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AM 414

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CÔTE D’IVOIRE<br />

LES EXIGENCES<br />

DE DEMAIN<br />

Un portfolio de 12 pages<br />

INTERVIEW<br />

Abd al Malik :<br />

« L’urgence de tisser<br />

des liens »<br />

BUSINESS<br />

Des emplois<br />

pour la jeunesse !<br />

+<br />

ON EN PARLE<br />

20 pages<br />

d’une Afrique<br />

en création<br />

Elon Musk devant<br />

une fusée SpaceX.<br />

ILS SONT AFRICAINS<br />

ET CHANGENT LE MONDE<br />

Avec Elon Musk (sud-africain, milliardaire, défricheur),<br />

Christian Happi (chasseur de virus), Juliana Rotich (créatrice open source),<br />

Roméo Mivekannin (révolutionnaire de l’art), Moncef Slaoui (Monsieur vaccin),<br />

Debora Kayembe (universitaire engagée), Mohamed Abid (chasseur d’étoiles)<br />

et la très universelle Malika Louback (mannequin).<br />

France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />

DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />

Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0<br />

N°<strong>414</strong> - MARS 2021<br />

L 13888 - <strong>414</strong> - F: 4,90 € - RD


GALERIE <strong>AM</strong>ANI<br />

EXPOSITION ART CONTEMPORAIN<br />

ABIDJAN VERNISSAGES<br />

FONDATION DONWAHI<br />

1er avril 2021 2 avril 2021<br />

contemporarybenin.com<br />

contact@contemporarybenin.com


édito<br />

Pendant que les pays riches s’écharpent<br />

pour accéder aux doses vaccinales, pendant que<br />

l’Europe se divise sous l’effet de ses égoïsmes, pendant<br />

que les Chinois et les Russes tentent d’utiliser leurs<br />

technologies vaccinales pour accroître leur influence,<br />

pendant que les États-Unis « mettent le paquet » avec<br />

une offensive à coups de milliards de dollars, l’Afrique<br />

tente de trouver une réponse à la crise du Covid-19.<br />

Avec son milliard et quelques d’habitants<br />

et ses structures de santé précaires, le continent<br />

est en danger, même si l’épidémie semble moins<br />

virulente ici qu’ailleurs. Un danger sanitaire pour les<br />

Africains eux-mêmes, malgré leur jeunesse et leur<br />

apparente résistance. Et vecteur d’un danger plus global<br />

pour « les autres ». Certains, cyniques, pourraient<br />

« penser » une Afrique devenue territoire endémique<br />

du Covid, un peu comme le paludisme, pendant que<br />

le reste du monde s’immunise. Un calcul à très courte<br />

vue. Le monde moderne n’a plus de frontières infranchissables,<br />

et le virus (et ses mutants) peut voyager<br />

quel que soit X… En clair, si le monde veut sortir de la<br />

crise du Covid, il faut que l’Afrique (et les autres pays<br />

pauvres ou émergents) s’en sorte aussi. L’égoïsme des<br />

uns sera une condamnation pour tous. Notre sort est<br />

lié. Début mars, on est pourtant loin du compte : les<br />

trois quarts des vaccinations dans le monde ont été<br />

faites dans 10 pays uniquement, lesquels représentent<br />

à eux seuls 60 % du PIB mondial…<br />

L’Afrique est en danger aussi parce qu’elle<br />

risque de vivre un long Covid économique et<br />

social. Avant la crise, c’était le continent jeune, en<br />

pleine croissance, en progrès, avec une vision optimiste,<br />

positive de l’avenir, pendant que le monde occidental<br />

se déprimait dans un vieillissement des âges,<br />

des mentalités, des ambitions… Aujourd’hui, un an<br />

après, les données ont radicalement changé. Malgré<br />

le bazar et les égoïsmes, les pays riches vaccinent. Les<br />

variants compliquent tout, mais les perspectives d’immunité<br />

collective à fin 2021 deviennent raisonnables.<br />

PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />

L’AFRIQUE FACE À L’URGENCE<br />

Ces pays ont les moyens de redémarrer rapidement<br />

leur économie. Et de dépenser des centaines de milliards<br />

d’euros pour soutenir leurs secteurs productifs.<br />

Selon différentes études, l’Afrique, elle,<br />

devrait « attendre » jusqu’en 2024 avant de pouvoir<br />

bénéficier d’une forme d’immunité collective. Une<br />

éternité… Malgré leurs résiliences, les économies et<br />

les sociétés du continent seront durablement impactées.<br />

Coupées du monde tout d’abord, avec une<br />

limitation drastique des échanges et du tourisme.<br />

Quatre ans sans suffisamment de moyens budgétaires<br />

pour amortir le choc et opérer la relance. Une<br />

croissance quasi nulle, qui aurait un effet immédiatement<br />

appauvrissant, compte tenu de la démographie.<br />

Enfin, les coûts à moyen terme pourraient être<br />

dramatiques. On pense en particulier à la déstructuration<br />

du secteur scolaire, à la formation des jeunes.<br />

Et au recul sur les autres enjeux de santé collective.<br />

En tout état de cause, l’Afrique a besoin de 1,5 milliard<br />

de doses pour mener la lutte contre la pandémie.<br />

Elle doit pouvoir compter sur ses alliés, ses amis et sur<br />

le mécanisme Covax, tentative assez stupéfiante et<br />

encourageante de solidarité mondiale menée par<br />

l’OMS et l’ONG Gavi.<br />

L’Afrique a besoin des autres, mais l’histoire<br />

lui a aussi appris à compter sur elle-même. Elle doit<br />

mobiliser les peuples, renforcer la lutte quotidienne et<br />

les mesures de protection collective, elle doit mobiliser<br />

ses ressources, attirer les investisseurs, montrer<br />

l’exemple en assurant une solidarité entre nations<br />

plus riches et nations plus fragiles. L’Afrique peut aussi<br />

apporter au monde son expérience des épidémies<br />

et des virus. Elle doit enfin, au-delà du pic de la crise<br />

actuelle, s’émanciper, construire progressivement son<br />

indépendance médicale et pharmaceutique.<br />

C’est le sens de l’idéogramme chinois du<br />

mot « crise ». Il se compose de deux caractères. L’un<br />

signifie « danger », l’autre « opportunité », le moment<br />

à saisir. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 3


France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA – Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />

DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 € – Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />

Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0<br />

<strong>AM</strong> <strong>414</strong> COUV UNIQUE.indd 1 04/03/2021 22:30<br />

N°<strong>414</strong> MARS 2021<br />

3 ÉDITO<br />

L’Afrique face à l’urgence<br />

par Zyad Limam<br />

6 ON EN PARLE<br />

C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE,<br />

DE LA MODE ET DU DESIGN<br />

Ikoqwe, duo de choc<br />

26 PARCOURS<br />

Nyaba Leon Ouedraogo<br />

par Fouzia Marouf<br />

29 C’EST COMMENT ?<br />

Test or not test ?<br />

par Emmanuelle Pontié<br />

90 VINGT QUESTIONS À…<br />

Céline Banza<br />

par Astrid Krivian<br />

TEMPS FORTS<br />

À L’AVANT-GARDE !<br />

32 Elon Musk : L’homme qui voulait<br />

sauver le monde (et être riche)<br />

par Cédric Gouverneur<br />

40 Moncef Slaoui : Le tsar des vaccins<br />

par Cédric Gouverneur<br />

42 Malika Louback : Djibouti style !<br />

par Zyad Limam<br />

44 Christian Happi :<br />

Relocaliser la recherche<br />

par Cédric Gouverneur<br />

46 Mohamed Abid :<br />

Rien n’est impossible<br />

par Frida Dahmani<br />

48 Juliana Rotich :<br />

La pionnière des TIC en Afrique<br />

par Emmanuelle Pontié<br />

50 Roméo Mivekannin :<br />

Aux sources d’un art royal<br />

par Fouzia Marouf<br />

56 Debora Kayembe :<br />

La rectrice d’Édimbourg<br />

par Emmanuelle Pontié<br />

58 Côte d’Ivoire :<br />

Les exigences de demain<br />

par Zyad Limam<br />

70 Abd al Malik :<br />

« L’urgence de tisser<br />

des liens »<br />

par Fouzia Marouf<br />

P.70<br />

CÔTE D’IVOIRE<br />

LES EXIGENCES<br />

DE DEMAIN<br />

Un portfolio de 12 pages<br />

INTERVIEW<br />

Abd al Malik :<br />

« L’urgence de tisser<br />

des liens »<br />

BUSINESS<br />

Des emplois<br />

pour la jeunesse !<br />

+ ON EN PARLE<br />

20 pages<br />

d’une Afrique<br />

en création<br />

P.06<br />

Elon Musk devant<br />

une fusée SpaceX.<br />

ILS SONT AFRICAINS<br />

ET CHANGENT LE MONDE<br />

Avec Elon Musk (sud-africain, milliardaire, défricheur),<br />

Christian Happi (chasseur de virus), Juliana Rotich (créatrice open source),<br />

Roméo Mivekannin (révolutionnaire de l’art), Moncef Slaoui (Monsieur vaccin),<br />

