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16 L’Écho du Pas-de-Calais n o 94 – juillet/août 2008 Dossier Tuer le temps… Décale âge LE BAS ÂGE, l’âge tendre, l’âge ingrat, le bel âge, l’âge mûr, le troisième âge… Boileau disait que « chaque âge a ses plaisirs, son esprit et ses mœurs… » L’académicien français ne soupçonnait pas qu’au XXIe siècle, les différentes périodes de la vie et leurs loisirs assortis seraient chamboulés, chahutés, chambardés. On parle aujourd’hui couramment d’adulescence ou de maturescence ; les enfants ont parfois des préoccupations d’adultes, les grands-parents chipent les jeux vidéos des petits, les mamies ont recours au DHEA, au Botox ou à la chirurgie plastique… tandis que certains jeunes adultes cultivent un retour excessif à l’enfance. Confusion de générations. Photo M.-P. Griffon LIFTING PARTIEL, lifting complet, chirurgie des paupières, lippofilling… de plus en plus de femmes s’adressent à un chirurgien plasticien pour paraître plus jeunes qu’elles ne sont. Elles sont issues de tous les milieux, même des plus modestes, elles n’ont plus honte désormais de sonner à sa porte et avouent même autour d’elles qu’elles ont eu recours à « un geste ». Très loin du syndrome de Dorian Gray*, de l’addiction au jeunisme, beaucoup de patientes du chirurgien plasticien souhaitent effacer les traces du vieillissement pour… faire évoluer leur carrière, garder leur poste ou retrouver un emploi! Cinquante ans, un visage qui s’affaisse et un cou qui commence à ressembler à celui d’un dindon… attention! L’époque est terroriste, elle exige de toujours donner la meilleure image de soi. La révélation s’impose au hasard d’une photo. Consternation devant ce portrait qu’on ne reconnaît Yannis Germain Au Bazar du Bizarre, entre figurines, livres, affiches et personnages de bédé japonaise ou américaine. ENTRE crise économique et chômage, entre incertitude de l’avenir et goût du cocon… les maturescents sont arrivés. Ils ont entre 18 et 26 ans, restent chez papamaman et cultivent un amour immodéré pour la bande dessinée, le jeu vidéo, le dessin animé. D’aucuns ont connu les « Gloubiboulga nights », ces incroyables soirées lilloises sur le thème de Casimir, du bonbon et des chansons de l’Île aux enfants. D’autres ont grandi mais ont gardé au cœur les Mangas de leur enfance. Yannis Germain est de ceux-là. Père de famille, gérant de société, il n’a rien d’un Tanguy… mais il a choisi un métier qui lui permet de fréquenter ses héros favoris de bandes dessinées. Elle était jeune et belle Le Manga man Yannis Germain, bientôt trente ans, évolue entre figurines, jeux de sociétés, Mangas et Comics dans le chaleureux et réputé magasin de la rue des Trois-Visages à Arras, Le Bazar du Bizarre. C’est le repère préféré des amateurs du genre, pré-ados, ados et jeunes adultes. Pas si jeune que ça, si on en croit Yannis puisque certains de ses clients affichent haut et fort leurs 50 à 60 ans. Yannis Germain est gérant de la plus… et qui donne une image de soi, sans concession, plus juste que celle du miroir. La révélation vient aussi d’un petit enfant qui met le doigt sur une ride, qui s’interroge sur un menton qui double ou un pli qui tremble… Pas question d’avoir l’air d’une septuagénaire quand on peut paraître dix ans de moins. Pas question non plus de garder des cernes si on ne se sent pas fatiguée. Reconquérir le mari Dans le Pas-de-Calais, le « rajeunissement » concerne toujours plus la femme que l’homme et même si la réputation de nos chirurgiens locaux est bonne, il semble que le département accuse un léger retard en nombres de gestes plastiques. Il faut dire que certains patients filent toujours à Paris… D’autres au contraire, ayant éprouvé la compétence jolie boutique. Hier il était client et avant-hier un jeune, fou de Manga. Ces bandes dessinées – dont on lit les pages, les vignettes et les bulles de droite à gauche – ont envahi son enfance. « C’est Dorothée qui a fait exploser le Manga, se souvientil. Sans elle, il n’aurait pas connu une telle importance en France. » Heidi et les Chevaliers