Vous saviez déjà les personnes avec qui vous aviez envie de travailler en vous lançant dans le projet ou bien les rencontres se sont faites au fur et mesure du développement de l’album ? J’avais déjà une idée pour la plupart, oui comme Mathias Debureaux, Elisabeth Barillé avec qui j’avais déjà fait pas mal de choses auparavant. La suite c’est construite de façon empirique. Mais à chaque rencontre, je suis tombé sur des auteurs qui ont su trouver parfaitement ce que je voulais exprimer. Vous n’avez jamais tenté d’écrire vous-même ? Si, bien sûr que si, mais je n’y suis pas arrivé. Pour Sentinelle Mathématique, par exemple, j’avais le titre et l’idée depuis un an et demi. Je visualisais quelque chose sur la société. J’avais l’impression d’avoir déjà tout dit dans le titre, d’avoir tout exprimé. Plusieurs auteurs ont essayé d’y apposer des paroles, ça n’a jamais marché ou bien ça ne fonctionnait pas avec la mélodie. Et puis j’ai confié le truc à Barbara (Ndlr : Barbara Carlotti), je lui ai envoyé le mp3, trois jours après, elle avait écrit le texte définitif que je trouve super. Vous partez toujours de la mélodie ? Parfois du texte, tout dépend. Pour des chansons comme Bardot Dance ou Double Peine, j’ai directement composé la mélodie au piano, à partir des paroles. Revenons en arrière, vous êtes parti en Slovénie après vos études, la musique s’est révélée à vous. Quand on regarde votre parcours on se dit que vous ne pouviez faire que ça, je veux dire de la musique. Sans elle, vous auriez fait quoi ? Probablement pas grand-chose. Pendant longtemps j’ai vécu de petits boulots. J’ai passé mon bac à 16ans, je suis arrivé à Paris sans rien, je ne connaissais personne, je n’avais pas les codes. Je trouve que c’est une connerie d’être en avance sur son âge parce que finalement on a une maturité sur certaines choses mais pas sur d’autres. Après le bac, j’ai perdu confiance en moi, mon père est mort quand j’avais 20 ans, je n’avais personne pour me guider, je me suis retrouvé seul, livré à moi-même, et dans cet interstice-là est venue se glisser la musique. Mais ça m’intimidait, me paraissait inabordable. Autrefois les gens qui sortaient des disques avaient une vraie légitimité et ils se la pétaient. Aujourd’hui tout le monde sort des disques, ça n’a plus la même résonnance, quelque chose a changé. Le Paris branché était aussi beaucoup libre que celui d’aujourd’hui qui reste finalement relativement conformiste. Mais le circuit en lui-même est resté le même : on rencontre des gens, on monte des groupes, on fait des concerts. Et finalement, on peut continuer comme ça pendant Et finalement, on peut continuer comme ça pendant assez longtemps… En parlant de sorties de disque, est-ce que vous pouvez nous dire un mot sur Tricatel, le label musical que vous avez fondé ? Ce n’était pas vraiment mon idée, je n’ai jamais rêvé de label. En fait, je ne me suis jamais senti capable de diriger une entreprise, je n’ai aucune notion de gestion. Au milieu des années 90, je bossais pas mal en Angleterre et avoir une boite de production là-bas, ça aide. J’ai monté le truc sans réfléchir, d’ailleurs je n’ai même pas fait gaffe au nom, c’était une blague. D’un côté ça m’a servi, de l’autre non. Les gens un peu hâtifs ou sans humour ont vu sans ça comme l’apologie des années 70. En même temps, quand on regarde le nombre de labels qui ont des noms idiots… (rires). Signer et aider des artistes, c’est un peu votre manière de renvoyer l’ascenseur, d’aider des personnes là où vous auriez aimé l’être… Absolument. Je trouve que c’est assez plaisant d’essayer d’éviter de faire subir aux autres ce que l’on a subit. Mais c’est assez difficile pour moi. Quand des gens me soumettent des projets, des compositions, je suis loin de répondre positivement à chaque fois mais je me dis que peut-être parfois je ne percute pas le truc, j’ai toujours peur de blesser ou de passer à côté. Il y a plein de gens intéressants qui ne savent pas se vendre. Quand j’écoute une démo, j’essaie de faire abstraction de la qualité, de l’enregistrement pour ne me concentrer que sur la musique et sur la création. A l’inverse, il y a vraiment des gens qui n’ont pas grandchose d’intéressant à dire mais qui savent très bien le vendre. Je crois qu’on en connaît tous (rires). En tant que responsable de label, quel regard portezvous sur la crise du disque ? Disons que la crise du disque je ne l’ai pas vraiment ressenti, du fait que depuis ses débuts, Tricatel n’a jamais été un gros vendeur. Ce qui est marrant c’est que ce que les autres ont subi cette année, nous on le subissait déjà il y a 15 ans et on nous riait au nez. Sinon, je suis plutôt content que cela ait baissé l’arrogance de certaines personnes. Tout le monde est désormais face à ses responsabilités et aux envies et désirs passionnés. Puisqu’on ne vend plus de disques, autant faire ceux qu’on aime. Ce que je vois arriver cependant et qui m’embête, c’est un secteur musical subventionné avec tout ce que cela peut représenter de magouilles et d’arbitraire. Les labels ne signent plus de projets, ils les créent, pour répondre spécifiquement aux quotas, aux crédits d’impôts, aux aides de l’état…Ça devient triste. Suite de l’interview page 76
« Autrefois les gens qui sortaient des disques avaient une vraie légitimité, ils pouvaient se la péter. Aujourd’hui tout le monde sort des disques, ça n’a plus la même résonnance, quelque chose a changé »