..sociétéMort ,a ToulouseSUR la rive gauche de la Garonne, dans une rue tranquil<strong>le</strong> <strong>du</strong> vieux quartier Saint-Cyprien,derrière l'èglise St-Nicolas, une lourde porte cochère ... ; à l'autre bout de la vil<strong>le</strong>, une mai sontrès simp<strong>le</strong> dans un Jardlll ètroit ces deux endroits ont vu vivre et mounr un garçon de14 ans et demi : Roger-Pierre Allouche, dont toute la vil<strong>le</strong> par<strong>le</strong> aujourd'hui. Magnifique garçon,de haute stature (1,77 m pour 70 kg), Roger-Pierre Allouche ètait, depuis six ans, demi-pensionnaireau collège Saint-Nicolas, rue Amiral-Galache à Toulouse, établissement privé catholique que frèquentaéga<strong>le</strong>ment son frère, âgé aujourd'hui de dix-sept ans.Voici la version « officiel<strong>le</strong>» des faits :il p<strong>le</strong>ut <strong>le</strong> mercredi 26 janvier vers 12 h 20.Les élèves qui attendent l'heure d'entrerau réfectoire se sont réfugiés sous <strong>le</strong> préaudirectement ouvert sur la cour. Une altercationéclate entre Roger Allouche et unde ses camarades plus âgés qui lui envoieun coup de pied. Sous la dou<strong>le</strong>ur, <strong>le</strong> jeuneAllouche se plie en deux - il semb<strong>le</strong>souffrir <strong>du</strong> bas-ventre -, il se rend alorsaux toi<strong>le</strong>ttes d'où il sort peu après audire <strong>du</strong> surveillant. Il revient sous <strong>le</strong> préau,rejoint son camarade pour lui demandersemb<strong>le</strong>-t-il <strong>le</strong>s raisons de son acte.Une nouvel<strong>le</strong> bourrade l'envoie heurterun mur. Roger est b<strong>le</strong>ssé au visage. Ilrecu<strong>le</strong> de quelques pas, vacil<strong>le</strong> et s'écrou<strong>le</strong>sans connaissance.Porté dans <strong>le</strong> bureau <strong>du</strong> directeur <strong>du</strong>collège, M. Louis Roux, il est aussitôtexaminé par <strong>le</strong> médecin d'une clinique voisinequi tente <strong>le</strong> bouche à bouche, avantl'arrivée <strong>du</strong> service de réanimation del'hôpital Purpan. Un massage cardiaqueest pratiqué. En vain; l'enfant meurt sansa<strong>voir</strong> repris connaissance.Selon l'autopsie réalisée par <strong>le</strong> docteurMadrange, la mort <strong>du</strong> jeune Roger serait<strong>du</strong>e à un arrêt <strong>du</strong> cœur et ne serait pasconsécutive aux coups reçus. Le permisd'inhumer est délivré, l'enterrement prévupour <strong>le</strong> vendredi 28 janvier.« C'est alors que j'ai voulu en a<strong>voir</strong> <strong>le</strong>cœur net nous dit <strong>le</strong> père, M. Elie Allouche,je ne pouvais pas laisser partir mon filscomme ça sans sa<strong>voir</strong> •.. »Sa<strong>voir</strong> : <strong>le</strong> mot est lâché.Sa<strong>voir</strong> pourquoi, comment Roger estmort? Pourquoi cette bagarre, et s'est-el<strong>le</strong>bien passée comme l'affirment <strong>le</strong>s autorités?Les questions se succèdent, despoints troub<strong>le</strong>s existent et en particulier<strong>le</strong>s traces suspectes re<strong>le</strong>vées sur <strong>le</strong> corpsde l'enfant qui font réagir l'entourage.Donc, une heure avant <strong>le</strong>s obsèques,sur demande de la famil<strong>le</strong> qui s'est constituéepartie civi<strong>le</strong> pour homicide involontaire,Me Mer<strong>le</strong>, professeur de criminologieà la Faculté de Droit, obtient <strong>du</strong> juged'instruction, M. Cros, qu'une