Debora Kayembe (universitaire engagée), Mohamed Abid (chasseur d’étoiles)<br />

et la très universelle Malika Louback (mannequin).<br />

N°<strong>414</strong> - MARS 2021<br />

L 13888 - <strong>414</strong> - F: 4,90 € - RD<br />

PHOTO DE COUVERTURE : TODD ANDERSON/THE NEW YORK<br />

TIMES-REDUX-REA<br />

Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande<br />

nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps.<br />

Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement<br />

de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com<br />

<strong>AM</strong>ANDA ROUGIER - CATARINA LIMÃO<br />

4 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


FONDÉ EN 1983 (37 e ANNÉE)<br />

31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE<br />

Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />

redaction@afriquemagazine.com<br />

Zyad Limam<br />

DIRECTEUR DE LA PUBLICATION<br />

DIRECTEUR DE LA RÉDACTION<br />

zlimam@afriquemagazine.com<br />

Assisté de Laurence Limousin<br />

llimousin@afriquemagazine.com<br />

RÉDACTION<br />

Emmanuelle Pontié<br />

DIRECTRICE ADJOINTE<br />

DE LA RÉDACTION<br />

epontie@afriquemagazine.com<br />

Isabella Meomartini<br />

DIRECTRICE ARTISTIQUE<br />

imeomartini@afriquemagazine.com<br />

Jessica Binois<br />

PREMIÈRE SECRÉTAIRE<br />

DE RÉDACTION<br />

sr@afriquemagazine.com<br />

Amanda Rougier PHOTO<br />

arougier@afriquemagazine.com<br />

ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO<br />

Jean-Marie Chazeau, Frida Dahmani,<br />

Catherine Faye, Glez, Cédric Gouverneur,<br />

Dominique Jouenne, Astrid Krivian,<br />

Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer,<br />

Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont.<br />

VIVRE MIEUX<br />

Danielle Ben Yahmed<br />

RÉDACTRICE EN CHEF<br />

avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.<br />

VENTES<br />

EXPORT Laurent Boin<br />

TÉL. : (33) 6 87 31 88 65<br />

FRANCE Destination Media<br />

66, rue des Cévennes - 75015 Paris<br />

TÉL. : (33) 1 56 82 12 00<br />

ABONNEMENTS<br />

Com&Com/Afrique Magazine<br />

18-20, av. Édouard-Herriot<br />

92350 Le Plessis-Robinson<br />

Tél. : (33) 1 40 94 22 22<br />

Fax : (33) 1 40 94 22 32<br />

afriquemagazine@cometcom.fr<br />

NABIL ZORKOT - KAY-PARIS FERNANDES/GETTY IMAGES<br />

P.58<br />

BUSINESS<br />

76 Être jeune et sans emploi,<br />

une fatalité ?<br />

80 Ford investit<br />

1 milliard de dollars<br />

en Afrique du Sud<br />

81 Lesieur Cristal<br />

rêve d’Afrique<br />

82 Le modèle éthiopien<br />

fortement fragilisé<br />

84 Afreximbank<br />

sort de l’ombre<br />

85 La dette à nouveau<br />

une source d’inquiétude<br />

par Jean-Michel Meyer<br />

VIVRE MIEUX<br />

86 Être mieux armé<br />

contre le Covid-19<br />

87 Détox : La monodiète<br />

est-elle une bonne idée ?<br />

88 Décoder les anomalies<br />

des ongles<br />

89 Comment combattre<br />

le stress<br />

par Annick Beaucousin<br />

et Julie Gilles<br />

P.42<br />

COMMUNICATION ET PUBLICITÉ<br />

regie@afriquemagazine.com<br />

<strong>AM</strong> International<br />

31, rue Poussin - 75016 Paris<br />

Tél. : (33) 1 53 84 41 81<br />

Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />

AFRIQUE MAGAZINE<br />

EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR<br />

31, rue Poussin - 75016 Paris.<br />

SAS au capital de 768 200 euros.<br />

PRÉSIDENT : Zyad Limam.<br />

Compogravure : Open Graphic<br />

Média, Bagnolet.<br />

Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,<br />

Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.<br />

Commission paritaire : 0224 D 85602.<br />

Dépôt légal : mars 2021.<br />

La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos<br />

reçus. Les indications de marque et les adresses figurant<br />

dans les pages rédactionnelles sont données à titre<br />

d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,<br />

même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique<br />

Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.<br />

© Afrique Magazine 2021.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 5


ON EN PARLE<br />

C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage<br />

Les deux hommes se mettent<br />

en scène dans un duo<br />

fictionnel venant d’une autre<br />

galaxie, Iko et Coqwe.<br />

6 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


MUSIQUE<br />

IKOQWE<br />

DUO DE CHOC<br />

Le DJ et producteur Batida et le rappeur<br />

angolais Ikonoklasta signent un MANIFESTE<br />

SONORE HYBRIDE politique.<br />

CATARINA LIMÃO - DR<br />

IKOQWE, c’est le chef de file de<br />

l’électro portugaise Pedro Coquenão,<br />

alias Batida (né à Huambo, en Angola,<br />

et élevé à Lisbonne), et le rappeur<br />

activiste angolais Luaty Beirão, alias<br />

Ikonoklasta. Amis de longue date,<br />

ils ont déjà collaboré sur deux disques<br />

avant de livrer aujourd’hui l’histoire<br />

d’un duo fictionnel venant d’une autre<br />

galaxie, Coqwe et Iko, qui découvre,<br />

stupéfait, le monde fou dans lequel<br />

nous évoluons. Le tout sur une trame<br />

mariant électro, rap et musiques<br />

traditionnelles<br />

angolaises. Son (beau)<br />

titre ? The Beginning,<br />

the Medium, the End<br />

and the Infinite.<br />

Ici, les deux<br />

personnages réagissent<br />

« en étant politiques,<br />

provocateurs<br />

ou simplement<br />

complètement<br />

stupides », commente<br />

Batida. Ce qui fait la<br />

richesse des chansons.<br />

« En tant qu’artiste,<br />

il est vraiment difficile d’éloigner les<br />

questions sociales de mes propositions,<br />

explique le producteur. Ce n’est pas<br />

que je n’aime pas simplement danser,<br />

rire et célébrer l’amour. Une piste<br />

de danse est déjà une déclaration<br />

énorme à ce que nous avons négligé<br />

au fil des ans, mettant l’accent<br />

sur la performance plutôt que<br />

sur l’expression. Peut-être qu’un jour,<br />

je ne pourrai m’exprimer qu’à travers<br />

les instruments et la danse… Mais<br />

pour l’instant, je continue d’essayer<br />

de raconter quelque chose. » Dont acte<br />

avec son complice Ikonoklasta, qui<br />

a signé une grande partie des paroles,<br />

tandis que lui fouillait dans les archives<br />

de l’International Library of African<br />

Music, y dénichant puis samplant<br />

des sons captés en Angola durant les<br />

années 1950 par l’ethnomusicologue<br />

Hugh Tracey.<br />

Le tout est nourri de featurings<br />

conséquents, de Spoek Mathambo<br />

à Kamicasio, ce qui les « rapproche<br />

le plus d’avoir un groupe parfait » :<br />

« Spoek est un ami depuis nos débuts.<br />

C’est tellement facile de travailler<br />

avec lui. Avec Octa Push, nous avons<br />

pris du temps pour finalement nous<br />

réunir. Et concernant Celeste/Mariposa,<br />

je suis vraiment fier qu’il s’agisse<br />

de son premier enregistrement.<br />

Au-delà des collaborations, ma relation<br />

avec Ikonoklasta est précieuse :<br />

c’est comme travailler avec son frère<br />

ou son ami d’enfance… » Ensemble,<br />

ils rendent hommage non seulement<br />

aux possibilités de la planète, mais<br />

aussi aux trésors cachés de la culture<br />

angolaise. ■ Sophie Rosemont<br />

BATIDA APRESENTA IKOQWE,<br />

The Begining, the Medium, the End<br />

and the Infinite, Crammed Discs.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 7


