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Rencontre du troisième art<br />
Puis, pour elle comme pour son personnage alter ego qui habite l’Espagne<br />
– un clin d’œil aux origines paternelles basques de l’écrivaine –, un jour,<br />
il s’est enfin passé quelque chose : une rencontre dans un musée devient<br />
l’élément pivot de l’histoire. Si pour Ovaldé le choc s’est produit dans<br />
sa jeunesse en tombant sur une gigantesque toile de Jackson Pollock au<br />
Centre Georges-Pompidou, pour Atanasia, c’est une œuvre du peintre<br />
Roberto Diaz Uribe qui lui fait cet effet lors d’une sortie scolaire. « La femme<br />
était nue, le menton relevé, sa peau était bleutée, marbrée, transparente,<br />
d’une transparence maladive, épuisée, sexuelle. Je me suis figée en plein<br />
élan, saisie. C’était donc cela que j’attendais depuis si longtemps? », révèle<br />
Atanasia quelques pages après l’incipit au sujet de la toile purement fictive<br />
Angela 61-XI. « On a toujours envie de tomber raide dingue de quelque<br />
chose, on cherche ça, ça fait partie des fondements de notre identité »,<br />
estime l’auteure. Et parfois, ces découvertes donnent l’envie ou l’ambition<br />
de partir un jour pour enfin se définir ailleurs que dans le système qu’on<br />
nous impose. Atanasia le fait et les lecteurs la suivent, suspendus à<br />
ses réflexions, comme si soudain, le passé les rattrapait. C’est ce que<br />
réussissent d’ailleurs à éveiller en nous tous les bons romans d’initiation…<br />
Premier roman de<br />
STÉPHANIE BOULAY<br />
Véronique Ovaldé confie faire partie de ceux qui partent, consciente de sa<br />
capacité à réagir ainsi quand le besoin se fait sentir. « On est tous capables<br />
de le faire, je ne veux jamais être prise dans un système. C’est un peu ça,<br />
aussi, l’imprudence… Publier, rendre public est d’ailleurs imprudent, c’est<br />
s’exposer à un risque. Très tôt dans ma vie j’ai décidé que j’allais raconter<br />
des histoires. Si j’avais commencé plus tard, apeurée, je ne l’aurais peutêtre<br />
jamais fait. »<br />
Notre péremption<br />
Que ce soit dans Ce que je sais de Vera Candida, Des vies d’oiseaux ou La<br />
grâce des brigands, son précédent roman paru en 2013, la Française qui<br />
habite Paris revient donc une fois de plus ici sur une de ses obsessions de<br />
prédilection : « Le devoir qu’on a de disposer de soi-même, la nécessité de<br />
rompre et de s’extraire. » Avec sa plume lucide, à la fois drôle et tragique,<br />
elle jette donc, avec ce sens de la dérision qu’on lui reconnaît toujours,<br />
un regard amusé sur ses contemporains, nous rappelant en filigrane que<br />
la nature humaine demeure périssable. « C’est terrible que le corps vieillisse,<br />
Atanasia, c’est terrible que le corps vieillisse alors que l’esprit vieillit à un<br />
autre rythme. J’ai parfois l’impression d’être une jeune fille prisonnière<br />
dans un corps de vieille. Quand je m’assois dans le bus à côté d’une<br />
personne qui a 20 ans, il me semble avoir le même âge qu’elle, il me semble<br />
faire les mêmes gestes qu’elle, il m’arrive de lui adresser un sourire de<br />
connivence, et je vois son léger recul, son recul courtois, il me faut faire un<br />
effort d’imagination pour me souvenir que je suis une vieille. » Un constat<br />
qui allume chez Ovaldé comme chez plusieurs êtres conscients de leur<br />
précarité des étincelles mélancoliques, présentes de manière si singulière<br />
dans Soyez imprudents les enfants.<br />
Qu’Atanasia soit toute jeune, qu’elle nous guide avec une belle désinvolture<br />
pour nous rappeler à l’imprudence sans jamais que ce soit appuyé, nous<br />
fait sourire durant cette lecture qui sait mettre notre monde en mouvement.<br />
SOYEZ IMPRUDENTS<br />
LES ENFANTS<br />
Flammarion<br />
354 p. | 29,95$<br />
Photo : © Martine Doyon<br />
En librairie le 7 septembre<br />
NOUVELLE COLLECTION<br />
DIRIGÉE PAR STÉPHANE DOMPIERRE<br />
Des romans subversifs et irrévérencieux,<br />
sans censure et sans complexe,<br />
qui cherchent à créer le trouble chez son lecteur.<br />
LES LIBRAIRES • SEPTEMBRE-OCTOBRE 2016 • 27