L'engagement dans les soins infirmiers - Université de Rouen
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ÉCOLE DOCTORALE<br />
Laboratoire CIVIIC – EA 2657<br />
Centre interdisciplinaire <strong>de</strong> recherche sur <strong>les</strong> valeurs, <strong>les</strong> idées,<br />
<strong>les</strong> i<strong>de</strong>ntités et <strong>les</strong> compétences en éducation et formation.<br />
L’engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> : un enjeu <strong>de</strong> formation<br />
entre éthique et sens<br />
Thèse présentée par<br />
Véronique HABEREY-KNUSSI<br />
Pour l’obtention du gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> docteur ès Sciences <strong>de</strong> l’Éducation<br />
Thèse dirigée par :<br />
Monsieur Jean HOUSSAYE,<br />
Professeur <strong>de</strong>s <strong>Université</strong>s, <strong>Rouen</strong>, Directeur<br />
Madame France JUTRAS,<br />
Professeur, <strong>Université</strong> <strong>de</strong> Sherbrooke, Co-directrice<br />
Soutenue en 2013<br />
1
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
2
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
VIVRE, C’EST S’ENGAGER<br />
3<br />
Albert Camus<br />
À Noémie et Samuel,
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
4
REMERCIEMENTS<br />
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
Mes premiers remerciements s’adressent à mon directeur <strong>de</strong> thèse, le Professeur Jean<br />
HOUSSAYE, pour la confiance et la liberté qu’il m’a accordées durant ce long voyage<br />
<strong>de</strong> recherche et d’écriture. Ses remarques toujours à propos, ainsi que ses corrections<br />
très précises m’ont été d’une gran<strong>de</strong> ai<strong>de</strong>.<br />
Un très grand merci également à ma co-directrice <strong>de</strong> thèse, Madame France JUTRAS,<br />
pour ses encouragements bienfaisants, <strong>les</strong> orientations et <strong>les</strong> conseils avisés qu’elle a<br />
pu me donner à <strong>de</strong>s moments clé.<br />
Mes remerciements vont également :<br />
Aux chercheurs du laboratoire CIVIIC pour <strong>les</strong> multip<strong>les</strong> échanges fructueux qui ont<br />
contribué à étoffer cette réflexion.<br />
À l’ensemble <strong>de</strong>s personnes, étudiants, enseignants et praticiens, qui m’ont accordé<br />
leur confiance en acceptant <strong>de</strong> participer à un entretien. Je leur suis tout<br />
particulièrement reconnaissante pour leur franchise et leur implication.<br />
À mon collègue et ami, Jean-Luc Heeb, pour sa relecture critique et ses conseils<br />
toujours très précieux, ainsi que pour toutes <strong>les</strong> discussions que nous avons pu avoir<br />
et qui ont contribué à alimenter bon nombre <strong>de</strong> pensées développées <strong>dans</strong> ce travail.<br />
À mes collègues <strong>de</strong> travail qui ont supporté mes absences et ont su m’encourager<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> moments plus diffici<strong>les</strong>.<br />
À Delphine Vantieghem pour sa rigueur et son professionnalisme <strong>dans</strong> la mise en<br />
page <strong>de</strong> ce document.<br />
J’exprime également ma gratitu<strong>de</strong> aux différentes personnes qui ont accepté <strong>de</strong> faire<br />
partie <strong>de</strong> mon jury <strong>de</strong> thèse.<br />
Un grand merci enfin à toute ma famille, en particulier à mon mari pour sa patience<br />
et son investissement <strong>dans</strong> l’ombre, à ma maman et mes enfants pour leur<br />
compréhension et leur soutien.<br />
Cette liste n’ayant pas <strong>de</strong> prétention à l’exhaustivité, je tiens à saluer toutes <strong>les</strong><br />
personnes qui ont contribué, <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin, à la concrétisation <strong>de</strong> cette entreprise.<br />
Qu’ils en soient ici très chaleureusement remerciés !<br />
5
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
6
SIGLES ET ABRÉVIATIONS<br />
HES Haute École Spécialisée<br />
HEP Haute École Pédagogique<br />
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
HES-SO Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées <strong>de</strong> Suisse Occi<strong>de</strong>ntale<br />
ASSC Assistant en <strong>soins</strong> et santé communautaire<br />
PF Praticien formateur<br />
ASI Association Suisse <strong>de</strong>s Infirmières<br />
PEC Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor (PEC : Plan d’étu<strong>de</strong> cadres), 2012.<br />
TB Travail <strong>de</strong> Bachelor (travail <strong>de</strong> fin d’étu<strong>de</strong>s)<br />
KFH Konferenz <strong>de</strong>r Fachhochschulen<br />
(conférence <strong>de</strong>s recteurs <strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées)<br />
ICUS Infirmière cheffe d’unité <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />
ICS Infirmière cheffe <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
Dans la partie <strong>de</strong>s résultats d’entretiens <strong>les</strong> lettres sont à comprendre comme suit :<br />
E : Étudiant-e<br />
T : Enseignant-e (teacher)<br />
P : Praticien-ne formateur-trice<br />
7
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
8
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
SOMMAIRE<br />
SIGLES ET ABRÉVIATIONS .............................................................................................. 6<br />
INTRODUCTION GÉNÉRALE ........................................................................................ 10<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE ...................................................... 15<br />
CHAPITRE 1 – LES SOINS INFIRMIERS : D’HIER À AUJOURD’HUI .................. 17<br />
CHAPITRE 2 - ÊTRE SOIGNANT, UN DÉFI AU QUOTIDIEN ................................ 43<br />
CHAPITRE 3 – DE L’ÉTHIQUE À L’ÉTHIQUE DES SOINS INFIRMIERS............ 55<br />
CHAPITRE 4 - IDENTITÉ DU SOIGNANT ................................................................. 105<br />
CHAPITRE 5 - LA FORMATION EN SOINS INFIRMIERS .................................... 125<br />
DEUXIÈME PARTIE : CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE ............... 153<br />
CHAPITRE 6 : UN CONCEPT FAÇONNÉ PAR L’ÉVOLUTION SOCIÉTALE .... 157<br />
CHAPITRE 7 : L’ÉTHIQUE DE L’ENGAGEMENT : ENTRE LES SOINS ET LE<br />
MANAGEMENT ................................................................................................................ 169<br />
CHAPITRE 8 : LES CONCEPTS COROLLAIRES DE L’ENGAGEMENT ............. 179<br />
CHAPITRE 9 : VERS UN ENGAGEMENT RÉFLÉCHI.............................................. 199<br />
CHAPITRE 10 : DU PROBLÈME À LA THÈSE ........................................................... 211<br />
TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE .................................................................. 227<br />
CHAPITRE 11 : DU MODÈLE AUX HYPOTHÈSES ................................................... 229<br />
CHAPITRE 12 : CADRE DE RÉFÉRENCE ET MÉTHODOLOGIQUE ................... 243<br />
CHAPITRE 13 : OPÉRATIONNALISATION ............................................................... 253<br />
CHAPITRE 14 : INSTRUMENTS UTILISÉS POUR LE RECUEIL DE DONNÉES261<br />
CHAPITRE 15 : TRAITEMENT DES INFORMATIONS ........................................... 269<br />
CHAPITRE 16 : ANALYSE DU CONTENU ................................................................. 275<br />
CHAPITRE 17 : VALIDITÉ DE LA RECHERCHE ...................................................... 289<br />
QUATRIÈME PARTIE : RÉSULTATS ET ANALYSES ................................. 293<br />
CHAPITRE 18 : RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE .............................................. 295<br />
CHAPITRE 19 : RÉSULTATS ET ANALYSE DU CORPUS D’ENTRETIENS ...... 305<br />
CHAPITRE 20 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE LINÉAIRE ....................................... 425<br />
CHAPITRE 21 : SYNTHÈSE DES RÉSULTATS .......................................................... 461<br />
CHAPITRE 22 : DISCUSSION ........................................................................................ 487<br />
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................ 525<br />
CINQUIÈME PARTIE : ANNEXES ........................................................................ 553<br />
9
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
ANNEXE A : LISTE RÉCAPITULATIVE DES ANNEXES ........................................ 555<br />
ANNEXE B : BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 781<br />
ANNEXE B 1 : OUVRAGES GÉNÉRAUX ..................................................................... 827<br />
ANNEXE B 2 : ARTICLES ................................................................................................ 850<br />
ANNEXE B 3 : RESSOURCES INTERNET ................................................................... 859<br />
ANNEXE B 4 : TRAVAUX DE FORMATION ET DE RECHERCHES .................... 860<br />
ANNEXE B 5 : DOCUMENTS DE RÉFÉRENCES ....................................................... 861<br />
ANNEXE B 6 : CONFÉRENCES ...................................................................................... 862<br />
ANNEXE B 7 : PROGRAMMES INFORMATIQUES UTILISÉS ............................. 863<br />
ANNEXE C : TABLE DES MATIÈRES ........................................................................... 865<br />
10
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
« L’engagement infirmier… c’est ce don <strong>de</strong><br />
toute notre personne » (Étudiante).<br />
« Embrasser la profession infirmière, c’est déjà s’engager<br />
et quand on s’engage, on fait don <strong>de</strong> sa personne » (Infirmier).<br />
Dans le Référentiel européen <strong>de</strong>s compétences infirmières on se contentera<br />
d’évoquer la première compétence qui s’intitule : gérer <strong>de</strong>s ressources et<br />
connaissances professionnelle en vue <strong>de</strong> s’engager <strong>dans</strong> un développement<br />
professionnel… (Annexe 6, p.7).<br />
Le nouveau programme d’étu<strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s infirmières en Suisse<br />
mentionne, quant à lui, à propos <strong>de</strong>s infirmières : el<strong>les</strong>/ils démontrent un<br />
engagement envers <strong>les</strong> individus, la société et l'environnement par une pratique<br />
respectueuse <strong>de</strong> l’éthique (Annexe 4, p.19).<br />
Qu’en est-il <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> cet engagement qui semble quasi consubstantiel aux<br />
<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, si l’on en croit ces citations ? S’agit-il d’une réminiscence d’une<br />
longue tradition religieuse <strong>dans</strong> laquelle la profession soignante est inscrite, ou bien<br />
cet engagement revêt-il <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes d’expression, résultats <strong>de</strong> multip<strong>les</strong><br />
évolutions socia<strong>les</strong>, politiques et économiques ?<br />
Au niveau <strong>de</strong>s formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, on attend <strong>de</strong> l’étudiante 1 , surtout<br />
en fin <strong>de</strong> formation, qu’elle se soit développée selon <strong>les</strong> critères imposés par le<br />
référentiel <strong>de</strong> compétences, c’est-à-dire qu’elle sache se positionner comme<br />
professionnelle, réfléchir et agir comme telle. Ainsi, on sous-entend que l’étudiante<br />
puisse s’engager pleinement <strong>dans</strong> la profession ayant acquis <strong>de</strong>s compétences, <strong>de</strong>s<br />
capacités et une certaine i<strong>de</strong>ntité professionnelle. L’expression <strong>de</strong> ces acquis se<br />
manifestant <strong>dans</strong> le prendre soin du patient.<br />
Actuellement, <strong>de</strong> nombreux écrits scientifiques retracent <strong>les</strong> difficultés <strong>de</strong>s<br />
soignants <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong> leur profession. Face à la charge <strong>de</strong> travail croissante,<br />
1 Étant donné la prédominance du sexe féminin <strong>dans</strong> la profession infirmière, nous parlerons au genre féminin,<br />
tout en incluant la gente masculine.<br />
11
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
aux contraintes administratives grandissantes et aux nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion,<br />
l’infirmière doit toujours davantage limiter ce qui fon<strong>de</strong> en gran<strong>de</strong> partie son i<strong>de</strong>ntité,<br />
c’est-à-dire son rôle propre. Son engagement se limite <strong>de</strong> plus en plus à l’exécution<br />
d’un rôle prescrit, ce qui remet parfois en cause son éthique personnelle et<br />
professionnelle, et, par là même occasion le sens même <strong>de</strong> son activité, comme<br />
fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> son engagement.<br />
L’objet <strong>de</strong> cette thèse se veut délibérément pluriel. Il s’agit d’abord <strong>de</strong> mieux<br />
cerner <strong>les</strong> différentes facettes <strong>de</strong> ce phénomène d’engagement, en particulier <strong>dans</strong> sa<br />
dimension éthique, mais également <strong>de</strong> comprendre son rôle <strong>dans</strong> la profession<br />
infirmière et d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>les</strong> conditions favorab<strong>les</strong> à un accompagnement <strong>de</strong>s<br />
étudiants et étudiantes <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> leur engagement professionnel durant<br />
leur formation.<br />
Dans le but <strong>de</strong> réfléchir aux différentes possibilités permettant le<br />
développement <strong>de</strong> l’engagement durant la formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, il nous a<br />
paru essentiel d’examiner, <strong>dans</strong> un premier temps, <strong>les</strong> différentes dimensions du<br />
contexte général <strong>dans</strong> lequel s’incarne cette réflexion, avant d’abor<strong>de</strong>r plus<br />
spécifiquement la notion d’engagement elle-même. La première partie <strong>de</strong> la thèse a<br />
donc comme objectif <strong>de</strong> cerner l’histoire et la nature du champ <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>,<br />
<strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments éthiques, moraux et déontologiques sur <strong>les</strong>quels se fon<strong>de</strong><br />
l’engagement infirmier, ainsi que le cadre pédagogique, social et institutionnel <strong>dans</strong><br />
lequel il s’inscrit, avec la mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> son impact au niveau i<strong>de</strong>ntitaire. La<br />
secon<strong>de</strong> partie, <strong>de</strong> nature conceptuelle, cible plus précisément la notion<br />
d’engagement cherchant, au travers <strong>de</strong> son inscription épistémologique, historique et<br />
sociale, à mieux appréhen<strong>de</strong>r cette notion pour la mettre en dialogue avec <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> et la dimension d’engagement qui habite cette profession. Le<br />
développement <strong>de</strong> ces fon<strong>de</strong>ments théoriques et contextuels nous a permis <strong>de</strong><br />
développer une problématique cohérente, construite autour <strong>de</strong> la compréhension <strong>de</strong><br />
l’engagement professionnel et <strong>de</strong>s modalités d’accompagnement pédagogique que ce<br />
<strong>de</strong>rnier requiert en vue <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> la profession soignante.<br />
Prenant appui sur ces <strong>de</strong>ux premières parties plus théoriques, nous avons<br />
élaboré un modèle en vue <strong>de</strong> l’accompagnement à la construction <strong>de</strong> l’engagement<br />
12
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
professionnel en formation, à la lumière <strong>de</strong>s éléments qui l’influencent. Cela nous a<br />
conduite à poser <strong>les</strong> objectifs <strong>de</strong> recherche suivants :<br />
Mettre en évi<strong>de</strong>nce le rôle central <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’infirmière en<br />
formation et sa dimension éthique <strong>dans</strong> la relation à l’Autre, tout<br />
particulièrement <strong>dans</strong> la relation à cet Autre vulnérable qui est le<br />
bénéficiaire <strong>de</strong> soin ;<br />
Examiner <strong>les</strong> concepts voisins qui permettent <strong>de</strong> mieux cerner la notion et<br />
qui pourraient être mobilisés <strong>dans</strong> la construction d’un enseignement sur le<br />
sujet ;<br />
Mettre en relief le bien-fondé d’un enseignement spécifique et structuré sur<br />
le sujet <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> une perspective <strong>de</strong><br />
développement professionnel et personnel alliant construction <strong>de</strong> soi,<br />
rapport à autrui et à la profession, construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />
Dans le but d’atteindre ces objectifs, nous avons réalisé une petite enquête<br />
quantitative, sous la forme <strong>de</strong> questionnaires anonymes avec comme objectif<br />
d’obtenir une première vue d’ensemble du phénomène. Cette phase a été suivie<br />
d’une recherche qualitative constituée, quant à elle, <strong>de</strong> quarante-quatre entretiens<br />
menés sur le mo<strong>de</strong> semi-directif avec une visée herméneutique. Par cette secon<strong>de</strong><br />
phase nous avions le souhait <strong>de</strong> pouvoir appréhen<strong>de</strong>r le sujet <strong>de</strong> façon la plus<br />
exhaustive possible en approfondissant la compréhension du phénomène. Les<br />
entretiens ont été analysés <strong>dans</strong> leur globalité <strong>de</strong> manière transversale selon la<br />
métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’analyse thématique, et pour six d’entre eux, <strong>de</strong> manière linéaire<br />
également. Le dispositif <strong>de</strong> recherche élaboré a permis <strong>de</strong> cerner la pertinence d’une<br />
réflexion et d’un accompagnement à la construction <strong>de</strong> l’engagement. Les éléments<br />
appropriés, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> imperfections et <strong>les</strong> manques présents <strong>dans</strong> le modèle<br />
proposé ont ainsi pu être mis en évi<strong>de</strong>nce et la réflexion sur ce schéma approfondie.<br />
Les résultats obtenus sont à la base <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> propositions <strong>de</strong><br />
cheminements pédagogiques possib<strong>les</strong>, offrant la possibilité d’accompagner<br />
l’étudiante vers l’apprivoisement <strong>de</strong> cette notion complexe mais essentielle à sa<br />
future pratique professionnelle.<br />
13
INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />
14
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
PREMIÈRE PARTIE :<br />
CADRE THÉORIQUE<br />
15
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
16
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
CHAPITRE 1 – LES SOINS INFIRMIERS : D’HIER À<br />
AUJOURD’HUI<br />
1.1 La profession infirmière ou le résultat d’une longue<br />
histoire<br />
Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont reconnus aujourd’hui comme profession. Ils ont gagné<br />
cette reconnaissance sociale au terme d’une longue évolution, marquée par <strong>de</strong>s<br />
influences importantes <strong>de</strong> l’histoire.<br />
Le terme infirmier, <strong>dans</strong> son origine première se réfère à l’enfer, le lieu d’en bas,<br />
puis prend la connotation <strong>de</strong> mauvais, malsain avant <strong>de</strong> caractériser ceux qui<br />
s’occupent <strong>de</strong>s exclus, <strong>de</strong>s « enfermés », puis <strong>de</strong>s « infirmes » (Nadot, 2002).<br />
Les infirmières sont le point <strong>de</strong> rencontre entre la charité, la mé<strong>de</strong>cine et l’Etat-<br />
Provi<strong>de</strong>nce. Jusqu’au XVI e siècle, <strong>les</strong> infirmières ne sont pas seulement dévouées aux<br />
mala<strong>de</strong>s mais aussi à tous ceux qui sont <strong>dans</strong> la pauvreté et la misère. C’est <strong>dans</strong> ce<br />
contexte que Foucault décrit le grand enfermement (Foucault, 1972). Ce n’est<br />
qu’après la révolution que la mé<strong>de</strong>cine entre enfin véritablement à l’hôpital, créant<br />
par le même coup une vision différente : celle <strong>de</strong> guérir une maladie organique<br />
précise alors que <strong>les</strong> infirmières, présentes jusque-là <strong>dans</strong> l’institution, avaient<br />
davantage comme objectif <strong>de</strong> soutenir et ai<strong>de</strong>r un mala<strong>de</strong> <strong>dans</strong> sa déchéance (Dubet,<br />
2002).<br />
Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont interdépendants <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine dont ils<br />
commencent seulement à s’émanciper un tant soit peu.<br />
Pendant très longtemps, l’infirmière a occupé un rôle d’exécutante auprès du<br />
mé<strong>de</strong>cin. Celui-ci était chargé <strong>de</strong> diagnostiquer <strong>les</strong> pathologies, <strong>de</strong> dicter <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
