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La prison La prison : recherches actuelles en sociologie ... - Melissa

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Élodie Béthoux<strong>La</strong> <strong>prison</strong> :<strong>recherches</strong> <strong>actuelles</strong> <strong>en</strong> <strong>sociologie</strong>(note critique)Introduction : <strong>La</strong> <strong>sociologie</strong> dans le champ pénit<strong>en</strong>tiaire<strong>La</strong> collection d’ouvrages historiques et sociologiques dirigée par ChristianCarlier 1 , « Champs pénit<strong>en</strong>tiaires », aux Éditions de l’Atelier, traduit l’exist<strong>en</strong>ced’une branche particulière de la <strong>sociologie</strong>, la <strong>sociologie</strong> pénit<strong>en</strong>tiaire, qu’ilconvi<strong>en</strong>t de distinguer de la <strong>sociologie</strong> de la délinquance ou de la justice. Plus<strong>en</strong>core, elle symbolise la reconnaissance institutionnelle de cette discipline,puisque ses <strong>recherches</strong> mérit<strong>en</strong>t d’être publiées, diffusées et critiquées 2 . Sevoulant l’un des porte-parole de « la <strong>sociologie</strong> de la <strong>prison</strong> d’aujourd’hui »,cette collection met au jour un trait marquant des <strong>recherches</strong> sociologiques<strong>actuelles</strong> sur la <strong>prison</strong> : leur souci perman<strong>en</strong>t d’apporter une réponse auxdifficultés contemporaines r<strong>en</strong>contrées dans le monde carcéral, loin dedéveloppem<strong>en</strong>ts purem<strong>en</strong>t théoriques ou spéculatifs 3 . Il s’agit pour nombre deces auteurs d’éclairer la situation prés<strong>en</strong>te — et préoccupante — <strong>en</strong> partant leplus souv<strong>en</strong>t d’observations empiriques, d’un travail d’<strong>en</strong>quête important etprécieux. Pour ce faire, cep<strong>en</strong>dant, les réflexions prés<strong>en</strong>tées par cette collection1 Docteur ès lettres, aujourd’hui directeur des services pénit<strong>en</strong>tiaires et histori<strong>en</strong> au Ministère de la Justice,égalem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>seignant à l’École Nationale d’Administration Pénit<strong>en</strong>tiaire de Fleury-Mérogis. C. Carlier est l’auteurde plusieurs ouvrages sur les questions pénit<strong>en</strong>tiaires, dont <strong>La</strong> <strong>prison</strong> aux champs, 1994, Les surveillants auparloir, 1996, Histoire du personnel des <strong>prison</strong>s françaises du XVIIIème siècle à nos jours, 1997, parus auxÉditions de l’Atelier.2 <strong>La</strong> collection est « ouverte, paradoxe seulem<strong>en</strong>t appar<strong>en</strong>t, à tous les v<strong>en</strong>ts de la critique, pourvu qu’on yrespecte l’Homme, sous quelque uniforme ou stigmate qu’il se trouve ». Cette citation apparaît sur la quatrièmede couverture des ouvrages publiés dans cette collection.3 Notons ainsi que ce sont les mouvem<strong>en</strong>ts viol<strong>en</strong>ts de protestation des années 1970-1980, tant chez les dét<strong>en</strong>usque chez les surveillants, qui ont conduit à subv<strong>en</strong>tionner des <strong>recherches</strong> sur les questions pénit<strong>en</strong>tiaires.terrains & travaux — n°1 [2000] — 71


sont explicitem<strong>en</strong>t nourries de « l’histoire de la <strong>prison</strong> d’hier ». Il faut noter <strong>en</strong>effet les li<strong>en</strong>s étroits que tisse la <strong>sociologie</strong> pénit<strong>en</strong>tiaire avec les disciplinesvoisines, histoire <strong>en</strong> premier lieu, mais aussi, de plus <strong>en</strong> plus, philosophie,psychologie, criminologie, démographie, droit et économie. On est là face à unexemple d’interdisciplinarité parfaitem<strong>en</strong>t avouée et assumée.Dans l’introduction à l’ouvrage collectif qu’elle a dirigé avec AntoinetteChauv<strong>en</strong>et et Philippe Combessie, Approches de la <strong>prison</strong> (1996), ClaudeFaugeron, chercheur et auteur majeur dans ce domaine, pose alors clairem<strong>en</strong>t laquestion : « une théorie de la <strong>prison</strong> est-elle possible ? ». Lors de notreprés<strong>en</strong>tation des diverses <strong>recherches</strong> m<strong>en</strong>ées aujourd’hui sur ce terrain, il nousfaudra garder cette interrogation à l’esprit.Pour compr<strong>en</strong>dre la pertin<strong>en</strong>ce et la validité des études <strong>actuelles</strong> sur la questionpénit<strong>en</strong>tiaire, il nous faut égalem<strong>en</strong>t, à l’instar là <strong>en</strong>core de Claude Faugeron,nous interroger sur la place occupée aujourd’hui, <strong>en</strong> <strong>sociologie</strong>, par deuxhéritages fondam<strong>en</strong>taux : celui de Michel Foucault et celui d’Erving Goffman.Bi<strong>en</strong> que partiellem<strong>en</strong>t nuancés, les travaux de l’auteur d’Asiles sont <strong>en</strong>corelargem<strong>en</strong>t repris et serv<strong>en</strong>t de point de départ et de référ<strong>en</strong>ce à plusieurs<strong>recherches</strong> <strong>actuelles</strong>. Michel Foucault, quant à lui, est souv<strong>en</strong>t écarté desréflexions sociologiques contemporaines, comme le note Claude Faugeron 4 . Celati<strong>en</strong>t, explique-t-elle, à deux changem<strong>en</strong>ts de direction majeurs opérés parrapport à la problématique du contrôle social énoncée dans Surveiller et punir.Le premier s’oppose à la recherche d’une théorie générale articulée autour duprincipe de contrôle social par des approches diversifiées, pour qui la« discipline » n’est pas un objectif de modelage des corps et des esprits, maisplus prosaïquem<strong>en</strong>t un objectif de mainti<strong>en</strong> de l’ordre. Cet objectif, comme lerappell<strong>en</strong>t les sociologues, est alors jugé selon des critères d’efficacité immédiats,et non de changem<strong>en</strong>t à moy<strong>en</strong> et long termes des individus. Le deuxièmechangem<strong>en</strong>t r<strong>en</strong>voie à la diverg<strong>en</strong>ce des postures méthodologiques. <strong>La</strong> <strong>sociologie</strong>pénit<strong>en</strong>tiaire, aujourd’hui, repose sur la mise à l’épreuve de la rechercheempirique des discours t<strong>en</strong>us sur la <strong>prison</strong>. Il s’agit ici d’aller de la réalité vers lemodèle. Claude Faugeron reproche au contraire à Michel Foucault de « pr<strong>en</strong>drele discours sur ce que devrait être la peine pour le quotidi<strong>en</strong> de la vie <strong>en</strong> <strong>prison</strong>. » 54 Je ti<strong>en</strong>s à préciser qu’à titre personnel, c’est la lecture de Surveiller et punir, il y a quelques années, qui m’adonné <strong>en</strong>vie de m’intéresser de plus près aux questions pénit<strong>en</strong>tiaires, et d’étudier, notamm<strong>en</strong>t, leur traitem<strong>en</strong>tsociologique.5 Voir les critiques semblables adressées à M. Foucault par les histori<strong>en</strong>s et la réponse du philosophe à celles-cidans la première partie de L’impossible <strong>prison</strong>, Michelle Perrot (Ed.), Paris, Le Seuil, 1980.72 — terrains & travaux — n°1 [2000]


