06.04.2020 Views

Mon confinement avec Michel Houellebecq

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

le réduit qui servait de salle de bains, il l’avait recouvert <strong>avec</strong> le deuxième portrait. La photo,<br />

épurée de toute dimension artistique, montrait <strong>Michel</strong> <strong>Houellebecq</strong> la cigarette à la main, en<br />

train de soutenir le regard de celui qui l’observait. Fumer tranquillement là-dedans était<br />

passible de graves sanctions mais pour ne pas se faire réprimander par l’administration, il<br />

mit hors d’état de marche le détecteur de fumée. Ce fut la seule dégradation de matériel<br />

dont il se rendit coupable et en dehors de cette légère entorse au règlement, il respectait les<br />

directives imposées pour le bien de tous, (à l’exception toutefois d’une bouteille de whisky<br />

qu’il faisait rentrer clandestinement pour ses besoins personnels). Depuis la petite fête<br />

d’anniversaire organisée en son honneur par les employés de la Madonuccia en février<br />

dernier, l’ambiance s’était quelque peu ternie. Les visites, bien que déjà peu nombreuses,<br />

commencèrent à s’espacer. Je buvais une tasse de café dans la salle de restauration située<br />

au rez-de-chaussée. Si chacun se levait à son rythme, le petit déjeuner était servi à sept<br />

heures trente tapante et il fallait être là ; certains le prenaient dans leur chambre, les tout<br />

fragiles, ceux qui ne pouvaient plus compter sur leur corps depuis longtemps, ceux dévorés<br />

par une haine si forte pour leurs semblables. L’ordre d’occurrence du petit déjeuner et de la<br />

toilette n’avait été tranché qu’après de vives protestations de la déléguée syndicale qui avait<br />

demandé à ce que tous les soins de santé fussent exécutés avant le repas. La prise de<br />

médicaments, le contrôle de la tension, les injections, les changements de perfusion,<br />

constituaient le premier supplice de la journée pour beaucoup de résidents. Mademoiselle<br />

Marinca refusa catégoriquement à un <strong>Michel</strong> <strong>Houellebecq</strong> suppliant l’aide à la toilette<br />

corporelle (et de surcroît celle des parties intimes) et à l’habillage. Il s’en indigna mais,<br />

magnanime, la chose ne dura pas. Il recula sa chaise et s’installa en face de moi. Pour les<br />

fâcheux que ça intéresse et qui se plaindraient de mes lacunes quant à une description plus<br />

en détails des traits anatomiques de <strong>Houellebecq</strong> (là encore, j’en conviens), j’estime que ce<br />

ne serait faire injure à personne que de suggérer aux voyeurs de taper sur internet le nom<br />

de l’écrivain et de faire défiler sur l’écran, les centaines de photos affichées. Que dire de<br />

plus après cet étalage indécent qui montre la dégringolade, la déchéance physique, la<br />

décrépitude charnelle… la vieillesse. Il fourra une tartine de pain trop cuit dans sa bouche et<br />

s’aperçut aussitôt de sa négligence :<br />

- Merd’ !<br />

- Qu’est-ce qu’il y a ?<br />

2

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!