appropriés et ceux-ci étaient ensuite appliqués par <strong>les</strong> infirmières.<br />
Florence Nightingale joua incontestablement un rôle essentiel <strong>dans</strong> le développement<br />
<strong>de</strong> la profession telle que nous la connaissons aujourd’hui. Grâce à elle, <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
transitent peu à peu du paradigme confessionnel vers le paradigme professionnel.<br />
17
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Investie aux côtés <strong>de</strong>s soldats <strong>dans</strong> la guerre <strong>de</strong> Crimée, elle reste marquée par son<br />
service au chevet <strong>de</strong>s soldats b<strong>les</strong>sés, elle a pris conscience <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong><br />
structurer la profession infirmière. Son haut niveau d’éducation (avant <strong>de</strong> se former<br />
comme infirmière, son père lui impose une première formation <strong>de</strong> mathématicienne<br />
et statisticienne), lui confère une reconnaissance et un respect particulier. Convaincue<br />
que l’éducation forme le caractère, elle enclenche alors <strong>de</strong> nombreuses réformes et<br />
restructurations. Dès le départ, elle affirme la nécessité pour <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong> se doter<br />
d’un fon<strong>de</strong>ment théorique soli<strong>de</strong>. Elle mit un terme à la vision très réductrice <strong>de</strong><br />
l’infirmière dévouée corps et âme, mais sans réelle capacité <strong>de</strong> réflexion propre et<br />
concentra au contraire son énergie à faire valoir une vision <strong>de</strong> l’infirmière qui soit<br />
effectivement entraînée à donner <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, mais qui soit également, fait totalement<br />
nouveau, impliquée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> réformes au niveau politique.<br />
Au même moment que Nightingale met en place la structure nécessaire pour<br />
éduquer <strong>les</strong> infirmières en Angleterre, Valérie <strong>de</strong> Gasparin œuvre en Suisse. Elle<br />
considère le mouvement religieux comme une forme d’infantilisation <strong>de</strong>s soignantes<br />
et créé, avec son époux, une école laïque le 20 juillet 1859 à Lausanne : l’école La<br />
Source, la première école <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> laïque au mon<strong>de</strong>. De par ses relations<br />
proches avec Henry Dunant, son école sera très inspirée du service <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>s<br />
armées, la Croix-Rouge. (Nadot, 2002).<br />
Après Nightingale et De Gasparin, il faudra encore <strong>de</strong> nombreuses années pour<br />
que l’infirmière puisse parler ouvertement <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Néanmoins la brèche est<br />
ouverte et son influence a ouvert la porte au développement du concept <strong>de</strong> santé<br />
publique tel que nous le connaissons actuellement. Il y eut encore <strong>de</strong> nombreux<br />
évènements qui modifièrent ce schème <strong>de</strong> la profession. Notons l’influence <strong>de</strong>s<br />
différentes guerres, puis <strong>dans</strong> la secon<strong>de</strong> moitié du XX e siècle, <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s avancées<br />
médica<strong>les</strong>, en termes <strong>de</strong> possibilités chirurgica<strong>les</strong>, techniques, médicamenteuses,<br />
mais également l’impact <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> libération féministes… autant <strong>de</strong><br />
facteurs indépendants mais qui ont chacun contribué à modifier <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>dans</strong> une<br />
certaine mesure. Le début du XX e siècle a marqué le début <strong>de</strong> la professionnalisation<br />
mais aussi <strong>de</strong> l’enseignement infirmier. Jusqu’au début du XX e siècle, on avait<br />
coutume <strong>de</strong> penser que <strong>les</strong> compétences nécessaires aux soignants étaient plutôt<br />
d’ordre moral : charitable, bon, dévoué, obéissant… Léonie Chaptal insistait sur la<br />
18
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
nécessaire instruction technique <strong>de</strong>s infirmières mais surtout sur leur formation<br />
morale comme le démontrent <strong>les</strong> ouvrages <strong>de</strong> référence <strong>de</strong> cette époque.<br />
Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la première guerre mondiale, l’état du pays appauvri,<br />
exsangue, aux prises avec <strong>de</strong> graves difficultés publiques tel<strong>les</strong> que la tuberculose, <strong>les</strong><br />
nombreux b<strong>les</strong>sés, la misère… contribue à encourager la formation <strong>de</strong> cette nouvelle<br />
fonction sociale qui s’incarne <strong>dans</strong> un véritable métier <strong>de</strong> soin et d’ai<strong>de</strong> aux<br />
nécessiteux : celui <strong>de</strong> l’infirmière. À cette époque encore<br />
« le rôle <strong>de</strong> l’infirmière hospital ière est <strong>de</strong> servir le mala<strong>de</strong> en veillant<br />
constamment sur tout ce qui l’entoure, et principalement en secondant<br />
assidûment et docilement le mé<strong>de</strong>cin… Son rôle est celui d’une mère et<br />
d’une sœur » (Duboys-Fresney & Perrin, 1996, p.19).<br />
Jusque-là <strong>les</strong> infirmières n’ont pas <strong>de</strong> reconnaissance statutaire. Le titre<br />
d’« Infirmière diplômée d’État » apparaît en 1923. Le chemin vers la<br />
professionnalisation est entamé mais la route est difficile pour se libérer du modèle<br />
charitable et religieux, même si la secon<strong>de</strong> guerre mondiale ai<strong>de</strong> <strong>les</strong> infirmières en<br />
montrant d’une part leur capacité à prendre <strong>de</strong>s responsabilités et à assumer leur<br />
<strong>de</strong>voir et d’autre part, le caractère profondément utile <strong>de</strong> la profession (Dubet, 2002).<br />
Les infirmières <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s ambassadrices <strong>de</strong> l’hygiène publique et sociale.<br />
Le 7 juin 1925, l’Association nationale <strong>de</strong>s infirmières <strong>de</strong> l’État français (ANIDEF)<br />
voit le jour.<br />
Après la secon<strong>de</strong> guerre mondiale, le processus <strong>de</strong> professionnalisation se met<br />
en place petit à petit pour aboutir à la fin du même siècle à l’émergence <strong>de</strong> la<br />
discipline <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ainsi que d’un corps professionnel. Le 15 juillet 1943<br />
une loi est promulguée qui réglemente la profession infirmière.<br />
Le Conseil international <strong>de</strong>s Infirmières propose dès 1953 un Co<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
déontologie international.<br />
En Angleterre et en Amérique où cet héritage religieux est nettement moins fort,<br />
<strong>de</strong>s avancées décisives se font par l’intermédiaire d’infirmières théoriciennes<br />
inspirées : Hen<strong>de</strong>rson, Peplau, Orem… On ne comprend plus le soin comme une<br />
simple réponse à la maladie mais comme un ensemble <strong>de</strong> mesures à mettre en œuvre<br />
<strong>dans</strong> une situation concrète. Il faut soigner le mala<strong>de</strong> en tenant compte, avant tout,<br />
19
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
<strong>de</strong> son environnement et non pas seulement <strong>de</strong> sa maladie. Le concept <strong>de</strong> relation<br />
d’ai<strong>de</strong> commence à être pris au sérieux, soutenu par Virginia Hen<strong>de</strong>rson qui<br />
démontre l’intérêt <strong>de</strong> prendre en compte cet aspect pour l’équilibre et le processus <strong>de</strong><br />
santé du patient. Hil<strong>de</strong>gar<strong>de</strong> Peplau mettra un peu plus tard en évi<strong>de</strong>nce, le fait que<br />
la relation thérapeutique constitue un processus qui permet au patient <strong>de</strong> se<br />
développer et <strong>de</strong> guérir s’il est mené avec compétence. Pour Dorothea Orem, il est<br />
indispensable au développement <strong>de</strong> l’autonomie du patient, tandis que pour Roy, la<br />
relation d’ai<strong>de</strong> permet l’adaptation du patient à sa situation. Selon Martha Rogers,<br />
l’être humain est en <strong>de</strong>venir, il se construit peu à peu et l’infirmière joue un rôle<br />
essentiel pour l’ai<strong>de</strong>r à mobiliser <strong>de</strong>s ressources qu’il n’envisage peut-être pas encore<br />
mais qui vont l’ai<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> ce mouvement d’évolution.<br />
L’infirmière a encore un rôle d’exécutante mais ces nouvel<strong>les</strong> conceptions<br />
théoriques commencent à l’influencer et elle gagne en responsabilité. Elle se dote <strong>de</strong><br />
connaissances plus étoffées qu’elle doit pouvoir mobiliser (Magnon, 2006).<br />
Le rôle psychologique et moral <strong>de</strong>s infirmières auprès <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s commence à<br />
être mieux pris en considération.<br />
Avec l’adoption, en 1978, par l’Organisation Mondiale <strong>de</strong> la Santé <strong>de</strong> la<br />
définition d’Hen<strong>de</strong>rson sur le rôle propre, la profession infirmière connaît un<br />
renouveau.<br />
Ce rôle propre fait l’objet <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> discussions, recherches et controverses.<br />
Son unité est relativement difficile <strong>dans</strong> la mesure où il prend en compte le double<br />
héritage <strong>de</strong> la profession (le modèle charitable et le modèle médico-technique). Il<br />
tente <strong>de</strong> concilier ce double héritage pour en faire un terrain spécifique.<br />
« L’art vocationnel <strong>de</strong> la compassion et <strong>de</strong> l’amour <strong>de</strong> l’autre doit être<br />
transformé en activité rationnelle par la démarche <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
et par la gestion <strong>de</strong> relations <strong>de</strong> travail complexes » (Dubet, 2002, p.201).<br />
Les infirmières ne veulent être ni <strong>de</strong>s sœurs <strong>de</strong> charité affublées d’une image<br />
d’Épinal pesante, ni <strong>de</strong>s expertes scientifiques et encore moins <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> auxiliaires<br />
20
du mon<strong>de</strong> médical.<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Cette évolution met un terme aux <strong>soins</strong> parcellisés et exécutés, jusque-là, plus<br />
ou moins en série. Cette nouvelle conception <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> place le patient au cœur <strong>de</strong><br />
l’acte soignant et justifie la mise en place <strong>de</strong> la démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, métho<strong>de</strong><br />
« scientifique » <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> problèmes qui ai<strong>de</strong> l’infirmière à analyser,<br />
comprendre, évaluer <strong>les</strong> problèmes du patient et à mettre en place <strong>les</strong> actions<br />
adéquates, en s’engageant car « pour pouvoir résoudre efficacement un pr oblème,<br />
il faut s’impliquer et croire à ce que l’on fait » (Benner, 1995, p.189). À ce<br />
moment-là, l’importance <strong>de</strong> l’écrit prend aussi une autre dimension et <strong>les</strong> soignants<br />
sont appelés à rédiger <strong>de</strong>s dossiers comportant <strong>les</strong> indications nécessaires au bon<br />
suivi thérapeutique du patient.<br />
L’Amérique du nord a été un pas plus loin, en confiant <strong>de</strong>s responsabilités<br />
importantes aux infirmières, légitimées par plusieurs étu<strong>de</strong>s menées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années<br />
1960-1975. Ces étu<strong>de</strong>s démontraient la capacité <strong>de</strong>s infirmières à prendre en charge<br />
certains domaines <strong>de</strong> manière autonome et el<strong>les</strong> obtinrent en conséquence certaines<br />
responsabilités en termes <strong>de</strong> pose <strong>de</strong> diagnostics et <strong>de</strong> certaines autorisations <strong>de</strong><br />
prescription, ce qui reste chez nous l’apanage <strong>de</strong>s seu<strong>les</strong> sages-femmes.<br />
Le mouvement <strong>de</strong>s réformes infirmières donne naissance, en France, à <strong>de</strong>ux<br />
mouvements qui semblent contradictoires. L’un conduit à la spécialisation, poussé<br />
par le progrès <strong>dans</strong> <strong>les</strong> techniques médica<strong>les</strong>, alors que l’autre s’intéresse davantage<br />
au processus <strong>de</strong> santé.<br />
Les spécialisations en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> domaines <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> intensifs, <strong>de</strong><br />
l’anesthésie ou <strong>de</strong> la clinique, ont eu <strong>de</strong>s impacts importants tant sur le versant<br />
éducatif <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, que sur le versant <strong>de</strong> la pratique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> systèmes <strong>de</strong> santé.<br />
L’accent mis sur le processus <strong>de</strong> santé permet <strong>de</strong> faire valoir une nouvelle<br />
autonomie <strong>de</strong> l’infirmière.<br />
En effet, avant <strong>les</strong> années 70, <strong>les</strong> manuels utilisés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> instituts <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong>, comportent <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> morale sur <strong>les</strong> qualités humaines que <strong>les</strong><br />
soignantes doivent possé<strong>de</strong>r et l’obligation d’agir selon ses principes moraux.<br />
Cependant le mouvement <strong>de</strong> mai 1968 va avoir <strong>de</strong>s effets bénéfiques sur la<br />
profession qui en profitera pour s’émanciper <strong>de</strong> ce carcan <strong>de</strong> religiosité qui va <strong>de</strong> pair<br />
avec la charité et la dévotion.<br />
21
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Les infirmières reçoivent un rôle plus gratifiant <strong>de</strong> délégué du mé<strong>de</strong>cin et<br />
obtiennent l’accès à la réalisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> techniques. En 1972, l’infirmière n’est plus<br />
auxiliaire médicale mais <strong>de</strong>vient éducatrice <strong>de</strong> santé, restant cependant au service du<br />
mé<strong>de</strong>cin.<br />
C’est en 1978 qu’apparaît enfin ce que l’on nomme aujourd’hui le « rôle<br />
propre » ou « rôle autonome » <strong>de</strong> l’infirmière et qui constitue le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> son<br />
i<strong>de</strong>ntité professionnelle propre. Cette zone d’autonomie joue en effet un rôle crucial<br />
<strong>dans</strong> le développement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />
Les soignants partent à la recherche <strong>de</strong> leur vocation originelle, celle <strong>de</strong> soigner<br />
et prendre soin. Ce n’est qu’en 1983 que l’adjectif « infirmier » sera accepté <strong>dans</strong> la<br />
langue française par le grand dictionnaire encyclopédique Larousse (Magnon, 2006,<br />
p.45).<br />
Le poids <strong>de</strong> cette longue histoire est perceptible encore aujourd’hui <strong>dans</strong> la<br />
manière peu convaincante qu’ont <strong>les</strong> infirmières <strong>de</strong> s’affirmer.<br />
1.2 Nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
Depuis plus d’un siècle, <strong>les</strong> infirmières tentent <strong>de</strong> définir qui el<strong>les</strong> sont, en<br />
délimitant leur discipline et en décrivant leurs activités.<br />
La discipline infirmière, bien que professionnelle par vocation, dispose aussi<br />
d’une volonté <strong>de</strong> conceptualiser ce qui la caractérise, en élaborant <strong>les</strong> connaissances<br />
et en explicitant <strong>les</strong> compétences nécessaires.<br />
Pour comprendre la nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, il est nécessaire <strong>de</strong> s’arrêter sur<br />
quatre concepts <strong>de</strong> base (Fawcett, 1984) qui prévalent <strong>dans</strong> la discipline infirmière et<br />
qui sont : l’environnement, la santé, la personne et <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Ces quatre concepts<br />
étaient déjà sous-jacents <strong>dans</strong> <strong>les</strong> écrits laissés par Florence Nightingale (Kérouac et<br />
al., 2003, p.2).<br />
Par l’environnement, on entend tout ce qui gravite autour <strong>de</strong> nous, éléments<br />
physiques, psychologiques, sociaux ou spirituels qui nous influencent <strong>de</strong> façon<br />
directe ou indirecte, <strong>dans</strong> notre développement, nos relations, nos comportements et<br />
peuvent, parfois, être source <strong>de</strong> déséquilibre.<br />
22
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
En ce qui concerne la santé, la définition posée par l’OMS est très exigeante et se<br />
veut le reflet <strong>de</strong> la pensée sociétale qui la fon<strong>de</strong>. Définie comme un « état <strong>de</strong><br />
complet bien-être », la santé est donc en opposition totale avec la maladie qui lui<br />
porte atteinte et la trahit. La maladie représente ce fléau à combattre qui nous<br />
empêche <strong>de</strong> grandir, <strong>de</strong> nous développer et <strong>de</strong> nous épanouir. Pour la combattre, il<br />
faut l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la personne.<br />
Au cœur du soin, la personne est conçue comme un être bio-psychosocial et<br />
spirituel en interaction constante avec son environnement, dotée d’une conscience,<br />
<strong>de</strong> certaines facultés mais nécessitant l’ai<strong>de</strong> d’autres personnes <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations<br />
précises.<br />
Cette ai<strong>de</strong> peut être apportée par <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, centrés sur la santé et<br />
visant à rétablir l’équilibre perdu avec celle-ci. On distinguera <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong> nursing,<br />
<strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong> prévention, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> dits aigus, c’est-à-dire curatifs, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> palliatifs et<br />
<strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong> réhabilitation.<br />
Différents modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, enseignés aujourd’hui encore, ont vu le<br />
jour <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années soixante-dix, proposant <strong>de</strong>s approches très diverses pour<br />
abor<strong>de</strong>r <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Ce sont <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> très riches qui ont permis <strong>de</strong> développer<br />
gran<strong>de</strong>ment le rôle propre et <strong>de</strong> faire émerger une conception du soin qui influence<br />
encore aujourd’hui notre compréhension <strong>de</strong> la profession. Ils restent néanmoins<br />
relativement complexes et intensifs <strong>dans</strong> leur utilisation.<br />
Ces quatre concepts <strong>de</strong> personne, santé, <strong>soins</strong> et environnement sont restés<br />
inchangés <strong>dans</strong> leur définition, mais leur compréhension a évolué avec la<br />
compréhension <strong>de</strong>s phénomènes au niveau sociétal, et s’est modifiée au rythme <strong>de</strong><br />
différents paradigmes qui ont marqué la profession infirmière durant plus d’un<br />
siècle.<br />
En effet, <strong>de</strong>s théoriciennes <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, parmi <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> Collière,<br />
Hen<strong>de</strong>rson, Orem, Watson, Peplau et Parse pour n’en citer que quelques-unes, ont<br />
mis en évi<strong>de</strong>nce différentes philosophies, et avec el<strong>les</strong> aussi différents paradigmes<br />
qui ont eu, et continuent d’avoir une influence notable sur la pratique infirmière<br />
(Kérouac et al., 2003). Ces paradigmes influencent l’activité soignante sans même que<br />
nous en soyons forcément toujours conscients. Ils évoluent avec le temps et<br />
23
l’interaction d’autres disciplines.<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Ainsi <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ont tout d’abord été marqués par le paradigme <strong>de</strong> la<br />
catégorisation, selon lequel il est possible <strong>de</strong> différencier <strong>de</strong>s éléments, <strong>de</strong> <strong>les</strong> classer<br />
et <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s causes (à certaines pathologies). La santé publique, avec son<br />
orientation sur la prévention ainsi que <strong>les</strong> pratiques médica<strong>les</strong> sont largement basées<br />
sur ce paradigme.<br />
Dans ce contexte <strong>de</strong> catégorisation, nous retrouvons <strong>les</strong> quatre concepts clé avec<br />
une compréhension qui lui est liée. La personne est alors un ensemble que l’on peut<br />
diviser en entités distinctes. L’environnement est extérieur à la personne et on lui<br />