Cep<strong>en</strong>dant, dans un article intitulé « Vingt ans après, le grand sil<strong>en</strong>ce » dunuméro d’octobre 1995 d’Esprit 6 , il est r<strong>en</strong>du hommage à Michel Foucault et àd’autres intellectuels, journalistes, magistrats, ex-dét<strong>en</strong>us, pour avoir inscrit la<strong>prison</strong> au cœur d’un véritable débat d’idées, militant et réformateur, au coursdes années 1970, notamm<strong>en</strong>t à la suite de la création du GIP (Groupeinformation <strong>prison</strong>). Avec la parution réc<strong>en</strong>te de l’ouvrage de VéroniqueVasseur, Médecin-chef à la <strong>prison</strong> de la Santé 7 , et suite à l’importante campagnede presse qu’elle a fait naître, les débats sur la <strong>prison</strong> se sont trouvés portés, d<strong>en</strong>ouveau, sur le devant de la scène. Au mom<strong>en</strong>t où s’observe ce regain d’intérêtpour l’univers carcéral, où <strong>en</strong> sont le débat et la recherche proprem<strong>en</strong>tsociologiques sur le champ pénit<strong>en</strong>tiaire ?Les paradoxes de l’<strong>en</strong>fermem<strong>en</strong>t carcéralA la lecture de nombreux ouvrages et articles sur le monde carcéral, on ne peutqu’être frappé par la prés<strong>en</strong>ce perman<strong>en</strong>te des thèmes de la contradiction, duparadoxe, des ambiguïtés qui structur<strong>en</strong>t véritablem<strong>en</strong>t l’univers pénit<strong>en</strong>tiaire et<strong>en</strong> r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t la gestion comme l’appréh<strong>en</strong>sion des plus délicates.Contradictions lointaines : <strong>en</strong>fermem<strong>en</strong>t et démocratieClaude Faugeron et Jean-Marie Le Boulaire 8 font appel à l’histoire pourcompr<strong>en</strong>dre quelle est la fonction de la forme pénale de l’em<strong>prison</strong>nem<strong>en</strong>t dansles sociétés démocratiques contemporaines. Leur exam<strong>en</strong> remonte ainsi àl’inv<strong>en</strong>tion par la Constituante de la peine de <strong>prison</strong>, et se poursuit par l’étudedes discours ayant cherché, du XIXème siècle à la Libération, à légitimer lerecours à la peine de <strong>prison</strong>. En effet, le système carcéral fait face depuistoujours à un problème récurr<strong>en</strong>t de légitimité, et c’est là la source même debon nombre de ses difficultés. Une première source d’illégitimité réside dans lescritiques constantes sur les conditions matérielles de fonctionnem<strong>en</strong>t du système.Celles-ci relèv<strong>en</strong>t de ce que C. Faugeron et J.M. Le Boulaire nomm<strong>en</strong>t les6 D<strong>en</strong>is Salas, « Vingt ans après, le grand sil<strong>en</strong>ce », Esprit, octobre 1995, pp. 104-116.7 Véronique Vasseur, Médecin-chef à la <strong>prison</strong> de la Santé, Paris, Le Cherche-midi Éditeur, 2000.8 Claude Faugeron et Jean-Michel Le Boulaire, « Prisons, peines de <strong>prison</strong> et ordre public », Revue Française deSociologie, vol. XXXIII, n° 1, 1992, pp. 3-32.terrains & travaux — n°1 [2000] — 73


« discours pragmatiques » sur la <strong>prison</strong>, discours « critiques » s’ils dénonc<strong>en</strong>t, del’extérieur, l’inhumanité du dispositif carcéral, « gestionnaires » s’ils sontprononcés par les pratici<strong>en</strong>s eux-mêmes. Tous prôn<strong>en</strong>t le mainti<strong>en</strong> « d’un fragileéquilibre <strong>en</strong>tre les conditions de vie à l’intérieur des <strong>prison</strong>s et celles de l’extérieur »,rev<strong>en</strong>dication qui nourrit depuis longtemps les discours des réformateurs. Ilconvi<strong>en</strong>dra d’ailleurs, par la suite, de mesurer la grande actualité de tellespositions.<strong>La</strong> deuxième source d’illégitimité est plus fondam<strong>en</strong>tale <strong>en</strong>core : il s’agit de lacontradiction ess<strong>en</strong>tielle <strong>en</strong>tre <strong>en</strong>fermem<strong>en</strong>t et démocratie, que C. Faugeronprés<strong>en</strong>te ainsi : « Comm<strong>en</strong>t justifier, dans un régime démocratique, de laperman<strong>en</strong>ce d’un outil que l’on estime nécessaire au mainti<strong>en</strong> de l’ordre social, alorsque cet outil est <strong>en</strong> soi contraire aux principes qui fond<strong>en</strong>t cette même démocratie ?[…] Le même dispositif est <strong>en</strong> charge de deux missions bi<strong>en</strong> différ<strong>en</strong>tes : d’un côtéprotéger les droits et les libertés, de l’autre y att<strong>en</strong>ter au nom de la fautecommise. » 9Alors que l’idéal démocratique conduit à prohiber l’arbitraire -caractéristiquedes pratiques de l’Anci<strong>en</strong> Régime-, il s’accompagne à la fois de l’institution de la<strong>prison</strong> comme lieu d’exécution de la peine et d’un nombre croissant decomportem<strong>en</strong>ts pénalisés, voire surpénalisés. En effet, comme le note C.Faugeron, la contradiction <strong>en</strong>tre <strong>en</strong>fermem<strong>en</strong>t et démocratie ti<strong>en</strong>t égalem<strong>en</strong>t au« constat d’une opposition <strong>en</strong>tre la progression des démocraties occid<strong>en</strong>tales versdavantage de protection des libertés et de l’intégrité physique des individus et, <strong>en</strong>même temps, un recours accru à l’usage de l’em<strong>prison</strong>nem<strong>en</strong>t. » 10C’est là que l’on trouve alors non plus les « discours pragmatiques » sur la <strong>prison</strong>,mais les « discours idéologiques », ori<strong>en</strong>tés autour de deux pôles : le pôle« fondateur », qui avance la mission « d’am<strong>en</strong>dem<strong>en</strong>t » des condamnés dévolueà l’<strong>en</strong>fermem<strong>en</strong>t, et, à l’opposé, le pôle « réaliste », qui attribue quant à lui à lapeine des fonctions de « dissuasion, d’intimidation de neutralisation ». Or lesauteurs insist<strong>en</strong>t fortem<strong>en</strong>t sur le rôle joué par ce « mythe fondateur de la <strong>prison</strong>pour peine », qui cherche à « transformer le mal (l’<strong>en</strong>fermem<strong>en</strong>t de sûreté,toujours soupçonné d’arbitraire) <strong>en</strong> bi<strong>en</strong> (la « bonne » peine de <strong>prison</strong>« humaniste ») » qui ne doit pas punir moins, mais punir mieux. Au cœur de la<strong>prison</strong> s’oppos<strong>en</strong>t ainsi deux rationalités antagonistes : la représ<strong>en</strong>tationsécuritaire et la représ<strong>en</strong>tation humaniste.9 Claude Faugeron, « <strong>La</strong> dérive pénale », Esprit, octobre 1995, pp. 140-142.10 Ibid.74 — terrains & travaux — n°1 [2000]


