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LUMUMBA<br />
HEROÏSME<br />
ET TRAGEDIE<br />
Assassinée le 17 janvier 1961, cette<br />
figure de l’indépendance du Congo<br />
est entrée dans l’histoire. Au moment<br />
où ses reliques doivent retourner<br />
à Kinshasa, lumière sur le destin<br />
singulier d’un homme qui se voulait libre.<br />
DÉBAT<br />
L’AFRIQUE<br />
ET SES HOMMES<br />
FORTS<br />
POUVOIRS ET DÉMOCRATIE<br />
AUJOURD’HUI<br />
BUSINESS<br />
L’URGENCE D’UNE<br />
REVOLUTION VERTE<br />
INTERVIEWS<br />
• Akhenaton<br />
• Barthélémy Toguo<br />
• Souleymane Bachir Diagne<br />
Un centre de vaccination<br />
dans un hôpital d’Harare<br />
(Zimbabwe), en mars 2021.<br />
COVID-19<br />
VACCINONS LE CONTINENT<br />
MAINTENANT !<br />
N°<strong>417</strong> - JUIN 2021<br />
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA<br />
– Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />
DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 €<br />
– Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3 000 FCFA ISSN 0998-9307X0<br />
L 13888 - <strong>417</strong> H - F: 4,90 € - RD
édito<br />
LA SEULE ROUTE POSSIBLE<br />
Quand j’étais jeune homme, je rêvais de paix<br />
en Terre sainte, entre Israël et les Palestiniens. L’an 2000<br />
me semblait un horizon raisonnable et symbolique. Je<br />
rêvais de Jérusalem, ville ouverte, capitale de deux États<br />
souverains. Les images des accords d’Oslo (13 septembre<br />
1993), Rabin et Arafat sur les pelouses de la<br />
Maison-Blanche, se serrant la main autour de Bill Clinton,<br />
auront eu autant d’effets sur ma génération que celles<br />
de la libération de Mandela (11 février 1990) sortant en<br />
plein soleil de sa prison sud-africaine.<br />
Je suis allé à Jérusalem en juin 2008, journaliste<br />
accompagnant Nicolas Sarkozy, alors président<br />
de la République française. Et pendant que certains<br />
fumaient le cigare sur les belles terrasses ombragées du<br />
fameux hôtel King David, j’avais pu mesurer la violence<br />
physique du conflit. Un taxi palestinien m’avait emmené<br />
le long du mur, cette balafre de ciment et de barbelés<br />
qui isole les territoires occupés. J’avais pu voir les colonies,<br />
à l’horizon, qui mangent chaque jour un peu plus<br />
les terres palestiniennes, j’avais pu croiser une multitude<br />
de soldats de Tsahal armés comme des porte-avions<br />
à tous les carrefours de la partie arabe. Et changer de<br />
monde aussi en changeant de quartier, en passant de<br />
l’est à l’ouest de la ville (avec sa culture ultraorthodoxe).<br />
Mesurer à quel point l’étroitesse des lieux, du pays, l’entrechoc<br />
des nationalismes, des mémoires, et des dieux<br />
impliquait dans la psyché des uns et des autres.<br />
Les années ont passé, j’ai vieilli, l’an 2000 est<br />
déjà loin, et le drame est resté aussi prégnant, intolérable,<br />
avec son cortège de tragédies humaines. La<br />
société israélienne a basculé fortement à droite, dans le<br />
« sionisme religieux », le mot « paix » est sorti du vocabulaire<br />
politique. Les années Netanyahou auront été marquées<br />
par le torpillage de toutes les options diplomatiques, la<br />
marginalisation accrue des Arabes d’Israël (21 % de la<br />
population), le maintien d’une politique dure d’occupation<br />
en Cisjordanie (plus de 3 millions de personnes) et<br />
à Jérusalem-Est (350 000 Palestiniens). Et le développement<br />
sans limite des colonies (400 000 colons installés en<br />
Cisjordanie). La bande de Gaza, officiellement évacuée<br />
PAR ZYAD LIM<strong>AM</strong><br />
en 2005 après la seconde intifada, maintenue en réalité<br />
sous le statut de prison à ciel ouvert depuis 2007 et la<br />
prise du pouvoir par le Hamas, compte 2 millions d’habitants<br />
(pour la plupart descendants des réfugiés de 1948)<br />
qui vivent dans des conditions subhumaines. Le territoire<br />
aura connu quatre guerres dévastatrices entre 2008<br />
et 2021, la toute dernière en mai dernier, roquettes contre<br />
bombardements massifs, stupéfiants.<br />
Au fil du temps, l’autorité palestinienne s’est<br />
décrédibilisée face à l’intransigeance israélienne, au<br />
faible soutien international, et aussi par sa propre incurie.<br />
Le Hamas est monté en puissance, mais la radicalisation<br />
« hors système » d’une jeunesse palestinienne<br />
aussi, en Israël comme dans les territoires. En Israël, la<br />
démocratie s’affaiblit chaque jour un peu plus sous le<br />
poids des fortes pressions religieuses, identitaires, et via<br />
le coût moral et politique de l’occupation. La démographie,<br />
très vivace côté palestinien, menace les « équilibres<br />
» à moyen terme. Toute comme l’évolution des<br />
opinions publiques internationales, en particulier dans<br />
les communautés juives libérales aux États-Unis et en<br />
Europe. La solution à deux États apparaît comme morte<br />
face aux réalités du terrain. La solution à un État, égalitaire,<br />
« one man, one vote », apparaît, elle, comme une<br />
illusion très lointaine face aux gouffres béants entre communautés.<br />
L’expression « apartheid » se substitue petit à<br />
petit au mot « statu quo » dans le langage d’une partie<br />
des organisations de défense de droits de l’homme.<br />
Nous sommes en 2021, au temps du Covid, du<br />
réchauffement climatique. Et ici, entre Tel Aviv, Haïfa,<br />
Jérusalem, Ramallah, Gaza…, se joue aussi une partie<br />
de notre avenir commun. Une Israël-Palestine sur le<br />
chemin du seul dialogue possible, le dialogue politique<br />
(« on ne fait pas la paix avec ses amis »), transformerait<br />
les données stratégiques (on pense à l’Iran et l’Arabie<br />
saoudite) et ouvrirait un immense champ des possibles,<br />
pour Israël, la Palestine, les juifs, les Arabes, la région, le<br />
reste du monde.<br />
L’autre route, c’est celle de la violence, du deuil<br />
et de la catastrophe. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 3
Un centre de vaccination<br />
dans un hôpital d’Harare<br />
(Zimbabwe), en mars 2021.<br />
France 4,90 € – Afrique du Sud 49,95 rands (taxes incl.) – Algérie 320 DA<br />
– Allemagne 6,90 € – Autriche 6,90 € – Belgique 6,90 € – Canada 9,99 $C<br />
DOM 6,90 € – Espagne 6,90 € – États-Unis 8,99 $ – Grèce 6,90 € – Italie 6,90 €<br />
– Luxembourg 6,90 € – Maroc 39 DH – Pays-Bas 6,90 € – Portugal cont. 6,90 €<br />
Royaume-Uni 5,50 £ – Suisse 8,90 FS – TOM 990 F CFP – Tunisie 7,50 DT – Zone CFA 3000 FCFA ISSN 0998-9307X0<br />
N°<strong>417</strong> JUIN 2021<br />
3 ÉDITO<br />
La seule route possible<br />
par Zyad Limam<br />
6 ON EN PARLE<br />
C’EST DE L’ART, DE LA CULTURE,<br />
DE LA MODE ET DU DESIGN<br />
L’Afrique électrique<br />
de Mdou Moctar<br />
26 PARCOURS<br />
Ghizlane Agzenaï<br />
par Fouzia Marouf<br />
29 C’EST COMMENT ?<br />
L’éruption des oubliés<br />
par Emmanuelle Pontié<br />
74 CE QUE J’AI APPRIS<br />
Natacha Atlas<br />
par Astrid Krivian<br />
90 VINGT QUESTIONS À…<br />
Conti Bilong<br />
par Astrid Krivian<br />
TEMPS FORTS<br />
30 Patrice Lumumba :<br />
« Le leader<br />
qui aurait pu… »<br />
par Cédric Gouverneur<br />
38 Covid-19 :<br />
Vaccinons<br />
maintenant ! Et vite !<br />
par Cédric Gouverneur<br />
46 L’Afrique<br />
et ses hommes forts<br />
par Zyad Limam<br />
52 « Providentiels »,<br />
aux quatre coins<br />
du monde<br />
par Dominique Sanchez<br />
56 Barthélémy Toguo :<br />
« Je crois aux utopies »<br />
par Astrid Krivian<br />
64 Akhenaton : « Récolter<br />
ce que l’on sème »<br />
par Astrid Krivian<br />
70 Souleymane Bachir<br />
Diagne : « Je suis enfin<br />
parvenu à dire “je” »<br />
par Fouzia Marouf<br />
P.06<br />
LUMUMBA<br />
HEROÏSME<br />
ET TRAGEDIE<br />
Assassinée le 17 janvier 1961, cette<br />
figure de l’indépendance du Congo<br />
est entrée dans l’histoire. Au moment<br />
où ses reliques doivent retourner<br />
à Kinshasa, lumière sur le destin<br />
singulier d’un homme qui se voulait libre.<br />
DÉBAT<br />
L’AFRIQUE<br />
ET SES HOMMES<br />
FORTS<br />
POUVOIRS ET DÉMOCRATIE<br />
AUJOURD’HUI<br />
BUSINESS<br />
L’URGENCE D’UNE<br />
REVOLUTION VERTE<br />
INTERVIEWS<br />
• Akhenaton<br />
• Barthélémy Toguo<br />
• Souleymane Bachir Diagne<br />
COVID-19<br />
VACCINONS LE CONTINENT<br />
MAINTENANT !<br />
N°<strong>417</strong> - JUIN 2021<br />
L 13888 - <strong>417</strong> H - F: 4,90 € - RD<br />
<strong>AM</strong> <strong>417</strong> COUV Unique ZYAD.indd 1 03/06/2021 22:11<br />