accor<strong>de</strong> surtout une influence négative, la santé est extrêmement prisée et <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
sont orientés vers la résolution <strong>de</strong> problèmes. L’infirmière tente <strong>de</strong> résoudre <strong>les</strong><br />
particularités qui génèrent la pathologie et le manque d’autonomie du patient.<br />
Le paradigme qui suit est celui <strong>de</strong> l’intégration qui, quant à lui, se centre sur la<br />
personne. Selon cette conception, la personne n’est plus considérée pour ses parties<br />
mais comme formant un Tout, égal à la somme <strong>de</strong> ses parties, avec <strong>de</strong>s composantes<br />
biologiques, psychologiques, socia<strong>les</strong> et spirituel<strong>les</strong>. L’environnement n’est plus<br />
seulement le contexte familial ou naturel, mais l’ensemble <strong>de</strong>s évènements qui<br />
influent sur le patient (contexte politique, historique, culturel…) et son impact n’est<br />
plus forcément négatif ni uniquement orienté vers la personne, mais s’exprime<br />
davantage <strong>dans</strong> la réciprocité. La santé n’est plus un absolu mais un but idéal vers<br />
lequel on doit tendre sans pour autant occulter la maladie avec laquelle on doit<br />
trouver un équilibre. Les <strong>soins</strong> visent alors à maintenir cet équilibre, ils offrent à la<br />
personne ce dont elle a besoin pour tendre vers l’idéal en exerçant un rôle <strong>de</strong><br />
prévention, <strong>de</strong> conseil et accor<strong>de</strong>nt également une attention toute particulière aux<br />
be<strong>soins</strong> relationnels et psychologiques.<br />
Les modè<strong>les</strong> conceptuels sont largement inspirés <strong>de</strong> cette orientation centrée sur<br />
la personne plutôt que sur la pathologie.<br />
Kérouac (2003, p.15), citant Gortner rappelle que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années cinquante, la<br />
vocation première <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> relève encore <strong>de</strong> la charité et <strong>de</strong><br />
l’accompagnement.<br />
Après 1960, on s’éloigne <strong>de</strong> cette pensée encore très empreinte du passé<br />
24
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
religieux <strong>de</strong> la profession, pour s’engager <strong>dans</strong> une évolution et une amélioration <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong>, en développant le savoir spécifique aux <strong>soins</strong> (Gortner, 2000). Les conditions<br />
<strong>de</strong> travail évoluent <strong>dans</strong> le même temps et le personnel <strong>de</strong>s hôpitaux est <strong>de</strong> mieux en<br />
mieux formé, ce qui permet la mise en place d’un véritable travail en équipe, qui<br />
<strong>de</strong>meure certes encore orienté vers la tâche plus que vers la personne (Petitat, 1989).<br />
Il faudra attendre la fin <strong>de</strong>s années soixante-dix pour que le paradigme d’intégration<br />
influence largement la pratique et que <strong>les</strong> <strong>soins</strong> se centrent davantage sur la personne.<br />
Cependant avec l’évolution <strong>de</strong> la société, <strong>les</strong> progrès <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine et le<br />
vieillissement <strong>de</strong> la population, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> évoluent également et ouvrent la porte au<br />
troisième paradigme, celui <strong>de</strong> la transformation. Vers la fin <strong>de</strong>s années soixante-dix<br />
et le début <strong>de</strong>s années quatre-vingt la configuration mondiale change. Les frontières<br />
s’ouvrent entraînant <strong>de</strong>s changements très importants <strong>dans</strong> le domaine socio-culturel.<br />
C’est alors la théorie <strong>de</strong>s systèmes qui prévaut, le mon<strong>de</strong> étant considéré comme un<br />
vaste système dont <strong>les</strong> éléments sont en interaction constante (Morin, 1990).<br />
« Dans le paradigme <strong>de</strong> la transformation, le changement est perçu<br />
comme perpétuel : l’interaction <strong>de</strong> phénomènes complexes est perçue<br />
comme le point <strong>de</strong> départ d’une nouvelle dynamique encore plus<br />
complexe. Il s’agit d’un proces sus réciproque et simultané<br />
d’interaction » (Kérouac et al., 2003, p.20).<br />
Introduit par Rogers en 1970, ce paradigme inspire <strong>les</strong> théoriciennes <strong>les</strong> plus<br />
récentes et modifie à nouveau la compréhension <strong>de</strong>s quatre concepts clé.<br />
La personne n’est plus un Tout égal à la somme <strong>de</strong> ses parties, mais supérieur à<br />
celle-ci et unique <strong>dans</strong> sa manière d’être au mon<strong>de</strong> et en relation avec celui-ci. Elle<br />
<strong>de</strong>vient presque en symbiose avec l’environnement qui, pour le coup, cesse d’être un<br />
élément fondamentalement extérieur, mais <strong>de</strong>vient l’univers <strong>dans</strong> son ensemble avec<br />
lequel la personne est en constante interaction. La santé englobe à présent la<br />
personne mais aussi l’environnement qui l’influence largement. On cherche la<br />
promotion du bien-être, tout en essayant, lorsque la maladie survient, d’y trouver un<br />
sens et <strong>de</strong> grandir au travers d’elle. L’infirmière cherche à promouvoir cet état<br />
25
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
d’équilibre par le soin, en se centrant sur la personne, son rythme et ses be<strong>soins</strong><br />
propres <strong>dans</strong> une relation marquée par l’éthique et la sollicitu<strong>de</strong>.<br />
Or ce <strong>de</strong>rnier paradigme est aussi marqué par la perspective holiste qui veut<br />
que soient pris en compte, le corps, l’âme et l’esprit. C’est <strong>dans</strong> cette vision que<br />
<strong>de</strong>vraient s’exercer <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> aujourd’hui.<br />
Dans leur pratique, <strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong> et infirmières sont toujours influencés par l’un<br />
<strong>de</strong> ces paradigmes. Toutefois <strong>les</strong> relations entre <strong>les</strong> différents concepts ainsi que la<br />
compréhension <strong>de</strong> ceux-ci divergent selon le paradigme retenu. Si nous ne prenons<br />
pas le temps <strong>de</strong> nous arrêter pour réfléchir à ce qui nous influence, nous ne pouvons<br />
pas non plus prétendre exercer <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> réfléchis et cohérents (Dallaire, 2008).<br />
Selon Kérouac et al. (2003), il est possible <strong>de</strong> regrouper <strong>les</strong> conceptions <strong>de</strong> la<br />
discipline infirmière en six éco<strong>les</strong>, en vertu <strong>de</strong> leurs bases philosophiques,<br />
scientifiques et leurs concepts clés. Il s’agit <strong>de</strong>s six éco<strong>les</strong> suivantes : l’école <strong>de</strong>s<br />
be<strong>soins</strong>, <strong>de</strong> l’interaction, <strong>de</strong>s effets souhaités, <strong>de</strong> la promotion <strong>de</strong> la santé, <strong>de</strong>s<br />
« patterns » et du « caring ».<br />
À noter que la notion <strong>de</strong> conception ne réfère pas forcément à un modèle<br />
conceptuel mais<br />
« elle est considérée ainsi pour la profession infirmière lorsqu’elle est<br />
complète et explicite. Une conception est complète et explicite quand la<br />
théoricienne a formulé <strong>de</strong>s énoncés pour chacun <strong>de</strong>s éléments suivants :<br />
<strong>les</strong> postulats et <strong>les</strong> valeurs à la base <strong>de</strong> la discipline ; le but du service<br />
infirmier ; le rôle <strong>de</strong> l’infirmière professionnelle ; la façon <strong>de</strong> considérer<br />
le bénéficiaire du service; la source <strong>de</strong>s difficultés que peut rencontrer<br />
le bénéficiaire ; la façon dont sont menées <strong>les</strong> interventions infirmières<br />
et <strong>les</strong> effets recherchés » (Kérouac et al., 2003, p.30).<br />
Ces modè<strong>les</strong> conceptuels offrent une perspective <strong>dans</strong> laquelle peuvent se<br />
développer et s’inscrire <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> connaissances uti<strong>les</strong> à la pratique.<br />
L’école <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> a comme vocation <strong>de</strong> défendre <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> <strong>de</strong> la personne et<br />
26
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
<strong>de</strong> décrire le rôle infirmier en fonction <strong>de</strong> ceux-ci. Le but est l’indépendance <strong>de</strong> la<br />
personne et pour se faire, l’infirmière essaie <strong>de</strong> donner satisfaction aux be<strong>soins</strong> que la<br />
personne ne peut remplir par elle-même. L’indépendance souhaitée par Virginia<br />
Hen<strong>de</strong>rson au travers <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> fondamentaux se trouve également en ligne <strong>de</strong><br />
mire avec le principe <strong>de</strong>s auto-<strong>soins</strong> compensés <strong>de</strong> Dorothea Orem.<br />
« Selon l’école <strong>de</strong> l’interaction, le soin est un processus interactif entre<br />
une personne ayant besoin d’ai<strong>de</strong> et une autre capable <strong>de</strong> la lui offrir.<br />
Afin d’être en mesure d’ai<strong>de</strong>r, l’infirmière doit clarifier ses propres<br />
valeurs, s’impliquer <strong>de</strong> façon thérapeutique et s’engager <strong>dans</strong> le soin »<br />
(Kérouac et al., 2003, p.37).<br />
On retiendra l’école <strong>de</strong>s effets souhaités qui recherche à combler <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> <strong>de</strong>s<br />
patients par <strong>de</strong>s effets ciblés <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Callista Roy a, par exemple,<br />
conceptualisé ces effets autour <strong>de</strong> la notion d’adaptation <strong>de</strong> la personne en<br />
interaction avec <strong>de</strong>s impacts extérieurs : <strong>les</strong> stimuli. Dans cette lignée se développe<br />
un courant <strong>de</strong> pensée qui met en exergue l’idée <strong>de</strong> promotion <strong>de</strong> la santé.<br />
« Les théoriciennes <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> la promotion <strong>de</strong> la santé mettent<br />
l’accent sur l’apprentissage <strong>de</strong> la santé, qui <strong>de</strong>vient une nouvelle façon<br />
<strong>de</strong> vivre, d’apprendre, <strong>de</strong> se développer et d’assumer <strong>de</strong>s<br />
responsabilités » (Kérouac et al., 2003, p.43).<br />
Mais, l’évolution continue et si la conception holistique du soin a gagné toutes<br />
ses lettres <strong>de</strong> nob<strong>les</strong>se, c’est en gran<strong>de</strong> partie grâce aux théoriciennes <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong>s<br />
patterns. Cette école a vu le jour sous le paradigme <strong>de</strong> la transformation et l’influence<br />
<strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong>s systèmes est notable.<br />
« Inspirée par l’idée <strong>de</strong> Martha Rogers (1970) selon laquelle la santé et<br />
la maladie sont <strong>de</strong>s expressions du processus <strong>de</strong> vie et ne sont ni<br />
opposées ni divisées, Newman (1992, 1994) propose une théorie <strong>de</strong> la<br />
santé qui serait l’expansion <strong>de</strong> sa conscience. » (Kérouac et al., 2003, p.47).<br />
27
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Selon cette perspective, l’homme se réalise et se développe en santé. La maladie<br />
n’est pas opposée à la santé mais constitue un cheminement qui a pour but <strong>de</strong><br />
l’amener plus loin. Parse (1998) a repris cette idée du développement humain sur un<br />
continuum santé-maladie en parlant <strong>de</strong> « l’humain en <strong>de</strong>venir », en relation<br />
dialogique avec le mon<strong>de</strong>.<br />
Une autre école, proche <strong>de</strong> nous également <strong>dans</strong> le temps, s’intitule l’école du<br />
caring. Cette école fon<strong>de</strong> sa pensée sur l’idée que tout être humain dispose lui-même<br />
d’un potentiel. El<strong>les</strong> mettent l’accent sur la spiritualité (Watson, 1997) et la culture<br />
(Leininger & Mc Farland, 2002).<br />
Selon la philosophie empreinte d’humanité (Human Caring) <strong>de</strong> Jean Watson, le<br />
soin est l’expression <strong>de</strong> l’amour inconditionnel <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong>s autres nécessaire au<br />
développement <strong>de</strong> l’humanité. Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont développés sur cette base <strong>de</strong><br />
la relation entre <strong>les</strong> hommes et entre l’homme et Dieu.<br />
Par <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s approfondies <strong>de</strong> ces concepts, certains auteurs ont relevé <strong>de</strong>s<br />
notions très similaires <strong>dans</strong> <strong>les</strong> différentes conceptions <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. De cette lecture<br />
multiple, Kérouac propose d’extraire <strong>les</strong> traits principaux regroupés sous ce qu’elle<br />
nomme le « centre d’intérêt <strong>de</strong> la discipline infirmière » (Kérouac et al., 2003,<br />
p.75). Le soin ne se limite pas à la seule géographie du corps mala<strong>de</strong> mais englobe<br />
tout l’univers social, psychologique et spirituel du patient. Le soignant est avant tout<br />
<strong>dans</strong> une posture d’accompagnement, d’où l’intérêt <strong>de</strong>s quatre concepts <strong>de</strong> base :<br />
personne, santé, soin, environnement. Déjà <strong>dans</strong> le terme <strong>de</strong> personne, il ne saurait<br />
être uniquement fait référence à l’individu mala<strong>de</strong> mais bien davantage à l’individu<br />
comme part constitutive d’un ensemble ; qu’il s’agisse <strong>de</strong> la famille, du groupe ou<br />
encore <strong>de</strong> la communauté. De la même manière, l’environnement comprend un<br />
champ personnel (psychologique, génétique…), ainsi qu’un champ extérieur<br />
constitué du contexte social, politique, économique, éducationnel… L’expérience <strong>de</strong><br />
santé s’inscrit <strong>dans</strong> ces différents univers et part du simple problème pathologique<br />
pour s’ouvrir <strong>de</strong> manière beaucoup plus large aux expériences <strong>de</strong> développement et<br />
<strong>de</strong> croissance personnelle (Fawcett, 1995).<br />
28
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
L’épistémologie du savoir infirmier fait l’objet <strong>de</strong> nombreuses publications<br />
durant ces <strong>de</strong>rnières années. Le savoir, en tant que processus <strong>de</strong> construction sociale<br />
<strong>de</strong> la connaissance <strong>dans</strong> un domaine particulier, ici celui <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, nécessite un<br />
approfondissement pour connaître la véritable nature du soin. Exprimé par <strong>de</strong>s<br />
actions professionnel<strong>les</strong>, il tente <strong>de</strong> répondre à la complexité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>de</strong> notre<br />
société.<br />
Carper (1978) considérée comme l’une <strong>de</strong>s personnes phare <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
a distingué quatre domaines <strong>dans</strong> le savoir infirmier : le savoir personnel, c’est-à-dire<br />
la connaissance <strong>de</strong> la personne, <strong>de</strong> soi comme <strong>de</strong>s autres, le savoir esthétique ou l’art<br />
<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> avec la précision du geste, le savoir éthique, c’est-à-dire la dimension <strong>de</strong><br />
jugement d’ordre moral du savoir ainsi que le savoir empirique avec sa dimension<br />
scientifique d’exploration et d’explication du mon<strong>de</strong>.<br />
« La pratique se centre sur le soin prodigué à la personne qui, en<br />
interaction continue avec son environnement, vit <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong><br />
santé. Les caractéristiques inhérentes au soin, quant à el<strong>les</strong>, décrivent<br />
<strong>de</strong> manière succincte le « comment » <strong>de</strong> la pratique infirmière ».<br />
« Les caractéristiques sont <strong>de</strong>s notions importantes qui décrivent la<br />
nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et qui sont liées à leur caractère<br />
fondamental » (Carper, 1978, p.88).<br />
Le tableau qui suit présente ces caractéristiques <strong>de</strong> manière plus détaillée.<br />
TABLEAU 01 : LES CARACTÉRISTIQUES DU SOIN (KÉROUAC ET AL. 2003)<br />
Caractéristique<br />
du soin<br />
Action infirmière<br />
Caract. 1 l’infirmière fait preuve d’un<br />
engagement personnel et<br />
professionnel à l’égard du patient<br />
29<br />
Place et rôle du<br />
patient<br />
Le caractère<br />
profondément humain<br />
<strong>de</strong> la personne soignée<br />
est reconnu, quel que soit<br />
son état
Caractéristique<br />
du soin<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Action infirmière<br />
Caract. 2 L’infirmière rencontre le patient en<br />
toute authenticité, en respectant sa<br />
dignité et donc ses valeurs<br />
Caract. 3 L’infirmière soutient et valorise <strong>les</strong><br />
capacités et ressources propres à la<br />
personne<br />
Caract. 4 L’infirmière développe un savoir et<br />
<strong>de</strong>s connaissances spécifiques à la<br />
discipline infirmière. Elle s’appuie<br />
sur la vision holistique et humaniste<br />
du soin et <strong>de</strong> la personne<br />
Caract. 5 L’infirmière a recourt à d’autres<br />
disciplines et d’autres savoirs<br />
orientent son action qui enrichissent<br />
<strong>les</strong> <strong>soins</strong> : physique, statistique,<br />
psychologie. Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> se<br />
trouvent à l’intersection <strong>de</strong> très<br />
nombreuses disciplines dont ils<br />
s’inspirent et se nourrissent<br />
Caract. 6 L’infirmière dispose d’un savoir<br />
pratique sur <strong>les</strong> possibilités d’action<br />
et d’intervention <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s contextes<br />
<strong>de</strong> <strong>soins</strong> multip<strong>les</strong><br />
Caract. 7 L’infirmière se laisse interpeller par<br />
la situation particulière du patient<br />
qu’elle soigne avec authenticité<br />
Caract. 8 L’infirmière assure le développement<br />
<strong>de</strong> ses compétences en ayant un<br />
esprit d’innovation tant <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
techniques <strong>de</strong> soin que <strong>dans</strong> la prise<br />
en charge en général<br />
Caract. 9 L’infirmière développe la pensée sur<br />
sa discipline <strong>de</strong> façon continue car<br />
celle-ci va orienter sa manière<br />
d’envisager le soin au travers <strong>de</strong>s<br />
valeurs et <strong>de</strong>s convictions qu’elle<br />
véhicule<br />
30<br />
Place et rôle du<br />
patient<br />
La personne est reconnue<br />
<strong>dans</strong> son autonomie <strong>de</strong><br />
pensée<br />
Le développement<br />
personnel du patient est<br />
favorisé au travers <strong>de</strong><br />
son expérience face à la<br />
maladie<br />
la personne se sent<br />
soutenue et peut donc<br />
mieux s’impliquer <strong>dans</strong><br />
un choix thérapeutique
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Les différents modè<strong>les</strong> qui ont été proposés par <strong>les</strong> théoriciennes mettent tous<br />
l’accent sur l’importance <strong>de</strong> considérer la personne soignée comme un tout <strong>dans</strong> son<br />
environnement bio-psycho-social et spirituel et cette conception se retrouve bien<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> caractéristiques <strong>de</strong> la pratique infirmière présentées ci-<strong>de</strong>ssus.<br />
Le recueil <strong>de</strong> données soutient le projet thérapeutique et doit donc pouvoir<br />
s’appuyer sur cette même conception holiste, en faisant référence à <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong><br />
conceptuels, permettant ainsi d’apporter <strong>de</strong>s réponses à la complexité <strong>de</strong>s situations<br />
<strong>de</strong> <strong>soins</strong>.<br />
Idéalement, le plan <strong>de</strong> soin est ensuite élaboré avec le patient lui-même et<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> à être constamment revisité, réévalué et réajusté pour que <strong>les</strong> actions<br />
infirmières qui en découle soient adéquates.<br />
Ces actions sont structurées à partir d’une démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong> concrète et<br />
spécifique, organisée à partir d’un processus réfléchi qui s’oriente à la fois sur <strong>les</strong><br />
fon<strong>de</strong>ments conceptuels précités et sur le principe <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> problème<br />
permettant <strong>de</strong> proposer <strong>les</strong> interventions appropriées.<br />
