Boxoffice Pro n°444 – 14 mai 2023

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CANNES 2023 / RENCONTRES NATIONALES ART ET ESSAI Notre singularité, le cœur même de l’Afcae, est de considérer le cinéma comme autre chose qu’un simple loisir ou un produit d'appel GUILLAUME BACHY, PRÉSIDENT DE L’AFCAE Vous avez été élu président en octobre dernier. Quel premier bilan peut-on tirer de ces six premiers mois ? Je tiens d’abord à souligner le travail de François Aymé et le remercier pour son temps, son investissement et son énergie. Ses actions, internes et externes, ont vraiment été positives pour l’association qui est aujourd’hui plus forte que jamais. Notre bureau renouvelé est très engagé, le conseil d'administration dynamique et impliqué, tout cela avec une équipe compétente autour du délégué général David Obadia. Ensemble, nous co-construisons nos actions de façon collective et intégrée. Et puis, nous ne pouvons que nous réjouir de la reprise du marché. Selon les dernières statistiques, les films art et essai du top 30 du premier trimestre 2023 réalisent 68 % d’entrées de plus que le comparable 2022 et la part de marché des salles classées est en progression de près de 20% par rapport à la moyenne 2017-2019 de la même période, soulignant l'excellente dynamique du marché art et essai. Alors que les salles ont souvent été attaquées pendant la crise, le cinéma reprend sa place de façon positive, grâce au nombre de films et parce que nous avons martelé que non, le cinéma n’est pas cher, non, le cinéma n'est pas une activité de riches, et que oui, venir au cinéma est une expérience exceptionnelle. Les gens en ont assez d'être seuls chez eux, ils ont envie de nouveautés de partage et de diversité qu’ils trouvent dans nos salles. Les auteurs et cinéastes ont été brimés pendant la période de la Covid. Beaucoup de films qui auraient dû sortir en salle ont connu une carrière quasi inexistante sur plate-forme. Les cinémas jouent ce rôle-là : celui de faire connaître les cinéastes et leur permettre de rencontrer leur public. Apple a compris que c'était important en accompagnant Scorsese dans le plus grand festival du monde. C'est une valeur qui n'existe nulle part ailleurs. On n'a pas fait mieux que la salle pour la notoriété des œuvres. Les Rencontres nationales art et essai ouvrent, comme de tradition, les festivités de la croisette. Un rendez-vous incontournable, aussi bien cinéphile que politique. Alors que le CNC donne le coup d’envoi d’une concertation interprofessionnelle sur la réforme art et essai, Guillaume Bachy présidera sa première assemblée générale cannoise, après les sept années de mandat de François Aymé. Entretien avec le président de l'Association nationale des cinémas art et essai pour évoquer ses enjeux et sa feuille de route. Comment se profilent les rencontres nationales cannoises ? Nous avons reçu plus de 950 inscriptions. Les salles adhérentes ont un vrai désir pour ce rendez-vous important. Ils savent qu'ils vont rencontrer l'équipe de l'Afcae, les administrateurs, voir des films et avoir des temps d'échanges politiques avec le CNC. Nous proposerons un temps de présentation de projets innovants, qui mettra en avant de nouveaux acteurs et de nouvelles pratiques dont les adhérents pourront s'inspirer. Les salles art et essai ne ronronnent pas. Au contraire, elles se projettent dans le XXI e siècle et se saisissent de leurs propres enjeux d'animation, d'énergie, d’écologie et d'architecture. Pour ce faire, nous proposerons à nos adhérents d’actualiser nos statuts, à travers une assemblée générale extraordinaire, non seulement sur la possibilité du vote électronique, mais plus en profondeur, sur une nouvelle façon d'animer et d’administrer l'association. L’objectif est d’établir une plus grande représentativité des administrateurs et des décisions plus collectives, en somme, de rendre plus souple et plus simple la relation entre les adhérents et l'association. 14 N°444 / 14 mai 2023
