La manière dont je visJe n'ai que seize ans et jesuis lycéenne . Depuis desannées, tous <strong>le</strong>s sentiments,tous <strong>le</strong>s faits racistes me choquentprofondément et merévoltent. J'aimerais pou<strong>voir</strong>faire quelque chose contre ceque je considère comme unfléau: <strong>le</strong> racisme .J'essaie bien de lutter, mais,seu<strong>le</strong> , que puis-je faire? Je nepuis que montrer aux autres lamanière dont je vis. Les troisquarts de mes amis étant desjuifs, des Nord-Africains ou desEspagnols ; l'autre quart étantformé d'un peu de toutes <strong>le</strong>scou<strong>le</strong>urs, d'un peu de toutes <strong>le</strong>snationalités.Si j'ajoute que je suis petitefil<strong>le</strong>d'immigrés espagnols,il<strong>le</strong>ttrés, vous comprendrez,je pense , pourquoi je luttecontre toutes <strong>le</strong>s formes d'oppression.Si je me propose d'adhérerau M.R .A.P., c'est que j'espèrepou<strong>voir</strong> vous servir (je peuxtoujours col<strong>le</strong>r des affiches!) .Marie-Céci<strong>le</strong> PLÀ,94-lvry.Tirer dans <strong>le</strong> tas •..Je passais ce matin rueChar<strong>le</strong>s-III et me suis un instanttrouvé mêlé à la fou<strong>le</strong> nombreuseet animée qui assistait,comme au spectac<strong>le</strong>, aux manifestationsdiverses et dangereusesdes détenus, juchés sur<strong>le</strong> toit de la prison.A un moment, non loin demoi , un propos jaillit : « Apart quelques Français, il n'y aque des Bougnouls et des Polakslà-dedans ; on pourraitenvoyer <strong>le</strong>s C.R.S.» Et <strong>le</strong>s voisinsde surenchérir vio<strong>le</strong>mment: « Au temps des Al<strong>le</strong>mands,cela ne se serait paspassé comme ça». Je suisparti sans essayer d'intervenir ...Mon propos n'est pasd'émettre une appréciation sur<strong>le</strong>s événements de la prisonChar<strong>le</strong>s-III à Nancy . Nombreuxsont ceux qui affirment(et <strong>le</strong> ministre de la Justiceen premier) qu'il faut modifier<strong>le</strong> reglme pénitentiaire enFrance. Mais <strong>le</strong>s deux phrasesre<strong>le</strong>vées, si el<strong>le</strong>s ne sont pasencore symptomatiques denotre époque, sont cependantinquiétantes.Depuis quelque temps, larecrudescence <strong>du</strong> racisme estun phénomène perceptib<strong>le</strong>chez nous . D'abord , des cafés- nombreux - qui refusent deservir <strong>le</strong> noir, <strong>le</strong> Nord-Africain,<strong>le</strong> Turc ... Puis l'affirmation que<strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>urs étrangers envahissentla France, qu'ils prennent<strong>le</strong> pain de l'ouvrier français,que c'est - presque - àcause d'eux qu'il y a desdifficultés économiques dansnotre pays . Et aujourd'hui, cepropos effroyab<strong>le</strong>, qu 'on pourrait« tirer dans <strong>le</strong> tas», car cene sont que « des Bougnouls etdes Polaks».C'est vrai que <strong>du</strong> temps del'Al<strong>le</strong>mand - <strong>du</strong> nazi plusexactement - nombreux étaient<strong>le</strong>s « Untermensch», <strong>le</strong>s moinsque rien : juifs, noirs, Tziganes,communistes, gaullistes, résistants.. . d'autres encore . Ilsétaient liquidés systématiquement. C'était la bel<strong>le</strong> époque<strong>du</strong> fascisme à son apogée etcertains semb<strong>le</strong>raient regretterce passé.On ne peut tolérer qu'àl'occasion de difficultés diverses,un état d'esprit s'instal<strong>le</strong>qui permettrait peut-être uneautre installation, combien dangereuse... Et comme <strong>le</strong> poètetchèque, fusillé par ces mêmesnazis, il faut redire , et redire :« Homme, veil<strong>le</strong>».Léon HERZBERG,président <strong>du</strong> Comité<strong>du</strong> M,R,A,P, de Nancy.Un chic typeSait-on par quel bout