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Cerveau & Psycho n°113 - septembre 2019

Cognition incarnée : quand le corps stimule la pensée

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Penser uniquement avec son cerveau est<br />

impossible. À tout instant, des signaux issus<br />

de chaque cellule de notre corps forgent<br />

à la fois notre conscience, notre perception<br />

et notre réflexion sur nous-mêmes.<br />

Par Christian Wolf, philosophe, journaliste scientifique.<br />

© Iuliia Isaieva / GettyImages<br />

EN BREF<br />

£ Notre cerveau interagit<br />

à tout instant avec<br />

notre corps pour forger<br />

notre conscience, nos<br />

perceptions et même<br />

notre sentiment d’exister.<br />

£ Par exemple,<br />

nos émotions prennent<br />

naissance dans notre<br />

corps et sont captées<br />

par notre cerveau qui<br />

s’en inspire pour prendre<br />

des décisions.<br />

£ Même notre vision<br />

ne se développerait<br />

pas si nous ne pouvions<br />

pas nous déplacer dans<br />

notre environnement.<br />

C’est une chaude journée d’été.<br />

Allongé dans l’herbe, vous sentez les rayons<br />

chauds du soleil sur votre visage. En tendant le<br />

bras, vous pouvez toucher les fleurs dans<br />

l’herbe qui se balancent doucement au gré du<br />

vent. Rien ne semble plus réel que ça.<br />

Mais la vérité est bien différente. Il y a<br />

quelques jours, un scientifique fou est entré dans<br />

votre appartement, vous a assommé, vous a scié<br />

le crâne et en a extrait votre cerveau. Maintenant,<br />

ce même cerveau flotte dans un bac rempli d’une<br />

solution nutritive qui maintient les neurones en<br />

vie. Un superordinateur connecté aux extrémités<br />

des nerfs stimule l’organe comme s’il recevait des<br />

stimuli de son environnement, et vous fait croire<br />

que vous êtes toujours en vie.<br />

À partir des années 1970 ont commencé à<br />

circuler des versions de plus en plus nombreuses<br />

de cette expérience de pensée philosophique (ici<br />

basées sur le chapitre « <strong>Cerveau</strong> dans une cuve »<br />

de l’ouvrage du philosophe Hilary Putnam<br />

Reason, Truth and History, en 1981). Le cerveau,<br />

selon l’opinion courante des scientifiques cognitifs<br />

à l’époque, fonctionnerait comme un ordinateur.<br />

Cet organe pesant environ 1 300 grammes<br />

générerait la conscience, nos désirs, sentiments<br />

ou pensées de façon algorithmique, à la façon de<br />

représentations symboliques. Certains penseurs<br />

soutiennent que nous ne pouvons tout simplement<br />

pas savoir si nous existons en tant qu’humains<br />

dans la réalité ou simplement en tant que<br />

cerveaux dans un réservoir.<br />

Au cours des dernières décennies, l’opposition<br />

au « modèle informatique de l’esprit » s’est toutefois<br />

accrue dans les rangs de l’entreprise. Les<br />

représentants de la science cognitive incarnée,<br />

par exemple, soulignent un fait que les chercheurs<br />

sur le cerveau risquent d’oublier lorsqu’ils<br />

examinent principalement des sujets immobiles<br />

dans un tomographe : les êtres humains sont des<br />

êtres vivants dont le corps est en mouvement et<br />

interagit avec le monde pendant la plus grande<br />

partie de son existence. Pour les adeptes de la<br />

« thèse de l’incarnation », la conscience s’appuie<br />

en grande partie sur un corps agissant.<br />

Mais l’incarnation est aussi depuis longtemps<br />

un concept dans les sciences de la vie, par<br />

exemple en psychologie, en psychiatrie, en psychothérapie<br />

et, bien sûr, en neurosciences.<br />

Habituellement, le terme est utilisé lorsqu’est<br />

révélée une influence du corps sur l’esprit beaucoup<br />

plus grande qu’on ne le pensait auparavant.<br />

Et maintenant, les spécialistes du cerveau doivent<br />

se demander s’ils n’ont pas cherché la conscience<br />

au mauvais endroit.<br />

LE SENTIMENT PHYSIQUE DE SOI<br />

L’importance du corps dans nos expériences<br />

subjectives est déjà évidente à un niveau très élémentaire,<br />

selon le psychiatre et philosophe<br />

Thomas Fuchs, de l’hôpital universitaire de<br />

Heidelberg. Car la conscience ne comprend pas<br />

seulement des processus cognitifs de plus haut<br />

niveau tels que les pensées, mais, selon Fuchs,<br />

« inclut une sorte de faculté centrale – un sentiment<br />

physique de soi, un sentiment de vie, qui est<br />

donné en arrière-plan à chaque instant et est lié<br />

N° 113 - Septembre <strong>2019</strong>

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