2. CASSIO Je me souviens d’un tas <strong>de</strong> choses, mais <strong>de</strong> rien distinctement. Une querel<strong>le</strong>, mais je ne sais pas d’où el<strong>le</strong> est partie. Oh Dieu, <strong>le</strong>s hommes introduisent un ennemi <strong>dans</strong> <strong>le</strong>ur bouche pour qu’il <strong>le</strong>ur vo<strong>le</strong> la cervel<strong>le</strong>. Dire que nous trouvons <strong>de</strong> la joie, du plaisir, <strong>de</strong> la satisfaction à nus transformer en bêtes! Il n’est pas encore 14 heures. Sans s’attar<strong>de</strong>r à rég<strong>le</strong>r pour l’instant un important changement <strong>de</strong> décor, Eric fait disposer <strong>le</strong>s éléments indispensab<strong>le</strong>s à la séquence suivante. C’est maintenant au tour <strong>de</strong> Iago d’entrer en jeu, et je suis évi<strong>de</strong>mment très curieux d’entrevoir pour la première fois <strong>le</strong>s traits que Michel Fau va lui prêter. Une symétrie rigoureuse se <strong>de</strong>ssine au plateau. En son centre, une tab<strong>le</strong> ; à cour et à jardin, <strong>de</strong>ux portes. Cassio sort <strong>de</strong> l’une d’entre el<strong>le</strong>s, à cour, appelant Iago à <strong>le</strong> rejoindre pour prendre son tour <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Iago arrive à son tour, <strong>de</strong> l’autre côté. Mais il se gar<strong>de</strong> bien <strong>de</strong> rejoindre son supérieur. Le <strong>temps</strong> <strong>de</strong> quelques répliques, <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux hommes se font face <strong>de</strong> part et d’autre <strong>de</strong> la scène. Puis Iago gagne la tab<strong>le</strong>, verse un verre <strong>de</strong> vin qu’il tend à Cassio, brisant ainsi la disposition symétrique. Cel<strong>le</strong>-ci se rétablit aussitôt : c’est à présent <strong>le</strong> lieutenant qui rejoint l’enseigne pour accepter <strong>le</strong> verre tendu. Ce n’est donc pas Iago qui répond à l’appel <strong>de</strong> Cassio, mais <strong>le</strong> contraire. Premier signe d’un renversement du rapport <strong>de</strong> forces. Iago, jusqu’ici, est calme, neutre, effacé. D’une banalité inscrutab<strong>le</strong>. Soudain il chante, l’air <strong>de</strong> rien, une chanson à boire. On pressent qu’une machine inferna<strong>le</strong> vient <strong>de</strong> se déc<strong>le</strong>ncher, un crescendo dont Iago va contrô<strong>le</strong>r à sa guise <strong>le</strong>s étapes. Depuis que Cassio a absorbé son verre d’alcool, <strong>le</strong> compte à rebours a commencé : <strong>le</strong> toxique est en lui, il suffit maintenant d’attendre qu’il lui monte à la tête. L’empoisonnement – figure <strong>de</strong> l’inéluctab<strong>le</strong>. Le Maure, lui aussi, sera empoisonné, mais d’abord par <strong>de</strong>s mots. Entre Montano, qui tient lui aussi à trinquer à la santé <strong>de</strong>s nouveaux mariés, Othello et Desdémone, dont c’est la nuit <strong>de</strong> noces. L’équilibre du plateau ne paraît pas compromis par cette nouvel<strong>le</strong> présence. Iago se tient entre <strong>le</strong>s <strong>de</strong>ux hommes, eux-mêmes <strong>de</strong> part et d’autre <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>. Le vin cou<strong>le</strong>, l’échanson infernal monte sur la tab<strong>le</strong> pour chanter encore. Tiens, Iago est moins discret ! Il a ses raisons, évi<strong>de</strong>mment. Michel Fau aussi. Comme toujours, Iago fait tourner l’inattendu à son profit – son idée étant ici que pour pousser Cassio à bout, il faut l’humilier, en tirant parti <strong>de</strong> la présence <strong>de</strong> ce témoin qu’est Montano, ancien gouverneur <strong>de</strong> l’î<strong>le</strong>… Cette idée du personnage, l’acteur va lui donner chair à sa façon. Debout sur la tab<strong>le</strong>, ce Iago-là est comme <strong>le</strong> fléau du plateau, balance géante que l’on sent déjà frémissante. Il chante à p<strong>le</strong>ins poumons, vulgaire à souhait : magnifique provocateur, accélérateur <strong>de</strong> bourrasque, paratonnerre narguant l’ivresse <strong>de</strong> Cassio, teintée <strong>de</strong> honte, <strong>de</strong> colère, d’impuissance et <strong>de</strong> mépris <strong>de</strong> caste. La symétrie du plateau, resserrée autour <strong>de</strong> la tab<strong>le</strong>, est maintenant comme un ressort qui s’est comprimé… Cassio quitte la place, <strong>dans</strong> un suprême effort pour s’arracher à l’influence démoniaque <strong>de</strong> l’enseigne. Mais <strong>le</strong>s jeux sont faits. Sur scène, <strong>le</strong> calme apparent est <strong>de</strong> ceux qui précè<strong>de</strong>nt <strong>le</strong>s tempêtes. Même absent, <strong>le</strong> lieutenant ivre pèse <strong>de</strong> tout son poids sur <strong>le</strong> plateau, tirant l’oeil du spectateur du côté cour. D’autant plus que Iago a envoyé Rodrigo, son comparse et sa dupe, rejoindre Cassio <strong>dans</strong> la coulisse… Soudain <strong>de</strong>s cris, une course <strong>de</strong> cour à jardin – et la bagarre fata<strong>le</strong> éclate. Le ressort du piège s’est détendu : cette fois-ci, l’équilibre est bien rompu. Dans quelques secon<strong>de</strong>s <strong>le</strong> scanda<strong>le</strong> sera comp<strong>le</strong>t, Othello sera contraint <strong>de</strong> renvoyer son lieutenant. L’état initial était symétrique ; une fois l’état final atteint, la symétrie ne reviendra plus – la chute <strong>de</strong> Cassio est accomplie, l’objectif <strong>de</strong> Iago est atteint. Extraordinaire mouvement <strong>de</strong> scène où l’implacab<strong>le</strong> se cache sous <strong>le</strong> masque <strong>de</strong> l’improvisation, et que <strong>le</strong> <strong>de</strong>ssin même <strong>de</strong> l’espace exprime avec une bel<strong>le</strong> économie <strong>de</strong> moyens. Il n’est pas encore 19 heures. La séquence est achevée. Iago peut à présent re<strong>le</strong>ver Cassio : il lui faut remonter ce ressort-là – pour un autre piège. Daniel Loayza Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 26
CROQUIS DE COSTUMES : Dans cette mise en scène d’Othello vous ne trouverez pas <strong>de</strong> costumes d’époque. Voici quelques images qui ont inspiré Sophie Hoarau et son équipe, accompagnées <strong>de</strong>s croquis <strong>de</strong>s costumes. Différentes tenues ont été prévues pour chaque personnage selon <strong>le</strong> lieu et <strong>le</strong> moment <strong>de</strong> la pièce. Othello/ 6 novembre › 7 décembre 2008 27
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