ON EN PARLE<br />

Dans Kanawa, elle chante<br />

l’amour, la tolérance,<br />

les traditions.<br />

SOUNDS<br />

À écouter maintenant !<br />

DIDADI<br />

NAHAWA<br />

DOUMBIA<br />

L’HYMNE AU MALI<br />

La CÉLÈBRE CHANTEUSE<br />

s’adresse à la jeunesse<br />

dans son quinzième album.<br />

« NE PARS PAS. » C’est ce que signifie le titre de son nouvel opus,<br />

Kanawa. À qui la Malienne parle-t-elle ? Certainement pas à celui<br />

qu’elle aime : cette féministe dans l’âme a toujours milité pour<br />

les droits de ses sœurs. Non, elle parle aux jeunes de son pays,<br />

déchiré entre une politique exsangue et des attaques terroristes,<br />

où le chômage et la précarité sont indéniables, mais valent<br />

toujours mieux que de se retrouver sous une tente, dans le froid,<br />

dans un pays étranger et hostile. Dans Kanawa, elle chante aussi<br />

l’amour, la tolérance, les traditions et le pouvoir qu’on peut<br />

ressentir en affirmant ses convictions. Pour l’accompagner, des<br />

cordes maliennes, telles le n’goni et le kamale n’goni, des guitares,<br />

des percussions et boîtes à rythmes… Ainsi que sa fille, Doussou<br />

Bagayoko, sur « Adjorobena ». Le tout enregistré par son complice<br />

de toujours, N’gou Bagayoko, qui trouve le juste équilibre<br />

entre sonorités contemporaines et le didadi. ■ S.R.<br />

NAHAWA DOUMBIA, Kanawa, Awesome Tapes From Africa.<br />

❶<br />

Céline Banza<br />

Praefatio, Bomayé MusikAfrica<br />

C’est en français et en<br />

ngbandi que chante cette<br />

jeune artiste congolaise<br />

[lire p. 90], remarquée<br />

depuis quelques saisons<br />

pour la douceur pénétrante de son timbre,<br />

mais aussi la fermeté de son engagement.<br />

Cette ancienne ethnomusicologue cultive<br />

un folk acoustique et mélodique qui permet<br />

de mettre en avant ses textes. Le glaçant<br />

« Sur le pavé », « Legigi No Gbi » ou encore<br />

« Na Mileli » parlent d’un monde qui ne tourne<br />

pas toujours rond, et « Mbi Ndo Yemo » et<br />

« Mbi Gwe » des disparus qui nous manquent.<br />

❷<br />

Gaidaa<br />

Colors Live in NYC, ColorsxStudios<br />

Produite avec la structure<br />

Colors, cette poignée de<br />

chansons enregistrées en live<br />

à New York illustre ce que la<br />

soul peut offrir de plus élégant<br />

et authentique. Élevée aux<br />

Pays-Bas par des parents soudanais amoureux<br />

de leur tradition, la jeune Gaidaa est aussi<br />

bien influencée par Amy Winehouse que par<br />

Jazmine Sullivan et Anderson .Paak, sans<br />

oublier ses origines. Un beau mélange servi<br />

avec une acoustique qui résonne juste.<br />

❸<br />

Dominique Fils-Aimé<br />

Three Little Words, Modulor<br />

Révélée par le télécrochet<br />

canadien La Voix en 2015,<br />

la Montréalaise a sorti<br />

son premier album plutôt<br />

bluesy, Nameless, en 2018.<br />

L’année suivante, elle<br />

remportait le prix Juno de l’album<br />

de jazz vocal avec Stay Tuned! Dans<br />

ce troisième opus, Three Little Words,<br />

Dominique Fils-Aimé explore un territoire<br />

plus soul, parfois titillé par des échos<br />

funk, et dénonce le racisme systémique<br />

américain. D’une grande élégance. ■ S.R.<br />

EDOARDO GENOVA - DR (4)<br />

8 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


EXPO<br />

REGARDS CROISÉS<br />

« COLORS OF ABSTRACTION 2 » retrace la vitalité de l’art contemporain<br />

d’Abidjan à Casablanca, via les travaux de trois artistes phares.<br />

UN TOTEM CONSTELLÉ de tonalités pop, des tabourets<br />

dentelés d’éclats vifs, symboles d’une génération d’artistes<br />

incarnant une néo-esthétique entre l’Afrique et l’Amérique<br />

latine : la 193 Gallery poursuit son tour d’art contemporain<br />

africain avec un nouveau group show, « Colors of<br />

Abstraction 2 ». Cette exposition réunit trois artistes<br />

phares, dont l’Ivoirien Jean Servais Somian, designer et<br />

sculpteur hors pair qui excelle dans l’art du bois, sa matière<br />

de prédilection, en transformant des pirogues en sofas.<br />

La Marocaine Ghizlane Agzenai, elle, sublime la création<br />

de totems colorés et monumentaux, présentés en 3D en<br />

avril dernier via Emerge, projection murale sur l’un des<br />

plus hauts immeubles de Casablanca. Enfin, les œuvres<br />

de la Brésilienne Valentina Canseco évoquent la fameuse<br />

cagette, objet de récupération si présent en Afrique,<br />

que cette artiste ravive au cœur de sa géométrie, son trait<br />

dynamique faisant écho par touches flashy à la veine<br />

urbaine de Ghizlane Agzenai. ■ Fouzia Marouf<br />

« COLORS OF ABSTRACTION 2 », 193 Gallery,<br />

Paris (France), jusqu’au 31 mars (les dates peuvent<br />

évoluer avec l’actualité). 193gallery.com<br />

Les tabourets Dentelle<br />

de Jean Servais.<br />

Matrice 18, de Valentina Canseco.<br />

IDEROSEN - GHIZLANE AGZENAI - VALENTINA CANSECO<br />

Totem Naos,<br />

de Ghizlane<br />

Agzenai.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 9


ON EN PARLE<br />

INTERVIEW<br />

Jimmy Jean-Louis, citoyen du monde<br />

Rendu célèbre grâce à la série américaine Heroes, le comédien<br />

haïtien basé à Hollywood travaille également sur le continent.<br />

À l’affiche du drame nigérian La Convocation, il a en outre<br />

remporté le prix du meilleur acteur aux Africa Movie Academy<br />

Awards pour son rôle dans le thriller burkinabé Desrances.<br />

<strong>AM</strong> : Qu’est-ce qui vous a intéressé dans<br />

Desrances, dont vous êtes aussi coproducteur ?<br />

Jimmy Jean-Louis : J’aime défendre des histoires méconnues,<br />

qui méritent une visibilité internationale. C’est un rôle<br />

complexe. Dans un contexte de guerre civile en Côte d’Ivoire,<br />

mon personnage est pris dans différents engrenages, jusqu’à<br />

plonger dans une certaine folie. Il veut à tout prix avoir<br />

un fils pour perpétuer son nom. Interrogeons-nous :<br />

pourquoi la transmission du nom se fait-elle par le père,<br />

et non par la mère ? Pourquoi les femmes n’ont-elles<br />

pas la place à laquelle elles ont droit dans<br />

la société ? Et puis, ce héros, haïtien comme<br />

moi, est en quête de ses racines. J’ai aussi<br />

beaucoup de questions sans réponse<br />

à ce sujet. Savoir d’où l’on vient est très<br />

important pour mieux se comprendre.<br />

Surtout pour les peuples noirs qui ont<br />

été déracinés pendant une période. Donc<br />

recevoir l’Africa Movie Academy Award<br />

du meilleur acteur au sein d’un continent<br />

de 1,3 milliard d’habitants est d’une<br />

grande importance pour moi. J’appartiens<br />

à l’Afrique. Depuis quinze ans, je vais vers<br />

elle et collabore avec ses talents. Et si je<br />

peux établir un pont entre l’Afrique et les<br />

États-Unis, les Caraïbes, et l’Europe, alors…<br />

Vous trouvez votre équilibre<br />

entre ces trois continents ?<br />

Oui, j’ai tracé ainsi mon chemin. Le septième art va se<br />

diriger vers l’Afrique, inéluctablement. C’est le continent le<br />

moins exploré, on a deux cents ans de cinéma devant nous !<br />

On ne connaît pas ses pays, ses histoires, ses rois et reines, etc.<br />

J’essaie de faire un projet par continent par an. Recommencer<br />

une vie dans un pays inconnu est devenu normal pour<br />

moi. Découvrir des cultures, des gens, des langues est une<br />

expérience excitante. Je m’adapte aux règles du métier,<br />

différentes selon les contrées. J’oublie le fonctionnement<br />

d’un tournage hollywoodien quand je suis au Nigeria.<br />

Quelle est la différence entre un rôle<br />

dans un film et un dans une série ?<br />

La Convocation, de Kunle<br />

Afolayan, est disponible sur Netflix.<br />

Dans un feuilleton, on connaît très vite son personnage,<br />

ça devient une routine. Le pouvoir est entre les mains<br />

des producteurs et des studios, un acteur ne peut pas<br />

changer un mot de son texte. Grâce au succès planétaire<br />

de Heroes, j’ai acquis une notoriété, je recevais des<br />

messages du monde entier. C’est touchant. Au cinéma,<br />

le travail artistique est beaucoup plus profond. On a<br />

le temps et la latitude pour composer son personnage.<br />

On échange avec la réalisatrice ou le réalisateur.<br />

Comment préparez-vous un nouveau projet ?<br />

Et avez-vous une technique de jeu ?<br />

Je n’ai pas de méthode. J’ai été formé<br />

par mon expérience de vie très riche,<br />

qui m’a mené de Haïti à mes galères<br />

parisiennes, de l’Espagne à l’Italie,<br />

de l’Afrique du Sud à l’Angleterre… J’ai<br />

été danseur, je sais comment jouer avec<br />

le corps, la présence, le regard. Le travail<br />

de préparation diffère selon les rôles.<br />

Par exemple, pour incarner le personnage<br />

historique de Toussaint Louverture<br />

dans le téléfilm du même nom, il a fallu<br />

me documenter, lire, échanger avec des<br />

historiens, apprendre à me battre à l’épée,<br />

monter à cheval. Prêter mon visage à<br />

ce général et homme politique haïtien<br />

représentait un enjeu fort pour moi.<br />

Comment fait-on sa place<br />

dans l’univers impitoyable de Hollywood ?<br />

Mon parcours a forgé ma force mentale. Je savais<br />

ce que je pouvais apporter de différent, ça aide à garder<br />

le cap. On commence alors à vous faire confiance,<br />