PHOTOS DE COUVERTURE : BOB GOMEL/THE LIFE IMAGES<br />
COLLECTION VIA GETTY IMAGES/GETTY IMAGES - TAFADZWA<br />
UFUMELI/GETTY IMAGES VIA AFP<br />
P.46<br />
Afrique Magazine est interdit de diffusion en Algérie depuis mai 2018. Une décision sans aucune justification. Cette grande<br />
nation africaine est la seule du continent (et de toute notre zone de lecture) à exercer une mesure de censure d’un autre temps.<br />
Le maintien de cette interdiction pénalise nos lecteurs algériens avant tout, au moment où le pays s’engage dans un grand mouvement<br />
de renouvellement. Nos amis algériens peuvent nous retrouver sur notre site Internet : www.afriquemagazine.com<br />
ALEXANDER LE’JO - PATRICK ROBERT<br />
4 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
FONDÉ EN 1983 (37 e ANNÉE)<br />
31, RUE POUSSIN – 75016 PARIS – FRANCE<br />
Tél. : (33) 1 53 84 41 81 – Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />
redaction@afriquemagazine.com<br />
Zyad Limam<br />
DIRECTEUR DE LA PUBLICATION<br />
DIRECTEUR DE LA RÉDACTION<br />
zlimam@afriquemagazine.com<br />
Assisté de Laurence Limousin<br />
llimousin@afriquemagazine.com<br />
RÉDACTION<br />
Emmanuelle Pontié<br />
DIRECTRICE ADJOINTE<br />
DE LA RÉDACTION<br />
epontie@afriquemagazine.com<br />
Isabella Meomartini<br />
DIRECTRICE ARTISTIQUE<br />
imeomartini@afriquemagazine.com<br />
Jessica Binois<br />
PREMIÈRE SECRÉTAIRE<br />
DE RÉDACTION<br />
sr@afriquemagazine.com<br />
Amanda Rougier PHOTO<br />
arougier@afriquemagazine.com<br />
ONT COLLABORÉ À CE NUMÉRO<br />
Jean-Marie Chazeau, Catherine Faye,<br />
Virginie Gazon, Glez, Cédric Gouverneur,<br />
Dominique Jouenne, Astrid Krivian,<br />
Fouzia Marouf, Jean-Michel Meyer,<br />
Luisa Nannipieri, Sophie Rosemont,<br />
Dominique Sanchez.<br />
VIVRE MIEUX<br />
Danielle Ben Yahmed<br />
RÉDACTRICE EN CHEF<br />
avec Annick Beaucousin, Julie Gilles.<br />
VENTES<br />
EXPORT Laurent Boin<br />
TÉL. : (33) 6 87 31 88 65<br />
FRANCE Destination Media<br />
66, rue des Cévennes - 75015 Paris<br />
TÉL. : (33) 1 56 82 12 00<br />
ABONNEMENTS<br />
Com&Com/Afrique Magazine<br />
18-20, av. Édouard-Herriot<br />
92350 Le Plessis-Robinson<br />
Tél. : (33) 1 40 94 22 22<br />
Fax : (33) 1 40 94 22 32<br />
afriquemagazine@cometcom.fr<br />
FABRICE GIBERT/GALERIE LELONG PARIS - DIDIER D. DARWIN<br />
P.56<br />
BUSINESS<br />
76 L’urgence<br />
d’une révolution verte<br />
80 Les rois de la croissance<br />
post-Covid<br />
81 Au service<br />
du luxe africain<br />
82 Kenya : La population<br />
dit stop à l’endettement<br />
84 Des vaccins<br />
« made in Africa »<br />
en vue<br />
85 Des affaires en dents<br />
de scie pour Yerim Sow<br />
par Jean-Michel Meyer<br />
VIVRE MIEUX<br />
86 Déprime, anxiété…<br />
Faut-il recourir<br />
aux médicaments ?<br />
87 Apprendre à respirer<br />
88 Chassez la mauvaise haleine !<br />
89 Énurésie nocturne :<br />
Comment réagir ?<br />
par Annick Beaucousin<br />
et Julie Gilles<br />
P.64<br />
COMMUNICATION ET PUBLICITÉ<br />
regie@afriquemagazine.com<br />
<strong>AM</strong> International<br />
31, rue Poussin - 75016 Paris<br />
Tél. : (33) 1 53 84 41 81<br />
Fax : (33) 1 53 84 41 93<br />
AFRIQUE MAGAZINE<br />
EST UN MENSUEL ÉDITÉ PAR<br />
31, rue Poussin - 75016 Paris.<br />
SAS au capital de 768 200 euros.<br />
PRÉSIDENT : Zyad Limam.<br />
Compogravure : Open Graphic<br />
Média, Bagnolet.<br />
Imprimeur : Léonce Deprez, ZI,<br />
Secteur du Moulin, 62620 Ruitz.<br />
Commission paritaire : 0224 D 85602.<br />
Dépôt légal : juin 2021.<br />
La rédaction n’est pas responsable des textes et des photos<br />
reçus. Les indications de marque et les adresses figurant<br />
dans les pages rédactionnelles sont données à titre<br />
d’information, sans aucun but publicitaire. La reproduction,<br />
même partielle, des articles et illustrations pris dans Afrique<br />
Magazine est strictement interdite, sauf accord de la rédaction.<br />
© Afrique Magazine 2021.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 5
ON EN PARLE<br />
C’est maintenant, et c’est de l’art, de la culture, de la mode, du design et du voyage<br />
WH MOUSTAPHA - DR<br />
6 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
Le musicien<br />
(en noir)<br />
entouré de<br />
son groupe.<br />
BLUES ROCK<br />
L’AFRIQUE<br />
ÉLECTRIQUE DE<br />
MDOU MOCTAR<br />
Avec son nouvel album enthousiasmant,<br />
le GUITARISTE ET COMPOSITEUR<br />
TOUAREG de 35 ans confirme qu’il fait<br />
partie des artistes sahéliens à suivre.<br />
« L’AFRIQUE EST VICTIME de tant de<br />
crimes / Si nous nous taisons, ce sera<br />
notre fin », affirme-t-il dans son nouvel<br />
album. Mdou Moctar sait de quoi il<br />
parle, lui, le natif d’Agadez, village<br />
perdu au cœur du désert nigérien. Lui,<br />
l’un des jeunes héritiers du patrimoine<br />
touareg, qui a grandi en écoutant aussi<br />
bien la musique traditionnelle<br />
que le hard rock d’Eddie<br />
Van Halen. Et sa musique,<br />
il l’incarne en tamasheq<br />
(langue touarègue).<br />
En 2015, Moctar<br />
illuminait le premier film<br />
touareg, Akounak Tedalat<br />
Taha Tazoughai (« Pluie de<br />
couleur bleue avec un peu de<br />
rouge » en français), remake<br />
décalé du Purple Rain de<br />
Prince réalisé par Christopher Kirkley.<br />
Il s’agissait de retracer le parcours de ce<br />
jeune guitariste passionné qui affrontait<br />
bien des obstacles pour vivre de sa<br />
musique. De quoi se faire connaître<br />
au-delà des frontières et, en 2019, sortir<br />
un premier album studio, Ilana : The<br />
Creator. Enregistré avec son groupe<br />
de scène (le bassiste Mikey Coltun,<br />
le guitariste rythmique Ahmoudou<br />
Madassane et le batteur Souleymane<br />
Ibrahim), il démontre la fièvre rock<br />
MDOU MOCTAR,<br />
Afrique victime,<br />
Matador.<br />
dont il est capable. Depuis, même<br />
des créateurs de mode comme<br />
Virgil Abloh ne jurent que par lui.<br />
Aujourd’hui, Afrique Victime<br />
enfonce le clou de ses velléités<br />
punk, loin d’être incompatibles avec<br />
l’électrique contagieuse qui résonne lors<br />
des fêtes de mariages d’Agadez. Entre<br />
morceaux sous tension<br />
(« Chismiten », «Asdikte<br />
Akal ») et ballades brillant<br />
par la simplicité de leurs<br />
mélodies (« Ya Habibti »,<br />
« Tala Tannam »), il<br />
bénéficie de l’expertise<br />
sonore de Mikey Coltun,<br />
à la production, et<br />
d’Ahmoudou Madassane,<br />
qui a également lancé<br />
le premier groupe<br />
révolutionnaire rock touareg, Les Filles<br />
de Illighadad. Guère étonnant si Moctar<br />
se range du côté de l’égalité des sexes<br />
ici. Il raconte l’amour, la célébration,<br />
son admiration pour le grand Abdallah<br />
ag Oumbadougou, la religion mais<br />
aussi la révolte, les stigmates coloniaux.<br />
Un besoin irrépressible de liberté<br />
habite cet album qui, contrairement<br />
à ce que son nom indique, clame<br />
haut et fort la puissance sacrée du<br />
continent africain. ■ Sophie Rosemont<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 7
ON EN PARLE<br />
MÉMOIRE<br />
NOUVEAUX<br />
MONDES<br />
Pour la SAISON<br />
AFRICA2020, Bordeaux<br />
expose des œuvres<br />
tressées de récits<br />
intimes et collectifs.<br />
Wish you were here,<br />
de Mary Sibande,<br />
2010.<br />
Extrait de Mélas<br />
de Saturne, de Josefa<br />
Ntjam et Sean Hart,<br />
2020.<br />
EN PRÉ<strong>AM</strong>BULE, habillée de bleu et de blanc, une sculpture<br />
à taille humaine dévide une pelote de laine rouge. Témoignage<br />
vibrant sur les décennies d’apartheid, l’impressionnante servante,<br />
modelée sur l’artiste sud-africaine Mary Sibande, déroule<br />
l’histoire de son pays à travers son propre récit. Le fil conducteur<br />
de l’exposition est bien celui de la mémoire. Un fil au bout<br />
duquel, de création en création, surgit enfin une autre vérité.<br />
Passeuse, tisseuse et rassembleuse, voilà les rôles que chacune<br />
des 14 artistes exposées, du continent et de la diaspora, endosse<br />
avec brio. Ainsi, venues du Zimbabwe, d’Algérie ou du Ghana,<br />
elles se font toutes l’écho d’une phrase de Nina Simone, inscrite<br />
en exergue : « Le devoir d’un artiste, en ce qui me concerne,<br />
est de refléter l’époque. […] Et à ce moment crucial de votre<br />
vie, où tout est si désespéré, où chaque jour est une question de<br />
survie, je ne pense pas que vous puissiez vous empêcher d’être<br />
impliqué. Les jeunes, noirs et blancs, le savent. » ■ Catherine Faye<br />
