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Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...

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Disponible <strong>en</strong> ligne sur www.sci<strong>en</strong>cedirect.comPsychologie française 53 (2008) 135–155Article original<strong>Domination</strong> <strong>et</strong> <strong>impérialisme</strong> <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong><strong>Domination</strong> and imperialism in psychologyG. Tiberghi<strong>en</strong> a , J.-L. Beauvois b,∗a <strong>Institut</strong> <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces cognitives, 67, boulevard Pinel, 69675 Bron cedex, Franceb Laboratoire de <strong>psychologie</strong> expérim<strong>en</strong>tale <strong>et</strong> quantitative, pôle Saint-Jean-d’Angély, université deNice–Sophia-Antipolis, 223, route de Marseille, 83670 Barjols, FranceReçu le 6 janvier 2007 ; accepté le 5 juin 2007RésuméOn apporte quelques argum<strong>en</strong>ts à l’appui de l’idée que le système d’<strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t <strong>et</strong> de recherche étasuni<strong>en</strong>ne peut qu’aller dans le s<strong>en</strong>s <strong>des</strong> objectifs du système global dont ils font partie, <strong>et</strong> qui est un objectif dedomination. On montre comm<strong>en</strong>t, dans les dernières déc<strong>en</strong>nies, la recherche française <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>,dans ses problématiques, dans ses institutions, ses pratiques, son éthique, s’est américanisée pour relevermaint<strong>en</strong>ant d’une <strong>psychologie</strong> dominante (mainstream-western psychology) ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t étasuni<strong>en</strong>ne. Onévoque <strong>des</strong> courants ayant contesté c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> dominante, soit parce qu’elle apparaît trop machiste oulibérale (courant <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s d’opposition), soit parce qu’elle est basée sur les postulats individualistes <strong>et</strong>libéraux <strong>des</strong> cultures occid<strong>en</strong>tales (courant <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s indigènes). Malheureusem<strong>en</strong>t, ces contestationsn’ont pas conduit, à cause d’une épistémologie continuïste, à plus d’exig<strong>en</strong>ces sci<strong>en</strong>tifiques <strong>et</strong> elles ont parfoisporté <strong>des</strong> courants antisci<strong>en</strong>tifiques. Il reste toujours à la <strong>psychologie</strong> de rompre d’avec les savoirs <strong>et</strong> lesvaleurs du s<strong>en</strong>s commun.© 2007 Société française de <strong>psychologie</strong>. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.AbstractWe offer some argum<strong>en</strong>ts in support of the idea that the only goal the teaching and research system ofthe United States can serve is that of the global system to which it belongs, namely, domination. We showhow, within the last few deca<strong>des</strong>, Fr<strong>en</strong>ch research in psychology — its issues, its institutions, its practices,its <strong>et</strong>hics — has undergone a process of Americanization that has turned it into a mainstream Western (andbasically American) psychology. We point out some research tr<strong>en</strong>ds that have contested this mainstreampsychology, either because it appears too male chauvinist or liberal (opposition <strong>psychologie</strong>s) or becauseit is grounded in the individualist and liberalist postulates of Western cultures (indig<strong>en</strong>ous <strong>psychologie</strong>s).∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : Jlbeauvois@wanadoo.fr (J.-L. Beauvois).0033-2984/$ – see front matter © 2007 Société française de <strong>psychologie</strong>. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.psfr.2007.06.002


136 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155Unfortunately, because dominant epistemology is governed by a principle of continuity, these contestingtr<strong>en</strong>ds have not increased our sci<strong>en</strong>tific requirem<strong>en</strong>ts; on the contrary, they have oft<strong>en</strong> led to anti-sci<strong>en</strong>tificapproaches. It is still the task of psychology to break away from kwoledges and values of common s<strong>en</strong>se.© 2007 Société française de <strong>psychologie</strong>. Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.Mots clés : Facteur d’impact ; Évaluation sci<strong>en</strong>tifique ; Psychologie dominante ; Sci<strong>en</strong>ces cognitives ; Psychologiescritiques ; Psychologies indigènesKeywords: Impact factor; Sci<strong>en</strong>tific evaluation; Mainstream psychology; Cognitive sci<strong>en</strong>ces; Critical <strong>psychologie</strong>s;Indig<strong>en</strong>ous <strong>psychologie</strong>s1. Introduction : <strong>en</strong>core un siècle américain 1 ?De nombreux proches du Présid<strong>en</strong>t Bush rêv<strong>en</strong>t d’un nouveau « siècle américain 2 » <strong>et</strong> milit<strong>en</strong>tpour que tout soit mis <strong>en</strong> place pour que ce rêve devi<strong>en</strong>ne réalité. Ils se r<strong>et</strong>rouv<strong>en</strong>t au sein d’ungroupe formel de proj<strong>et</strong> (the Project for the New American C<strong>en</strong>tury, PNAC) dont les objectifsaffichés sont militaires, économiques, diplomatiques <strong>et</strong> moraux 3 . Ce groupe a d’ailleurs rédigéune partie du programme électoral de G.W. Bush. Il est hébergé par l’<strong>Institut</strong> américain del’<strong>en</strong>treprise (American Enterprise <strong>Institut</strong>e), organisme connu comme un « p<strong>en</strong>seur-agitateur »particulièrem<strong>en</strong>t actif (<strong>et</strong> particulièrem<strong>en</strong>t financé) de l’extrême conservatisme étasuni<strong>en</strong>.Il s’agit là d’une agitation réputée d’extrême droite <strong>et</strong> explicitem<strong>en</strong>t guerrière. L’idée selonlaquelle la république impériale, comme l’appelait Raymond Aron, poursuit sa t<strong>en</strong>tative dedomination dans les domaines linguistique, militaire, diplomatique, économique, électronique<strong>et</strong> culturel, ne relève pourtant pas, exprimée sans extrémisme, de fantasmes paranoïaques <strong>et</strong>explicitem<strong>en</strong>t guerriers. C<strong>et</strong>te idée est admise par de très nombreux analystes d’horizons politiquesvariés 4 .Lesystème étasuni<strong>en</strong> se trouve ainsi doté, aux yeux du monde, d’un objectif dedomination explicitem<strong>en</strong>t rev<strong>en</strong>diqué par les extrémistes <strong>en</strong>tourant le Présid<strong>en</strong>t élu, mais aussiétabli par <strong>des</strong> analystes divers <strong>et</strong> peu suspects d’extrémisme. Aussi, doit-on se demander si unepartie de ce système, ce qu’est un corps d’<strong>en</strong>seignants <strong>et</strong> de chercheurs relevant de disciplines àint<strong>en</strong>tion sci<strong>en</strong>tifique (pour ce qui nous concerne : les disciplines psychologiques) peut, commele voudrait la tradition d’internationalisme <strong>et</strong> de neutralité de la sci<strong>en</strong>ce, aller à rebours d’un telobjectif. Nous allons avancer dans c<strong>et</strong> article quelques argum<strong>en</strong>ts pour montrer que c<strong>et</strong>te partie dusystème fonctionne bi<strong>en</strong> au service de l’objectif général du système. Comme nous allons le voir,nous sommes loin d’être les seuls à le proclamer. De nombreux chercheurs du monde, y comprisaux États-Unis, l’ont fait bi<strong>en</strong> avant nous.2. Américanisation <strong>des</strong> institutions <strong>et</strong> <strong>des</strong> pratiquesLes États-Unis sont <strong>en</strong> passe de contrôler, dans notre domaine d’étude, l’<strong>en</strong>semble <strong>des</strong> conditionsde production, de sélection <strong>et</strong> de diffusion <strong>des</strong> connaissances. Ce processus s’est réalisé <strong>en</strong>1 Titre emprunté à celui d’un ouvrage collectif publié <strong>en</strong> coédition par Eburnie (Côte-d’Ivoire) <strong>et</strong> Ganndal (Guinée) <strong>en</strong>2002.2 « Nouveau » parce que le xx e siècle fut déjà un siècle américain (Zunz, 2000 ; Zinn, 2003).3 voir http://www.ism-france.org/news/article.php ?4 Guyatt, 2002 ; Schiller, 1998. Pour la domination culturelle qui nous préoccupera davantage ici, voir Valladeo, 1993 ;Warnier, 1999 ; Frazer, 2004 ; Voir aussi le dossier du Monde Diplomatique L’Amérique dans les têtes, (Le MondeDiplomatique (2000, Mai)) <strong>et</strong> <strong>en</strong> particulier l’article de P. Bourdieu <strong>et</strong> L. Wacquant ainsi que le Dossier de Sci<strong>en</strong>cesHumaines : Un empire culturel ? de Mai 2003 (Sci<strong>en</strong>ces humaines, 2003).


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 137un peu moins d’un demi-siècle. Il a suivi de très près la diffusion du mode de vie américain àpartir de la fin de la seconde guerre mondiale <strong>et</strong> s’est amplifié, de façon décisive, après la chute<strong>des</strong> régimes politiques post-stalini<strong>en</strong>s de l’Europe de l’Est.Quels ont été les instrum<strong>en</strong>ts de c<strong>et</strong>te prise de contrôle de la recherche <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> par lesÉtats-Unis. On peut <strong>en</strong> isoler quatre principaux :• la maîtrise de la langue de communication ;• la haute main sur la majorité <strong>des</strong> supports de publication sci<strong>en</strong>tifique (revues, congrès, sociétéssavantes) ;• la surveillance normative du processus de production <strong>et</strong> d’évaluation <strong>des</strong> connaissances ;• <strong>en</strong>fin, un processus de soumission progressive à la pratique, aux choix méthodologiques,paradigmatiques <strong>et</strong> théoriques <strong>des</strong> chercheurs anglo-américains.2.1. Langue de communication <strong>et</strong> langue de dominationQue l’anglais soit la langue de communication dominante dans le domaine sci<strong>en</strong>tifique ne peutplus être maint<strong>en</strong>ant contesté. En revanche, les déterminismes sociohistoriques qui ont abouti àc<strong>et</strong> état de fait devrai<strong>en</strong>t être plus systématiquem<strong>en</strong>t analysés qu’ils ne le sont aujourd’hui. Pourquelles raisons, <strong>en</strong> eff<strong>et</strong>, l’anglo-américain est-il dev<strong>en</strong>u la langue de communication sci<strong>en</strong>tifique ?C’est pour <strong>des</strong> raisons à la fois économiques <strong>et</strong> militaires. L’anglo-américain a sans doute triomphécomme langue <strong>des</strong> affaires <strong>et</strong> langue militaire avant de triompher comme langue de la sci<strong>en</strong>ce.C’est la puissance industrielle, militaire, puis informatique, <strong>des</strong> États-Unis qui a « imposé » c<strong>et</strong>telangue, au détrim<strong>en</strong>t d’autres langues, dont certaines étai<strong>en</strong>t aussi très utilisées dans le monde(l’espagnol, par exemple).La <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique, <strong>en</strong> France, a cédé très tardivem<strong>en</strong>t à c<strong>et</strong>te pression linguistiquequi s’est d’ailleurs imposée beaucoup plus facilem<strong>en</strong>t dans le domaine <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces physiques <strong>et</strong>biologiques (<strong>en</strong> raison, bi<strong>en</strong> sûr, de la forte connexion de ces dernières avec le monde économique<strong>et</strong> militaire). Il est, de ce point de vue, symptomatique que le français ait été, une <strong>des</strong> languesofficielles, comme l’anglais, aux congrès de l’Union internationale de <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique(UIPsyS). C’est lors du changem<strong>en</strong>t de siècle <strong>et</strong> de millénaire que l’anglais a été consacré parl’IUPsyS comme la seule langue officielle de ses congrès. Une telle évolution <strong>en</strong> dit beaucoupplus qu’un long discours.Qu’il faille une langue de communication sci<strong>en</strong>tifique, <strong>et</strong> que celle-ci soit l’anglais, n’estévidemm<strong>en</strong>t ni anormal ni scandaleux <strong>en</strong> soi. Le problème est de savoir si une langue decommunication peut simplem<strong>en</strong>t le rester ou si, après une période plus ou moins longue, ell<strong>en</strong>e devi<strong>en</strong>t pas autre chose : une langue de domination culturelle... <strong>et</strong> sci<strong>en</strong>tifique. Etiemble(1964) a bi<strong>en</strong> décrit ce processus de dép<strong>en</strong>dance linguistique qui s’est installé progressivem<strong>en</strong>t<strong>en</strong>tre le français <strong>et</strong> l’anglais <strong>et</strong> qui a transformé <strong>en</strong> partie le premier <strong>en</strong> un sabiratlantique, un franglais. Quelques illustrations vécues <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>, par ordre d’aliénationcroissant :• un psychologue français, donnant une confér<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> français à un public francophone, utilisele terme « <strong>des</strong>ign » (plan d’expéri<strong>en</strong>ce) ; l’un <strong>des</strong> participants le lui reprochant, il lui répondqu’il ne voit pas (sic) comm<strong>en</strong>t traduire ce mot...<strong>en</strong> français ;• un chercheur français, dans un séminaire de <strong>psychologie</strong> où ne se trouv<strong>en</strong>t que <strong>des</strong> francophones,préférant donner sa confér<strong>en</strong>ce...<strong>en</strong> anglais ;