L’activité infirmière n’est pas innée, elle nécessite savoir et réflexion et son<br />
impact sur la vie <strong>de</strong>s personnes peut être extrêmement grand. Les différents modè<strong>les</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> qui ont été proposés mettent tous l’accent sur la globalité <strong>de</strong> la prise en<br />
charge. Cela vient du constat, fait à maintes reprises, <strong>de</strong> la négation <strong>de</strong> dimensions<br />
essentiel<strong>les</strong> qui échappaient aux soignants. À l’ère <strong>de</strong> la technicité, c’est avant tout la<br />
dimension compassionnelle qui a été négligée.<br />
Le processus <strong>de</strong> réflexion et d’analyse permet à l’infirmière <strong>de</strong> mieux prendre<br />
conscience <strong>de</strong> ces dimensions plus discrètes, <strong>de</strong> se perfectionner et d’avancer pas<br />
après pas <strong>dans</strong> l’expertise <strong>de</strong> sa profession. L’analyse critique et le jugement clinique<br />
sont très fortement liés et font appel à la dimension cognitive du soin et aux capacités<br />
réflexives <strong>de</strong>s infirmières (Marchal & Psiuk, 2002). Engagée <strong>dans</strong> un processus<br />
réflexif, la démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong> exige du soignant d’avoir <strong>de</strong>s connaissances diverses<br />
importantes ; <strong>de</strong>s compétences techniques, relationnel<strong>les</strong>, <strong>de</strong> réflexion et d’analyse.<br />
Etre capable d’accompagner une personne <strong>dans</strong> son cheminement suppose une<br />
faculté <strong>de</strong> jugement et d’analyse qui permet <strong>de</strong> repérer <strong>dans</strong> quelle phase se situe<br />
cette personne et d’i<strong>de</strong>ntifier ses be<strong>soins</strong>. Mettre en œuvre une capacité d’analyse,<br />
31
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
c’est mettre en œuvre un jugement qui permet <strong>de</strong> faire le chemin entre le<br />
« pourquoi » et le « comment » d’une situation. Cette action <strong>de</strong> jugement que l’on<br />
porte sur une situation et <strong>les</strong> personnes qui la composent, met en scène notre propre<br />
rapport au mon<strong>de</strong> et interpelle nos valeurs.<br />
L’une <strong>de</strong>s étapes importantes <strong>dans</strong> ce processus a été l’élaboration du diagnostic<br />
infirmier, officialisé <strong>dans</strong> la législation française en 1993 et qui constitue<br />
« (…) l’énoncé d’un jugement clinique porté sur la réponse d’un<br />
individu, d’une famille ou d’un groupe face à l’attention réelle ou<br />
potentielle d’un état <strong>de</strong> santé ou d’une situation <strong>de</strong> vie. Il sert <strong>de</strong> base<br />
aux prescriptions dont l’infirmière est responsable » (Jouteau-Neves,<br />
2005, p.34).<br />
Il s’agit d’un « processus <strong>de</strong> pensée basé sur une approche systématique<br />
qui conduit au geste, aux actions infirmières. C’est un réel concept<br />
organisateur qui influence l’ensemble <strong>de</strong> notre pratique infirmière. La<br />
démarche <strong>de</strong> soin <strong>de</strong>vient alors la toile <strong>de</strong> fond du processus diagnostique<br />
inscrit au cœur même <strong>de</strong> notre fonction indépendante » (Jouteau-Neves, 2005,<br />
p.35).<br />
Pourtant <strong>dans</strong> le contexte <strong>de</strong> crise économique actuel, « l’action est souvent<br />
privilégiée au dépens <strong>de</strong> la réflexion » (Jouteau-Neves et al. 2005, p.11) et<br />
l’importance est souvent accordée en premier lieu aux interventions infirmières<br />
visib<strong>les</strong> et évaluab<strong>les</strong>, tant en France qu’en Suisse. Le risque que l’on voit poindre est<br />
<strong>de</strong> rejeter ces théories <strong>de</strong> soin souvent considérées comme chronophages ou <strong>de</strong> se <strong>les</strong><br />
approprier <strong>de</strong> façon parcellaire et restrictive, sans prendre le temps <strong>de</strong> comprendre le<br />
contexte même <strong>de</strong> la théorie. Un exemple <strong>de</strong> cette extraction parcellaire rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />
l’emploi <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> Virginia Hen<strong>de</strong>rson. Alors que cette théorie est pensée <strong>dans</strong><br />
une approche holistique et globale <strong>de</strong> la personne, elle est bien souvent réduite à la<br />
simple expression d’une grille selon laquelle sont déclinés <strong>les</strong> quatorze be<strong>soins</strong> <strong>de</strong> la<br />
personne. À la frustration <strong>de</strong>s professionnels succè<strong>de</strong> alors parfois le sentiment <strong>de</strong><br />
culpabilité.<br />
32
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
1.3 Une profession en mutation<br />
Les caractéristiques nommées ci-<strong>de</strong>ssus démontrent le haut niveau d’exigences,<br />
vastes et diversifiées, requises pour l’exercice infirmier. Outre ses compétences<br />
techniques, on attend <strong>de</strong> l’infirmière qu’elle sache rencontrer le patient avec<br />
authenticité et compassion. Non pas une compassion <strong>de</strong> style, mais cette compassion<br />
qui naît <strong>de</strong> la pleine considération <strong>de</strong> l’autre personne, digne <strong>de</strong> cette considération<br />
par le seul fait qu’elle est une personne humaine (Lévinas, 1998).<br />
En le reconnaissant comme sujet <strong>de</strong> droit, la société a permis au patient <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>venir aussi acteur du soin. Le soignant n’est plus là pour exécuter à sa place, mais<br />
se doit <strong>de</strong> l’intégrer <strong>dans</strong> une démarche <strong>de</strong> prise en charge <strong>de</strong> sa pathologie. Les rô<strong>les</strong><br />
changent et l’infirmière <strong>de</strong>vient la personne qui accompagne le patient <strong>dans</strong> ce<br />
développement face à la maladie. C’est pourquoi elle revendique un rôle propre qui<br />
n’est plus sous contrôle du mé<strong>de</strong>cin, mais qui lui appartient en vertu <strong>de</strong> la relation<br />
qu’elle peut établir avec son patient. En faisant ce choix, l’infirmière va se trouver<br />
confrontée à <strong>de</strong> nouveaux champs <strong>de</strong> tension éthiques <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels elle va <strong>de</strong>voir se<br />
positionner.<br />
Les <strong>soins</strong> techniques et <strong>de</strong> nursing sont le vecteur d’une relation entre<br />
l’infirmière et son patient. Ce sont eux qui vont lui conférer une dimension toute<br />
particulière, teintée d’humanité.<br />
L’infirmière ne peut se contenter <strong>de</strong> <strong>les</strong> exécuter à la manière d’un automate. Ils<br />
engagent à la fois sa responsabilité mais <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt également la mise en œuvre <strong>de</strong><br />
capacités et <strong>de</strong> compétences complexes, tel<strong>les</strong> la créativité, la capacité <strong>de</strong> négociation,<br />
<strong>de</strong> défenseur <strong>de</strong>s droits du patient et autre capacités relationnel<strong>les</strong>… qui sont <strong>les</strong><br />
éléments mêmes constituant le rôle propre.<br />
La soignante doit être pertinente <strong>dans</strong> sa pratique, maîtriser ses techniques mais<br />
être adéquate aussi sur le plan relationnel. Tout en faisant preuve d’empathie, elle<br />
n’en doit pas moins maîtriser toutes <strong>les</strong> connaissances, très exhaustives, qui gravitent<br />
autour <strong>de</strong> sa profession pour pouvoir repérer <strong>de</strong>s symptômes anormaux ou une<br />
anomalie, donner <strong>les</strong> explications nécessaires aux patients et prendre <strong>de</strong>s décisions<br />
avec rapidité et efficacité. Ce ne sont là que quelques exemp<strong>les</strong> <strong>de</strong> cette prise en soin<br />
33
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
globale transmise aux étudiants. Toutes <strong>les</strong> dimensions <strong>de</strong> la personne soignée<br />
doivent être prises en compte : <strong>les</strong> dimensions biologiques, psychologiques, socia<strong>les</strong><br />
et culturel<strong>les</strong>. L’ambition est gran<strong>de</strong> mais la pratique rappelle à l’ordre avec ses<br />
contingences. La profession infirmière se développe, par ailleurs, <strong>de</strong> manière<br />
conjointe à d’autres métiers du paramédical avec <strong>les</strong>quels elle doit apprendre à<br />
composer pour travailler selon ce terme fort présent d’interdisciplinarité ou, tout du<br />
moins, <strong>de</strong> pluridisciplinarité.<br />
Dans le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> complexité <strong>de</strong>s connaissances en ne peut<br />
être appréhendée que si l’on reconnaît un lien intrinsèque aux aspects théoriques et<br />
pratiques, aux aspects techniques et relationnels. Établir une dichotomie entre <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux revient à enlever une partie <strong>de</strong> la substance vitale <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
Si l’on se réjouit <strong>de</strong>s évolutions qu’a connues la profession infirmière au fil du<br />
temps, on ne peut pour autant nier l’influence <strong>de</strong> cet héritage du passé qu’elle porte<br />
avec elle et qui l’imprègne encore largement.<br />
Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières décennies, le rôle infirmier a beaucoup changé. Les<br />
infirmières bénéficient <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong> connaissances, notamment en anthropologie,<br />
sociologie, économie… et ten<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s éducatrices <strong>de</strong> santé, <strong>de</strong>s prestataires<br />
<strong>de</strong> service, non plus <strong>de</strong> « patients » mais <strong>de</strong> « clients » comme <strong>les</strong> nomme la nouvelle<br />
terminologie, <strong>dans</strong> le but d’ai<strong>de</strong>r ces <strong>de</strong>rniers à retrouver rapi<strong>de</strong>ment, la plus gran<strong>de</strong><br />
autonomie possible.<br />
Le décret <strong>de</strong> compétences <strong>de</strong> 2002 en France est le résultat <strong>de</strong> toutes ces<br />
évolutions.<br />
La finalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> est reconnue à travers cinq missions essentiel<strong>les</strong> à l’article 2<br />
du « Décret <strong>de</strong> compétences relatif à l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> » (Annexe 2).<br />
protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et<br />
mentale <strong>de</strong>s personnes ou l’autonomie <strong>de</strong> leurs fonctions vita<strong>les</strong><br />
physiques et psychiques, en vue <strong>de</strong> favoriser leur maintien, leur insertion<br />
ou leur réinsertion <strong>dans</strong> leur cadre <strong>de</strong> vie familial ou social ;<br />
concourir à la mise en place <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s et au recueil <strong>de</strong>s informations<br />
uti<strong>les</strong> aux autres professionnels, et notamment aux mé<strong>de</strong>cins pour poser<br />
leur diagnostic et évaluer l’effet <strong>de</strong> leur prescription ;<br />
34
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
participer à l’évaluation du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> dépendance <strong>de</strong>s personnes ;<br />
contribuer à la mise en œuvre <strong>de</strong>s traitements en participant à la<br />
surveillance clinique et à l’application <strong>de</strong>s prescriptions médica<strong>les</strong><br />
contenues, le cas échéant, <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s protoco<strong>les</strong> établis à l’initiative du ou<br />
<strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins prescripteurs ;<br />
participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement <strong>de</strong> la douleur<br />
et <strong>de</strong> la détresse physique et psychique <strong>de</strong>s personnes, particulièrement<br />
en fin <strong>de</strong> vie et au moyen <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> palliatifs, et d’accompagner en tant<br />
que <strong>de</strong> besoin, leur entourage.<br />
Dans une visée d’amélioration <strong>de</strong> la pratique soignante, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
tentent <strong>de</strong> se structurer <strong>de</strong> façon méthodique. La France et la Suisse s’orientent<br />
beaucoup, en la matière, sur <strong>les</strong> avancées <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> d’Outre-Atlantique qui<br />
affichent déjà un savoir et une pratique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> beaucoup plus structurés.<br />
Le développement du rôle propre infirmier ai<strong>de</strong> la profession à sortir <strong>de</strong> cet<br />
héritage passéiste en démontrant l’importance et le bien-fondé d’une action<br />
strictement infirmière et non plus inféodée à une discipline quelconque et en<br />
particulier à la mé<strong>de</strong>cine. Ainsi, <strong>de</strong>puis quelques années <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> se<br />
développent <strong>dans</strong> diverses dimensions toutes très exigeantes, tels que l’exercice<br />
d’une relation thérapeutique, l’enseignement au patient et à ses proches, la médiation<br />
psychologique et spirituelle, le conseil et l’information ciblée, ainsi que la dimension<br />
plus maternelle du care mise en tension avec le professionnalisme (Apesoa-Varano,<br />
2007). Le care représente cette forme <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong> qui exprime l’acte <strong>de</strong> prendre<br />
soin, mais <strong>dans</strong> le but d’ai<strong>de</strong>r l’autre à grandir, à optimiser son potentiel <strong>de</strong> réussite<br />
face à la maladie <strong>dans</strong> une forme d’empowerment, à donner un sens à son<br />
expérience… Cela suppose d’appréhen<strong>de</strong>r l’histoire <strong>de</strong> la personne qui nous est<br />
confiée, pour la conseiller et l’accompagner <strong>dans</strong> la réalisation <strong>de</strong> ses objectifs.<br />
Dallaire souligne que l’infirmière doit s’engager <strong>de</strong> manière intense, cet engagement<br />
étant « facteur <strong>de</strong> croissance à la fois pour elle et la personne avec q ui elle<br />
interagit » (Dallaire, 2008, p.89). Il s’agit d’une attente très louable qui s’appuie sur<br />
une conception humaniste et holiste <strong>de</strong> la personne, <strong>de</strong> l’environnement et du soin,<br />
35
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
mais qui fait également peser une importante responsabilité sur <strong>les</strong> épau<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />
étudiantes, puis <strong>de</strong>s soignantes. Certes, sous certains ang<strong>les</strong>, l’infirmière ne<br />
parviendra à satisfaire ces exigences qu’après plusieurs années d’exercice fondant<br />
son expertise (Benner, 1995), mais l’étudiante doit déjà être capable d’en comprendre<br />
le sens et <strong>de</strong> poser <strong>les</strong> prémisses d’une telle prise en charge. La hausse <strong>de</strong>s exigences<br />
en termes <strong>de</strong> réflexion et d’analyse entraîne <strong>de</strong>s répercussions sur <strong>les</strong> étudiantes. Elle<br />
est liée à une responsabilité toujours plus importante <strong>dans</strong> la pratique<br />
professionnelle. Mais, cette responsabilité à son tour ne saurait être actualisée comme<br />
un programme moral, même <strong>dans</strong> la dimension libératrice que défend Kant. La<br />
responsabilité doit trouver corps <strong>dans</strong> l’expression que le sujet fait <strong>de</strong> ses choix.<br />
« Au niveau <strong>de</strong> l’éthique professionnelle, cela signifie que quel<strong>les</strong> que<br />
soient ses conceptions et représentations professionnel<strong>les</strong>, l’infirmière<br />
digne <strong>de</strong> ce nom sera celle et seulement celle dont la posture, l’action,<br />
la qualité relationnelle, <strong>les</strong> gestes quotidiens corrobore nt ces<br />
représentations et ces conceptions » (Schin<strong>de</strong>lholz, 2006, p.59).<br />
Pourtant, <strong>dans</strong> la réalité l’infirmière est fréquemment soumise à <strong>de</strong>s tensions<br />
entre son idéal professionnel, ses convictions <strong>de</strong> ce que <strong>de</strong>vrait être le soin, et <strong>les</strong><br />
exigences qui lui incombent en termes <strong>de</strong> charge <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong> responsabilité.<br />
Un autre phénomène va engager une plus gran<strong>de</strong> responsabilité <strong>de</strong>s infirmières<br />
et jouer un rôle sur le développement <strong>de</strong> la profession : il s’agit <strong>de</strong> la modification en<br />
profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la société avec toutes ses répercussions. De même que <strong>les</strong><br />
professionnels du secteur social reconnaissent qu’ils doivent toujours davantage être<br />
<strong>dans</strong> le registre du soin (Dubreuil, 2009), <strong>de</strong> même <strong>les</strong> infirmières doivent <strong>de</strong> plus en<br />
plus fréquemment jouer un rôle social. L’exclusion sociale et la marginalisation sont<br />
<strong>de</strong>s phénomènes toujours plus courants. En rappelant que la santé considérée par<br />
rapport à la norme est un état « inéluctablement précaire », Canguilhem nous<br />
rappelle que la maladie est avant tout une épreuve existentielle vécue <strong>dans</strong> une<br />
vulnérabilité individuelle, qui n’est autre que l’expression ontologique <strong>de</strong> la précarité<br />
humaine (Canguilhem, 2005, p.155). Chaque patient doit être soigné et rencontré<br />
36
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
comme personne humaine bien entendu, mais également comme individu ayant part<br />
<strong>dans</strong> la société. Il ne suffit pas <strong>de</strong> sauver <strong>les</strong> personnes au bord du gouffre. Il faut<br />
confronter la cause <strong>de</strong> cet état. Cela fait partie du traitement avec le reste (Tschudin,<br />
1999, p.32). Cela sous-entend que le champ d’intervention <strong>de</strong> l’infirmière s’est<br />
largement agrandi. Elle n’est plus confinée aux seuls murs <strong>de</strong> l’institution<br />
hospitalière mais il lui est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> jouer un rôle pivot avec <strong>les</strong> services sociaux,<br />
avec <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>s à la prise en charge extra-hospitalière et plus largement à être actrice<br />
<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s domaines comme la prévention et la protection sociale.<br />
La <strong>de</strong>rnière décennie a contribué à solidifier le processus <strong>de</strong><br />
professionnalisation déjà amorcé à la fin du siècle précé<strong>de</strong>nt. Les infirmières<br />
commencent à prendre conscience <strong>de</strong> leurs limites, <strong>de</strong> leurs droits, du droit<br />
d’exprimer leurs limites, du danger <strong>de</strong> <strong>les</strong> outrepasser (agressivité verbale ou<br />
physique, dépression, burnout), <strong>de</strong> leur responsabilité, du pouvoir et <strong>de</strong> l’autorité<br />
qu’el<strong>les</strong> exercent sur le patient…<br />
Cependant il y a chez bon nombre <strong>de</strong> ces infirmières un sentiment d’infériorité<br />
encore marqué. El<strong>les</strong> se dévalorisent facilement au lieu <strong>de</strong> s’affirmer, ce qui contribue<br />
à nourrir leur frustration (Magnon, 2006). De fait, el<strong>les</strong> ont <strong>de</strong> la peine à se défaire <strong>de</strong><br />
cette soumission sécurisante que procurait le corps médical et à assumer leur<br />
autonomie, essentielle à l’exercice <strong>de</strong> leur rôle propre, phénomène renforcé encore<br />
par <strong>les</strong> politiques <strong>de</strong> restriction budgétaire accompagnées <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong><br />
management davantage centrées sur l’acte. C’est l’entier d’un défi qui s’ouvre <strong>de</strong>vant<br />
el<strong>les</strong>… celui d’un engagement soucieux du patient sans pour autant être<br />
renoncement <strong>de</strong> soi.<br />
Or, comment pouvoir, <strong>dans</strong> un même temps, affirmer cette autonomie et ce<br />
champ d’activité propre, quand la logique <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> pratique se veut une logique<br />
<strong>de</strong> l’action et du ren<strong>de</strong>ment ?<br />
1.4 État <strong>de</strong>s lieux aujourd’hui<br />
Ce défi s’inscrit aussi <strong>dans</strong> une évolution <strong>de</strong> la formation qui continue son<br />
développement et prend <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> tournures. En effet, en Suisse, à l’instar <strong>de</strong> nos<br />
37
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
voisins européens, la formation <strong>de</strong>s infirmières s’est vue autorisée l’entrée au <strong>de</strong>gré<br />