« MEMORIA : RÉCITS D’UNE AUTRE HISTOIRE »,<br />
Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA, Bordeaux (France),<br />
jusqu’au 20 novembre. fracnouvelleaquitaine-meca.fr<br />
❶<br />
SOUNDS<br />
À écouter maintenant !<br />
Anaiis<br />
Juno, Dr. Martens Presents<br />
Afin de partager son<br />
expérience en tant que femme<br />
noire, plaçant au cœur des<br />
débats les problèmes de<br />
santé mentale qui peuvent<br />
en découler, la chanteuse franco-sénégalaise<br />
é<br />
Anaiis lance un projet en trois étapes via<br />
Dr. Martens Presents, une plate-forme destinée<br />
à soutenir les talents émergents : d’abord,<br />
la sortie du single « Juno », puis un guide<br />
personnel sous forme de jeu de cartes, et<br />
pour finir des rencontres avec la photographe<br />
Charlotte Abramow, l’actrice Déborah<br />
Lukumuena et la réalisatrice Néhémie Lemal.<br />
❷<br />
Kamel El Harrachi<br />
Nouara, Kamiyad<br />
Son père, Dahmane<br />
El Harrachi, est celui qui a<br />
offert « Ya Rayah » au monde.<br />
Depuis les années 1990,<br />
Kamel s’évertue à entretenir<br />
la flamme du chaâbi algérien,<br />
tout en travaillant comme éducateur<br />
dans un institut médico-psychologique…<br />
et en partant de temps à autre en tournée<br />
internationale ! Aujourd’hui, il fait une<br />
déclaration d’amour à son pays natal<br />
en reprenant le corpus de son père, mais<br />
aussi deux de ses délicates compositions.<br />
❸<br />
Pat Kalla & Le Super Mojo<br />
Hymne à la vie, Heavenly Sweetness<br />
Au micro, Pat Kalla,<br />
la voix lyonnaise d’origine<br />
camerounaise de Voilààà<br />
ou de Conte & Soul. À la<br />
production et aux beats, le DJ<br />
Guts. Et aux instruments,<br />
le Super Mojo, qui mixe l’highlife, l’afrobeat,<br />
le funk et la cumbia. Côté attitude, un<br />
engagement qui ne perd jamais le sourire<br />
et le groove de mots swingués. En témoigne<br />
cet Hymne à la vie à l’énergie contagieuse,<br />
qui tombe pile au bon moment… ■ S.R.<br />
DR<br />
8 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
Le chef et journaliste<br />
Stephen Satterfield nous<br />
entraîne de l’Afrique<br />
aux États-Unis.<br />
DOCULA TRAVERSÉE DU GOMBO<br />
Du BÉNIN AU TEXAS, une série gourmande explore les racines de la soul<br />
food et montre combien celle-ci est loin de se réduire au fried chicken…<br />
NETFLIX - DR - NETFLIX<br />
CRÉDITER LES NOIRS de leur apport<br />
à la cuisine américaine : c’est l’ambition<br />
d’un percutant et délicieux docu-série<br />
inspiré d’un livre de l’historienne Jessica<br />
B. Harris. Dans le premier épisode (sur<br />
quatre), entièrement tourné au Bénin, on<br />
la retrouve au milieu du marché Dantokpa,<br />
à Cotonou, interrogée par celui qui nous<br />
guide dans ce voyage, le charismatique<br />
chef et journaliste Stephen Satterfield.<br />
Une plante sur les étals symbolise le lien<br />
entre les continents africain et américain :<br />
le gombo (aussi appelé okra), présent dans<br />
bien des soupes et des ragoûts des deux côtés<br />
de l’océan, a fait le voyage dans les cales des<br />
bateaux négriers… Une émouvante séquence<br />
à la Porte du non-retour, à Ouidah, rend<br />
hommage aux souffrances des ancêtres, fil<br />
rouge de toute la série. C’est aussi l’occasion<br />
de voir comment des chefs béninois,<br />
comme Valérie Vinakpon Gbaguidi,<br />
modernisent la cuisine traditionnelle<br />
et remettent au goût du jour des plats qui<br />
tendent à disparaître. La transmission<br />
est l’idée-force de ces rencontres avec<br />
des cuisiniers, des blogueurs, des historiens,<br />
ou de simples jardiniers. Aux États-Unis, les<br />
Afro-Américains se réapproprient le riz de<br />
Caroline du Sud (celui-là même que leurs<br />
ancêtres esclaves étaient forcés de cultiver)<br />
et les bas morceaux du cochon ou du<br />
bœuf (délaissés à l’époque par les maîtres)<br />
dans des plats accommodés avec talent par<br />
leurs aïeux. On y apprend que les chefs des<br />
premiers présidents étaient noirs ou encore<br />
qu’un esclave affranchi a fait fortune en<br />
faisant aimer les huîtres aux New-Yorkais…<br />
Des séquences de repas ponctuent cette<br />
odyssée, et en faisant ressurgir les fantômes<br />
d’un passé douloureux, amènent les convives<br />
au bord des larmes. La cuisine est affaire<br />
de goût et de sensibilité. Mais aussi de<br />
mémoire. Jusque dans cet agneau mijoté<br />
à Houston, avec cacahuètes rôties et sauce<br />
arachide : une recette sénégalaise en<br />
plein Texas. ■ Jean-Marie Chazeau<br />
LA PART DU LION : COMMENT<br />
LA CUISINE AFRO-<strong>AM</strong>ÉRICAINE<br />
A CHANGÉ LES ÉTATS-UNIS (États-Unis),<br />
de Roger Ross Williams. Sur Netflix.<br />
Le deuxième épisode (sur quatre)<br />
se déroule en Caroline du Sud, où de<br />
nombreux esclaves furent déportés.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 9
ON EN PARLE<br />
POÉSIE<br />
À L’ÉPREUVE DE LA VIE<br />
Un recueil écrit au scalpel.<br />
Pour dire l’Afrique, ses maux,<br />
mais aussi la vigueur<br />
de sa culture et de ses identités.<br />
CE N’EST PAS UN HASARD si<br />
le poète et journaliste mauritanien<br />
Bios Diallo, grand défenseur de la<br />
culture et des mots, dédie son recueil à sa mère, Sané.<br />
« Maman, le feu c’était sous ton regard vigilant / La hache<br />
à éviter, la justesse de tes mains. » Comme si son chant<br />
et sa voix s’écrivaient au fil d’une vie, de l’enfance à l’âge<br />
adulte, de l’innocence à la connaissance, au sang et au<br />
tourment. Dans ce troisième recueil de poésies, l’auteur<br />
des Pleurs de l’arc-en-ciel et des Os de la terre émaille ses<br />
vers de propos engagés, puisés à l’encre de l’actualité :<br />
l’immigration à risques, l’intolérance, les conflits identitaires<br />
et religieux, ou encore l’invasion djihadiste de la ville sainte<br />
de Tombouctou, au Mali. Imagés et intenses, ses poèmes<br />
tissent une cartographie d’un monde malmené, mais où<br />
« l’amour / sans couleur ni races » sculpte l’espérance. ■ C.F.<br />
BIOS DIALLO, La Saigne, Obsidiane, 64 pages, 10 €.<br />
ENQUÊTE<br />
UNE VIE EN MORCEAUX<br />
Entre biographie, enquête historique<br />
et récit journalistique, ce livre<br />
inclassable explore les mystères<br />
entourant la disparition d’une femme.<br />
QUE CACHE LE SUICIDE d’une<br />
jeune écrivaine de 27 ans ? Surtout<br />
lorsqu’il survient après la réception<br />
d’une lettre de l’éditeur nationalisé Al-Dâr al-Qawmiyya<br />
lui notifiant son refus de publier son premier et unique<br />
roman, L’Amour et le Silence. Nous sommes en 1963,<br />
au Caire. Le livre sera finalement publié en 1967, puis<br />
tombera dans l’oubli. C’est ce mystère, ultime liberté<br />
enchevêtrée de détresse profonde, que l’une des plus belles<br />
voix poétiques égyptiennes contemporaines a voulu explorer,<br />
après avoir découvert l’ouvrage de la défunte chez un<br />
bouquiniste. Une quête captivante, de proche en proche,<br />
à la fois historique et intellectuelle, poétique et intime.<br />
Dans laquelle la lauréate du prestigieux Sheikh Zayed Book<br />
Award cherche à démêler l’écheveau d’une identité complexe<br />
et émouvante. Au fil de découvertes parfois contradictoires.<br />
Et de révélations ambiguës. ■ C.F.<br />
IMAN MERSAL, Sur les traces d’Enayat Zayyat,<br />
Actes Sud, 288 pages, 22 €.<br />
UNDERGROUND<br />
BLK JKS<br />
AFROPUNK<br />
VIBRATIONS<br />
Le QUATUOR SUD-AFRICAIN<br />
revient avec un irrésistible album<br />
qui réinvente entièrement le style<br />
de leurs débuts.<br />
TV ON THE RADIO et Spoek Mathambo en sont fans,<br />
et ce n’est pas sans raison ! Au milieu des années 2000,<br />
BLK JKS devenait le fer de lance du mouvement afropunk<br />
sud-africain. Son premier album, After Robots (2009),<br />
lui vaut de tourner dans le monde entier, avant de faire<br />
une pause jusqu’en 2018, où le groupe décide de remettre<br />
ça avec le fils du trompettiste<br />
Hugh Masekela, Selema. Après<br />
des mois passés à jammer au Soweto<br />
Theatre Orchestra Pit, une large<br />
poignée de chansons se volatilise<br />
à cause d’un cambriolage.<br />
Qu’à cela ne tienne, BLK JKS retourne<br />
en studio un an plus tard et enregistre<br />
ce qui deviendra Abantu/Before Humans, un mélange<br />
audacieux de cuivres et de guitares volontiers<br />
électriques sur un terreau rock’n’roll, qui n’en oublie pas<br />
