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ZESO 2/17 (f)

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« L'activation ne permet pas de<br />

résoudre tous les problèmes »<br />

INTERVIEW Les programmes d’activation et de formation sont axés sur une stratégie de retour rapide<br />

à l’emploi des bénéficiaires de l’aide sociale ainsi que de leur indépendance économique. Jean-Michel<br />

Bonvin, sociologue à l’université de Genève revendique aussi des mesures dans le marché du travail.<br />

« <strong>ZESO</strong> »: Cher Monsieur Bonvin, au<br />

cours de ces derniers mois, on a beaucoup<br />

parlé de la fin de l'Etat social<br />

compte tenu de la crise de la dette, du<br />

vieillissement démographique et des<br />

mutations structurelles dans le marché<br />

du travail - quelle est la résistance<br />

de la cohésion sociale?<br />

Jean-Michel Bonvin: Je ne pense pas<br />

que l'Etat social soit réellement en danger<br />

de disparition. Au contraire, ces évolutions<br />

– le vieillissement démographique,<br />

l'affaiblissement des structures familiales<br />

qui se traduit par le nombre croissant de<br />

familles monoparentales, les mutations<br />

structurelles et les nouveaux risques sociaux<br />

qui y sont liés – montrent très clairement<br />

qu'il est indispensable de maintenir<br />

l'Etat social. En même temps, d'autres évolutions<br />

liées au déséquilibre des finances<br />

publiques obligent à contenir les coûts de<br />

l'Etat social. Dans ce contexte, il est évident<br />

qu'à long terme, le financement représente<br />

un défi important.<br />

Le coût de l'Etat social représente un<br />

grand défi pour la société. La solidarité<br />

au sein de la société diminue-t-elle?<br />

De nombreux signaux semblent montrer<br />

que le sentiment de solidarité diminue<br />

chez un grand nombre de personnes. Mais<br />

il s’agit plus de signaux que de mesures<br />

objectives. Un exemple est l’ampleur prise<br />

par la discussion sur les abus de prestations<br />

sociales. Celle-ci alimente le préjugé<br />

qui voit dans le bénéficiaire de l'aide sociale<br />

un fainéant qui refuse de travailler<br />

et profite de la «générosité» de la communauté.<br />

Le discours sur l’abus diffuse alors<br />

la perception suivant laquelle la population<br />

active, celle qui travaille, doit payer tandis<br />

que d’autres profitent, ce qui contribue à<br />

remettre en cause l’idée même de solidarité<br />

sociale. D’autant plus que le comportement<br />

présenté comme abusif est accusé<br />

de générer des coûts de plus en plus élevés<br />

pour la collectivité. Dans un tel climat, on<br />

cherche des coupables et on les trouve dans<br />

les personnes qui ne font pas suffisamment<br />

d'efforts pour s’en sortir par elles-mêmes.<br />

Les abus se sont-ils réellement multipliés?<br />

Les chiffres dont nous disposons n'indiquent<br />

pas d'augmentation de la fraude<br />

sociale. Ceci vaut également pour l'abus<br />

de prestations sociales. En revanche, les<br />

conditions d’accès aux prestations ont été<br />

considérablement durcies. Dès lors, dès<br />

que quelqu'un ne répond pas entièrement<br />

à ces exigences nettement plus sévères,<br />

on a tendance à parler d'abus. On ne peut<br />

pourtant pas dire que la mentalité des bénéficiaires<br />

actuels de l'aide sociale se soit<br />

détériorée. Le fait est simplement que<br />

ceux-ci doivent remplir beaucoup plus de<br />

conditions.<br />

L'idée que ne pas avoir d'emploi relève<br />

de la faute de la personne concernée<br />

elle-même est très répandue dans<br />

l'opinion publique. Notre marché du<br />

travail, qui recrute ses spécialistes volontiers<br />

sur le plan international, est-il<br />

théoriquement en mesure d'offrir un<br />

emploi à tout le monde?<br />

L'Etat social s’est considérablement développé<br />

durant les 30 glorieuses (1945-<br />

75). Donc à une époque où le chômage<br />

était pratiquement inexistant, où le besoin<br />

d'aide sociale ou de prestations de<br />

l'assurance-invalidité ne concernait qu'un<br />

nombre infime de personnes. Le grand<br />

changement est intervenu dans la plupart<br />

des pays dans les années 70 avec la fin<br />

du plein emploi. En Europe, le nombre<br />

de chômeurs a alors augmenté brusquement<br />

et de manière massive – en Suisse,<br />

cette évolution n'est apparue que dans<br />

les années 90. Par la suite, le nombre de<br />

personnes ayant besoin de prestations de<br />

l'Etat social a fortement augmenté. Nous<br />

observons donc un paradoxe: c’est au moment<br />

où le chômage a progressé (donc où<br />

le plein emploi n’est plus garanti) que le<br />

reproche de l'abus se fait entendre avec le<br />

plus de force. Au moment donc où il était<br />

devenu beaucoup plus difficile de trouver<br />

un emploi, les personnes concernées ont<br />

été accusées d'être paresseuses et d'abuser<br />

de l'Etat social. On reproche aux chômeurs<br />

d'être au chômage bien que les emplois<br />

disponibles sur le marché de travail ne suffisent<br />

pas à occuper tout le monde.<br />

Par la suite, on a essayé de ramener<br />

les bénéficiaires de l'aide sociale le<br />

plus vite possible dans le marché du<br />

travail au moyen d'incitations et de<br />

conditions, d'encouragements et d'exigences<br />

– dans ce contexte, que pensez-vous<br />

du concept de l'activation?<br />

De nombreuses études montrent clairement<br />

que l'activation a porté des fruits<br />

importants, mais qu'elle n'a pas été en<br />

mesure d'éliminer les causes du problème:<br />

le manque d'emplois. Du fait de la quasi-absence<br />

de politiques de la demande<br />

visant à soutenir la création d’emplois, on<br />

se focalise alors sur les chômeurs, les bénéficiaires<br />

de l'aide sociale, les bénéficiaires<br />

d'une rente AI et ainsi de suite (donc des<br />

politiques de l’offre) et on essaie de rendre<br />

ceux-ci aptes à réintégrer le marché du travail<br />

dans toute la mesure du possible. Cette<br />

politique est importante et utile. Mais si<br />

l'on se limite à celle-ci, on ne résout pas le<br />

problème. Car celui-ci ne réside pas uniquement<br />

dans l'offre, mais également dans<br />

la demande. S'il y a une file d'attente de<br />

personnes à la recherche d'un emploi dont<br />

certaines bénéficient de programmes de<br />

formation, celles-ci vont avancer dans la<br />

file et trouver plus rapidement un emploi,<br />

mais la longueur de la queue reste inchan-<br />

8 ZeSo 2/<strong>17</strong>


gée puisque le nombre d'emplois n'augmente<br />

pas. On permet donc de résoudre<br />

un problème individuel, mais on ne résout<br />

pas le problème structurel. En Suisse, le<br />

modèle de l'activation a néanmoins réussi<br />

un peu mieux que dans d'autres pays européens<br />

du fait qu'ici, le marché du travail<br />

est très dynamique et que le chômage est<br />

faible.<br />

La pression économique sur le système<br />

social et évidemment aussi dans<br />

le domaine de l'aide sociale continuera<br />

dans tous les cas à augmenter.<br />

Pour les services sociaux, cela signifie<br />

devoir sortir un maximum de bénéficiaires<br />

de la dépendance de l'aide<br />

sociale. Que reste-t-il donc à faire?<br />

Il est important de former les gens et<br />

de les ramener dans le marché du travail,<br />

c'est absolument évident, mais une action<br />

sur le volet demande est tout aussi importante.<br />

De fait, contraindre les gens à accepter<br />

n'importe quel boulot afin de réduire<br />

les coûts de l’aide sociale est doublement<br />

problématique, puisque ceux-ci risquent<br />

<br />

de revenir rapidement au chômage, à l'AI<br />

ou à l'aide sociale et qu’une telle démarche<br />

favorise la création d'emplois précaires.<br />

L'activation à elle seule ne permet pas de<br />

résoudre tous les problèmes. La politique<br />

actuelle a surtout pour but d'éviter que ce<br />