138 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155• un <strong>en</strong>seignant de <strong>psychologie</strong> se plaignant du faible niveau de maîtrise <strong>en</strong> français de sesthésards reçoit la réponse suivante d’un de ses collègues : « Quelle importance puisque l’onleur demande seulem<strong>en</strong>t de savoir écrire <strong>des</strong> articles...<strong>en</strong> anglais!»;• <strong>en</strong>fin, le désir le plus cher d’un chercheur français, réputé <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>, est d’être reçu...àla Maison-Blanche, par le Présid<strong>en</strong>t <strong>des</strong> États-Unis !Sénac de Meilhan a écrit : « Une langue ne peut être dominante sans que les idées qu’ell<strong>et</strong>ransm<strong>et</strong> ne pr<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t un grand asc<strong>en</strong>dant sur les esprits, <strong>et</strong> une nation qui parle une autre langueque la si<strong>en</strong>ne perd ins<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t son caractère » (Etiemble, 1964) 5 . Il est à craindre que leschercheurs <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> n’ai<strong>en</strong>t pas perçu toutes les conséqu<strong>en</strong>ces de c<strong>et</strong>te évolution <strong>et</strong> de c<strong>et</strong>tedomination linguistique sur leur capacité à p<strong>en</strong>ser <strong>et</strong> produire <strong>des</strong> connaissances nouvelles dansleur domaine.2.2. Contrôle de la communication sci<strong>en</strong>tifiqueSi l’anglo-américain est dev<strong>en</strong>u la langue de communication, c’est parce que les pays angloaméricains<strong>et</strong> leurs affidés ont contrôlé progressivem<strong>en</strong>t, directem<strong>en</strong>t ou indirectem<strong>en</strong>t, une partieimportante du système d’édition <strong>et</strong> de diffusion <strong>des</strong> connaissances sci<strong>en</strong>tifiques. Les disciplinesacadémiques sont donc dev<strong>en</strong>ues très largem<strong>en</strong>t dép<strong>en</strong>dantes de ce « marché » de la connaissance<strong>et</strong>, bi<strong>en</strong> sûr, la <strong>psychologie</strong> n’y échappe pas.On peut donner un ordre de grandeur de l’importance de c<strong>et</strong>te domination dans le domaine« psy » (<strong>psychologie</strong>–psychiatrie) : de 1996 à juill<strong>et</strong> 2006, les États-Unis ont publié, dans cedomaine, 112 257 articles ayant généré 1 129 758 citations ; au cours de la même période, laFrance a publié 4896 articles ayant généré 32 690 citations (Source : ISI Web of Knowledge,Septembre 2006). Sur le plan éditorial, la comparaison est aussi saisissante : <strong>en</strong> 1988, les 24premières revues de <strong>psychologie</strong> ont un facteur d’impact (voir Beauvois <strong>et</strong> Pansu, ce numéro,pour une définition) compris <strong>en</strong>tre 0,280 <strong>et</strong> 5,136, elles sont toutes de langue anglaise. En 1999,53 revues de <strong>psychologie</strong> ont un facteur d’impact compris <strong>en</strong>tre 0,175 <strong>et</strong> 7,790. On n’y trouveque deux revues françaises (Le Travail Humain, classée au 51 e rang, <strong>et</strong> dont le facteur d’impactest de 0,257 ; La Revue de Neuro<strong>psychologie</strong>, classée au 53 e rang, <strong>et</strong> dont le facteur d’impact estde 0,175) 6 . Sept ans plus tard, <strong>en</strong> 2006, 60 revues ont un facteur d’impact compris <strong>en</strong>tre 0,121 <strong>et</strong>9,784. On y r<strong>et</strong>rouve les deux revues françaises précédemm<strong>en</strong>t nommées : Le Travail Humain estau 60 e rang avec un facteur d’impact de 0,121 <strong>et</strong> La Revue de Neuro<strong>psychologie</strong> au 59 e rang avecun de 0,179 (source : SCI Journal Citation Reports, 1988, 1999, 2006). En 1992, les revues delangue française (toutes disciplines confondues) ne représ<strong>en</strong>tai<strong>en</strong>t plus, déjà, que 2,8 % <strong>des</strong> 4500périodiques rec<strong>en</strong>sés par le sci<strong>en</strong>ce citation index (Chneiwess <strong>et</strong> al., 1992) 7 .5 Dans un contexte beaucoup plus dramatique, celui de la domination nazie <strong>en</strong> Allemagne, Victor Klemperer, 1946 aécrit : « Langue du vainqueur...on ne la parle pas impuném<strong>en</strong>t, on la respire autour de soi <strong>et</strong> on vit d’après elle ».6 Rappelons, pour fixer un repère, que l’Inserm a décidé de ne pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong> considération, pour l’évaluation de seschercheurs <strong>et</strong> de ses équipes de recherche, que les revues à facteur d’impact supérieur à 2.7 Certes, on pourrait aussi déf<strong>en</strong>dre la thèse selon laquelle l’impact de la <strong>psychologie</strong> américaine ne devrait ri<strong>en</strong> àl’expansionnisme géostratégique de c<strong>et</strong>te nation. C<strong>et</strong>te influ<strong>en</strong>ce pourrait ne résulter que d’une supériorité sci<strong>en</strong>tifiqueécrasante sur le reste du monde (les « p<strong>et</strong>its se comparant aux grands <strong>et</strong> non l’inverse »). Nous ne sommes pas totalem<strong>en</strong>tconvaincus par c<strong>et</strong>te interprétation. En eff<strong>et</strong>, la supériorité <strong>des</strong> États-Unis sur l’Europe, <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>, est anci<strong>en</strong>ne <strong>et</strong>elle était déjà manifeste tout au long de la première moitié du xx e siècle. Il a fallu att<strong>en</strong>dre la fin de la seconde guerremondiale <strong>et</strong> la prés<strong>en</strong>ce directe <strong>des</strong> États-Unis <strong>en</strong> Europe (sans oublier la guerre froide) pour voir grandir c<strong>et</strong>te dép<strong>en</strong>dance


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 139Dans une étude, portant sur la période 1986–1990, 81 % <strong>des</strong> 26 articles les plus cités <strong>en</strong><strong>psychologie</strong> étai<strong>en</strong>t signés par <strong>des</strong> chercheurs étasuni<strong>en</strong>s <strong>et</strong> 89 % par <strong>des</strong> chercheurs dont l’anglaisétait la langue d’origine. D’ailleurs, 78 % <strong>des</strong> 50 chercheurs <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> les plus cités, au coursde c<strong>et</strong>te période, étai<strong>en</strong>t aussi <strong>des</strong> chercheurs étasuni<strong>en</strong>s (<strong>et</strong> 94 % <strong>des</strong> chercheurs anglo-saxons).Enfin, sur les 50 institutions de recherche <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> ayant le facteur d’impact le plus élevé,88 % sont aux États-Unis <strong>et</strong> 98 % dans <strong>des</strong> pays dont la langue nationale est l’anglais (États-Unis,Grande Br<strong>et</strong>agne <strong>et</strong> Canada anglophone) [Garfield, 1992]. Autant dire que ce qui est mesuré iciest, aussi, l’appart<strong>en</strong>ance à un habitus anglo-américain (Beauvois <strong>et</strong> Pansu, ce numéro) <strong>et</strong> ce bilanstatistique serait à peine modifié s’il avait été élaboré à partir <strong>des</strong> seuls pays anglo-saxons...c’està-dire,<strong>en</strong> excluant le reste du monde. En d’autres termes, la maîtrise de la langue anglaise, pour unpsychologue non anglophone, est un capital intellectuel considérable qui lui perm<strong>et</strong> d’être admisdans c<strong>et</strong> espace social de production sci<strong>en</strong>tifique anglo-américain (sur ces questions de capitalsymbolique <strong>et</strong> d’habitus, voir Bourdieu, 1994).Cela signifie donc que la visibilité internationale <strong>des</strong> revues françaises est complètem<strong>en</strong>t écraséepar celle <strong>des</strong> revues anglo-américaines 8 En eff<strong>et</strong>, les publications rédigées <strong>en</strong> anglais <strong>et</strong>publiées dans ces revues ont, ipso facto, une visibilité <strong>et</strong> un prestige plus important que cellesréalisées dans n’importe quelle autre langue. Ou, comme le dit Pierre Bourdieu, « ...il est pluspayant de publier dans l’American Journal of so and so que dans la Revue Française de cela-cela »(1997, p. 20–21). Ces revues finiss<strong>en</strong>t donc par être considérées comme plus pertin<strong>en</strong>tes ou plusprestigieuses (les évaluateurs les qualifi<strong>en</strong>t à tort d’internationales), ce qui n’est plus seulem<strong>en</strong>tun biais de communication mais aussi un biais signant un état de domination culturelle.2.3. Contrôle de la production <strong>et</strong> de l’évaluation sci<strong>en</strong>tifiqueLe contrôle de l’institution perm<strong>et</strong>tant la publication <strong>des</strong> résultats sci<strong>en</strong>tifiques se double d’uncontrôle de la définition <strong>des</strong> politiques éditoriales <strong>et</strong> <strong>des</strong> procédures d’évaluation sci<strong>en</strong>tifique.Les comités éditoriaux <strong>des</strong> principales revues de <strong>psychologie</strong> sont largem<strong>en</strong>t dominés par <strong>des</strong>chercheurs américains, <strong>et</strong> ils sont aussi très bi<strong>en</strong> représ<strong>en</strong>tés dans les revues non américaines 9 .Ces comités ont un rôle de sélection particulièrem<strong>en</strong>t important puisqu’ils détermin<strong>en</strong>t le choix<strong>des</strong> évaluateurs d’articles, dont un avis positif est le préalable à la publication, ce sont doncmajoritairem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> évaluateurs américains. En eff<strong>et</strong>, <strong>en</strong> 2006 toutes disciplines confondues, 54 %<strong>des</strong> membres de ces comités (« gatekeepers », <strong>en</strong> anglais) sont américains <strong>et</strong> 64 % anglo-américains<strong>et</strong> c<strong>et</strong>te relative soumission de la recherche française, <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>, à l’égard du Nouveau Monde (il serait instructifd’étudier, de ce point de vue, le rôle qu’a joué l’OTAN, dans les dernières déc<strong>en</strong>nies du xx e siècle, dans ce processus decontrôle de la production <strong>des</strong> connaissances <strong>en</strong> Europe).8 Et pourtant... elles exist<strong>en</strong>t, contrairem<strong>en</strong>t à ce que certains affirm<strong>en</strong>t ! La Société française de <strong>psychologie</strong> a, parexemple, rec<strong>en</strong>sé, <strong>en</strong> 1999, 74 périodiques réguliers dont au moins 50 % <strong>des</strong> articles apparti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t au domaine de la<strong>psychologie</strong> <strong>et</strong> sont accessibles dans les gran<strong>des</strong> bibliothèques nationales. Tr<strong>en</strong>te-huit de ces revues étai<strong>en</strong>t, à c<strong>et</strong>te date,indexées dans une <strong>des</strong> bases de données bibliographiques existantes mais sept seulem<strong>en</strong>t étai<strong>en</strong>t, à c<strong>et</strong>te date, indexéespar Curr<strong>en</strong>t Cont<strong>en</strong>ts (CC) <strong>et</strong> Social Sci<strong>en</strong>ce Citation Index (SSCI).9 Par exemple, la revue internationale, d’origine europé<strong>en</strong>ne, Applied Cognitive Psychology, a été créée <strong>en</strong> 1986 àl’initiative de psychologues britanniques. Son comité éditorial compr<strong>en</strong>ait, <strong>en</strong> novembre 2005, 17 chercheurs étasuni<strong>en</strong>s,dix chercheurs britanniques, deux Canadi<strong>en</strong>s anglophones, deux Australi<strong>en</strong>s <strong>et</strong> un Nouveau zélandais, les autres pays separtageant les six postes restants (un Itali<strong>en</strong>, un Suédois, un Japonais, un Allemand, un Français, un Néerlandais). Ainsi,45 % <strong>des</strong> membres du comité éditorial de c<strong>et</strong>te revue internationale sont américains <strong>et</strong> 84 % sont anglophones. Même <strong>des</strong>revues nationales françaises font aussi la part belle aux anglo-saxons (ainsi, par exemple, le comité éditorial <strong>des</strong> Cahiersde Psychologie Cognitive [CPC], comportait, lors de sa création, 25 % de chercheurs anglo-saxons [sept britanniques,deux américains <strong>et</strong> un canadi<strong>en</strong> anglophone], c’est-à-dire autant que de chercheurs francophones).


