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Domination et impérialisme en psychologie - Institut des Sciences ...

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140 G. Tiberghi<strong>en</strong>, J.-L. Beauvois / Psychologie française 53 (2008) 135–155(Haeffner-Cavaillon, 2006). Ceux-ci peuv<strong>en</strong>t ainsi interv<strong>en</strong>ir efficacem<strong>en</strong>t sur la définition <strong>et</strong> lechoix <strong>des</strong> thèmes de recherche, <strong>des</strong> théories dominantes <strong>et</strong> sur les résultats qui seront ou nonpubliés 10 . Par ailleurs, les évaluateurs sont informés, dans ce processus de sélection, <strong>des</strong> apportsoriginaux <strong>en</strong> prov<strong>en</strong>ance du monde <strong>en</strong>tier ; ils ont ainsi les moy<strong>en</strong>s, malgré de pieux rappelsà la déontologie, de les m<strong>et</strong>tre <strong>en</strong> valeur beaucoup plus rapidem<strong>en</strong>t que leurs concurr<strong>en</strong>ts. C<strong>et</strong><strong>en</strong>semble de contraintes sociopolitiques n’est jamais explicité, <strong>et</strong> pour cause, mais il s’imposeprogressivem<strong>en</strong>t à un grand nombre de pays.Pour illustrer la nature de ce processus complexe de contrôle, on peut citer un article, publiédans une revue prestigieuse, où un chercheur américain réputé, appart<strong>en</strong>ant à une université del’est <strong>des</strong> États-Unis, dressait un bilan de la recherche europé<strong>en</strong>ne <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> cognitive. Il citaitle nom de celui qu’il estimait le plus prom<strong>et</strong>teur pour l’av<strong>en</strong>ir de la <strong>psychologie</strong> dans ces lointainescontrées (c’était un jeune post-doctorant francophone qui v<strong>en</strong>ait, précisém<strong>en</strong>t, de terminer sonstage... dans son laboratoire). Autre exemple, dans un article réc<strong>en</strong>t paru dans une revue trèst<strong>en</strong>dance, un chercheur américain bi<strong>en</strong> connu proposait un historique <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces cognitivesom<strong>et</strong>tant complètem<strong>en</strong>t la contribution de la recherche europé<strong>en</strong>ne à l’essor de c<strong>et</strong>te discipline(Miller, 2003) 11 .Le pays qui contrôle les normes de la publication sci<strong>en</strong>tifique finit égalem<strong>en</strong>t, à la longue, parcontrôler l’<strong>en</strong>semble du processus de production sci<strong>en</strong>tifique. Or, peu à peu, les États-Unis ontimposé leurs normes au reste du monde. Ce sont eux qui définiss<strong>en</strong>t, par exemple, les critèresà utiliser pour le diagnostic <strong>des</strong> troubles m<strong>en</strong>taux (DSM-IV, 1996), la façon d’utiliser les ressourcesdocum<strong>en</strong>taires <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> (Reed <strong>et</strong> Baxter, 1983), la façon de prés<strong>en</strong>ter les donnéesempiriques, les confér<strong>en</strong>ces orales ou affichées (Nicol <strong>et</strong> Pexman, 2003) ou, <strong>en</strong>fin, la façon derédiger un article <strong>en</strong> <strong>psychologie</strong> (voir, à titre d’illustration, les 439 pages du très obsessionnel« Publication Manual » de l’American Psychological Association (APA, 2001, 5 e édition). Bi<strong>en</strong>sûr, de telles normes ont d’abord un eff<strong>et</strong> technique, dont l’intérêt n’est pas contestable, maiselles exerc<strong>en</strong>t aussi une forte contrainte sur le choix <strong>des</strong> métho<strong>des</strong>, sur les règles formelles deprés<strong>en</strong>tation <strong>des</strong> données, sur les règles linguistiques de rédaction <strong>et</strong>, même, sur les obligationséthiques à respecter. Ces normes définiss<strong>en</strong>t, <strong>en</strong> quelque sorte, un « sci<strong>en</strong>tifiquem<strong>en</strong>t correct »,établi aux États-Unis, hors duquel il est sans doute illusoire d’espérer publier même la plus belle<strong>des</strong> découvertes. Je connais d’ailleurs une université française où les normes de publication del’APA font l’obj<strong>et</strong> d’un <strong>en</strong>seignem<strong>en</strong>t...<strong>en</strong> troisième année d’étu<strong>des</strong> de <strong>psychologie</strong> (c’est-à-direchez <strong>des</strong> étudiants dont très peu feront de la recherche ultérieurem<strong>en</strong>t, ce qui démontre que lebut visé n’est pas seulem<strong>en</strong>t technique mais aussi culturel <strong>et</strong> idéologique : adopter <strong>des</strong> normestechniques américaines pour rédiger, justem<strong>en</strong>t, un simple mémoire de lic<strong>en</strong>ce <strong>en</strong> français).Enfin, les États-Unis occup<strong>en</strong>t une position dominante dans le processus d’évaluation quantitativede la qualité de la recherche. Ce sont eux qui définiss<strong>en</strong>t les critères d’<strong>en</strong>trée d’une revuedans ce processus, ce sont eux aussi qui définiss<strong>en</strong>t les indicateurs statistiques qui perm<strong>et</strong>t<strong>en</strong>t un10 Les comités sci<strong>en</strong>tifiques <strong>des</strong> congrès internationaux <strong>et</strong> <strong>des</strong> sociétés savantes subiss<strong>en</strong>t aussi c<strong>et</strong>te pression américaine.L’exemple de l’ISSBD (International Soci<strong>et</strong>y for the Study of Behavioral Developm<strong>en</strong>t) est très révélateur à c<strong>et</strong> égard :créés <strong>en</strong> 1978 <strong>en</strong> Europe, avec une participation française (E. Vurpillot), ces congrès sont d’abord organisés <strong>en</strong> Europe,puis la participation américaine devi<strong>en</strong>t de plus <strong>en</strong> plus importante <strong>et</strong>, <strong>en</strong>fin, sa revue, est maint<strong>en</strong>ant publiée aux États-Unis(Bloch, 2006, p. 113).11 La réaction de Houdé <strong>et</strong> Mazoyer (2003) <strong>et</strong> celle de Vauclair <strong>et</strong> Perr<strong>et</strong> (2003) à c<strong>et</strong> article de Miller, si elles sontjustes dans leur principe, sont toutefois relativem<strong>en</strong>t décalées par rapport au fond du problème. La question (impertin<strong>en</strong>te)aurait été la suivante : pour quelle(s) raison(s), un psychologue américain, r<strong>et</strong>raçant l’histoire <strong>des</strong> sci<strong>en</strong>ces cognitives,oublie-t-il, consciemm<strong>en</strong>t ou inconsciemm<strong>en</strong>t, l’apport de la <strong>psychologie</strong> europé<strong>en</strong>ne à c<strong>et</strong>te discipline ? Et pourquoi lasituation inverse est-elle inimaginable ?

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