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Haiti Liberte 2 Juillet 2014

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Perspectives<br />

Dette argentine : les deux faces de la pièce<br />

Par Mario Rapoport<br />

Dans l’interprétation que donnent<br />

les Etats-Unis et certains pays<br />

d’Europe de l’affaire des « fonds<br />

vautours », l’Argentine apparaît<br />

comme le coupable et les pauvres «<br />

fonds vautours » comme la victime<br />

qui aurait perdu son argent. Le redoutable<br />

juge Thomas Griesa ajoute<br />

à ceci une circonstance aggravante<br />

: le gouvernement argentin ne respecterait<br />

pas les règles du système<br />

juridique nord-américain, comme<br />

si ces dernières garantissaient autre<br />

chose que la défense de spéculateurs<br />

dont les gains ne proviennent<br />

pas de l’économie de marché,<br />

mais des actions qu’ils intentent en<br />

justice. Dans un article sévère du<br />

Washington Post [1], repris dans<br />

ses grandes largeurs par La Nación,<br />

on peut lire que l’Argentine savait<br />

très bien, en vendant ses bons du<br />

Trésor, à quelles conséquences elle<br />

s’exposait, puisque cette vente impliquait<br />

le renoncement à son immunité<br />

souveraine : qu’elle assume<br />

donc les conséquences de ses actes !<br />

Mais l’article ne visait pas la bonne<br />

cible…<br />

N’oublions pas que<br />

l’endettement actuel de l’Argentine<br />

commença sous une dictature militaire<br />

qui instaura le terrorisme d’Etat<br />

et fit des milliers de victimes : ce fut<br />

précisément cet Etat-là qui accepta<br />

de contracter une dette vis-à-vis des<br />

Etats-Unis, et ce, sous la juridiction<br />

de ces derniers, violant ainsi les<br />

principes de souveraineté formulés<br />

par Carlos Calvo et la doctrine Drago<br />

à la fin du XIXe siècle [2]. Soutenues<br />

par Washington et par les organismes<br />

financiers internationaux,<br />

les politiques néolibérales mises en<br />

place par les gouvernements de Carlos<br />

Menem et Fernando de la Rúa<br />

reposaient sur l’endettement externe<br />

et l’acceptation des règles du jeu<br />

néolibéral définies par la dictature<br />

militaire. Il est donc pour le moins<br />

étrange que l’on désigne comme<br />

coupable le populisme du gouvernement<br />

argentin actuel, accusé de<br />

vivre au-dessus de ses moyens, alors<br />

qu’en réalité ce gouvernement a<br />

fait tout son possible pour payer les<br />

dettes qu’il avait héritées du passé.<br />

Non sans cynisme, le même<br />

article compare l’Argentine à la ville<br />

nord-américaine de Detroit, en situation<br />

de faillite ; mais c’est oublier<br />

que les Etats-Unis possèdent une<br />

législation qui protège leurs Etats et<br />

villes en défaut de paiement, tandis<br />

qu’il n’existe au niveau international<br />

aucune loi sur les faillites<br />

d’Etats souverains. Bien au contraire,<br />

la seule comparaison possible<br />

donnerait lieu à une conclusion inverse<br />

à celle de l’article en question<br />

: l’Argentine est la victime d’un système<br />

pervers, où nul compte n’est<br />

tenu de la souveraineté des pays.<br />

Or la responsabilité historique de<br />

Washington à cet égard est manifeste<br />

: dès le début du XXe siècle,<br />

les Etats-Unis sont intervenus militairement<br />

à plusieurs reprises sur le<br />

territoire de leurs « voisins latinoaméricains<br />

» afin de recouvrer leurs<br />

dettes (souvenons-nous du « corollaire<br />

Roosevelt » de la doctrine Monroe,<br />

qui donna lieu à la politique du<br />