tertiaire universitaire. Les HES (Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées) ont pris le relais <strong>de</strong>s<br />
éco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> traditionnel<strong>les</strong>.<br />
La profession s’en trouve ainsi valorisée. Elle est davantage présente sur la<br />
scène politique et <strong>dans</strong> <strong>les</strong> débats sociétaux. Néanmoins, corrélativement à cette<br />
nouvelle position, <strong>les</strong> exigences à son endroit ont été revues à la hausse. Les attentes<br />
en termes <strong>de</strong> responsabilité, d’engagement, <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> répondant à <strong>de</strong>s<br />
normes précises, <strong>de</strong> capacité d’analyse et <strong>de</strong> positionnement sont maintenant plus<br />
élevées que jamais. Ces exigences ne sont pas sans répercussions sur <strong>les</strong> étudiantes et<br />
sur la manière dont leur i<strong>de</strong>ntité professionnelle va se construire. Selon le référentiel<br />
<strong>de</strong>s compétences HES version 2004 (Annexe 3), <strong>les</strong> soignants compétents sont ceux<br />
qui, face à <strong>de</strong>s situations complexes, font preuve <strong>de</strong> réflexivité, <strong>dans</strong> la conscience <strong>de</strong><br />
leurs intentions et <strong>de</strong> leur pouvoir sur l’Autre. Ici la compétence s’ancre par<br />
conséquent sur le jugement clinique, l’analyse critique, la réflexion sur ses actes ou<br />
encore la prise <strong>de</strong> responsabilité qui sont, comme nous l’avons vu, <strong>de</strong>s éléments<br />
fondamentaux <strong>de</strong> la profession infirmière. Ceux-ci néanmoins ne sauraient se<br />
soustraire à un questionnement et une réflexion éthique puisque, nous l’avons vu<br />
plus haut, <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt notre conception du mon<strong>de</strong>, notre regard sur nos<br />
semblab<strong>les</strong> et notre compréhension du soin, sont <strong>de</strong>s déterminants majeurs <strong>dans</strong> la<br />
manière dont nous allons trouver un sens <strong>dans</strong> notre activité.<br />
Si la profession comporte donc <strong>de</strong>s aspects complexes <strong>de</strong> par sa nature même, la<br />
difficulté se trouve encore majorée par la situation actuelle et le peu <strong>de</strong> valorisation<br />
<strong>de</strong>s infirmières. L’actuelle profession soignante est fortement mise à l’épreuve. La<br />
situation économique difficile qui s’accompagne, <strong>de</strong>puis quelques années, <strong>de</strong><br />
mesures <strong>de</strong> restrictions budgétaires et <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong> personnel, ren<strong>de</strong>nt l’exercice<br />
<strong>de</strong> la profession plus ardu que par le passé. Bien souvent, ce sont <strong>de</strong>s éléments<br />
relevant <strong>de</strong> l’humain et <strong>de</strong> sa dignité qui sont montrés du doigt comme étant mis à<br />
mal par <strong>les</strong> contraintes institutionnel<strong>les</strong> et économiques. L’infirmière doit faire<br />
preuve <strong>de</strong> beaucoup d’adaptation pour parvenir à exercer sa profession au plus<br />
proche <strong>de</strong> ses convictions et <strong>de</strong>s standards <strong>de</strong> bonnes pratiques, tout en tenant<br />
compte <strong>de</strong>s contraintes qui lui sont imposées. Le terme <strong>de</strong> care n’est pas arrivé par<br />
38
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
hasard <strong>dans</strong> la profession, mais représente bien la conscience d’un manque.<br />
Les professionnels du caring ou du « prendre soin » souffrent d’un manque <strong>de</strong><br />
reconnaissance en regard <strong>de</strong> la pénibilité <strong>de</strong> leurs tâches, qu’el<strong>les</strong> soient physiques<br />
et/ou psychologiques. Ces professions sont caractérisées par <strong>de</strong>s activités peu<br />
valorisées et un travail peu visible, qui se doivent d’être doublés d’empathie, <strong>de</strong><br />
gentil<strong>les</strong>se et conduisent, très souvent à l’usure, à l’impatience, voire au dégoût. Il<br />
s’agit là <strong>de</strong> manifestations qui peuvent avoir <strong>de</strong>s répercussions sur l’équilibre<br />
psychologique <strong>de</strong>s personnes actrices. Au début <strong>de</strong>s années soixante-dix,<br />
Freu<strong>de</strong>nberger puis d’autres chercheurs après lui, démontre que <strong>les</strong> professions à fort<br />
engagement personnel <strong>dans</strong> la relation et le soin <strong>de</strong> l’autre, sont particulièrement<br />
susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong> conduire à <strong>de</strong>s états pathologiques tel que le burnout ou la<br />
dépression (Freu<strong>de</strong>nberger, 1987; Maslach, 1982).<br />
Le quotidien du soignant est parfois frustrant. Que ce soit par le défaut <strong>de</strong><br />
reconnaissance, accentué encore par la frustration d’une valorisation sociale quasi<br />
inexistante dont elle fait l’objet, par le regard <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins parfois encore empreint<br />
d’une supériorité toute patriarcale, ou encore par <strong>les</strong> attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s patients eux-<br />
mêmes, fréquemment frustrés <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir se confronter à <strong>de</strong> longues fi<strong>les</strong> d’attente, à<br />
<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> rapi<strong>de</strong>s, à <strong>de</strong>s erreurs et autres inconvénients, l’infirmière se retrouve<br />
fréquemment <strong>dans</strong> une position peu enviable.<br />
Or, en considérant le vieillissement <strong>de</strong> nos populations et <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> toujours<br />
plus importants en personnel soignant, le phénomène ne risque guère d’aller en<br />
s’amenuisant.<br />
L’expérience montre que <strong>les</strong> soignants peuvent accomplir une tâche importante<br />
et conserver un équilibre, dès lors qu’ils bénéficient d’espaces d’échanges, <strong>de</strong> lieux où<br />
ils se rencontrent entre eux et libèrent leurs émotions, leur vécu, leur agressivité sous<br />
forme <strong>de</strong> discours cyniques par exemple… Le plus souvent, <strong>les</strong> soignants arrivent,<br />
par le collectif, à retrouver un sens à tel ou tel soin et reconstruisent ensemble la<br />
sympathie parfois évaporée envers un patient. Ceux qui ne sont pas autant impliqués<br />
<strong>dans</strong> la situation ai<strong>de</strong>nt <strong>les</strong> autres à prendre du recul. Or ces moments ten<strong>de</strong>nt à<br />
disparaitre avec la surcharge <strong>de</strong> travail, alors que c’est justement <strong>dans</strong> cette situation<br />
qu’ils seraient le plus nécessaires.<br />
Le manque <strong>de</strong> temps freine <strong>les</strong> lieux d’expression mais il freine également la<br />
39
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
prise en charge selon <strong>les</strong> idéaux que l’on peut se forger durant la formation en école.<br />
En effet, que l’on examine <strong>de</strong> près l’une ou l’autre <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, force est <strong>de</strong><br />
constater bien vite qu’el<strong>les</strong> sont très exhaustives, mais par là-même aussi exigeantes<br />
en terme <strong>de</strong> temps.<br />
Hesbeen (2002) met en gar<strong>de</strong> contre la tendance, déjà présente <strong>dans</strong> bien <strong>de</strong>s<br />
secteurs, <strong>de</strong> faire du métier <strong>de</strong> soignant un métier <strong>de</strong> technicien spécialisé, au service<br />
<strong>de</strong> la technique et d’un patient <strong>de</strong>venu pour un temps « objet » <strong>de</strong> soin. Les théories<br />
<strong>de</strong> <strong>soins</strong> ne sauraient se résumer à une forme <strong>de</strong> modèle « prêt-à-penser » que l’on<br />
réchaufferait en quelques minutes pour une utilisation immédiate. La dynamique<br />
relationnelle n’entre pas <strong>dans</strong> ce genre <strong>de</strong> schéma. L’établissement d’une relation <strong>de</strong><br />
confiance ne se réalise pas toujours <strong>de</strong> manière très rapi<strong>de</strong> ni très spontanée, mais<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> du temps et un investissement personnel parfois conséquent.<br />
Est-ce bien en cohérence avec la réalité du mon<strong>de</strong> infirmier d’aujourd’hui ?<br />
Comment permettre l’adéquation entre <strong>les</strong> contraintes du terrain et <strong>les</strong> éléments<br />
nécessaire à la prise en charge « idéale » ?<br />
Comment l’engagement <strong>de</strong>s soignants, tel qu’il est sollicité aujourd’hui par <strong>de</strong>s<br />
théories comme cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> Marchal et Psiuk (2002), est-il rendu possible en regard <strong>de</strong>s<br />
ressources dont ces professionnels disposent réellement ?<br />
Si on doit aux théories <strong>de</strong> <strong>soins</strong> une reconnaissance particulière pour l’accent<br />
qu’el<strong>les</strong> ont su mettre sur la notion <strong>de</strong> jugement clinique et la mise en valeur du rôle<br />
propre, il faut néanmoins souligner que leur utilisation <strong>dans</strong> la réalité du quotidien<br />
ne peut se faire que <strong>de</strong> façon très ciblée. En effet, le diagnostic infirmier émanant <strong>de</strong><br />
ce jugement clinique, <strong>de</strong>vrait donner lieu à une évaluation continue <strong>de</strong>s problèmes<br />
prioritaires, effectifs ou possib<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s patients. Les opérations menta<strong>les</strong> mises en<br />
œuvre pour réaliser cette évaluation, sont complexes et chronophages. Depuis<br />
l’observation, jusqu’à l’organisation <strong>de</strong>s solutions à apporter, en passant par la<br />
conceptualisation et la mise en œuvre, l’infirmière doit démontrer sa capacité <strong>de</strong><br />
décentration, d’organisation <strong>de</strong>s connaissances et <strong>de</strong> leur application, ainsi qu’un bon<br />
processus <strong>de</strong> réflexion. Le tout est assumé par sa responsabilité (Kérouac, 2010).<br />
Une application uniforme et généralisée <strong>de</strong> ces modè<strong>les</strong> paraîtrait dangereuse<br />
car incompatible avec la réalité soignante. En revanche, la référence à ces concepts<br />
<strong>dans</strong> la démarche d’analyse constante <strong>de</strong> l’infirmière et l’utilisation <strong>de</strong>s théories<br />
40
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
comme socle conceptuel à sa réflexion, ne peuvent qu’être bénéfiques à la mise en<br />
œuvre <strong>de</strong> ses multip<strong>les</strong> responsabilités.<br />
Ces responsabilités sont d’autant plus gran<strong>de</strong>s et plus lour<strong>de</strong>s à porter qu’el<strong>les</strong><br />
s’expriment <strong>dans</strong> un contexte hospitalier lui aussi en pleine mutation. L’hôpital doit<br />
faire face à <strong>de</strong>s phénomènes nouveaux tels que le vieillissement <strong>de</strong> la population, le<br />
nombre croissant <strong>de</strong>s maladies chroniques, la marginalisation moins cachée et plus<br />
présente <strong>dans</strong> <strong>les</strong> structures socia<strong>les</strong>, une définition <strong>de</strong> la santé extrêmement large,<br />
l’explosion <strong>de</strong>s coûts en lien avec <strong>les</strong> progrès <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine et <strong>de</strong>s moyens<br />
diagnostiques et prédictifs… La profession soignante est, en outre, caractérisée par<br />
un travail fortement pluridisciplinaire. Cette profession se trouve à l’intersection <strong>de</strong><br />
plusieurs autres champs disciplinaires. Elle-même se veut transdisciplinaire, <strong>dans</strong> le<br />
sens où elle est aux prises avec <strong>de</strong>s problèmes émanant tout aussi bien <strong>de</strong> la société,<br />
<strong>de</strong> l’environnement que <strong>de</strong> l’économie…, pour n’en citer que quelques-uns. Pour<br />
autant la profession infirmière ne doit pas renoncer à son i<strong>de</strong>ntité professionnelle,<br />
bien au contraire<br />
« une conception claire <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité disciplinaire et professionnelle est<br />
incontournable pour tracer clairement <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> son champ <strong>de</strong><br />
compétence, <strong>de</strong> même que pour occuper tout l’espace professionnel<br />
possible <strong>dans</strong> un esprit <strong>de</strong> collaboration . » (Dallaire, 2008, p.12).<br />
Bousculée par le cours <strong>de</strong> l’histoire, l’i<strong>de</strong>ntité infirmière peine à s’affirmer et le<br />
contexte professionnel actuel n’est pas pour favoriser sa structuration et sa stabilité.<br />
41
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
42
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
CHAPITRE 2 - ÊTRE SOIGNANT, UN DÉFI AU QUOTIDIEN<br />
2.1 La réalité d’un contexte difficile<br />
Le contexte actuel <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> rend difficile la prise en charge holistique telle<br />
que prônée par <strong>les</strong> différents modè<strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong>. Que ce soit <strong>dans</strong> <strong>les</strong> centre<br />
hospitaliers, <strong>les</strong> institutions pour personnes âgées, handicapées, ou encore <strong>les</strong> centres<br />
<strong>de</strong> <strong>soins</strong> à domicile, une démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong> individuelle exhaustive est parfois<br />
compromise par une dotation en personnel insuffisante (De Bouvet & Sauvaige,<br />
2005). Pourtant c’est la conception humaniste qui est présentée et entraînée à l’école<br />
et durant la formation pratique. On comprend dès lors que la frustration puisse<br />
surgir chez <strong>les</strong> soignants convaincus <strong>de</strong> cette approche dont ils ont sans doute pu<br />
constater l’efficacité et qu’ils ne peuvent mettre en œuvre en raison <strong>de</strong>s contingences<br />
institutionnel<strong>les</strong>.<br />
Un problème majeur rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le manque <strong>de</strong> personnel pour le nombre <strong>de</strong><br />
patients. Les soignants déplorent <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir réaliser <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> à la chaîne sans avoir<br />
<strong>de</strong> temps pour une prise en charge holistique. Les infirmières doivent toujours être<br />
<strong>dans</strong> une dimension <strong>de</strong> partage : <strong>de</strong> leurs compétences, <strong>de</strong> leur savoir… El<strong>les</strong><br />
partagent <strong>les</strong> moments <strong>les</strong> plus intimes (naissance et mort). Le métier d’infirmière<br />
peut s’avérer très prenant sur le plan émotionnel et nécessite <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s espaces<br />
pour échanger entre pairs : « Si l’on n’a pas le temps <strong>de</strong> ventiler ses émotions,<br />
alors on préfère ne plus s’investir émotionnellement » (Dubet, 2002, p.223). Le<br />
risque <strong>de</strong> la démotivation et du désengagement est grand.<br />
Par ailleurs, l’impossibilité <strong>de</strong> l’infirmière <strong>de</strong> s’occuper du patient <strong>de</strong> manière<br />
optimale n’est pas seulement liée à sa charge <strong>de</strong> travail, mais également à l’évolution<br />
<strong>de</strong> la prise en charge hospitalière. Les séjours étant beaucoup plus courts,<br />
l’établissement <strong>de</strong> la relation au patient s’en trouve considérablement modifié. Le<br />
caractère « hospitalier » <strong>de</strong>s hôpitaux tend à se transformer au profit d’une logique<br />
43
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
économique, ce qui entretient le système à l’origine déjà fort pyramidal <strong>de</strong><br />
l’institution.<br />
De même, le travail rendu difficile induit une rotation <strong>de</strong> personnel importante<br />
avec <strong>de</strong>s équipes qui comptent <strong>de</strong> nombreuses personnes à temps partiel et se<br />
connaissent peu. Cela rend non seulement <strong>les</strong> échanges et le partage du vécu ardus,<br />
mais cela complique également la définition d’un idéal commun et sa mise en œuvre,<br />
et ce, d’autant plus que <strong>les</strong> exigences <strong>de</strong> flexibilité favorisent la rotation <strong>de</strong>s équipes<br />
et nuisent à la construction d’une i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> secteur.<br />
Les nouvel<strong>les</strong> exigences <strong>de</strong> traçabilité, en lien avec <strong>les</strong> exigences qualité, sont un<br />
facteur nouvellement très chronophage que certains soignants acceptent difficilement<br />
parce qu’il empiète sur le temps passé au chevet du mala<strong>de</strong>. Ces exigences revêtent<br />
néanmoins un intérêt évi<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> la gestion <strong>de</strong>s risques (Estryn-Béhar, 2008).<br />
Que ce soit <strong>dans</strong> une volonté <strong>de</strong> mieux répartir <strong>les</strong> moyens accordés au secteur<br />
hospitalier, <strong>de</strong> mieux maîtriser <strong>les</strong> coûts en <strong>les</strong> rationalisant ou encore <strong>de</strong> répondre<br />
aux préoccupations individuel<strong>les</strong> et collectives en matière <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>…<br />
toujours est-il que l’exigence <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong>vient un moteur <strong>de</strong> concurrence entre <strong>les</strong><br />
établissements, qui ne laisse pas in<strong>de</strong>mne le personnel soignant. En effet <strong>les</strong><br />
démarches d’évaluation <strong>de</strong> la qualité se basent sur <strong>de</strong>s indicateurs concrets et<br />
quantifiab<strong>les</strong>, qui ne permettent pas, le plus souvent, <strong>de</strong> mettre en valeur l’aspect<br />
plus discret mais non moins important du soin : l’attention portée, au travers du<br />
dialogue, à la singularité d’une personne et <strong>de</strong> sa situation. Et Hesbeen <strong>de</strong><br />
déclarer que<br />
« l’accueil, l’écoute, la disponibilité et la créativité <strong>de</strong>s soignants,<br />
combinés à leurs connaissances <strong>de</strong> nature scientifique et habiletés<br />
techniques, apparaissent comme <strong>les</strong> déterminants essentiels <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong><br />
qualité » (Hesbeen, 2002).<br />
Il existe un décalage entre l’idéal éthique qui voudrait favoriser au maximum la<br />
dignité du patient ainsi que son autonomie, et <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> conditions d’accueil à<br />
l’hôpital, le contexte actuel <strong>de</strong> prise en charge avec <strong>de</strong>s dotations réduites, et une<br />
réalité inapte à la réalisation <strong>de</strong> cet idéal.<br />
44
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Pour certains auteurs, une raison supplémentaire à ce décalage serait la<br />
mauvaise compréhension <strong>de</strong> la prise en charge globale. Si on la comprend <strong>de</strong><br />
manière exhaustive comme étant le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> prise en charge d’une infirmière envers<br />
chaque patient, alors force est <strong>de</strong> constater que la tâche est insurmontable, au vu du<br />
nombre <strong>de</strong> patients et du contexte déjà évoqué. Il y aurait une distinction à faire, à<br />
savoir que l’on ne parlerait plus d’une prise en charge globale d’un patient, mais <strong>de</strong><br />
prise en charge « selon une approche globale… ». Ainsi <strong>les</strong> termes <strong>de</strong> « prise en<br />
charge globale » <strong>de</strong>viennent l’image d’un idéal à avoir en arrière-plan et non plus<br />
un modèle à appliquer intégralement pour chaque patient (De Bouvet & Sauvaige,<br />
2005).<br />
2.2 La souffrance du paradoxe<br />
Quelle que soit la portée <strong>de</strong> la prise en charge, il n’en reste pas moins une<br />
souffrance chez <strong>les</strong> infirmières qui correspond à un décalage entre <strong>les</strong> <strong>soins</strong> qu’el<strong>les</strong><br />
aimeraient apporter à leurs patients et <strong>les</strong> conditions <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels el<strong>les</strong> doivent<br />
exercer leur profession. Il y a un<br />
« écart considérable entre l’idéal éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et la possibilité <strong>de</strong> le<br />
mettre en pratique. Il est probablement l’une <strong>de</strong>s causes du fameux<br />
burnout <strong>de</strong>s infirmières… » (De Bouvet & Sauvaige , introduction).<br />
C’est un désarroi que <strong>les</strong> étudiantes renvoient très souvent, surtout durant <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> leur formation. Lors d’un examen oral, une étudiante<br />
