03.08.2022 Views

Haiti Liberte 3 Aout 2022

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

Haïti d’une Transition à l’Autre (30)

Ariel Henry, un son « CDI » à la tête de la Transition !

Par Catherine Charlemagne

Comme pour l’assassinat du Président

Jovenel Moïse, il y a tout

juste une année, le 20 juillet 2022

ramenait l’anniversaire de l’avènement

du Dr Ariel Henry à la tête de la

Transition politique qui s’en est suivie

à titre de Premier ministre a.i. Arrivé

au pouvoir de manière controversée

suite à l’éviction par le Core Group de

son prédécesseur, Dr Claude Joseph

alors chef de gouvernement a.i avant

le meurtre du chef de l’Etat, Ariel

Henry a le plus grand mal à devenir

l’homme de la situation. Plus de 365

jours au sommet d’un Etat paria, livré

à lui-même et gangréné par la mafia

politico économique, celui qui détient

l’essentiel des pouvoirs en Haïti ne

peut présenter le moindre bilan de ses

actions tant qu’il n’y a rien à présenter.

Même son adresse à la Nation le

mercredi 20 juillet qui devait être le

seul temps fort de ce non évènement

a été un échec. Pourtant, ce discours

n’a pas été spontané. Et pour cause.

C’est un message préenregistré.

Annoncé pour 18 heures, heure

de Port-au-Prince, toute la population

avait fait l’effort de se mettre devant

son petit écran ou de s’accrocher à

son poste de radio en vue d’écouter

ce que le Premier ministre avait à dire

ou à annoncer à un pays qui n’en

peut plus. Mais, là aussi, ce fut la

déception dans la mesure où il fallait

attendre des heures durant avant que

les techniciens de la TNH (Télévision

Nationale d’Haïti) puissent lancer le

magnétoscope, comme on le disait

à une époque qui ne nous rajeunit

point. Preuve, s’il en était besoin pour

comprendre que le pays n’est pas

gouverné. Des heures de retard juste

pour diffuser un message gouvernemental

préenregistré à l’occasion

d’une date qu’on attendait depuis

longtemps. Bon passons. Après une

année de gouvernance absolue sans

contre-pouvoir ni opposition ni manifestation,

le Premier ministre est apparu

à la télévision égal à lui-même,

c’est-à-dire, sans charisme et sans

boussole, donc pas de cap. Ou du

moins si. Il est pâle, effacé et tourne

en rond. Puisque, dans son adresse

au peuple d’Haïti, Ariel Henry s’autorise

à reprendre les mêmes souhaits

qu’il avait formulés pour l’année qui

vient de s’écouler.

Ce qui est un mauvais signe si

l’on considère qu’il n’a tenu aucune

des promesses qu’il avait faites à la

population au moment où madame

Le Premier ministre Ariel Henry, à l’occasion de l’anniversaire de son

installation, le 20 juillet 2022

Helen La Lime, la Représentante spéciale

du Secrétaire général des Nations

Unies, Antonio Guterres et cheffe du

BINUH (Bureau Intégré des Nations

Unies en Haïti) lui avait passé les

clés de la Primature après avoir chassé

Claude Joseph comme un vaurien.

Douze mois se sont écoulés depuis

que Ariel Henry, seul maitre à bord,

tient la barre du navire Haïti pour le

porter à saborder. Pourtant, l’homme

persiste et insiste à poursuivre

dans cette trajectoire sans issue. En

refusant de partager le pouvoir qu’il

a acquis par procuration grâce à la

lâcheté de son prédécesseur et la peur

des blancs, Ariel Henry croit toujours

qu’il peut y arriver même quand

il ne reste que les décombres. Malgré

plusieurs tentatives d’autres entités

politiques et acteurs de la Société civile

convoitant eux aussi le pouvoir

et peut-être souhaitant le partager

avec lui, le détenteur de la clé de la

Villa d’Accueil à Bourdon n’entend

pour rien au monde céder une once

de cette « pépite » qu’il veut garder

jalousement à lui tout seul.