mais c’est un travail très long. Il faut croire en soi-même,<br />

persévérer. Et ma rencontre avec Nelson Mandela,<br />

à 24 ans, a été déterminante. Nous avons longuement<br />

échangé, notamment sur la révolution haïtienne et ses<br />

artisans, dont il s’est inspiré. Cela m’a donné la foi pour<br />

réaliser mes rêves. Ce n’était pas le refus d’un directeur<br />

de casting ou d’un agent qui allait m’intimider. Plus rien<br />

ne pouvait m’arrêter. ■ Propos recueillis par Astrid Krivian<br />

MOUROT - DR<br />

10 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


COURTESY OF THE ETHICAL FASHION INITIATIVE IN PARTNERSHIP WITH THE EUROPEAN UNION<br />

DESIGN<br />

Margaux<br />

Wong<br />

Des bijoux<br />

zéro déchet<br />

Transformer les MATIÈRES<br />

PREMIÈRES disponibles en<br />

œuvres d’art à porter, c’est la devise<br />

de cette talentueuse designeuse<br />

guyanaise basée au Burundi.<br />

L’<strong>AM</strong>OUR DE LA CRÉATRICE pour les bijoux remonte<br />

à la période où elle vivait en Guyane et composait<br />

ses créations avec tout ce que la forêt amazonienne<br />

avait à offrir. Après avoir suivi son mari au Burundi<br />

il y a onze ans, il lui a fallu trois années pour retrouver<br />

son inspiration : « Je suis partie voir ce que faisaient<br />

les artistes dans la région. C’était intéressant, mais<br />

il y avait énormément de plastique et de produits<br />

chinois. Je voulais absolument utiliser des matériaux<br />

sourcés localement, durables. » Quand elle découvre des<br />

objets en corne de vache, elle a un déclic. Aujourd’hui,<br />

avec l’aide d’une quarantaine d’artisans dans tout<br />

le pays, elle en fait des œuvres d’art à porter, sous<br />

la forme de bijoux, masques, ceintures ou pochettes.<br />

Sa dernière collection, « Glorious », comprend des<br />

créations qui rappellent des armures ou des boucliers<br />

et représentent la capacité des humains à surmonter<br />

les obstacles. Les bagues et les colliers en forme<br />

de feuilles ou racines, en laiton sculpté à la main,<br />

rendent hommage à la nature luxuriante du Burundi<br />

et à ses paysages. Si la crise sanitaire l’a poussée<br />

à repenser son modèle économique, Margaux Wong<br />

bénéficie néanmoins du support de l’Ethical Fashion<br />

Initiative, un programme qui soutient les designers<br />

africains. La marque devrait bientôt débarquer<br />

en Europe et développer de nouveaux bijoux en<br />

or, argent et pierres précieuses (rigoureusement<br />

locales). margauxwong.com ■ Luisa Nannipieri<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 11


ON EN PARLE<br />

COMÉDIERIRE<br />

AVEC SANKARA<br />

Le CHE GUEVARA<br />

AFRICAIN est au cœur d’un<br />

film burkinabé, qui réussit<br />

à jouer avec la mauvaise<br />

conscience politique du pays.<br />

APRÈS LE FILM D’ARCHIVES (Capitaine Thomas<br />

Sankara, du Suisse Christophe Cupelin, 2014),<br />

après l’évocation poétique (Sankara n’est pas<br />

mort, de la Française Lucie Viver, 2019), voici<br />

une fiction 100 % burkinabée, autour de la<br />

célèbre figure africaine de l’anti-impérialisme !<br />

Une comédie qui recourt à quelques archives,<br />

mais aussi à des effets spéciaux drolatiques.<br />

C’est l’histoire d’un cadre supérieur d’une<br />

multinationale qui pille l’or d’un pays imaginaire<br />

(la République d’Afrique de l’Ouest, comme dans<br />

Un président au maquis, précédente production<br />

d’Afrique Films, 2016). Dans sa jeunesse, c’était<br />

pourtant un sankariste convaincu, mais alors<br />

qu’il négocie une promotion, le voilà confronté<br />

au fantôme de l’ancien président burkinabé,<br />

qui vient titiller sa mauvaise conscience sur le<br />

thème de « l’Afrique aux Africains ». Le rythme<br />

n’est pas toujours au rendez-vous, mais<br />

l’interprétation et la qualité de la réalisation<br />

assurent le spectacle et le rire sur un sujet<br />

politique toujours sensible. ■ Jean-Marie Chazeau<br />

SANKARA ET MOI (Burkina Faso), de Laurent<br />

Goussou-Deboise et Hilaire Thiombiano.<br />

Avec Désiré Yaméogo, Claire Tipy.<br />

BANDE DESSINÉE<br />

GUERRIER DE LÉGENDE<br />

INSPIRÉ D’UNE HISTOIRE VRAIE, ce récit raconte la vie de Yussuf,<br />

un jeune homme originaire de la tribu des Makua, au Mozambique.<br />

Enlevé à la fin du XVI e siècle par des trafiquants portugais et réduit<br />

en esclavage, il est racheté par Alessandro Valignano, un jésuite italien,<br />

dont il devient le valet et le garde du corps. Après un périple qui le<br />

conduit dans l’Empire du soleil levant, il voit sa vie basculer lorsqu’un<br />

seigneur de guerre des plus puissants, Oda Nobunaga, fasciné par<br />

sa stature, sa puissance et sa clairvoyance, exige son rachat. Rebaptisé<br />

Kurusan, littéralement « monsieur noir », il gagne rapidement l’amitié<br />

et l’estime de son nouveau maître, qui en fait son homme de confiance<br />

et l’élève au rang prestigieux de samouraï. Le scénario de ce premier<br />

tome est efficace, le dessin précis et convaincant. Très documenté, il nous<br />

plonge dans le Japon de la fin de l’époque Sengoku. ■ Catherine Faye<br />

THIERRY GLORIS ET EMILIANO ZARCONE,<br />

Kurusan, le samouraï noir : tome 1, Yasuke,<br />

Delcourt, 56 pages, 14,95 €.<br />

ROMAN<br />

EN EAUX TROUBLES<br />

ON POURRAIT PRESQUE entendre sa voix.<br />

Posée. Comme si elle prenait le temps de dire. Mot<br />

à mot. De choisir soigneusement la parole exacte.<br />

D’en mesurer toute la portée. Son écriture suit la pensée. Elle inspire.<br />

Elle expire. Dès les premières lignes de cette nouvelle intrigue sombre<br />

et inquiétante, Marie Ndiaye nous aspire, nous prend dans sa toile<br />

et nous englue dans les méandres de relations complexes et furieuses.<br />

Entre thriller et roman social, son douzième récit explore les angles<br />

obscurs d’un triangle infernal : une avocate de seconde classe, une mère<br />

qui a tué ses trois enfants pour se venger de son mari, et ce même mari<br />

que la femme de loi croit avoir rencontré lorsqu’elle avait 10 ans.<br />

Les images troubles de l’enfance télescopent l’horreur de l’infanticide.<br />

La confusion des passions et la puissance de la solitude s’interpénètrent.<br />

De l’autre côté des frontières morales, nous voilà confrontés aux fragilités,<br />

parfois insurmontables, à l’indicible et aux actes ultimes comme<br />

seule délivrance. Une plongée brûlante dans l’âme humaine. ■ C.F.<br />

MARIE NDIAYE, La Vengeance m’appartient,<br />

Gallimard, 240 pages, 19,50 €.<br />

DR<br />

12 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


L’ORDRE DE TUER ?<br />

Un film édifiant sur les coulisses de la mort<br />

du journaliste J<strong>AM</strong>AL KHASHOGGI, démembré dans<br />

l’enceinte du consulat d’Arabie saoudite à Istanbul.<br />

DOCU<br />

DR<br />

LE 2 OCTOBRE 2018, le journaliste saoudien Jamal Khashoggi<br />

entrait dans le consulat de son pays à Istanbul pour ne plus<br />

en ressortir. Dix-huit jours plus tard, Riyad finissait par<br />

reconnaître qu’il avait été tué dans ses locaux diplomatiques,<br />

où il était simplement venu récupérer des papiers pour son<br />

remariage. Détail sordide : son corps avait été démembré pour<br />

le faire disparaître. Une affaire au retentissement mondial,<br />

cachant de lourds secrets : de quoi passionner le réalisateur<br />

américain Bryan Fogel. Son précédent documentaire, Icare<br />

(2017), sur le dopage de sportifs russes, lui avait valu un<br />

Oscar et empêche aujourd’hui Moscou d’envoyer des athlètes<br />

aux prochains Jeux olympiques de Tokyo et de Pékin…<br />

Dans sa nouvelle enquête, il reprend la même forme,<br />

celle du thriller, et les mêmes ingrédients : un lanceur d’alerte<br />

(ici, un jeune opposant saoudien réfugié au Québec), des<br />

documents inédits (fournis par les services secrets turcs, jusqu’à<br />

la bande-son du bruit de la scie à os…) et des témoignages de<br />

première main (dont celui de la fiancée du journaliste, Hatice<br />

Cengiz, venue l’accompagner à la porte du consulat). Mais<br />

c’est aussi une analyse claire et percutante de la mainmise<br />

du prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) sur<br />

la pétromonarchie des Saoud, avec des moyens modernes.<br />

Jamal Khashoggi n’avait pourtant rien d’un opposant radical :<br />

avant d’écrire pour le Washington Post et d’être forcé de<br />

quitter son pays et sa famille, il avait cru en la capacité<br />

d’ouverture du régime, créant même une chaîne d’information<br />

publique… fermée au bout de 24 heures pour avoir donné<br />

la parole à des opposants à l’intervention au Yémen.<br />

Le film démontre également comment le régime a usé<br />

de toute son influence pour lutter contre les Printemps<br />

arabes, et comment il contrôle les opinions de sa population<br />

via Twitter, réseau social auquel huit Saoudiens sur dix<br />

sont abonnés ! Il a même été jusqu’à hacker le téléphone<br />

de Jeff Bezos, le propriétaire du Washington Post et<br />

patron d’Amazon, qui diffuse le film… Contrairement<br />

à Netflix qui n’a pas voulu prendre le risque. ■ J.-M.C.<br />

THE DISSIDENT (États-Unis), de Bryan Fogel.<br />

Disponible sur la plupart des plates-formes de VOD.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 13