140 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155(Haeffner-Cavaillon, 2006). Ceux-ci peuv<strong>en</strong>t ainsi interv<strong>en</strong>ir efficacem<strong>en</strong>t sur la définition <strong>et</strong> lechoix <strong>des</strong> thèmes de recherche, <strong>des</strong> théories dominantes <strong>et</strong> sur les résultats qui seront ou nonpubliés 10 . Par ailleurs, les évaluateurs sont informés, dans ce processus de sélection, <strong>des</strong> apportsoriginaux <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance du monde <strong>en</strong>tier ; ils ont ainsi les moy<strong>en</strong>s, malgré de pieux rappelsà la déontologie, de les m<strong>et</strong>tre <strong>en</strong> valeur beaucoup plus rapidem<strong>en</strong>t que leurs concurr<strong>en</strong>ts. C<strong>et</strong><strong>en</strong>semble de contraintes sociopolitiques n’est jamais explicité, <strong>et</strong> pour cause, mais il s’imposeprogressivem<strong>en</strong>t à un grand nombre de pays.Pour illustrer la nature de ce processus complexe de contrôle, on peut citer un article, publiédans une revue prestigieuse, où un chercheur américain réputé, appart<strong>en</strong>ant à une université del’est <strong>des</strong> États-Unis, dressait un bilan de la recherche europé<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> cognitive. Il citaitle nom de celui qu’il estimait le plus prom<strong>et</strong>teur pour l’av<strong>en</strong>ir de la <strong>psychologie</strong> dans ces lointainescontrées (c’était un jeune post-doctorant francophone qui v<strong>en</strong>ait, précisém<strong>en</strong>t, de terminer sonstage... dans son laboratoire). Autre exemple, dans un article réc<strong>en</strong>t paru dans une revue trèst<strong>en</strong>dance, un chercheur américain bi<strong>en</strong> connu proposait un historique <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces cognitivesom<strong>et</strong>tant complètem<strong>en</strong>t la contribution de la recherche europé<strong>en</strong>ne à l’essor de c<strong>et</strong>te discipline(Miller, 2003) 11 .Le pays qui contrôle les normes de la publication sci<strong>en</strong>tifique finit égalem<strong>en</strong>t, à la longue, parcontrôler l’<strong>en</strong>semble du processus de production sci<strong>en</strong>tifique. Or, peu à peu, les États-Unis ontimposé leurs normes au reste du monde. Ce sont eux qui définiss<strong>en</strong>t, par exemple, les critèresà utiliser pour le diagnostic <strong>des</strong> troubles m<strong>en</strong>taux (DSM-IV, 1996), la façon d’utiliser les ressourcesdocum<strong>en</strong>taires <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> (Reed <strong>et</strong> Baxter, 1983), la façon de prés<strong>en</strong>ter les donnéesempiriques, les confér<strong>en</strong>ces orales ou affichées (Nicol <strong>et</strong> Pexman, 2003) ou, <strong>en</strong>fin, la façon derédiger un article <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> (voir, à titre d’illustration, les 439 pages du très obsessionnel« Publication Manual » de l’American Psychological Association (APA, 2001, 5 e édition). Bi<strong>en</strong>sûr, de telles normes ont d’abord un eff<strong>et</strong> technique, dont l’intérêt n’est pas contestable, maiselles exerc<strong>en</strong>t aussi une forte contrainte sur le choix <strong>des</strong> métho<strong>des</strong>, sur les règles formelles deprés<strong>en</strong>tation <strong>des</strong> données, sur les règles linguistiques de rédaction <strong>et</strong>, même, sur les obligationséthiques à respecter. Ces normes définiss<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> quelque sorte, un « sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>t correct »,établi aux États-Unis, hors duquel il est sans doute illusoire d’espérer publier même la plus belle<strong>des</strong> découvertes. Je connais d’ailleurs une université française où les normes de publication del’APA font l’obj<strong>et</strong> d’un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t...<strong>en</strong> troisième année d’étu<strong>des</strong> de <strong>psychologie</strong> (c’est-à-direchez <strong>des</strong> étudiants dont très peu feront de la recherche ultérieurem<strong>en</strong>t, ce qui démontre que lebut visé n’est pas seulem<strong>en</strong>t technique mais aussi culturel <strong>et</strong> idéologique : adopter <strong>des</strong> normestechniques américaines pour rédiger, justem<strong>en</strong>t, un simple mémoire de lic<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> français).Enfin, les États-Unis occup<strong>en</strong>t une position dominante dans le processus d’évaluation quantitativede la qualité de la recherche. Ce sont eux qui définiss<strong>en</strong>t les critères d’<strong>en</strong>trée d’une revuedans ce processus, ce sont eux aussi qui définiss<strong>en</strong>t les indicateurs statistiques qui perm<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t un10 Les comités sci<strong>en</strong>tifiques <strong>des</strong> congrès internationaux <strong>et</strong> <strong>des</strong> sociétés savantes subiss<strong>en</strong>t aussi c<strong>et</strong>te pression américaine.L’exemple de l’ISSBD (International Soci<strong>et</strong>y for the Study of Behavioral Developm<strong>en</strong>t) est très révélateur à c<strong>et</strong> égard :créés <strong>en</strong> 1978 <strong>en</strong> Europe, avec une participation française (E. Vurpillot), ces congrès sont d’abord organisés <strong>en</strong> Europe,puis la participation américaine devi<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus importante <strong>et</strong>, <strong>en</strong>fin, sa revue, est maint<strong>en</strong>ant publiée aux États-Unis(Bloch, 2006, p. 113).11 La réaction de Houdé <strong>et</strong> Mazoyer (2003) <strong>et</strong> celle de Vauclair <strong>et</strong> Perr<strong>et</strong> (2003) à c<strong>et</strong> article de Miller, si elles sontjustes dans leur principe, sont toutefois relativem<strong>en</strong>t décalées par rapport au fond du problème. La question (impertin<strong>en</strong>te)aurait été la suivante : pour quelle(s) raison(s), un psychologue américain, r<strong>et</strong>raçant l’histoire <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces cognitives,oublie-t-il, consciemm<strong>en</strong>t ou inconsciemm<strong>en</strong>t, l’apport de la <strong>psychologie</strong> europé<strong>en</strong>ne à c<strong>et</strong>te discipline ? Et pourquoi lasituation inverse est-elle inimaginable ?


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 141classem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> recherches (on connaît le rôle prépondérant de l’ISI dans ce processus <strong>et</strong> la tyranniemétrologique du facteur d’impact dans ce domaine) [Beauvois <strong>et</strong> Pansu, ce numéro]. Toute c<strong>et</strong>temachinerie finit par imposer l’idée selon laquelle tout ce qui se fait de « bi<strong>en</strong> » <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> estaméricain ou résulte, à la rigueur, de la collaboration de quelques indigènes méritants avec <strong>des</strong>chercheurs américains.2.4. Psychologie française : <strong>psychologie</strong> de sous-traitance, <strong>psychologie</strong> de complaisanceAlors que la France a joué un rôle important dans la naissance de la <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique<strong>et</strong> dans son développem<strong>en</strong>t, celle-ci est dev<strong>en</strong>ue globalem<strong>en</strong>t, aujourd’hui, une <strong>psychologie</strong> <strong>des</strong>econd plan, <strong>et</strong> souv<strong>en</strong>t de sous-traitance par rapport à la <strong>psychologie</strong> nord-américaine. Le système<strong>des</strong> post-doctorats est d’ailleurs un bon indicateur de c<strong>et</strong>te dép<strong>en</strong>dance sci<strong>en</strong>tifique <strong>et</strong>, de plus<strong>en</strong> plus, culturelle (De Montlibert, 2004). Après avoir été formé <strong>en</strong> France, ou ailleurs, le jeunechercheur <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> est vivem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>couragé, voire quasim<strong>en</strong>t contraint, s’il souhaite faireune brillante carrière dans le domaine sci<strong>en</strong>tifique, à accomplir un stage d’une année (mais souv<strong>en</strong>tplus) dans un laboratoire étranger. Dans la majorité <strong>des</strong> cas, il choisira un laboratoire américainpour ce stage à l’allure parfois initiatique. Les laboratoires étasuni<strong>en</strong>s profit<strong>en</strong>t ainsi <strong>des</strong> meilleursétudiants-chercheurs du monde <strong>en</strong>tier à un coût économique <strong>et</strong> social minimum puisqu’ils ne lesont pas formés <strong>et</strong> que les bourses de recherche sont le plus souv<strong>en</strong>t payées par le pays d’origine.Dans le meilleur <strong>des</strong> cas (mais il y a aussi <strong>des</strong> échecs 12 ), l’appr<strong>en</strong>ti chercheur français peut réussirà copublier avec un chercheur américain r<strong>en</strong>ommé dans une revue à fort facteur d’impact. Ilrevi<strong>en</strong>dra alors, peut-être, <strong>en</strong> France <strong>et</strong> devi<strong>en</strong>dra un promoteur local de la théorie, <strong>des</strong> résultatsou <strong>des</strong> métho<strong>des</strong> de ce chercheur américain (plusieurs noms de chercheurs français <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>vi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ici à l’esprit, au lecteur à les deviner). Progressivem<strong>en</strong>t, un tel système, m<strong>et</strong> <strong>en</strong> place, dansnotre pays, une recherche très dép<strong>en</strong>dante <strong>des</strong> États-Unis, une recherche de sous-traitance, voire,parfois, de complaisance. Cela <strong>en</strong> obère, peu à peu, <strong>et</strong> sans doute pour longtemps, la spécificité <strong>et</strong>l’originalité. En d’autres termes, une <strong>des</strong> fonctions perverses de ce système de post-doctorats estde perm<strong>et</strong>tre un adoubem<strong>en</strong>t outre-atlantique de chercheurs indigènes capables de faire <strong>en</strong>suitela promotion de la recherche étasuni<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> France <strong>et</strong> souv<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> prime, celle du mode de vie <strong>et</strong>de travail du Nouveau Monde néolibéral 13 .Cela ressemble, à s’y mépr<strong>en</strong>dre, à une évolution de type néocolonial. Celle-ci s’est d’ailleurs<strong>en</strong>core acc<strong>en</strong>tuée au cours <strong>des</strong> dernières années. L’adoption du système d’étu<strong>des</strong> anglo-saxon<strong>en</strong> France, <strong>et</strong> <strong>en</strong> Europe (dit LMD : Lic<strong>en</strong>ce, Mastère, Doctorat) devrait même faciliter c<strong>et</strong>temise sous tutelle nord-américaine de la recherche <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>. La mobilité <strong>en</strong>tre la France<strong>et</strong> l’Amérique du Nord sera <strong>en</strong>core acc<strong>en</strong>tuée mais de façon inégalitaire : nos post-doctorantsseront formatés correctem<strong>en</strong>t pour les États-Unis <strong>et</strong> les étudiants nord-américains pourront êtrecandidats, de façon avantageuse, sur nos postes d’<strong>en</strong>seignants <strong>et</strong> de chercheurs.12 Par exemple, le Présid<strong>en</strong>t de la section 24 du CNRS (interactions cellulaires) remarque ainsi que « les 2 ou 3 jeuneschercheurs qui sont véritablem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> difficulté professionnelle dans notre section ont tous été recrutés (...) avec une listede publications compr<strong>en</strong>ant plus de deux articles dans <strong>des</strong> journaux à facteur d’impact supérieur à 10. Le fait d’avoirfait une thèse <strong>et</strong> un stage post-doctoral dans <strong>des</strong> laboratoires de r<strong>en</strong>om, peut masquer, dans quelques cas, une maturitésci<strong>en</strong>tifique insuffisante <strong>et</strong> un réel manque d’autonomie »13 En particulier la généralisation au domaine de la recherche sci<strong>en</strong>tifique <strong>des</strong> règles de compétition extrême caractérisantle monde économique. Comme le remarque Jean-François Le Ny, c’est vers la fin années 1960 que « fur<strong>en</strong>t importées<strong>des</strong> États-Unis, sous le couvert de l’exig<strong>en</strong>ce normale de compétition inhér<strong>en</strong>te à la recherche, ces pratiques de clique,d’avidité <strong>et</strong> de férocité sci<strong>en</strong>tifiques qui ont bi<strong>en</strong> <strong>en</strong>laidi la vie du chercheur [<strong>en</strong> Psychologie] » (Le Ny, 1992, p. 269).


