Mon confinement avec Michel Houellebecq
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fumée soudain récalcitrant, que débuta mon <strong>confinement</strong> en compagnie du grand<br />
romancier, taulier des lettres françaises, clochard céleste et millionnaire du restaurant<br />
Drouant.<br />
- Ces haricots sont pas mauvais, j’ai dit. Tu devrais manger. Et cesse de penser aux<br />
infirmières, elles sont toutes hors de portée. Même la plus moche est inaccessible pour<br />
nous.<br />
- C’est assez troublant… euh… de penser qu’au moment où le chef de l’Etat annonce<br />
que la guerre est déclarée, le pays devient le troisième plus gros marchand d’armement au<br />
monde. Euh… non ? Y’a pénurie de tout dans les hôpitaux mais en tout cas, euh… les avions<br />
de chasse, les frégates et les missiles donneront du travail à des milliers de chirurgiens qui<br />
opéreront sous les bombes, touchés par des éclats d’obus, déchiquetés par des tirs de<br />
drones. Ça doit ressembler à quelque chose comme ça, euh… la guerre. Enfin…euh… moi, je<br />
vois ça comme ça.<br />
Le cynisme de <strong>Houellebecq</strong> faisait grincer les dents de ses détracteurs. Il était penché<br />
à la fenêtre et semblait contempler la montagne, recouverte d’une neige récente. L’hiver<br />
n’était pas arrivé cette année et les résidents profitèrent longuement des journées<br />
clémentes pour s’adonner à la randonnée au milieu de la forêt de pins larici. On avait même<br />
été jusqu’à la Cascade des Anglais <strong>avec</strong> <strong>Houellebecq</strong>. On frappa à la porte. Derrière son<br />
masque de protection, les yeux joyeux du jeune Antoine-Pascal balayèrent rapidement la<br />
pièce. Il habitait le village de Tavera, un peu plus bas dans la vallée de la Gravona ;<br />
surdiplômé en sciences de l’éducation, il venait d’être embauché comme agent de service.<br />
Sa bonne humeur n’était pas aussi rayonnante que d’habitude. Il déposa les plateaux repas<br />
sur le chariot et s’apprêta à refermer la porte derrière lui quand il nous informa qu’un<br />
résident venait de disparaître. <strong>Houellebecq</strong> s’allongea sur le lit médicalisé, en attendant le<br />
retour à la normale et de pouvoir retrouver son mobilier personnel dont jouissait<br />
maintenant quelqu’un d’autre, et se laissa absorber par le gazouillement des oiseaux ;<br />
lorsque ces chants printaniers n’étaient pas recouverts par le bruit d’un hélicoptère qui<br />
tournoyait au-dessus de l’établissement.<br />
- Encore un qui supporte déjà plus d’être enfermé dans sa chambre, j’ai dit. Au fait,<br />
j’ai terminé Sérotonine.<br />
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