commencerpour faire l'é<strong>du</strong>cationà la fraternité dont par<strong>le</strong> MargueriteBonne, dans son artic<strong>le</strong>de votre dernier numéro (siintéressant!). Combien el<strong>le</strong> araison de dénoncer la perfidiede ceux qui, pour donner unepreuve d'objectivité, commencentpar exprimer <strong>le</strong>ur sympathieà tel ou tel noir, juif,Arabe ou autre, pour mieuxmettre en évidence <strong>le</strong>ur antipathieà ces mêmes gens,grâce à ce petit mot i nsidieux: « mais» ...Il me revient en mémoireun souvenir à ce propos, quime permit de comprendre ceque devrait être vraiment unantiraciste . C'était il y a unedizaine d'années, on donnait àla télévision (mais oui!) unedramatique . Il s'agissait dedeux amis, l'un noir, l'autreblanc . Or, à un moment, à lasuite d'une vio<strong>le</strong>nte altercation,<strong>le</strong> blanc se fâcha {j'allaisdire: « tout rouge»), et, dansCoœRIERson courroux contre son camarade,lui lança de furieusesinsultes : « Salaud! voyou!vo<strong>le</strong>ur! menteur!» etc ., etc.Quand il s'arrêta, écumantde fureur, l'accusé s'avança <strong>le</strong>sbras grands ouverts vers soncopain, lui faisant la plus tendredes accolades, en lui disant,<strong>le</strong>s yeux p<strong>le</strong>ins de larmes:« Tu es un chic type! Tu m'astraité de tous <strong>le</strong>s noms, maispas un instant tu n'as eul'idée de me crier :' « Sa<strong>le</strong>nègre! ».. .Geneviève GOLDRING,92-Asnières.Chaque jour .••Voici quelques témoignages:Dans la nuit <strong>du</strong> vendredi 17au samedi 18 décembre, unami algérien s'est fait attaquerpar plusieurs hommes alors qu'ilattendait dehors <strong>le</strong> docteur poursa petite fil<strong>le</strong>. Il était contusionnéau visage, et a obtenuun arrêt de travail. Il estprostré, <strong>le</strong> moral à zéro.J'ai des camarades immigrés,qui sont exploités par <strong>le</strong>spropriétaires . Les bons logements<strong>le</strong>ur sont souvent refusésquand « on <strong>le</strong>s voit» ; mais on<strong>le</strong>s recherche pour <strong>le</strong>ur faireoccuper et payer cher un logementou une chambre se trouvantdans un état dégoûtant.A la terrasse d'un café , nousavons .a~t n<strong>du</strong>, un samedi ma- Itin de JUI <strong>le</strong>t, deux Algérien". u~EsVilgn 1 et moi , pendant quarant'flinutes (d'abord patiem- "ment puis impati.,m'ment) pourêtre servi s.~éf<strong>le</strong>xions enten<strong>du</strong>es par unejeune femme martiniquaise :« Vous achetez des vêtements ?On ne porte pas des pagnes defeuil<strong>le</strong>s, chez vous? »... « Vousavez des maisons, chez vous ?»... « El<strong>le</strong> par<strong>le</strong> bien <strong>le</strong> français! »...Tous ces faits (et d'autresencore) m'ont été rapportés pardes personnes qui luttent pourl'égalité, la fraternité et laliberté dans <strong>le</strong>ur vie de chaquejour. Merci pour votre effort.Ch. RIEFFEL,88-Epinal.Silbermann et ShylokJe suis juif, et très chatouil<strong>le</strong>uxsur mes onglnes.Durant toute ma vie (j'ai 52ans), je n al jamais laissépasser une insulte, ni mêmeune allusion, sans la re<strong>le</strong>ververtement (sauf évidemmentpendant l'occupation). J'ai lu,il y a fort longtemps « Silbermann»,et je n'ai nul<strong>le</strong>ment eul'impression que ce livre étaitantisémite, même si, par moments,il dépeint notrE:! peup<strong>le</strong>sous des dehors peu sympathiques.Mais nul<strong>le</strong> race, nulpeup<strong>le</strong> ne sont parfaits.J'ai eu la même réactiondevant l'adaptation télévisée .Aussi, je ne puis comprendrevotre antagonisme à l'égardde « Silbermann» et de l'auteurqui ici n'est pas en cause .D'autre part, vous ne trouvezpas « Le marchand deVenise» antisémite. Moi nonplus, et je trouve que c'estune oeuvre