142 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155L’étape suivante est évidemm<strong>en</strong>t la pénétration directe du système universitaire <strong>des</strong> payseuropé<strong>en</strong>s par <strong>des</strong> institutions nord-américaines. Elle est <strong>en</strong>core prud<strong>en</strong>te <strong>en</strong> France, mais pasinexistante (voir, par exemple, The American University of Paris <strong>et</strong> ses 900 étudiants) mais elleest déjà très <strong>en</strong>gagée dans les pays de la « nouvelle » Europe 14 . Dès le début <strong>des</strong> années 1990,les États-Unis ont, <strong>en</strong> eff<strong>et</strong>, conditionné leur aide économique <strong>en</strong> direction <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s pays poststalini<strong>en</strong>sà un usage int<strong>en</strong>sif de l’anglais dans les domaines de la formation <strong>et</strong> du loisir (Hagège,2006, pp. 64–65). Si vous participez à un congrès sci<strong>en</strong>tifique, disons <strong>en</strong> Bulgarie, vous risquezfort de résider dans un Hôtel appart<strong>en</strong>ant désormais à <strong>des</strong> fonds de p<strong>en</strong>sion américains <strong>et</strong> d’assisteraux confér<strong>en</strong>ces dans une université financée par <strong>des</strong> fonds anglo-saxons 15 .3. Vers <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s d’opposition (<strong>psychologie</strong>s critiques, <strong>psychologie</strong>salternatives...)Si la <strong>psychologie</strong> américaine dominante participe aux objectifs du système étasuni<strong>en</strong>, il n’estpas très risqué d’avancer que, ces objectifs étant surtout poursuivis au profit <strong>des</strong> groupes étasuni<strong>en</strong>sdominants, c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> dominante devrait pouvoir être elle-même taxée de collusion avecces groupes dominants. C’est globalem<strong>en</strong>t l’idée que déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les t<strong>en</strong>ants <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s qu<strong>en</strong>ous disons ici d’opposition 16 .Les <strong>psychologie</strong>s d’opposition (<strong>psychologie</strong>s critiques, <strong>psychologie</strong>s alternatives) critiqu<strong>en</strong>t la<strong>psychologie</strong> dominante à prét<strong>en</strong>tion paradigmatique (the mainstream psychology, réputée ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>taméricaine) d’un point de vue qu’on peut t<strong>en</strong>ir pour a priori intraculturel. La critiquequi nous intéresse ici porte souv<strong>en</strong>t sur le fait que c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> repr<strong>en</strong>d les valeurs, principes<strong>et</strong> les postulats <strong>des</strong> groupes dominants dans nos cultures, voire d’un groupe dominant.L’une <strong>des</strong> plus classiques 17 de ces critiques est issue de t<strong>en</strong>dances du mouvem<strong>en</strong>t féministe <strong>et</strong>revi<strong>en</strong>t à considérer que les postulats, principes <strong>et</strong> concepts de la <strong>psychologie</strong> dominante sont <strong>en</strong>phase avec ceux du groupe dominant <strong>des</strong> hommes <strong>et</strong> sont peu représ<strong>en</strong>tatifs de ceux du groupe<strong>des</strong> femmes. Comme l’affirmera dès 1968 l’une <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tantes de ce mouvem<strong>en</strong>t (NaominWeisstein), la <strong>psychologie</strong> construit le g<strong>en</strong>re — femme (the female). Sans doute, les assomptionspsychanalytiques fur<strong>en</strong>t-elles le prétexte, à la fin <strong>des</strong> années 1960, au démarrage de ce courant14 C<strong>et</strong> interv<strong>en</strong>tionnisme direct n’est pas réellem<strong>en</strong>t nouveau, même dans les sci<strong>en</strong>ces psychologiques <strong>et</strong> pour la « vieilleEurope ». Il a pu pr<strong>en</strong>dre la forme d’ai<strong>des</strong> financières à la recherche <strong>et</strong> aux publications europé<strong>en</strong>nes. Moscovici <strong>et</strong> Markova(2006), dans leur histoire (cachée) de la <strong>psychologie</strong> sociale, rappell<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>t <strong>des</strong> institutions étasuni<strong>en</strong>nes ou dominéespar les États-Unis (comme l’OTAN) ont, dans la période de l’après-guerre, sponsorisé, voire suscité l’organisation d’unediscipline europé<strong>en</strong>ne ayant son association <strong>et</strong> sa revue. C<strong>et</strong>te association est aujourd’hui, dans sa dominante, la voix del’Amérique <strong>en</strong> Europe <strong>et</strong> ses créateurs ne s’y reconnaiss<strong>en</strong>t ou ne s’y reconnaîtrai<strong>en</strong>t guère.15 Le cas de la Bulgarie, qui vi<strong>en</strong>t d’intégrer la Communauté europé<strong>en</strong>ne, est, à ce titre, très révélateur. Entre 1991<strong>et</strong> 1995, le parlem<strong>en</strong>t bulgare a habilité cinq universités privées dont deux sont clairem<strong>en</strong>t financées par <strong>des</strong> fondsanglo-américains : The New Bulgarian University and The American University in Bulgaria. Elles développ<strong>en</strong>t <strong>des</strong> cursusaméricains (Bachelor-Master-Doctorate) <strong>et</strong> ont pour objectif prioritaire de développer les connaissances dans les domainesde la gestion de l’économie néolibérale. Comme le déclare John Daniel, à propos de The New Bulgarian University, ces« nouvelles universités » de la « nouvelle » Europe sont « fondées pour le profit, pour <strong>en</strong>seigner un spectre plus étroit dedisciplines, la gestion du personnel, la direction d’<strong>en</strong>treprise <strong>et</strong> l’informatique » (Sofia, 8 mars 2000).16 Nous préférons désormais l’expression de <strong>psychologie</strong>s d’opposition à celles pourtant déjà utilisées de « <strong>psychologie</strong>scritiques » ou de « <strong>psychologie</strong>s alternatives ». C<strong>et</strong>te dernière expression <strong>en</strong> particulier appelle <strong>des</strong> t<strong>en</strong>dances respectablesmais aussi <strong>des</strong> t<strong>en</strong>dances qui le sont n<strong>et</strong>tem<strong>en</strong>t moins...même si ces dernières ont <strong>en</strong>vahi la toile à <strong>des</strong> fins de commerce.17 En parlant ici de <strong>psychologie</strong>s d’opposition, nous ne nous arrêterons que sur les t<strong>en</strong>dances ayant t<strong>en</strong>té « une autre »<strong>psychologie</strong>. Mais c’est vrai que les critiques politiques de la <strong>psychologie</strong> ne manqu<strong>en</strong>t pas, même avant que naiss<strong>en</strong>t ces<strong>psychologie</strong>s d’opposition (Herbert, 1966 ; Tiberghi<strong>en</strong>, 1979...).


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 143(hystérie, <strong>en</strong>vie du pénis...) Mais, les psychologues sociaux se souvi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t aussi aisém<strong>en</strong>t dela critique faite par <strong>des</strong> féministes de la théorie du développem<strong>en</strong>t moral avancée par Laur<strong>en</strong>ceKohlberg <strong>et</strong> de son insistance sur l’émerg<strong>en</strong>ce de principes abstraits supposés universels commesummum cognitif de la morale, pour r<strong>en</strong>dre compte de ce qu’est chez nous le développem<strong>en</strong>t <strong>des</strong>jeunes mecs 18 . Rappelons d’ailleurs que l’instrum<strong>en</strong>tation de c<strong>et</strong>te théorie (le célèbre « test dejugem<strong>en</strong>t moral ») conduisait à trouver que les femmes n’atteignai<strong>en</strong>t que rarem<strong>en</strong>t les niveauxd’élaboration morale <strong>des</strong> hommes. Une reformulation fut alors avancée (Gilligan, 1982/1986) poursubstituer à l’émerg<strong>en</strong>ce de principes abstraits (comme ceux de justice <strong>et</strong> de démocratie) celled’attitu<strong>des</strong> à l’égard d’autrui plus ajustées aux femmes (comme la compassion ou la sollicitude) 19 .C’est de telles discussions <strong>et</strong> sur <strong>des</strong> bases comparables qu’est née c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> d’oppositiondite <strong>psychologie</strong> féministe. Celle-ci se prés<strong>en</strong>te donc à la fois :• comme une critique de la <strong>psychologie</strong> dominante <strong>et</strong> <strong>des</strong> pratiques que c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> justifie(notamm<strong>en</strong>t éducatives, thérapeutiques, psychiatriques) ;• <strong>et</strong> comme une recherche de théories alternatives fondant une « autre » <strong>psychologie</strong>. Par exemple,Walker (1990) pointe six positions typiquem<strong>en</strong>t féministes d’une théorie thérapeutique :◦ relations égalitaires <strong>en</strong>tre le cli<strong>en</strong>t <strong>et</strong> le thérapeute ;◦ incitation (de la cli<strong>en</strong>te) à l’acquisition de pouvoir social ;◦ valorisation <strong>des</strong> t<strong>en</strong>dances propres aux femmes ;◦ non-ori<strong>en</strong>tation de l’analyse vers la pathologie <strong>et</strong> vers la victimisation ;◦ accepter une éducation <strong>en</strong> tant que femme ;◦ acceptation <strong>et</strong> validation <strong>des</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts.Il n’est pas innoc<strong>en</strong>t de remarquer que l’œuvre théorique de Kohlberg, critiquée comme unepratique théorique de mec par Gilligan (Gilligan, 1982/1986), fut aussi critiquée par Shweder,1982 (l’année où paraissait le livre de Gilligan aux États-Unis), comme une pratique théoriquelibérale dans un texte au titre provocateur : le libéralisme comme <strong>des</strong>tinée ? De fait, la critique de la<strong>psychologie</strong> dominante comme étant une <strong>psychologie</strong> libérale (pour ne pas dire : « capitaliste »),crispée sur le statu quo social, donc une <strong>psychologie</strong> <strong>en</strong> collusion avec les groupes qui jouiss<strong>en</strong>tde ce statu quo <strong>et</strong> qui de fait port<strong>en</strong>t le capitalisme (dont le libéralisme est l’idéologie), n’est pasréc<strong>en</strong>te (voir les textes de Herbert, 1966 ; Caplan <strong>et</strong> Nelson, 1973 ; Tiberghi<strong>en</strong>, 1979 ; Sampson,1981). Mais, elle ne s’est pas toujours assortie de la proposition <strong>et</strong> de l’incitation à d’ « autres »<strong>psychologie</strong>s, non embrigadées dans les statu quo capitalistes <strong>et</strong> libéraux. Ces incitations sontv<strong>en</strong>ues, qui se sont volontiers regroupées sous les expressions de <strong>psychologie</strong> « radicale » (Heather,1976) ou de <strong>psychologie</strong> « critique », par exemple avec Sullivan (1990) 20 , Fox <strong>et</strong> Prillelt<strong>en</strong>sky(1997) ou Walkerdine (2002), <strong>en</strong>tre autres 21 . Ces <strong>psychologie</strong>s ont leur site 22 , leurs journaux(International Journal of Critical Psychology), leurs séries d’ouvrages <strong>et</strong> leur congrès. L’université18 Voir la traduction de l’ouvrage de Gilligan, 1982/1986.19 On trouvera une bonne évocation de ces débats dans Tostain, 1999.20 « C’est la tâche de la <strong>psychologie</strong> critique d’id<strong>en</strong>tifier les facteurs structurels <strong>des</strong> hégémonies de notre société quicré<strong>en</strong>t une oppression systématique à l’égard de certains groupes culturels spécifiques : noirs, femmes, <strong>en</strong>fants...»(p. 91).21 Qu’on excuse nos tics de psychologues formés dans le sérail <strong>et</strong> qui persist<strong>en</strong>t à ne regarder qu’outre-Atlantique ! Onpeut faire démarrer le courant de la <strong>psychologie</strong> critique <strong>en</strong> Allemagne, dans les années 1970 avec l’œuvre théorique dumarxiste Klaus Holzkamp.22 On a un faible pour www.raspsyn<strong>et</strong>.org <strong>et</strong> www.criticalm<strong>et</strong>hods.org, ce site proposant d’excell<strong>en</strong>ts articles de psychologuesd’Afrique du Sud sur le mouvem<strong>en</strong>t critique dans leur pays (http://www.criticalm<strong>et</strong>hods.org/collab/critpsy.htm).