Il croit encore qu’il peut atteindre

des objectifs qu’il n’a pu réussir

durant cette première année passée

à la Primature. Un laps de temps que

certains considèrent comme étant une

« année blanche ». Qu’importe, le chef

des Pouvoirs exécutifs (Présidence et

Primature), fort de son CDI (Contrat

de travail à Durée Indéterminée),

n’hésite pas à rappeler, lors de son

adresse à la Nation, ses objectifs qui,

somme toute, ne sont qu’un plat

réchauffé. Quels sont ces objectifs ?

Selon Ariel Henry, « (…) Il s’agit de :

lutter contre l’insécurité et rétablir la

paix et la libre circulation des personnes

et des biens ; combattre la

corruption sous toutes ses formes

en vue d’augmenter les recettes de

l’État ; construire un consensus autour

des modifications indispensables

à apporter à la Constitution afin de

parvenir à un meilleur fonctionnement

de nos institutions démocratiques.

Mettre en place un appareil

électoral crédible qui rassure tous

les secteurs et encourage une forte

participation des électeurs, en vue de

garantir une légitimité certaine aux

prochains élus ; œuvrer pour un meilleur

fonctionnement de l’appareil

d’Etat ce qui contribuera à assainir

l’environnement politique en général

et à répondre aux justes revendications

de la population » (…) Soutenu

dans ce hold-up politique incroyable,

invraisemblable, voire, inimaginable

avant le magnicide du 7 juillet 2021,

par une coalition de groupuscules politiques

incapable de gagner le moindre

scrutin et qui a même une peur bleue

d’aller affronter les suffrages universels,

celui qui fait office du chef de la

Transition, refuse d’entendre raison.

Il persiste à croire qu’il est le seul à

pouvoir amener la Transition à bon

port quand il déclare : « (…) Je veux

rappeler aux uns et aux autres que la

mission principale du gouvernement

que j’ai l’honneur de diriger est de

créer les conditions pour la réalisation

d’élections honnêtes transparentes

et démocratiques, en vue

de transmettre le pouvoir dans les

meilleurs délais possibles, à des élus

librement choisis par une majorité

d’haïtiennes et d’haïtiens (…)».

En vérité, si le Premier ministre

Ariel Henry croit vraiment à ce

scénario, il n’est pas seulement dans

le déni de vérité, mais il a tout simplement

perdu la raison. Car il est le

seul à croire qu’il peut y arriver tout

seul. Même le cercle des anciens combattants

de l’ancienne opposition, Me

André Michel et consort en tête, qui

lui sert de bouclier humain politique

le temps de s’engraisser sur le dos de

la bête, n’y croit absolument pas. Il

faut être le plus naïf de chez Naïf pour

croire à un scénario si irréaliste surtout

dans cette conjoncture en Haïti. Combatte

l’insécurité, stopper l’avancée

des gangs qui le barricadent au haut

de Bourdon, trouver un accord avec

les autres acteurs qui s’impatientent

derrière les portes du pouvoir, réécrire

ou amender la Constitution de Jovenel

Moïse et enfin, organiser des élections

générales inclusives avant de passer

les clés du Pouvoir exécutif à un Président

de la République élu. Tout cela

relève de l’utopie. C’était déjà l’objectif

du 20 juillet 2021, lorsqu’il avait

hérité du Palais national en même

temps que de la Primature.

D’ailleurs, même dans les pays

où la pratique de la politique se fait

avec sérieux et où l’intérêt général

prend le dessus sur l’enrichissement

personnel, ce qui est différent en Haïti

et particulièrement depuis le début

de cette Transition d’un nouveau

genre, seules les actions collectives

et soutenues par une majorité peuvent

espérer réussir. Or, depuis un an

que constate-t-on en Haïti autour du

Premier ministre a.i ? Rien que de la

surenchère politique et des déclarations

démagogiques de la part de ceux

qui soutiennent cette politique absurde

qui consiste à confisquer la totalité

des prérogatives politiques de la

République. Un non-sens et l’on dirait

même que c’est de la mauvaise foi.

Comment imaginer que tout un pays,

plus logiquement, toute une élite politique

accepte qu’une minorité, certes

de la même filiation, puisse hériter

d’un pouvoir sans partage, sans contrôle

et surtout sans aucune durée

dans le temps décide seule de l’avenir

de tout un peuple ?