<strong>de</strong>vait présenter la situation d’un patient qu’elle avait pris en charge avec, pour son<br />
analyse, l’utilisation d’une <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong> <strong>soins</strong> exhaustive enseignée à l’école. Cette<br />
étudiante a présenté la situation d’une patiente psychotique hospitalisée en<br />
psychiatrie et chez laquelle elle avait pu mettre en évi<strong>de</strong>nce, après avoir étudié<br />
l’entier <strong>de</strong> la situation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> moindres détails, <strong>de</strong>s éléments qui avaient ensuite<br />
permis <strong>de</strong> poser un diagnostic tout à fait différent du premier. Cela avait permis <strong>de</strong><br />
réorienter la prise en charge et d’accompagner la patiente <strong>de</strong> manière beaucoup plus<br />
ciblée avec, au bout du compte, <strong>de</strong>s résultats et une amélioration considérab<strong>les</strong>.<br />
Cette étudiante était très décontenancée à l’idée que l’équipe aurait sans doute<br />
45
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
persisté <strong>dans</strong> l’ancien schéma et méconnu ce problème, orientant ainsi la prise en<br />
charge sur <strong>de</strong> fausses bases, si son travail pour l’école ne l’avait obligé l’équipe à<br />
réinterroger sa prise en charge. Elle était bien consciente que le travail très intensif<br />
qu’elle avait investi pour cette patiente n’était possible qu’en regard <strong>de</strong> son statut<br />
d’étudiante. Après avoir évoqué ce malaise auprès <strong>de</strong> son infirmière <strong>de</strong> référence,<br />
elle s’était retrouvée seule face à son désarroi. L’infirmière lui avait répondu qu’elle<br />
ne <strong>de</strong>vait plus réfléchir autant mais suivre <strong>les</strong> ordres médicaux, sous peine d’être<br />
régulièrement insatisfaite et en révolte contre <strong>les</strong> <strong>soins</strong> offerts aux patients.<br />
D’emblée, cet exemple choque par le fait qu’il va totalement à l’encontre du<br />
mouvement d’autonomisation et <strong>de</strong> construction i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> l’infirmière tel<br />
qu’ébauché ci-<strong>de</strong>ssus, mais il choque encore davantage, par la conception sous-<br />
jacente <strong>de</strong> la prise en charge qui en émerge.<br />
Il va <strong>de</strong> soi que si le soin se limite au traitement <strong>de</strong>s symptômes et à<br />
l’application <strong>de</strong> protoco<strong>les</strong>, sans tenir compte <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> cet univers qui fait<br />
corps avec le mala<strong>de</strong> et donne un sens à sa vie, <strong>de</strong>s éléments essentiels sont évincés,<br />
éléments qui pourraient orienter la prise en charge <strong>dans</strong> un sens très différent.<br />
L’étudiante a dû faire face à un grand paradoxe : celui <strong>de</strong> soigner un humain<br />
atteint <strong>dans</strong> son corps et <strong>dans</strong> son esprit, et celui <strong>de</strong> la confrontation à une routine<br />
protocolaire centrée davantage sur <strong>les</strong> prescriptions que sur la personne.<br />
La formation confère à l’infirmière bon nombre <strong>de</strong> connaissances théoriques.<br />
Cel<strong>les</strong>-ci lui permettent d’être capable <strong>de</strong> juger <strong>de</strong>s prescriptions faites par le<br />
mé<strong>de</strong>cin, capable <strong>de</strong> réagir lorsqu’elle remarque une anomalie, lorsque le patient<br />
présente certains symptômes… De ses observations et <strong>de</strong> sa manière d’appréhen<strong>de</strong>r<br />
le patient, va dépendre en gran<strong>de</strong> partie la poursuite du traitement. Néanmoins il est<br />
évi<strong>de</strong>nt que <strong>les</strong> connaissances à mobiliser et à mettre en œuvre sont différentes <strong>dans</strong><br />
toutes <strong>les</strong> situations et le travail le plus délicat, mais qui constitue le cœur <strong>de</strong> la<br />
pratique infirmière, consiste à mobiliser <strong>les</strong> connaissances théoriques dont elle<br />
dispose pour <strong>les</strong> contextualiser et <strong>les</strong> mettre en œuvre <strong>dans</strong> une situation bien<br />
particulière.<br />
C’est ce qui justifie d’ailleurs l’emploi <strong>de</strong>s termes : « compétences infirmières ».<br />
Pour répondre à une situation <strong>de</strong> soin, l’infirmière utilise à chaque fois ses<br />
compétences et sa créativité <strong>dans</strong> leur mobilisation (Le Boterf, 1998). C’est sur cette<br />
46
ase qu’elle engage sa responsabilité.<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Cependant ce travail <strong>de</strong> réflexion cognitive n’est pas <strong>de</strong> tout repos. Il suppose<br />
au préalable d’avoir pris du temps avec le patient et sollicite donc à la fois la<br />
motivation et l’investissement personnel. Il s’avère d’autant plus contraignant s’il<br />
n’est pas porté par le collectif. Dans la réalité, <strong>les</strong> soignants ont souvent l’impression<br />
<strong>de</strong> négliger cette compétence par manque <strong>de</strong> temps. Comment vivre alors cet<br />
écart entre l’idéal et la réalité ? Comment gérer <strong>les</strong> sentiments d’insatisfaction et <strong>de</strong><br />
culpabilité qui découlent <strong>de</strong> n’avoir pas répondu idéalement à toutes <strong>les</strong> situations ?<br />
Le malaise n’est pas qu’une impression. Témoins <strong>de</strong> différentes réalités qui<br />
dévoilent toujours à nouveau <strong>de</strong>s situations dont <strong>les</strong> conséquences dramatiques sont<br />
dues à <strong>de</strong>s négligences professionnel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> soignants vivent le malaise comme une<br />
réalité bien présente sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> pratique où, si l’on s’en réfère à Bouvet et<br />
Sauvaige (2005) :<br />
L’i<strong>de</strong>ntité infirmière est mise en danger par l’écart existant entre l’idéal<br />
éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et la possibilité <strong>de</strong> le mettre en pratique ;<br />
Les conditions du contexte hospitalier, <strong>les</strong> difficultés inhérentes à toute<br />
relation et une interprétation erronée du <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> « prise en charge<br />
globale » <strong>de</strong> la personne soignée vont à l’encontre <strong>de</strong> l’idéal éthique <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> qui place le sujet mala<strong>de</strong> et le respect <strong>de</strong> sa dignité et <strong>de</strong> son<br />
autonomie au centre <strong>de</strong>s préoccupations infirmières ;<br />
Le poids institutionnel et <strong>les</strong> exigences budgétaires interviennent <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
difficultés relationnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s infirmières, tant avec <strong>les</strong> patients qu’avec <strong>les</strong><br />
équipes <strong>de</strong> <strong>soins</strong>…<br />
Il n’est point besoin <strong>de</strong> rallonger la liste <strong>de</strong>s difficultés rencontrées aujourd’hui<br />
par <strong>les</strong> infirmières. La lecture <strong>de</strong>s quotidiens suffit à nous informer <strong>de</strong> leurs<br />
conditions <strong>de</strong> travail. Un quotidien neuchâtelois affichait, en 2010, <strong>dans</strong> un gros titre,<br />
qu’une infirmière doit faire 25 prises <strong>de</strong> sang en 45 minutes <strong>dans</strong> un foyer <strong>de</strong><br />
personnes âgées. Lorsque l’on sait à quel point ces personnes âgées sont diffici<strong>les</strong> à<br />
piquer, <strong>de</strong> par un capital veineux appauvri et vieilli, et que l’on est conscient du<br />
besoin très fort <strong>de</strong> ces personnes <strong>de</strong> parler et d’être écouté, comment ne pas ressentir<br />
la frustration <strong>de</strong>s infirmières à <strong>de</strong>voir « exécuter une tâche à la chaîne », en se<br />
47
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
contentant, le plus souvent, d’un « bonjour » laconique !<br />
Selon notre compréhension <strong>de</strong> la profession, une « qualité fondamentale <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong> <strong>de</strong>vrait permettre <strong>de</strong> reconnaître, <strong>de</strong> confirmer et <strong>de</strong> favoriser la vie<br />
humaine <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s circonstances où elle l’est moins » (Goulet & Dallaire, 2002,<br />
p.82).<br />
« Les soignants reçoivent une formation initiale et continue qui <strong>les</strong><br />
sensibilise <strong>de</strong> plus en plus à l’importance <strong>de</strong> la dimension relationnelle<br />
du soin, en même temps qu’ils sont l’objet <strong>de</strong> pressions visant à<br />
améliorer la productivité <strong>de</strong> leur pratique » (Sirven, 1999, p.40).<br />
Les discours <strong>de</strong>s soignants laissent <strong>de</strong> plus en plus transparaître la frustration<br />
<strong>de</strong> ne pas parvenir à exercer cette relation <strong>de</strong> soin <strong>dans</strong> la profon<strong>de</strong>ur qui lui<br />
appartient. Cette frustration n’est sans doute pas nouvelle, mais sa verbalisation<br />
nettement plus explicite <strong>de</strong>puis quelques années, pousse à croire que le phénomène<br />
s’aggrave <strong>de</strong> manière significative.<br />
Dans le même ordre d’idées, <strong>de</strong>s pratiques actuel<strong>les</strong> consistent à « trier » <strong>les</strong><br />
patients <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services d’urgence. Les <strong>de</strong>grés d’urgence ainsi i<strong>de</strong>ntifiés, <strong>les</strong><br />
patients sont pris en charge plus ou moins rapi<strong>de</strong>ment. Compréhensible sur un plan<br />
d’organisation et d’efficacité, ce procédé n’en est pas moins questionnant sur le plan<br />
humain. En effet, <strong>les</strong> personnes se sentent, pour beaucoup, peu entendues <strong>dans</strong> leur<br />
souffrance, qui si elle ne présente effectivement pas forcément <strong>de</strong> danger vital, n’en<br />
<strong>de</strong>meure pas moins suffisamment gênante ou douloureuse pour justifier leur<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’ai<strong>de</strong>. Les soignants ressentent ces métho<strong>de</strong>s comme une chosification <strong>de</strong><br />
l’humain. En parallèle à cette frustration, c’est également la responsabilité qui pèse<br />
lour<strong>de</strong>ment sur <strong>les</strong> infirmières. Responsabilité <strong>de</strong> prendre <strong>les</strong> bonnes décisions, <strong>de</strong><br />
faire le « tri » adéquat <strong>dans</strong> <strong>les</strong> personnes qui se présentent aux urgences (Schachtel,<br />
2010).<br />
À la charge globale <strong>de</strong> travail s’ajoute également une augmentation <strong>de</strong> la tâche<br />
administrative. La mise en place <strong>de</strong>s procédures a pour objectif d’automatiser le<br />
48
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
déroulement <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et d’en assurer le bon fonctionnement. Mais avec<br />
l’administration, c’est également la charge <strong>de</strong> l’écrit qui a nettement augmenté.<br />
« Une gran<strong>de</strong> partie du travail <strong>de</strong>s infirmières est dévolue à l’organisation, à<br />
la coordination et la gestion <strong>de</strong>s dossiers » (Dubet, 2002, p.208). Ces nouvel<strong>les</strong><br />
tâches, relativement chronophages, prennent sur le temps que l’infirmière consacrait<br />
auparavant à son patient. Les infirmières déplorent <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir se détourner peu à peu<br />
du patient pour accor<strong>de</strong>r leur attention à <strong>de</strong>s aspects administratifs secondaires qui<br />
peuvent absorber leur temps et leur énergie (Sainsaulieu, 2003).<br />
Les infirmières dépen<strong>de</strong>nt plus largement du système économique et <strong>de</strong>s<br />
nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong> management qui émanent, <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> secteurs, <strong>de</strong> la nouvelle<br />
gouvernance.<br />
« Les contraintes financières externes <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s dépenses <strong>de</strong> santé<br />
se font <strong>de</strong> plus en plus pesantes et <strong>les</strong> acteurs ont tendanc e à opposer<br />
une logique <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong>, centrée sur la définition <strong>de</strong>s protoco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong>,<br />
à une logique « comptable » d’autant plus présente que l’État intervient<br />
<strong>de</strong> plus en plus directement » (Dubet, 2002, p.209).<br />
Des mécanismes <strong>de</strong> marché sont introduits <strong>dans</strong> <strong>les</strong> dispositifs publics. Cela se<br />
traduit par un rationnement, une privatisation marginale <strong>de</strong> certaines activités, et<br />
<strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas par une décentralisation <strong>de</strong>s décisions. Pour comprendre cette<br />
réalité institutionnelle, il est important <strong>de</strong> rappeler certaines caractéristiques<br />
particulières à ces formes <strong>de</strong> management ainsi que leurs impacts sur <strong>les</strong><br />
professionnels, en particulier en termes <strong>de</strong> stress.<br />
2.3 Soins, management et nécessité éthique<br />
Les différents paramètres qui pèsent sur le travail <strong>de</strong>s soignants (nouvel<strong>les</strong><br />
formes d’organisation du travail, injonction à la rapidité et à la flexibilité, écarts<br />
grandissants entre travail prescrit et travail réel, encouragement à la performance…)<br />
sont autant <strong>de</strong> résultats <strong>de</strong> modifications plus profon<strong>de</strong>s opérées sur le système<br />
49
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
sociétal lui-même. Le stress, très fréquent chez <strong>les</strong> soignants, est <strong>de</strong>venu une forme<br />
<strong>de</strong> langage par lequel <strong>les</strong> personnes expriment leur malaise (Buscatto et al., 2008).<br />
L’approche sociologique permet d’observer l’inci<strong>de</strong>nce sur la santé psychique<br />
d’une évolution <strong>de</strong> la normativité contemporaine d’une part, ainsi que <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong><br />
formes <strong>de</strong> domination et <strong>de</strong> l’organisation du travail qui en découlent d’autre part<br />
(Erbes-Seguin, 2004).<br />
Le mon<strong>de</strong> du travail est soumis, <strong>de</strong>puis quelques années, à <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong><br />
exigences normatives. La mise en exergue <strong>de</strong> l’individualité s’accompagne d’une<br />
valorisation <strong>de</strong> concepts tels l’autonomie, la responsabilité et l’engagement<br />
individuel (Otero, 2005). Les règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> conduite, formel<strong>les</strong> et informel<strong>les</strong>, qui<br />
émanent <strong>de</strong> ces phénomènes, et qui sont autant <strong>de</strong> dispositifs exerçant un réel<br />
pouvoir sur <strong>les</strong> individus, constituent une norme sociale incontournable. Pour autant,<br />
l’adaptation est loin d’être simple car l’individu est placé face à <strong>de</strong>s objectifs<br />
hétérogènes, voire parfois antinomiques. Les soignants interviennent <strong>dans</strong> trois<br />
mon<strong>de</strong>s simultanés que sont le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la compétence et <strong>de</strong>s techniques<br />
professionnel<strong>les</strong> ; le mon<strong>de</strong> subjectif, c’est-à-dire celui <strong>de</strong> la relation (en équipe et<br />
avec <strong>les</strong> patients) ; ainsi que le mon<strong>de</strong> social <strong>de</strong> l’organisation et <strong>de</strong> l’administration<br />
(avec la gestion du travail, <strong>de</strong>s stocks…). Cette tridimensionnalité permanente, <strong>dans</strong><br />
une double hiérarchie à la fois verticale et horizontale, et dont <strong>les</strong> composantes<br />
obéissent à <strong>de</strong>s critères spécifiques, conduit <strong>les</strong> infirmières à <strong>de</strong>s postures<br />
acrobatiques scabreuses (Dubet, 2002).<br />
La valorisation <strong>de</strong> l’autonomie <strong>dans</strong> le processus normatif contemporain<br />
s’accompagne d’une injonction à l’implication en vue d’une rentabilité maximale.<br />
Selon Boltanski et Chiappelo (1999), un changement majeur s’est opéré <strong>de</strong>puis la fin<br />
<strong>de</strong>s années soixante-dix puisque cet objectif <strong>de</strong> rentabilité est dorénavant présenté<br />
comme corrélé à l’épanouissement personnel. De fait, la décollectivisation du travail<br />
et l’individualisation a vu le jour à la fin <strong>de</strong>s années soixante-dix et poursuit à présent<br />
<strong>de</strong>ux objectifs : celui d’une « tentative d’inféodation <strong>de</strong> la subjectivité <strong>de</strong>s travailleurs<br />
à la seule cause <strong>de</strong> l’entreprise » (Clot & Lhuilier, 2010, p.120), et l’utilisation <strong>de</strong> la<br />
pression narcissique qui pousse <strong>les</strong> individus à vouloir se dépasser et dépasser leurs<br />
50
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
collègues (Clot & Lhuilier, 2010). Ce sont là <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong> domination qui<br />
sont apparues au fil du temps.<br />
La performance, poussée par l’ambition professionnelle, <strong>de</strong>vient une part<br />
constitutive fondamentale <strong>de</strong> l’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire. L’affect et <strong>les</strong> émotions sont<br />
mises en jeu pour atteindre un épanouissement personnel qui doit lier du mieux<br />
possible le besoin <strong>de</strong> reconnaissance avec <strong>les</strong> contraintes <strong>de</strong> la pratique, sous la<br />
menace constante <strong>de</strong> la souffrance (Ehrenberg, 2010). L’individu qui ne réussit pas à<br />
entrer <strong>dans</strong> le moule prescrit <strong>de</strong> la performance et <strong>de</strong> l’atteinte <strong>de</strong>s objectifs se perçoit<br />
comme incompétent et perd confiance en lui (Modak & Messant, 2005). Il se trouve<br />
fragilisé et sa vulnérabilité est d’autant plus gran<strong>de</strong> que, par cette même<br />
émancipation vers l’autonomie, il s’est coupé <strong>de</strong> ses référents i<strong>de</strong>ntitaires fiab<strong>les</strong><br />
(Ehrenberg, 1991), et ne dispose pas d’indicateurs tiers témoignant <strong>de</strong> sa performance<br />
réelle (Loriol, 2000).<br />
Par ailleurs, le mon<strong>de</strong> du travail est également marqué par un autre<br />
phénomène : le processus <strong>de</strong> psychologisation <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> socialisation (Otero,<br />
2003). Dans une visée d’implication maximale, le pouvoir managérial tente d’investir<br />
<strong>les</strong> désirs <strong>de</strong>s individus, tout autant que leur capacité physique en faisant <strong>de</strong>s<br />
objectifs <strong>de</strong> l’entreprise <strong>de</strong>s objectifs personnels, franchissant ainsi la frontière du<br />
public au privé. La flexibilité maximale est attendue <strong>de</strong>s infirmières, flexibilité<br />
doublée d’une capacité d’adaptation à toutes <strong>les</strong> exigences requises digne du<br />
caméléon. On attend d’elle un esprit d’initiative et d’imagination, une prise<br />
d’autonomie… L’incitation grandissante à la prise <strong>de</strong> responsabilité, enserrée <strong>dans</strong><br />
un carcan plus ou moins visible d’obligations informel<strong>les</strong>, est légitimée par le cadre<br />
légal du contrat <strong>de</strong> travail, sans pour autant que soient présents <strong>les</strong> « repères<br />
externes » permettant <strong>de</strong> l’assumer pleinement (Modak & Messant, 2005, p.19).<br />
Les compétences attendues <strong>de</strong>s individus sont donc multip<strong>les</strong> et ne renvoient<br />
plus uniquement à la sphère technique mais aux compétences personnel<strong>les</strong> et<br />
psychologiques qui mettent en jeu la personnalité, et obligent l’individu à effectuer<br />
un travail introspectif considérable. La réflexivité <strong>de</strong>vient un mot clé mais qui<br />
enferme la personne sur elle-même. Par le biais <strong>de</strong> la responsabilisation, <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong><br />
formes <strong>de</strong> domination mises en place par <strong>les</strong> structures managéria<strong>les</strong> permettent <strong>de</strong><br />
51
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
maintenir pleinement l’investissement personnel (Martucelli, 2005) sous couvert<br />
d’une gestion prétendument participative. Cette domination ne joue pas sur<br />