144 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155de Sydney a même désormais un départem<strong>en</strong>t de <strong>psychologie</strong> critique 23 . Voici, par exemple l’appelpour l’International Confer<strong>en</strong>ce of Critical Psychology de 2003 :« Critical psychology takes many forms, and has chall<strong>en</strong>ged many fields of psychology. Criticalpsychologists have confronted numerous boundaries within psychology, and in several fields thesechall<strong>en</strong>ges have be<strong>en</strong> extremely successful. Critical psychology has infiltrated many mainstreamideas.Is critical psychology becoming part of the mainstream ? What are the dangers of this ? Wh<strong>en</strong>we achieve cons<strong>en</strong>sus, do we lose <strong>en</strong>ergy ? Is it time to find new grounds for chall<strong>en</strong>ge, creat<strong>en</strong>ew allegiances?This confer<strong>en</strong>ce provi<strong>des</strong> an exciting opportunity to take stock of the shifting boundaries andlines of conflict in contemporary critical psychology - to question curr<strong>en</strong>t and emerg<strong>en</strong>t divi<strong>des</strong> ».Et voici l’appel du même congrès <strong>en</strong> 2005 :« Beyond the pale — “outside the boundaries of the acceptable” — this is a defining feature ofCritical Psychology. A psychology of the excluded and marginalised, both those who are sociallydisplaced and those whose work and thought remain unacceptable to mainstream psychology.Of course the phrase hints at another mischievous meaning: beyond the white world - theoverdeveloped West with its intellectual imperialism and monopoly on academic resources. Ev<strong>en</strong>Critical Psychology has be<strong>en</strong> guilty of lapsing into elite conversations b<strong>et</strong>we<strong>en</strong> those who froma global perspective are in fact highly privileged, narrow in their domestic concerns, and almostas restricted in their theories and m<strong>et</strong>hods as those they so righteously d<strong>en</strong>ounce.Perhaps the task of the day should th<strong>en</strong> be to stimulate a broader <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t, to draw out issuesand voices that might not be part of the business-as-usual of Critical Psychology in its traditionalWestern academic format: to assemble a wider range of interests, perspectives, participantsand problems, bringing tog<strong>et</strong>her established areas of expertise and other hidd<strong>en</strong> and emergingpossibilities, to produce a more repres<strong>en</strong>tative <strong>en</strong>gagem<strong>en</strong>t.This is the chall<strong>en</strong>ge of the 2005 International Critical Psychology Confer<strong>en</strong>ce ».En s’institutionnalisant de la sorte, c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> d’opposition qui refuse le statu quo <strong>et</strong>qui veut donc changer la société <strong>en</strong> même temps que la <strong>psychologie</strong> elle-même, attire <strong>en</strong> son sein<strong>des</strong> t<strong>en</strong>dances très diverses (<strong>psychologie</strong> radicale, <strong>psychologie</strong> libératoire, <strong>psychologie</strong> féministe,<strong>psychologie</strong> <strong>des</strong> communautés, <strong>psychologie</strong> du discours...) dont il est évid<strong>en</strong>t qu’un certainnombre ont un cont<strong>en</strong>tieux avec l’épistémologie sci<strong>en</strong>tifique. La rev<strong>en</strong>dication d’approche nonexpérim<strong>en</strong>tale <strong>et</strong> non quantitative est récurr<strong>en</strong>te dans la <strong>psychologie</strong> critique. Nous y revi<strong>en</strong>drons.4. Mouvem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> indigènesÀ la même époque, le tournant de 1970, où <strong>des</strong> psychologues occid<strong>en</strong>taux contestai<strong>en</strong>t lescollusions machistes <strong>et</strong> libérales de la <strong>psychologie</strong> dominante (mainstream psychology) pourfonder <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s d’opposition, <strong>des</strong> psychologues d’Asie contestai<strong>en</strong>t les collusions de la<strong>psychologie</strong> occid<strong>en</strong>tale (western psychology, <strong>psychologie</strong> qu’ils t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t pour ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>taméricaine) avec les présupposés culturels <strong>des</strong> sociétés occid<strong>en</strong>tales. C’était la naissance dumouvem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s indigènes. Ce mouvem<strong>en</strong>t est aujourd’hui particulièrem<strong>en</strong>t actif <strong>et</strong>r<strong>en</strong>d compte d’une part importante de la littérature internationale réelle, notamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> Asie.Le mouvem<strong>en</strong>t s’est plus particulièrem<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong> branle aux Philippines sous l’impulsion duregr<strong>et</strong>té Virgilio Enriquez (Pe-Pua <strong>et</strong> Protacio-Marcelino, 2000). Il a d’emblée été associé à la23 www.uws.edu.au/criticalpsychology.


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 145rev<strong>en</strong>dication politique tant d’un refus de l’influ<strong>en</strong>ce idéologicoculturelle américaine que d’uneexig<strong>en</strong>ce de reconnaissance de la valeur intrinsèque <strong>des</strong> cultures dominées. De nombreux psychologuesasiatiques voyai<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> eff<strong>et</strong>, l’importation de la <strong>psychologie</strong> occid<strong>en</strong>tale (notamm<strong>en</strong>taméricaine) comme une forme d’<strong>impérialisme</strong> culturel qu’ils t<strong>en</strong>ai<strong>en</strong>t pour la perpétuation d’unecolonisation de l’esprit 24 . Ce mouvem<strong>en</strong>t s’est donc rapidem<strong>en</strong>t ét<strong>en</strong>du à l’Asie du Sud-Est, <strong>et</strong>,via Hong Kong <strong>et</strong> Taiwan, à la Chine, pour toucher par la suite l’Afrique <strong>et</strong> l’Amérique du Sud 25 .Le proj<strong>et</strong> <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s indigènes repose sur deux registres de propositions :• la <strong>psychologie</strong> américaine (ainsi que son satellite europé<strong>en</strong>) conti<strong>en</strong>t <strong>des</strong> postulats qu’elleemprunte à la culture américaine, notamm<strong>en</strong>t à l’individualisme libéral américain, postulatsqu’elle diffuse à travers le monde sous le manteau d’une « sci<strong>en</strong>ce psychologique ». Ce quila r<strong>en</strong>d, malgré ses prét<strong>en</strong>tions à l’universalité, inapte à compr<strong>en</strong>dre <strong>des</strong> faits psychologiquesinsérés dans <strong>des</strong> cultures hétérogènes. On peut même avancer que la <strong>psychologie</strong> dominant<strong>en</strong>’est, tout simplem<strong>en</strong>t, qu’une <strong>psychologie</strong> indigène américaine ;• les cultures <strong>des</strong> pays appelés à importer c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> dominante conti<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t <strong>des</strong> propositionssusceptibles de fournir <strong>des</strong> postulats pour <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s différ<strong>en</strong>tes, tout autant« sci<strong>en</strong>tifiques » que la <strong>psychologie</strong> occid<strong>en</strong>tale, mais ayant plus de signification pour le traitem<strong>en</strong>t<strong>des</strong> problèmes locaux. D’où la définition : une <strong>psychologie</strong> indigène est « l’étude ducomportem<strong>en</strong>t humain <strong>et</strong> <strong>des</strong> processus m<strong>en</strong>taux au sein d’un contexte culturel qui s’appuiesur les valeurs, les concepts, les systèmes de croyances, les méthodologies <strong>et</strong> autres ressourcesindigènes dans le groupe <strong>et</strong>hnique ou culturel sous investigation. » (Ho, 1998).Nous pouvons nous satisfaire ici de deux comm<strong>en</strong>taires :• la critique initiale était une critique géopolitique. Il ne s’agissait pas de rem<strong>et</strong>tre <strong>en</strong> cause lesambitions sci<strong>en</strong>tifiques portées par les psychologues occid<strong>en</strong>taux. Il ne fait aucun doute que<strong>des</strong> chercheurs asiatiques importants ont un proj<strong>et</strong> à la fois indigène <strong>et</strong> sci<strong>en</strong>tifique. C’est laraison pour laquelle <strong>des</strong> chercheurs occid<strong>en</strong>taux ont pu participer à la promotion de ces proj<strong>et</strong>s(dont surtout John Berry, voir Kim <strong>et</strong> Berry, 1993). Une contradiction est néanmoins très rapidem<strong>en</strong>tapparue. Comm<strong>en</strong>t concilier la valeur d’universalité de la sci<strong>en</strong>ce <strong>et</strong> le relativisme (ouparticularisme) <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s fondées chacune dans sa culture. Comme on dit quelquefois,comm<strong>en</strong>t allier l’étique (constructs à signification large <strong>et</strong> abstraite, à prét<strong>en</strong>tion universelle)<strong>et</strong> l’émique (constructs spécifiques, concr<strong>et</strong>s, à forte signification culturelle) 26 ? La réponseà c<strong>et</strong>te question variera évidemm<strong>en</strong>t avec l’appart<strong>en</strong>ance soit à la doctrine de la <strong>psychologie</strong>« interculturelle » (cross-cultural), doctrine très proche du proj<strong>et</strong> d’une <strong>psychologie</strong> universelle<strong>et</strong> pure, ou à la doctrine du constructivisme social, plus proche d’une anthropologie sanssci<strong>en</strong>ce psychologique concurr<strong>en</strong>te. Elle n’est de toute façon pas évid<strong>en</strong>te, <strong>et</strong> même <strong>des</strong> théorici<strong>en</strong>saussi sophistiqués que le taiwanais Hwang ont dû avancer <strong>des</strong> solutions qu’on peut jugertarabiscotées. Hwang (2004, 2005) propose, <strong>en</strong> eff<strong>et</strong>, aux chercheurs indigènes d’accepter que24 Aujourd’hui <strong>en</strong>core, San Juan (2006) donne à la <strong>psychologie</strong> (indigène) philippine (Sokolohiyang Filipino) <strong>des</strong>objectifs de « décolonisation ».25 Le proj<strong>et</strong> porté dans les années 1970 par Moscovici, Nuttin <strong>et</strong> Tajfel d’une « <strong>psychologie</strong> sociale europé<strong>en</strong>ne » relevaitd’une résistance de même nature d’un milieu europé<strong>en</strong> « indigène ».26 Voir Headland <strong>et</strong> al. (1990).