du Zodiac crevaient alors l’écran télé… le style était un peu « cucu » et l’action mollassonne. Aujourd’hui, le Manga a évolué, ses auteurs se sont diversifiés et on trouve de tout, « de l’amour au sanguinolent ». Yannis a gardé pour le genre le même intérêt mais préfère de très loin aux Mangas violents, les Mangas thrillers et leur suspense. Il est incollable sur le genre et aime partager ses découvertes. Il n’hésite pas à mettre entre les mains des profanes ses bandes dessinées les plus intelligentes. « Souvent, il suffit de mettre un Monster* dans les mains d’un client adulte pour en faire un « Pas question d’avoir l’air d’une septuagénaire quand on peut paraître dix ans de moins. » passionné », sourit-il. Après un moment, il ajoute : « Je m’éclate avec ma clientèle! » Comics Il a découvert les Comics vers 6 ou 7 ans. « Mon voisin de dessus en lisait! » explique-t-il. Depuis, Yannis ne s’est plus jamais séparé des bandes dessinées américaines qui mettent souvent en scène des superhéros. Aujourd’hui, ces personnages (« presque des amis d’enfance », dit-il) sont plus fouillés que jadis et comme pour le Manga, il existe des ouvrages pour les « kids » et d’autres pour les adultes. « Le Manga et le Comics ont mauvaise presse, reconnaît-il, mais avant, c’était la bédé belge! » Quand on sait que le centre Pompidou vient d’accueillir une planche de Tintin dans ses collections… tous les espoirs de reconnaissance sont permis. Il suffit d’attendre. * Monster (en 18 volumes) du japonais Naoki Urasawa traite de la discrimination, de l'intolérance, de la corruption. L’auteur est un des seuls mangakas à avoir vendu, dit-on, plus de 100000000 de ces livres dans le monde. Rens. 03 21 07 06 78 de nos professionnels, y retournent plusieurs fois dès 35-40 ans. Le chirurgien cite l’exemple de cette dame, en reconversion, qui voulait devenir mannequin ou de cette autre qui avait trop maigri. Beaucoup s’adressent au chirurgien dans l’objectif de reconquérir un conjoint qui s’échappe. « Ça ne marche pas en général, explique le médecin. Je le leur dis ! » Il arrive aussi que l’intervention ait des répercussions étonnantes. Une épouse avait voulu gommer ses rides pour plaire de nouveau à son mari volage. Elle s’est sentie tellement bien après l’opération… qu’elle a plaqué l’intéressé pour vivre sa (nouvelle) vie. * Le portrait de Dorian Gray est un roman fantastique d’Oscar Wilde qui aborde entre autres le thème de l’éternelle jeunesse, de l’éternelle beauté.
Dossier Tuer le temps… Décale âge Pour les non-initiés, la Wii est une console de jeu vidéo, interactive. Elle se joue plus facilement qu’elle ne s’explique. La Wii capte les mouvements Aux dires de sa mère et de Paul Dupont, son grand-père président de l’association, Bryan est « patient, persévérant, calme, attentif, a un grand sens de l’observation… » Autant de capacités essentielles pour faire un bon colombophile. À moins que ce ne soit la colombophilie qui lui ait donné ces qualités… Le voir évoluer les soirs des préparatifs de concours, quand il remplit sa feuille de jeu, bague ses pigeons, les met en loge… est un moment de sérénité. N’allez pas croire que le jeune homme est hors de son temps. Élève de seconde au lycée Pasteur d’Hénin-Beaumont, il voudrait « se lancer dans l’électronique »; il aime le foot, la Nintendo, le rap et le R’ and B… mais ne passe pas ses fins de Textes : Marie-Pierre Griffon Jean-Luc Devis Oui à la Wii ILYAsept mois, Jean-Luc Devis, 56 ans, est tombé raide en amour pour la Wii « Ça m’a plu tout de suite », rit-il. Depuis, son engouement n’est jamais relâché : il s’entraîne, affronte régulièrement ses copains quinquagénaires et se demande bien comment était la vie, avant, sans la Wii. effectués devant elle et les intègre comme des commandes. Ainsi peut-on jouer au tennis devant son téléviseur. Il suffit de frapper une balle virtuelle avec une télécommanderaquette, la balle atterrit là où elle semble projetée et revient en écho. Ceux qui n’auraient pas compris pourront, comme Jean-Luc, essayer (et monopoliser) le jeu au Noël