Il s’agit là, pourrait-on dire, de contradictions situées <strong>en</strong> amont de l’universcarcéral, à l’échelon de la politique pénale. Mais le niveau inférieur, celui de lapolitique pénit<strong>en</strong>tiaire, reste lui aussi marqué par de fortes contradictions.Contradictions réc<strong>en</strong>tes : la politique d’ouverture et ses ambiguïtés<strong>La</strong> loi du 22 juin 1987 marque un tournant majeur dans la conduite de lapolitique pénit<strong>en</strong>tiaire française. En affirmant quelle est la double mission quedoit m<strong>en</strong>er le système carcéral, elle ancre ce dernier dans de nouvellescontradictions.« Le service public pénit<strong>en</strong>tiaire participe à l’exécution des décisions des s<strong>en</strong>t<strong>en</strong>cespénales et au mainti<strong>en</strong> de la sécurité publique. Il favorise la réinsertion sociale despersonnes qui lui sont confiées par l’autorité judiciaire. » 11<strong>La</strong> traditionnelle fonction sécuritaire de la <strong>prison</strong>, qui fait appel à sa plus grandeétanchéité, se trouve doublée d’une fonction de réinsertion (nouvel et dernieravatar de la rationalité humaniste), qui signifie au contraire échanges avecl’extérieur et donc porosité. Cette mission de réinsertion des dét<strong>en</strong>us, impartieau service pénit<strong>en</strong>tiaire depuis 1987, marque donc le passage à une politiqued’ouverture nouvelle, que la politique générale de délocalisation de 1982n’avait fait qu’amorcer timidem<strong>en</strong>t. Il faut bi<strong>en</strong> souligner que cette politiqued’ouverture est apparue comme une étape importante de la nécessairemodernisation de la <strong>prison</strong>. En effet, elle s’inscrit dans le mouvem<strong>en</strong>t deréhabilitation civique des dét<strong>en</strong>us, né dans les années 1970, qui t<strong>en</strong>te de retisserdu li<strong>en</strong> social <strong>en</strong>tre les reclus et le monde extérieur. Elle cherche, commel’exprime clairem<strong>en</strong>t A. M. Marchetti dans l’introduction de <strong>La</strong> <strong>prison</strong> dans lacité, « à réintroduire (symboliquem<strong>en</strong>t) dans la Cité ceux que la justice a exclus. »Cep<strong>en</strong>dant, cette ouverture est loin d’aller sans difficulté, comme le soulignetrès justem<strong>en</strong>t A. M. Marchetti. Les occasions de contact avec l’extérieur sontcertes de plus <strong>en</strong> plus nombreuses (il s’agit aussi bi<strong>en</strong> de l’ouverture au regardextérieur — reportages, travaux de <strong>recherches</strong>...— qu’à de nouvellesconsommations — téléphone, télévision...— ou qu’au nombre croissantd’interv<strong>en</strong>ants extérieurs dans la <strong>prison</strong>), mais parallèlem<strong>en</strong>t on a assisté cesdernières années à un r<strong>en</strong>forcem<strong>en</strong>t sécuritaire intra-muros très important,11 loi du 22 juin 1987, citée par Anne-Marie Marchetti, <strong>La</strong> <strong>prison</strong> dans la cité. Paris : Desclée de Brouwer,1996.terrains & travaux — n°1 [2000] — 75


justifié par une demande sociale de sécurité de plus <strong>en</strong> plus forte. L’ouverturesuscite <strong>en</strong> effet de multiples craintes <strong>en</strong> même temps qu’elle paraît grandem<strong>en</strong>tnécessaire.Posant tout à la fois les questions de la citoy<strong>en</strong>neté des dét<strong>en</strong>us, du degréd’ouverture <strong>en</strong>visageable, des finalités de l’institution pénit<strong>en</strong>tiaire (notons,chose importante, que ses buts comme ses moy<strong>en</strong>s lui sont <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t assignésde l’extérieur), de son évolution probable, la politique d’ouverture réc<strong>en</strong>teoblige, <strong>en</strong> réactivant les contradictions anci<strong>en</strong>nes et <strong>en</strong> <strong>en</strong> créant de nouvelles, àrep<strong>en</strong>ser le système à bi<strong>en</strong> des égards. Nous verrons notamm<strong>en</strong>t comm<strong>en</strong>t larecherche sociologique s’est partiellem<strong>en</strong>t réori<strong>en</strong>tée suite à la mise <strong>en</strong> œuvre decette politique.Au carrefour de ces contradictions : « le monde des surveillants de <strong>prison</strong> »Les <strong>recherches</strong> d’Antoinette Chauv<strong>en</strong>et, Georges B<strong>en</strong>guigui et Françoise Orlicsur les surveillants de <strong>prison</strong> ont été effectuées dans sept établissem<strong>en</strong>tspénit<strong>en</strong>tiaires, à partir d’un travail d’observation, d’<strong>en</strong>viron 300 <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>s et dusuivi d’un stage d’élèves-surveillants. Leurs résultats sont prés<strong>en</strong>tés dans « Lessurveillants de <strong>prison</strong> : le prix de la sécurité », article de la Revue française de<strong>sociologie</strong> de 1993 et dans leur ouvrage Le monde des surveillants de <strong>prison</strong>, paru<strong>en</strong> 1994. Leurs analyses s’inscriv<strong>en</strong>t parfaitem<strong>en</strong>t dans le cadre prés<strong>en</strong>téprécédemm<strong>en</strong>t, puisque leur réflexion s’articule autour des contradictionsanci<strong>en</strong>nes et <strong>actuelles</strong> qui travers<strong>en</strong>t le système pénit<strong>en</strong>tiaire français et éclair<strong>en</strong>tla position délicate des surveillants de <strong>prison</strong>.Les auteurs soulign<strong>en</strong>t tout d’abord l’exist<strong>en</strong>ce, aujourd’hui, d’« un cons<strong>en</strong>susimplicite et indiscuté sur la fonction sécuritaire de la <strong>prison</strong> », qui répond à unedemande sociale croissante de sécurité. <strong>La</strong> fonction des surveillants est de ce faitd’abord sécuritaire, comme il est clairem<strong>en</strong>t rappelé dans l’article 1er de la loide juin 1987. Or cette fonction sécuritaire s’inscrit dans des évolutions et descontradictions multiples. <strong>La</strong> première ti<strong>en</strong>t au caractère mutuellem<strong>en</strong>t exclusifde la sécurité externe et de la sécurité interne des établissem<strong>en</strong>ts. En effet, plusla sécurité externe, qui consiste à prév<strong>en</strong>ir toute évasion, est exigeante, plus lasécurité interne est m<strong>en</strong>acée par l’accroissem<strong>en</strong>t des t<strong>en</strong>sions sociales au sein del’institution, où les risques d’émeutes ou de prises d’otages se multipli<strong>en</strong>t. <strong>La</strong>deuxième contradiction r<strong>en</strong>voie à l’amélioration des conditions de dét<strong>en</strong>tion etau développem<strong>en</strong>t des activités visant à la réinsertion des dét<strong>en</strong>us. Celles-ci76 — terrains & travaux — n°1 [2000]


signifi<strong>en</strong>t une circulation plus importante de bi<strong>en</strong>s et de personnes, dansl’établissem<strong>en</strong>t, et <strong>en</strong>tre la <strong>prison</strong> et l’extérieur. Les exig<strong>en</strong>ces de sécuritéimpos<strong>en</strong>t alors de multiplier les dispositifs de contrôle (fouilles, portiques dedétection...), ce qui, là <strong>en</strong>core, accroît les t<strong>en</strong>sions et contredit les objectifsd’amélioration des conditions de vie et de réinsertion. De plus, et c’est là letroisième dilemme, cette amélioration des conditions de dét<strong>en</strong>tion multiplie lesoccasions incontrôlables de r<strong>en</strong>contres <strong>en</strong>tre dét<strong>en</strong>us et augm<strong>en</strong>te donc le risquede formation de coalitions. L’accroissem<strong>en</strong>t des droits des dét<strong>en</strong>us conduitégalem<strong>en</strong>t à une inflation de règles formelles, signe non seulem<strong>en</strong>t d’unebureaucratisation croissante du système, mais aussi d’une diminution de la margede manoeuvre des surveillants dans la négociation quotidi<strong>en</strong>ne de leurs rapportsavec les dét<strong>en</strong>us. Les auteurs soulign<strong>en</strong>t <strong>en</strong> effet que le « contrôle de lapopulation pénale n’est assuré que s’il existe un minimum d’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>te <strong>en</strong>tre lessurveillants et les dét<strong>en</strong>us […] qui passe par un système d’échanges sociauxinformels ». Or celui-ci ne peut être mis <strong>en</strong> œuvre qu’à la marge del’organisation, marge qui se trouve de plus <strong>en</strong> plus réduite par les évolutionsm<strong>en</strong>tionnées.Les surveillants de <strong>prison</strong> se trouv<strong>en</strong>t ainsi placés dans une « situation structurellede double contrainte et d’incertitude fondam<strong>en</strong>tale », où « appliquer les textes c’estcréer le risque de désordre, ne pas les appliquer c’est se mettre <strong>en</strong> faute et risquer dese faire sanctionner. » De cette situation paradoxale découle une usure certainede l’autorité des surveillants de <strong>prison</strong>. A cette situation professionnellecaractérisée par la contradiction généralisée, les surveillants répond<strong>en</strong>t alors parun « double discours », dans lequel les trois auteurs voi<strong>en</strong>t « un discours de véritésur le schisme qui traverse tant la gestion de la <strong>prison</strong> que son traitem<strong>en</strong>t socialexterne. » Le discours public reste sécuritaire et contestataire à l’<strong>en</strong>contre del’administration ou même des dét<strong>en</strong>us. Il s’oppose radicalem<strong>en</strong>t au discoursprivé, construit sur la pratique professionnelle quotidi<strong>en</strong>ne et sur les rapportsavec les dét<strong>en</strong>us. Il s’agit alors de mettre <strong>en</strong> avant les relations interindividuellesdu face-à-face et la nécessaire cohabitation. Pour les auteurs, les surveillantscherch<strong>en</strong>t par ce discours privé, fondam<strong>en</strong>talem<strong>en</strong>t déviant, à s’inv<strong>en</strong>ter unedignité et une id<strong>en</strong>tité professionnelles, dans lesquelles il faut voir l’objet d’unevéritable quête personnelle.C’est la prise <strong>en</strong> considération croissante de ces contradictions dans les analysessociologiques, notamm<strong>en</strong>t de celles t<strong>en</strong>ant à la politique d’ouverture, qui aconduit récemm<strong>en</strong>t à une réori<strong>en</strong>tation certaine de la réflexion sociologique surterrains & travaux — n°1 [2000] — 77