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 147un ressortissant d’une culture non individualiste <strong>et</strong> libérale. Traiter de façon approfondie de c<strong>et</strong>tequestion demanderait une réflexion de longue haleine <strong>et</strong> le format d’un ouvrage. Nous ne pouvonsici tracer que <strong>des</strong> pistes que chacun pourra explorer.5.1. En <strong>psychologie</strong> socialeNous ne pouvons ici établir une liste exhaustive <strong>des</strong> postulats culturels que véhicule la <strong>psychologie</strong>sociale indigène étasuni<strong>en</strong>ne <strong>et</strong>, conséquemm<strong>en</strong>t, la <strong>psychologie</strong> sociale qui, ici ou là,n’emprunte ses théories <strong>et</strong> référ<strong>en</strong>ces qu’<strong>en</strong> référ<strong>en</strong>ce à « ce qui se fait » aux États-Unis. Nous nouslimiterons à deux postulats impliqués par l’individualisme — soiïste (1 <strong>et</strong> 2) <strong>et</strong> à deux postulatsplus « libéraux » (3 <strong>et</strong> 4). Les psychologues sociaux seront parfaitem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> mesure de dire lesmodèles <strong>et</strong> théories qui disparaîtrai<strong>en</strong>t immédiatem<strong>en</strong>t du corpus <strong>et</strong> celles qui pourrai<strong>en</strong>t y êtreadmises si l’on r<strong>en</strong>onçait à tel ou tel de ces postulats culturels.La définition même de l’individualisme occid<strong>en</strong>tal d’aujourd’hui (celui <strong>des</strong> séries télévisées <strong>et</strong><strong>des</strong> films commerciaux 29 ) est au cœur de nombreuses démarches <strong>et</strong> théories psychosociales : cequi est individuel a plus de valeur (d’auth<strong>en</strong>ticité, de signifiance) que ce qui est collectif (postulat1). Inutile de dire que les cultures qui privilégi<strong>en</strong>t le bi<strong>en</strong>-être <strong>et</strong> l’harmonie collective ne peuv<strong>en</strong>taccepter, voire supporter, les théories directem<strong>en</strong>t issues de ce postulat (modèles de la formation<strong>des</strong> impressions ; nombreux aspects de la théorie de la catégorisation sociale...).Histoire d’aller vers la <strong>psychologie</strong> sociale du développem<strong>en</strong>t : la finalité « saine » du développem<strong>en</strong>tindividuel est l’autonomie <strong>et</strong> l’aptitude à la réalisation du soi (postulat 2). Allez déf<strong>en</strong>dreles formulations théoriques (<strong>et</strong> les pratiques) issues de ce postulat auprès de g<strong>en</strong>s qui ont appris <strong>en</strong>se développant qu’ils devai<strong>en</strong>t surtout savoir satisfaire les att<strong>en</strong>tes légitimes d’autrui à leur égard(concepts chinois d’amae <strong>et</strong> coré<strong>en</strong> de chong) <strong>et</strong> à trouver leur valeur dans l’interdép<strong>en</strong>dance <strong>et</strong>l’harmonie ! Plus généralem<strong>en</strong>t, toutes les « théories du soi » (<strong>en</strong> fait de notre soi, un soi posécomme un organe autonome) sont tributaires de ces postulats individualistes <strong>et</strong> soiïstes 30,31 .Plus libéral qu’individualiste est le postulat 3 selon lequel les individus doiv<strong>en</strong>t être personnellem<strong>en</strong>tmotivés (au s<strong>en</strong>s le plus trivial de ce concept : avoir <strong>en</strong>vie de) pour faire ce qu’ils font <strong>et</strong> pourle faire bi<strong>en</strong> (tout <strong>en</strong> étant heureux). Comme on le voit, ce postulat taylori<strong>en</strong> <strong>en</strong>vahit la <strong>psychologie</strong>sociale (concept de « motivation » dans les théories <strong>des</strong> organisations, théories de l’action,raisonnée ou non, promotion théorique <strong>et</strong> idéologique de la « motivation intrinsèque »...) sanspour autant être un énoncé ayant une valeur de vérité avérée au niveau de la formation sociale.Un postulat 4 très proche <strong>et</strong> <strong>en</strong>core plus n<strong>et</strong>tem<strong>en</strong>t libéral est <strong>en</strong>fin celui selon lequel <strong>en</strong> tantqu’organisation sociale, « notre » société est faite pour satisfaire les motivations individuelles.Ce postulat n’est pas sans rapport avec la contamination de notre p<strong>en</strong>sée par le concept propagandist<strong>et</strong>oujours actif 32 de « pays libre ». Raison pour laquelle le social est si peu prescriptif dans les29 Pour une distinction <strong>en</strong>tre l’individualisme <strong>des</strong> lumières <strong>et</strong> l’individualisme télévisuel actuel Beauvois (2005a).30 Dans le soiïsme, la valeur première n’est plus l’individu comme exemplaire de la personne humaine mais le soi,<strong>en</strong>t<strong>en</strong>du comme l’<strong>en</strong>semble <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tations qu’une personne a d’elle-même <strong>en</strong> tant qu’individu. L’objectif politiqued’un soiïste n’est plus la déf<strong>en</strong>se <strong>des</strong> individus contre les arbitraires <strong>et</strong> les pouvoirs (Voltaire, Constant, Zola), mais lapromotion que doit pouvoir faire, chacun, de son soi (être soi-même, ne pas subir d’emprise, s’assumer, se réaliser,s’éclater, <strong>et</strong>c.).31 Kim a développé, au Congrès international de l’IUp’S de 2004, une théorie du développem<strong>en</strong>t du soi plus conformeau confucianisme chinois. Nos psychologues soiïstes ont dû avoir du mal à accepter que le Hsin (valeur d’affiliation) soitle stade ultime du développem<strong>en</strong>t, arrivant juste après le Chi (valeur de la connaissance) (Kim, 2004).32 Les Français de notre âge ont appris durant la guerre froide à ne pas opposer pays capitaliste <strong>et</strong> pays communiste,mais pays libres <strong>et</strong> pays communistes.


148 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155théories psychosociales américaines 33 , le pouvoir ne pouvant être que « négocié », <strong>et</strong> l’obéissanceun concept évidemm<strong>en</strong>t obsolète. Notez, <strong>et</strong> ça tombe bi<strong>en</strong>, que les comités d’éthique interdis<strong>en</strong>taujourd’hui de fait l’étude de l’obéissance <strong>et</strong> de la manipulation.Il y <strong>en</strong> a bi<strong>en</strong> d’autres ! Mais ces quatre-là perm<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t de voir l’idéologie que véhicule la <strong>psychologie</strong>sociale dominante lorsqu’elle s’exporte dans le monde <strong>et</strong> y impose ses thématiques. Onpeut compr<strong>en</strong>dre les résistances d’autres cultures à ces <strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>ts américains que mondialise<strong>et</strong> universalise la <strong>psychologie</strong> sociale.5.2. En <strong>psychologie</strong> cognitiveDe très nombreuses étu<strong>des</strong> ont clairem<strong>en</strong>t mis <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce la façon dont les rapports de production<strong>et</strong> la culture dominante <strong>des</strong> États-Unis ont exercé un eff<strong>et</strong> déterminant sur l’origine <strong>et</strong> ledéveloppem<strong>en</strong>t de la <strong>psychologie</strong> du comportem<strong>en</strong>t ou behaviorisme (McDougall, 1926):• l’opérationnalisme, le pragmatisme, le réductionnisme <strong>et</strong> l’empirisme (conséqu<strong>en</strong>ces d’un positivism<strong>et</strong>riomphant) sont inséparables du mode de production capitaliste <strong>et</strong> sont aussi à la basede la <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique à la fin du xix e <strong>et</strong> au début du xx e siècle ;• le physicalisme sous-t<strong>en</strong>d, de façon évid<strong>en</strong>te, le modèle psychologique de l’homme-machine(le fameux schéma S-R) <strong>et</strong> il est lui-même lié à une conception mécaniste, idéologie <strong>en</strong> phaseavec le monde taylori<strong>en</strong> de l’<strong>en</strong>treprise industrielle qui s’impose aux États-Unis à c<strong>et</strong>te époque ;• le comportem<strong>en</strong>t est lui-même considéré comme malléable <strong>en</strong> fonction de l’expéri<strong>en</strong>ce (conditionnem<strong>en</strong>t,appr<strong>en</strong>tissage) de la même façon que la société avance <strong>en</strong> fonction du progrèsininterrompu <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces, <strong>des</strong> techniques <strong>et</strong> de la production industrielle 34 .Le développem<strong>en</strong>t du paradigme behavioriste <strong>en</strong> France a été, <strong>en</strong> revanche, très progressif, dudébut jusqu’au milieu du xx e siècle. L’accueil du behaviorisme par l’Université française a étérelativem<strong>en</strong>t réservé, celle-ci lui préférant, majoritairem<strong>en</strong>t une <strong>psychologie</strong> plus philosophique<strong>et</strong> plus phénoménologique s’intéressant aux conduites plutôt qu’aux comportem<strong>en</strong>ts (voir, parexemple, Jan<strong>et</strong>, Politzer, Guillaume, Merleau-Ponty) <strong>et</strong> une sociologie interactionniste. Le behaviorism<strong>en</strong>ord-américain fut d’ailleurs <strong>en</strong> vive compétition, <strong>en</strong> Europe dans les années 1950, avecla <strong>psychologie</strong> réflexologique soviétique (pavlovisme). La confrontation <strong>en</strong>tre ces deux courants,on s’<strong>en</strong> doute, n’était pas strictem<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifique, elle était aussi de nature idéologicopolitique<strong>et</strong> elle culmina dans les années dites de guerre froide, à partir de la fin de la seconde guerremondiale.3Un demi-siècle après la naissance du behaviorisme, la <strong>psychologie</strong> cognitive, lorsqu’elleapparaît, traduit aussi, sur le plan idéologique, la modification <strong>des</strong> modèles dominants auxÉtats-Unis. L’apparition d’une machine d’un nouveau type, l’ordinateur, va s<strong>en</strong>siblem<strong>en</strong>t modifierl’expression de c<strong>et</strong>te idéologie. Le modèle concevant l’homme comme une machine-outil,33 En vérité, il ne l’est pas du tout, ce que font les g<strong>en</strong>s pouvant toujours être « négocié ». J.-L. Beauvois discutait unjour avec un ténor étasuni<strong>en</strong> de la théorie de la dissonance <strong>et</strong> lui demandait pourquoi la situation de « tâche fastidieuse »n’avait jamais été intégrée par ses collègues aux situations de dissonance alors qu’elle répond <strong>en</strong> tout point à la définitionde Festinger. Il se vit répondre qu’il était inconcevable que <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s puiss<strong>en</strong>t, chez nous, passer <strong>des</strong> heures <strong>en</strong> état dedissonance (donc <strong>en</strong> état de t<strong>en</strong>sion contre-motivationnelle). La suite de la discussion montra clairem<strong>en</strong>t que « chez nous »voulait bi<strong>en</strong> dire « dans un pays libre » <strong>et</strong> que c<strong>et</strong>te expression correspondait à une conviction de notre collègue.34 Bakan (1966) note que l’émerg<strong>en</strong>ce du behaviorisme est contemporaine, aux États-Unis, du passage d’une sociétérurale à une société industrielle.


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 149une simple fonction <strong>en</strong>trée–sortie, modifiant l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t matériel dans une t<strong>en</strong>sion adaptativeperman<strong>en</strong>te, va céder progressivem<strong>en</strong>t la place à un modèle le concevant comme une machineinformationnelle modulaire, un système de traitem<strong>en</strong>t de l’information transformant <strong>des</strong> symboles<strong>en</strong> action(s) <strong>et</strong> <strong>en</strong> langage(s). Le behaviorisme était une métathéorie psychologique fondéesur la performance <strong>et</strong> l’adaptabilité perman<strong>en</strong>te par l’appr<strong>en</strong>tissage : il était donc <strong>en</strong> phase avecune culture valorisant la technique industrielle <strong>et</strong> l’amélioration continue de la production par larépétition <strong>et</strong> la standardisation (voir le taylorisme, par exemple). Le cognitivisme va, au contraire,insister sur la modularité <strong>des</strong> fonctions psychologiques, c’est-à-dire leur spécialisation (modularismecognitif), leur fonctionnem<strong>en</strong>t logique <strong>et</strong> computationnel, ainsi que sur l’origine innée<strong>des</strong> processus m<strong>en</strong>taux. Tous ces traits sont évidemm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> phase avec l’idée d’une relative fixitéde l’ordre naturel du psychisme <strong>et</strong>, au-delà, de l’ordre social. Au fond, un système modulaireest fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t un système hiérarchique qui ne contrôle le comportem<strong>en</strong>t (la productionmatérielle) que par une manipulation computationnelle de symboles (ressources abstraites). C<strong>et</strong>t<strong>et</strong><strong>en</strong>dance est d’ailleurs r<strong>en</strong>forcée <strong>en</strong>core par l’adhésion, assez majoritaire, <strong>des</strong> cognitivistes à uninnéisme de bon aloi, <strong>en</strong> rupture avec le constructivisme implicite <strong>des</strong> behavioristes. Finalem<strong>en</strong>t,les cognitivistes accept<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> l’héritage que leur transm<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t les behavioristes (méthode expérim<strong>en</strong>tale,positivisme) mais ils le transmu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> une métathéorie compatible avec la société del’information (un positivisme logique).Si le behaviorisme est l’american way of life (of behavior ?) importé <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>, dans lespays de l’ouest de l’Europe, le cognitivisme est, sans aucun doute l’ « american way of thinking ».Ce nouveau paradigme, qui se développe à partir <strong>des</strong> années 1950 aux États-Unis, va s’imposer àla <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique, <strong>et</strong> <strong>en</strong> moins de deux déc<strong>en</strong>nies c<strong>et</strong>te fois. Avec le recul, on constateque le behaviorisme a accompagné, de très près, le l<strong>en</strong>t développem<strong>en</strong>t du capitalisme industriel(l’homme-machine) dont le point culminant a été atteint, <strong>en</strong> premier lieu, par les États-Unis aumilieu du siècle dernier. Le cognitivisme, qui lui a succédé, a suivi de très près, le développem<strong>en</strong>trapide du capitalisme de l’intellig<strong>en</strong>ce (l’homme-ordinateur), les États-Unis précédant derechef,dans ce domaine, la « vieille » Europe 35 .5.3. En sci<strong>en</strong>ces cognitivesDans les deux dernières déc<strong>en</strong>nies du siècle dernier, l’intégration progressive de la <strong>psychologie</strong>au programme de recherche <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces cognitives a sans doute <strong>en</strong>core acc<strong>en</strong>tué son assimilationà la superstructure sci<strong>en</strong>tifique, technique <strong>et</strong> idéologique nord-américaine. Les sci<strong>en</strong>ces cognitivesvont reposer, à partir <strong>des</strong> années 1970, sur le postulat selon lequel le cerveau est un systèmecomputationnel, c’est-à-dire qu’il fonctionne, dans ses gran<strong>des</strong> lignes, comme un ordinateur digital.L’esprit est dans la machine calculatoire, <strong>et</strong> celle-ci est dans le cerveau, ou mieux, celle-ci est lecerveau lui-même. Sur le plan idéologique, c<strong>et</strong>te matérialisation-naturalisation de l’esprit a <strong>en</strong>corer<strong>en</strong>forcé les options innéiste <strong>et</strong> modulariste de la <strong>psychologie</strong> cognitive. Mais c<strong>et</strong>te fois, le modularisme<strong>et</strong> l’innéisme de l’esprit sont dans le cerveau lui-même. Cela va perm<strong>et</strong>tre, notamm<strong>en</strong>t<strong>en</strong> raison du progrès <strong>des</strong> techniques d’imagerie cérébrale, une récupération idéologique spectaculairesous la forme d’une technophrénologie 36 très souv<strong>en</strong>t délirante : les fonctions cognitives,35 Nous ne dégageons ici que très brièvem<strong>en</strong>t la signification sociopolitique de c<strong>et</strong>te évolution de la <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique.On peut trouver <strong>des</strong> analyses plus approfondies de la relation <strong>en</strong>tre le développem<strong>en</strong>t du capitalisme <strong>et</strong> celuide la <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique in : Bakan (1966), Chomsky (1972), Heather (1976), Lecocq (1975), Paicheler (1992) <strong>et</strong>Tiberghi<strong>en</strong> (1979, 1985a, 1985b).36 M. Imbert (2006) parle, à juste titre, de phrénomythologie.