contreexpertisesoit pratiquée : el<strong>le</strong> est confièeau professeur Planque. L'enterrement estreporté au lundi 31 janvier.4Le jeune Roger AlIouche ; M . Elie Allouche (troisième enpartant de la gauche) et <strong>le</strong>s journalistes ; la rue <strong>du</strong> drame.Ce rebondissement, dans une affaireapparemment simp<strong>le</strong>. a<strong>le</strong>rte aussitôt lapresse. Un reporter d'Europe nO ' 1, aprèsa<strong>voir</strong> rencontré <strong>le</strong> père, apporte un élémentnouveau: l'antisémitisme aurait été àl'origine de l'altercation.Car Roger Allouche est juif. Sa famil<strong>le</strong>a quitté l'Algérie en 1962, dans <strong>le</strong> flot des« rapatriés». Avec environ 20000 autrespersonnes, ils sont venus grossir la communautéjuive de Toulouse.Le M.R.A.P., aussitôt prévenu, réagitavec toute la prudence que la situationimpose, mais aussi avec fermeté ildemande « instamment aux autoritéscompétentes de faire de toute urgence lalumière complète .et d'établir <strong>le</strong>s responsabilités».La mort bruta<strong>le</strong> d'un enfant révolte,bou<strong>le</strong>verse toujours. Mais el<strong>le</strong> prendraitune autre dimension s'il ètait prouvé que<strong>le</strong> racisme n'y est pas étranger. A Toulouse,comme ail<strong>le</strong>urs, <strong>le</strong> racisme existe. « Il ya un an à peu près, nous rapporte Mme c. ...certaines de mes collègues de travail,n'osaient plus al<strong>le</strong>r seu<strong>le</strong>s dans certainsmagasins dont <strong>le</strong>s propriétaires étaientjuifs. On parlait de disparitions jamaiséclaircies, d'enlèvem.ents, etc. )1 Encore cettefameuse « rumeur» qui avait sévi si gravementà Orléans !« J'ai d'énormes difficultés, ajoute sonmari qui s'occupe de l'accueil d'étudiantsétrangers, à trouver des chambres surtoutpour <strong>le</strong>s Algériens et <strong>le</strong>s Africains.»Alors que <strong>le</strong> drame <strong>du</strong> collège SaintNicolas suscite une émotion profonde, quela communauté israélite publie un communiquéexprimant ses doutes et son inquiétude,M. Allouche, ayant convoqué lapresse au <strong>le</strong>ndemain des obsèques semb<strong>le</strong>quelque peu désemparè et répond auxquestions avec gêne. « Je ne peux rien diretant que <strong>le</strong>s résultats de la contre-expertisene sont pas connus», déclare-t-il. « Je nepeux rien dire», affirme-t-il encore quandon lui demande si son fils s'était plaint decertaines formes d'antisémitisme au collègeSaint-Nicolas.« En revanche, se souvient M. Allouche,il est vrai qu'un de ses professeurs, <strong>le</strong>professeur d'espagnol, a traité Roger de« sa<strong>le</strong> race ». Mon fils est parti en claquantla porte. Il avait <strong>le</strong>s élèves pour lui. Je suisvenu <strong>voir</strong> <strong>le</strong> directeur qui m'a proposé defaire changer mon fils d'éco<strong>le</strong>. Mon filsn'a pas voulu, il avait l'habitude de SaintNicolas. Et pourquoi changer l'enfant plutôtque <strong>le</strong> professeur? Je l'y avais mis,pensant que c'était « bien surveillé »•••« Roger se sentait bien chez nous; maisaujourd'hui, il faut épargner <strong>le</strong>s autresenfants. Ça n'a été au départ qu'une taquinerie»,dit <strong>le</strong> directeur, M. Louis Roux.