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Mon confinement avec Michel Houellebecq

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La matinée était déjà bien avancée quand un employé vint frapper à la porte. Le<br />

romancier devait le suivre immédiatement. <strong>Houellebecq</strong> se contenta de hocher la tête, mit<br />

son masque de chirurgien et sortit de la chambre. Un vague pressentiment, moins lié à un<br />

quelconque acte de vandalisme contre un détecteur de fumée qu’à une crainte bien moins<br />

matérielle, s’empara de lui. Il croisa le directeur dans un couloir qui s’enquit de sa santé, lui<br />

assurant que le <strong>confinement</strong> donnerait à l’écrivain qu’il était, tout le matériau nécessaire à<br />

l’écriture d’un nouveau livre puis accompagna l’assistante sociale jusqu’à la salle de réunion<br />

où un point presse devait être fait par téléphone. L’attitude bienveillante du médecin<br />

coordonnateur ne rassura pas <strong>Houellebecq</strong>. La pièce dans laquelle il entra le fit frissonner et<br />

il ne tarda pas à comprendre l’objet de son déplacement. Le voyageur inconnu se trouvait<br />

devant lui, entièrement vêtu des équipements individuels de protection. Comment a-t-il pu<br />

le reconnaitre ? me rétorqueront les plus sceptiques. Je rappellerais brièvement que<br />

<strong>Houellebecq</strong> était doué d’une sorte de sixième sens, capable de percevoir les mystères de<br />

l’existence, de saisir la substantifique moelle des carcasses méphitiques et de la sublimer par<br />

sa prose.<br />

- Heureux de faire votre connaissance, fit une voix enjouée. Asseyez-vous sur ce<br />

fauteuil, ce ne sera pas long. Vous ne figurez pas sur ma liste mais puisque j’y suis…<br />

Pendant les vingt minutes de l’intervention, mesdemoiselles Eva et Diana assistèrent<br />

le chirurgien-dentiste. Leurs gestes étaient précis et efficaces dans la manipulation des<br />

instruments. Quels que soient les dangers de la pandémie, les risques de contamination, les<br />

degrés de <strong>confinement</strong>, les personnels soignants s’exposaient parce que leur travail, c’était<br />

justement de soigner, de porter assistance, de faire en sorte d’apaiser les souffrances, d’être<br />

là pour ceux qui en avaient besoin. On ne parlait pas de déontologie, d’éthique, de grands<br />

principes moraux mais on se contentait de faire son boulot <strong>avec</strong> les moyens du bord. Bien<br />

modestes dans un établissement comme celui de la Madonuccia, déclara au même moment<br />

le directeur à un journaliste. Par des fluides synchrones propres aux coïncidences<br />

significatives, une directrice pleurait la mort de plusieurs des résidents de l’établissement<br />

qu’elle dirigeait « Les gens meurent seuls. C’est inhumain. Il n’y a plus d’humanité.<br />

L’épidémie nous condamne à nier l’humain », criait-elle bouleversée à une enquêtrice d’un<br />

grand quotidien national. <strong>Houellebecq</strong>, bien silencieux, gardait la bouche ouverte, le tuyau<br />

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