ON EN PARLE<br />

JAZZ<br />

ADRIAN<br />

YOUNGE<br />

BLACK<br />

LIVES MATTER<br />

Un OPUS <strong>AM</strong>BITIEUX, engagé<br />

et nécessaire, comme tout ce<br />

qu’entreprend le compositeur<br />

américain depuis quelques années.<br />

EN 1982, UN JEUNE HOMME NOIR, nommé James Mincey Jr.,<br />

est tué par des policiers blancs à Los Angeles. Il fait partie<br />

des disparus auxquels Adrian Younge rend hommage aujourd’hui,<br />

mais pas que… À l’occasion du mois de l’histoire des Noirs<br />

aux États-Unis, le compositeur, producteur et directeur du<br />

label Jazz Is Dead – dont nous suivons de près les parutions,<br />

lesquelles convoquent des figures cultes comme Doug Carn<br />

ou Roy Ayers – propose un album solo et pluridisciplinaire :<br />

The American Negro. « Ce nouveau projet dissèque les mécanismes<br />

cachés d’une forme de racisme aveugle, utilisant la musique<br />

comme un médium capable de restaurer la dignité et l’estime<br />

de soi des Afro-Américains comme moi », déclare-t-il. L’album,<br />

un spoken word raffiné où se croisent jazz et soul, est accompagné<br />

de la sortie d’un court-métrage qui revient sur l’assassinat<br />

de James Mincey Jr. ainsi que d’une série de podcasts. ■ S.R.<br />

ADRIAN YOUNGE, The American Negro, Jazz Is Dead.<br />

JOHNY PITTS,<br />

Afropéens : Carnets<br />

de voyages au cœur<br />

de l’Europe noire,<br />

Massot Éditions,<br />

560 pages,<br />

24,90 €.<br />

PARCOURS<br />

ITINÉRAIRE<br />

D’UN AFROPÉEN<br />

EN QUÊTE de son « afropéanisme »,<br />

l’auteur recueille dans son nouvel<br />

ouvrage les témoignages d’Européens issus<br />

des diasporas africaines. Et tente de comprendre<br />

comment elles composent avec leur identité hybride,<br />

leurs influences plurielles, leur expérience sociale sur<br />

un continent où subsistent racisme, inégalités, injustices.<br />

D’activistes afro-surinamais à Amsterdam à des<br />

étudiants de l’Université russe de l’amitié des peuples<br />

en banlieue de Moscou, en passant par un ancien<br />

militant anti-apartheid près de Stockholm ou un<br />

restaurateur soudanais exilé à Berlin, l’auteur établit<br />

un lien entre le présent et l’histoire. Sur les pas de<br />

l’écrivain jamaïcain Claude McKay à Marseille, il voit<br />

en celle-ci la « Mecque afropéenne », lui donnant<br />

un profond sentiment d’appartenance. Sa démarche<br />

empirique, de connaissance « par la plante des<br />

pieds » pour citer le Suisse Nicolas Bouvier, s’étoffe<br />

d’éléments historiques et convoque des figures<br />

emblématiques (James Baldwin, Frantz Fanon…).<br />

Un ouvrage foisonnant, esquisse d’une vaste mosaïque<br />

multiculturelle, qui témoigne, en dépit des difficultés,<br />

de la créativité et de la résistance de ces Afropéens<br />

qui font bouger les lignes du Vieux continent. ■ A.K.<br />

DR (2) - J<strong>AM</strong>IE STOKER - DR<br />

14 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


FASHION PPS/BESTIMAGE<br />

TENDANCE<br />

Défilé de mode<br />

prêt-à-porter<br />

printemps-été 2021<br />

à Paris,<br />

le 1 er octobre 2020.<br />

HAUTE<br />

COUTURE<br />

BAYADÈRE<br />

À 30 ans, le Nigérian<br />

KENNETH IZE<br />

puise dans<br />

le patrimoine<br />

textile de son pays<br />

d’origine pour<br />

des coupes<br />

contemporaines<br />

de luxe.<br />

IL TRAVAILLE avec de l’aso oke du<br />

Nigeria, une étoffe à larges rayures<br />

multicolores tissée à la main par le<br />

peuple yoruba pour confectionner<br />

les vêtements traditionnels des<br />

grandes occasions, et de la crêpe de<br />

soie brodée d’Autriche. Jugeant que<br />

l’Afrique a « mieux à montrer » que<br />

le wax, le jeune créateur se refuse<br />

à travailler ce tissu inspiré du batik<br />

indonésien, industrialisé en Europe,<br />

puis adopté par le continent, auquel il<br />

est aujourd’hui associé. Pour Kenneth<br />

Ize, le luxe signifie « quelque chose<br />

qui est fait avec soin ». Tout commence<br />

par la fabrication : « Quand je fabrique<br />

mon propre tissu, c’est là que la magie<br />

opère. » En se concentrant sur la<br />

réinterprétation de l’artisanat nigérian,<br />

il a su créer un univers original dans<br />

le monde de la haute couture. Ses<br />

coupes audacieuses ont déjà conquis<br />

Beyoncé, Naomi Campbell, Donald<br />

Glover, Adwoa Aboah ou encore Imaan<br />

Hammam, la première à s’élancer, il y a<br />

un an, avec une minijupe matelassée<br />

à rayures et une veste à fermeture<br />

éclair au col en entonnoir, lors de son<br />

très remarqué défilé parisien, durant<br />

la Fashion Week. Né à Lagos et diplômé<br />

de l’université des arts appliqués de<br />

Vienne, Kenneth Ize sait ce qu’il veut.<br />

Finaliste en 2019 du prestigieux prix<br />

LVMH pour les jeunes créateurs de<br />

mode, il est désormais basé dans sa<br />

ville natale, où il choisit ses couleurs<br />

et ses fils sur les marchés. Une palette<br />

foisonnante et joyeuse. Mais l’homme<br />

partage aussi son temps entre Vienne,<br />

Paris et l’Italie. Là où il peut enfin<br />

faire connaître au monde entier ses<br />

collections bigarrées. Zébrées d’une<br />

infinité de lignes. kennethize.net ■ C.F.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 15