« Il ne me semb<strong>le</strong> pas, assure Monseigneurde Courrége, proche collaborateurde l'archevêque de Toulouse, que dans <strong>le</strong>srelations des enfants entre eux, la questiond'origine ait été sou<strong>le</strong>vée.)1Les premières réactions de M. Alloucheont-el<strong>le</strong>s été, sous <strong>le</strong> coup de la dou<strong>le</strong>ur,excessives? Seraient-el<strong>le</strong>s <strong>du</strong>es aussi àcette psychose de persécution qui existeencore chez <strong>le</strong>s minorités longtemps oppriméesou persécutées. Sa réserve actuel<strong>le</strong>a-t-el<strong>le</strong> d'autres causes que <strong>le</strong>s circonstancesde la mort de son fils? Dans un tel climat,l'affabulation peut aisément devenir· évidenceet c'est aussi la « rumeur» : « Onl'a tué, a-t-on enten<strong>du</strong> dans Toulouse, ilsse sont jetés à cinq ou six sur lui... C'estun lynchage ... », etc.D'autres questions se posent, qui alimententencore <strong>le</strong> troub<strong>le</strong> de cette affaire.y a-t-il eu un ou plusieurs agresseurs? Ets'il y a eu un seul agresseur, la vio<strong>le</strong>nce<strong>du</strong> coup porté peut-el<strong>le</strong> être <strong>le</strong> fait d'unesimp<strong>le</strong> « taquinerie Il? Le coup porté a-t-i<strong>le</strong>ntraînè la mort? De source officieuse, ils'avère qu'il n'y aurait pas eu traumatismecrânien. En revanche, plusieurs médecinsnous ont affirmé qu'un coup vio<strong>le</strong>ntporté dans <strong>le</strong>s parties génita<strong>le</strong>s peutentraîner la mort. Seuls, <strong>le</strong>s résultats del'autopsie pourront déterminer ce qu'il enest.Nous conclurons avec une remarque- mais en la prenant à rebours - deM. Barret, <strong>le</strong> jeune officier de police auxallures d 'étudiant à cheveux longs : « Sic'était pas un juif, mais un Dupont, onn'en ferait pas autant de cas. 1)L'hypothése est mal posée et l'argumentne tient pas. C'est l'existence <strong>du</strong> racismeet de l'antisémitisme, la carence flagrantedans l'é<strong>du</strong>cation et l'information qui noustient en éveil; c'est <strong>le</strong> climat de vio<strong>le</strong>ncequi fait des jeunes à la fois des victimeset des coupab<strong>le</strong>s, que nous dénonçons.Pour en revenir aux simp<strong>le</strong>s faits, <strong>le</strong>scirconstances de la mort de Roger Allouche,si el<strong>le</strong>s ne nous permettent pasd'affirmer l'existence de motivationsracia<strong>le</strong>s, ne nous autorisent pas non plus,à ce stade de l'enquête, à <strong>le</strong>s nier complètement.Saura-t-on jamais ce qui s'estvraiment passè ce 26 janvier à midi trente,sous <strong>le</strong> préau <strong>du</strong> collège Saint-Nicolas?Marguerite KAGANDROIT ET LIBERTÉ - N' 310 - FÉVRIER 1972Du dangerd'être •••Gérard ct Christian Melyon.G uadeloupéenS'IL était nécessaire de démontrerencore qu'être Antillais - et afortiori un jeune Antillais - constitueparfois pour la police un élémentsuffisant de culpabilité, l'affaire Melyonen apporterait une preuve supplémentaire.Christian et Gérard Melyon sont deuxfrères âgés de dix-sept ans et dix-huitans, d'origine guadeloupéenne, habitantà Garges-<strong>le</strong>s-Gonesse, et fréquentant <strong>le</strong>premier <strong>le</strong> lycée de Goussainvil<strong>le</strong>, <strong>le</strong> secondcelui de Gonesse.Ayant participé à une manifestation desoutien aux fonctionnaires <strong>du</strong> « D.O.M .»grévistes de la faim, mercredi 26 janvier,ils reviennent vers 20 h 20, avecun groupe à la gare <strong>du</strong> Nord. Ils montentdans un train sur <strong>le</strong> départ, en directionde Garges, certains