admirab<strong>le</strong> deShakespeare . Mais tout estdans <strong>le</strong> jeu des acteurs et lamise en scène. On peut <strong>le</strong> présentercomme un personnagebas et abject. J'ai vu l'adaptationjouée par Sorano, et jevous assure que Shylok étaittrès humain. Pourtant, il eûtfallu trés peu de nuances pour<strong>le</strong> « fai re passer de l'autrecôté ».Je dois dire que je n aimepas non plus qu'on nous flatte.Nous sommes comme tout <strong>le</strong>monde : nous avons nos bonset nos mauvais côtés.1. GLASBERG.Paris-2" .dans ce,nuInèroMORT A TOULOUSELe mystère qui plane sur la mort <strong>du</strong> jeuneRoger Allouche sera-t-il jamais éclairci? (p. 4)DU DANGER D'ÊTREGUADELOUPÉENInsultés, frappés , gardés 42 heures sans nourritureni sommeil , deux lycéens aux prisesavec la police à Saint-Denis (p. 5).LE BIDONVILLE A TUÉCINQ FOISDeux ans après Aubervilliers, un nouveaudrame à Vil<strong>le</strong>neuve-<strong>le</strong>- Roi (p . 6 et 7) .QUI PROTÈGEKLAUS BARBIE?Une batail<strong>le</strong> aux multip<strong>le</strong>s implications ... dont<strong>le</strong> châtiment <strong>du</strong> « boucher de Lyon » estl'enjeu (p. 11 et 12).LES CRATÈRES,LES MARGUERITESET LES HOMMESLe génocide au Vietnam dénoncé par desmédecins <strong>du</strong> monde entier (p . 12 et 13) .1*LE RACISME DEVANTLA LOIPourquoi <strong>le</strong>s propositions élaborées par <strong>le</strong>M.R .A.P. doivent être votées d'urgence (p. 17à 28).LA DÉCOUVERTE DELA POLYNÉSIEUne civilisation admirab<strong>le</strong> dont <strong>le</strong>s œuvressont rassemblées pour quelques mois au Muséede l'Homme (p. 29 et 30).DAVID ET BETHSABÉEL'art, la Bib<strong>le</strong> ... et la vie (p. 31).EN COUVERTURE: la cour de récréation <strong>du</strong>collège Saint-Nicolas , à Toulouse (Photo ElieKagan. Maquette : Lucky Thiphaine).MENSUEL120, rue Saint-Denis - Paris (2 e )Tél. 231-09-57 C.C.P. Paris 6070-98ABONNEMENTSeUnan:25Fe Abonnement de .soÛtien ; 50 FAm Réunion, Maghreh, Afrique/rem-C()p f",aos, Cambodge, Noure.f<strong>le</strong>·CaJé·ti(if/ic : 25 P; 4u(rès pays: $5 P.ChangemelU d'adresse : i F.Directeur de publication : Albert Lévytmprimerie la HayeéditorialTVio<strong>le</strong>nceet - JeunesseROIS « affaires » en quelques semaines, où l'on voit (dans des conditions fort différentes,il est vrai) se conjuguer jeunesse et vio<strong>le</strong>nce, en même temps quese manifeste <strong>le</strong> racisme, d 'une façon certaine dans deux cas, en contrepointdanS l'autre.A Toulouse, <strong>le</strong> spectre de l'antisémitisme est évoqué autour <strong>du</strong> jeune Roger Allouche,mort au collège Saint-Nicolas. Parce que juif dans une éco<strong>le</strong> chrétienne, parcequ' un professeur l'a insulté naguère, parce qu'on a peine à croire qu'un seul coup portéà un garçon de quinze ans suffise à <strong>le</strong> tuer, on a rappelé « Silbermann». Même si <strong>le</strong>sfaits se ré<strong>du</strong>isent pour <strong>le</strong> moment, à des confidences faites en privé, à des si<strong>le</strong>nceséquivoques, à des craintes, à des « rumeurs», cel<strong>le</strong>s-ci sont significatives d'une coupurenée de l'Histoire entre communautés, et des méfiances qui subsistent malgré <strong>le</strong>sefforts entrepris de part et d'autre. Quoi qu'il en soit, et sans préjuger des conclusionsde l'enquête, il restera longtemps encore une gêne, des rancoeurs , que notre vocationest d'apaiser. Reste aussi cette vio<strong>le</strong>nce involontairement meurtrière , qui témoigned'une situation préoccupante.A Ajaccio , autre schéma : plusieurs jeunes gens tuent de sang-froid deux Tunisiensqui, contrairement à de précédentes victimes, refusaient de se laisser rançonner.C'est un racisme de brutes, et pourtant, l' un des assassins, qui n'avait que quinze ans,allait