néanmoins ses racines africaines. Galvanisant ! ■ S.R.<br />
BLK JKS, Abantu/Before Humans, Glitterbeat/Modulor.<br />
BRETT RUBIN - DR<br />
10 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
LA BOUNCE MUSIC de la<br />
Nouvelle-Orléans, dont elle est<br />
native, la house, la techno, le<br />
R’n’B sudiste, le footwork… Celle<br />
qui jongle avec les styles a été<br />
remarquée en Europe dans Dirty<br />
Money, le groupe formé avec<br />
Sean Combs (alias Puff Daddy).<br />
Dawn Richard possède non<br />
seulement une voix qui balance<br />
sévèrement, mais aussi une plume<br />
d’autrice-compositrice avertie.<br />
Ce cinquième album solo peut<br />
en témoigner, explorant son<br />
patrimoine créole, comme on<br />
l’entend dans les interventions de<br />
sa mère, qui raconte son quotidien<br />
en Louisiane. Entre « Boomerang »<br />
et « Bussifame », la musique est<br />
percussive, synthétique, taillée<br />
pour le dancefloor occupé par le<br />
personnage dans lequel se glisse<br />
l’artiste, King Creole. Quant<br />
à son titre, il fait référence à la<br />
« deuxième ligne » de musiciens<br />
et danseurs, qui, dans les parades<br />
en Louisiane, improvisent sur les<br />
rythmiques, et au sein de laquelle<br />
tout le monde est bienvenu. ■ S.R.<br />
DAWN RICHARD,<br />
Second Line:<br />
An Electro Revival,<br />
Merge Records.<br />
ALEXANDER LE’JO - DR<br />
MUSIQUE<br />
Dawn<br />
Richard<br />
Princesse<br />
créole<br />
Avec Second Line,<br />
la chanteuse native<br />
de la Nouvelle-Orléans<br />
explore une électro-soul<br />
futuriste.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 11
ON EN PARLE<br />
PORTRAIT<br />
BINETOU SYLLA, LE<br />
RYTHME EN HÉRITAGE<br />
À 33 ans, la productrice est à<br />
la tête de SYLLART RECORDS,<br />
un label de musiques africaines<br />
et afro-latines.<br />
NÉE EN FRANCE en 1988, bercée par les rythmes du continent,<br />
elle a assisté aux enregistrements studio d’illustres artistes :<br />
fondé à Paris en 1981 par son père, Ibrahima Sylla, le label<br />
pionnier Syllart Records a notamment propulsé sur la scène<br />
mondiale Salif Keïta, Ismaël Lô, Youssou N’Dour, Baaba Maal.<br />
À la mort de son père en 2013, la jeune femme en reprend<br />
les rênes. Avant de relancer la production de nouveaux talents,<br />
elle œuvre actuellement à valoriser le patrimoine du prestigieux<br />
catalogue, à accompagner les artistes dans la mue digitale.<br />
Un travail d’archiviste pour cette titulaire d’un master en histoire<br />
de l’Afrique : son mémoire portait sur le lien entre les élites<br />
précoloniales et coloniales au Mali, au début de la colonisation.<br />
Avec Rhoda Tchokokam, Célia Potiron et Christiano Soglo, elle<br />
forme le collectif Piment et signe l’ouvrage Le Dérangeur, dans<br />
le sillage de leur émission radio. Conciliant rigueur scientifique<br />
et ton sarcastique, cet abécédaire traite avec pertinence des<br />
questions liées à la condition des populations noires en France,<br />
puisant dans l’histoire, les sciences sociales<br />
ou la pop culture. Un apport précieux, qui<br />
suscite débat et réflexion. ■ Astrid Krivian<br />
COLLECTIF, Le Dérangeur : Petit lexique<br />
en voie de décolonisation, Hors d’atteintes,<br />
144 pages, 16 €.<br />
CINÉMA<br />
PASSER LE MUR<br />
Un THRILLER SOCIAL<br />
et familial nous plonge au cœur<br />
de l’« apartheid » israélien.<br />
ALORS QUE LE CONFLIT israélo-palestinien<br />
fait aujourd’hui un retour brutal dans l’actualité,<br />
le cinéma nous rappelle combien la vie au quotidien<br />
est difficile depuis longtemps pour les habitants de<br />
Cisjordanie. Surtout lorsqu’il faut passer les checkpoints<br />
pour traverser le mur protégeant l’État hébreu…<br />
Ce premier long-métrage, très prenant, nous entraîne<br />
à la suite d’un père de famille appelé à rejoindre en<br />
urgence sa femme et ses enfants, qui résident (pour<br />
le travail et l’école) à 200 mètres, côté israélien. Leurs<br />
deux appartements se faisant face de part et d’autre<br />
de la haute muraille de béton. Faute d’autorisation,<br />
il entreprend un long périple à suspens pour contourner<br />
l’obstacle. Ali Suliman, comédien palestinien vu<br />
chez Ridley Scott et son compatriote Elia Suleiman,<br />
incarne avec subtilité ce papa poule dont la colère<br />
rentrée et l’empathie forcent le respect. ■ J.-M.C.<br />
200 MÈTRES (Palestine), d’Ameen Nayfeh.<br />
Avec Ali Suliman, Anna Unterberger, Lana Zreik.<br />
En salles.<br />
DR (2) - SHELLAC<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
De haut en bas, des œuvres<br />
de Yassine Balbzioui, Mohamed Larbi<br />
Rahhali, Ahmed Amrani et Randa Maroufi.<br />
DR<br />
« TRILOGIE MAROCAINE<br />
1950-2020 », Museo Reina<br />
Sofia, Madrid (Espagne),<br />
jusqu’au 27 septembre.<br />
museoreinasofia.es<br />
RÉTROSPECTIVE<br />
À L’HEURE<br />
MAROCAINE<br />
Les SEPT DERNIÈRES<br />
DÉCENNIES d’effervescence<br />
culturelle du royaume chérifien<br />
sont mises à l’honneur à Madrid.<br />
QUATORZE KILOMÈTRES à peine séparent le Maroc<br />
de l’Espagne. Cette proximité, des deux côtés de la rive<br />
méditerranéenne, et le passé historique qui relie les<br />
deux pays sous-tendent la rétrospective présentée dans<br />
l’un des plus beaux musées de la capitale espagnole,<br />
le Reina Sofía. Avec plus de 200 œuvres, des pionniers<br />
de la modernité aux artistes contemporains engagés,<br />
elle propose une relecture de l’histoire de l’art marocain,<br />
de l’indépendance à nos jours, en mettant l’accent sur<br />
trois centres culturels urbains : Tétouan, Casablanca<br />
et Tanger. Ce qui frappe d’abord, c’est la diversité et le<br />
dynamisme de la scène artistique marocaine. De Mohamed<br />
Abouelouakar à Latifa Toujani, en passant par Farid<br />
Belkahia ou Mohamed Kacimi, chaque plasticien nourrit<br />
un dialogue visuel fécond. La dernière période, qui s’étend<br />
de 2000 à 2020, montre le travail d’une génération de<br />
jeunes artistes qui rompent avec le passé sur les plans<br />
formel, technique, symbolique et politique de l’art. ■ C.F.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 13
ON EN PARLE<br />
Ses œuvres sont constituées<br />
de douilles collectées<br />
dans les zones de conflit.<br />
« MABELE ELEKI LOLA ! LA TERRE, PLUS BELLE<br />
QUE LE PARADIS », AfricaMuseum, Tervuren<br />
(Belgique), jusqu’au 15 août. africamuseum.be<br />
SCULPTURE<br />
DÉSIRS<br />
D’HUMANITÉ<br />
Les créations de FREDDY TSIMBA<br />
participent à une rencontre<br />
inattendue, entre passé et présent.<br />
ICI, UN HOMME SE TIENT LA TÊTE entre les mains.<br />
Là, une mère tend son sein à son enfant séparé d’elle<br />
par un épais grillage. Les œuvres si particulières de<br />
Freddy Tsimba heurtent et émeuvent. Elles nous disent<br />
l’histoire mouvementée de son pays, la République<br />
démocratique du Congo. Celle du monde aussi. Connu<br />
pour ses sculptures composées de douilles collectées dans<br />
les zones de conflit, le plasticien engagé élabore son œuvre<br />
à partir de bouts de ferraille, de capsules, de clés, de<br />
cuillères. Les objets abandonnés se faisant ainsi l’écho des<br />
rebuts et des blessures. Et offrant une réinterprétation de<br />
l’univers qui nous entoure. Dans cette exposition, 22 de ses<br />
sculptures et installations sont présentées face à 30 pièces<br />
sélectionnées dans les collections de l’ex-musée du Congo<br />
belge, intimement lié à l’histoire de la colonisation du<br />
pays par la Belgique : photographies historiques, peinture<br />
occidentale, armes, masques, sculptures traditionnelles.<br />
Un dialogue inédit, imaginé par l’écrivain kino-congolais<br />
In Koli Jean Bofane, commissaire de l’exposition. ■ C.F.<br />
MANSIA MALAYKA - DR (3)<br />
14 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
EFFIGIE/LEEMAGE - DR<br />
LITTÉRATURE<br />
Double<br />
peine<br />
Fiction très documentée,<br />
le douzième roman<br />
de l’écrivaine belge BESSORA<br />
met en lumière un fait<br />
historique méconnu.<br />
LE 8 SEPTEMBRE 1948, un paquebot jette<br />
l’ancre au Cap. À bord, 83 garçons et filles,<br />
âgés de 2 à 14 ans. Ils ont été choisis dans<br />
des orphelinats allemands par la Dietse<br />
Kinderfonds, une organisation de bienfaisance<br />
sud-africaine imprégnée d’idéologie nazie,<br />
pour permettre à des familles boers d’adopter<br />
des enfants au sang pur, de race blanche<br />
et de religion protestante. En un mot, des<br />