soient toujours les mêmes qui restent exclus<br />

du monde du travail. Globalement,<br />

quelque 12 à 15% de la population active<br />

ne sont pas insérés dans le marché du travail<br />

et doivent être pris en charge par l’assurance-chômage,<br />

l’aide sociale et l’AI. En<br />

dépit des réformes et des stratégies d’activation<br />

mises en place, il semble que cette<br />

proportion de 12 à 15% ne puisse pas être<br />

réduite si l’on s’en tient à des politiques de<br />

l’offre.<br />

L'activation est-elle efficace sur le plan<br />

individuel à défaut de l'être sur le plan<br />

économique ?<br />

La dimension symbolique a indéniablement<br />

un effet préventif considérable.<br />

Chacun sait que s'il veut obtenir de l'aide<br />

sociale, il doit faire de grands efforts. Dans<br />

ce sens, la stratégie de l'activation est dis-<br />

Photos: Magali Girardin<br />

suasive et donc d’une certaine façon efficace,<br />

du moins dans l’optique d’une maîtrise<br />

des coûts. La question de l’efficacité<br />

en termes de réinsertion professionnelle<br />

est plus complexe. Il y a en effet des personnes<br />

qui, pour les raisons les plus diverses,<br />

ont des chances limitées de retrouver<br />

un emploi, surtout sur un marché du<br />

travail très compétitif. Pour ces personnes,<br />

les mesures d'activation ne suffisent pas,<br />

il faut trouver d'autres solutions. Il est dès<br />

lors important d'agir aussi sur le versant<br />

demande du marché du travail, en vue de<br />

la mise à disposition d'emplois appropriés.<br />

Mais comment pourrait-on agir sur le<br />

versant demande ?<br />

C'est là le défi le plus difficile à relever.<br />

Le marché du travail compétitif ne fait pas<br />

place pour tout le monde, il s'agit donc de<br />

se demander comment intégrer celles et<br />

ceux qui ne correspondent pas aux standards<br />

de productivité d'un marché compétitif<br />

globalisé. Plusieurs solutions sont<br />

envisageables: on peut tenter d'infléchir la<br />

logique de compétitivité au sein du mar- <br />

2/<strong>17</strong> ZeSo<br />

9


ché du travail, par exemple en soutenant<br />

des entreprises dont la recherche du profit<br />

ne serait pas le but exclusif; on peut aussi<br />

promouvoir la création d'emplois durables<br />

sur un marché du travail dit secondaire,<br />

qui ferait plus de place aux préoccupations<br />

sociales, c'est notamment l'objectif visé<br />

par tout le courant de l'économie sociale<br />

et solidaire; des structures protégées pourraient<br />

également être mises sur pied dans<br />

le secteur associatif ou parapublic, mais<br />

il faudrait alors que ces structures soient<br />

valorisées pour éviter la stigmatisation de<br />

leurs publics. Bref, l'éventail des solutions<br />

est large. Il ne s'agit pas d'une perspective<br />

antagoniste, mais complémentaire au marché<br />

du travail compétitif et, point le plus<br />

important sans doute, ces emplois complémentaires<br />

doivent être valorisés au même<br />

titre que les emplois dits compétitifs.<br />

Actuellement, l'accent principal est<br />

mis sur la formation. On met en place<br />

des programmes de formation pour<br />

combler les déficits de formation<br />

des chômeurs de longue durée. La<br />

formation peut-elle résoudre tous les<br />

problèmes?<br />

Le problème, c'est la qualité de la formation<br />

qui est proposée. Si l’on forme les<br />

gens pendant quelques jours ou semaines,<br />

ceux-ci apprennent à écrire une lettre de<br />

motivation ou à rédiger un CV. C'est utile<br />

et cela peut aider les chômeurs qui sont<br />

déjà bien formés par ailleurs. Mais s’il<br />

s'agit de personnes qui ont de réelles difficultés<br />

sur le marché du travail, qui n'ont<br />

pas ou peu de qualifications, qui ont arrêté<br />

l'école, des programmes de durée limitée<br />

ne sont pas suffisants.<br />

Le chômage de longue durée, la pauvreté<br />

et par la suite la dépendance de<br />

l'aide sociale vont souvent de pair avec<br />

une absence de formation professionnelle.<br />

Comment combler néanmoins<br />

ces déficits?<br />

Trois conditions sont essentielles pour<br />

un parcours de formation réussi: la capacité<br />

d'apprendre, la volonté d'apprendre et la<br />

disponibilité pour apprendre. Trois types<br />

d’action sont donc requis: tout d’abord<br />

garantir la maîtrise de compétences de<br />

base, indispensables à la réussite d’une<br />

formation professionnelle; ensuite donner<br />

l’envie d’apprendre au travers de formations<br />

adaptées, s’écartant d’un modèle trop<br />

scolaire qui agit comme repoussoir pour<br />

Jean-Michel Bonvin<br />

Jean-Michel Bonvin est professeur de sociologie<br />

et de politique sociale à l’Institut de démographie<br />

et socio économie (IDESO) de l’Université<br />

de Genève. Ses recherches portent sur les<br />

transformations contemporaines des politiques<br />

sociales et de l’emploi et sur l’innovation organisationnelle<br />

dans le secteur public. Bonvin dirige<br />

actuellement au NCCR LIVES le programme « welfare<br />

boundaries », une étude du Fond National<br />

Suisse sur les parcours de vie en précarité et<br />

vulnérabilité.<br />

beaucoup de bénéficiaires de l’aide sociale;<br />

enfin créer les conditions de la disponibiltié<br />

pour la formation, en donnant le temps<br />

et les conditions matérielles permettant de<br />

se former. De fait, commencer un apprentissage<br />

implique trop souvent de subir une<br />

perte de revenu considérable par rapport à<br />

l'aide sociale. Un salaire d'apprenti ne permet<br />

pas de nourrir une famille. Dès lors, en<br />

parlant d'un droit à la formation ou d’une<br />

éducation de la deuxième chance, il s’agit<br />

de prendre en compte ces trois objectifs:<br />

rendre capable, donner envie et rendre disponible.<br />

C'est là que le programme vaudois<br />

Forjad intervient?<br />

Forjad dans le canton de Vaud est à mon<br />

sens le programme qui s’approche le plus<br />

de cet idéal, par exemple avec la mesure<br />

Scenic Adventure. A Genève, le programme<br />

Scène Active s’inscrit dans la même lo-<br />

gique. Ces deux programmes sont destinés<br />

à des jeunes en situation de décrochage<br />

scolaire et de vulnérabilité. Il s'agit de rencontrer<br />

ces gens là où ils sont, de leur donner<br />

envie de se former ou d'imaginer leur<br />

avenir. Tout le monde a envie d'apprendre,<br />

mais tout le monde n'y réussit pas dans un<br />

contexte scolaire ou trop formel. Dans le<br />

programme Scène Active, les adolescents<br />

ont ainsi travaillé pendant huit mois sur<br />

une pièce de théâtre qu'ils ont créée euxmêmes<br />

et jouée ensuite devant plusieurs<br />

centaines de spectatrices et spectateurs.<br />

C'était une expérience importante qui a<br />

éveillé en eux le plaisir de créer quelque<br />

chose. D’autres programmes plus conventionnels,<br />

qui préparent à un apprentissage,<br />

donnent aussi des résultats très encourageants.<br />

Mais le problème d’une action sur<br />

la demande subsiste : tous ces programmes<br />

visent en effet à redonner confiance, à retrouver<br />

une capacité à se projeter dans<br />

l’avenir, à renforcer les compétences<br />

pour améliorer l’attractivité auprès d’employeurs<br />

potentiels, etc., toutes actions<br />

concentrées sur le volet «offre». Mais rien<br />

ne garantit que la demande suivra, donc<br />

qu’il y aura des places d’apprentissage ou<br />

des emplois pour ces personnes. Il s’agit de<br />

développer aussi ce volet demande, ce qui<br />

ne relève évidemment pas du seul champ<br />

de compétence de l’aide sociale.<br />

En Europe, on discute actuellement<br />

beaucoup d'investissements sociaux.<br />

Qu'entend-on par là?<br />

Les investissements sociaux ont pour<br />

but d'augmenter le potentiel productif de<br />

toutes et tous en vue de la prospérité économique<br />