l’assujettissement mais sur le principe <strong>de</strong> responsabilisation qui engage l’implication<br />
<strong>de</strong> l’individu, <strong>de</strong>venu acteur responsable <strong>de</strong> tout ce qu’il entreprend, et également <strong>de</strong><br />
la manière dont il vit cela. La domination utilise différents outils tels que l’injonction,<br />
par exemple. Celle-ci s’appuie sur <strong>de</strong>s prescriptions et invite l’individu à une<br />
obéissance doublée d’un esprit critique et réflexif, en vue <strong>de</strong> sa propre amélioration<br />
(Martucelli, 2004). L’autonomie, la responsabilisation, la flexibilité… ne sont alors<br />
que <strong>de</strong>s moyens pour répondre à cette injonction constante <strong>de</strong> dépassement <strong>de</strong> soi et<br />
<strong>de</strong> performance dont <strong>les</strong> limites ne sont jamais clairement définies, si ce n’est <strong>dans</strong> le<br />
lieu même <strong>de</strong> la subjectivité. Cette absence <strong>de</strong> limites contribue à nourrir un idéal,<br />
mais un idéal flou d’une performance toujours supérieure et qui conduit à ce que<br />
Loriol nomme « l’idéalisation <strong>de</strong>s résultats escomptés <strong>de</strong> son travail » (2000),<br />
idéal dont l’inaccessibilité est parfois lour<strong>de</strong> <strong>de</strong> conséquences en termes <strong>de</strong> santé<br />
mentale.<br />
Martucelli (2004) cite ensuite la dévolution au même titre que l’injonction<br />
comme mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> domination. Celle-ci reposerait sur une « implosion du sujet »<br />
<strong>de</strong>vant l’écart impossible à franchir entre <strong>les</strong> contraintes imposées et l’injonction à<br />
<strong>de</strong>venir sujet pleinement responsable. De type conséquentialiste, la dévolution place<br />
l’individu face aux conséquences <strong>de</strong> ses actes dont il est entièrement responsable et<br />
qui constitue le seul critère retenu pour juger <strong>de</strong> l’efficacité <strong>de</strong> son action. Selon ce<br />
postulat, on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à l’acteur <strong>de</strong> trouver <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> s’adapter aux contraintes et<br />
aux exigences du mon<strong>de</strong> du travail, ce qui génère une individualisation <strong>de</strong>s<br />
problèmes <strong>de</strong> santé mentale. Ce faisant, l’organisation et ses possib<strong>les</strong> défaillances,<br />
<strong>de</strong> même que <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail éventuellement pathogènes ne sont pas<br />
remises en cause (Loriol, 2003). Le stress <strong>de</strong>s soignants est ainsi considéré comme un<br />
problème individuel et non institutionnel (Chanlat, 2003). Cette psychologisation du<br />
stress tend à masquer <strong>de</strong>s causes plus collectives, liées aux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> management et<br />
d’organisation par exemple (Clot, 2010), et n’interpelle pas la construction sociale <strong>de</strong>s<br />
formes <strong>de</strong> domination.<br />
52
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Le stress reste un sujet relativement tabou au sein <strong>de</strong> l’entreprise comme <strong>de</strong>s<br />
hôpitaux. D’un côté par la culpabilisation nourrie, engendrée par le sentiment <strong>de</strong><br />
défaillance personnelle, et d’un autre côté parce que le stress est présenté comme la<br />
conséquence logique <strong>de</strong> l’implication personnelle et <strong>de</strong> l’investissement total. De ce<br />
fait, il semble le gage nécessaire <strong>de</strong> la réussite. Un cadre infirmier qui ne s’avouerait<br />
pas régulièrement stressé, serait sans doute regardé avec suspicion.<br />
Des étu<strong>de</strong>s récentes, menées <strong>dans</strong> d’autres secteurs d’activités, démontrent que<br />
<strong>les</strong> pathologies découlant du stress sont très largement liées aux nouveaux<br />
mécanismes <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s organisations mis en place (De Gaulejac, 2005; Dejours,<br />
2008; Pfeffer & Sutton, 2007) et que le secteur public est très fortement touché par ces<br />
phénomènes <strong>de</strong> dégradation <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong> ses collaboratrices et collaborateurs. Selon<br />
certaines statistiques, 30% <strong>de</strong>s soignants seraient atteints <strong>de</strong> pathologies menta<strong>les</strong><br />
graves liées au stress. Cette réalité interpelle.<br />
La responsabilité que doivent endosser <strong>les</strong> soignants, mais aussi déjà <strong>les</strong><br />
étudiants, est toujours plus importante, alors même que <strong>les</strong> aspects <strong>les</strong> plus<br />
gratifiants <strong>de</strong> la profession, <strong>les</strong> échanges avec le patient, sont réduits à une peau <strong>de</strong><br />
chagrin par manque <strong>de</strong> temps.<br />
Leurs idéaux sont souvent sacrifiés sur l’autel <strong>de</strong>s restrictions budgétaires et <strong>les</strong><br />
soignants ont le sentiment d’exercer leur métier en parant toujours au plus pressé. Ils<br />
déplorent le peu d’attention portée aux patients. Mais on peut alors poser la question<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières : le temps est-il vraiment totalement insuffisant ? Ou bien <strong>les</strong><br />
idéaux sont-ils trop élevés ? L’éthique ne permettrait-elle pas, en tant qu’elle est<br />
inhérente à toute relation humaine, <strong>de</strong> poser un cadre à la relation, <strong>de</strong> lui garantir un<br />
minimum d’humanité, en même temps qu’elle confèrerait au soignant une assurance<br />
sur ses <strong>soins</strong>, pour autant qu’ils soient inscrits à l’intérieur d’un « espace éthique »<br />
clairement défini ? Toute action éthique trouve son fon<strong>de</strong>ment <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong><br />
reconnaître l’importance <strong>de</strong> l’individu <strong>dans</strong> son humanité, quel qu’il soit, aussi bien<br />
le patient que le soignant. Dès lors, comment l’éthique peut-elle gui<strong>de</strong>r le soignant et<br />
le soutenir <strong>dans</strong> sa prise en soin ?<br />
Face aux réalités économiques et socia<strong>les</strong>, il est bien sûr <strong>de</strong>s domaines où nous<br />
53
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
n’aurons pas ou très peu d’influence. Les questions budgétaires resteront le plus<br />
souvent en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> notre champ <strong>de</strong> compétences. Néanmoins il nous est<br />
certainement possible d’envisager <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fonctionnement, <strong>de</strong> regard sur la<br />
réalité qui nous permettraient <strong>de</strong> mieux vivre, en étant en adéquation avec nos<br />
valeurs et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> nos contemporains.<br />
C’est chaque professionnel qui se voit interpellé en son âme et conscience sur<br />
ses valeurs et la manière dont il veut s’engager ou non <strong>dans</strong> sa profession. En ce sens<br />
nous pouvons rejoindre le postulat <strong>de</strong> Bouvet & Sauvaige (2005) selon lequel<br />
l’éthique, comme espace <strong>de</strong> réflexion et d’introspection pourrait constituer un<br />
élément <strong>de</strong> réponse au malaise <strong>de</strong> la profession infirmière.<br />
L’éthique confère à la rencontre soignante toute son humanité et c’est sur elle<br />
que s’appuie la conscience du professionnel. Elle constitue donc un élément à la fois<br />
central <strong>de</strong> par son importance, mais également un aspect transversal car présent <strong>dans</strong><br />
tous <strong>les</strong> domaines du soin, au travers <strong>de</strong> ses composantes axiologiques.<br />
Pour examiner cette question <strong>de</strong> manière plus précise, il est nécessaire <strong>de</strong><br />
s’arrêter quelques instants sur cette notion d’éthique, une notion complexe, souvent<br />
difficile à définir.<br />
54
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la relation du patient au soignant, mais aussi du soignant à son rôle<br />
professionnel. Pas un seul domaine <strong>de</strong> ces relations ne saurait lui échapper. Il s’agira<br />
d’avoir conscience <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux niveaux lorsque l’on parle d’éthique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>.<br />
Mais comment comprendre réellement le contenu sémantique qui se cache sous<br />
ce terme, longuement façonné par l’histoire et l’évolution <strong>de</strong> la société ?<br />
Pour ce faire, il paraît indispensable <strong>de</strong> faire un détour par l’histoire qui éclaire<br />
en partie cette notion et l’évolution qu’elle a connue <strong>dans</strong> <strong>les</strong> courants <strong>de</strong> pensée.<br />
3.1 Éthique et histoire<br />
Tout comme l’histoire <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, l’histoire <strong>de</strong> l’éthique n’est pas récente.<br />
Des écrits tels que L’Éthique à Nicomaque d’Aristote attestent que cette<br />
notion est présente déjà <strong>dans</strong> l’Antiquité. Par la suite cette notion a été mo<strong>de</strong>lée, au fil<br />
du temps, par différents mouvements philosophiques et religieux. Cette influence<br />
multifactorielle explique aussi la relation étroite, parfois confondue, avec la notion <strong>de</strong><br />
morale. L’histoire nous donne un éclairage diachronique essentiel pour savoir ce que<br />
l’homme contemporain entend aujourd’hui par le terme « éthique ».<br />
D’un point <strong>de</strong> vue purement étymologique, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux termes « morale » et<br />
« éthique » ont une signification i<strong>de</strong>ntique. L’un trouve ses origines <strong>dans</strong> la langue<br />
latine : morale : <strong>de</strong> l’adjectif latin moralis, lui-même dérivé <strong>de</strong> mores, « <strong>les</strong> mœurs »,<br />
tandis que le second est d’origine grecque, éthos et recouvre à peu près le même<br />
sens : « coutume, mœurs, habitu<strong>de</strong> ». Aristote a mis en évi<strong>de</strong>nce l’importance <strong>de</strong><br />
l’habitu<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong>s qualités éthiques <strong>de</strong> la personne. On trouve<br />
cependant en grec l’homonyme êthos qui signifie « séjour habituel, habitat,<br />
<strong>de</strong>meure <strong>de</strong>s animaux » (Blon<strong>de</strong>au, 1986, p.5).<br />
Si donc <strong>les</strong> termes grecs et latins ont au départ une signification i<strong>de</strong>ntique, leur<br />
usage et leur portée sémantique vont prendre une dimension différente au cours <strong>de</strong><br />
l’histoire. Pour Hegel, par exemple, l’éthique se rapporte à l’organisation objective<br />
<strong>de</strong>s rapports sociaux, alors que la morale énonce <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> l’agir individuel et<br />
concerne donc l’intention subjective (Hegel, 1941, p.43).<br />
56
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Parler d’éthique, c’est parler <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> vivre et d’agir, <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
conduite qui forgent et forment le caractère d’une personne. L’éthique ne renvoie pas<br />
en premier lieu à <strong>de</strong>s co<strong>de</strong>s abstraits, à <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> théoriques, mais à du concret<br />
tangible, donc au caractère visible, digne d’éloge et <strong>de</strong> blâme, d’une personne en<br />
chair et en os. Elle émane <strong>de</strong> ce que <strong>les</strong> premiers philosophes ont appelé « la vertu »,<br />
considérée comme la manière « bonne » d’agir. En parlant du caractère, nous<br />
n’entendons pas celui donné par la nature, mais le caractère comme produit d’une<br />
certaine habitu<strong>de</strong> pratiquée <strong>dans</strong> le vécu <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> jours.<br />
L’éthique, tout comme la morale, est à la base une façon <strong>de</strong> voir et <strong>de</strong> penser le<br />
mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> scruter la vie, <strong>de</strong> réfléchir sur ses pensées et ses actes. Dans la mesure où<br />
elle nécessite effectivement une réflexion, il est impossible <strong>de</strong> la dissocier <strong>de</strong> la<br />
philosophie sans la priver <strong>de</strong> sa substantifique moelle. Depuis <strong>de</strong> nombreux sièc<strong>les</strong>,<br />
<strong>les</strong> philosophes cherchent à son<strong>de</strong>r <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> l’action humaine, le fon<strong>de</strong>ment<br />
<strong>de</strong>s valeurs, conscients que rien ne peut dispenser <strong>de</strong> rechercher l’absolu, c’est-à-dire<br />
ce qui existe universellement pour tout homme et non pas seulement pour un sujet<br />
particulier, ni même pour sa collectivité ou sa société.<br />
Déjà Socrate, mis en scène par Platon, se pose la question avec Ménon <strong>de</strong> savoir<br />
si la vertu, l’objet premier du dialogue, s’enseigne, donc si elle est réellement le<br />
produit <strong>de</strong> la connaissance. Les thèses fina<strong>les</strong> ne nous disent pas que la vertu est<br />
connaissance, même si cette connaissance est reconnue nécessaire. À la fin du<br />
discours, nous nous trouvons simplement face à une double conclusion : « la vertu<br />
ne saurait ni venir par nature ni s’enseigner, mais elle serait présente comme<br />
une faveur divine » (Platon, 1993, 99e).<br />
Platon insiste néanmoins sur le rôle <strong>de</strong> l’éducation <strong>dans</strong> le développement <strong>de</strong> la<br />
vertu :<br />
« Ce que <strong>les</strong> enfants connaissent tout d’abord <strong>de</strong> la vertu relève donc,<br />
selon moi, <strong>de</strong> l’éducation ; si le plaisir, l’amitié, la peine et la haine<br />
surgissent correctement <strong>dans</strong> leur âme, alors q u’ils sont encore<br />
incapab<strong>les</strong> d’en avoir la notion, et si, une fois la notion acquise, <strong>les</strong><br />
sensations s’accor<strong>de</strong>nt avec elle pour reconnaître qu’el<strong>les</strong> ont été<br />
57
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
correctement habituées à suivre <strong>les</strong> habitu<strong>de</strong>s qui conviennent, cet<br />
accord, <strong>dans</strong> son ensemble, est la vertu ; mais la partie <strong>de</strong> cet accord qui<br />
fait l’objet d’une discipline correcte <strong>de</strong>s plaisirs et <strong>de</strong>s peines <strong>de</strong>stinée à<br />
faire haïr ce qu’il faut haïr <strong>de</strong>puis le tout début jusqu’à la fin <strong>de</strong><br />
l’existence, et chérir ce qu’il faut chérir, voilà justement l’élément<br />
auquel j’applique le terme d’éducation après en avoir isolé la notion, -<br />
et ce serait, à mon avis, une définition correcte » (Platon : Les Lois,<br />
653b-c).<br />
Platon nous conduit à réfléchir sur le rôle <strong>de</strong> l’éducation comme révélateur <strong>de</strong>s<br />
notions <strong>de</strong> bien et <strong>de</strong> mal. Cependant le philosophe souligne également l’importance<br />
<strong>de</strong> la formation initiale, avant même l’âge <strong>de</strong> raison. La pensée morale est donc aussi<br />
l’affaire <strong>de</strong>s parents et <strong>de</strong> la société <strong>dans</strong> son ensemble. Cette sagesse qui est le but<br />
ultime ne saurait être uniquement le fruit d’un enseignement.<br />
Pour Aristote, le but ultime <strong>de</strong> l’éthique, c’est le bonheur. Mais un bonheur qui<br />
se réalise <strong>dans</strong> l’œuvre et <strong>dans</strong> l’œuvre bonne, donc vertueuse.<br />
C’est surtout <strong>dans</strong> l’acte que l’on trouve la vertu. C’est en commettant <strong>de</strong>s actes<br />
justes que l’on <strong>de</strong>vient juste. Or si nous nous rappelons <strong>les</strong> origines du mot<br />
« morale », l’un <strong>de</strong>s premiers sens est effectivement « l’habitu<strong>de</strong> ». C’est par le moyen<br />
<strong>de</strong> l’habitu<strong>de</strong> que la personne bénéficie d’une formation morale. Ainsi, pour Aristote,<br />
cela signifierait que la vertu ne s’enseigne pas réellement, mais que l’on s’y habitue<br />
(Fuchs, 1996).<br />
La vertu par excellence, c’est pour Aristote la pru<strong>de</strong>nce (phronésis) que l’on<br />
traduit souvent par « sagacité » pour éviter <strong>de</strong> confondre le terme avec la connotation<br />
sémantique mo<strong>de</strong>rne du mot « pru<strong>de</strong>nce ».<br />
Chez Aristote, on pourrait résumer la notion <strong>de</strong> vertu éthique comme étant l’art<br />
<strong>de</strong> « trouver le juste milieu », d’après le terme grec difficile à traduire mésotès :<br />
« [5] Ainsi, quiconque s’y connaît fuit alors l’excès et le défaut. Il<br />
cherche au contraire le milieu et c’est lui qu’il prend pour objectif. E t<br />
ce milieu n’est pas celui <strong>de</strong> la chose, mais celui qui se détermine<br />
58
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
relativement à nous. Dès lors, si c’est ainsi que toute connaissance<br />
réussit à remplir son office en gardant en vue le milieu et en œuvrant<br />
<strong>dans</strong> sa direction (…) et si <strong>de</strong> leur côté, <strong>les</strong> bons artisans, comme nous<br />
le disons, l’ont en point <strong>de</strong> mire lorsqu’ils travaillent, mais que la vertu,<br />
comme la nature, surclasse toute forme d’art en rigueur et en valeur,<br />
[15] alors la vertu est propre à faire viser le milieu » (Aristote, 2004, 1140<br />
a 25, note n°2 <strong>de</strong> l’auteur du commentaire).<br />
De cette conception aristotélicienne, nous retiendrons une définition possible <strong>de</strong><br />
la vertu. Ce pourrait être une disposition à agir d’une façon délibérée, par rapport à<br />
un juste milieu relatif à nous, lequel est déterminé par la raison.<br />
Les réflexions éthiques autour <strong>de</strong> grands dilemmes, que l’on trouve à pléthore<br />
<strong>dans</strong> notre société occi<strong>de</strong>ntale marquée par <strong>les</strong> progrès technologiques, médicaux et<br />
l’évolution <strong>de</strong>s rapports sociétaux, nous confrontent très directement à cette dualité<br />
entre <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> bien et <strong>de</strong> mal. C’est à mi-chemin entre ces <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> que<br />
l’équilibre du juste milieu doit trouver sa place. Il est sans cesse à redéfinir, cherchant<br />
à découvrir la moins mauvaise solution.<br />
L’éthique telle qu’elle est pensée par Aristote a ceci <strong>de</strong> très révolutionnaire<br />
qu’elle se soucie <strong>de</strong> partir d’une réalité concrète, basée sur l’expérience, pour essayer<br />
<strong>de</strong> comprendre l’homme <strong>dans</strong> sa nature et son <strong>de</strong>venir. Avec lui, on s’éloigne <strong>de</strong> la<br />
seule visée contemplative <strong>de</strong> la sagesse pour vivre la vertu <strong>dans</strong> la réalité citoyenne,<br />
vertu cultivée par l’éducation et la persévérance.<br />
Nous opérons donc un déplacement <strong>de</strong> ce qui est un idéal contemplatif à une<br />
éthique beaucoup plus proche <strong>de</strong> la nôtre qui comporte une dimension tout à fait<br />
pratique. La vertu n’est plus seulement une qualité <strong>de</strong> l’âme mais s’inscrit <strong>dans</strong> un<br />
comportement <strong>de</strong> citoyen. En ce sens, elle rejoint notre conception <strong>de</strong> l’éthique<br />
organisée autour <strong>de</strong>s différents principes (bienfaisance, responsabilité…).<br />
Nous cherchons le « juste milieu » à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre raison, étant disposés par<br />
l’habitu<strong>de</strong>. Or <strong>dans</strong> cette notion d’habitu<strong>de</strong> nous constatons que la formation a un<br />
rôle important à jouer. En effet, l’habitu<strong>de</strong> est favorisée par une formation morale qui<br />
est à même <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r à faire <strong>les</strong> bons choix.<br />
59
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
D’autres auteurs <strong>de</strong> la pensée grecque ont en commun avec Aristote <strong>de</strong><br />
s’intéresser avant tout à l’idée du bien suprême en tant qu’idéal digne d’être<br />
poursuivi. La quête du « vrai bonheur » se fait par la raison et se révèle donc<br />
potentiellement accessible par la formation.<br />
Nous constatons que <strong>de</strong>s fondations importantes <strong>de</strong> la pensée éthique actuelle<br />
sont déjà posées à ce sta<strong>de</strong>. Ce souci <strong>de</strong> bien faire est présent <strong>de</strong>puis <strong>les</strong> origines <strong>de</strong><br />
l’homme.<br />
La pensée éthique a ensuite été largement influencée par la pensée chrétienne et<br />
la culture latine dont elle va se nourrir. On parle alors davantage <strong>de</strong> morale que<br />
d’éthique. Ce terme employé <strong>dans</strong> sa version latine, en raison <strong>de</strong> la domination<br />