de <strong>le</strong>urs camaradesn'ayant pas eu <strong>le</strong> temps de se munir debil<strong>le</strong>ts.Entre Paris et Saint-Denis, un contrô<strong>le</strong>a lieu: tous <strong>le</strong>s membres <strong>du</strong> groupe, jeuneset a<strong>du</strong>ltes, refusent de s'y prêter.Le contrô<strong>le</strong>ur appel<strong>le</strong> <strong>du</strong> renfort etbloque <strong>le</strong>s portes. Mais, à l'arrêt deSaint-Denis, <strong>le</strong>s personnes dépourvuesde titres de transport s'esquivent sansqu'el<strong>le</strong>s soient rattrapées par <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>urlancé à <strong>le</strong>ur poursuite.A Pierrefite, <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong>ur fait descendrecinq jeunes Antillais tous munisde bil<strong>le</strong>ts, parmi <strong>le</strong>squels <strong>le</strong>s frèresMelyon ainsi que la fil<strong>le</strong> et <strong>le</strong> fils deMarius Miron, l'un des grévistes de lafaim, <strong>le</strong>ur disant : Il Vous paierez pour <strong>le</strong>sautres Il et <strong>le</strong>s remet aux mains de policiers.Ils sont emmenés au commissariatde Saint-Denis, où ils sont fouillés etsoumis à une vérification d'identité.Vers 23 h 30, Marc et DominiqueMiron et une autre jeune fil<strong>le</strong>, VivianeJoseph-Julien, tous trois mineurs, sontlibérés.C'est alors que diffèrent tota<strong>le</strong>mentla version officiel<strong>le</strong> de la police, et <strong>le</strong>récit que Gérard Melyon donna desévénements au cours d'une réunionregroupant <strong>le</strong>s représentants des associationsde parents d'élèves, de syndicats,<strong>du</strong> conseil d'administration <strong>du</strong> lycéede Gonesse que fréquente l'aîné desMelyon et en présence <strong>du</strong> proviseur decet établissement. Ce dernier a tenu àsouligner que Il <strong>le</strong> récit de Gérard avaitl'accent de la vérité Il.Peu après la libération des enfantsMiron , <strong>le</strong>s effectifs de nuit prennent lagarde.La présence d'un agent antillais dansla précédente brigade aurait-el<strong>le</strong> empêchécertains débordements?Gérard a raconté en effet commentpeu après la relève, lui et son frère sontdevenus la cib<strong>le</strong> de propos racistes.A Christian s'approchant d'une affiche:Il Alors, on apprend à lire en Afrique? IlOu encore :(( Si j'avais <strong>le</strong> temps, je teferais blanchir Il, etc.Et on commence à <strong>le</strong>s bouscu<strong>le</strong>r. Leplus jeune, Christian, e3t jeté à terre,contraint à retourner à sa place à quatrepattes, alors que <strong>le</strong>s coups de pied p<strong>le</strong>uventsur lui. Christian s'évanouit. Gérard ,affolé, s'empare d'un banc, il n' a pas <strong>le</strong>temps de s'en servir, il est maîtrisé ettabassé. La police dira - de même queFrance- Inter - que Gérard, tentant des'évader avec son frère , voulait se servir<strong>du</strong> banc comme d'un bélier.Suite logique de cette dernière version:<strong>le</strong>s deux frères , inculpés de coupset b<strong>le</strong>ssures à agents, sont gardés àvue, alors que <strong>le</strong> commissariat de Garges-<strong>le</strong>s-Gonesseconfirme un quartd 'heure a'près l'exactitude de <strong>le</strong>ur résidence.On peut se demander pourquoiils ont été gardés alors qu'on libérait <strong>le</strong>senfants Miron. On a préten<strong>du</strong> que <strong>le</strong>sfrères Melyon avaient donné une fausse~5