermination susceptib<strong>les</strong> de s'appliquer à sonnom, est fait <strong>dans</strong> un but, ce qui implique l'existence supplémentaire d'un lientélique.Dans une perspective cognitiviste, il est légitime de se demander si <strong>les</strong> septcatégories de haut niveau sont le reflet d'un aspect fondamental du fonctionnementde l'esprit. Pour répondre à cette question, il serait nécessaire de rechercher sur <strong>les</strong><strong>composés</strong> NN de langues variées si on <strong>les</strong> retrouve, mais il s'agit là d'une tâche delongue haleine. C'est cependant une direction de recherche nécessaire si on veutpouvoir éliminer définitivement le soupçon qu'el<strong>les</strong> (ou <strong>les</strong> catégories deHatcher/Noailly) pourraient n'être au fond que le résultat artefactuel d'unraisonnement logique coupé de la réalité psychologique du fonctionnement de ladénomination des choses par l'homme.4. ConclusionCe qui a frappé plusieurs (bons) auteurs, c'est l'extraordinaire multiplicité desrelations <strong>N1</strong>-<strong>N2</strong> présentes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>composés</strong> <strong>timbre</strong>-<strong>poste</strong>, dont <strong>les</strong> 52 catégoriesprésentées ci-dessus ne sont déjà qu'un reflet abstrait. Hatcher (1960) et Noailly


GUILBERT, L., «De la formation des unités lexica<strong>les</strong>», in Grand dictionnaire Larousse de lalangue française (Vol. 1), Larousse, Paris, 1971, p. IX-LXXXI.GUILBERT, L., La Créativité lexicale, Larousse, Paris, 1975HATCHER, A. G., «An introduction to the analysis of English noun-noun compounds», Word,16, 1960, p. 356-373.JESPERSEN, O., A Modern English Grammar on Historical Princip<strong>les</strong>, Vol. 6, Morphology,Allen & Unwin, London, 1961 (1ère éd. 1949).LANGACKER, R.W., Foundations of Cognitve Grammar, Vol. 1: Theoretical Prerequisites.Stanford University Press, Stanford, 1987.NOAILLY, M., Le Substantif épithète, PUF, Paris, 1990.NYROP, K.R., Grammaire historique de la langue française, Vol. 3, Gyldendal, Copenhague,1936.

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