collective. Il s'agit ainsi de mieux<br />

qualifier les personnes à la recherche d'un<br />

emploi, notamment au moyen de mesures<br />

à long terme, donc par exemple d'un apprentissage<br />

qui permette à la personne<br />

concernée de développer de nouvelles<br />

compétences. Cette stratégie s’inscrit dans<br />

une vision ambitieuse de l'activation par<br />

le développement du capital humain et de<br />

la formation. Mais le volet demande reste<br />

un peu flou: comment faire en sorte que<br />

des places de travail existent en quantité et<br />

qualité suffisantes, y compris pour les plus<br />

vulnérables et les moins compétitifs? Tel<br />

est l’enjeu qui me semble le plus important<br />

à l’heure actuelle. <br />

•<br />

Interview réalisé par<br />

Ingrid Hess<br />

10 ZeSo 2/<strong>17</strong>


Qu'en est-il du travail social dans les<br />

services d'aide sociale?<br />

Les travailleuses et les travailleurs sociaux ne sont pas les seuls à fournir les prestations de<br />

l'aide sociale. Ceci dit, le rôle du travail social dans les services d'aide sociale est plus important<br />

aujourd'hui qu'autrefois. La séparation entre aide matérielle et soutien personnel peut permettre un<br />

accompagnement social volontaire.<br />

Peut-on encore, aujourd'hui, dans les services d'aide sociale, accomplir<br />

un travail social de qualité, ou est-ce que les aspects matériels et<br />

administratifs ont pris le dessus? Que la question soit posée de cette<br />

manière est intéressant, puisqu'elle suggère que «dans le temps», on<br />

pratiquait un «véritable» travail social dont les aspects matériels et<br />

administratifs ne feraient pas partie. Cette vision ne résiste pas à<br />

l'analyse. Le domaine de l'aide sociale est hautement dynamique. Il<br />

n'est pas impossible qu'aujourd'hui, le travail social soit justement,<br />

et pour la première fois, en train d'obtenir la place qui lui convient<br />

dans ce domaine.<br />

Ce que l'on désigne aujourd'hui comme du travail social s'est<br />

construit dans de nombreux pays du Nord industrialisé depuis le<br />

début du XXe siècle. En Suisse, le travail social s'est imposé comme<br />

métier petit à petit dès les années 1950 dans le sillage du développement<br />

de la protection sociale. Ce n'est toutefois que depuis une<br />

vingtaine d'années que les formations correspondantes ont été systématisées<br />

et reconnues sur le plan fédéral, notamment dans le contexte<br />

des de la création des hautes écoles spécialisées. Ainsi, le travail<br />

social est un métier jeune dont l'exercice – contrairement à celui de<br />

métiers proches tels que les soins, la psychologie ou l'enseignement<br />

– n'est pas réglementé. Dès lors, il est possible d'engager comme<br />

travailleuses et travailleurs sociaux des personnes qui ne disposent<br />

pas d'une formation correspondante, et celles-ci sont nombreuses:<br />

seule la moitié environ des personnes engagées dans une fonction<br />

du travail social bénéficie d'une formation correspondante. Cette<br />

situation est ancienne et elle ne s'explique pas par les actuels programmes<br />

d'austérité. Elle est hautement problématique: comment<br />

faire du travail social sans travailleuses et travailleurs sociaux? Afin de<br />

corriger cet état de faits, AvenirSocial, l'association professionnelle<br />

des travailleurs et travailleuses sociales, lancera dès l'été 20<strong>17</strong> une<br />

campagne nationale «Une formation en travail social, garante de<br />

qualité» et exige 100% de professionnel-le-s formés en travail social.<br />

Le travail social revêt de nombreuses formes et il réunit les tâches<br />

les plus diverses qui se transforment en permanence en fonction<br />

des contextes organisationnels et politiques. Ce qui, aujourd'hui,<br />

est considéré comme du travail social relevait hier, peut-être, d'une<br />

tâche de la police et sera, demain, assumée par des professionnel-le-s<br />

de la santé ou de la formation. En ce sens, toute référence au «véritable<br />

travail social» est problématique et idéalisant. Ajoutons que<br />

les aides matérielles, économiques et administratives font partie du<br />

travail social depuis ses origines. Aujourd'hui, elles sont trop souvent<br />

dévalorisées. Par ailleurs, le travail social était et restera toujours ambivalent.<br />

Ce champ assume des mandats contradictoires d'aide et de<br />

contrôle. Il se situe entre l'autonomisation d'individus ou de groupes<br />

et la normalisation sociétale, entre l'émancipation et la reproduction<br />

– la gestion – des inégalités, notamment de la pauvreté. Cette ambivalence<br />

ne vaut pas seulement dans l'aide sociale, mais c'est là qu'elle<br />

est la plus visible. Au fond, c'est un avantage, puisqu'un champ de<br />

tensions identifié peut être abordé. Voilà pour le travail social en général.<br />

Qu'en est-il du travail social dans les services d'aide sociale?<br />

Une place croissante<br />

Ce que l'on désigne aujourd'hui comme aide sociale remonte à des<br />

formes séculaires, toujours renouvelées, de gestion de la pauvreté.<br />

Toutes les sociétés devaient mettre en place des mesures en faveur<br />

de leurs membres incapables de subvenir à leurs besoins et qui<br />

avaient besoin d'aide. Cette aide était et reste indispensable à une<br />

certaine stabilité et sécurité, puisque des états de pauvreté trop<br />

vastes sont une menace pour la société dans son ensemble.<br />

En Suisse, l'aide aux pauvres – l'assistance selon la terminologie<br />

précédente – a été assumée par des corps de métier les plus divers,<br />

parfois sur une base de bénévolat, et ceci bien au-delà du milieu<br />

du XXe siècle. Des ecclésiastiques, des employés administratifs, des<br />

élus politiques, des membres d'autorités, des enseignants et des<br />

juristes – des hommes pour la plupart – en faisaient partie. Les travailleuses<br />

et les travailleurs sociaux ont intégré ce domaine bien plus<br />

14 <strong>ZESO</strong> 2/<strong>17</strong> DOSSIER


SERVICES SOCIAUX<br />

L'aide personnelle est indispensable pour<br />

que les gens parviennent à surmonter<br />

leur situation de pauvreté.<br />

Photo: Keystone<br />

tard. Dans les petites communes partout en Suisse, mais également<br />

par exemple dans la ville de Bâle, ce n'est qu'au dernier quart du<br />

XXe siècle que le travail social a été introduit dans les services d'aide<br />

sociale. Aujourd'hui encore, en de nombreux endroits, des membres<br />

d'autorités élus – qui ne sont a priori pas des professionnel-le-s du<br />

travail social – oeuvrent dans l'aide sociale. L'aide sociale, ou l'assistance,<br />

est donc bien plus ancienne que le travail social. Aujourd'hui,<br />

le travail social est davantage présent dans les services d'aide sociale<br />

que «dans le temps». A noter toutefois que l'aide sociale n'est pas<br />

fournie exclusivement par des travailleuses et travailleurs sociaux.<br />

Une aide personnelle sans contrainte<br />

Le type de professionnel-le-s qui fournit une prestation de protection<br />

sociale révèle la philosophie qui fonde la prestation. Ainsi, une aide<br />

sociale octroyée par des travailleuses et travailleurs sociaux indique<br />

un principe de charité: les prestations sont individualisées, accordées<br />

de cas en cas et en fonction du comportement du bénéficiaire. En revanche,<br />

une prestation reposant sur un droit peut être accordée par<br />

un personnel administratif ou par des juristes – c'est le cas des rentes<br />

ou d'autres prestations d'assurance. En ce sens, l'introduction du travail<br />

social n'est pas impérative lorsqu'il s'agit d'un droit à des prestations<br />

financières prévues par la protection sociale. Or, l'aide sociale<br />

ne se limite pas à des prestations financières. L'aide personnelle – le<br />

travail social – est indispensable si l'on veut réellement aider les personnes<br />