ON EN PARLE<br />

JOEBOY<br />

AFROBEAT<br />

Une légende<br />

en marche<br />

Plus de 500 millions de streams à ce jour, et ce n’est pas fini…<br />

Ce NIGÉRIAN DE 23 ANS débarque en force sur la scène<br />

pop internationale avec son premier album, Somewhere<br />

Between Beauty & Magic.<br />

<strong>AM</strong> : Pour commencer,<br />

comment allez-vous ?<br />

Joeboy : À merveille. Mon album vient<br />

de sortir, la réception correspond à tout<br />

ce que je pouvais rêver… J’habite entre<br />

Londres et Lagos, mais en ce moment<br />

même, je me trouve au Nigeria où,<br />

heureusement, nous sommes moins<br />

touchés par le coronavirus qu’en Europe.<br />

Nous prenons beaucoup de précautions<br />

afin de ne pas nous retrouver confinés…<br />

Et c’est ici que vous avez plongé,<br />

très tôt, dans le bain de la musique ?<br />

Oui, mon père était claviériste<br />

à l’église, ma sœur chantait dans une<br />

chorale, et mon grand frère jouait de<br />

la guitare, notamment avec I.D. Cabasa.<br />

Parfois, après l’école, je les rejoignais<br />

en studio. J’ai commencé à écrire et<br />

à chanter vers l’âge de 15 ans, et c’est<br />

en étant repéré par Mr Eazi, en 2017,<br />

que tout a changé. Il m’a introduit<br />

et protégé dans cette jungle qu’est<br />

l’industrie de la musique.<br />

Somewhere Between Beauty & Magic<br />

fait le grand écart entre l’électro-pop<br />

européenne et l’afrobeat. En quoi<br />

est-ce important de cultiver<br />

ce mélange des genres ?<br />

La beauté de la musique,<br />

c’est de brasser large, de proposer<br />

les alliances les plus improbables, et<br />

néanmoins efficaces, autour de sujets<br />

fédérateurs comme l’amour, de proposer<br />

des sentiments, une performance, un état<br />

d’esprit. J’écoute énormément d’artistes<br />

de pays différents, du Portugal à la<br />

France, en passant par l’Amérique latine<br />

et le Royaume-Uni… Cependant, Lagos<br />

reste ma source. C’est là où j’ai grandi,<br />

découvert le pouvoir de la musique,<br />

où l’on me manifeste<br />

beaucoup de soutien et<br />

d’amour depuis le début de<br />

ma carrière. Grâce à Internet<br />

et aux réseaux sociaux,<br />

le monde a compris à quel<br />

point notre scène est riche,<br />

vibrante, accueillante, que<br />

des Fireboy et des Omah Lay<br />

comptent. C’est à Lagos que<br />

se trouvent toutes les racines<br />

de mon album.<br />

Est-ce pour cette raison<br />

que vous avez choisi<br />

de faire appel à un producteur<br />

différent pour chaque chanson,<br />

dont des pointures de l’afrobeat<br />

comme E Kelly, Killertunes ou Dëra ?<br />

Oui, car j’aime travailler avec<br />

des personnes diverses pour conférer<br />

un maximum de texture à mes textes,<br />

d’autant que je suis le seul chanteur<br />

de l’album, il n’y a pas de featurings…<br />

Il y a déjà assez à faire avec toutes<br />

les émotions qui me traversent.<br />

C’est votre côté Gémeaux,<br />

vous qui êtes né un 21 mai ?<br />

Oui, je suis une personne<br />

ambivalente, qui peut connaître<br />

des très hauts et des très bas, être<br />

euphorique et surexcitée, puis très<br />

calme quelques heures<br />

plus tard… Mais sans<br />

perdre de vue mon<br />

objectif : compter dans<br />

le paysage de la pop<br />

culture internationale.<br />

Que le nom de Joeboy<br />

efface la négativité<br />

et l’anxiété du monde.<br />

JOEBOY,<br />

Somewhere Between<br />

Beauty & Magic,<br />

emPawa<br />

Africa/Because Music.<br />

Surtout en ce moment,<br />

il faut se réapproprier<br />

le bonheur que peut<br />

apporter la musique.<br />

Quel est l’artiste actuel<br />

avec qui vous aimeriez faire un duo ?<br />

Aya Nakamura. Je suis son plus<br />

grand fan ! Je veux qu’elle sache que<br />

j’adore sa voix, son univers, et que l’on<br />

pourrait partager un grand moment<br />

ensemble… ■ Propos recueillis par<br />

Sophie Rosemont<br />

DR<br />

16 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


DR<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 17


ON EN PARLE<br />

ART<br />

HORS CADRE<br />

Une exposition où les silhouettes<br />

monumentales de MAHI BINEBINE<br />

se débattent pour exister.<br />

Comme un appel d’air.<br />

L’HUMAIN EST AU CENTRE DE SON ŒUVRE. Qu’il peigne,<br />

sculpte, écrive ou s’implique dans des actions sociales, cet<br />

artiste total fragmente, dilue et libère l’individu. Le désir, les<br />

tourments, les énigmes l’inspirent. La vie l’aspire. Ses personnages<br />

s’entremêlent, s’interrogent. Parfois fusionnent. Le monde devenant<br />

un prolongement organique, un être à part entière. Au cœur<br />

de cette quête d’identités multiples, de délivrance aussi, il explore<br />

la condition humaine, dénonce, cherche à comprendre, à réparer.<br />

La beauté émotionnelle de ses productions est immédiate. Pour<br />

ce plasticien à la joie de vivre communicative, l’art et la mémoire<br />

sont indissociables. La création atemporelle. Ses œuvres ont rejoint<br />

la collection permanente du musée Guggenheim de New York, de<br />

l’Institut du monde arabe, et de nombreuses galeries et collections<br />

privées. Quatre-vingt d’entre elles sont exposées dans le nouveau<br />

centre d’art contemporain marrakchi. Une ode à la liberté. ■ C.F.<br />

« HORIZON OBLIQUE »,<br />

Comptoir<br />

des Mines Galerie,<br />

Marrakech (Maroc),<br />

jusqu’au 30 mars 2021<br />

(les dates peuvent<br />

évoluer avec l’actualité).<br />

comptoirdesminesgalerie.com<br />

DR<br />

18 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


LITTÉRATURE<br />

BEYROUK<br />

LE FIL DE L’HORIZON<br />

DR<br />

Un drame intime qui est<br />

aussi le DR<strong>AM</strong>E DE TOUT<br />

UN PAYS. La confrontation<br />

entre deux civilisations.<br />

Entre deux mondes.<br />

« JE VEUX effacer de ma mémoire le reste, annihiler<br />

ce qui fait souffrir, ne retenir que ces images édéniques<br />

où tu t’accrochais à moi, ivre sur les plages du bonheur. »<br />

Le dernier livre de Beyrouk est un récit à deux voix, qui va<br />

et qui vient, entre l’amour contrarié d’un père et l’égarement<br />

de son jeune fils. Deux monologues qui se répondent sans<br />

le savoir. Et au cœur desquels se joue une tragédie humaine<br />

et sociale, que le désir fou du premier pour la mère du second<br />

n’a pu absoudre. Car la femme qui relie ces deux êtres<br />

incarne ce que l’un et l’autre ne<br />

seront jamais : des citadins nantis,<br />

issus d’une lignée privilégiée.<br />

Le père demeure le descendant<br />

d’une tribu bédouine, un homme<br />

du désert. Le fils, hybride, est<br />

un errant à l’identité fluctuante,<br />

enfant des faubourgs misérables<br />

de Nouakchott. Aimer l’impossible<br />

est-il un crime ? Que reste-t-il<br />

lorsque l’évidence, les injustices,<br />

le mensonge détruisent les<br />

passions et l’espoir ? Et que s’est-il<br />

passé pour que ce père ait été jeté BEYROUK, Parias,<br />

en prison ? L’auteur du Tambour Sabine Wespieser éditeur,<br />

des larmes (prix Ahmadou<br />

184 pages, 18 €.<br />

Kourouma 2016) et du troublant<br />

Je suis seul explore une nouvelle fois les contradictions<br />

d’une Mauritanie complexe, où l’hérédité et le poids du<br />

passé imprègnent invariablement les rapports sociaux. Où<br />

la tradition et la modernité se télescopent dans un pays de<br />

sable, fleuri ici et là de concentrations urbaines grouillantes.<br />

De cette confusion émergent l’exclusion, l’enfermement,<br />

la solitude. Des thèmes chers à Beyrouk. Car c’est peut-être<br />

là, au plus profond de la claustration, que naît la pensée.<br />

Les deux personnages de son roman sont des parias.<br />

Leur introspection révèle une société en pleine mutation.<br />

Chante un amour familial, même désespéré. Conseiller<br />

culturel à la présidence de son pays et défenseur acharné<br />

de la liberté de la presse et d’opinion, Beyrouk est né dans<br />

une tribu dont l’espace de nomadisme et de commerce<br />

allait du sud du Maroc à Tombouctou, au Mali. Il n’a de<br />

cesse d’interroger les habitudes ancestrales bédouines,<br />

le déterminisme, le rapport entre les hommes et les femmes,<br />

le silence des dunes, l’envie d’un ailleurs. Un adage nomade<br />

dit : « L’horizon est ma demeure. » Il préfigure la parution<br />

concomitante d’un autre récit poignant de l’auteur, aux<br />

éditions Elyzad, en Tunisie : Le Silence des horizons. ■ C.F.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 19