descendants d’Aryens. Nourrissant ainsi le<br />
fantasme de « régénérer le sang des Afrikaners ».<br />
Trois ans plus tard, le Premier ministre Daniel<br />
François Malan, lui-même père adoptif d’une<br />
petite Allemande, fait voter une loi prévoyant<br />
d’éradiquer toute trace des véritables origines.<br />
Lorsque Bessora découvre cette histoire dans<br />
le documentaire 1948 : Du sang blanc pour<br />
l’Afrique du Sud (2011), de Régine Dura, son<br />
sang ne fait qu’un tour. Bouleversée par l’un des<br />
protagonistes interviewés, Peter Ammermann,<br />
elle se lance dans une quête éperdue pour<br />
le retrouver, car, dans ses yeux d’octogénaire,<br />
elle a vu l’enfant portant le poids d’une double<br />
culpabilité. Celle d’avoir été un emblème<br />
du nazisme et un instrument de l’apartheid,<br />
sans qu’on ne lui ait rien demandé. À partir de<br />
ses confessions, sa trame se dessine, les jumeaux<br />
fictifs de son roman (Wolf et Barbara) se faisant<br />
l’écho de la narration de Peter. Dans ce récit<br />
de la culpabilité et de la résilience, l’auteure,<br />
fille d’une Suissesse et d’un diplomate gabonais,<br />
témoigne une nouvelle fois des thèmes<br />
qui l’occupent : la complexité des chemins<br />
de l’identité, l’enchevêtrement des cultures,<br />
l’exclusion, l’endoctrinement. C’est précisément<br />
un voyage en Afrique du Sud, en 1994,<br />
peu de temps après l’élection de Mandela à<br />
la présidence, qui la décide, à 26 ans, à changer<br />
radicalement de vie et à se lancer dans des<br />
études d’anthropologie, parallèlement à une<br />
carrière d’écrivain. Après de nombreux romans,<br />
dont Les Taches d’encre (prix Félix Fénéon 2001)<br />
et Cueillez-moi jolis Messieurs… (Grand prix<br />
littéraire d’Afrique noire 2007), cette histoire<br />
terrible et vraie est un choc littéraire. ■ C.F.<br />
BESSORA, Les Orphelins, JC Lattès,<br />
250 pages, 20 €.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 15
ON EN PARLE<br />
DR<strong>AM</strong>E<br />
LADY DAY DANS<br />
L’ŒIL DU CYCLONE<br />
Un biopic sur BILLIE HOLIDAY qui<br />
propose un nouveau regard : celui du FBI…<br />
EN DÉNONÇANT LE LYNCHAGE DES NOIRS aux États-Unis<br />
dans « Strange Fruit » en 1939, la diva du jazz Billie Holiday<br />
s’est attiré des ennuis : le FBI, craignant des émeutes raciales,<br />
a fait pression sur elle pendant des années afin de la dissuader<br />
de reprendre sa chanson sur scène. Jusqu’à introduire dans<br />
son entourage l’un de ses agents afro-américains… qui finira<br />
par devenir son amant ! Le rôle de l’infiltré est d’abord de<br />
la faire tomber pour drogue, ce qui n’est pas compliqué tant<br />
la cocaïne circule autour de l’artiste, souvent alcoolisée.<br />
Lady Day, comme on la surnomme, va affronter le racisme,<br />
faire de la prison, être interdite dans certaines salles,<br />
mais continuera crânement à faire vibrer sa voix unique.<br />
BILLIE<br />
HOLIDAY,<br />
UNE AFFAIRE<br />
D’ÉTAT<br />
(États-Unis),<br />
de Lee Daniels.<br />
Avec Andra Day,<br />
Trevante Rhodes,<br />
Garrett Hedlund.<br />
En salles.<br />
Cinquante ans après Diana Ross (dans Lady Sings the<br />
Blues), la chanteuse Andra Day, dont c’est la première<br />
apparition au cinéma, incarne avec justesse son idole<br />
de toujours, dont elle recrée le timbre (elle a transformé<br />
sa voix et a perdu 18 kg pour le rôle). Elle campe une<br />
Billie Holiday loin de son image de victime pour en faire<br />
une femme qui, bien que très marquée par son enfance<br />
(violée à 10 ans, forcée à se prostituer très jeune) et<br />
entraînée vers le fond par ses addictions, est sûre de<br />
ses désirs, de ses convictions et de son art. Lee Daniels<br />
(réalisateur du Majordome en 2013) lui rend justice<br />
dans cette épopée à la fois sombre et sensuelle. ■ J.-M.C.<br />
FESTIVAL<br />
La part du féminin ILS ET ELLES SONT DE RETOUR sur la scène de l’Institut<br />
du monde arabe. Musiciens, danseurs, écrivains, militants, penseurs se retrouvent durant tout le mois<br />
de juin pour un programme de 26 événements. Pour cette édition, les chanteuses tunisiennes sont<br />
à l’honneur. Le 9 juin, Emel Mathlouthi, l’interprète de « Kelmti Horra », présentera The Tunis Diaries,<br />
son dernier album, écrit durant son confinement. Le 12 juin, Dorsaf Hamdani interprétera des œuvres<br />
d’Oum Kalthoum, de Fairouz et d’Asmahan. Et le 13 juin, ce sera au tour d’Abir Nasraoui de rendre<br />
hommage aux chanteuses tunisiennes Habiba Msika, Saliha et Oulaya. Outre ces témoignages à la<br />
gloire des divas arabes, d’autres concerts, des soirées dédiées aux jeunes artistes du Maghreb, un forum<br />
sur le thème « Exister ! Être LGBTQ+ dans le monde arabe », des rencontres littéraires ou encore des<br />
spectacles de danse montreront la singularité et la richesse de la création contemporaine arabe. ■ C.F.<br />
ARABOFOLIES, Institut du monde arabe, Paris (France), du 5 au 30 juin. imarabe.org<br />
2020 PAR<strong>AM</strong>OUNT PICTURES CORPORATION - DR (2)<br />
16 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
DR (3) - ISMAIL ZAIDY<br />
ESSAI<br />
MUSIQUE DE L’ÂME<br />
Un dialogue intérieur<br />
sur la création littéraire<br />
par l’essayiste martiniquais,<br />
théoricien de la créolité.<br />
IL A GARDÉ le sourire<br />
de l’enfance. Et c’est avec<br />
ce même naturel que l’ardent<br />
défenseur de la « littérature<br />
monde » interroge son travail<br />
d’écrivain, sa mémoire intime<br />
et les mystères de la création.<br />
Un récit sensible et fertile,<br />
où les fondamentaux de<br />
son œuvre sous-tendent<br />
sa réflexion. « L’écrire, c’est<br />
une métamorphose. C’est<br />
mobiliser un état poétique<br />
dans la langue : danser son<br />
écriture, chanter son écriture,<br />
sentir son écriture, crier son<br />
ROMAN<br />
LE MONDE<br />
À L’ENVERS<br />
La destinée d’un village aux<br />
prises avec une compagnie<br />
pétrolière, à travers plusieurs<br />
voix qui s’entremêlent.<br />
IMPLACABLE et foisonnant.<br />
Le second roman de l’auteure<br />
du retentissant Voici venir<br />
les rêveurs, dans lequel elle<br />
relatait l’histoire d’émigrés<br />
camerounais partis comme<br />
elle s’installer à New York,<br />
déploie une fresque<br />
redoutable sur les dégâts<br />
du capitalisme à outrance,<br />
les conséquences des modes<br />
de vie énergivores sur<br />
des populations qu’ils<br />
appauvrissent et tuent, et les<br />
fantômes de la colonisation.<br />
Dans un style jubilatoire,<br />
elle nous raconte la mainmise<br />
d’une compagnie pétrolière<br />
sur une bourgade africaine,<br />
l’écrasement de l’un au profit<br />
PATRICK CH<strong>AM</strong>OISEAU,<br />
Le Conteur, la nuit<br />
et le panier, Seuil,<br />
272 pages, 19 €.<br />
écriture », confie-t-il dans<br />
ce texte pétri de l’histoire<br />
des Antilles, de l’esclavagisme<br />
et de la colonisation. De tout<br />
le terreau de son imaginaire.<br />
Sans chercher de réponse,<br />
il explore les recoins du<br />
processus littéraire, au fil<br />
d’un cheminement semé<br />
d’embûches, assailli<br />
d’émotions, traversé par<br />
l’énigme de la transmission,<br />
orale et écrite. L’acte créateur<br />
devenant une plongée dans<br />
l’inconnu. Un vertige. ■ C.F.<br />
IMBOLO MBUE,<br />
Puissions-nous vivre<br />
longtemps, Belfond,<br />
432 pages, 23 €.<br />
de l’autre, sans tomber dans<br />
un manichéisme primaire.<br />
Si l’Américano-Camerounaise<br />
s’inscrit dans la lignée de<br />
Toni Morrison et de Gabriel<br />
Garcia Marquez, avec<br />
ce sentiment d’éclatement<br />
entre deux cultures, c’est<br />
ici chez Frantz Fanon qu’elle<br />
puise toute la force d’un<br />
récit où l’injustice, la révolte<br />
et la résistance trouvent leur<br />
éclat dans des personnages<br />
puissants. ■ C.F.<br />
Extrait du projet<br />
photographique<br />
d’Ismail Zaidy.<br />
SAISON AFRICA2020<br />
VIVRE LE DÉSERT<br />
Imaginée par 10 artistes<br />
originaires de sept pays traversés<br />
par LE SAHARA, cette expo<br />
interroge les fantasmes et la réalité.<br />
LE CENTRE DE CRÉATION MAGASINS GÉNÉRAUX, installé<br />
à Pantin, près de Paris, dédie sa troisième saison culturelle<br />
au désert du Sahara. Avec une exposition originale mettant<br />
en scène 10 artistes âgés de 22 à 35 ans, un festival étalé<br />
entre juillet et septembre, ainsi que des ateliers et des<br />
performances dans le cadre de la Saison Africa2020, « Hotel<br />