150 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155pourtant le plus souv<strong>en</strong>t assez mal définies, sont localisées très précisém<strong>en</strong>t dans le cerveau,mais aussi l’ordre social <strong>et</strong> ses hiérarchies historiques conting<strong>en</strong>tes. Leur inscription cérébrale estsupposée innée <strong>et</strong> soumise, de façon plutôt rigide, aux lois darwini<strong>en</strong>nes de l’évolution (voir ledéveloppem<strong>en</strong>t actuel de la <strong>psychologie</strong> cognitive évolutionniste) 37 .On ne s’étonnera donc pas que certains chercheurs <strong>en</strong> neurosci<strong>en</strong>ces finiss<strong>en</strong>t à la « Corbeille »(celle de Wall Stre<strong>et</strong>, évidemm<strong>en</strong>t) <strong>et</strong> développ<strong>en</strong>t une nouvelle discipline, la neuroéconomie. Ilsont cru, <strong>en</strong> eff<strong>et</strong>, découvrir d’intéressants parallèles <strong>en</strong>tre les lois de fonctionnem<strong>en</strong>t du cerveau<strong>et</strong> les règles de gouvernance <strong>des</strong> <strong>en</strong>treprises capitalistes modernes <strong>et</strong> ils demeur<strong>en</strong>t subjugués parl’homothétie qu’ils croi<strong>en</strong>t « voir » <strong>en</strong>tre l’organisation modulaire <strong>et</strong> hiérarchique du cerveau <strong>et</strong>l’organigramme de nos plus belles sociétés multinationales. Allant, de surprises <strong>en</strong> surprises, ilsdécouvr<strong>en</strong>t dans le cerveau aussi bi<strong>en</strong> l’aire du Marché que celle du Coca-Cola. Quelle intéressant<strong>en</strong>eurosci<strong>en</strong>ce cognitive ! Elle apporte <strong>en</strong>fin une « preuve » sci<strong>en</strong>tifique du caractère naturel(obligatoire) de la validité du système économique (américain), système qui peut donc domineraujourd’hui, légitimem<strong>en</strong>t <strong>et</strong> naturellem<strong>en</strong>t, la totalité de la planète (Sanfey <strong>et</strong> al., 2006) 38 .«Thereis no other alternative » comme le répétait, à satiété, Margar<strong>et</strong> Thatcher : la fin de l’Histoire...<strong>et</strong>de la Sci<strong>en</strong>ce, <strong>en</strong> somme.Il n’est donc pas très surpr<strong>en</strong>ant de constater que <strong>des</strong> recherches de plus <strong>en</strong> plus nombreusest<strong>en</strong>t<strong>en</strong>t alors de fonder sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>t la manipulation <strong>des</strong> esprits sur <strong>des</strong> techniques de neuroimageriecognitive. Des laboratoires de recherche fondam<strong>en</strong>tale 39 v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t à <strong>des</strong> <strong>en</strong>treprises <strong>des</strong>promesses illusoires d’images cérébrales associées à <strong>des</strong> produits commerciaux. Ce n’est, hélas,pas la première fois que la psycho- <strong>et</strong> la neurotechnologie sont mises au service d’un contrôle<strong>des</strong> esprits à <strong>des</strong> fins mercantiles ou politiques (Schwitzgebel <strong>et</strong> Schwitzgebel, 1973 ; Tiberghi<strong>en</strong>,1979, 1982).6. Éthique libérale ou exportation d’une image appropriée de l’HommeNous avons déjà ailleurs pris parti contre une éthique dont l’esprit nous vi<strong>en</strong>t bel <strong>et</strong> bi<strong>en</strong> del’intellig<strong>en</strong>tsia américaine, <strong>et</strong> contre les injonctions de l’American Psychological Associationqu’ont gobées les chercheurs <strong>en</strong> quête de positionnem<strong>en</strong>t par le facteur d’impact (Beauvois,2005b). C<strong>et</strong>te éthique est sans la moindre contestation possible une éthique qui repose sur uneconception très particulière de ce qui fait la beauté de l’Homme <strong>et</strong> qui diffuse c<strong>et</strong>te conceptiondans le monde à travers les sociétés savantes <strong>et</strong> les organismes de recherches.Le point ess<strong>en</strong>tiel (au-delà <strong>des</strong> facéties verbales) est la clause du cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t éclairé, clé devoûte de c<strong>et</strong>te éthique. C’est au caractère fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t libéral de c<strong>et</strong>te clause que nous nousarrêterons.Pr<strong>en</strong>ons le cas <strong>des</strong> étudiants, puisqu’ils constitu<strong>en</strong>t la cohorte la plus nombreuse <strong>des</strong> suj<strong>et</strong>sexpérim<strong>en</strong>taux. Ils ont certes fait un acte volontaire <strong>en</strong> s’inscrivant à l’Université. Ils ont peut-être37 Et pourtant de nombreuses données empiriques, <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> <strong>et</strong> <strong>en</strong> neurologie, étay<strong>en</strong>t plutôt une théorie noncomputationnelle de la cognition <strong>et</strong> du cerveau (Tiberghi<strong>en</strong>, 1999 ; Tiberghi<strong>en</strong> <strong>et</strong> Jeannerod, 1995).38 Il ne reste plus qu’à trouver dans le cerveau une neuro-image qui démontre l’exist<strong>en</strong>ce de Dieu. Oh, pardon, c’estdéjà fait : Newberg <strong>et</strong> al., 2001 l’ont trouvée <strong>et</strong> <strong>en</strong> conclu<strong>en</strong>t que « le cerveau humain a été génétiquem<strong>en</strong>t conçu pour<strong>en</strong>courager les croyances religieuses » !39 Citons, aux États-Unis le laboratoire « Mind and the Mark<strong>et</strong> » (Harvard Business School) patronné par un psychologue(S.M. Kosslyn) <strong>et</strong> un économiste (G. Zaltman). En France, un psychologue (O. Ko<strong>en</strong>ig), un neurologue (B. Croisille) <strong>et</strong>un publicitaire (B. Poy<strong>et</strong>) ont créé, <strong>en</strong> 2001, un cabin<strong>et</strong> de consultants « Impact Mémoire » dont l’objectif est d’utilisernos connaissances, psychologiques <strong>et</strong> neurologiques, dans le domaine de la mémoire afin d’optimiser (sic) les messagespublicitaires.


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 151aussi choisi telle ou telle option dans un registre souv<strong>en</strong>t étroit décidé par les <strong>en</strong>seignants locaux.Ces actes réalisés, il ne leur reste qu’à obéir aux règles du fonctionnem<strong>en</strong>t de l’Université, ce qu’ilsfont sans même y réfléchir tout au long de leur exist<strong>en</strong>ce d’étudiant. Ils ne choisiss<strong>en</strong>t ni leurs<strong>en</strong>seignants, ni les programmes, ni les horaires, ni les salles de cours, ni les dates d’exam<strong>en</strong>s, ni lessurveillants ni, évidemm<strong>en</strong>t, la forme <strong>des</strong> suj<strong>et</strong>s à traiter (dissertation, QCM) ou leur thématique...Bref, ils se soum<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t assez souv<strong>en</strong>t, sans y voir malice <strong>et</strong> même sans vivre leur situation, c’estcela l’aliénation, sous le jour de la soumission. Or, voilà, sous prétexte d’éthique, qu’on leurbombarde tout à trac du libre-choix <strong>en</strong> leur demandant de choisir s’ils veul<strong>en</strong>t ou non participer àtelle recherche précise (sans évidemm<strong>en</strong>t pouvoir se douter qu’on se moque un peu d’eux 40 ). Et lepire — à moins que ce ne soit l’extrême du ridicule —, c’est de voir <strong>des</strong> collègues qui n’ont jamaisaccepté la moindre délégation de pouvoir aux étudiants, <strong>et</strong> qui injuri<strong>en</strong>t les secrétaires lorsqu’ellesn’ont pas fait les choses comme ils voulai<strong>en</strong>t qu’elles soi<strong>en</strong>t faites, activer la zone cérébrale dela déontologie <strong>et</strong> insister, la main sur le cœur, pour qu’on donne aux étudiants le choix éclairé depouvoir participer ou non à telle ou telle expérim<strong>en</strong>tation. Depuis une quinzaine d’années, nousnous insurgeons <strong>et</strong> nous att<strong>en</strong>dons <strong>en</strong> vain la démonstration du fait qu’il est « éthique » de donnerun ordre à une secrétaire ou à un étudiant 41 <strong>et</strong> qu’il n’est pas « éthique » de dire à un étudiantqui s’est volontairem<strong>en</strong>t mis à votre disposition pour participer à une recherche de faire ce queprévoit le protocole de recherche. Tant que c<strong>et</strong>te démonstration n’est pas faite, ou on interdit lesdeux ou on laisse les uns <strong>et</strong> les autres faire.En fait, avec la clause du cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t éclairé, on installe, <strong>et</strong> on le fait délibérém<strong>en</strong>t, lesétudiants dans un statut qui n’est pas celui qui est habituellem<strong>en</strong>t le leur dans l’université, pasplus qu’il n’est celui <strong>des</strong> salariés dans leurs <strong>en</strong>treprises, <strong>des</strong> écoliers dans leurs écoles...<strong>et</strong> bi<strong>en</strong>sûr <strong>des</strong> militaires là où ils milit<strong>en</strong>t.Quand ont-ils réellem<strong>en</strong>t un tel statut de « décideurs informés », nos étudiants ? Ils ne l’ontguère <strong>en</strong> tant qu’étudiant. Pas davantage, d’ailleurs, que ne l’ont les ag<strong>en</strong>ts sociaux évoquésprécédemm<strong>en</strong>t (salariés, écoliers...) quand ils sont dans leur état d’ag<strong>en</strong>ts sociaux. Ils ne l’ontguère que lorsqu’ils vot<strong>en</strong>t (ce qui explique qu’ils s’insurg<strong>en</strong>t contre les hommes politiquesélus s’ils jug<strong>en</strong>t que ceux-ci ne vont pas dans le s<strong>en</strong>s de l’intérêt général), ou, ce qui s’avèr<strong>en</strong><strong>et</strong>tem<strong>en</strong>t plus fréqu<strong>en</strong>t, lorsqu’ils sont dans l’état de consommateur <strong>et</strong> achèt<strong>en</strong>t <strong>des</strong> produits,<strong>des</strong> services, <strong>des</strong> idées, <strong>des</strong> spectacles, de l’amour... Là, dans ces positions <strong>en</strong>chanteresses deconsommateurs, ils jouiss<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t d’un degré de libre-choix leur perm<strong>et</strong>tant d’adopter unterme parmi d’autres d’une alternative sans être pour autant bi<strong>en</strong> ou mal jugés par un évaluateurformel qui sait comm<strong>en</strong>t on doit effectuer ce choix.Cela admis, pourquoi vouloir faire du consommateur un modèle impératif du suj<strong>et</strong> dansl’éthique de la recherche, alors que les g<strong>en</strong>s sont aussi <strong>des</strong> étudiants, <strong>des</strong> salariés, <strong>des</strong> militaires,<strong>des</strong> administrés, <strong>des</strong> hospitalisés, <strong>des</strong> r<strong>et</strong>raités...? Est-ce à dire que ces ag<strong>en</strong>ts sociaux-là,incontestablem<strong>en</strong>t plus soumis que décideurs, ne mérit<strong>en</strong>t aucune considération, voire aucun respect<strong>et</strong> que leurs conduites <strong>et</strong> jugem<strong>en</strong>ts ne doiv<strong>en</strong>t pas être l’obj<strong>et</strong> d’investigations sci<strong>en</strong>tifiques,celles-ci devant se limiter aux conduites <strong>et</strong> jugem<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> décideurs-consommateurs ? 42 Mais, il40 « Les participants avai<strong>en</strong>t été am<strong>en</strong>és à croire qu’ils participerai<strong>en</strong>t à deux expérim<strong>en</strong>tations, qui, <strong>en</strong> vérité n’<strong>en</strong> faisai<strong>en</strong>tqu’une, <strong>et</strong>...»41 Pour lui, on appellera l’ordre une « consigne ».42 Malheureusem<strong>en</strong>t (ou heureusem<strong>en</strong>t), la <strong>psychologie</strong> sociale a montré que la consigne de libre-choix modifiait considérablem<strong>en</strong>tla nature <strong>des</strong> processus qui allai<strong>en</strong>t être mis <strong>en</strong> œuvre dans la suite de l’expérim<strong>en</strong>tation. La <strong>psychologie</strong> dudécideur n’est pas toujours celle du salarié. La clause du cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t éclairé conduit bel <strong>et</strong> bi<strong>en</strong> à faire une <strong>psychologie</strong>,non de l’homme, mais du décideur éclairé <strong>en</strong> tant qu’être social.