à surmonter leur situation de pauvreté ou, tout au moins, à la<br />

vivre dans la dignité. Le travail social est accordé sur mesure: il repose<br />

sur une analyse soigneuse des ressources des destinataires et les<br />

aide à mener une vie décente le plus proche possible de ce qu'ils et<br />

elles considèrent comme une vie bonne.<br />

Au cours de ces dernières années, plusieurs cantons et grandes<br />

villes (p. ex. Vaud, Genève, Zurich, Bâle) ont procédé à une séparation<br />

complète ou partielle entre l'aide économique et le soutien<br />

personnel, la première étant assumée par du personnel administratif,<br />

le second par des travailleuses et travailleurs sociaux. Ces réorganisations<br />

étaient motivées principalement par l'augmentation<br />

du nombre de dossiers. En même temps, elles étaient l'occasion de<br />

repenser la répartition des tâches. Diverses spécialisations sont souvent<br />

nécessaires pour couvrir toute la gamme des besoins des bénéficiaires,<br />

par exemple en matière de réinsertion professionnelle, de<br />

formation, de désendettement, de logement et ainsi de suite.<br />

Ces nouveaux modèles ont été accompagnés par des formations<br />

continues permettant de préciser les nouveaux rôles et tâches<br />

des professionnel-le-s respectifs. Ils doivent être évalués de manière<br />

approfondie. Il est possible qu'ils aboutissent à une diminution<br />

des prestations d'aide accordées aux bénéficiaires. Mais<br />

il est également possible que ces modèles permettent un travail<br />

social fondé sur un soutien volontaire. Un tel travail social est plus<br />

respectueux et plus durable que des sanctions et la contrainte.<br />

La condition en est que des professionnel-le-s qualifiés puissent<br />

mettre à disposition suffisamment de temps au sein de services<br />

sociaux faciles d'accès. Il n'est pas certain que l'actuelle charge de<br />

dossiers remplisse ces conditions : Un ou une assistante sociale<br />

travaillant à plein temps avec une charge hypothétique de 60 dossiers<br />

peut consacrer à chacun 16 heures dans une année. Comme<br />

la charge de dossiers est souvent supérieure, il est urgent d'agir<br />

pour permette une aide sociale efficace de qualité.<br />

•<br />

Véréna Keller<br />

Professeure honoraire à la Haute Ecole de Travail Social et de la Santé<br />

(EESP) à Lausanne & Vice-présidente d'AvenirSocial<br />

DOSSIER 2/<strong>17</strong> <strong>ZESO</strong><br />


« Les gens qui pensent que les charges administratives<br />

prennent trop de place sont nombreux »<br />

ENQUÊTE La satisfaction au travail dans les services sociaux est relativement élevée en<br />

moyenne. En revanche, ce qui pèse sur les collaboratrices et collaborateurs des services<br />

sociaux, ce sont le manque de reconnaissance de leur métier par la société, la charge de<br />

travail et les possibilités d'avancement quasi inexistantes. Tel est l'avis de Roger Pfiffner,<br />

professeur à la Haute école spécialisée bernoise qui a réalisé une étude à ce sujet.<br />

Monsieur Pfiffner, qu'est-ce qui distingue une collaboratrice satisfaite<br />

ou un collaborateur satisfait?<br />

Roger Pfiffner :La plupart du temps, un collaborateur est satisfait<br />

lorsqu'il perçoit son poste comme épanouissant. Ceci est le<br />

cas quand il a l'impression de pouvoir poursuivre et réaliser ses objectifs,<br />

ses besoins et ses valeurs. Les collaborateurs satisfaits font<br />

des expériences dans leur quotidien professionnel qui créent un<br />

état émotionnel positif. Et celui-ci génère une forte motivation et<br />

l'envie de fournir des prestations.<br />

Quel est le degré de satisfaction des personnes actives dans l'aide<br />

sociale publique?<br />

Notre étude montre qu'en moyenne, la satisfaction au travail<br />

des collaboratrices et collaborateurs des services sociaux<br />

se situe dans le segment moyen à positif. On remarque que la<br />

satisfaction varie fortement d'un individu à l'autre. Pour trois<br />

quarts des personnes, la satisfaction au travail est relativement<br />

élevée. De l'autre côté environ 10 pourcent sont très<br />

insatisfaits.<br />

Quels sont les aspects de leur métier que les collaborateurs des<br />

services sociaux aiment?<br />

C'est en premier lieu leur activité qu'ils apprécient: celle-ci<br />

est qualifiée d'intéressante, d'exigeante et de variée. Et ils<br />

ressentent leur travail comme utile. D'autres aspects positifs<br />

sont l'autodétermination, l'autonomie décisionnelle et la<br />

possibilité d'organiser eux-mêmes leur travail. De même, les<br />

offres de formation continue et la collaboration avec l'équipe<br />

ainsi qu'avec les supérieurs sont en règle général considérées<br />

comme positives.<br />

Quels aspects sont jugés négatifs?<br />

Ce sont en premier lieu des aspects organisationnels. En<br />

ce qui concerne les possibilités d'avancement et le salaire,<br />

les gens ne sont que partiellement satisfaits. Beaucoup de<br />

personnes pensent que les charges administratives prennent<br />

trop de place, et l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée<br />

est lui aussi plutôt mal coté. La source la plus importante<br />

d'insatisfaction des collaboratrices et collaborateurs des services<br />

sociaux est la reconnaissance insuffisante de leur métier<br />

par la société.<br />

Quelle est l'estimation de la charge de travail?<br />

La charge de travail ressentie subjectivement varie très fortement.<br />

Près de la moitié des personnes interrogées trouvent<br />

la charge de travail élevée ou très élevée. A cet égard, l'aide<br />

sociale n'est cependant pas un cas à part, on retrouve des valeurs<br />

similaires dans de nombreux métiers. Ce qui s'y ajoute<br />

toutefois dans l'aide sociale: les personnes disposant de peu<br />

d'expérience professionnelle sont nombreuses à travailler<br />

dans ce domaine. Même les débutants doivent rapidement assumer<br />

la responsabilité du nombre habituel de dossiers. Cette<br />

entrée en fonction est souvent ressentie comme difficile.<br />

La satisfaction des collaboratrices et collaborateurs est-elle<br />

différente selon la taille du service?<br />

Pour donner une réponse exacte à cette question, il faudrait<br />

faire d'autres recherches. Tant les grands que les petits services<br />

ont leurs avantages et leurs inconvénients. On peut toutefois<br />

dégager une tendance: les collaborateurs administratifs<br />

se sentent plutôt mieux dans des organisations de petite taille.<br />

L'ambiance y est plus personnelle et le résultat du travail de<br />

chacun est plus visible. En revanche, chez les assistantes et<br />

assistants sociaux, on observe plutôt une tendance inverse.<br />

C'est probablement lié au fait que dans les services urbains<br />

et proches des villes, les possibilités de placer les clientes<br />

et clients dans des programmes d'occupation etc. sont meilleures.<br />

Ceci peut faciliter le travail et améliorer la perception<br />

de l'auto-efficacité.<br />

Les facteurs jugés négatifs peuvent-ils entraîner des démissions?<br />

La satisfaction au travail et les fluctuations sont très étroitement<br />

liées. Le quart de personnes non satisfaites risque de<br />

démissionner tôt ou tard. Les aspects jugés négatifs tels que<br />

la charge de travail, l'équilibre entre vie professionnelle et vie<br />

privée et le manque de reconnaissance par la société ont sans<br />

doute une forte influence. Mais dans un cas individuel, les facteurs<br />

qui poussent à la démission peuvent être différents. La<br />

structure du personnel peut elle aussi entraîner des démissions:<br />

à l'aide sociale, les personnes âgées de 30 à 39 ans sont<br />

très nombreuses. Celles-ci sont demandées sur le marché du<br />

travail et en même temps, elles se trouvent dans une phase de<br />

la vie où les réorientations sont fréquentes.<br />

18 ZeSo 2/<strong>17</strong> DOSSIER


services sociaux<br />

considérablement moins longtemps à un poste. Par ailleurs,<br />

la plupart de celles et ceux qui partent ne cherchent pas une<br />

place dans un autre service social, mais souhaitent travailler<br />

en dehors de l'aide sociale.<br />

Roger Pfiffner<br />

Photo: mad<br />

Roger Pfiffner est professeur à la Haute école spécialisée bernoise. Il<br />

recherche et enseigne notamment dans le domaine de l'organisation<br />

et du management des services sociaux et du travail social en milieu<br />

scolaire.<br />

Dans le cadre de l'étude «Soziale Dienste – Attraktivität als Arbeitgebende<br />