Sahara » aborde une partie des défis auxquels doivent<br />
faire face les populations sahariennes : la question de<br />
l’eau, la réalité géopolitique, le rôle des femmes ou celui<br />
du tourisme, la place de la musique et de la création ou<br />
encore la problématique des déplacements. Tant de sujets<br />
que les jeunes artistes émergents ont creusé lors d’une<br />
résidence d’une semaine à côté des dunes, dans le sud-est<br />
du Maroc. Originaires de la Tunisie, de l’Algérie, du Maroc,<br />
de l’Égypte, de la Libye, du Mali ou encore du Soudan, ils<br />
restituent sous une multitude de formes leurs expériences<br />
du désert, la relation qu’ils entretiennent avec celui-ci et<br />
les réalités humaines qu’ils y ont vécues. ■ Luisa Nannipieri<br />
« HOTEL SAHARA », Magasins généraux,<br />
Pantin (France), du 12 juin au 2 octobre.<br />
magasinsgeneraux.com<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 17
ON EN PARLE<br />
PHOTOS<br />
UNE IMAGE VAUT<br />
MILLE MOTS<br />
Avec sa série d’autoportraits,<br />
la militante sud-africaine<br />
ZANELE MUHOLI, engagée<br />
auprès des communautés<br />
LGBTQ+, frappe fort.<br />
ZANELE<br />
MUHOLI,<br />
Somnyama<br />
Ngonyama :<br />
Salut à toi,<br />
lionne noire !,<br />
Delpire and<br />
Co, 212 pages,<br />
72 €.<br />
Ci-dessus, ZaKi,<br />
Kyoto, 2017.<br />
ELLE SE BAT CONTRE LES PRÉJUGÉS à<br />
coups de clichés. Des portraits en noir et blanc,<br />
charbonneux, cireux. Où une paire d’yeux<br />
au blanc immaculé, quasi exorbités, captive<br />
le spectateur. Comme si elle transperçait la<br />
photographie. Un regard qui semble traduire<br />
les mots de l’écrivaine afro-américaine Maya<br />
Angelou : « Il n’est pire souffrance que de garder<br />
en soi une histoire jamais racontée. » Celle que<br />
nous narre, au fil de son œuvre audacieuse,<br />
l’activiste sud-africaine, engagée de longue date<br />
contre l’homophobie et la haine raciale, met en<br />
scène une diversité d’identités, comme celles qui<br />
la définissent : noire, lesbienne, zouloue… Après<br />
avoir longtemps photographié ses semblables,<br />
au sein des communautés noires lesbiennes, gays,<br />
bi, trans ou intersexes, Zanele Muholi s’était<br />
lancée en 2017 dans une série d’autoportraits,<br />
365 en tout, qui questionnent la représentation<br />
du corps noir, l’injustice et la place de la femme<br />
noire dans la société d’aujourd’hui. Récemment<br />
consacrée à la Tate Modern, à Londres, et bientôt<br />
à la Maison européenne de la photographie,<br />
à Paris, elle publie aujourd’hui sa première<br />
monographie en français. À bientôt 50 ans, cette<br />
guerrière affirme plus que jamais sa force et<br />
sa liberté. Et son talent crève les yeux. ■ C.F.<br />
Ci-contre, Ntozakhe II, Parktown, Johannesbourg, 2016.<br />
Ci-dessous, Phindile I, Paris, 2014.<br />
ZANELE MUHOLI, COMMISSIONED BY AND COURTESY OF AUTOGRAPH ABP, LONDON - ZANELE MUHOLI, COURTESY<br />
OF STEVENSON GALLERY, CAPE TOWN/JOHANNESBURG, AND YANCEY RICHARDSON GALLERY, NEW YORK (2)<br />
18 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
POP<br />
David<br />
Numwami<br />
Bienvenue<br />
dans un autre<br />
monde !<br />
Remarqué sur scène<br />
aux côtés de Charlotte<br />
Gainsbourg, ce<br />
multi-instrumentiste<br />
d’origine rwandaise<br />
est l’un des MEILLEURS<br />
ESPOIRS de la<br />
scène bruxelloise.<br />
DR<br />
C’EST UNE POP MÂTINÉE DE R’N’B épuré<br />
que nous propose David Numwami, que<br />
l’on suit avec intérêt depuis quelques années<br />
en espérant qu’il se lance pour de bon en<br />
solo. Notre vœu est exaucé avec ce premier<br />
EP, Numwami World, lequel nous invite à<br />
découvrir le charme de sa musique, qu’il a<br />
écrit et composé seul, après de nombreuses<br />
aventures en collectif, avec le groupe Le Colisée,<br />
qui a fait la joie de la scène bruxelloise, ou<br />
des collaborations avec Charlotte Gainsbourg,<br />
pour sa tournée, et Sébastien Tellier. Né en 1994<br />
au Rwanda, l’artiste a perdu une grande<br />
partie de sa famille durant le génocide, mais<br />
a trouvé refuge avec sa mère et ses sœurs en<br />
Belgique. C’est là qu’il a étudié, de longues<br />
années, la guitare… Des morceaux faussement<br />
légers mais réellement addictifs,<br />
comme « Beats! », « Hello » ou<br />
« Thema », où l’on entend son<br />
attachement à ses origines,<br />
font de David Numwami l’artiste<br />
à écouter en boucle cet été. ■ S.R.<br />
DAVID NUMW<strong>AM</strong>I, Numwami<br />
World, Ffamily/Believe.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 19
ON EN PARLE<br />
Francisca Eluki<br />
Dihandju et<br />
José-Manuel<br />
Garcia ont créé<br />
leur marque<br />
en 2018.<br />
LE WAX VERSION SPORT<br />
Avec une gamme de produits homme et femme<br />
confortables et colorés, CONGAÑA conjugue<br />
streetwear et identité africaine.<br />
MODE<br />
POUR FAIRE DU SPORT, il faut du temps, de l’énergie<br />
et surtout des vêtements dans lesquels se sentir vraiment<br />
à l’aise. La demande de tenues pratiques et stylées étant<br />
en forte croissance, de nouvelles marques allient désormais<br />
passion sportive et mise en valeur de l’identité africaine.<br />
C’est le cas chez Congaña, une société née en 2018<br />
d’une idée de la Congolaise Francisca Eluki Dihandju et<br />
de son compagnon d’origine espagnol (et kinésithérapeute)<br />
José-Manuel Garcia. À l’époque, l’entrepreneure, qui<br />
étudiait encore, avait remarqué que ses connaissances<br />
s’entraînaient avec des vêtements classiques, toujours<br />
dans les mêmes nuances, et que les femmes bataillaient<br />
avec des ensembles transparents ou de mauvaise qualité.<br />
Des problèmes que Congaña a vite réglés. Celle qui se<br />
targue d’avoir été la première à lancer le concept du wax<br />
sportif en France veille à proposer des ensembles vibrants<br />
et confortables, à partir de matériaux nobles pour éviter<br />
toute démangeaison, et taillés pour toutes les morphologies<br />
et toutes les poches. Les brassières sont spécialement<br />
conçues pour protéger et soutenir jusqu’aux fortes poitrines,<br />
et les joggings, leggings ou shorts sont gainants et couvrants.<br />
Certaines pièces sont disponibles en version full wax<br />
ou avec de simples insertions inspirées du kente ou du<br />
bogolan. « L’imprimé peut-être très discret, ce qui permet<br />
d’utiliser nos leggins pour faire du sport comme pour aller<br />
au travail », détaille la designeuse, le but de Congaña étant<br />
de proposer des tenues que tout le monde peut porter pour<br />
faire du sport mais aussi pour se détendre sur son canapé.<br />
Très attachés à la durabilité de leurs produits et à la<br />
relation avec la clientèle – laquelle peut choisir les motifs<br />
à imprimer sur les nouvelles collections via des sondages<br />
sur les réseaux, et même proposer des améliorations –,<br />
les deux créateurs testent tous les modèles en condition<br />
réelle. Une approche gagnante, qui leur a permis de se faire<br />
une place dans le secteur en faisant l’éloge de la mixité<br />
et de l’acceptation de l’autre. congana.com ■ L.N.<br />
JEAN FOTSO<br />
20 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
DESIGN<br />
DESTINATION BOTSWANA<br />
Le Xigera Safari Lodge a rassemblé durant<br />
deux ans une COLLECTION DE PIÈCES UNIQUES<br />
afin de valoriser le savoir-faire du continent.<br />
DR<br />
LE DELTA DE L’OKAVANGO, dans le nord du Botswana, est<br />
la destination rêvée des mordus des Big Five. Depuis la récente<br />
inauguration du Xigera Safari Lodge, il attire également les<br />
passionnés de design. Les propriétaires ont travaillé durant<br />
deux ans à la création d’une collection hors norme de pièces<br />
uniques entièrement réalisées par des designers et des artisans<br />
du continent. Avec le soutien et la supervision de la galerie<br />
d’art Southern Guild, environ 80 créateurs, cabinets et ONG<br />
ont créé des sculptures, des textiles et du mobilier pour<br />
décorer les 12 suites de l’hôtel et les espaces communs. C’est<br />
la première fois qu’un organisme privé s’engage dans un projet<br />
à cette échelle, dans le seul but de mettre en valeur le design<br />
africain de qualité. Difficile de choisir une seule œuvre parmi<br />
celles, merveilleuses, de Peter Mabeo, Porky Hefer ou encore<br />
Zizipho Poswa. Il y a la sculpture géante de Conrad Hicks,<br />
installée au-dessus d’un brasero, qui crée un effet théâtral dans<br />
