LA PUISSANCE DU SAVOIR
Nagelmackersmagazine_FR_2016-06
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horizon<br />
« Les Saoudiens sont dans une situation un peu<br />
délicate, puisqu’ils savent qu’à un moment<br />
donné, il leur faudra faire un effort. »<br />
est à l’intimidation. Les Saoudiens ne voient pas d’un<br />
bon œil le retour de l’Iran sur le marché, avec ses<br />
3,1 millions de barils par jour. En outre, l’Iran, qui détient<br />
les troisièmes plus grandes réserves mondiales,<br />
souhaite accroître sa production jusqu’à son niveau<br />
de pré-sanctions internationales (à savoir 4 millions<br />
de barils par jour). Mais c’est aussi un jeu dangereux.<br />
En fait, les Saoudiens sont dans une situation délicate :<br />
ils savent qu’à un moment donné, ils devront faire un<br />
effort. Leurs finances publiques sont, elles aussi, impactées<br />
par la chute du prix du pétrole et le prix du<br />
pétrole actuel. Cependant, ils ont la capacité, bien plus<br />
que d’autres, d’attendre et de trouver une solution qui<br />
ménage avant tout leurs propres intérêts.<br />
Comment s’explique la poursuite du<br />
redressement des cours du brut dans ce<br />
contexte ?<br />
D’une part, la baisse continue des prix du brut a fini<br />
par impacter négativement les investissements dans<br />
des projets complexes (comme le développement du<br />
pétrole de schiste et l’exploitation marine à grande<br />
profondeur) et la production qui en découle. Le principal<br />
pays touché n’est autre que les Etats-Unis. Dirigé<br />
par l’essor de l’exploitation des schistes bitumineux,<br />
la production américaine de pétrole brut a presque<br />
doublé ces dernières années (de 5 millions de barils<br />
par jour en 2008 à 9,7 millions en avril 2015). Mais<br />
depuis lors, ce pic a glissé d’au moins 5% (source :<br />
Energy Information Administration). D’autre part,<br />
on s’attend à une amélioration – certes timide – de la<br />
production industrielle mondiale, notamment dans<br />
les pays émergents. D’ailleurs, la Chine, par exemple,<br />
a augmenté son plan d’importation pétrolière au premier<br />
trimestre de cette année à la suite des récents<br />
prix bas de l’or noir. Ce qui est de nature à stimuler<br />
la demande mondiale. De plus, le marché est en train<br />
d’intégrer un risque d’approvisionnement alors que<br />
la capacité excédentaire est en train de disparaître.<br />
L’Agence Internationale de l’Énergie (AIE) prévoit que<br />
les stocks de pétrole s’élèvent à 1,5 million de barils<br />
par jour au cours des six premiers mois de 2016 mais,<br />
seulement à 200 000 barils par jour dans la seconde<br />
moitié de l’année. Dans leur ensemble, ces facteurs<br />
effacent donc l’effet de saturation qui dominait le marché<br />
début janvier. Et enfin, il y a la contribution des<br />
marchés financiers. L’affaiblissement continu du dollar<br />
depuis trois mois est historiquement une bonne<br />
chose pour l’évolution des prix des matières premières<br />
et de l’or noir en particulier. En conséquence, les spéculateurs<br />
et traders en énergie ont assez vite tourné<br />
casaque pour se repositionner à la hausse sur le pétrole.<br />
Le yin et le yang d’un retour vers plus d’équilibre<br />
entre l’offre et la demande et un dollar plus faible expliquent<br />
la résilience des prix du brut et ont exercé une<br />
influence certaine sur la performance des marchés<br />
financiers au cours des derniers mois.<br />
Quelle perspective envisager pour le prix<br />
du pétrole à long terme ?<br />
D’une part, le camp des haussiers, comprenant l’OPEP<br />
et l’AIE, a récemment renforcé sa cible de 80 dollars<br />
le baril en 2020. Cette vision se base sur ‘la lutte pour<br />
l’approvisionnement’, faisant valoir que les bas prix<br />
se traduiront par des investissements reportés ou annulés<br />
et une perte permanente de capacités de production.<br />
Combiné à des perspectives optimistes pour<br />
la demande de pétrole, cela permettrait au cartel de<br />
reprendre le contrôle et de maintenir des prix élevés.<br />
D’autre part, le camp des baissiers croit en des<br />
prix bas pour longtemps, au-dessous du cours actuel<br />
et plus faible que les 50 dollars le baril actuellement<br />
sous- entendus par les contrats à terme de 2020. La vue<br />
baissière met en avant ‘la bataille pour la demande’,<br />
où les produits pétroliers raffinés sont en concurrence<br />
directe avec des sources et technologies énergétiques<br />
alternatives, ce qui éroderait la puissance oligopolistique<br />
du cartel. Outre ces deux visions antagonistes,<br />
une nouvelle réalité semble s’imposer et provient de<br />
la bouche même du secrétaire-général de l’OPEP :<br />
« A un prix du pétrole de 60 dollars, une grande partie<br />
de la production américaine de pétrole de schiste peut<br />
revenir sur le marché en six mois de temps. » Au plancher<br />
de l’OPEP succède le plafond du schiste !<br />
Le pétrole, la fin d’un marché mondial ?<br />
Un autre scénario, articulé sur la géopolitique, pourrait<br />
très bien être de mise si l’on en croit le spécialiste<br />
en stratégie et ancien diplomate américain Peter<br />
Zeihan. Il suggère que le pétrole cessera d’être un marché<br />
mondial. Les Etats-Unis ont atteint l’autosuffisance<br />
énergétique, ce qui signifie qu’ils n’ont plus vraiment<br />
besoin de défendre autant que par le passé des intérêts<br />
pétroliers ailleurs dans le monde. Cela pourrait aiguiser<br />
quelques appétits voraces et déboucher sur des tensions,<br />
voire des conflits ouverts pour faire main basse<br />
sur une manne pétrolière. Reste à voir si, en pareil cas,<br />
le gendarme du monde n’interviendrait quand même<br />
pas comme il l’a fait lors de l’invasion du Koweït par<br />
l’Irak en 1990. Cela étant, une recrudescence de l’instabilité<br />
géopolitique se traduirait par une offre de brut<br />
plus erratique, conduisant à des pics de prix. Qu’en sera-t-il<br />
réellement ? Méditons à cet égard la citation de<br />
l’humoriste français Pierre Dac : « Les prévisions sont<br />
difficiles, surtout lorsqu’elles concernent l’avenir. »<br />
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magazine Nagelmackers – année 1, numéro 3<br />
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