prochain. Tant pis pour les enfants à qui il était destiné. « De toute façon, à la Wii, les grands s’amusent plus que les petits! » Jean- Claude Devis a fini par « embarquer » celle qui a bouleversé le dernier Noël familial. Pas tout de suite bien sûr – il n’a pas osé - mais les mois qui ont suivi. Cette nouvelle expérience était trop forte! Depuis, ses enfants se sont cotisés pour lui offrir la sienne, le jour de la fête des pères. BRIAN POUCHAIN vient d’avoir seize ans. Depuis quatre ans, le virus de la colombophilie s’est insinué dans ses veines. « Ça ne s’explique pas, ça vient comme ça… » avance-t-il. C’est peut-être bien une maladie héréditaire. Arrière-grandpère, grand-père, père, oncles… Presque tout le monde « joue à pigeon » dans la famille. Bien sûr, Brian fait figure d’extraterrestre parmi ses copains. L’un d’eux lui a jeté l’autre jour : « t’es vieux puisque tu fais une activité de vieux! » L’adolescent rigole. Les membres de l’association colombophile des mines d’Hénin-Beaumont aussi. Ils l’ont pris… sous leur aile, l’appellent avec affection « Le soldat Bryan » et l’ont déclaré « mascotte du club ». journée devant internet. Il préfère garder du temps pour son pigeonnier. Une heure de boulot, souvent deux, consacrées aux soins, au nettoyage, à l’eau, au grain et à l’entraînement pour la vitesse, le fond, le demi-fond… selon le pigeon. Avec son père, il en possède plus d’une centaine. De quoi rayer du calendrier les jours de repos et les vacances. Ce que Bryan préfère, dans ce loisir si prenant, « ce sont les jeunes et les concours longue distance de 400 à 1000 km. » Il aime aussi les soirées au local passées avec les anciens, les jours de lâcher. « On discute, on parle de tout. Les plus vieux membres de l’association racontent leurs souvenirs, ils évoquent les concours, la vitesse et comment ils allaient entraîner les pigeons à vélo. » Paul a 74 ans, Robert près de 80… ils sont une trentaine ainsi, jeunes et vieux à partager, à échanger, et le jeune L’Écho du Pas-de-Calais n o 94 – juillet/août 2008 17 Se décontracter Les soirées entre copains chez les Devis sont animées. « On prend des rendezvous, on boit l’apéro, on mange et on joue! » Réglé comme le papier du mode d’emploi de la console vidéo. « Au moins, pose-t-il, on reste à la maison! » Certains soirs, c’est du basket sur la Wii, d’autres fois, c’est du bowling. « La boxe, c’est pas trop mon truc, affirme Jean-Luc, et le golf, c’est trop long! Par contre, les fléchettes me tentent, comme le tir à l’arc Brian Pouchain N’attend pas le nombre des années Photo M.-P. Griffon « De toute façon, à la Wii, les grands s’amusent plus que les petits! » Photo J. Pouille licencié ne rate aucune anecdote. « Le contact avec les anciens me plaît. C’est l’esprit de famille au sein de la colombophilie! » et le tir à la carabine… » Les soirées Wii chez les Devis rassemblent souvent sept à huit adeptes. « On joue jusque minuit, parfois une heure, deux heures du matin… » Et pas question de dilettante, « quand les femmes jouent, elles, c’est pour rigoler. D’ailleurs, on les laisse se débrouiller toutes seules! » En perspective des rencontres, Jean-Luc s’entraîne pendant la semaine « pour découvrir les petites ficelles du jeu et ne pas passer pour une lavette! » Afin de se décontracter aussi. « Je suis d’un tempérament assez nerveux, dit ce transporteur toujours sur le qui-vive. Pour moi, la Wii, c’est mieux qu’un film ou un livre… » Apparemment pour ses copains aussi car « ils commencent à être mordus par le virus » et demandent désormais aux Devis d’amener la console de jeu les soirs où ils les invitent. Quand on demande à Jean-Luc comment se passaient les soirées avant la Wii, il répond tout de go : « On faisait du karaoké! ». « Et avant le karaoké? » « On discutait! mais nos soirées étaient moins animées… » Jour de mise en loge. Les pigeons de Bryan partent à Montoire (à 340 km). Objectif : revenir le plus vite possible. Rens. Association colombophile des mines d’Hénin-Beaumont : 06 19 08 76 03
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