la nuit du delta. Et les lampes, tabourets ou couverts en argile<br />
noire signés Chuma Maweni que l’on retrouve aux quatre<br />
coins du lodge. Mais la collection est si originale que chacun<br />
peut aisément y trouver son objet fétiche. xigera.com ■ L.N.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 21
ON EN PARLE<br />
45 personnes<br />
peuvent profiter<br />
des tables<br />
en extérieur<br />
du BMK<br />
Folie-Bamako.<br />
Ci-dessous,<br />
le Bamakool<br />
Lamb.<br />
SPOTS<br />
À VOS TERRASSES !<br />
Deux adresses pour retrouver le plaisir<br />
d’une cuisine africaine EN PLEIN AIR.<br />
LE SOLEIL ET LA RÉOUVERTURE des terrasses<br />
des restaurants donnent envie d’aller (re)découvrir<br />
de bonnes vieilles adresses. Comme Afrik’n’Fusion,<br />
le « fast&good » lancé par trois jeunes d’origine<br />
sénégalaise en 2011. En plus de sortir quelques tables<br />
devant deux de ses restos parisiens et d’aménager<br />
de grandes terrasses à Cergy et Villetaneuse,<br />
la franchise a développé un nouveau concept :<br />
Afrik’n’Bowl, soit des « bokés » chauds ou froids,<br />
à composer ou déjà préparés. Tel le Joola, à base<br />
de fonio parfumé au miel de Casamance, crevettes<br />
poêlées au niététou, tomates cerises, gombo,<br />
poivrons, mangue et sauce aux feuilles de bissap.<br />
Ou le Saint Louis, avec riz rouge, lieu noir mariné,<br />
carottes, aubergines africaines, patates douces<br />
et bouillon de légumes.<br />
Autre cantine spécialiste de la cuisine d’Afrique de l’Ouest<br />
à avoir fait des petits l’année dernière, BMK Paris-Bamako,<br />
qui a désormais une adresse dans le 11 e arrondissement<br />
parisien : BMK Folie-Bamako. Les 45 places en terrasse<br />
sous les arbres de la rue Jean-Pierre Timbaud vont à coup<br />
sûr attirer les foules. On y déguste des plats traditionnels<br />
Chez<br />
Afrik’n’Bowl<br />
(ci-dessous),<br />
on peut<br />
préparer<br />
son boké<br />
soi-même.<br />
de toutes les régions du continent et des créations originales<br />
sublimées par des épices rares, comme le Smoky Mafé, du<br />
poulet fumé avec sa délicieuse pâte d’arachides et des légumes<br />
frais, ou le Bamakool Lamb, de l’agneau mariné accompagné<br />
de bananes plantains frites et d’une salade. Et bien sûr,<br />
le Bamako Fried Chicken, un incontournable ! ■ L.N.<br />
afriknbowl.fr / bmkparis.com<br />
DR<br />
22 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
ARCHI<br />
Le meilleur maître,<br />
c’est la nature<br />
Pour ce campus technologique<br />
sur le lac Turkana, FRANCIS KERÉ<br />
s’est inspiré des termitières du Kenya.<br />
KINAN DEEB FOR KÉRÉ ARCHITECTURE<br />
L’IDÉE DE CRÉER un campus technologique près du lac<br />
Turkana, au Kenya, remonte à 2019, quand l’architecte<br />
burkinabé Francis Kéré rencontre à Munich Ludwig<br />
Bayern, le fondateur de l’ONG Learning Lions, engagée<br />
pour l’autonomisation des jeunes adultes dans les zones<br />
rurales appauvries d’Afrique de l’Est. Deux ans plus<br />
tard, le Startup Lions Campus est une réalité qui change<br />
le visage de l’une des régions les plus pauvres – mais aussi<br />
l’une des plus belles – du Kenya. Le charme naturel du site<br />
et sa morphologie unique sont valorisés par le projet, qui a<br />
été construit sur deux niveaux, suivant la pente du terrain,<br />
et doté de vastes terrasses avec une vue imprenable sur<br />
le lac. Dans quelques années, elles seront ombragées<br />
par des pergolas végétalisées et deviendront d’agréables<br />
lieux de réunion et d’échange de plein air. La forme<br />
des bâtiments, qui hébergent une école, des espaces<br />
de coworking ainsi qu’un incubateur de start-up, rappelle<br />
les monticules imposants construits par les colonies de<br />
termites de la région. Points de repère dans le paysage,<br />
les trois hautes tours de ventilation ont également un<br />
rôle fonctionnel : avec leurs fentes dans les parties basses<br />
de l’édifice, elles permettent de refroidir naturellement<br />
les espaces de travail, tout en empêchant à la poussière de<br />
rentrer et d’endommager les équipements informatiques.<br />
Des hébergements pour le personnel du campus<br />
et un restaurant verront le jour dans la deuxième<br />
phase du projet. kerearchitecture.com ■ L.N.<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 23
ON EN PARLE<br />
30 danseurs étaient présents<br />
sur la prestigieuse scène<br />
parisienne.<br />
DANSE<br />
BAROQUE HIP-HOP<br />
Retour sur l’arrivée du krump et du voguing<br />
à l’OPÉRA BASTILLE dans ce docu énergisant.<br />
LA CHORÉGRAPHE BINTOU DEMBÉLÉ et 30 danseurs de musiques urbaines se sont<br />
retrouvés il y a deux ans sur la prestigieuse scène parisienne, dans un chef-d’œuvre<br />
de la musique baroque : Les Indes galantes, opéra-ballet créé en 1735 par Jean-Philippe<br />
Rameau. Le krump et le voguing avaient remplacé la marche et le menuet, par la volonté<br />
du metteur en scène Clément Cogitore. Les répétitions sont racontées à travers le regard<br />
des danseurs, jusqu’au triomphe devant le public. Un parcours sans faute où des jeunes<br />
aux racines multiples, athlétiques et pleins de verve finissent par faire corps avec un<br />
monde a priori opposé et conservateur. Ce documentaire capte avec brio cet instant où<br />
la diversité a pris la Bastille et lui a sans doute fait faire un saut générationnel. ■ J.-M.C.<br />
INDES GALANTES (France),<br />
de Philippe Béziat. En salles.<br />
DR<br />
24 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
INTERVIEW<br />
Nawel Ben Kraïem,<br />
la poétesse chanteuse<br />
Dans son premier recueil de poèmes, J’abrite<br />
un secret, la Tunisienne explore avec finesse<br />
et intensité ses questionnements existentiels, son<br />
regard sur le monde, entre lyrisme et révolte sociale.<br />
Elle le défendra sur scène au Festival d’Avignon,<br />
au théâtre Le Verbe fou, du 11 au 18 juillet.<br />
VICTOR DELFIM - DR<br />
<strong>AM</strong> : Quelle est la genèse de votre recueil ?<br />
Nawel Ben Kraïem : J’écris de la poésie depuis toujours.<br />
Les points de départ de mes morceaux sont souvent<br />
des textes libres et poétiques, que je retravaille avec<br />
les contraintes formelles de la chanson : confrontation<br />
à une mélodie, recherche d’un refrain, arrangements…<br />
Lors d’une période de repos vocal après une tournée,<br />
il y a deux ans, j’ai vécu un temps de silence, d’arrêt.<br />
J’ai été attentive à cette matière artistique dans mes<br />
carnets, sans vouloir la confronter à la dynamique<br />
collective de la musique, ses outils technologiques.<br />
J’ai conçu mon recueil comme un chemin de vie,<br />
un itinéraire, où trois temps se dégagent.<br />
D’abord, celui de l’enfance, de l’adolescence,<br />
avec des émotions liées à la sphère familiale.<br />
Puis se déploient la question du chemin,<br />
le voyage, les ressources que l’on trouve<br />
en route, l’écriture, le regard qui se<br />
déplace, la maternité. Enfin, la troisième<br />
partie est plus politique, à travers le<br />
passage du « je » au « nous », d’une colère<br />
intime à une colère consciente.<br />
C’est important de concilier<br />
le « je » et le « nous » ?<br />
Oui. Ma démarche artistique est mue<br />
par une forme de poésie sociale. Elle parle<br />
du rapport entre les humains, de leur solitude, des drames<br />
parfois, mais porte un regard lucide et grave sur le système<br />
profondément injuste qui les régit. Je le mesure peut-être<br />
du fait de mon vécu intime de femme, arabe, qui a grandi en<br />
Tunisie, puis en France. J’ai éprouvé ces injustices, ce passage<br />
d’un monde à l’autre, d’un système à l’autre. Je ressens<br />
une colère, une nécessité de dénoncer ce système qui peut<br />
abîmer, carencer, écraser. Mais j’ai énormément d’empathie,<br />
d’amour, de bienveillance pour les humains. Même pour<br />
ceux qui nous font parfois du mal : souvent malmenés par<br />
cet ordre déshumanisé, les hommes se malmènent entre eux.<br />
J’abrite un secret,<br />
éditions Bruno Doucey,<br />
104 pages, 14 €.<br />
Que vous apporte la poésie par rapport à la musique ?<br />
Le silence. J’aime l’énergie collégiale dans la musique,<br />
mais ce travail d’écriture solitaire m’apporte beaucoup, me<br />
confronte à moi-même, m’apaise. Et dans sa forme même, la<br />
poésie est aussi silence : elle laisse la place à des hors-champ,<br />
des non-dits, à une pudeur qui me correspond. Elle donne<br />
