Corner Magazine #6

Comment s'est opérée la transition
entre la fin de ta carrière de joueur
et ton métier de recruteur ?
Je n'aurais jamais envisagé de
devenir recruteur. J'ai dû mettre fin
à ma carrière de footballeur plus tôt
que prévu. J'avais 25 ans et je ne
pouvais plus jouer au football. J'ai
commencé à m'impliquer dans le
coaching au niveau interrégional,
ce qui était une expérience
enrichissante. Puis un jour, ma
femme m'a dit : "Allons en
Argentine!" Je n'étais pas convaincu,
mais elle m'a encouragé. J'ai
commencé à travailler avec un
agent pour faire de la vente, mais
cela ne me convenait pas. En 2005,
au Venezuela pour un tournoi des
moins de 17 ans, j'étais à la piscine
avec Pepe Costa, proche confident
de Lionel Messi. Il m'a dit : "Regarde
là-bas, il y a un autre Suisse." C'était
Ruedi Zbinden (ndlr : recruteur
pour le FC Bâle). Je le connaissais
un peu car nous avions joué l'un
contre l'autre. Je savais qu'il ne
parlait pas la langue, alors je suis
allé le saluer et lui ai proposé mon
aide si nécessaire. Nous avons pris
un taxi pour aller voir un match, et
je lui ai recommandé de suivre
attentivement le numéro 9 de
l'Équateur. Après le tournoi, Ruedi
m'a invité à le rencontrer en Suisse
autour d'un café. Un mois et demi
plus tard, il m'a dit : "Sais-tu qui j'ai
recruté pour le FC Bâle ? Felipe
Caicedo !" Suite à cette rencontre, il
m'a proposé de rejoindre le FC Bâle
en tant que recruteur.
À cette époque, le métier de
recruteur est-il différent de celui
d’aujourd’hui ?
Ce qui a changé, ce sont les
données à disposition. Aujourd'hui,
le recrutement est même assisté
par l'intelligence
artificielle. L'influence des
statistiques dans le processus est
inimaginable. Lorsque j'assiste à un
match et croise un jeune recruteur,
il est absorbé par sa tablette, en
train de saisir une multitude de
données en temps réel. Il est moins
dans l'analyse et davantage dans la
collecte d'informations. Trouver
l'équilibre est essentiel. Les
nouvelles technologies peuvent
certainement accélérer le
processus, aider à sélectionner des
candidats, mais l'œil, l'expérience et
l'instinct demeurent fondamentaux
pour mener à bien un recrutement
réussi.
Est-il concevable de recruter
uniquement sur la base des
statistiques et des vidéos, selon
toi?
Non ! Il faut avoir la possibilité de
voir le joueur dans son contexte.
Son jeu sans ballon, son attitude,
ses réactions à l'instant présent. Le
football est en grande partie
mental, environ 80 %. Il faut
analyser la psychologie du joueur
pour obtenir une image complète.
La technique est une chose, mais
pour l'exploiter pleinement dans
toutes les situations, une stabilité
mentale est nécessaire. Cela ne
peut être observé dans une vidéo ou
déduit des statistiques. Lorsque l'on
analyse les équipes, environ 80 %
des joueurs ont un niveau similaire.
Environ 15 % font la différence et
seulement 5 % sont exceptionnels.
Parmi ces 80 %, ce sont les détails
mentaux qui font la distinction.
C'est ce qui détermine la victoire
dans les matchs. Ces détails ne sont
pas purement techniques. Cela
implique la concentration, la
gestion des duels, et ainsi de suite.