Vous avez récemment manifesté votre désaccord avec la fin du Fonds jeunes cinéphiles, dont la dotation est injectée dans l’enveloppe art et essai globale. Quelles sont les conséquences d’une telle décision ? Nous ne pouvons que le regretter. Au final, l’enveloppe art et essai diminue puisque qu’elle était de 18,4 M € en 2022 et que cette année, elle sera de 18 M €, dont les 2 M € incorporés du fonds Jeunes cinéphiles. Cette décision est un mauvais message : ce n'est pas parce que ce travail ressemble à de l’art et essai qu'il doit être intégré à l'enveloppe globale. Il s’agit d’une action, validée par l’ensemble de la filière, qui a rencontré un grand succès auprès du public visé. Aujourd'hui, on ne parle plus de public jeune, ni de public adolescent, mais de public 15-25. C'est devenu un marqueur intégré dans la politique des salles. Son arrêt au bout d'un an nous questionne au-delà de la déception de ne pouvoir dresser un bilan des actions menées et de les expérimenter dans d’autres salles. L'Afcae a siégé à la commission de sélection des dossiers, dont 212 ont été retenus sur 249 déposés avec une dotation moyenne de 10 000 €. Premièrement, nous avons constaté la qualité et la diversité des actions mises en place et la façon dont elles s'inscrivent dans les territoires. Ensuite, au-delà de la notion d'art et essai que nous défendons, nous pensons qu’il y a des croisements possibles avec tous les autres dispositifs mis en place, et qu’ils s’enrichissent mutuellement... Sans compter que certaines salles démarraient leurs actions avec des films grand public, et s'emparaient au fur et à mesure d’œuvres plus exigeantes. Nous considérons qu'il faut continuer à travailler cette cible. Cela fait plus d'une quinzaine d'années que l’on cherche à faire revenir les jeunes en salle et nous sommes arrivés à maturité de notre réflexion. On ne va pas lâcher maintenant ! Nous continuerons à expérimenter ce projet avec notre comité 15-25 et nous espérons être soutenus dans cette démarche par le CNC. Quels sont les autres dispositifs que vous avez envie de défendre dans les prochains mois et vos grandes lignes directrices ? Nous sommes mobilisés sur le dispositif expérimental Étudiant.e.s au cinéma. Notre objectif est d'être un facilitateur entre les salles et les universités, afin qu'elles entretiennent un dialogue direct, simple et rapide avec les étudiants. Le groupe des associations territoriales établira un cercle vertueux en créant le lien entre les salles, les départements et les régions. À l'échelle nationale, nous avons initié une journée "les Etudiant.e.s à l'affiche" qui a réalisé 700 entrées dans 4 cinémas du dispositif. Pour identifier des films et les accompagner au moment de leur sortie en salle, nous avons composé un collège d'étudiants que nous emmenons à Cannes, puis au festival La Rochelle Cinéma. La question des postes de médiateurs reste un enjeu primordial pour l’Afcae. Alors que les conventions État/ Région sont en rediscussion, nous partageons complètement l'ambition du CNC de doubler sur deux ans le nombre de médiateurs et d’atteindre 140 postes. Là aussi, c’est un cercle vertueux qui s’inscrit dans la reconquête des publics et dans tous les dispositifs pour les jeunes. Il ne faut pas que l’on perde ces maillons essentiels au risque d’écrouler une politique culturelle que l’on vient juste de mettre en place et qui ne peut reposer uniquement sur le pass Culture. Ce dispositif ne peut pas, en effet, être la seule politique culturelle du gouvernement. Il faut aller au-delà de son fonctionnement, basé sur la demande, pour accompagner et faire découvrir de nouveaux films. Cela implique un investissement très fort des exploitants. Nous avons aussi des inquiétudes concernant l'utilisation de la part collective du pass Culture sur les dispositifs d'éducation aux cinémas, désormais très ancrés dans les territoires. Il faut réserver cette part à d'autres On ne parle plus de public jeune, ni de public adolescent, mais de public 15-25. C'est devenu un marqueur. actions que celles déjà prises en charge par les collectivités. Elle doit servir à faire découvrir aux collégiens et lycéens des films d'actualité, qu'ils