On ne peut le croire et surtout

l’on ne veut le croire. Le pire, ce pouvoir-là

qui prétend prendre tout à sa

charge n’est issu d’aucun scrutin universel

direct ou indirect alors même

qu’on parle de démocratie, de bonne

gouvernance et tutti quanti. Toute

proportion gardée, le pouvoir d’Ariel

Henry s’apparente à une présidence à

vie et une dictature absolue. Puisque

celui-ci préside, gouverne, légifère

et décide seul comme un monarque

d’une Monarchie absolue mais sans

aucune autre institution ni autre autorité

pour s’interposer ou faire objection

à ses décisions. Un comble pour

ce peuple qui a mis fin, il y a plus de

trente-six ans, à la dictature et au

pouvoir personnel. Pourtant, malgré

ce vaste pouvoir étendu et un an après

son parachutage au sommet de l’Etat,

le moins que l’on puisse dire, Ariel

Henry, en dépit d’avoir les mains libres

sur tous les rouages des pouvoirs

en Haïti, reste dans la prospection

politique. Puisqu’il reprend les mêmes

mots de son allocution d’il y a un an

pour parler de dialogue avec les autres

acteurs. « (…) Le dialogue est et demeure

l’outil idéal pour résoudre les

problèmes politiques.

C’est la voie que j’ai privilégiée

jusqu’ici, et j’entends y demeurer.

Un dialogue franc et sincère avec

tous les secteurs de la vie nationale.

Sèlman bandi pa ladan l. J’espère

que les uns et les autres le comprendront

et y contribueront en toute

bonne foi avec une ferme volonté

d’aboutir (…) Il est indispensable de

mettre autour de la table les partis

politiques, mais aussi les principaux

acteurs économiques et sociaux pour

construire ensemble un projet national

pour l’Haïti que nous voulons

léguer à nos enfants et à nos petits-enfants

» a-t-il estimé. Sans une

réelle opposition politique, il ne s’est

jamais inquiété de quoi que ce soit et

surtout de l’action d’aucun groupe qui

aurait pu le mettre en difficulté ou le

contraindre à démissionner comme

les régimes précédents. Depuis le 20

juillet 2021, Ariel Henry s’appuie

sur son Contrat de travail à Durée

Indéterminée (CDI) qu’il a obtenu du

Core Group, l’organisme diplomatique

regroupant les principaux ambassadeurs

accrédités à Port-au-Prince pour

jouer avec l’avenir de 12 millions

d’Haïtiens et Haïti lui-même.

C’est irresponsable, voire dangereux.

Ce monsieur qui s’enferme

dans sa résidence officielle à Bourdon

n’a toujours pas pris conscience de

l’état de l’insécurité à Port-au-Prince

et de ses environnements sans oublier

la situation déplorable du reste du

territoire coupé de la capitale à cause

de l’occupation armée par les gangs

contrôlant les principales entrées et

sorties du centre économique du pays

qu’est Port-au-Prince. Le plus navrant

de cette histoire de fou, jamais, depuis

la chute des Duvalier un pouvoir en

Haïti n’a eu autant de liberté et d’autonomie

pour agir, décider et prendre

des mesures politiques et institutionnelles

concrètes qui auraient pu

changer l’image du gouvernement et

consolider la Transition afin de parvenir

à un consensus politique avec

les autres secteurs en vue de l’organisation

de vraies élections générales.

Mais, s’entourant de gens n’ayant

aucun sens de l’Etat, encore moins la

volonté de secourir la population malgré

la pauvreté endémique qui frappe

de plus en plus les haïtiens, le Premier

ministre a.i demeure sourd aux sollicitations

de ses protagonistes.

Seuls les leaders de l’ex-opposition

qui acceptent de couvrir ce

déni de démocratie et donc de marcher

dans cette forfaiture tirent leurs

marrons du feu. En cautionnant cette

politique du pire, ils seront eux aussi

comptables de cet échec monumental

de la nouvelle Transition. Un an

après, Ariel Henry et ses alliés de

l’Accord du 11 septembre demeurent

dans le domaine des vœux pieux.

C.C

8 Haiti Liberté/Haitian Times

Vol 16 # 05 • Du 3 au 9 Août 2022

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!