ON EN PARLE<br />

MODE<br />

LE PAGNE GUINÉEN<br />

DE SITA INDIGO<br />

Cette jeune marque de prêt-à-porter<br />

propose des pièces basiques et<br />

essentielles qui mettent en valeur<br />

ce TISSU TRADITIONNEL.<br />

Ci-contre, la créatrice<br />

Nasita Fofana.<br />

RIEN DANS LA VIE ne prédestinait Nasita Fofana à évoluer<br />

professionnellement dans la mode, sauf un rêve d’enfant.<br />

Née en France de parents guinéens, elle passe par Sciences Po,<br />

puis suit un master en droit des affaires, et devient consultante<br />

en stratégie pour un cabinet parisien. C’est dans le cadre<br />

de cette activité qu’elle remet les pieds en Guinée, où elle<br />

s’est déjà rendue quelques fois pour tourisme. Elle commence<br />

alors à s’impliquer dans la vie locale, et son travail auprès<br />

du gouvernement la sensibilise à la nécessité de créer de<br />

nouvelles occasions d’emploi dans le pays. Alors qu’elle tombe<br />

sur un artisan qui vend du pagne indigo sur le marché, elle est<br />

frappée par le potentiel de ce tissu ancestral et authentique<br />

et, en quelques mois, décide de lancer son entreprise.<br />

La marque Sita Indigo voit ainsi le jour en mars 2019 et<br />

compte déjà deux collections de pièces basiques et modernes<br />

qui revisitent ce pagne, tissé et teint dans des coopératives<br />

artisanales guinéennes. Chaque région, chaque artisan,<br />

a sa spécialité : que ce soit tisser, dessiner et attacher<br />

les motifs au tissu, ou bien le teindre avec une formule secrète,<br />

transmise de génération en génération. Obtenue grâce à<br />

la fermentation des feuilles d’indigotier, cette teinture bleu<br />

violacé ne pollue pas les sols, préserve la santé des teinturiers<br />

et ne consomme que très peu d’eau et d’énergie.<br />

En plus de veiller attentivement au processus de production,<br />

fondamental pour revaloriser un tissu souvent décrié et<br />

sous-estimé, la designeuse cherche constamment à améliorer<br />

la qualité de fabrication de ses tops, robes ou pantalons. Elle<br />

envisage pour cela de délocaliser dans des usines modernes<br />

du Maghreb ses ateliers de confection de Dakar. L’objectif est de<br />

pouvoir produire en série des pièces qui se portent au quotidien.<br />

Des modèles dernière tendance où le vrai protagoniste, ce qui<br />

en fait l’originalité, est toujours le pagne tissé. Même dans<br />

sa version lépi blanc (non teint), où l’indigo foncé est utilisé<br />

pour les motifs ou les rayures. sitaindigo.com ■ L.N.<br />

DR<br />

20 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


LÉGENDES<br />

ASTRES DIVINS<br />

Un hommage poignant<br />

aux DIVAS DE L’ÂGE<br />

D’OR de la chanson<br />

et du cinéma arabes.<br />

ELLES ONT VENDU des centaines de millions<br />

de disques, réuni des millions de spectateurs,<br />

tourné pour les plus grands. D’Oum Kalthoum<br />

à Warda al-Jazairia, d’Asmahan à Fayrouz,<br />

de Leila Mourad à Samia Gamal, en passant<br />

par Souad Hosni ou Sabah, sans oublier la toute<br />

jeune Dalida, ces chanteuses et actrices de<br />

légende symbolisent une véritable révolution<br />

artistique. Et plus encore un basculement<br />

sociétal en incarnant une nouvelle image<br />

des femmes. L’exposition met ainsi en lumière,<br />

à travers ces divas intemporelles, puissantes<br />

et adulées, l’histoire sociale des femmes<br />

arabes, la naissance du féminisme au sein<br />

de sociétés patriarcales, et leur participation<br />

au panarabisme et aux luttes d’indépendance.<br />

Le voyage que propose l’Institut du monde<br />

arabe est un concentré de trésors visuels<br />

et sonores : extraits de films ou de concerts<br />

mythiques, photographies et enregistrements<br />

inédits, affiches, robes de scène somptueuses,<br />

objets personnels ou encore interviews rares.<br />

L’exposition, qui rend hommage à ces divas à la<br />

voix d’or, aux productions cinématographiques<br />

de Nilwood (l’âge d’or égyptien), sans oublier<br />

les artistes d’aujourd’hui, est éblouissante. ■ C.F.<br />

« DIVAS : D’OUM KALTHOUM À DALIDA »,<br />

Institut du monde arabe, Paris (France),<br />

jusqu’au 25 juillet (les dates peuvent<br />

évoluer avec l’actualité). imarabe.org<br />

Oum Kalthoum<br />

à Rabat,<br />

en 1968,<br />

photographié<br />

par Farouk<br />

Ibrahim.<br />

Affiche du film libanais La Fille de Gardien (Bint al-harass),<br />

réalisé par Henry Barakat, avec Fayrouz, en 1968.<br />

IMA - DR - ABBOUDI BOU JAWDE<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 21


ON EN PARLE<br />

SPOTS<br />

À LILLE ET LYON,<br />

LA CUISINE AFRO<br />

EST MÉTISSÉE<br />

Avec la crise sanitaire,<br />

les restaurants se RÉINVENTENT,<br />

misant sur des menus<br />

gastronomiques qui mélangent<br />

saveurs du continent et d’ailleurs.<br />

LES DEUX FRÈRES d’origine<br />

camerounaise Tonton Freddy et<br />

Tonton Gaudrey ont récemment<br />

ouvert un nouveau restaurant à<br />

Lille : Les Tontons Afro. Si leur<br />

premier coup d’essai, l’éphémère<br />

Burger Afro, avait eu un franc<br />

succès, cette table pousse plus<br />

loin le concept de cuisine afro<br />

métissée. Crise sanitaire oblige,<br />

l’incontournable Mafé burger et<br />

les Jerk Chicken Wings, des ailes<br />

Ci-dessus et ci-contre,<br />

Les Tontons Afro proposent<br />

du click and collect à Lille.<br />

de poulet marinées dans un mélange d’épices jamaïcaines,<br />

ont laissé la place à des menus thématiques à retrouver tous<br />

les week-ends en click and collect. Après la Saint-Valentin et<br />

l’afro-brunch, les deux frérots concoctent d’autres surprises,<br />

à découvrir sur leurs réseaux sociaux !<br />

Plus au sud, à Lyon, c’est le chef Mathieu Filidori<br />

qui pousse le renouveau afro-culinaire avec son Cocody<br />

FoodSide. Un concept innovant, développé par ce jeune<br />

cuisinier d’origines ivoirienne, bretonne, corse et sarde,<br />

adepte de la cuisine de feeling : il prépare ses menus<br />

Ci-dessus, le chef<br />

Mathieu Filidori<br />

livre les repas de<br />

son établissement<br />

lyonnais, Cocody<br />

FoodSide, avec<br />

son side-car.<br />

découverte (un différent chaque semaine) dans son labo<br />

à domicile, avant de les livrer tous chauds avec son side-car.<br />

Tout, du suprême de volaille fumée au Konro, accompagné<br />

d’une purée de patates douces à la vanille de Madagascar,<br />

au carpaccio d’ananas à la passion épicée, est cuisiné<br />

avec des ingrédients de qualité et dressé pour étonner les<br />

clients. Étant donné le soin qu’il met à préparer chaque plat,<br />

le service se réserve la veille pour le lendemain. ■ L.N.<br />

lestontonsafro.fr / cocody-foodside.fr<br />

CROWDFUNDING<br />

Ensemble pour le cinéma africain<br />

AU PAYS DE DJIBRIL DIOP M<strong>AM</strong>BÉTY, un collectif mené par le cinéaste franco-sénégalais<br />

Alain Gomis donne un nouvel élan à l’industrie et à la création audiovisuelle du continent.<br />

Le Centre Yennenga propose ainsi des formations en postproduction, soit tout ce qui se<br />

fait après le tournage (montage, étalonnage – le travail sur la couleur –, mixage audio…),<br />

encore très coûteuse car souvent réalisée en Europe. C’est aussi un lieu de rencontres et<br />

de diffusion. Déjà financé à 90 % (Fonds de promotion de l’industrie cinématographique<br />

et audiovisuelle, ville de Dakar, Agence française du développement…), il a néanmoins<br />

besoin de dons et a donc lancé en ligne une campagne de crowdfunding jusqu’au<br />

31 mars. À noter qu’une première promotion est attendue dès cette année. ■ J.-M.C.<br />

LE CENTRE YENNENGA, Dakar (Sénégal). Financement participatif sur fiatope.com.<br />

DR<br />

22 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


La structure est enveloppée<br />

par une maille continue blanche,<br />

inspirée par les moucharabiehs.<br />

ARCHI<br />

DR<br />

OMAR KOBBITÉ<br />

REVISITE LA GARE<br />

DE KÉNITRA<br />

Le Marocain a livré un bâtiment qui fait office<br />

de nouveau POINT DE REPÈRE dans la ville.<br />

KÉNITRA ACCUEILLE l’une des<br />

cinq nouvelles gares TGV de la<br />

première ligne à grande vitesse du<br />

Maroc (et d’Afrique). Sa réalisation<br />

a été confiée à l’architecte originaire<br />

de Fès, Omar Kobbité, qui, avec<br />

Silvio d’Ascia, a voulu en faire un<br />

bâtiment remarquable, redessinant<br />

la ville. Véritable « pont habité »,<br />

la gare chamboule les conventions<br />

qui veulent que le chemin de fer soit<br />

une ligne de démarcation du tissu<br />

urbain. La structure, en forme de L,<br />

comprend une passerelle aérienne<br />

chevauchant les voies ferrées<br />

et devient une artère passante<br />

bordée de boutiques. Dotés<br />

d’un double accès, les commerces<br />

séparent les espaces publics de<br />

ceux dédiés aux voyageurs.<br />

La gare est enveloppée<br />

par une maille continue blanche,<br />

inspirée par les moucharabiehs,<br />

qui est à la fois structure,<br />

couverture, filtre solaire et élément<br />

emblématique du bâtiment. Parfois<br />

pleines, parfois habillées de cellules<br />

photovoltaïques, parfois évidées, les<br />

ouvertures triangulaires éclairent<br />

l’intérieur et projettent leur ombre<br />

à l’extérieur, en laissant entrer<br />

dans le grand hall et ses patios<br />

une brise rafraîchissante. La façade<br />

est aussi animée par de grandes<br />

arches à géométrie variable,<br />

lesquelles sont comme des portes<br />

ouvertes sur la ville historique,<br />

au nord, et invitent à rejoindre<br />

le nouveau campus universitaire<br />

et la forêt, au sud. ■ L.N.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 23


