Mon confinement avec Michel Houellebecq

accable certains proches de notre entourage. L’unique déclenchement, ce n’est pas non plus
la souffrance de ceux qu’on aime et contre laquelle on est impuissants, pas du tout ! C’est
lorsqu’on devient soi-même un être vulnérable, malade, dément, esquinté, vieux,
agonisant… Là, c’est différent ; on commence à comprendre la réalité de la situation. Les
certitudes façonnées parfois au cours de toute une vie se brisent et ça peut transformer un
homme de deux façons : soit il s’effondre, soit il devient Michel Houellebecq.
Personnellement, et j’insiste bien sur ce point, je choisis d’être Michel Houellebecq. Pour les
conformistes que ça intéresse, et qui condamneraient le choix discutable de mes
fréquentations (ce qui me blesse profondément), je voudrais juste me taire et fumer une
cigarette de la fenêtre de cette chambre en observant ce qui se passe là-bas, du côté de la
gare la moins fréquentée de la planète, la gare de Tattone.
- C’est curieux, fit Houellebecq, regarde…
Si les quatorze témoins de la scène ont légitimement pensé que l’inattendue quinte
de toux de mademoiselle Sandrine constituait le pic émotionnel de la journée, ils furent
cependant très vite rassurés sur son état de santé. L’ombre des symptômes liés au virus se
dissipa vers les hauts sommets embrumés des Pinzi Curbini et l’infirmière déclara,
légèrement confuse, s’être étranglée en avalant imprudemment une poignée d’amandes
grillées, enrobées de caramel et de chocolat. Mais si l’incident fut vite oublié, le travail des
employés pour veiller au bien-être et à la sécurité des résidents ne leur laissant aucun répit,
les pensionnaires commencèrent à comprendre qu’ils constituaient un danger pour ces
jeunes femmes prévenantes. On disait à la télévision qu’une véritable hécatombe avait lieu
dans tous les établissements de ce type. Toutefois, les vieux n’avaient pas peur… pas trop en
tout cas.
- Regarder quoi ?
Mise en service par une froide et pluvieuse journée d’octobre 1892, la gare de
Tattone constituait un arrêt facultatif sur la ligne de chemin de fer Ajaccio-Bastia. Même
l’été, les touristes devaient signaler leur présence au conducteur – à chaque fois stupéfié
qu’une halte dans ce coin perdu lui soit imposée, pour descendre du train. Antoine-Pascal
(très impressionnable comme tous les gamins de son âge nourris aux séries télé
d’épouvante) affirme que l’endroit ressemble étrangement à Twin Peaks et que
12