n'auraient pas été voir par eux-mêmes, ou à la mise en place de pratiques artistiques ou encore de découvertes culturelles qui ne se substituent pas à ce qui existe déjà. Les distributeurs doivent prendre position là-dessus pour soutenir les films qui ont du mal à trouver leur public et profiter de leurs campagnes de promotion. Nous pensons aussi que ce volet collectif du pass peut être mis à profit pour payer des coûts de transport, qui sont les premiers freins de l'accès des établissements à la salle de cinéma. Nous verrons quelles seront les décisions des départements et des régions à la rentrée 2023, mais nous tirons le signal d'alarme. Après la remise du rapport Lasserre le 6 avril, vous avez signifié votre étonnement sur les propositions de réforme de l’art et essai et la volonté de pondérer à la baisse les séances des films à fort potentiel commercial dans le calcul des subventions. Comment abordez-vous ces propositions ? Premièrement, le rapport montre que l'exploitation française est très forte, même exceptionnelle au regard de l’Europe ou du reste du monde. Bruno Lasserre pointe aussi que les salles art et essai qui travaillent mieux les films dans la profondeur, la durée et dans les territoires, ont grandement favorisé la reprise. En ce qui concerne les préconisations sur l’art et essai, nous estimons qu'on ne peut pas demander la même chose à une salle de centre-ville qu'à une salle de la ruralité. Les notions de territoire doivent être prises en compte via un dispositif sélectif. Le rapport Lasserre, qui est un peu technocrate, réduit les films à une valeur de points. Or, ce qui fait la différence entre une salle et une autre, c'est son travail d’accompagnement des films. Proposer The Fabelmans de Steven Spielberg en troisième semaine à Saint-Pol-sur-Ternoise avec une animation, c’est faire de l’art et essai de qualité, plus que si on le faisait à Paris. La préconisation du rapport Lasserre, qui se base sur le nombre de copies des films – donc au final à une décision du distributeur – ne permet pas de considérer la diversité des œuvres, l’animation en salles et leur territorialité. Plus de sélectivité amènerait à un calcul plus juste par rapport à l'investissement et aux dépenses des salles et permettrait de travailler au plus près de la vérité des territoires. Concernant les films dits “fragiles” cités par Bruno Lasserre, ils sont déjà pour la plupart pris en compte par le label Recherche et Découverte. Une réflexion sur sa majoration pourrait être envisagée : leur programmation reste un vrai choix des salles, beaucoup plus significatif que le nombre de copies en sortie nationale. Puisque le CNC a décidé qu’il y aurait une réforme, autant y réfléchir vraiment et aller là où c'est important pour les salles. Évidemment, nous participerons aux concertations et serons à la hauteur de ce que nous représentons. Lors de notre dernier entretien, vous aviez évoqué votre volonté de mettre en valeur la “marque” Afcae auprès du grand public et de revendiquer de façon visible les valeurs portées par les salles art et essai. Où en êtes-vous de cette réflexion ? Nous construisons des projets, en lien direct avec le grand public, où la notion d'art et essai sera retravaillée et modernisée. Pour cela, nous avons réfléchi aux valeurs que porte l’Afcae : l’engagement, la transmission, la force collective et l’ambition de porter un modèle de société inclusif. Se rajoute aussi la notion d’écologie dans toutes ses dimensions. Aujourd’hui l'histoire de l’Afcae et ses valeurs résonnent avec la grande Histoire politique. Nous avons tout lieu de croire que nous sommes à la bonne place au bon moment. Notre singularité, le cœur même de l’Afcae, est de considérer le cinéma comme autre chose qu’un simple loisir ou un produit d'appel. L'art à essai n’est pas une valeur dévoyée ni obsolète. C'est une marque complètement dans l'air du temps. Il faut juste le faire savoir pour être mieux compris et mieux reconnu. Propos recueillis par Marion Delique N°444 / 14 mai 2023 15
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