la place à l’autre : celui qui écoute, lit, a l’espace pour projeter.<br />
C’était une phase d’élaboration riche de penser à comment<br />
les mots vont danser sur les pages du recueil, respirer<br />
aussi. Et puis, l’industrie musicale est très concurrentielle.<br />
La poésie est une niche constituée d’amateurs, telle une<br />
famille, d’âme à âme, où l’on ne m’attend pas<br />
avec des chiffres. Ça me touche et me plaît.<br />
Quels auteurs constituent votre « poéthèque » ?<br />
Enfant, Prévert m’a illuminée par<br />
sa sincérité, sa simplicité, sa profondeur.<br />
Adolescente, l’album L’École du micro d’argent<br />
de I<strong>AM</strong> racontait les injustices que je percevais,<br />
faisait écho à ma conscience de classe,<br />
mon hybridité – issue d’une famille modeste<br />
du Sud, fréquentant des élèves aisés au lycée<br />
français… J’aimais leur talent à trouver les<br />
bonnes images, le bruit des mots que l’on a envie<br />
de retenir, de dire, tout en posant un regard<br />
profond sur le monde. Puis, j’ai été très touchée<br />
par les poétesses de l’intime, telle Sylvia<br />
Plath, et plus militantes, comme Audre Lorde, Adrienne<br />
Rich. Et j’ai eu un coup de cœur pour Souad Labbize.<br />
Dans votre poème « J’ai perdu mes carnets », vous<br />
écrivez : « Le souffle raturé / Je suis seule près des mots. »<br />
Une image qui figure votre état lors de l’écriture ?<br />
Oui. Souvent, mes créations prennent source<br />
dans une anxiété, une colère, une solitude, le besoin de<br />
retrouver mon souffle, une quête d’apaisement, de lumière.<br />
Cette mise à nu dans le geste poétique invite l’autre :<br />
nous avons tous des zones de vulnérabilité, auxquelles<br />
nous pouvons survivre. ■ Propos recueillis par Astrid Krivian<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 25
PARCOURS<br />
Ghizlane Agzenaï<br />
AVEC SES TABLEAUX COLORÉS, LA PLASTICIENNE<br />
et street artist originaire du royaume chérifien signe des œuvres<br />
intrigantes et vivantes qui fleurissent diverses expositions<br />
collectives dans l’Hexagone. par Fouzia Marouf<br />
Regard profond, gestes gracieux, Ghizlane Agzenaï retrace en détail la genèse<br />
des pièces aux tonalités vives qui ornent la 193 Gallery. Elles ont été réalisées<br />
lors d’une résidence en Normandie. Pensés au sein d’une riche palette de tons<br />
et de formes, le jaune et le rose éclatants dialoguent avec les autres couleurs,<br />
au fil de ses œuvres qui lui ont permis d’imposer son style audacieux sur la scène<br />
du street art dans le royaume chérifien et en Europe. La plasticienne propose<br />
d’un tableau à l’autre des compositions colorées et joyeuses en quête d’un langage<br />
universel. Autant d’œuvres déclinées en collages papier, toiles et puzzles en bois,<br />
qu’elle appelle « totems », faisant écho à son esprit bienveillant : « Je suis traversée<br />
par une philosophie de vie positive que je souhaite communiquer à travers mes œuvres », précise-t-elle.<br />
Artiste cosmopolite, née à Tanger en 1988, elle grandit à Casablanca où son œil pour les arts<br />
visuels s’aiguise dès sa prime enfance. « J’ai toujours été fascinée par l’univers des comics, les films<br />
de science-fiction. Je voulais créer de l’art urbain, car il est accessible à tous », confie-t-elle. Après<br />
de brillantes études de commerce et une classe préparatoire à Paris, elle met le cap sur Mexico<br />
en 2009, où elle vit durant un an, puis s’installe en 2011 à Londres pour y travailler dans une<br />
banque. Autodidacte, toujours animée d’un fort désir de création, elle ne quitte jamais son carnet<br />
de croquis et se forme seule à la peinture de retour dans la métropole casablancaise. Déterminée,<br />
passionnée, elle pose ses valises à Berlin en 2016, afin d’y côtoyer des artistes urbains.<br />
Elle se tourne vers l’abstraction géométrique à la suite d’une rencontre déterminante : un duo de<br />
street artists qui l’invitent à créer dans leur studio durant près d’un an. « J’ai affiné mon style au cœur<br />
d’une effervescence incroyable, grâce à des artistes extraordinaires au contact facile. J’ai adoré l’énergie<br />
communicative de Berlin », se souvient-elle. Ghizlane Agzenaï instille dès lors de nouvelles perspectives<br />
aux lignes de l’abstraction. Ses « totems » peints à l’aérosol sont découpés au laser et poncés avec soin.<br />
Forgés par un ébéniste, imbriqués dans un harmonieux jeu de couleurs pop, ils forment un captivant puzzle.<br />
Quant à ses toiles monumentales, elles font vibrer la couleur dans l’espace urbain. Entre 2018<br />
et 2019, l’artiste trace les contours d’une abstraction exigeante en habillant différents murs à Rabat,<br />
lors du festival Jidar au musée Mohammed VI d’art moderne et contemporain, ou encore à Barcelone,<br />
Vigo et Paris. La richesse de son empreinte l’amène à réécrire une narration de la peinture abstraite.<br />
En avril 2020, elle crée la surprise en réalisant une performance en 3D, Emerge, projetée sur l’un des<br />
plus hauts immeubles de Casablanca. Suit en novembre l’exposition personnelle « Emerge Reloaded » à<br />
la Galerie 38. En 2021, fin mai, Ghizlane Agzenaï a participé à la Menart Fair, dans la maison de ventes<br />
parisienne Cornette de Saint Cyr. Du 10 au 13 juin, elle sera exposée à l’Urban Art Fair, à Paris, ainsi qu’au<br />
sein de l’exposition collective « Colors of Abstraction 2 », qui rouvrira ses portes à l’issue du confinement.<br />
La peinture est un médium qui permet à cette humaniste de parler au plus grand nombre. ■<br />
26 AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021
LAHBABI<br />
« Je suis traversée<br />
par une<br />
philosophie<br />
de vie positive. »
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C’EST COMMENT ?<br />
PAR EMMANUELLE PONTIÉ<br />
DOM<br />
L’ÉRUPTION DES OUBLIÉS<br />
Goma. Capitale du Nord-Kivu. RDC. Déjà, juste ces quelques mots, ça<br />
commence mal… Si on faisait un sondage mondial pour demander où ça se trouve, peu<br />
de gens seraient capables d’y répondre. En Afrique, on connaît bien. Depuis des années,<br />
Goma et ses environs sont le sinistre et incessant théâtre de conflits, violences, viols et<br />
déplacements de populations. Dans l’indifférence quasi générale. Fin mai, cerise sur le<br />
gâteau, le volcan Nyiragongo a fait irruption dans le paysage miséreux de la région. Dans<br />
la petite ville de Buhene, entre 900 et 2 500 habitations ont été englouties sous la langue<br />
de lave rocheuse du monstre géologique en éruption. Et près de 400 000 personnes<br />
ont dû quitter précipitamment la capitale régionale, baluchon sur le dos, vers des<br />
camps de réfugiés… que l’on promet d’aménager. En RDC et au Rwanda aussi.<br />
La Croix-Rouge et quelques ONG alertent,<br />
prédisent un drame humanitaire sans précédent.<br />
Le volcan semble se calmer. Peut-être<br />
pour un temps seulement. Personne ne peut le<br />
dire. Car les séismes continuent. Les autorités<br />
locales tentent de rassurer. Maladroitement et<br />
dans l’impuissance la plus totale. Et surtout, il<br />
est saisissant que les médias internationaux<br />
n’aient passé que quelques belles images<br />
de l’éruption, presque esthétiques… Point.<br />
Mieux, avons-nous entendu parler d’une aide<br />
d’urgence venue de l’extérieur ? D’équipes<br />
de vulcanologues dépêchées sur place pour<br />
prévoir, planifier la suite ? De sous, d’avions, de<br />
grues ? Pas moi. Ça viendra peut-être.<br />
Mais il est saisissant de constater que<br />
certaines régions de la planète n’intéressent pas<br />
grand-monde. Et que la compassion est bien<br />
diversement ressentie et exprimée. Au fil des<br />
intérêts, peut-être… Plusieurs facteurs doivent<br />
expliquer cela, certes. Mais le résultat est là.<br />
Rude. Disons que naître à Goma aujourd’hui (et il y a malheureusement bien d’autres<br />
parties « hostiles » dans le monde), c’est s’exposer à un quotidien sans pitié, entre les fléaux<br />
de toutes sortes qui s’abattent sur ce bout de terre, de la folie des hommes qui tuent et<br />
qui violent jusqu’à la malédiction naturelle d’une montagne qui crache le feu en toute<br />
liberté, affranchie des radars de surveillance.<br />
Ce billet d’humeur prêchera sûrement dans le désert, mais l’impuissance<br />
générale n’empêche pas d’avoir une pensée pour le peuple oublié du Nord-Kivu. ■<br />
AFRIQUE MAGAZINE I <strong>417</strong> – JUIN 2021 29
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