Spectrum_02_2022
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COUP DE GEULE
Texte Joan Laissue & Lia Ludwig
Illustrations Flickr
L’objectivité scientifique perdue…
« En regardant une théorie physique comme une explication hypothétique
de la réalité matérielle, on la place sous la dépendance de la
Métaphysique. […] On en limite l’acceptation à ceux qui reconnaissent
la philosophie dont elle se réclame. » écrivait Duhem dans sa théorie
physique. Analyse d’un renouveau du paradigme scientifique.
i la science trouvait jusqu’ici sa légitimité
ontologique de l’explication du mon-
S
de dans la méthode et sa réfutabilité poppérienne,
elle se trouve aujourd’hui dans un
conflit épistémologique majeur. Si la physique
parvenait à convaincre ici par son application
empirique et ses données prédictives,
les théories dernièrement émises au sein du
XXe siècle par la physique quantique sont
pour l’heure indémontrables. Ces théories,
telles que la théorie des cordes ou la théorie
des quanta, ne peuvent être qu’invalidées et
«Le monde est ma représentation.
— Cette proposition
est une vérité pour tout être
vivant et pensant, bien que,
chez l'homme seul, elle arrive
à se transformer en connaissance
abstraite et réfléchie.
Dès qu'il est capable de l'amener
à cet état, on peut dire
que l'esprit philosophique est
né en lui»
Arthur Schopenhauer
non vérifiées sur un ensemble de données
empiriques. La méthode newtonienne de la
preuve par le raisonnement inductif est dès
lors inapplicable. Ces théories sont issues
d’un raisonnement déductif, reposant sur
un ensemble théorique tout aussi complexe
et issu, lui aussi, d’éléments probabilistes. Le
réalisme scientifique est donc difficilement
La science est-t-elle aussu devenue un simulacre ?
adoptable en vertu de la dimension métaphysique
et des présupposés épistémologiques
que ces théories requièrent. Il devient
alors impossible d’objectiver les états de fait
que proposent les sciences dans la même
configuration théorique que la physique
quantique. Les sciences avancées ne peuvent
donc plus s’approprier le vrai, mais
doivent se déclarer comme conjoncturellement
vraies ou approximativement vraies.
Nonobstant le paradoxe logique que cela
crée puisqu’une proposition scientifique
se doit d’être universellement vraie et non
pas vraie seulement dans un milieu donné.
Mais alors comment la science pourrait-elle
se passer de la philosophie et des lois du
subjectivisme ?
Et bien en vérité, elle ne s’en absout pas.
Si l’on pouvait théoriser un concept de «
carrières » des sciences, la physique qui
entrevoit sa culminance dans la physique
quantique, serait la plus mature d’entre-elles.
En effet, elle semble avoir dépassé cette
conception d’une binarité logique du
réel, pour laisser les éléments à caractères
probabilistes obtenir une valeur de vérité
scientifique. La physique quantique a dès
lors compris que la science doit opérer à la
restructuration de ses croyances et de son
emprise sur le monde physique. Les sciences
sociales n’en sont malheureusement
qu’au stade fœtal de cette « carrière ». Dans
un souci de légitimité constante, elles ont
longtemps cru bon d’évincer toutes contingences
de ses formulations, croyant ainsi
rompre avec toute forme de relativité. La
physique quantique a, quant à elle, intégré
dans son propre savoir scientifique que les
pratiques de connaissance qu’elle emploie
ont un effet efficient sur les résultats qu’elle
obtiendra. En sciences sociales, même
si quelques courants reconnaissent cette «
fragilité » de l’énoncé scientifique et sa dimension
performative, elle reste néanmoins
une frange assez marginale. Cette nécessité
de reconfigurer la science ne signifie pas de
s’encastrer dans un carcan nihiliste, mais, au
contraire de redéfinir entièrement l’ontologie
de l’objet scientifique et la relation que le
sujet entretient avec ce dernier pour enfin
reconnaître que les expressions du réel sont
multiples. P
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