paisib<strong>le</strong>ment à l'éco<strong>le</strong>, une fois ses forfaits accomplis. Des Arabes, pour eux, cen'étaient pas vraiment des hommes, sans doute, <strong>le</strong>s abattre ne tirait guère à conséquence,ils sont si faib<strong>le</strong>s, si méprisés, et l'on se sent si fort à <strong>le</strong>s tenir dans sa ligne demire !...A Saint-Denis enfin , c'est <strong>le</strong> racisme s' acharnant sur des ado<strong>le</strong>scents à la peaunoire, Parce que certains, blancs, voyageaient sans ticket, ce sont eux, quoique toutà fait en règ<strong>le</strong> , qui « paieront pour <strong>le</strong>s autres »... Ils paient, en effet: coups, injures,humiliations et, par-dessus·tout , inculpation pour .. , vio<strong>le</strong>nces à agents.GARDONS- NOUS d'amalgamer, et de juger en hâte. Ces « affaires» si dissemblab<strong>le</strong>s,s'éclairent pourtant l'une l'autre.Il faut bien constater en France, une montée <strong>du</strong> racisme, dont nous n'avons làque <strong>le</strong>s symptômes <strong>le</strong>s plus récents. Comment ne pas situer dans ce contexte, sanspour autant <strong>le</strong>s justifier, <strong>le</strong>s crimes d'Ajaccio , <strong>le</strong>s suspiscions de Toulouse, <strong>le</strong>s sévicesde Saint- Denis? Les autorités, nous l' avons souvent répété , ne font pas ce' qu'il faudraitpour jugu<strong>le</strong>r ce fléau , c'est même, on <strong>le</strong> voit, <strong>le</strong> contraire quelquefois.Quant à la vio<strong>le</strong>nce, dont <strong>le</strong> racisme est une composante, el<strong>le</strong> est partout dans <strong>le</strong>monde où nous vivons. Quoi d'étonnant si <strong>le</strong>s jeunes en sont <strong>le</strong>s acteurs ou <strong>le</strong>s victimes .Car que <strong>le</strong>ur offre notre société en crise,'sinon l'injustice, <strong>le</strong> mensonge, <strong>le</strong> mépris del'homme, une oppression dont ils éprouvent eux-mêmes <strong>le</strong> poids dans <strong>le</strong> refus <strong>du</strong> dialogue,alors qu'ils souhaitent participer au progrès, à la vie et se sentent, eux aussi ,incompris, rejetés? Comment ne pas rechercher dans <strong>le</strong> climat qui <strong>le</strong>s entoure la raisonvéritab<strong>le</strong> d'un désarroi qui entraîne certains dans <strong>le</strong> cyc<strong>le</strong> des passions et des brutalitésdéchaînées?AINSI , la vio<strong>le</strong>nce n'est pas l'apanage des jeunes. La ligne de démarcation nepasse pas, selon nous, entre eux et <strong>le</strong>s a<strong>du</strong>ltes, mais entre ceux qui s'accommodentdes scanda<strong>le</strong>s actuels et ceux qui ne <strong>le</strong>s acceptent pas. Des jeunes,de plus en plus nombreux manifestent la volonté de mieux comprendre, d'agir lucidement,Pour <strong>le</strong>s combattants d'une juste cause , quel que soit <strong>le</strong>ur âge, il n'y a pas de« conflit de générations ».Au M.R .A.P. , jeunes et aînés luttent ensemb<strong>le</strong> contre <strong>le</strong>s préjugés , <strong>le</strong>s hainesaveug<strong>le</strong>s qui peuvent, dans certains cas, aboutir au meurtre. Ensemb<strong>le</strong> nous luttonspour que cessent <strong>le</strong>s discriminations et la ségrégation de fait dont souffrent <strong>le</strong>s travail<strong>le</strong>ursimmigrés, pour que <strong>le</strong>s pou<strong>voir</strong>s publics sortent de <strong>le</strong>ur passivité , prennent desmesures efficaces contre <strong>le</strong> racisme dans <strong>le</strong>s domaines de la loi , de l'information, del'é<strong>du</strong>cation. Ensemb<strong>le</strong>, nous apportons notre pierre à l'édification d' un monde meil<strong>le</strong>ur,plus humain et plus juste.Albert LEVY.2DROIT ET LIBERTÉ - N° 310 - FÉVRIER 19723