und Arbeitsbedingungen für die Mitarbeitenden», Roger<br />

Pfiffner a interrogé en ligne un total de 942 travailleurs sociaux,<br />

d'assistants professionnels et de responsables de dossiers entre<br />

l'été et l'automne 2015.<br />

Qu'est-ce que cela signifie pour les services sociaux? L'étendue des<br />

fluctuations pose-t-elle problème?<br />

La situation n'est pas dramatique. Les démissions arrivent<br />

partout. Or, l'aide sociale est un secteur qui souffre d'une pénurie<br />

de personnel professionnel et dans les services ruraux<br />

surtout, il n'est pas toujours facile de pourvoir les postes. On<br />

remarque également que les collaborateurs des services sociaux,<br />

comparés aux employés d'autres secteurs, restent<br />

Quels sont les moyens qui permettraient de réduire les fluctuations?<br />

La collaboration entre travailleurs sociaux et employés administratifs<br />

par exemple présente un potentiel de développement.<br />

Certaines communes investissent d'ores et déjà dans<br />

des postes administratifs supplémentaires pour décharger les<br />

travailleurs sociaux. Les personnes dirigeantes, tout en étant<br />

jugées positives en moyenne, sont un facteur déterminant.<br />

C'est pourquoi la formation des cadres est très importante.<br />

A mon avis, il faudrait également intervenir au niveau de la<br />

taille des services sociaux. Dans un service social composé<br />

de trois personnes seulement, les remplacements pendant<br />

des vacances peuvent rapidement créer des problèmes et la<br />

situation devient extrêmement difficile lorsque des postes ne<br />

peuvent pas être repourvus à temps. En outre, les possibilités<br />

d'avancement sont pratiquement inexistantes au sein des<br />

services de petite taille. Et il s'agirait également d'augmenter<br />

globalement l'attractivité du domaine d'activité en améliorant<br />

l'image de l'aide sociale dans l'opinion publique.<br />

L'identification des collaborateurs des services sociaux à leur<br />

employeur et à leur domaine d'activité est-elle trop faible?<br />

La moitié environ des personnes interrogées s'identifie à<br />

l'employeur et l'autre moitié ne s'y identifie que partiellement<br />

ou pas du tout. Chez un quart environ, on observe même des<br />

signes de résignation. Ces personnes n'ont plus beaucoup<br />

d'objectifs ou d'attentes en ce qui concerne leur travail. L'identification<br />

au contexte juridique et politique de l'aide sociale est<br />

encore plus faible. Nous avons par exemple étudié la question<br />

si les collaborateurs et collaboratrices des services sociaux<br />

approuvent les réformes actuelles de l'aide sociale. La moitié<br />

environ de ces personnes estime que les réformes affaiblissent<br />

l'efficacité de l'aide sociale pour les clientes et les clients,<br />

mais également pour la société. <br />

•<br />

DOSSIER 2/<strong>17</strong> ZeSo<br />

Propos recueillis par:<br />

Regine Gerber<br />

19<br />


Les effets des programmes<br />

d’intégration dans l’aide sociale<br />

RECHERCHE Quels sont les effets des programmes d’intégration dans l’aide sociale? Et quels sont les<br />

facteurs qui influencent ces effets? Depuis 2014, une étude de la Haute école spécialisée bernoise<br />

s’intéresse intensément à ces questions. Elle nous livre aujourd’hui un instrument permettant<br />

d’identifier et de mesurer avec fiabilité les effets des programmes d’intégration ainsi que les facteurs<br />

d’influence.<br />

La Haute école spécialisée bernoise (BFH) a<br />

réalisé une étude qui examine systématiquement<br />

les effets des programmes d’intégration<br />

dans l’aide sociale. A cet effet, des<br />

participants, hommes et femmes, à un programme<br />

ont été interrogés en ligne en trois<br />

vagues d’enquête. La première vague d’enquête<br />

met en évidence que les participantes<br />

et participants à un programme d’intégration<br />

bénéficiaires de l’aide sociale se distinguent<br />

nettement d’autres groupes de la<br />

population, et ceci dans plusieurs dimensions.<br />

Les analyses ont fait la distinction<br />

entre les participants ayant pour objectif<br />

l’intégration sociale (IS) et ceux qui, à<br />

moyen terme, visent une insertion professionnelle<br />

dans le premier marché du travail<br />

(PIP).<br />

Le profil des participants interrogés<br />

Parmi les participants à un programme interrogés,<br />

les personnes de nationalité étrangère,<br />

38%, sont nettement surreprésentées<br />

par rapport à la part des étrangers à la population<br />

résidente permanente qui est de<br />

quelque 25% (OFS 20<strong>17</strong>a). La moitié des<br />

participants à un programme d’intégration<br />

est soit née à l’étranger, soit de nationalité<br />

étrangère. 47% parmi eux n’ont ni fait un<br />

apprentissage ni fréquenté une école postobligatoire<br />

(type collège). Pour les personnes<br />

âgées de 25 à 64 ans en Suisse, la<br />

proportion correspondante est de 12%<br />

(OFS 20<strong>17</strong>b). La moitié des participants<br />

ont des dettes. En moyenne, les participants<br />

sont bénéficiaires de l’aide sociale<br />

depuis 28 mois et n’ont pas exercé d’activité<br />

lucrative depuis 20 mois. Un tiers<br />

d’entre eux ont déjà participé à un programme<br />

d’intégration par le passé. Parmi<br />

les participants IS, c’est la moitié qui a déjà<br />

fait des expériences dans des programmes<br />

d’intégration.<br />

En dehors de ces indicateurs sociodémographiques<br />

et économiques, l’étude<br />

fait ressortir que sur le plan de la santé, les<br />

participants à un programme d’intégration<br />

vont nettement plus mal que les personnes<br />

de la population résidente permanente, et<br />

en particulier aussi que les personnes touchées<br />

par la pauvreté (voir graphique 1).<br />

Les 18 à 64 ans de Suisse qualifient leur<br />

propre état de santé de bon à très bon (ø =<br />

4.3) sur une échelle allant de 1 (très mau-<br />

vais) à 5 (très bon). C’est ce qui ressort des<br />

analyses de l’Enquête suisse sur la santé<br />

pour l’année 2012. Les personnes victimes<br />

de pauvreté, c.à.d. les personnes dont<br />

le revenu du ménage est inférieur à 50%<br />

du revenu moyen du ménage (médian) attribuent<br />

la note de 4.0 à leur état de santé,<br />

une note légèrement moins bonne que la<br />

population suisse. Une comparaison avec<br />

les valeurs moyennes des participants au<br />

début du programme d’intégration montre<br />

que ceux-ci qualifient leur état de santé de<br />

moins bon encore que les personnes touchées<br />

par la pauvreté.<br />

En outre, les analyses mettent en évidence<br />

que les participants sont également<br />

moins satisfaits de leur état de santé que la<br />

population moyenne. Sur une échelle allant<br />

de 0 (pas satisfait du tout) à 10 (entièrement<br />

satisfait), les participants à des programmes<br />

obtiennent des valeurs moyennes<br />

de 5.7 (IS) à 7.4 (PIP). En outre, ils se<br />

sentent plus limités par les problèmes de<br />

santé.<br />

Par ailleurs, les résultats montrent que<br />

les participants à un programme d’intégration<br />

bénéficiaires de l’aide sociale souffrent<br />

Graphique 1: Indicateurs concernant la santé des participants à un programme au début du<br />