« Big Stick » appliquée par les Etats-<br />

Unis pour punir les pays insolvables<br />

de leur « arrière-cour »).<br />

A aucun moment de son exposé,<br />

le Washington Post ne croit<br />

bon devoir mentionner les entreprises<br />

irresponsables, banques et fonds<br />

d’investissement états-uniens qui<br />

causèrent la crise de 2007-2008 à la<br />

suite de la faillite de Lehman Brothers,<br />

l’un des principaux acteurs du<br />

marché financier nord-américain qui<br />

entraîna dans sa chute des millions<br />

de débiteurs individuels ou institutionnels.<br />

Est-ce vraiment un hasard<br />

si ce fut précisément Jay Newman,<br />

ancien employé de Lehman Brothers,<br />

qui recommanda à Elliott Management,<br />

le fonds vautour qui poursuit<br />

à présent l’Argentine, alors qu’il<br />

était déjà passé maître en troubles<br />

manipulations sur le territoire nordaméricain,<br />

intentant des procès dont<br />

il tirait de juteuses sommes lui permettant<br />

ensuite d’élever le prix de<br />

ses titres et actions et d’accroître<br />

d’autant ses bénéfices, d’avoir recours<br />

à ces mêmes méthodes contre<br />

des Etats souverains endettés, comme<br />

ce fut le cas du Pérou en 1995 ?<br />

Il ne s’agissait pas, comme<br />

dans le cas postérieur de l’Argentine,<br />

de parier sur une hausse de la valeur<br />

des bons, en assumant les risques<br />

normaux de tout investissement,<br />

mais d’obtenir un bénéfice assuré<br />

par avance en faisant appel à un appareil<br />

politique et judiciaire auquel le<br />

propriétaire d’Elliott Management,<br />

Paul Singer, était étroitement lié en<br />

tant que lobbyiste et trésorier des<br />

campagnes électorales du parti républicain.<br />

Ceci constituait en réalité<br />

une violation de la section 489 de<br />

la loi de New York sur le pouvoir<br />

judiciaire, laquelle considère comme<br />

« illicite l’achat de dettes ou de titres<br />

de crédits arrivés à échéance<br />

dans l’intention d’intenter contre ce<br />

même achat une action judiciaire ».<br />

C’est sur la base de ce principe qu’un<br />

juge de première instance péruvien<br />

a pu rejeter, avec des arguments totalement<br />

opposés à ceux employés<br />

aujourd’hui par le juge Thomas<br />

Griesa, la plainte du fonds Elliott<br />

Management déposée alors contre<br />

la République du Pérou. Cependant,<br />

étant donné qu’un tel jugement risquait<br />

de créer un fâcheux précédent,<br />

il fut dénoncé et annulé en seconde<br />

instance suite à une nouvelle plainte<br />

d’Elliott Management, qui fit jouer<br />

tout son réseau d’influences.<br />

L’article susmentionné ne cite<br />

pas non plus le cas bien connu de<br />

l’Allemagne, un pays qui, huit ans<br />

seulement après la fin de la seconde<br />

guerre mondiale qu’il avait<br />

provoquée et après avoir causé<br />

l’Holocauste de millions de juifs,<br />

bénéficia en 1953 d’une remise de<br />

la plus grande partie de ses dettes<br />

et des indemnisations économiques<br />

que lui avaient imposées les vainqueurs.<br />

La même chose s’était déjà<br />

produite auparavant, au lendemain<br />

de la première guerre mondiale :<br />

l’endettement de l’Allemagne, financé<br />

par les Etats-Unis et tant critiqué<br />

par Keynes, n’avait pas empêché<br />

l’arrivée de Hitler au pouvoir<br />

et son rejet des clauses du traité de<br />

Versailles, tandis que les tambours<br />

de guerre commençaient de nouveau<br />

à se faire entendre. Il est bien<br />

connu qu’au cours du XXe siècle,<br />

l’Allemagne a été le pays qui s’est le<br />

plus refusé à payer ses dettes.<br />