la <strong>prison</strong>, voyant dans cette dernière non plus tant un monde clos que, nouveauparadoxe, un système ouvert.Du « monde clos » au « système ouvert »Elém<strong>en</strong>ts de démographie carcérale : la <strong>prison</strong> et sa (sur)populationEn introduction de leur article de 1992 12 , C. Faugeron et J.M. Le Boulairesoulign<strong>en</strong>t que « l’intérêt de la <strong>sociologie</strong> pour les questions pénit<strong>en</strong>tiaires émergeaujourd’hui <strong>en</strong> France » et invit<strong>en</strong>t le lecteur à se reporter notamm<strong>en</strong>t auxtravaux de démographie carcérale. En effet, les <strong>recherches</strong> d’ordredémographique apparaiss<strong>en</strong>t comme le préalable nécessaire à toute réflexionsociologique sur le monde pénit<strong>en</strong>tiaire, <strong>en</strong> ce qu’elles livr<strong>en</strong>t à l’analyse desdonnées fondam<strong>en</strong>tales sur la population carcérale. Pour le regarddémographique, la <strong>prison</strong> est <strong>en</strong> effet avant tout considérée comme unepopulation, spécifique, à laquelle il convi<strong>en</strong>t de poser les traditionnellesquestions : combi<strong>en</strong>, qui (<strong>en</strong> ayant recours aux variables classiques d’âge, desexe, de nationalité, d’origine sociale...), où, depuis quand ?Les travaux de Pierre Tournier 13 , notamm<strong>en</strong>t au sein du Conseil de l’Europe 14 ,constitu<strong>en</strong>t ici l’une des référ<strong>en</strong>ces principales. Ses conclusions, partagées partous, se déclin<strong>en</strong>t <strong>en</strong> deux mots : inflation et surpopulation carcérales. <strong>La</strong> crisepénit<strong>en</strong>tiaire que beaucoup déplor<strong>en</strong>t trouverait donc sa cause première dans leschiffres de ce « trop-carcéral », commun à la France (57 000 personnes 15incarcérées pour une capacité de 50 000 places, soit un taux globald’occupation des <strong>prison</strong>s de 114 % <strong>en</strong> novembre 1994) et à bon nombre deses voisins europé<strong>en</strong>s. Il faut préciser immédiatem<strong>en</strong>t que cette augm<strong>en</strong>tation dunombre de dét<strong>en</strong>us ti<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t à un net accroissem<strong>en</strong>t des durées dedét<strong>en</strong>tion 16 et non à celui du nombre des <strong>en</strong>trées <strong>en</strong> <strong>prison</strong>, plutôt à la baisse.12 Claude Faugeron et Jean-Michel Le Boulaire, « Prisons, peines de <strong>prison</strong> et ordre public », Revue Française deSociologie, vol. XXXIII, n° 1, 1992, pp. 3-32.13 Pierre Tournier, « Inflation carcérale et alternatives à l’em<strong>prison</strong>nem<strong>en</strong>t », Regards sur l’actualité, n° 206,décembre 1994, pp. 47-55.14 En 1983, le Conseil de l’Europe a mis <strong>en</strong> place un système statistique sur les questions pénales etpénit<strong>en</strong>tiaires, diffusé aujourd’hui sous le nom de S.PACE ( Statistique Pénale Annuelle du Conseil de l’Europe),et dont les données r<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t compte de la diversité des situations europé<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> matière carcérale.15 dont 35 000 condamnés et 22 000 prév<strong>en</strong>us <strong>en</strong> dét<strong>en</strong>tion provisoire.16 <strong>La</strong> durée moy<strong>en</strong>ne de dét<strong>en</strong>tion est <strong>en</strong> France de 7 mois.78 — terrains & travaux — n°1 [2000]


Cette dernière t<strong>en</strong>dance s’explique <strong>en</strong> partie par la volonté d’éviterl’incarcération chez les moins de 21 ans. Si l’on s’intéresse ainsi non plus à lapopulation carcérale considérée comme un tout mais aux catégories sociodémographiquesqui la compos<strong>en</strong>t, il faut noter égalem<strong>en</strong>t l’accroissem<strong>en</strong>tparfois considérable de la proportion d’étrangers parmi les dét<strong>en</strong>us,« phénomène majeur, même s’il est délicat à interpréter et susceptible d’utilisationpartisane par les mouvem<strong>en</strong>ts xénophobes » précise Pierre Tournier. Cetaccroissem<strong>en</strong>t ti<strong>en</strong>t pour beaucoup à des raisons administratives avecl’incarcération d’étrangers « <strong>en</strong> situation irrégulière ». Ceci fait apparaître un faitess<strong>en</strong>tiel : la structure de la population carcérale se transforme nettem<strong>en</strong>t et estainsi soumise à de constantes évolutions, comme celle de tout autre population.A cet égard, on assiste notamm<strong>en</strong>t à une augm<strong>en</strong>tation du nombre de « grandsdélinquants », les incarcérations pour crimes, coups et blessures volontaires,homicides, viols et att<strong>en</strong>tats aux moeurs ayant fortem<strong>en</strong>t augm<strong>en</strong>té ces vingtdernières années. De ce fait, la question de la surpopulation carcérale seprés<strong>en</strong>te avec une acuité nouvelle.Face à une telle situation — inflation, surpopulation, transformation de lapopulation — l’alternative principale devi<strong>en</strong>t : augm<strong>en</strong>ter la capacité du parccarcéral ou bi<strong>en</strong> développer des peines de substitution à l’em<strong>prison</strong>nem<strong>en</strong>t. Oncompr<strong>en</strong>d donc déjà, à travers ces seules études démographiques, que l’av<strong>en</strong>irdu système pénit<strong>en</strong>tiaire est ici pleinem<strong>en</strong>t <strong>en</strong> jeu.<strong>La</strong> <strong>prison</strong> comme « institution totale »<strong>La</strong> démographie carcérale conduit donc à considérer la <strong>prison</strong> comme unesimple population. Le regard proprem<strong>en</strong>t sociologique, quant à lui, voit <strong>en</strong> elleune véritable société, avec son organisation et son fonctionnem<strong>en</strong>t internesspécifiques. Le point commun <strong>en</strong>tre les deux approches, cep<strong>en</strong>dant, est des’intéresser à ce qu’il se passe à l’intérieur de l’institution, dans un cas pour voirqui s’y trouve, dans l’autre pour compr<strong>en</strong>dre comm<strong>en</strong>t viv<strong>en</strong>t et ce quedevi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t ceux qui y sont <strong>en</strong>fermés.Cette démarche sociologique s’inscrit clairem<strong>en</strong>t dans la lignée d’ErvingGoffman et des <strong>recherches</strong> prés<strong>en</strong>tées dans Asiles. Claude Faugeron, dansl’introduction d’Approches de la <strong>prison</strong> 17 , souligne ainsi que le modèle17 Antoinette Chauv<strong>en</strong>et, Claude Faugeron, Philippe Combessie, Approches de la <strong>prison</strong>. Bruxelles : De Boeck-terrains & travaux — n°1 [2000] — 79