152 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155faut reconnaître que ne faire vivre dans la recherche que l’individu <strong>en</strong> tant que consommateuréclairé ne manque pas de r<strong>et</strong>ombées libéralem<strong>en</strong>t intéressantes.D’abord, on exporte à travers le monde l’idée que l’homme ti<strong>en</strong>t sa beauté <strong>et</strong> sa seule valeur <strong>des</strong>on statut de consommateur plus ou moins éclairé. C<strong>et</strong>te image de l’Homme est une sublimationidéologique du commerce.Ensuite, on interdit de fait l’étude expérim<strong>en</strong>tale 43 <strong>des</strong> conduites réalisées dans les positionsde soumission qui rest<strong>en</strong>t quand même, de l’<strong>en</strong>fant <strong>en</strong> famille au vieux <strong>en</strong> maison de r<strong>et</strong>raite,l’ossature de l’exist<strong>en</strong>ce sociale <strong>des</strong> g<strong>en</strong>s. D’ici à ce qu’on nous somme d’oublier ces positionspour p<strong>en</strong>ser <strong>et</strong> philosopher.Enfin, on institue dans la recherche la coupure libérale qui fonde le fonctionnem<strong>en</strong>t sociopolitiquev<strong>en</strong>du à travers le monde <strong>en</strong>tre l’<strong>en</strong>chantem<strong>en</strong>t consommatoire <strong>des</strong> individus déclaréslibres <strong>et</strong> au soi luxuriant <strong>et</strong> l’obéissance statutaire <strong>des</strong> ag<strong>en</strong>ts sociaux bi<strong>en</strong> souv<strong>en</strong>t soumis <strong>et</strong> àl’id<strong>en</strong>tité délabrée, les seconds étant priés de n’att<strong>en</strong>dre de satisfaction qu’avec l’espérance depouvoir être aussi, à l’occasion, les premiers <strong>et</strong> non <strong>en</strong> espérant <strong>en</strong> un changem<strong>en</strong>t <strong>des</strong> formes dupouvoir social.7. ConclusionEn évoquant les mouvem<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s d’opposition <strong>et</strong> <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s indigènes,nous avons volontiers accepté leur point de départ, à savoir la dénonciation <strong>des</strong> collusions politique<strong>et</strong> géopolitique de la <strong>psychologie</strong> occid<strong>en</strong>tale dominante. Nous n’avons pas caché que <strong>des</strong>t<strong>en</strong>dances antisci<strong>en</strong>tifiques <strong>et</strong> antiexpérim<strong>en</strong>tales avai<strong>en</strong>t trouvé un refuge quelquefois conniv<strong>en</strong>tdans l’un <strong>et</strong> l’autre mouvem<strong>en</strong>t. Le contextualisme d’un Ratner (Ratner, 2006) comme le constructionisme<strong>des</strong> Gerg<strong>en</strong> <strong>et</strong> Gerg<strong>en</strong> (1997) qui l’un <strong>et</strong> l’autre se v<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t fort bi<strong>en</strong> aux opposants <strong>et</strong>aux indigènes demand<strong>en</strong>t une extrême <strong>et</strong> rare rigueur intellectuelle pour ne pas inciter chacun àdire à peu près ce qu’il veut, c’est-à-dire, du point de vue de l’épistémologie, à peu près n’importequoi. C’est la raison pour laquelle, si nous partageons les dénonciations, nous ne jugeons pastoujours avec <strong>en</strong>thousiasme tous les mouvem<strong>en</strong>ts qu’elles ont inspirés. Nous p<strong>en</strong>sons bi<strong>en</strong> aucontraire que ces dénonciations aurai<strong>en</strong>t dû conduire à plus d’exig<strong>en</strong>ces sci<strong>en</strong>tifiques. Si une <strong>psychologie</strong>prés<strong>en</strong>te <strong>des</strong> collusions machistes, c’est qu’elle n’est pas vraim<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifique ou qu’elleconfond sci<strong>en</strong>ce <strong>et</strong> discours social. Si une <strong>psychologie</strong> prés<strong>en</strong>te <strong>des</strong> collusions individualistes <strong>et</strong>libérales, c’est <strong>en</strong>core qu’elle n’est pas vraim<strong>en</strong>t sci<strong>en</strong>tifique ou qu’elle confond sci<strong>en</strong>ce <strong>et</strong> culture.La solution n’est pas de prét<strong>en</strong>dre du coup à une <strong>psychologie</strong> féministe qui emprunterait à unautre discours social ou à une <strong>psychologie</strong> confucianiste qui emprunterait à une autre culture,mais de prét<strong>en</strong>dre à c<strong>et</strong>te ascèse qu’est la rupture épistémologique d’avec les savoirs <strong>et</strong> valeursambiantes que port<strong>en</strong>t les discours sociaux <strong>et</strong> les cultures pour être <strong>en</strong> état d’élaborer <strong>des</strong> théoriessci<strong>en</strong>tifiques qui ne sont pas faites pour donner du s<strong>en</strong>s à la vie (comme les théories, savoirsou valeurs du s<strong>en</strong>s commun) mais pour r<strong>en</strong>dre compte <strong>et</strong> avancer <strong>des</strong> lois. Malheureusem<strong>en</strong>t, sil’esprit étasuni<strong>en</strong> accepte le machiste ou l’individualisme libéral, il s’<strong>en</strong>chante tout autant du continuïsmeépistémologique qui voit la sci<strong>en</strong>ce (ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t faite de métho<strong>des</strong>) se dégager du s<strong>en</strong>scommun. L’un d’<strong>en</strong>tre nous, dès 1972, s’attachait à montrer avec Rodolphe Ghiglione (Ghiglione<strong>et</strong> Beauvois, 1972 ) comm<strong>en</strong>t les métaphores du s<strong>en</strong>s commun portées par l’anthropomorphisme43 Nous t<strong>en</strong>ons pour ou <strong>des</strong> faux j<strong>et</strong>ons ou <strong>des</strong> incompét<strong>en</strong>ts les collègues expérim<strong>en</strong>talistes qui patelin<strong>en</strong>t aux psychologuessociaux « vous pouvez quand même les étudier autrem<strong>en</strong>t...Par exemple <strong>en</strong> faisant <strong>des</strong> <strong>en</strong>tr<strong>et</strong>i<strong>en</strong>s...» Pourquoin’étudi<strong>en</strong>t-ils pas la mémoire ou l’eff<strong>et</strong> Stroop <strong>en</strong> faisant <strong>des</strong> <strong>en</strong>tr<strong>et</strong>i<strong>en</strong>s ?


G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 153constituai<strong>en</strong>t <strong>des</strong> obstacles épistémologiques <strong>et</strong> avai<strong>en</strong>t pu conduire la recherche sur la performancede groupe à <strong>des</strong> apories perm<strong>et</strong>tant de t<strong>en</strong>ir de « bons discours sociaux » (le groupe étaitvu comme une personne qui trie les bonnes suggestions <strong>et</strong> rej<strong>et</strong>te les mauvaises, ce qui perm<strong>et</strong>taitalors de chanter la valeur productive du travail <strong>en</strong> groupe). Nous insistions alors sur la nécessitéde rompre avec ces métaphores de s<strong>en</strong>s commun qui font obstacles pour avancer dans <strong>des</strong>voies plus expérim<strong>en</strong>tales <strong>et</strong> plus <strong>des</strong>criptives, mot à pr<strong>en</strong>dre au s<strong>en</strong>s qu’il a dans les sci<strong>en</strong>cestraditionnelles. Nous ne pouvons que r<strong>en</strong>ouveler c<strong>et</strong>te insistance. Le refus du machisme ou del’individualisme libéral dans les sci<strong>en</strong>ces psychologiques passe, non par la production de théoriesalternatives tout aussi partisanes, mais par les ruptures dont ont été capables les autres sci<strong>en</strong>cesquand elles ont r<strong>en</strong>oncé aux gran<strong>des</strong> métaphores par lesquelles les g<strong>en</strong>s donnai<strong>en</strong>t du s<strong>en</strong>s à lanature <strong>et</strong> in fine à leur vie. La <strong>psychologie</strong> est restée attachée à ces métaphores (l’homme commeêtre économique, l’homme comme sci<strong>en</strong>tifique spontané, l’homme comme ordinateur, l’hommecomme tactici<strong>en</strong>, le cerveau comme une <strong>en</strong>treprise...) <strong>et</strong> ce n’est peut-être pas demain qu’ellesera <strong>en</strong> mesure de les abandonner. Le r<strong>et</strong>our <strong>en</strong> force <strong>des</strong> significations, durant la seconde moitiédu xx e siècle, aux dép<strong>en</strong>s de l’étude expérim<strong>en</strong>taliste <strong>des</strong> déterminations (Beauvois, 2005a) n’afait, il faut le reconnaître, qu’obérer les possibilités de rupture au profit d’un r<strong>et</strong>our invasif <strong>des</strong>prop<strong>en</strong>sions du s<strong>en</strong>s commun à donner du s<strong>en</strong>s plus qu’à r<strong>en</strong>dre compte 44 . Ne voilà-t-il pas que lescollègues étasuni<strong>en</strong>s nous demand<strong>en</strong>t, avec <strong>et</strong> leur bon s<strong>en</strong>s <strong>et</strong> leurs « contrôles de manipulation »(manipulation checks) à réintroduire les significations dans le processus expérim<strong>en</strong>tal <strong>et</strong> que, ledoigt sur la couture du pantalon, nos experts...Référ<strong>en</strong>cesAdair, J.G., 2004. 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Cela, même si ces variablesdonn<strong>en</strong>t lieu à plusieurs publications <strong>et</strong> à plusieurs analyses de régression, ne peut que conduire à une reproduction dus<strong>en</strong>s commun.


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