Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...
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G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155 149une simple fonction <strong>en</strong>trée–sortie, modifiant l’<strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t matériel dans une t<strong>en</strong>sion adaptativeperman<strong>en</strong>te, va céder progressivem<strong>en</strong>t la place à un modèle le concevant comme une machineinformationnelle modulaire, un système de traitem<strong>en</strong>t de l’information transformant <strong>des</strong> symboles<strong>en</strong> action(s) <strong>et</strong> <strong>en</strong> langage(s). Le behaviorisme était une métathéorie psychologique fondéesur la performance <strong>et</strong> l’adaptabilité perman<strong>en</strong>te par l’appr<strong>en</strong>tissage : il était donc <strong>en</strong> phase avecune culture valorisant la technique industrielle <strong>et</strong> l’amélioration continue de la production par larépétition <strong>et</strong> la standardisation (voir le taylorisme, par exemple). Le cognitivisme va, au contraire,insister sur la modularité <strong>des</strong> fonctions psychologiques, c’est-à-dire leur spécialisation (modularismecognitif), leur fonctionnem<strong>en</strong>t logique <strong>et</strong> computationnel, ainsi que sur l’origine innée<strong>des</strong> processus m<strong>en</strong>taux. Tous ces traits sont évidemm<strong>en</strong>t <strong>en</strong> phase avec l’idée d’une relative fixitéde l’ordre naturel du psychisme <strong>et</strong>, au-delà, de l’ordre social. Au fond, un système modulaireest fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t un système hiérarchique qui ne contrôle le comportem<strong>en</strong>t (la productionmatérielle) que par une manipulation computationnelle de symboles (ressources abstraites). C<strong>et</strong>t<strong>et</strong><strong>en</strong>dance est d’ailleurs r<strong>en</strong>forcée <strong>en</strong>core par l’adhésion, assez majoritaire, <strong>des</strong> cognitivistes à uninnéisme de bon aloi, <strong>en</strong> rupture avec le constructivisme implicite <strong>des</strong> behavioristes. Finalem<strong>en</strong>t,les cognitivistes accept<strong>en</strong>t bi<strong>en</strong> l’héritage que leur transm<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t les behavioristes (méthode expérim<strong>en</strong>tale,positivisme) mais ils le transmu<strong>en</strong>t <strong>en</strong> une métathéorie compatible avec la société del’information (un positivisme logique).Si le behaviorisme est l’american way of life (of behavior ?) importé <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong>, dans lespays de l’ouest de l’Europe, le cognitivisme est, sans aucun doute l’ « american way of thinking ».Ce nouveau paradigme, qui se développe à partir <strong>des</strong> années 1950 aux États-Unis, va s’imposer àla <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique, <strong>et</strong> <strong>en</strong> moins de deux déc<strong>en</strong>nies c<strong>et</strong>te fois. Avec le recul, on constateque le behaviorisme a accompagné, de très près, le l<strong>en</strong>t développem<strong>en</strong>t du capitalisme industriel(l’homme-machine) dont le point culminant a été atteint, <strong>en</strong> premier lieu, par les États-Unis aumilieu du siècle dernier. Le cognitivisme, qui lui a succédé, a suivi de très près, le développem<strong>en</strong>trapide du capitalisme de l’intellig<strong>en</strong>ce (l’homme-ordinateur), les États-Unis précédant derechef,dans ce domaine, la « vieille » Europe 35 .5.3. En sci<strong>en</strong>ces cognitivesDans les deux dernières déc<strong>en</strong>nies du siècle dernier, l’intégration progressive de la <strong>psychologie</strong>au programme de recherche <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces cognitives a sans doute <strong>en</strong>core acc<strong>en</strong>tué son assimilationà la superstructure sci<strong>en</strong>tifique, technique <strong>et</strong> idéologique nord-américaine. Les sci<strong>en</strong>ces cognitivesvont reposer, à partir <strong>des</strong> années 1970, sur le postulat selon lequel le cerveau est un systèmecomputationnel, c’est-à-dire qu’il fonctionne, dans ses gran<strong>des</strong> lignes, comme un ordinateur digital.L’esprit est dans la machine calculatoire, <strong>et</strong> celle-ci est dans le cerveau, ou mieux, celle-ci est lecerveau lui-même. Sur le plan idéologique, c<strong>et</strong>te matérialisation-naturalisation de l’esprit a <strong>en</strong>corer<strong>en</strong>forcé les options innéiste <strong>et</strong> modulariste de la <strong>psychologie</strong> cognitive. Mais c<strong>et</strong>te fois, le modularisme<strong>et</strong> l’innéisme de l’esprit sont dans le cerveau lui-même. Cela va perm<strong>et</strong>tre, notamm<strong>en</strong>t<strong>en</strong> raison du progrès <strong>des</strong> techniques d’imagerie cérébrale, une récupération idéologique spectaculairesous la forme d’une technophrénologie 36 très souv<strong>en</strong>t délirante : les fonctions cognitives,35 Nous ne dégageons ici que très brièvem<strong>en</strong>t la signification sociopolitique de c<strong>et</strong>te évolution de la <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique.On peut trouver <strong>des</strong> analyses plus approfondies de la relation <strong>en</strong>tre le développem<strong>en</strong>t du capitalisme <strong>et</strong> celuide la <strong>psychologie</strong> sci<strong>en</strong>tifique in : Bakan (1966), Chomsky (1972), Heather (1976), Lecocq (1975), Paicheler (1992) <strong>et</strong>Tiberghi<strong>en</strong> (1979, 1985a, 1985b).36 M. Imbert (2006) parle, à juste titre, de phrénomythologie.