ON EN PARLE<br />

LES SEYCHELLES,<br />

VÉRITABLE PARADIS<br />

ACCESSIBLE<br />

TOURISME<br />

Alors qu’il est le premier pays à accueillir les VOYAGEURS<br />

VACCINÉS contre le Covid-19, l’archipel s’apprête à enlever<br />

toutes les restrictions aux frontières.<br />

RELANCER LE TOURISME est un défi majeur pour nombre<br />

de pays, comme les Seychelles, où le secteur est prépondérant<br />

dans l’économie locale. C’est pourquoi l’archipel a été<br />

le premier pays à ouvrir ses frontières à toute personne<br />

ayant été vaccinée contre le Covid-19, peu importe sa<br />

provenance, dès fin janvier. Entre-temps, le gouvernement<br />

a lancé une campagne de vaccination, qui devrait permettre<br />

d’immuniser la majorité de la population adulte avant la<br />

mi-mars. À partir de cette date, les Seychelles entameront<br />

alors la deuxième phase de leur plan de relance. Fini les<br />

restrictions à l’arrivée, il suffira de présenter un test PCR de<br />

moins de 72 heures pour pouvoir mettre les pieds sur le sable<br />

fin des 115 îles de ce coin paradisiaque de l’océan Indien.<br />

Véritables joyaux, les Seychelles sont une destination<br />

magique, capable de charmer tous les touristes, même les<br />

plus exigeants : resorts de luxe sur des îles privées ou guests<br />

house pour voyager autrement, plages blanches à perte de<br />

vue et atolls où se prélasser pour se détendre, ou encore parcs<br />

naturels marins et forêts quasiment intactes, pour y croiser<br />

des poissons tropicaux et autres animaux dans leur habitat<br />

naturel. Comme sur la petite île Curieuse, où des centaines<br />

de tortues géantes se déplacent librement. Mais on peut aussi<br />

choisir d’arpenter les sentiers de randonnée ou de tester, en<br />

solo ou en compagnie, un large éventail de sports nautiques.<br />

Parmi les endroits les plus célèbres du pays, on peut<br />

citer la plage Anse Source d’Argent, sur l’île de La Digue :<br />

parsemée d’impressionnantes roches granitiques, elle<br />

baigne dans des eaux limpides et peu profondes qui invitent<br />

à la détente. Autre étape incontournable, l’île de Praslin,<br />

où l’on peut admirer le coucher du soleil sur la mer et<br />

découvrir la Vallée de Mai, une réserve naturelle inscrite<br />

au patrimoine mondial de l’humanité par l’UNESCO.<br />

Enfin, pour une approche insolite et découvrir<br />

les criques secrètes de l’archipel, l’idéal est de réserver<br />

une excursion en bateau. C’est l’occasion, à ne pas<br />

rater, de se laisser bercer par les courants dans une<br />

intimité totale, avant de revenir sur terre pour déguster<br />

les savoureuses spécialités créoles locales. ■ L.N.<br />

SHUTTERSTOCK<br />

24 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


La plage de Grand<br />

Anse, au sud de l’île<br />

de La Digue.<br />

LES BONNES ADRESSES<br />

L’Escale Resort Marina & Spa, à Victoria, sur l’île de Mahé : l’une<br />

des nouvelles adresses luxueuses de l’île, entre mer et montagne.<br />

Le marché Sir Selwyn Selwyn Clarke, à Victoria : un vrai bazar<br />

joyeux et bruyant, où se côtoient locaux et touristes.<br />

Les Lauriers, sur l’île de Praslin : une guest house familiale<br />

composée de petits bungalows, tout près de la très belle plage<br />

Côte d’Or. À tester, la cuisine créole du restaurant, parmi<br />

les meilleures tables de l’archipel.<br />

Ci-dessus, l’Escale Resort Marina & Spa.<br />

Ci-dessous, le Hilton Seychelles Labriz Resort & Spa.<br />

Café des arts, à Baie Sainte-Anne, sur l’île de Praslin :<br />

un restaurant de fruits de mer dans un cadre sophistiqué<br />

et romantique.<br />

Coco Rouge, à Baie Sainte-Anne : un restaurant qui propose<br />

de la cuisine créole sur le pouce à des prix gourmands.<br />

DR<br />

Le spa du Hilton Seychelles Labriz Resort & Spa, sur l’île<br />

de Silhouette : un lieu pour un moment de pure détente,<br />

entouré par une végétation luxuriante.<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 25


PARCOURS<br />

Nyaba Leon<br />

Ouedraogo<br />

LES PHOTOS DE CE PORTRAITISTE BURKINABÉ<br />

montrent une esthétique contemporaine de l’Afrique.<br />

Son œuvre L’Homme et la Matière a été sélectionnée pour<br />

illustrer l’affiche du prix Pictet en 2021. par Fouzia Marouf<br />

Affable, l’œil vif, Nyaba Leon Ouedraogo se confie sur les portraits de sa série colorée<br />

Le Visible et l’Invisible, offrant un spectacle intrigant dans l’antre de la 193 Gallery,<br />

à Paris, lors de l’exposition « Colors of Africa », en octobre dernier. Les tonalités<br />

pop sont autant de stigmates qui étayent la réflexion de l’interprétation du masque<br />

en Afrique : « J’ai réalisé ces photographies à Ouagadougou durant le confinement,<br />

j’avais une forte envie de couleur, c’était une période insaisissable. Le masque est<br />

un ultime signe de dialogue et de transformation, qui convoque le passé et le présent.<br />

Il unit l’identité africaine et des forces en perpétuel mouvement », précise-t-il.<br />

Réalisés en studio, à la façon des précurseurs comme Seydoux Keïta ou Malick<br />

Sidibé, ses travaux marquent une rupture nette avec l’art du portrait des anciens. Né au Burkina Faso en 1978,<br />

mais imprégné d’une double culture, il vit et travaille entre Ouagadougou et Paris. En 2008, cet autodidacte<br />

sillonne le Ghana, à l’affût de collecteurs de cuivre. Sa série L’Enfer du cuivre – présentée à la Biennale de Bamako<br />

en 2011 – retrace l’exploitation d’une jeunesse en quête de travail mais exposée à des intoxications chimiques.<br />

En 2010, il met le cap sur le Burkina pour y photographier des casseurs de pierre, car sa « matière première reste<br />

l’humain, [s]a source d’inspiration incessante »: « Je suis en questionnement constant, mon regard interroge<br />

les problématiques et les enjeux contemporains du continent », assène-t-il. Poussant plus loin les limites de son art,<br />

il signe The Phantoms of Congo River, entre 2011 et 2013 : il s’inspire du roman culte de Joseph Conrad, Au cœur<br />

des ténèbres, pour raviver les esprits du fleuve propice aux croyances et partage le quotidien<br />

des riverains durant plusieurs mois au bord du Congo. « En photographiant ces corps dénudés,<br />

je voulais aborder la représentation du corps noir, car on le regarde sous le prisme du fantasme.<br />

J’essaie de le traiter avec pudeur, en racontant la vie de cette jeune génération qui s’est<br />

réapproprié les rives. C’est un véritable espace social où l’on fait de nouvelles rencontres,<br />

la jeunesse y exprime sa sexualité », avance-t-il. Nyaba Leon Ouedraogo continue de naviguer<br />

dans les interstices mystiques de l’Afrique et signe, en 2015, Les Dévoreuses d’âmes, série de<br />

diptyques à la veine documentaire présentée au Musée du quai Branly : une œuvre énigmatique,<br />

ouverte aux croyances mystiques. En 2019, son inclination pour l’humain l’amène à un retour<br />

aux sources : avec sa série Théâtre populaire, il rend hommage au lieu du même nom créé<br />

à Ouagadougou par Thomas Sankara. « Saisir ce lieu mythique est un acte poétique et politique.<br />

Il n’y a pas de société sans culture », déclare-t-il. Celle-ci a été exposée lors de la foire en ligne<br />

1-54 New York en 2020, avec la galerie Afikaris. Cette année, sa photo L’Homme et la Matière<br />

L’Homme et la Matière, 2020. illustrera l’affiche du prestigieux prix Pictet pour un autre regard sur la condition humaine. ■<br />

NYABA LEON OUEDRAOGO<br />

26 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021


« Il n’y a pas<br />

de société sans<br />

culture. »<br />

ANDREAS ARNOLD/DPA/DPA PICTURE-ALLIANCE VIA AFP<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 27


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C’EST COMMENT ?<br />

PAR EMMANUELLE PONTIÉ<br />

TEST OR NOT TEST ?<br />

DOM<br />

Voyage en Afrique, depuis Paris, au moment où les restrictions de déplacement<br />

font rage. Avec un vrai motif, dûment attesté par trois ou quatre documents.<br />

Et le fameux test PCR négatif, exigé par tous les pays. Normal, avec cette épidémie de<br />

Covid-19 qui ne faiblit pas, c’est évidemment le plus important.<br />

Pourtant, ce Graal perd sacrément de sa valeur au retour. Car certains infirmiers<br />

et toubibs africains ont trouvé là un joyeux motif de s’enrichir. Une fois que vous<br />

êtes sur le continent, on vous informe tout de suite qu’obtenir le résultat d’un test dans<br />

les 72 heures – le délai maximum exigé par la France pour entrer sur son territoire – est<br />

presque impossible. Ce qui est évidemment faux. Mais ainsi, afin de verrouiller votre retour,<br />

vous êtes pratiquement obligé de vous mettre en cheville avec un personnel de santé<br />

qui, moyennant quelque 20000 ou 30000 francs CFA d’encouragement, vous garantit<br />

la sortie du résultat dans les temps. En général, ça marche. Surtout si vous lui promettez<br />

de lui envoyer des clients supplémentaires s’il est « réglo ». À la limite, on peut se dire que<br />

le graissage de patoune, c’est de bonne guerre, vu les salaires minables du monde<br />

médical local.<br />

Ce qui est plus inquiétant, c’est la grosse dérive du système. L’infirmier vous<br />

demandera si vous voulez vraiment faire le test. Sousentendu,<br />

il peut vous sortir un négatif sans l’épreuve du<br />

coton-tige dans le nez. Mieux, il vous demande ce qu’il<br />

doit faire si, par hasard, votre test est positif. « Je vous sors<br />

un négatif, si vous voulez voyager ?» Et là, on se dit que l’on<br />

n’est pas sorti de l’auberge ! Il y a donc des vrais positifs qui<br />

voyagent et propagent le virus à qui mieux mieux. Les États<br />

ont beau installer les systèmes les plus verrouillés, à grand<br />

renfort de nouvelles technologies, y a rien à faire, l’ingéniosité<br />

et l’inconscience de l’être humain sont sans limites…<br />

Et je précise qu’il ne serait pas juste de ne brocarder<br />

que l’Afrique, bien sûr. Tous les pays « pauvres » ont<br />

mis en place les mêmes détournements du processus. On<br />

me dit aussi que les tests s’achètent sur Internet, donc dans<br />

le monde entier. Y compris des faux positifs, pour ceux qui<br />

veulent rester en vacances au soleil deux semaines de plus,<br />

en famille ou dans le bel hôtel payé par sa boîte.<br />

Bref, espérons que l’on trouve vite des martingales<br />

pour lutter contre ces trafics. Dans l’attente que<br />

le monde entier soit vacciné… C’est-à-dire, sans être trop<br />

pessimiste, à la saint-glinglin ! D’ici là, essayons de s’imposer<br />

de vrais tests. Je vous assure que ce sera mieux pour tous. ■<br />

AFRIQUE MAGAZINE I <strong>414</strong> – MARS 2021 29


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