goffmani<strong>en</strong> de « l’institution totale » reste largem<strong>en</strong>t pertin<strong>en</strong>t aujourd’hui. <strong>La</strong><strong>prison</strong>, à l’image de l’hôpital psychiatrique étudié par Goffman, est bi<strong>en</strong> cette« institution sociale spécialisée dans le gardi<strong>en</strong>nage des hommes et le contrôletotalitaire de leur mode de vie » 18 , dont les traits structuraux principaux sontl’isolem<strong>en</strong>t dans un espace clos et la prise <strong>en</strong> charge de tous les besoins desreclus. Au-delà de cette définition majeure, c’est l’intérêt porté aujourd’hui auxpratiques informelles d’échanges 19 , aux relations de face-à-face à l’intérieur de la<strong>prison</strong>, aux questions de gestion et de protection de l’id<strong>en</strong>tité personnelle desindividus, qui constitue l’ess<strong>en</strong>tiel de l’héritage goffmani<strong>en</strong>.A cet égard, les travaux de Corinne Rostaing nous sembl<strong>en</strong>t les pluscaractéristiques. L’écho goffmani<strong>en</strong> est évid<strong>en</strong>t dans sa contribution àL’exclusion : l’état des savoirs, intitulée « Les dét<strong>en</strong>us : de la stigmatisation à lanégociation d’autres id<strong>en</strong>tités » 20 , dans laquelle elle étudie « l’expéri<strong>en</strong>ce de la<strong>prison</strong> comme une atteinte directe à l’image de soi ». Le rituel de l’<strong>en</strong>trée dansl’institution, la fin de la maîtrise du temps, la privation de l’intimité, la positionde subordination perman<strong>en</strong>te, le recours aux « adaptations secondaires » desdét<strong>en</strong>us sont autant de référ<strong>en</strong>ces aux analyses d’Asiles. Dans son étude sur lesrelations <strong>en</strong>tre surveillantes et dét<strong>en</strong>ues 21 , elle repr<strong>en</strong>d et <strong>en</strong>richit égalem<strong>en</strong>t lesanalyses goffmani<strong>en</strong>nes <strong>en</strong> dressant une typologie des interactions observées<strong>en</strong>tre ces deux groupes de femmes. Les deux rapports idéaltypiques de « refus »et de « participation » se déclin<strong>en</strong>t <strong>en</strong> interactions contrôlée (« normée »),agressive (« conflictuelle »), polémique (« négociée ») et constructive(« personnalisée »).<strong>La</strong> tradition goffmani<strong>en</strong>ne perdure donc ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t à travers cesdescriptions et analyses du quotidi<strong>en</strong> des relations dans l’institution pénit<strong>en</strong>tiaire,par ess<strong>en</strong>ce stigmatisante et « totalitaire ».Université/Montréal, Presses de l’Université de Montréal/Ottawa, 1996.18 Robert Castel, « Prés<strong>en</strong>tation », p. 11, in Erving Goffman, Asiles. Paris : Éditions de Minuit, 1968.19 Antoinette Chauv<strong>en</strong>et, « L’échange et la <strong>prison</strong> », in Approches de la <strong>prison</strong>, Bruxelles : De Boeck-Université/Montréal, Presses de l’Université de Montréal/Ottawa, 1996, première partie.20 Corinne Rostaing, « Les dét<strong>en</strong>us : de la stigmatisation à la négociation d’autres id<strong>en</strong>tités », in L’exclusion :l’état des savoirs, sous la direction de Serge Paugam, Editions la Découverte, 1996, pp. 354-362.21 Corinne Rostaing, <strong>La</strong> relation carcérale : id<strong>en</strong>tités et rapports sociaux dans les <strong>prison</strong>s de femmes, P.U.F. / Leli<strong>en</strong> social, 1994.80 — terrains & travaux — n°1 [2000]


<strong>La</strong> <strong>prison</strong> et son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>tParallèlem<strong>en</strong>t, on assiste aujourd’hui à une lecture nouvelle des relations nouéesau sein d’un établissem<strong>en</strong>t pénit<strong>en</strong>tiaire, non plus à la lumière des contraintesmultiples imposées par l’institution, mais à celle de l’ouverture croissante des<strong>prison</strong>s vers le monde extérieur. Dès lors, la <strong>prison</strong> cesse d’être uniquem<strong>en</strong>t ce« monde clos », cet « univers claustral », <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t mu par une logiqueinterne décrit après Goffman, pour dev<strong>en</strong>ir un lieu ouvert, perméable auxinflu<strong>en</strong>ces extérieures et intimem<strong>en</strong>t lié à son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t. De la <strong>prison</strong>populationanalysée par la démographie et de la <strong>prison</strong>-société close, on passe àla vision de la <strong>prison</strong> dans la société.Ce regard radicalem<strong>en</strong>t neuf porté sur la <strong>prison</strong> est notamm<strong>en</strong>t celui de PhilippeCombessie, qui s’attache, dans Prisons des villes et des campagnes 22 , à étudierl’interface <strong>en</strong>tre les institutions pénit<strong>en</strong>tiaires et ce qu’il nomme leur« écosystème social <strong>en</strong>vironnant ». Notons d’emblée, avec cet auteur pionnier,qu’une telle approche n’<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d pas rivaliser avec les études antérieures car « ell<strong>en</strong>e se place pas sur le même plan ; elle est différ<strong>en</strong>te et surtout complém<strong>en</strong>taire.C’est à dessein que les interactions au sein de la dét<strong>en</strong>tion ont été laissées de côté,pour apporter sur la <strong>prison</strong> un éclairage complém<strong>en</strong>taire de ceux qui sont souv<strong>en</strong>tprés<strong>en</strong>tés. » 23 Soulignons égalem<strong>en</strong>t que le travail de Philippe Combessie gardeconstamm<strong>en</strong>t comme arrière-plan les deux rationalités des représ<strong>en</strong>tations de la<strong>prison</strong>, « sécuritaire et humaniste », prés<strong>en</strong>tées par C. Faugeron et J. M. LeBoulaire, ainsi que la politique pénit<strong>en</strong>tiaire de décloisonnem<strong>en</strong>t des annéesquatre-vingt.Pour analyser la <strong>prison</strong> comme un « système ouvert », ce chercheur a m<strong>en</strong>é uneétude « d’écologie sociale » à la manière de l’École de Chicago, <strong>en</strong> liant le travailde terrain, c<strong>en</strong>tral, à des données d’ordres statistique, économique, historique.Ses <strong>recherches</strong> se sont c<strong>en</strong>trées sur l’analyse comparative de quatreétablissem<strong>en</strong>ts, selon les oppositions croisées : urbain/rural et réc<strong>en</strong>t/anci<strong>en</strong>,tout <strong>en</strong> distingant les catégories d’établissem<strong>en</strong>ts, maison d’arrêt, maisonc<strong>en</strong>trale, c<strong>en</strong>tre de dét<strong>en</strong>tion.22 Philippe Combessie, Prisons des villes et des campagnes, étude d’écologie sociale. Paris : Éditions del’Atelier, 1996.23 Antoinette Chauv<strong>en</strong>et, Claude Faugeron, Philippe Combessie, Approches de la <strong>prison</strong>. Bruxelles : De Boeck-Université/Montréal, Presses de l’Université de Montréal/Ottawa, 1996, p.97.P. Combessie r<strong>en</strong>d cep<strong>en</strong>dant hommage aux travaux d’Ohlin et Grosser, qui <strong>en</strong> 1960, attestai<strong>en</strong>t déjà de cetintérêt pour les relations <strong>en</strong>tre le dedans et le dehors de la <strong>prison</strong>.terrains & travaux — n°1 [2000] — 81


