Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...
Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...
Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
142 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155L’étape suivante est évidemm<strong>en</strong>t la pénétration directe du système universitaire <strong>des</strong> payseuropé<strong>en</strong>s par <strong>des</strong> institutions nord-américaines. Elle est <strong>en</strong>core prud<strong>en</strong>te <strong>en</strong> France, mais pasinexistante (voir, par exemple, The American University of Paris <strong>et</strong> ses 900 étudiants) mais elleest déjà très <strong>en</strong>gagée dans les pays de la « nouvelle » Europe 14 . Dès le début <strong>des</strong> années 1990,les États-Unis ont, <strong>en</strong> eff<strong>et</strong>, conditionné leur aide économique <strong>en</strong> direction <strong>des</strong> anci<strong>en</strong>s pays poststalini<strong>en</strong>sà un usage int<strong>en</strong>sif de l’anglais dans les domaines de la formation <strong>et</strong> du loisir (Hagège,2006, pp. 64–65). Si vous participez à un congrès sci<strong>en</strong>tifique, disons <strong>en</strong> Bulgarie, vous risquezfort de résider dans un Hôtel appart<strong>en</strong>ant désormais à <strong>des</strong> fonds de p<strong>en</strong>sion américains <strong>et</strong> d’assisteraux confér<strong>en</strong>ces dans une université financée par <strong>des</strong> fonds anglo-saxons 15 .3. Vers <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s d’opposition (<strong>psychologie</strong>s critiques, <strong>psychologie</strong>salternatives...)Si la <strong>psychologie</strong> américaine dominante participe aux objectifs du système étasuni<strong>en</strong>, il n’estpas très risqué d’avancer que, ces objectifs étant surtout poursuivis au profit <strong>des</strong> groupes étasuni<strong>en</strong>sdominants, c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> dominante devrait pouvoir être elle-même taxée de collusion avecces groupes dominants. C’est globalem<strong>en</strong>t l’idée que déf<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t les t<strong>en</strong>ants <strong>des</strong> <strong>psychologie</strong>s qu<strong>en</strong>ous disons ici d’opposition 16 .Les <strong>psychologie</strong>s d’opposition (<strong>psychologie</strong>s critiques, <strong>psychologie</strong>s alternatives) critiqu<strong>en</strong>t la<strong>psychologie</strong> dominante à prét<strong>en</strong>tion paradigmatique (the mainstream psychology, réputée ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>taméricaine) d’un point de vue qu’on peut t<strong>en</strong>ir pour a priori intraculturel. La critiquequi nous intéresse ici porte souv<strong>en</strong>t sur le fait que c<strong>et</strong>te <strong>psychologie</strong> repr<strong>en</strong>d les valeurs, principes<strong>et</strong> les postulats <strong>des</strong> groupes dominants dans nos cultures, voire d’un groupe dominant.L’une <strong>des</strong> plus classiques 17 de ces critiques est issue de t<strong>en</strong>dances du mouvem<strong>en</strong>t féministe <strong>et</strong>revi<strong>en</strong>t à considérer que les postulats, principes <strong>et</strong> concepts de la <strong>psychologie</strong> dominante sont <strong>en</strong>phase avec ceux du groupe dominant <strong>des</strong> hommes <strong>et</strong> sont peu représ<strong>en</strong>tatifs de ceux du groupe<strong>des</strong> femmes. Comme l’affirmera dès 1968 l’une <strong>des</strong> représ<strong>en</strong>tantes de ce mouvem<strong>en</strong>t (NaominWeisstein), la <strong>psychologie</strong> construit le g<strong>en</strong>re — femme (the female). Sans doute, les assomptionspsychanalytiques fur<strong>en</strong>t-elles le prétexte, à la fin <strong>des</strong> années 1960, au démarrage de ce courant14 C<strong>et</strong> interv<strong>en</strong>tionnisme direct n’est pas réellem<strong>en</strong>t nouveau, même dans les sci<strong>en</strong>ces psychologiques <strong>et</strong> pour la « vieilleEurope ». Il a pu pr<strong>en</strong>dre la forme d’ai<strong>des</strong> financières à la recherche <strong>et</strong> aux publications europé<strong>en</strong>nes. Moscovici <strong>et</strong> Markova(2006), dans leur histoire (cachée) de la <strong>psychologie</strong> sociale, rappell<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>t <strong>des</strong> institutions étasuni<strong>en</strong>nes ou dominéespar les États-Unis (comme l’OTAN) ont, dans la période de l’après-guerre, sponsorisé, voire suscité l’organisation d’unediscipline europé<strong>en</strong>ne ayant son association <strong>et</strong> sa revue. C<strong>et</strong>te association est aujourd’hui, dans sa dominante, la voix del’Amérique <strong>en</strong> Europe <strong>et</strong> ses créateurs ne s’y reconnaiss<strong>en</strong>t ou ne s’y reconnaîtrai<strong>en</strong>t guère.15 Le cas de la Bulgarie, qui vi<strong>en</strong>t d’intégrer la Communauté europé<strong>en</strong>ne, est, à ce titre, très révélateur. Entre 1991<strong>et</strong> 1995, le parlem<strong>en</strong>t bulgare a habilité cinq universités privées dont deux sont clairem<strong>en</strong>t financées par <strong>des</strong> fondsanglo-américains : The New Bulgarian University and The American University in Bulgaria. Elles développ<strong>en</strong>t <strong>des</strong> cursusaméricains (Bachelor-Master-Doctorate) <strong>et</strong> ont pour objectif prioritaire de développer les connaissances dans les domainesde la gestion de l’économie néolibérale. Comme le déclare John Daniel, à propos de The New Bulgarian University, ces« nouvelles universités » de la « nouvelle » Europe sont « fondées pour le profit, pour <strong>en</strong>seigner un spectre plus étroit dedisciplines, la gestion du personnel, la direction d’<strong>en</strong>treprise <strong>et</strong> l’informatique » (Sofia, 8 mars 2000).16 Nous préférons désormais l’expression de <strong>psychologie</strong>s d’opposition à celles pourtant déjà utilisées de « <strong>psychologie</strong>scritiques » ou de « <strong>psychologie</strong>s alternatives ». C<strong>et</strong>te dernière expression <strong>en</strong> particulier appelle <strong>des</strong> t<strong>en</strong>dances respectablesmais aussi <strong>des</strong> t<strong>en</strong>dances qui le sont n<strong>et</strong>tem<strong>en</strong>t moins...même si ces dernières ont <strong>en</strong>vahi la toile à <strong>des</strong> fins de commerce.17 En parlant ici de <strong>psychologie</strong>s d’opposition, nous ne nous arrêterons que sur les t<strong>en</strong>dances ayant t<strong>en</strong>té « une autre »<strong>psychologie</strong>. Mais c’est vrai que les critiques politiques de la <strong>psychologie</strong> ne manqu<strong>en</strong>t pas, même avant que naiss<strong>en</strong>t ces<strong>psychologie</strong>s d’opposition (Herbert, 1966 ; Tiberghi<strong>en</strong>, 1979...).