programme par rapport aux valeurs moyennes de la population suisse<br />

état de santé<br />

satisfaction vis-à-vis de la santé<br />

énergie et vitalité(EVI)<br />

stress psychique (DET PSY)<br />

3.5<br />

5.7<br />

51.0<br />

63.4<br />

3.9<br />

7.4<br />

62.4<br />

61.2<br />

4.0<br />

7.8<br />

66.4<br />

78.0<br />

4.3<br />

8.1<br />

71.6<br />

83.1<br />

1.0 2.0 3.0 4.0 5.0<br />

1 = très mauvais, 2 = plutôt mauvais,<br />

3 = moyen, 4 = bon, 5 = très bon<br />

0.0 2.0 4.0 6.0 8.0<br />

0 = pas satisfait du tout<br />

10 = entièrement satisfait<br />

Source. Enquête en ligne auprès des participants à un programme<br />

(2015/2016), OFS (ESS/SILC 2012), calculs BFH<br />

10.0 0.0 20.0 40.0 60.0 80.0 100.0 0.0 20.0 40.0 60.0 80.0<br />

0 = très bas 100 = très élevé 0 = très élevé bis 100 = très bas<br />

Participants IS<br />

Population victime de pauvreté (18 à 64 ans)<br />

Participants PIP<br />

Population CH (18 à 64 ans)<br />

100.0<br />

26 ZeSo 2/<strong>17</strong>


d’un stress psychique considérable. Ceci se<br />

traduit par des valeurs d’indice moyennes<br />

de 63.4 à 61.2 en tant que mesure du<br />

stress psychique (DET PSY). D’un point<br />

de vue clinique, des troubles psychiques et<br />

des valeurs de


Analyses multivariées<br />

Quels sont les facteurs individuels qui<br />

exercent une influence sur les effets des<br />

programmes d’intégration? Cette question<br />

a été étudiée à l’aide d’analyses multivariées.<br />

En vue de l’intégration professionnelle,<br />

on peut constater que chez les participants<br />

PIP, les étrangers, hommes et<br />

femmes, s’intègrent moins bien que les ressortissants<br />

Suisses. En revanche, chez les<br />

participants PIP, ni l’âge, ni le sexe, ni l’état<br />

civil ni la durée d’obtention d’aide sociale<br />

ni une participation antérieure à un programme<br />

d’intégration n’a une influence<br />

sur les chances de trouver une solution<br />

après le programme. Les participantes IS<br />

bénéficiant d’un certificat du niveau tertiaire<br />

trouvent plus souvent une place de<br />

stage par rapport aux personnes bénéficiant<br />

d’une formation professionnelle. Les<br />

participants IS qui se marient pendant la<br />

durée du programme sont moins nombreux<br />

à entrer dans une place de stage à la<br />

fin du programme. En dehors de ces corrélations,<br />

on peut observer quelques rares effets<br />

liés au sexe et à l’âge. Ainsi, la satisfaction<br />

en termes de santé augmente plus<br />

fortement chez les participants âgés à un<br />

programme IS, alors que cet effet est négatif<br />

chez les participants PIP. Dans le groupe<br />

des participants PIP, on peut constater que<br />

les femmes s’améliorent plus fortement<br />

Les effets les<br />

plus importants<br />

s'observent dans<br />

la dimension<br />

«Santé physique<br />

et psychique».<br />

que les hommes dans deux indicateurs<br />

concernant la structure de la journée (repas,<br />

sortie de la maison).<br />

Les analyses multivariées mettent<br />

en évidence que les événements biographiques<br />

qui interviennent pendant la participation<br />

au programme peuvent avoir des<br />

répercussions sur la santé. Ainsi, tant chez<br />

les participants IS que chez les participants<br />

PIP, la mort d’un animal de compagnie a<br />

une influence négative sur la satisfaction<br />

en matière de santé. Les participants PIP<br />

qui divorcent se sentent plus fortement limités<br />

par des problèmes de santé. Les participants<br />

PIP qui se marient réduisent plus<br />

fortement leur consommation d’alcool et<br />

les participants IS qui se marient sortent<br />

plus souvent de la maison. En revanche, ils<br />

se lèvent en moyenne plus tard. Ces résultats<br />

montrent que les changements dans<br />

les dimensions d’effet mesurées peuvent<br />

être déclenchés non seulement par la participation<br />

au programme, mais également<br />

par des événements biographiques. Il est<br />

d’autant plus important de relever de tels<br />

événements biographiques négatifs ou<br />

positifs à l’aide de l’instrument de mesure.<br />

Effets positifs<br />

Les résultats disponibles laissent penser<br />

que les programmes d’intégration déploient<br />

des effets positifs. Ces effets sont les<br />

plus évidents à prouver dans la dimension<br />

«Santé physique et psychique» chez les participants<br />

IS. Chez les participants PIP, les<br />

effets les plus nets sont enregistrés dans la<br />

dimension «Situation professionnelle et<br />

matérielle». Les futures analyses de la troisième<br />

vague d’enquête et des groupes cible<br />

fourniront de nouvelles informations sur<br />

l’effet des programmes d’intégration et<br />

complèteront le profil d’effet des programmes<br />

IS et PIP esquissé ci-dessus. •<br />

Thomas Oesch<br />

Haute école spécialisée bernoise,<br />

secteur Travail social<br />

Peter Neuenschwander<br />

Haute école spécialisée bernoise,<br />

secteur Travail social<br />

L’étude<br />

La BFH a mené l’enquête en collaboration avec<br />

la société de conseil socialdesign et avec cinq<br />

fournisseurs bernois de programmes, à savoir:<br />

AMI-Aktive Integration, la Fondation GAD-Stiftung,<br />

le Kompetenzzentrum Arbeit, l’association maxi.<br />

mumm ainsi que l’Œuvre suisse d’entraide<br />

ouvrière. Les résultats reposent sur un sondage<br />

en ligne auprès de participants à un programme<br />

dans ces cinq institutions: 290 personnes ont été<br />

interrogées dans une première vague d’enquête<br />

lors de l’entrée dans le programme entre mars<br />

et novembre 2015 et 137 personnes au moment<br />

de la sortie du programme entre juin 2015 et<br />

mai 2016 (2ème vague d’enquête). Par ailleurs,<br />

une partie des personnes interrogées a pu être<br />

interrogée par téléphone un an environ après la<br />

sortie du programme (3ème vague d’enquête).<br />

Ce sondage complémentaire est censé montrer<br />

si les effets des programmes d’intégration sont<br />

durables. En outre, quatre groupes cible de participants<br />

à des programmes d’intégration ont été<br />

réalisés afin d’approfondir les résultats quantitatifs<br />

de l’enquête par des déclarations qualitatives<br />

des participants aux programmes.<br />

L’enquête encouragée par la Commission pour la<br />

technologie et l’innovation (CTI) a fait la distinction<br />

entre deux groupes de participant/es. Pour<br />

les participant/es avec l’objectif de l’intégration<br />

sociale (IS), la stabilisation sociale est prioritaire.<br />

Pour eux, l’insertion professionnelle n’est pas<br />

un objectif explicite. En revanche, les participants<br />

PIP visent à moyen terme une intégration<br />

professionnelle dans le premier marché du<br />

travail. Afin d’étudier de manière systématique<br />

les effets des programmes d’intégration dans<br />

l’aide sociale, la BFH, en collaboration avec<br />

socialdesign, a élaboré un modèle d’effet détaillé<br />

(voir Neuenschwander et al. 2015) qui illustre<br />

tous les facteurs pertinents qui influencent<br />

les effets souhaités. En dehors des conditions<br />

apportées par les participants à l’entrée dans<br />

le programme (income), l’étude a relevé les<br />

ressources engagées (input) ainsi que différents<br />

éléments de prestation tels que des coachings<br />

et des entretiens de conseil (output) auprès des<br />

fournisseurs. L’enquête a mis l’accent sur la mise<br />

en évidence des effets des programmes chez les<br />

participants (outcome). A ce niveau-là, elle a par<br />

exemple recensé des informations concernant<br />

la situation professionnelle et matérielle, la<br />

santé et les compétences professionnelles<br />

des participants. Les effets des programmes<br />

d’intégration dépendant également et dans une<br />

mesure non négligeable des conditions externes<br />

aux programmes. C’est pour cette raison que des<br />

événements biographiques marquants pendant<br />

la durée du programme (par exemple le décès<br />

d’une personne proche ou un mariage) ont<br />

également été relevés afin de pouvoir illustrer<br />

d’éventuels liens avec les indicateurs d’effet.<br />

28 ZeSo 2/<strong>17</strong>


L'aide fournie à temps: à quel moment<br />

débute le droit à l'aide sociale?<br />

PRATIQUE Madame Meierhans s'inscrit au service social et la décision concernant la prestation<br />

est prise trois semaines plus tard. Le droit au soutien existe avec effet rétroactif au moment de la<br />

première prise de contact. Si la cliente ne dispose pas de moyens suffisants pour subvenir à son<br />

entretien jusqu'au moment de la décision, il s'agit d'octroyer une aide de survie appropriée.<br />