Néanmoins, le Washington<br />

Post ne songe guère à qualifier<br />

les gouvernements allemands<br />

de l’après-guerre, partisans de<br />

l’économie sociale de marché, de<br />

populistes irresponsables. Il ne<br />

lui viendrait pas non plus à l’idée<br />

d’accuser de populisme les gouvernements<br />

nord-américains euxmêmes,<br />

qui autorisèrent à travers<br />

les marchés financiers le crédit facile<br />

et l’escroquerie des subprimes, origines<br />

de la crise mondiale actuelle,<br />

comme le reconnaît du reste dans<br />

ses mémoires Alan Greenspan luimême,<br />

l’ex-président de la Réserve<br />

fédérale américaine.<br />

En réalité, les « fonds vautours<br />

» ont donné une leçon aux économistes<br />

orthodoxes comme Robert<br />

C. Merton et Myron S. Scholes [3],<br />

tous deux prix Nobel, qui avaient<br />

cru trouver une solution mathématique<br />

permettant d’obtenir systématiquement<br />

de grands bénéfices sur<br />

les marchés financiers : ce qu’ils<br />

obtinrent finalement fut la faillite<br />

de leur propre entreprise, The Long-<br />

Term Capital Management.<br />

La méthode adoptée par les «<br />

fonds vautours » démontre que la<br />

stratégie la plus rentable n’est pas<br />

d’utiliser le savoir des experts financiers<br />

pour jouer sur les marchés.<br />

Son véritable apport à la théorie<br />

économique est d’avoir montré<br />

qu’il fallait revenir, par une autre<br />

manière, à la politique des canonnières<br />

européennes qui bloquèrent<br />

en 1902 les ports du Venezuela pour<br />

recouvrer leurs dettes : aujourd’hui,<br />

ces mêmes Etats, sans avoir besoin<br />

de sortir de leurs frontières, utilisent<br />

des canons supposément légaux<br />

contre les pays dont les contentieux<br />

en matière de dettes ne dépendent<br />

pas de leur juridiction. La méthode<br />

pour faire de gros gains ne se fonde<br />

donc plus sur un modèle mathématique,<br />

mais consiste à tirer parti de<br />

ses influences sur le pouvoir politique<br />

et judiciaire afin d’obtenir les<br />

profits que les marchés financiers<br />

ne donnent pas eux-mêmes ! Une<br />

leçon que semblaient ignorer – ou<br />

peut-être pas – nos économistes orthodoxes<br />

eux-mêmes, ainsi que les<br />

gouvernants qui suivirent leurs recommandations,<br />

eux qui, bien qu’ils<br />

n’aient pour l’instant pas été inquiétés<br />

par la justice, sont les véritables<br />

responsables de cette situation, ainsi<br />

que les hommes politiques argentins<br />

qui ont également bénéficié des largesses<br />

nord-américaines, y compris<br />

celles de Paul Singer lui-même.<br />

La dernière nouveauté est que<br />

le New York Times [4] a adopté un<br />

discours différent sur cette question<br />

: il signale, dans un article postérieur<br />

à celui du Washington Post, que le<br />

jugement de Thomas Griesa, validé<br />

par la Cour suprême, non seulement<br />

rendra difficile la restructuration<br />

de futures dettes souveraines,<br />

mais pourrait également remettre<br />

en cause le marché de New York en<br />

tant que centre du système financier<br />

international. Ainsi, les Singer<br />

et autres rapaces auraient dépassé<br />

les bornes. Chacun défend son jeu<br />

et, dans ce piège qui s’est refermé<br />

sur nous, l’Argentine doit défendre<br />

le sien en tirant profit de ces dissensions<br />

: nous devons négocier non<br />

seulement en nous désendettant,<br />

mais aussi en recouvrant notre souveraineté<br />

juridique, tout en révélant<br />

les deux facettes de la question, qui<br />

n’est pas seulement économique,<br />