Prisons étudiées par P. Combessie :UrbainRuralRéc<strong>en</strong>t Bois d’Arcy Joux-la-villeAnci<strong>en</strong> Fresnes ClairvauxIl cherche alors à mettre <strong>en</strong> évid<strong>en</strong>ce « les rapports sociaux qui se trouv<strong>en</strong>tmarqués par la prés<strong>en</strong>ce de la <strong>prison</strong> et peuv<strong>en</strong>t <strong>en</strong> retour marquer lefonctionnem<strong>en</strong>t » 24 , <strong>en</strong> empruntant trois directions principales.Tout d’abord, il s’intéresse à la « <strong>prison</strong> t<strong>en</strong>ue à distance ». Reléguéegéographiquem<strong>en</strong>t dans des lieux de moindre visibilité et valeur sociales,occultée matériellem<strong>en</strong>t et symboliquem<strong>en</strong>t par les autorités locales et lesriverains, la <strong>prison</strong> est ainsi traitée par l’extérieur afin d’atténuer la stigmatisationdu lieu où elle se trouve. Les ag<strong>en</strong>ts du « champ péri-carcéral » (« ag<strong>en</strong>ts desurveillance, ag<strong>en</strong>ts médico-socio-éducatifs, ag<strong>en</strong>ts administratifs et techniques etag<strong>en</strong>ts de direction »), quant à eux, s’adapt<strong>en</strong>t de façon différ<strong>en</strong>tielle à cestigmate, comme le montre l’étude des discours de leurs <strong>en</strong>fants sur leursprofessions et celle de leurs choix résid<strong>en</strong>tiels. De plus, l’institution pénit<strong>en</strong>tiaireelle-même suscite une certaine mise à l’écart <strong>en</strong> s’appuyant sur sa fonction« sécuritaire ». De tout cela découle la notion de « périmètre s<strong>en</strong>sible », quidéfinit cette zone aux contours variables qui <strong>en</strong>toure la <strong>prison</strong>, ce « champmagnétique, créant de l’ouverture, de l’attraction, tout <strong>en</strong> maint<strong>en</strong>ant à distance ».Le deuxième angle d’approche ret<strong>en</strong>u par P. Combessie est celui des « flux etfluctuations économiques » qui li<strong>en</strong>t les <strong>prison</strong>s et leur <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t et plusparticulièrem<strong>en</strong>t les <strong>prison</strong>s aux budgets locaux et au commerce local. C’est làqu’il met aussi <strong>en</strong> lumière les évolutions contrastées des patrimoines fonciersautour des établissem<strong>en</strong>ts pénit<strong>en</strong>tiaires. Enfin, il montre qu’« à chaque milieu sa<strong>prison</strong> », et son groupe <strong>en</strong> position de force : à Clairvaux, le pouvoir dessurveillants, à Bois-d’Arcy, celui des ag<strong>en</strong>ts investis de missions socio-éducatives,à Fresnes, le pouvoir des administratifs et à Joux-la-Ville celui de la direction,tous ces ag<strong>en</strong>ts cherchant à s’octroyer le contrôle du « pouvoir interstitiel ».Si nous avons prés<strong>en</strong>té un peu longuem<strong>en</strong>t les analyses de Philippe Combessie,c’est qu’elles nous sembl<strong>en</strong>t ess<strong>en</strong>tielles pour bi<strong>en</strong> mesurer les évolutions24 Philippe Combessie, Prisons des villes et des campagnes, étude d’écologie sociale. Paris : Éditions del’Atelier, 1996, p. 10.82 — terrains & travaux — n°1 [2000]


<strong>actuelles</strong> de la recherche sociologique sur les questions pénit<strong>en</strong>tiaires. Ces<strong>recherches</strong> symbolis<strong>en</strong>t la progressive ouverture du regard sci<strong>en</strong>tifique quiaccompagne le difficile décloisonnem<strong>en</strong>t des <strong>prison</strong>s. Grandem<strong>en</strong>t nourries destravaux antérieurs, elles font apparaître égalem<strong>en</strong>t bon nombre des problèmessoulevés par les politiques <strong>en</strong> cours et suscit<strong>en</strong>t ainsi de très nombreuses pistesde recherche.Questions <strong>actuelles</strong>, <strong>recherches</strong> à v<strong>en</strong>ir ?Nous abordons ici des questions qui se trouv<strong>en</strong>t aujourd’hui au cœurd’interrogations nombreuses (travail, santé, privatisation, mais il faudrait aussiévoquer pauvreté, formation, droit des dét<strong>en</strong>us) et qui pourrai<strong>en</strong>t à l’av<strong>en</strong>irfaire l’objet de traitem<strong>en</strong>ts sociologiques plus approfondis, les prés<strong>en</strong>tations<strong>actuelles</strong> restant <strong>en</strong>core, pour certaines, à un degré assez descriptif.Le travail <strong>en</strong> <strong>prison</strong> 25C’est de nouveau la loi du 22 juin 1987 qui stipule que « les activités de travailet de formation professionnelle sont prises <strong>en</strong> compte pour l’appréciation des gagesde réinsertion et de bonne conduite des condamnés » et <strong>en</strong>gage les établissem<strong>en</strong>tspénit<strong>en</strong>tiaires à « assurer une activité professionnelle aux personnes incarcérées quile souhait<strong>en</strong>t ».Il s’agit donc de l’abrogation de toute disposition conférant au travail <strong>en</strong> <strong>prison</strong>un caractère obligatoire et contraignant (disparition effective des bagnes <strong>en</strong>1953), pour le prés<strong>en</strong>ter au contraire comme étant effectué, volontairem<strong>en</strong>t,au bénéfice des dét<strong>en</strong>us. L’administration pénit<strong>en</strong>tiaire propose ainsi auxdét<strong>en</strong>us <strong>en</strong>viron 20 000 postes de travail, pour la moitié desquels elle est ellemêmel’employeur. Ce sont des <strong>en</strong>treprises privées extérieures, attirées par cetravail flexible, peu coûteux, géré et <strong>en</strong>cadré par l’administration pénit<strong>en</strong>tiaire,qui emploi<strong>en</strong>t le reste. Le travail <strong>en</strong> <strong>prison</strong> participe donc du mouvem<strong>en</strong>td’ouverture des <strong>prison</strong>s. Il s’agit pour l’ess<strong>en</strong>tiel d’activités manuelles de sous-25 « <strong>La</strong> problématique travail-<strong>prison</strong> : les int<strong>en</strong>tions à la peine », Économie et humanisme, n° 329, pp. 43-49.et « Le travail <strong>en</strong> <strong>prison</strong> : pas cher mais vital », Alternatives Économiques, mars 1997.terrains & travaux — n°1 [2000] — 83