Question<br />

Le 15 septembre, Madame Meierhans<br />

s'inscrit au service social en raison de la<br />

perte de son emploi fin juillet. L'examen<br />

du droit aux prestations de l'assurance<br />

chômage prendra quelque temps. Mme<br />

Meierhans a juste réussi à payer son loyer<br />

du mois de septembre, mais actuellement,<br />

elle n'a plus d'économies. C'est pourquoi<br />

elle a besoin d'être soutenue par l'aide sociale<br />

jusqu'au moment où la décision de<br />

l'assurance-chômage sera prise. Elle s'est<br />

annoncée relativement tard ayant espéré<br />

jusque-là trouver un nouvel emploi.<br />

Trois semaines passent entre l'inscription<br />

de Madame Meierhans au service<br />

social le 15 septembre et la décision de<br />

l'autorité concernant la prestation. A partir<br />

de quelle date la cliente a-t-elle droit à des<br />

prestations de l'aide sociale et comment<br />

calculer celles-ci?<br />

PRATIQUE<br />

Dans cette rubrique, la <strong>ZESO</strong> publie des questions<br />

exemplaires de la pratique de l'aide sociale qui<br />

ont été adressées à la «CSIAS-Line», une offre<br />

de conseil en ligne que la CSIAS propose à ses<br />

membres. L'accès pour vos questions se fait dans<br />

l'espace membres sur le site internet: www.csias.ch<br />

espace membres se connecter CSIAS-Line.<br />

Bases<br />

Toute personne qui n'est pas en mesure de<br />

subvenir à son entretien à temps ou dans<br />

une mesure suffisante par ses propres<br />

moyens a droit à la couverture d'une existence<br />

digne et à l'aide dans des situations<br />

de détresse de la part de la collectivité<br />

publique. Ce droit est garanti dans son<br />

essence par l'art. 12 de la Constitution fédérale.<br />

Par ailleurs, les cantons assurent à<br />

leur population un minimum vital social<br />

sous forme d'aide sociale. Selon les dispositions<br />

explicites, celle-ci doit être fournie<br />

à temps.<br />

Le principe de l'aide fournie à temps<br />

implique que dans des cas d'urgence,<br />

l'aide matérielle impossible à différer<br />

doit être fournie immédiatement. Dans<br />

certaines conditions, un droit au soutien<br />

existe avant même que les conditions<br />

personnelles et économiques soient complètement<br />

examinées, mais susceptibles<br />

de donner très probablement droit à l'aide<br />

sociale.<br />

L'organisation de l'aide sociale dans<br />

une commune ne doit pas avoir pour effet<br />

que, pour des raisons formelles ou de délai,<br />

un soutien nécessaire ne puisse être fourni<br />

à temps. Dès lors, la procédure doit être organisée<br />

de manière à ce que l'aide requise<br />

puisse être fixée et octroyée à temps. Ainsi,<br />

les communes sont tenues de déléguer<br />

la compétence décisionnelle pour des cas<br />

d'urgence par exemple au service social.<br />

Dans la plupart des cantons, il est possible<br />

de faire oralement une demande<br />

d'aide sociale qui introduit la procédure.<br />

Si par la suite, la personne demanderesse<br />

respecte son devoir de collaboration, elle a<br />

droit au soutien avec effet rétroactif au moment<br />

de la première prise de contact. Ceci<br />

vaut également dans les cas où l'obtention<br />

des documents nécessaires prend du retard<br />

pour des raisons compréhensibles.<br />

Selon les normes CSIAS, chapitre A.6-<br />

2, un ménage a besoin d'une aide lorsque<br />

son revenu mensuel net ne suffit pas à<br />

couvrir l'entretien. A l'aide sociale, les revenus<br />

du mois précédent sont en général<br />

comparés aux dépenses du mois courant<br />

à prendre en compte. Ce principe vaut<br />

également pour les nouvelles admissions<br />

et ceci indépendamment du fait qu'une<br />

demande soit déposée au début ou à la fin<br />

d'un mois.<br />

Réponse<br />

Le droit à l'octroi de prestations d'aide sociale<br />

naît par principe avec la déposition de<br />

la demande de soutien économique. Dans<br />

le cas de Madame Meierhans, c'est le 15<br />

septembre. En calculant le droit, il n'y a pas<br />

de raison de s'écarter une perspective mensuelle.<br />

Lorsqu'un un besoin d'être soutenue<br />

est avéré, le minimum vital de Madame<br />

Meierhans doit être couvert pour tout le<br />

mois de septembre.<br />

Le droit existe avec effet rétroactif dans<br />

les cas où des documents supplémentaires<br />

sont nécessaires pour examiner la demande<br />

de la cliente ou dans ceux où une décision<br />

en matière de soutien prend du retard pour<br />

d'autres raisons. Si Madame Meierhans ne<br />

devait plus disposer de moyens financiers<br />

ou en nature pour assurer son entretien<br />

jusqu'au moment de la décision en matière<br />

de soutien ou à celui du premier versement,<br />

il s'agirait de fournir une aide de<br />

survie appropriée jusqu'au moment de la<br />

décision.<br />

•<br />

Heinrich Dubacher et Patricia Max<br />

Commission Normes et pratique de la CSIAS<br />

2/<strong>17</strong> ZeSo<br />

11


Mettre à profit le temps dans le flou<br />

REPORTAGE Apprendre et travailler pendant la période d’attente en procédure d’asile: telle est la<br />

devise du nouveau programme d’occupation In-Limbo qui, depuis Büren an der Aare, est<br />

actuellement introduit dans les hébergements collectifs du Seeland. En participant au programme,<br />

les requérantes et demandeurs d’asile font un premier pas vers l’insertion dans le marché suisse<br />

du travail, mais les connaissances acquises peuvent également leur être utiles en cas d’un éventuel<br />

