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Mon confinement avec Michel Houellebecq

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femmes, puissent encore avoir une vie sexuelle décente. <strong>Houellebecq</strong> soupira et comme il<br />

ne pouvait pas trop s’attarder dans les couloirs, se dirigea tranquillement vers notre<br />

chambre. Et c’est là qu’il ne me trouva pas. Il ne s’attendait pas à ça : mon lit venait d’être<br />

emmené en son absence. Je ne lui avais rien dit mais la nuit fut pour moi des plus<br />

éprouvantes. J’ai eu de la fièvre sur le coup d’une heure du matin ; je transpirais tellement<br />

j’avais chaud et puis je tremblais, tellement j’avais froid. Ma tête me faisait mal. J’aurais<br />

peut-être dû appeler une infirmière de nuit mais je n’ai pas osé déranger. La nouvelle,<br />

d’après ce que j’en sais, se propagea dans toutes les chambres et si les résidents avaient<br />

jusqu’à cette heure fait preuve de calme voire même d’un certain courage, une peur<br />

panique balaya d’un seul coup tous les efforts des personnels. Les résidents qui avaient de la<br />

famille quelque part en Corse ou ailleurs, explosèrent leur forfait pour les avertir que cette<br />

fois, les choses sérieuses commençaient. Le médecin coordonnateur ne se montra pas plus<br />

inquiet mais annonça tout de suite aux autorités sanitaires compétentes, que le premier cas<br />

de contagion venait d’être enregistré à la Madonuccia. Je pus bénéficier à nouveau d’une<br />

chambre individuelle équipée d’un moniteur cardiaque pour contrôler mes constantes, fus<br />

placé sous oxygène et sous perfusion mais j’étais conscient pour l’instant. Ce qui m’effrayait<br />

le plus, c’était de fermer les yeux parce ce que, comme on dit… Dans ces cas-là, c’est chacun<br />

pour soi ; on pense à sauver sa peau et c’est une réaction humaine et on ne peut pas en<br />

vouloir aux autres pour cela… Bon…<br />

Une dizaine de jours ont passé et en dépit des plus grandes craintes du personnel<br />

soignant, j’étais encore parmi les vivants. Pas très solide, c’est vrai, mais j’entends le son<br />

régulier de mon rythme cardiaque sortir du moniteur et c’est pas pour me vanter, mais c’est<br />

quand même bon signe. Et puis, comme c’est étrange, je n’en suis pas certain, mais on dirait<br />

aussi le son d’une voix… Bah… Je crois aussi distinguer la lumière du jour et ça aussi, c’est<br />

bon signe. Aucun des résidents ne s’était résigné à mourir, pas même notre doyen qui était<br />

devenu en mon absence, une véritable star. La presse nationale, et même internationale,<br />

s’est emparé de la nouvelle : l’ancien muletier du village d’Olmetu venait de fêter ses cent<br />

ans en pleine pandémie. Il était plus qu’une célébrité, il s’était hissé au rang des super-héros.<br />

Pas un seul pensionnaire n’avait abdiqué, poussé par un désir de vivre qui ne faiblissait pas,<br />

et je ne voulais pas être le mauvais élève de la classe. J’ai ouvert les yeux alors que le soleil<br />

baignait la pièce de sa beauté et de sa douceur. Au-dessus de moi, ce sont quelques<br />

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