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Lorsque j’arrive devant sa maison, je remarque une petite inscription sur la porte : « En cas<br />

d’urgence, à sauver : un chat ». De nouveau, l’apocalypse et ses présages. J’appuie sur la<br />

sonnette et me mets à penser à des rues inondées, à une arche de Noé en bois, remplie de<br />

félins hurlants aux poils ébouriffés, dérivant sur le boulevard Saint-Laurent. Puis Catherine<br />

apparaît. Comme toujours, je suis frappée par son élégance. Elle porte ce jour-là des pantalons<br />

orange saumon, une chemise blanche, une grosse chaîne en métal vert qui retient ses lunettes<br />

et des boucles d’oreille en forme de tête de mort. Je n’ose pas lui demander si ces vêtements<br />

viennent d’une friperie – je ne voudrais pas que ma question semble étrange –, même si je<br />

sais qu’elle aime, comme moi, les vêtements abandonnés qui ont connu plusieurs vies. Je<br />

remarque aussi comment son rouge à lèvres fuchsia s’accorde parfaitement avec la couleur<br />

des murs de son salon. Car ce qui capte immédiatement l’œil dès qu’on arrive chez elle, c’est<br />

ce rose – tantôt bonbon, tantôt sanglant – des murs, les décorations baroques, les talismans,<br />

les croix scintillantes, les minuscules autels multicolores, les icônes, les poupées vaudou, les<br />

nombreuses photos en noir et blanc dissimulées près de livres qui lui sont chers.<br />

Chaque objet, chez Catherine, semble avoir une place attitrée, témoigner d’une époque ou<br />

d’une rencontre particulière. Louise Bourgeois trône sur les murs roses, tout près de Frida<br />

Kahlo, comme la biographie de Louise Brooks côtoie celle de Diane Arbus sur les rayons<br />

d’une des bibliothèques. À l’instar de son nouveau héros, Oscar Méthot-Ashland, qui croit en<br />

la toute-puissance vengeresse de l’art et des héritages choisis et revendiqués, Catherine garde<br />

ses inspirations, ses veilleuses et ses revenants près d’elle. Chacun de ces amours possède<br />

une histoire qui lui est propre. Certains sont spontanés, d’autres paradoxaux, d’autres encore<br />

se sont développés au fil du temps. Elle m’apprend, par exemple, alors que je contemple<br />

les petits portraits de Kahlo, qu’elle n’aimait pas beaucoup le travail de la peintre mexicaine<br />

jusqu’à ce qu’elle lise davantage sur elle et que sa vie se mette à la captiver.<br />

Et pourtant, si tous ces petits objets ressemblent à des trésors rapaillés, des porte-bonheur<br />

cryptés bien intimes, Catherine ne tient pas de discours fétichiste à propos des bibelots qui<br />

rendent sa maison si vibrante et mystérieuse. Autour d’un thé noir, nous nous mettons à<br />

parler de maisons – celles qu’on perd, celles qu’on se construit par hasard, celles qui nous<br />

émerveillent, comme celles de Monica Vitti ou de Frank Lloyd Wright, voire celles qui n’existent<br />

que dans les livres –, et Catherine me dit, d’un air un peu las : « Une maison ne vit pas seule,<br />

elle a besoin des gens. J’aime le moment où je reviens à la maison après un voyage et où je ne<br />

la reconnais pas. Sinon, souvent, j’ai l’impression de ne pas pouvoir émerger, de me fondre en<br />

elle. » D’où son goût des grands hôtels impersonnels, aux draps blancs rassurants, qui laissent<br />

croire à l’anonymat le plus total (tout le contraire de celui que j’ai imaginé dans mon roman<br />

Villégiature, avec ses lustres de cristal et ses fauteuils en velours!). « Mes parents ne voulaient<br />

jamais qu’on aille dans des endroits qui avaient déjà été habités. Alors, on déménageait<br />

beaucoup! », ajoute-t-elle en s’esclaffant.<br />

Depuis 1992, Catherine vit dans le centre-ville de Montréal, quartier qui sert d’ancrage au<br />

récit d’Oscar De Profundis – comme c’était aussi le cas pour La ballade d’Ali Baba – et qui<br />

a marqué l’imaginaire de son enfance, elle qui habitait dans l’est de la métropole. Durant sa<br />

jeunesse, « suivre la rue Sherbrooke jusqu’au bout, marcher tout droit, de ville d’Anjou jusqu’au<br />

centre-ville, c’était, dit-elle, rejoindre la civilisation. » La rue Sherbrooke était l’axe à suivre<br />

pour atteindre le cœur et l’âme de Montréal. Nous échangeons à propos de l’attachement<br />

que nous ressentons pour cette imposante rue (renommée Sunset Boulevard dans son livre) :<br />

Collage dans le bureau de Catherine Mavrikakis<br />

© Alice Michaud-Lapointe<br />

© Valérie Lebrun<br />

Alice Michaud-Lapointe<br />

La jeune auteure Alice Michaud-Lapointe a publié son<br />

premier livre, Titre de transport (Héliotrope), en 2014, dans<br />

lequel elle dressait un portrait saisissant et humain de la<br />

vie montréalaise grâce à tous ces inconnus qui prennent<br />

le métro chaque jour. Dans cette œuvre originale, vingt et<br />

une histoires dévoilent les secrets de certains d’entre eux<br />

qui se bousculent à Atwater, Berri-UQAM ou Mont-Royal.<br />

Cet automne, elle signe un deuxième titre chez Héliotrope,<br />

Villégiature, où elle explore les méandres de la vérité et des<br />

mensonges, le tout campé dans l’univers de l’hôtellerie.<br />

C’est la vivacité de sa plume et sa sensibilité - des qualités<br />

qu’on dénote à même la lecture de ce portrait - qui ont<br />

poussé Les libraires à lui confier ce grand portrait avec<br />

Catherine Mavrikakis.<br />

LES LIBRAIRES • SEPTEMBRE-OCTOBRE 2016 • 13

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