retour dans leur pays d’origine.<br />

Le calme qui règne en ce jeudi avant Pâques<br />

est inhabituel. Aujourd’hui, dans l’hébergement<br />

collectif de Lyss où vivent de nombreuses<br />

familles et où, d’habitude, ça<br />

grouille et ça fourmille dans et autour de la<br />

maison, de nombreux demandeurs d’asile<br />

observent le jeûne et restent calmement<br />

dans leurs chambres. Aux alentours de la<br />

maison située dans le quartier industriel de<br />

Lyss, on trouve un terrain de volley-ball,<br />

des jardinières surélevées verdoyantes et un<br />

bac de sable. Ces installations ont une particularité:<br />

elles ont toutes été construites<br />

par les requérants eux-mêmes – avec du<br />

matériel dont plus personne n’avait l’utilité.<br />

Ainsi, ils se sont servis de vieilles palettes<br />

en bois pour fabriquer les jardinières surélevées<br />

et de planches de bois d’un cabanon<br />

de jardin abandonné pour construire le bac<br />

à sable. Ils ont également posé eux-mêmes<br />

les dalles de jardin. Ils l’ont fait dans le<br />

cadre du programme d’occupation In-Limbo.<br />

Proposé l’année dernière d’abord dans<br />

l’hébergement collectif de Büren a.A., celui-ci<br />

est aujourd’hui introduit progressivement<br />

dans les autres hébergements gérés<br />

par Asile Bienne & Région (ABR) au Seeland<br />

et à Enggistein.<br />

Dès le deuxième jour<br />

In-Limbo est nouveau dans son genre. Le<br />

programme propose aux réfugiés non seulement<br />

des possibilités d’occupation, mais<br />

également une formation. Ce qui fait sa<br />

particularité, c’est que les demandeurs<br />

d’asile peuvent y participer dès le deuxième<br />

jour de leur arrivée à l’hébergement collectif,<br />

que leur perspective soit de rester en<br />

Suisse ou de retourner dans leur pays d’origine.<br />

Le nom, c’est le programme: il s’agit<br />

de donner aux participants la possibilité de<br />

mettre à profit le temps de l’incertitude et<br />

du flou – les limbes – pendant la procédure<br />

d’asile en cours. Que ce soit en tant que<br />

premier pas vers l’insertion dans le marché<br />

suisse du travail ou en tant que base d’une<br />

activité génératrice de revenus dans leur<br />

patrie.<br />

Jonas Beer a développé son premier<br />

programme en collaboration avec d’autres<br />

KaosPilots. Un civiliste qui travaillait dans<br />

l’hébergement collectif de Büren a.A. avait<br />

fait appel à eux pour élaborer un business<br />

plan permettant de créer des produits avec<br />

des requérants. Sur cette base, Markus<br />

Schneider, responsable de l’hébergement<br />

collectif de Büren a.A., et Jonas Beer ont<br />

développé le concept In-Limbo. Ils réfléchissaient<br />

surtout à la valeur ajoutée qui<br />

serait générée pour tout le monde si la période<br />

d’attente parfois longue pouvait être<br />

utilisée pour le travail et la formation.<br />

Ponctualité et fiabilité<br />

Aujourd’hui, Jonas Beer est responsable du<br />

développement de l’organisation auprès<br />

d’In-Limbo. Le programme est bien accueilli:<br />

à Büren a.A., trois quarts des 90 résidents<br />

participent à In-Limbo. Ceci ne va<br />

pas de soi, puisque les exigences vis-à-vis<br />

des requérants sont considérables. Pour<br />

celles et ceux qui, après une brève période<br />

d’essai, décident d’y adhérer, la participation<br />

est obligatoire. Le programme est subdivisé<br />

en trois phases: pendant la première<br />

phase de trois mois, les requérants entrent<br />

en contact avec la langue locale, ils suivent<br />

des ateliers consacrés à la vie en Suisse.<br />

«En dehors de la géographie et de matières<br />

comparables, ils apprennent également<br />

des choses pratiques concernant la vie quotidienne<br />

en Suisse, par exemple comment<br />

prendre un billet au distributeur», explique<br />

Jonas Beer. Pendant cette première phase,<br />

les demandeurs d’asile sont entre autres occupés<br />

à faire le ménage dans l’hébergement.<br />

On leur enseigne des valeurs de base<br />

importantes du marché suisse du travail,<br />

Apprendre au lieu d’attendre – les requérants<br />

d’asile acquièrent dans la manufacture des<br />

compétences pratiques. <br />

Photos: Annette Boutellier<br />

telles que la ponctualité et la fiabilité. Jonas<br />

Beer se souvient qu’au début, il considérait<br />

cette première phase comme de moindre<br />

importance. «Mais c’est tout le contraire».<br />

Pendant ces premières semaines, les collaborateurs<br />

d’In-Limbo évaluent également<br />

le potentiel des requérants. Après ces semaines<br />

d’introduction, les requérants<br />

peuvent commencer à travailler dans l’un<br />

des différents groupes du projet, par<br />

30 ZeSo 2/<strong>17</strong>


Augmentation des coûts<br />

d’Aide sociale dans le<br />

domaine de l’asile<br />

La Confédération, les cantons et les communes<br />

sont confrontés à des coûts d’aide sociale<br />

crois-sants dans le domaine de l’asile. Après<br />

l’expiration de l’indemnisation forfaitaire de la<br />

Confédération au terme de cinq respectivement<br />

sept ans, c’est aux cantons et aux communes<br />

de prendre en charge l’aide sociale. Dans ses<br />

calculs, la CSIAS se base sur une augmentation<br />

annuelle de 4% des dépenses d’aide sociale des<br />

cantons et des communes, rien qu’en raison de<br />

l’évolution dans le domaine de l’asile. Il arrive<br />

souvent que les connaissances d’une langue nationale<br />

et les qualifications professionnelles des<br />

personnes relevant du domaine de l’asile ne correspondent<br />

pas aux exigences du marché du travail.<br />

Car celui-ci demande presque exclusivement<br />

des professionnel/les, alors que les personnes<br />

à insérer sont la plupart du temps des jeunes<br />

requérants d’asile, des per-sonnes admises à<br />

titre provisoire ou des réfugiés dont la formation<br />

scolaire et l’expérience profes-sionnelle sont très<br />

faibles. Les statistiques montrent qu’au terme<br />

de cinq ans en Suisse, le taux d’activité lucrative<br />

des réfugiés se situe à 31%, celui des personnes<br />

admises à titre provisoire à 16%. Néanmoins,<br />

nombre d’entre eux ont besoin d’une aide sociale<br />

complémentaire. C’est pour-quoi le programme<br />

d’occupation In-Limbo a pour but d’augmenter le<br />

taux d’activité lucrative des personnes relevant<br />

du domaine de l’asile et de réduire ainsi à plus<br />

long terme les dépenses d’aide sociale. (car)<br />

exemple dans l’atelier de vélos, dans le maraîchage,<br />

dans l’atelier de couture ou dans<br />

la manufacture. Dans une troisième phase,<br />

les personnes peuvent être placées individuellement<br />

dans des missions externes. «A<br />

notre avis, cette possibilité offre un grand<br />

potentiel», dit Jonas Beer. Or, pour des raisons<br />

légales, elle est difficile à mettre en<br />

œuvre puisque de nombreux demandeurs<br />

d’asile sont titulaires d’un permis N et<br />

n’ont dès lors pas le droit de travailler<br />

comme main-d’œuvre régulière.<br />

Le travail motive<br />

«Fais ce que tu aimes», est noté sur un petit<br />

bloc-notes qui peut être glissé dans la pochette<br />

en tissu pour sacs à café. Les demandeurs<br />

d’asile d’Erythrée, de Syrie et<br />

d’Egypte se tiennent dans la manufacture<br />

autour de la table. Ils fabriquent des pochettes<br />

d’agendas ou de bloc-notes et ils ont<br />

l’air d’aimer leur travail. Concentrés, ils découpent<br />

le tissu selon les indications du patron,<br />

y collent un renforcement. Ibrahim<br />

Agri, 33 ans, qui a quitté la Syrie pour se réfugier<br />

en Suisse il y a deux ans et demi, ne<br />

connaît que trop bien la vie au centre de demandeurs<br />

d’asile. «Autrefois, il n’y avait<br />

pas de cours», se souvient-il. «Beaucoup<br />

d’entre nous s’ennuyaient et passaient<br />

douze heures par jour à dormir». Aujourd’hui,<br />

grâce à In-Limbo, ils ont la possibilité<br />

de faire quelque chose et d’apprendre,<br />

d’acquérir des expériences. A son<br />

avis, c’est bon pour la motivation. Luimême<br />

a obtenu une décision d’asile posi-<br />

tive il y a un an et il peut maintenant travailler<br />

comme stagiaire dans l’hébergement<br />

collectif de Büren. Ibrahim Agri qui, en<br />

plus de l’allemand, parle également le<br />

kurde, l’arabe, le turc, l’anglais et le français,<br />

rêve de travailler un jour comme assistant<br />

social en Suisse. Hamida d’Afghanistan,<br />

23 ans, est elle aussi très motivée. Ses<br />

deux enfants jouent aux lego non loin de la<br />

table de travail. Elle-même est plongée<br />

dans le travail, elle souhaiterait vite terminer<br />

ce qu’elle est en train de faire avant d’aller<br />

faire une pause avec les autres. •<br />

Catherine Arber<br />

www.in-limbo.ch<br />

2/<strong>17</strong> ZeSo<br />

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