GRAnde entRevue<strong>Manon</strong> <strong>Barbeau</strong>TRANSmETTRELA PAROLETEXTE : mARIE-LISE ROUSSEAUPhotos : Anne MARie Piette18L’ItInéraIre15 janvier 2013
GRAnde entRevue<strong>Manon</strong> <strong>Barbeau</strong>a commencé sacarrière de cinéasteen prenant ellemêmela parole entant que personnemarginalisée. puis,elle l’a donnéeaux exclus en lesplaçant devant sacaméra. Depuis2004, elle a prêtécette même caméraà des centaines dejeunes autochtonesdu Québec, qui s’enservent pour faireentendre leur voixavec le projet duWapikoni mobile.cette passation dela parole s’inscritdans la suite logiqued’un parcourscréatif que l’artistea entièrementconsacré à la familledes marginaux.En entrant dans le nouveau bureau du Wapikoni mobile, situé dans une anciennebâtisse industrielle du Mile-Ex, j’aperçois <strong>Manon</strong> <strong>Barbeau</strong>, vêtue d’un chandail rougeet d’un pantalon bouffant, debout avec d’autres employés, formant un cercle au milieudu vaste local lumineux. Au menu de cette réunion du début de décembre : le budgetde l’organisme pour 2013 et divers suivis relatifs au déroulement des formations et àl’état des roulottes. Lorsque <strong>Manon</strong> <strong>Barbeau</strong> vient s’asseoir ensuite dans la salle deréunion pour notre entrevue, elle prend une grande respiration. «C’est une périodetrès occupée de l’année», dit-elle avec une pointe de fatigue dans la voix.Abandonnée en bas âge par ses parents,artistes signataires du Refus global – sonpère est le peintre Marcel <strong>Barbeau</strong> – <strong>Manon</strong><strong>Barbeau</strong> a été élevée par sa tante et sononcle, ce qui était rare à l’époque. «Il m’estresté ce sentiment d’être marginalisée. J’ainaturellement développé un intérêt pourles exclus», raconte-t-elle, le regard vif. En1998, la cinéaste sefait connaître avecle documentaireLes enfants duRefus global (1998),qui témoigne desrépercussions de cemouvement socialsur la progénituredes artistes, mettant notamment en scènele touchant témoignage de son jeune frère,de qui elle a été séparée pendant 20 ans.Depuis, chacun de ses documentairesdonne la parole aux écorchés de la société,qu’ils soient de jeunes squeegees itinérantsde Québec dans L’armée de l’ombre (1999)ou des prisonniers dans L’amour en pen(2004). <strong>Manon</strong> <strong>Barbeau</strong> se nourrit desmarginaux, dont elle admire la liberté et larésilience. «J’aime comment ils traversentleurs épreuves envers et contre tous, entransformant leurs blessures en création»,dit-elle, les yeux brillants et le sourire large,qu’elle gardera tout au long de l’heure denotre rencontre.Les gens préfèrent conserverleurs préjugés parce que çajustifie qu’on ne s’occupe pasdes autochtones et qu’on leslaisse se suicider dans leur coin.DES SqUEEGEES AU WAPIkONIDepuis quelques années, <strong>Manon</strong> <strong>Barbeau</strong> amis son cinéma de côté pour se consacrer àcelui des jeunes autochtones. En 2004, ellea fondé le Wapikoni mobile avec le Conseilde la nation atikamekw.Le Wapikoni est une roulotte-studio quisillonne les communautés autochtonesdu Québec pour donner une chance auxjeunes vivant l’exclusion et la marginalitéd’apprendre à s’exprimer par la vidéo. «Ilsont un talent pour l’image, souligne-t-elle.Probablement à cause de la tradition oraleautochtone, qui est très imagée».Au-delà de la formation technique, lesjeunes qui participent au Wapikoni mobile,provenant d’une vingtaine de communautésautochtones du Québec, apprennent «lesrudiments d’une intégration professionnelle(ne serait-ce qu’arriver à l’heure), le travail enéquipe, la maîtrise d’outils technologiques,l’effort nécessaire pour aller au bout d’unprocessus, celui decommencer un film,de douter, d’allerjusqu’au bout, deprésenter ce filmdevant toute leurcommunauté…»,- <strong>Manon</strong> barbeau énumère <strong>Manon</strong><strong>Barbeau</strong>, soulignantà quel point les jeunes qui entrent auWapikoni en ressortent grandis.La cofondatrice de l’organisme parle avecfierté des réussites des jeunes formés parle studio ambulant : le rappeur Samian,porte-parole du Wapikoni, en est l’exemplele plus connu. Elle parle aussi de ShanoukNewashish, qui travaille maintenant auservice d’audiovisuel du Centre d’amitiéautochtone de La Tuque; d’AbrahamCôté, qui enseigne l’audiovisuel enparascolaire dans une école secondaire desa communauté et de Réal Junior Leblanc,qui obtenait récemment un contrat pourscénariser un documentaire.Deux jours après notre rencontre, lacinéaste devenue gestionnaire se rendaità New York afin de recevoir, au nom duWapikoni mobile, le Prix d’honneur dufestival Plural+ décerné par l’ONU pour«l’ensemble de ses activités auprès de lajeunesse des Premières Nations et la qualitéde son travail».Avec l’expansion de l’organisme cesdernières années (création d’une deuxièmeroulotte, établissement de partenariatsà l’étranger, formations données auxjeunes autochtones d’Amérique du Sud),<strong>Manon</strong> <strong>Barbeau</strong> passe de moins en moinsde temps sur le terrain avec les jeunes.L’ItInéraIre15 janvier 201319