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Boxoffice Pro n°444 – 14 mai 2023

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DOSSIER : LE MAGHREB SUR LA CROISETTE<br />

ENJEUX DE PRODUCTION DU CINÉMA<br />

MAGHRÉBIN, OU COMMENT<br />

FINANCER UNE NOUVELLE VAGUE<br />

L’émergence d’une nouvelle<br />

vague de cinéastes<br />

maghrébins à partir des<br />

années 2010 a remis en<br />

perspective les montages de<br />

production habituels des films<br />

de la région, au point-même<br />

de remettre en question leur<br />

nationalité.En témoignent<br />

entre autres<br />

À Nadim Cheikhrouha,<br />

producteur des Filles d’Olfa, et<br />

Asmae El Moudir, réalisatrice<br />

et productrice de La Mère de<br />

tous les mensonges, à<br />

l’occasion de la sélection de<br />

leurs films à Cannes.<br />

Les Filles d'Olfa de Kaouther Ben Hania<br />

Les films maghrébins entièrement financés par des<br />

fonds locaux se font de plus en plus rares sur les tapis<br />

rouges des grands festivals internationaux, dont celui<br />

de Cannes. À commencer par les films tunisiens, tant<br />

la part de l’État dans les montages de financement<br />

sont de plus en plus minoritaires : « L’enveloppe de<br />

quelque 500 000 dinars [150 000 €] par film octroyée<br />

par le ministère de la Culture n’a pas beaucoup évolué<br />

depuis les années 1990 », remarque Nadim Cheikhrouha,<br />

directeur de la société Tanit Films, basée à Paris, et<br />

producteur des Filles d’Olfa de Kaouther Ben Hania,<br />

en compétition officielle. « À mesure que le cinéma<br />

tunisien gagne en notoriété et que ses auteurs affichent<br />

de plus grandes ambitions, ce montant devient de plus<br />

en plus som<strong>mai</strong>re. »<br />

La France est régulièrement le financeur majoritaire<br />

des productions maghrébines de ces vingt dernières<br />

années, comme cela a été le cas pour le précédent film<br />

de la réalisatrice, L’Homme qui a vendu sa peau <strong>–</strong> porteétendard<br />

de la Tunisie aux Oscars 2021 bien que 20 %<br />

seulement de ses 2 M € de budget en proviennent,<br />

aux côtés de fonds allemands, belges, suédois, qataris<br />

et, donc, français. « Et par-dessus cela, le ministère de<br />

la Culture nous a reproché un film “non-tunisien” ! »,<br />

s’indigne le producteur, le récit suivant un jeune Syrien<br />

dans ses sacrifices pour rejoindre l’Europe.<br />

Un reproche difficilement adressable aux Filles d’Olfa,<br />

dont la genèse a particulièrement mis en lumière la<br />

fertilité, l’exigence, <strong>mai</strong>s aussi les difficultés de financement<br />

des cinémas maghrébins. « Vers 2016, Kaouther<br />

[Ben Hania] entend à la radio le témoignage d’Olfa,<br />

mère de quatre filles dont les deux aînées se retrouvent<br />

emprisonnées en Libye après avoir rejoint les rangs de<br />

Daesh. Fascinée par cette mère, Kaouther prend contact,<br />

convaincue que derrière le simple fait divers se cachait<br />

une histoire de famille, de transmission et d’adolescence<br />

<strong>–</strong> que le prisme journalistique ne parvenait pas à saisir.<br />

Elle part à la rencontre de la famille, établit une relation<br />

de confiance et obtient leur accord pour les filmer dans<br />

un documentaire. Mais les financements ne suivaient<br />

pas : aussi passionnante l’histoire soit-elle, nous avons<br />

essuyé plusieurs refus. »<br />

C’est là que le documentaire prend une nouvelle<br />

tournure et « adopte un dispositif hors du commun »,<br />

dans lequel deux actrices professionnelles, Nour Karoui<br />

et Ichraq Matar, incarnent les deux aînées disparues,<br />

et où l’immense Hend Sabri, « à qui est destiné le rôle »,<br />

endosse par moments le personnage d’Olfa, dans un<br />

jeu de miroir avec la mère de famille. « Les Filles d’Olfa<br />

en devient ainsi un film sur la mise en scène, sur le<br />

cinéma, comme le making-off d’un film qui n’existe pas<br />

et ne ressemble à aucun autre », et qui, dès lors, intéresse<br />

beaucoup plus : la première subvention octroyée est<br />

l’avance sur recettes du CNC. Jour2Fête acquiert<br />

rapidement les droits France, sa structure de ventes<br />

internationales The Party Film Sales les droits monde,<br />

et le projet reçoit l’aide à la coproduction francotunisienne,<br />

fonds de soutien bilatéral entre le CNC<br />

français et le CNCI tunisien. C’est là seulement que<br />

tombent les apports publics du pays, qui, avec les<br />

apports privés, font que la Tunisie représente 20 %<br />

du budget du film (de 900 000 €), contre 60 % de<br />

fonds français <strong>–</strong> les 20 % restants provenant d’Allemagne<br />

et d’Arabie saoudite. « Nous en venons à nous<br />

interroger sur la nationalité de nos films, alors-même<br />

qu’ils traitent de réalités intrinsèquement tunisiennes »,<br />

déplore Nadim Cheikhrouha, déjà en préparation du<br />

prochain film de Kaouther Ben Hania, Mime, pour<br />

lequel « nous n’avons tout simplement pas reçu de soutien<br />

du ministère de la Culture, sans la moindre raison et en<br />

toute opacité. Nous faisons rayonner la Tunisie et ses<br />

talents à l’international, nous investissons dans le pays<br />

généralement le double de ce que nous en percevons, <strong>mai</strong>s<br />

nous faisons face à un mur. »<br />

Bien que la part de soutien public ne doive pas dépasser<br />

le seuil légal de 35 % du budget d’un film, c’est bien<br />

l’opacité des décisions ministérielles tunisiennes qui<br />

est particulièrement pointée du doigt. Lina Chaabane,<br />

©Jour2Fête<br />

32 N°444 / <strong>14</strong> <strong>mai</strong> <strong>2023</strong>

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