traitance, qui <strong>en</strong> milieu ouvert serai<strong>en</strong>t soit mécanisées, soit délocalisées.Cep<strong>en</strong>dant, la loi impose au dét<strong>en</strong>u d’être un travailleur sans contrat de travail.Sans conv<strong>en</strong>tion individuelle ni collective, il n’est pas un travailleur au s<strong>en</strong>sjuridique du terme et sa rémunération de ce fait ne peut être considérée commeun véritable salaire. De plus, les observateurs not<strong>en</strong>t que ces rémunérations sontloin d’être suffisamm<strong>en</strong>t mobilisatrices pour « inciter » au travail (il s’agit derémunérations à la cad<strong>en</strong>ce horaire dans le cadre de « concessions de maind’œuvre » aux <strong>en</strong>treprises privées extérieures). <strong>La</strong> productivité moy<strong>en</strong>ne d’undét<strong>en</strong>u, quant à elle, ne représ<strong>en</strong>te que 40 à 50 % au plus de celle d’unhomme libre.Les conclusions, plutôt pessimistes, de ces études insist<strong>en</strong>t alors sur l’oisivetéquotidi<strong>en</strong>ne qui reste le lot du plus grand nombre de dét<strong>en</strong>us. Elles appell<strong>en</strong>t àun recours plus fréqu<strong>en</strong>t à la peine de « travail d’intérêt général » (TIG),instituée <strong>en</strong> 1984, qui pourrait, selon ces observateurs, sauver le couple« travail-<strong>prison</strong> ». Il reste que le travail <strong>en</strong> <strong>prison</strong> se trouve lui aussi pris <strong>en</strong>tre lesdeux ori<strong>en</strong>tations antagonistes que sont la réinsertion et la sécurité. Permettantau dét<strong>en</strong>u de conserver un minimum de repères, d’améliorer un peu sonordinaire, de suivre év<strong>en</strong>tuellem<strong>en</strong>t une formation professionnelle 26 , le travail,rare <strong>en</strong> milieu carcéral, offre aussi à l’administration, <strong>en</strong> r<strong>en</strong>forçant son pouvoir,la possibilité d’un meilleur contrôle social des dét<strong>en</strong>us.<strong>La</strong> santé <strong>en</strong> <strong>prison</strong><strong>La</strong> situation de la santé <strong>en</strong> <strong>prison</strong> s’inscrit elle-aussi au cœur des deuxproblématiques que nous avons dégagées : le poids des contradictions propresau milieu carcéral et la t<strong>en</strong>dance actuelle à plus d’ouverture. Le constat estpréoccupant, dans la mesure où la forte pression démographique du mondecarcéral r<strong>en</strong>d le système de plus <strong>en</strong> plus impuissant à répondre à des besoinscroissants et diversifiés <strong>en</strong> matière de santé. <strong>La</strong> démographie joue aussi <strong>en</strong> ceque la population carcérale est principalem<strong>en</strong>t composée de « sujets jeunes,socialem<strong>en</strong>t défavorisés ou mal insérés, pour qui les préoccupations de santé ne sontpas prioritaires, et de ce fait négligées. » 27 Le besoin médical apparaît donc majeurdans ce milieu. Cep<strong>en</strong>dant, il s’agit là d’un <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t marqué par un climat26 <strong>La</strong> formation professionnelle ne représ<strong>en</strong>te cep<strong>en</strong>dant <strong>en</strong> France que 8 % des activités proposées auxdét<strong>en</strong>us.27 « <strong>La</strong> santé <strong>en</strong> <strong>prison</strong> : un <strong>en</strong>jeu de santé publique », Revue Française des Affaires Sociales, janvier-mars 1997.84 — terrains & travaux — n°1 [2000]


de méfiance, voire d’hostilité de la part de la population carcérale, qui de ce faitn’adhère pas volontairem<strong>en</strong>t au nécessaire dialogue avec les services médicaux.Face à cette situation, d’importantes réformes ont été lancées <strong>en</strong> 1994. Lesinstitutions pénit<strong>en</strong>tiaires ont été am<strong>en</strong>ées à passer des conv<strong>en</strong>tions avec leshôpitaux publics proches, afin d’assurer aux dét<strong>en</strong>us un suivi médical régulier etde qualité. De plus, le service médical devi<strong>en</strong>t ainsi, par son statut, indép<strong>en</strong>dantde l’administration pénit<strong>en</strong>tiaire, ce qui permet alors d’instaurer plus facilem<strong>en</strong>tun climat de confiance <strong>en</strong>tre le personnel soignant et les dét<strong>en</strong>us. Il faut noterégalem<strong>en</strong>t que ces derniers sont désormais affiliés obligatoirem<strong>en</strong>t au régimegénéral de couverture sociale.L’ess<strong>en</strong>tiel cep<strong>en</strong>dant est de bi<strong>en</strong> considérer la santé <strong>en</strong> <strong>prison</strong> comme unvéritable « <strong>en</strong>jeu de santé publique », prise de consci<strong>en</strong>ce qui doit m<strong>en</strong>er, d’aprèscertains observateurs, à affirmer clairem<strong>en</strong>t que la <strong>prison</strong> est « un lieu où lesdroits de l’homme, donc les droits à la santé doiv<strong>en</strong>t être respectés comme ilsdoiv<strong>en</strong>t l’être hors des murs. » 28 Les objectifs de réinsertion et d’ouverture setrouv<strong>en</strong>t ici de nouveau avancés.Privatiser ?<strong>La</strong> question de la santé <strong>en</strong> <strong>prison</strong> a permis de mettre <strong>en</strong> pleine lumière lecaractère public du service pénit<strong>en</strong>tiaire. C’est là, <strong>en</strong> effet, une dim<strong>en</strong>sioness<strong>en</strong>tielle du système carcéral. Or la loi du 22 juin 1987 introduit un<strong>en</strong>ouveauté radicale <strong>en</strong> instaurant la possibilité d’une gestion administrative privéede ces établissem<strong>en</strong>ts pénit<strong>en</strong>tiaires publics.« Au lieu d’être administrés directem<strong>en</strong>t par la puissance publique, ils sont gérés pourson compte, et dans le cadre des règles qu’elle a elle-même fixées, par un opérateurprivé -normalem<strong>en</strong>t une société commerciale [depuis 1989, la Lyonnaise des Eaux-Dumez contrôle la gestion des trois quarts de ces établissem<strong>en</strong>ts]- qui pr<strong>en</strong>d alors l<strong>en</strong>om d’opérateur habilité. » 29L’opérateur est responsable de la conception, du préfinancem<strong>en</strong>t de laconstruction, de l’aménagem<strong>en</strong>t et du fonctionnem<strong>en</strong>t courant del’établissem<strong>en</strong>t. Soumis à la concurr<strong>en</strong>ce d’autres opérateurs et étant28 Ibid.29 « Des <strong>prison</strong>s sous contrats », Économie et humanisme, n° 329, pp. 56-58.terrains & travaux — n°1 [2000] — 85


contractuellem<strong>en</strong>t <strong>en</strong>gagé, il se doit de fournir un service « optimal ». De fait,ces <strong>prison</strong>s dites du « Programme 13 000 », construites depuis 1987, sembl<strong>en</strong>tpermettre un respect plus strict des droits des dét<strong>en</strong>us, <strong>en</strong> offrant notamm<strong>en</strong>tdes locaux plus fonctionnels, mieux <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>us, des espaces de soins moinsexigus par exemple. Des travaux de comparaison des gestions publiques etprivées peuv<strong>en</strong>t alors être att<strong>en</strong>dus pour nourrir la réflexion perman<strong>en</strong>te sur lamodernisation et l’av<strong>en</strong>ir du système pénit<strong>en</strong>tiaire français. 30ConclusionL’approche sociologique de la <strong>prison</strong> met l’acc<strong>en</strong>t sur le fait que dans lessociétés démocratiques, confrontées à la nécessité de mettre à l’écart desindividus, la <strong>prison</strong> est aujourd’hui le lieu d’<strong>en</strong>fermem<strong>en</strong>t le plus utilisé. Lesservices pénit<strong>en</strong>tiaires doiv<strong>en</strong>t faire face à la surpopulation carcérale, à desmouvem<strong>en</strong>ts de protestation du personnel 31 comme des dét<strong>en</strong>us mais aussi à d<strong>en</strong>ouvelles exig<strong>en</strong>ces <strong>en</strong> matière sociale, sanitaire ou éducative par exemple, aunom de l’idéal réformateur anci<strong>en</strong>, régulièrem<strong>en</strong>t repris, et de la volontéd’ouverture des établissem<strong>en</strong>ts. <strong>La</strong> <strong>prison</strong> se prête alors très bi<strong>en</strong> aux analysesmicrosociologiques de la tradition goffmani<strong>en</strong>ne, tout <strong>en</strong> étant de plus <strong>en</strong> plussoumise à l’étude des contraintes structurelles et sociales qui pès<strong>en</strong>t aussi bi<strong>en</strong>sur elle que sur son <strong>en</strong>vironnem<strong>en</strong>t.Nous nous sommes intéressés ici ess<strong>en</strong>tiellem<strong>en</strong>t à la recherche sociologiquefrançaise sur le terrain carcéral national. <strong>La</strong> dim<strong>en</strong>sion europé<strong>en</strong>ne (voir lestravaux de P. Tournier, ou l’ouvrage Approches de la <strong>prison</strong> qui réunit deschercheurs français, belges et anglais), comme la dim<strong>en</strong>sion internationale nesont pas sans pertin<strong>en</strong>ce, cep<strong>en</strong>dant, dans ce domaine. Que l’on p<strong>en</strong>se parexemple à Alexis de Tocqueville, parti au siècle dernier étudier le systèmepénit<strong>en</strong>tiaire américain. <strong>La</strong> situation américaine reste d’ailleurs souv<strong>en</strong>tinvoquée, dans un souci d’analyse comparative, où elle apparaît commel’exemple emblématique d’un système pénit<strong>en</strong>tiaire <strong>en</strong> crise. Pr<strong>en</strong>dre <strong>en</strong>considération cette dim<strong>en</strong>sion internationale de la recherche consoliderait plus<strong>en</strong>core les fondem<strong>en</strong>ts de cette branche de la <strong>sociologie</strong> qui, après les débats des30 <strong>La</strong> privatisation des <strong>prison</strong>s existe depuis 15 ans aux États-Unis. Cf- « Pour le bonheur de leurs actionnaires,les <strong>prison</strong>s fusionn<strong>en</strong>t aussi aux États-Unis », Le Monde, p. 16, 22 avril 1998.31 Notons que les surveillants de <strong>prison</strong> ne jouiss<strong>en</strong>t pas du droit de grève.86 — terrains & travaux — n°1 [2000]


