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Le Confiné Libéré 10

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Le « moi » et la politique : comment dépasser l’individualisme et refaire

nation

Nous vous avions entretenu lors du premier numéro du Confiné Libéré sur la notion de bien

commun. Ce numéro étant consacré à la (vaste) question du « moi » il convient de se pencher sur ce

que l’on peut en saisir en politique. Ce n’est pourtant pas à l’ego de tel ou tel personnage politique

que nous allons nous consacrer, mais à la notion d’individualisme. Lieu commun me dira-t-on, que

l’on pointe avec facilité comme un mal, sans pour autant creuser un peu l’analyse. C’est ce que nous

nous proposons de faire ici.

Dans De la Démocratique en Amérique (1835-1840), Tocqueville présente l’individualisme

comme étant une caractéristique fondamentale de la démocratie, mais qui est profondément

ambivalent parce qu’il est porteur de deux phénomènes contradictoires : une dépolitisation de

l’individu, mais aussi un amour de l’indépendance et de la liberté. Selon cette même dichotomie, on

pourrait distinguer un « bon individualisme » et un « mauvais individualisme ». Le premier se

rapproche d’une conception classique de l’individu privilégiant son autonomie morale, sa

responsabilité et sa dignité. Le second est plus libéral et s’apparente à l’égoïsme utilitaire,

l’apothéose du bien-être privé, le culte égoïste du moi, toutes choses qui créent une concurrence

pour la satisfaction de son intérêt particulier, sans considération du bien commun, et même de

l’intérêt général.

Il convient de rappeler à ce propos le rôle important qu’a tenu Nietzsche. Il ouvre en effet un

nouvel âge de l’individualisme, fondé sur le règne de la pure subjectivité, sans possibilité de rapport à

une quelconque objectivité. Nietzsche entend détruire l’idée de réalité objective, nie l’existence d’un

monde intelligible, et procède à la déstructuration du sujet, désormais brisé, éclaté, assujetti – piste

qu’exploitera Freud – aux déterminations irrationnelles de l’inconscient. Soit un relativisme absolu,

pour lequel il n’existe plus de faits mais seulement des interprétations. Ceci, doublé de la valorisation

du « surhomme » capable d’accéder à une sorte de divinité en embrassant sa volonté libre et en

faisant de celle-ci son seul principe d’action, permet désormais à l’individu de concevoir comme

unique horizon de son bonheur la satisfaction de ses désirs individuels, du moment qu’ils ne

constituent pas une nuisance ou un danger apparent, cette restriction tendant même parfois à

disparaître. C’est ce qui permet à Allan Bloom de dire dans L’âme désarmée que l’esprit de la

démocratie est que ne soit refusé à personne ce qui est considéré comme un bien (bien réel ou bien

seulement apparent ? la question est bien peu posée et encore moins débattue). La passion

égalitaire et l’individualisme amènent ainsi les sociétés démocratiques à préférer le principe de

plaisir au principe de réalité. Les innombrables revendications « sociétales » en sont l’illustration la

plus éclatante.

Face à cet individualisme croissant et mortifère à bien des égards, que faire ? Que faire en

politique notamment face à l’explosion de la communauté nationale en une mosaïque de souscommunautés

aux intérêts particuliers, aux modes de vie différents, regroupant des individus qui

partagent une identité ou des intérêts communs, sans considération du bien commun, transcendant

les volontés propres des individus ?

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