mais aussi et surtout politique. Et<br />

dans ce combat, nous avons besoins<br />

de soutiens régionaux et mondiaux.<br />

Notes<br />

[1] L’auteur fait référence à<br />

l’article de Charles Lane, « Argentina’s<br />

Supreme Court loss may serve<br />

as a wake-up call », 18 juin <strong>2014</strong>.<br />

[2] Carlos Calvo fut un juriste<br />

et un diplomate dont les travaux ont<br />

inspiré la doctrine Drago. Datant de<br />

1902, celle-ci (tirant son nom du<br />

ministre argentin Luis Maria Drago<br />

qui l’a formulée) affirme qu’en aucun<br />

cas, une dette publique d’un<br />

Etat ne peut donner lieu à une intervention<br />

armée. Il faut attendre<br />

1907 pour qu’elle soit mise en<br />

œuvre pour la première fois dans<br />

la foulée du blocus imposé par<br />

l’Allemagne, la Grande Bretagne et<br />

l’Italie au Venezuela en 1902. La<br />

convention Drago-Porter prévoyait<br />

ainsi l’activation d’un mécanisme<br />

d’arbitrage politique entre ses Etats<br />

signataires précédant l’éventuel<br />

emploi de la force par l’un d’entre<br />

eux ou par une coalition. Sur ce sujet,<br />

lire Christophe Ventura, « Dettes<br />

souveraines, mécanisme européen<br />

de stabilité, pacte budgétaire », Mémoire<br />

des luttes, avril 2012.<br />

[3] Economistes états-uniens,<br />

prix Nobel d’économie 1997. Le<br />

modèle de Black-Scholes permet de<br />

couvrir une option sur un titre financier.<br />

[4] Ruling on Argentina<br />

Gives Investors an Upper Hand,<br />

19 juin <strong>2014</strong>, (www.nytimes.<br />

com/<strong>2014</strong>/06/20/business/economy/ruling-on-argentina-gives-investors-an-upper-hand).<br />

Article publié par Pagina<br />

12 (23 juin <strong>2014</strong>)<br />

Traduit de l’espagnol<br />

par Mélanie Jecker<br />

Mémoire des luttes 30 juin 2<br />

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Haïti Liberté annonce<br />

avec infiniment de regrèt<br />

la nouvelle de la mort de<br />

Raymond Gaspard<br />

survenue à lʼhopital du<br />

Cap Haïtien le Vendredi<br />

27 Juin dernier à lʼâge<br />

de 90 ans, soit six mois<br />

après celle de sa fille<br />

Angélina Gaspard.<br />

En cette pénible<br />

circonstance, le<br />

personnel du journal<br />

touché par la douleur<br />

envoie ses sympathies à<br />

ses filles Mme<br />

Bernadette Christian, née Gaspard et<br />

enfants,<br />

Madame Viola Gaspard et famille, Nicole<br />

Gaspard et famille, Eudès Philoména<br />

Gaspard et famille ;<br />

Sa fille adoptive Phanette Auguste et famille<br />

Ses belles filles : Nadia Laguerre et famille,<br />

Lilianne Similhomme<br />

AVIS DE DÉCÈS<br />

Ses fils adoptifs Rol<br />

Kervens St Fort, Herfort<br />

et Grégory Gaspard,<br />

Ses neveux et nièces<br />

Yves Camille et famille,<br />

Rolyn, Jocelyn, James<br />

Thony ,<br />

Mme Marlène Emmanuel<br />

et enfants, Mme Ketty<br />

Mathurin et famille ;<br />

Son beau fils Wilson<br />

Joazile et famille;<br />

Aux familles Gaspard, St<br />

Fort, Laguerre,<br />

Similhomme, Thony,<br />

Camille, Bazile et Joazile<br />

Christian, ainsi quʼà tous les parents et amis<br />

éprouvés par cette perte.<br />

Les funérailles du très regretté Raymond<br />

Gaspard seront chantées à la Cathédrale du<br />

Cap Haïtien le Samedi 5 <strong>Juillet</strong> prochain et la<br />

dépouille sera déposée au nécropole de cette<br />

Ville.<br />

Que son âme repose en paix.<br />

Vol. 7 • No. 51 • Du 2 au 8 juillet <strong>2014</strong> <strong>Haiti</strong> Liberté/<strong>Haiti</strong>an Times 15

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