années 1970 et les nouveautés introduites dans le monde pénit<strong>en</strong>tiaire au coursdes années 1980, s’affirme aujourd’hui avec de plus <strong>en</strong> plus de force.Les conclusions des différ<strong>en</strong>ts auteurs et chercheurs évoqués converg<strong>en</strong>t ets’accord<strong>en</strong>t sur le fait que la <strong>prison</strong> est un « lieu paroxystique, un laboratoireprivilégié du social », que l’on peut lire « soit sous le mode de la reproduction,soit sous celui de l’inversion des principes de structuration des rapportssociaux » 32 . Une telle position fait écho à la conclusion de Robert Castel sur« l’expérim<strong>en</strong>tation totalitaire » analysée par Erving Goffman : « la rêveriesociologique qui voudrait faire de l’exist<strong>en</strong>ce un laboratoire découvre son fantasmeréalisé sous la forme du cauchemar des institutions totalitaires. » 33Elodie Béthoux (1998)bethoux@hotmail.comAnnexe : <strong>La</strong>boratoires et unités de recherche travaillant sur la <strong>prison</strong>• CESDIP : C<strong>en</strong>tre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales [Pierre Tournier]• CETSAH : C<strong>en</strong>tre d’études transdisciplinaires (<strong>sociologie</strong>, anthropologie, histoire) [Claude Faugeron]• GRASS : Groupe de Recherche et d’Analyse du Social et de la Sociabilité [Philippe Combessie]• CSEC : C<strong>en</strong>tre Sociologique de l’Education et de la Culture [Anne-Marie Marchetti]• C<strong>en</strong>tre d’Etudes des Mouvem<strong>en</strong>ts Sociaux(Remarquons simplem<strong>en</strong>t ici que la question pénit<strong>en</strong>tiaire, si elle est étudiée parfois dans des c<strong>en</strong>tres de<strong>recherches</strong> spécialisés dans ce domaine, reste inscrite égalem<strong>en</strong>t dans des problématiques sociologiques plusgénérales, ce qui vi<strong>en</strong>t confirmer l’image conclusive de la <strong>prison</strong> comme véritable laboratoire du social.)32 Antoinette Chauv<strong>en</strong>et, Claude Faugeron, Philippe Combessie, Approches de la <strong>prison</strong>. Bruxelles : De Boeck-Université/Montréal, Presses de l’Université de Montréal/Ottawa, 1996.33 Robert Castel, « Prés<strong>en</strong>tation », in Erving Goffman, Asiles, Paris, Éditions de Minuit, 1968, pp. 31-32.terrains & travaux — n°1 [2000] — 87


BibliographieOuvragesCHAUVENET Antoinette, FAUGERONClaude, COMBESSIE Philippe. Approches de la<strong>prison</strong>, 1996, Bruxelles : De Boeck-Université / Montréal : Presses de l’Universitéde Montréal/Ottawa, collection Perspectivescriminologiques.CHAUVENET Antoinette, BENGUIGUIGeorges, ORLIC Françoise. Le monde dessurveillants de <strong>prison</strong>, 1994, Paris : PUF,collection Sociologies.COMBESSIE Philippe. Prisons des villes et descampagnes, étude d’écologie sociale, 1996,Paris: Éditions de l’Atelier, collection Champspénit<strong>en</strong>tiaires.FOUCAULT Michel. Surveiller et punir :naissance de la <strong>prison</strong>, 1975, Paris : Gallimard,collection Bibliothèques des Histoires.GOFFMAN Erving. Asiles, études sur lacondition sociale des malades m<strong>en</strong>taux et autresreclus, 1968, Paris : Éditions de Minuit.MARCHETTI Anne-Marie (avec lacollaboration de Philippe COMBESSIE). <strong>La</strong><strong>prison</strong> dans la cité, Paris : Desclée de Brouwer,collection Habiter.PERROT Michelle (Éd.). L’impossible <strong>prison</strong>,<strong>recherches</strong> sur le système pénit<strong>en</strong>tiaire auXIXème siècle, 1980, Paris : Le Seuil,collection Univers Historique.ROSTAING Corinne. <strong>La</strong> relation carcérale :id<strong>en</strong>tité et rapports sociaux dans les <strong>prison</strong>s defemmes, 1997, Paris : PUF, collection Le li<strong>en</strong>social.ROSTAING Corinne. « Les dét<strong>en</strong>us : de lastigmatisation à la négociation d’autresid<strong>en</strong>tités », in L’exclusion : l’état des savoirs,sous la direction de Serge Paugam, Paris :Éditions la Découverte, 1996, pp. 354-362.ArticlesCHAUVENET Antoinette, BENGUIGUIGeorges, ORLIC Françoise. « Les surveillantsde <strong>prison</strong> : le prix de la sécurité », Revuefrançaise de <strong>sociologie</strong>, XXXIV, 3, 1993pp.345-366.« Chères, très chères <strong>prison</strong>s... », Economie ethumanisme, 329, 1994.« Prisons à la dérive », Esprit, octobre 1995.(Notons qu’Esprit publie des notes régulièressur les questions pénit<strong>en</strong>tiaires.)FAUGERON Claude, LE BOULAIRE Jean-Michel. « Prisons, peines de <strong>prison</strong> et ordrepublic », Revue française de <strong>sociologie</strong>, XXXIII,1, 1992, pp. 3-32.FAUGERON Claude (sous la direction de).« Les politiques pénales », Problèmes politiqueset sociaux, 688, 1992.88 — terrains & travaux — n°1 [2000]


FAUGERON Claude (sous la direction de).« Prisons et politiques pénit<strong>en</strong>tiaires »,Problèmes politiques et sociaux, 755-756.TOURNIER Pierre. « Inflation carcérale etalternatives à l’em<strong>prison</strong>nem<strong>en</strong>t », Regards surl’actualité, 206, 1994.« <strong>La</strong> santé <strong>en</strong> <strong>prison</strong> : un <strong>en</strong>jeu de santépublique », Revue française des affaires sociales,janvier-mars1997.« Le travail <strong>en</strong> <strong>prison</strong> : pas cher mais vital »,Alternatives économiques, mars 1997.terrains & travaux — n°1 [2000] — 89

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