Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...
Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...
Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 151aussi choisi telle ou telle option dans un registre souv<strong>en</strong>t étroit décidé par les <strong>en</strong>seignants locaux.Ces actes réalisés, il ne leur reste qu’à obéir aux règles du fonctionnem<strong>en</strong>t de l’Université, ce qu’ilsfont sans même y réfléchir tout au long de leur exist<strong>en</strong>ce d’étudiant. Ils ne choisiss<strong>en</strong>t ni leurs<strong>en</strong>seignants, ni les programmes, ni les horaires, ni les salles de cours, ni les dates d’exam<strong>en</strong>s, ni lessurveillants ni, évidemm<strong>en</strong>t, la forme <strong>des</strong> suj<strong>et</strong>s à traiter (dissertation, QCM) ou leur thématique...Bref, ils se soum<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t assez souv<strong>en</strong>t, sans y voir malice <strong>et</strong> même sans vivre leur situation, c’estcela l’aliénation, sous le jour de la soumission. Or, voilà, sous prétexte d’éthique, qu’on leurbombarde tout à trac du libre-choix <strong>en</strong> leur demandant de choisir s’ils veul<strong>en</strong>t ou non participer àtelle recherche précise (sans évidemm<strong>en</strong>t pouvoir se douter qu’on se moque un peu d’eux 40 ). Et lepire — à moins que ce ne soit l’extrême du ridicule —, c’est de voir <strong>des</strong> collègues qui n’ont jamaisaccepté la moindre délégation de pouvoir aux étudiants, <strong>et</strong> qui injuri<strong>en</strong>t les secrétaires lorsqu’ellesn’ont pas fait les choses comme ils voulai<strong>en</strong>t qu’elles soi<strong>en</strong>t faites, activer la zone cérébrale dela déontologie <strong>et</strong> insister, la main sur le cœur, pour qu’on donne aux étudiants le choix éclairé depouvoir participer ou non à telle ou telle expérim<strong>en</strong>tation. Depuis une quinzaine d’années, nousnous insurgeons <strong>et</strong> nous att<strong>en</strong>dons <strong>en</strong> vain la démonstration du fait qu’il est « éthique » de donnerun ordre à une secrétaire ou à un étudiant 41 <strong>et</strong> qu’il n’est pas « éthique » de dire à un étudiantqui s’est volontairem<strong>en</strong>t mis à votre disposition pour participer à une recherche de faire ce queprévoit le protocole de recherche. Tant que c<strong>et</strong>te démonstration n’est pas faite, ou on interdit lesdeux ou on laisse les uns <strong>et</strong> les autres faire.En fait, avec la clause du cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t éclairé, on installe, <strong>et</strong> on le fait délibérém<strong>en</strong>t, lesétudiants dans un statut qui n’est pas celui qui est habituellem<strong>en</strong>t le leur dans l’université, pasplus qu’il n’est celui <strong>des</strong> salariés dans leurs <strong>en</strong>treprises, <strong>des</strong> écoliers dans leurs écoles...<strong>et</strong> bi<strong>en</strong>sûr <strong>des</strong> militaires là où ils milit<strong>en</strong>t.Quand ont-ils réellem<strong>en</strong>t un tel statut de « décideurs informés », nos étudiants ? Ils ne l’ontguère <strong>en</strong> tant qu’étudiant. Pas davantage, d’ailleurs, que ne l’ont les ag<strong>en</strong>ts sociaux évoquésprécédemm<strong>en</strong>t (salariés, écoliers...) quand ils sont dans leur état d’ag<strong>en</strong>ts sociaux. Ils ne l’ontguère que lorsqu’ils vot<strong>en</strong>t (ce qui explique qu’ils s’insurg<strong>en</strong>t contre les hommes politiquesélus s’ils jug<strong>en</strong>t que ceux-ci ne vont pas dans le s<strong>en</strong>s de l’intérêt général), ou, ce qui s’avèr<strong>en</strong><strong>et</strong>tem<strong>en</strong>t plus fréqu<strong>en</strong>t, lorsqu’ils sont dans l’état de consommateur <strong>et</strong> achèt<strong>en</strong>t <strong>des</strong> produits,<strong>des</strong> services, <strong>des</strong> idées, <strong>des</strong> spectacles, de l’amour... Là, dans ces positions <strong>en</strong>chanteresses deconsommateurs, ils jouiss<strong>en</strong>t réellem<strong>en</strong>t d’un degré de libre-choix leur perm<strong>et</strong>tant d’adopter unterme parmi d’autres d’une alternative sans être pour autant bi<strong>en</strong> ou mal jugés par un évaluateurformel qui sait comm<strong>en</strong>t on doit effectuer ce choix.Cela admis, pourquoi vouloir faire du consommateur un modèle impératif du suj<strong>et</strong> dansl’éthique de la recherche, alors que les g<strong>en</strong>s sont aussi <strong>des</strong> étudiants, <strong>des</strong> salariés, <strong>des</strong> militaires,<strong>des</strong> administrés, <strong>des</strong> hospitalisés, <strong>des</strong> r<strong>et</strong>raités...? Est-ce à dire que ces ag<strong>en</strong>ts sociaux-là,incontestablem<strong>en</strong>t plus soumis que décideurs, ne mérit<strong>en</strong>t aucune considération, voire aucun respect<strong>et</strong> que leurs conduites <strong>et</strong> jugem<strong>en</strong>ts ne doiv<strong>en</strong>t pas être l’obj<strong>et</strong> d’investigations sci<strong>en</strong>tifiques,celles-ci devant se limiter aux conduites <strong>et</strong> jugem<strong>en</strong>ts <strong>des</strong> décideurs-consommateurs ? 42 Mais, il40 « Les participants avai<strong>en</strong>t été am<strong>en</strong>és à croire qu’ils participerai<strong>en</strong>t à deux expérim<strong>en</strong>tations, qui, <strong>en</strong> vérité n’<strong>en</strong> faisai<strong>en</strong>tqu’une, <strong>et</strong>...»41 Pour lui, on appellera l’ordre une « consigne ».42 Malheureusem<strong>en</strong>t (ou heureusem<strong>en</strong>t), la <strong>psychologie</strong> sociale a montré que la consigne de libre-choix modifiait considérablem<strong>en</strong>tla nature <strong>des</strong> processus qui allai<strong>en</strong>t être mis <strong>en</strong> œuvre dans la suite de l’expérim<strong>en</strong>tation. La <strong>psychologie</strong> dudécideur n’est pas toujours celle du salarié. La clause du cons<strong>en</strong>tem<strong>en</strong>t éclairé conduit bel <strong>et</strong> bi<strong>en</strong> à faire une <strong>psychologie</strong>,non de l’homme, mais du décideur éclairé <strong>en</strong> tant qu’être social.