romaine, prendra assez rapi<strong>de</strong>ment une connotation liée à l’origine qu’on lui donne.<br />
C’est-à-dire qu’il ne s’agit plus d’une notion indépendante. Elle dépend à présent<br />
directement <strong>de</strong> Dieu qui seul est en mesure <strong>de</strong> dire ce qui est « bon ». Ce qui est<br />
désormais au cœur <strong>de</strong> la recherche et <strong>de</strong> la pensée, ce n’est plus le bien suprême en<br />
lui-même, mais c’est le bien au travers <strong>de</strong> Dieu, un Dieu éminemment personnel qui<br />
appelle l’être humain à trouver en lui son accomplissement et son bonheur.<br />
L’aspiration <strong>de</strong> la vie humaine n’a d’autre intérêt que cette relation juste avec Dieu,<br />
<strong>dans</strong> laquelle l’homme accomplit sa vocation. L’homme dispose <strong>de</strong> la raison et<br />
d’autres ressources, mais el<strong>les</strong> ne sont pas aptes à le faire accé<strong>de</strong>r à la totale vérité.<br />
Dans la conception chrétienne apparaît la notion du péché, qui est inconnue <strong>de</strong> la<br />
philosophie antique. Ce péché sépare l’homme <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> la connaissance<br />
suprême, seul Dieu peut l’effacer pour rétablir la relation avec sa créature. Ce péché<br />
est aussi l’obstacle qui empêche la morale <strong>de</strong> pouvoir conduire réellement au<br />
bonheur. La soumission à la foi domine : c’est l’intention qui rend l’acte bon, mais<br />
c’est la foi qui rend droite l’intention.<br />
Aux yeux d’Augustin, affirmer que la morale puisse à elle seule conduire au<br />
bonheur est une illusion <strong>de</strong>s stoïciens et penseurs antiques (Marrou, 2003).<br />
La fin du Moyen Âge est marquée par la renaissance intellectuelle avec<br />
plusieurs philosophes dont le platonicien Abélard. Il réhabilite l’idée <strong>de</strong> la<br />
dialectique, <strong>de</strong> la discussion et reprend <strong>de</strong>s thèses platoniciennes. Deux générations<br />
60
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
plus tard. Saint-Thomas d’Aquin profite <strong>de</strong> l’apport <strong>de</strong>s arabes comme Averroès, et<br />
entre autres du travail <strong>de</strong> traduction <strong>de</strong> l’œuvre d’Aristote. Il substitue Aristote à<br />
Platon comme référence autour <strong>de</strong> laquelle va s’organiser la philosophie. Il réhabilite<br />
le rôle <strong>de</strong> la raison, laissée <strong>de</strong> côté <strong>de</strong>puis quelques temps déjà. La philosophie <strong>de</strong><br />
Thomas d’Aquin a ceci <strong>de</strong> novateur qu’elle fait la synthèse entre christianisme et<br />
aristotélisme. En réintégrant avec lui la raison (par opposition à la sole fi<strong>de</strong>), le<br />
christianisme se dote <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> la philosophie pour opérer sur le réel.<br />
réhabilite.<br />
Avec la réhabilitation <strong>de</strong> l’aristotélisme, c’est la raison que Thomas d’Aquin<br />
Thomas d’Aquin a réussi à mettre au service <strong>de</strong> l’Église la force analytique<br />
d’une pensée construite sur le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> cette raison.<br />
La Réforme influence à son tour la notion d’éthique. La morale, considérée alors<br />
comme l’interprétation rigi<strong>de</strong> et légaliste d’une parole divine parfois déformée, est<br />
dénoncée par <strong>les</strong> réformateurs comme étant instrumentalisée par l’église romaine.<br />
Elle est assez rapi<strong>de</strong>ment remplacée à nouveau par le terme d’éthique. Si Luther a<br />
plutôt cherché à distinguer, voire à séparer <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux règnes : spirituel et temporel,<br />
Calvin va tenter <strong>de</strong> <strong>les</strong> réunir et <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’éthique le point <strong>de</strong> jonction. Là où<br />
Luther insiste sur la foi qui est première et ensuite sur l’action qui <strong>de</strong>vrait en<br />
découler, Calvin, lui, met l’accent sur l’action qui découle immanquablement <strong>de</strong> la foi<br />
(Fuchs, 1990).<br />
Le second caractère <strong>de</strong> l’éthique calviniste rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la notion <strong>de</strong><br />
sanctification. Jusqu’alors le croyant <strong>de</strong>vait fournir un effort personnel pour rendre<br />
sa vie semblable à l’idéal du Christ. À l’inverse <strong>de</strong> la morale, l’éthique que prône<br />
Calvin est alors libérée <strong>de</strong> sa vocation <strong>de</strong> perfection, car celle-ci appartient au<br />
domaine <strong>de</strong> la grâce.<br />
Enfin le troisième caractère <strong>de</strong> cette éthique est d’être une éthique <strong>de</strong><br />
responsabilité. La méfiance luthérienne envers <strong>les</strong> bonnes œuvres et son insistance<br />
sur la foi première font qu’il peut exister une sorte d’indifférence face aux<br />
engagements éthiques. Calvin ne considère pas que le croyant doit vivre en ascèse<br />
<strong>dans</strong> un lieu reculé à l’instar <strong>de</strong> nombreuses communautés, mais au contraire être<br />
partie prenante du mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> lequel il évolue et y assumer pleinement son rôle.<br />
61
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
On a donc découvert ici une nouvelle dimension <strong>de</strong> la réflexion : à savoir que le<br />
comportement vertueux n’est pas considéré comme synonyme d’obéissance pure à la<br />
loi divine, mais comme étant le fruit naturel d’une foi qui transforme l’homme.<br />
Parmi <strong>les</strong> philosophes mo<strong>de</strong>rnes nous citerons Emmanuel Kant qui a proposé<br />
l’un <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus rigoureux d’une morale rationaliste.<br />
Il ne fon<strong>de</strong> plus la morale sur <strong>de</strong>s principes objectifs naturels, ni sur une<br />
conception métaphysique particulière <strong>de</strong> la finalité humaine à la manière d’Aristote,<br />
mais il ne tombe pas non plus <strong>dans</strong> le subjectivisme et le relativisme, car il se focalise<br />
sur ce qui oblige absolument l’homme. Il ne s’agit pas <strong>de</strong> savoir ce qu’il faut faire,<br />
mais selon quel principe il faut le faire.<br />
En cherchant un principe universalisable <strong>de</strong> la moralité <strong>de</strong>s actions humaines,<br />
Kant acquit la conviction qu’on ne pouvait le trouver <strong>dans</strong> <strong>les</strong> actions el<strong>les</strong>-mêmes,<br />
mais uniquement <strong>dans</strong> la volonté ou l’intention <strong>de</strong> la personne.<br />
Ainsi, par opposition à Aristote et cette vision <strong>de</strong> la morale comme la<br />
« vie bonne» en tant que vécu, Kant défend plus tard la thèse d’une morale qui serait<br />
« vie bonne » en tant que pensée. Nous sommes en présence d’une opposition<br />
flagrante dont nous retrouverons immanquablement <strong>de</strong>s traces <strong>dans</strong> notre<br />
conception actuelle <strong>de</strong> l’éthique. La pensée augustinienne accepte l’idée d’une<br />
prédisposition <strong>de</strong> l’homme à faire le bien. Cette prédisposition ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu’à être<br />
développée et mise en valeur par une éducation adéquate qui relève <strong>de</strong><br />
l’entraînement. C’est l’importance <strong>de</strong> l’habitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l’agir qui prédomine. En<br />
revanche, pour Kant, la vision du bien n’est pas un acquis inné <strong>de</strong> l’homme. Cette<br />
aptitu<strong>de</strong> au bien doit aussi être le fruit d’une éducation, non pas sous forme d’un<br />
entraînement à l’action, mais être le fruit d’une soumission totale à la raison. Seule<br />
cette même raison sera capable <strong>de</strong> dicter à l’homme ce qui est juste. Il met en avant la<br />
notion <strong>de</strong> l’autonomie <strong>de</strong> la volonté, son pouvoir d’être à elle-même sa propre loi,<br />
d’instituer une législation qui vaille pour tout être raisonnable. Par conséquent, la<br />
formation morale se réalise <strong>dans</strong> l’habitu<strong>de</strong> à user du raisonnement et <strong>dans</strong> la<br />
volonté <strong>de</strong> vouloir agir par <strong>de</strong>voir.<br />
62
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
« Le <strong>de</strong>voir est la nécessité d’agir par respect pour la loi morale.»<br />
(Kant, 1994, p.69).<br />
L’exigence morale se présente à la conscience sous la forme impérative du<br />
<strong>de</strong>voir. C’est le « Tu ne tueras point » <strong>de</strong> la loi mosaïque.<br />
Kant parlera du «sentiment d’un tribunal intérieur, inscrit en l’homme,<br />
<strong>de</strong>vant lequel ses pensées s’accusent ou se disculpent l’une l’autre,<br />
correspond à la conscience morale » (Kant, Métaphysique <strong>de</strong>s mœurs,<br />
Tome 2. Trad. et présenté par A. Renaut, p.243).<br />
Conformément à la notion <strong>de</strong> « désir », l’homme aspire naturellement à<br />
certaines choses plus qu’à d’autres, mais en lui rési<strong>de</strong> une part raisonnable qui lui<br />
permet <strong>de</strong> distinguer ce qui est bien et mal et <strong>de</strong> porter <strong>de</strong>s jugements <strong>de</strong> valeur.<br />
Avec Kant, l’homme est capable <strong>de</strong> réconcilier l’exigence <strong>de</strong> la raison avec ses<br />
convictions personnel<strong>les</strong>, car <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> l’action humaine peuvent être<br />
déterminés <strong>de</strong> façon rationnelle et objective. Cela rend ces principes universels.<br />
Selon Aristote, il y avait une disposition qui <strong>de</strong>mandait une habitu<strong>de</strong>. Pour<br />
Kant, c’est la raison qui est le passage obligé. Il s’appuie sur le « je pense » <strong>de</strong><br />
Descartes pour souligner le libre-arbitre et l’autonomie <strong>de</strong> la personne en matière <strong>de</strong><br />
morale. L’homme doit se donner à lui-même sa propre loi, édictée par sa raison<br />
propre.<br />
L’action est alors considérée comme morale lorsqu’elle entre <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong><br />
cette obéissance à la loi <strong>de</strong> la raison. La loi morale nous comman<strong>de</strong> sans condition,<br />
elle s’impose à la conscience sous la forme impérative du <strong>de</strong>voir. C’est le « tu<br />
dois… » <strong>de</strong> l’impératif catégorique par opposition au « si tu veux …, alors tu<br />
dois… » <strong>de</strong> l’impératif hypothétique. Cet impératif est unique parce qu’il ne se<br />
définit pas par un contenu, une fin particulière, mais par la forme même <strong>de</strong> la loi qui<br />
<strong>de</strong>vient le principe déterminant <strong>de</strong> la volonté : cette forme c’est l’universalité. Si je<br />
peux universaliser la maxime <strong>de</strong> mon action sans me contredire ou contredire la<br />
conception d’une nature humaine où tous <strong>les</strong> hommes feraient comme moi, alors<br />
j’agis par <strong>de</strong>voir (Kant, ibi<strong>de</strong>m).<br />
63
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
La seule fin en soi susceptible <strong>de</strong> déterminer universellement la volonté est la<br />
personne humaine, considérée comme une fin et jamais simplement comme un<br />
moyen. Elle mérite dignité et respect. Ces aspects <strong>de</strong> la morale telle que la définit<br />
Kant sont très présents <strong>dans</strong> <strong>les</strong> débats actuels sur <strong>les</strong> grands sujets éthiques touchant<br />
à notre profession. Cette notion <strong>de</strong> dignité <strong>de</strong> la vie intervient fréquemment <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
décisions qui touchent à la cessation <strong>de</strong> traitements thérapeutiques, parfois<br />
considérés comme abusifs, à l’euthanasie et le droit <strong>de</strong> mourir « <strong>dans</strong> la dignité »,<br />
aux techniques très invasives <strong>de</strong> procréation médicalement assistée et aux limites <strong>de</strong><br />
la réanimation…<br />
Kant désire avant tout conforter la place <strong>de</strong> la raison <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> son<br />
expérience sensible, car c’est elle qui permet à l’homme d’avoir un regard et une<br />
action pertinents sur le mon<strong>de</strong>.<br />
Selon Aristote la raison est présente, au moins <strong>dans</strong> ses prémices, dès le plus<br />
jeune âge, et octroie ainsi la faculté à l’homme <strong>de</strong> rechercher le « juste milieu ». Chez<br />
Kant, l’être humain doit se soumettre entièrement et volontairement à la raison<br />
acquise par l’éducation. Dans la conception kantienne, l’éducation sert à développer<br />
l’obéissance à la raison, alors que, <strong>dans</strong> la conception aristotélicienne, l’éducation ne<br />
vise que le développement <strong>de</strong>s dispositions à faire ce qui est juste, en usant<br />
d’habitu<strong>de</strong>s, c’est-à-dire <strong>de</strong> « disposition acquise par <strong>de</strong>s actes répétés »<br />
(Blon<strong>de</strong>au, 1986).<br />
La formation que propose Kant est davantage <strong>de</strong> nature intellectuelle, tandis<br />
que celle d’Aristote est davantage pratique. Cette différence <strong>dans</strong> la conception<br />
morale a donc <strong>de</strong>s répercussions sur la façon d’envisager l’éthique aujourd’hui, ainsi<br />
que sur la façon dont nous allons envisager son enseignement et son application aux<br />
choses.<br />
Un peu plus tard, Bentham, contemporain <strong>de</strong> Kant, et plus tard Stuart Mill vont<br />
donner une autre orientation au concept d’éthique en faisant du bonheur du plus<br />
grand nombre et <strong>de</strong> l’intérêt commun le principe <strong>de</strong> la moralité. Le calcul <strong>de</strong> la<br />
quantité et <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s plaisirs et l’harmonie entre <strong>les</strong> intérêts individuels et le<br />
bonheur commun constituent <strong>les</strong> seuls critères d’évaluation. À nouveau, nous ne<br />
pouvons manquer <strong>de</strong> souligner cette opposition <strong>dans</strong> la façon d’envisager l’éthique.<br />
64
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Nous sommes passés <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong> responsabilité, telle que Kant la définissait en la<br />
soumettant impérativement au <strong>de</strong>voir, but même <strong>de</strong> l’action, à une éthique<br />
utilitariste qui ne considère l’action que du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> son aboutissement et <strong>de</strong><br />
ses résultats.<br />
C’est l’avancée à grands pas vers l’individualisme qui caractérise notre société<br />
postmo<strong>de</strong>rne et dont nous ne pouvons faire abstraction <strong>dans</strong> notre réflexion sur<br />
l’éthique. Aux tensions inhérentes à la compréhension <strong>de</strong> l’éthique, tensions que<br />
nous avons abordées tout au long <strong>de</strong> ce chapitre, vient à présent se greffer un<br />
élément supplémentaire à savoir la tension entre <strong>les</strong> valeurs et intérêts individuels<br />
<strong>de</strong>s personnes face à l’intérêt du groupe social.<br />
Vers la fin du XIX e et le début du XX e siècle, <strong>les</strong> progrès <strong>de</strong> la science vont avoir<br />
une influence considérable sur la pensée, la société et donc immanquablement aussi<br />
sur l’éthique. Le positivisme d’Auguste Comte a pour but d’opérer une<br />
institutionnalisation radicale <strong>de</strong> la vérité dite scientifique.<br />
Avec Husserl, Hei<strong>de</strong>gger puis Sartre, la personne humaine <strong>de</strong>vient réellement<br />
le sujet qui dit « je » en pensant être pure raison. Elle est donc située en rapport à<br />
quelqu’un qui existe comme individu. Sa tâche est <strong>de</strong> s’élever à cette universalité<br />
pour que tout le mon<strong>de</strong> se reconnaisse <strong>dans</strong> ce « je ». Cette théorie va avoir un impact<br />
important sur la réflexion éthique actuelle, comme nous pouvons le comprendre à<br />
partir <strong>de</strong> cet écrit <strong>de</strong> Sartre :<br />
[35] « si je considère que tel acte est bon, c’est moi qui choisirai <strong>de</strong> dire<br />
que cet acte est bon plutôt que mauvais. […] et pourtant je suis obligé à<br />
chaque instant <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s actes [36] exemplaires. Tout se passe comme<br />
si, pour tout homme, toute l’humanité avait <strong>les</strong> yeux fixés sur ce qu’il<br />
fait et se réglait sur ce qu’il fait. Et chaque homme doit se dire : suis-je<br />
bien celui qui a le droit d’agir <strong>de</strong> telle sorte que l’humanité se règle sur<br />
mes actes ? Et s’il ne se dit pas cela c’est qu’il se masque l’angoisse.<br />
[…]<br />
[37] Et cette sorte d’angoisse qui est celle q ue décrit l’existentialisme,<br />
nous verrons qu’elle s’explique en outre par une responsabilité directe<br />
65
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
vis-à-vis <strong>de</strong>s autres hommes qu’elle engage. Elle n’est pas un ri<strong>de</strong>au qui<br />
nous séparerait <strong>de</strong> l’action, mais elle fait partie <strong>de</strong> l’action même »<br />
(Sartre, 1996, p.35-37).<br />
On entend ici l’écho à Kant qui <strong>de</strong>mandait à l’homme d’agir <strong>dans</strong> l’optique que<br />
ses agissements puissent servir <strong>de</strong> maxime pour toute l’humanité.<br />
Dans cet extrait nous reconnaissons certains traits caractéristiques <strong>de</strong> la pensée<br />
éthique telle que nous la vivons actuellement. L’acte est « bon » si je choisis <strong>de</strong> dire<br />
qu’il est bon <strong>dans</strong> cette situation donnée et avec <strong>les</strong> paramètres dont je dispose. Cela<br />
ne correspond pas à un absolu mais à un jugement effectué par un acte <strong>de</strong> la raison.<br />
Or <strong>les</strong> décisions qui sont prises en conseil d’éthique, par exemple, nous engagent vis-<br />
à-vis <strong>de</strong> l’individu concerné par la situation, mais aussi vis-à-vis <strong>de</strong> l’humanité<br />
entière, étant donné la fonction représentative qui en découle.<br />
Dans <strong>les</strong> pensées influentes, notons cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> Weber avec l’éthique <strong>de</strong> conviction<br />
et l’éthique <strong>de</strong> responsabilité, ainsi que celle d’Habermas avec l’éthique <strong>de</strong> la<br />
discussion. Alors que la conviction ne connaît pas <strong>de</strong> compromis et ne soucie pas<br />
premièrement du résultat <strong>de</strong> ses actes mais <strong>de</strong> ce qui apparaît comme foncièrement<br />
juste selon l’idéal considéré dès le départ, la responsabilité en revanche se centre tout<br />
spécifiquement sur <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> l’action. Il s’ensuit que le sujet doit opérer<br />
<strong>de</strong>s choix et hiérarchiser ses responsabilités par ordre <strong>de</strong> priorité, ce qui peut, <strong>dans</strong><br />
bien <strong>de</strong>s cas, susciter <strong>de</strong>s conflits éthiques internes ou non. L’éthique <strong>de</strong> la discussion<br />
tente, quant à elle, <strong>de</strong> réconcilier <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux autres formes en prêtant à la discussion et<br />
au dialogue une force régulatrice. Les êtres humains étant considérés comme doués<br />
<strong>de</strong> raison, la discussion doit permettre la mise en compétition pacifique <strong>de</strong>s différents<br />
arguments rationnels pour qu’un compromis soit trouvé qui soit acceptable pour<br />
tous. Elle permet donc, <strong>dans</strong> une certaine mesure, <strong>de</strong> respecter <strong>les</strong> convictions <strong>de</strong><br />
chacun, tout en se préoccupant <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong>s actions. Sa difficulté vient du<br />
fait qu’elle affirme la nécessité <strong>de</strong> réfléchir l’argumentation en évinçant toute<br />
composante émotionnelle, ce qui semble très difficilement réalisable, surtout en<br />
matière d’éthique. Ce faisant, elle nie une partie essentielle <strong>de</strong> l’être humain, celle qui<br />
fait <strong>de</strong> lui un être mu par <strong>de</strong>s sentiments (Fortin & Parent, 2004).<br />
66
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Il ne s’agit là que d’un survol <strong>de</strong> la pensée éthique <strong>dans</strong> l’histoire. On pourrait<br />
affirmer sans trop <strong>de</strong> hardiesse que chaque philosophe a eu une influence, plus ou<br />
moins directe, plus ou moins importante, sur la notion <strong>de</strong> morale qui est, par son<br />
essence, au cœur même <strong>de</strong> la vie humaine en ce qu’elle a, comme principale fonction,<br />
la cohésion <strong>de</strong> toute une société (Fortin & Parent, 2004). Ce bref historique permet<br />
toutefois <strong>de</strong> mettre certains aspects en lumière, dont nous retrouvons <strong>de</strong>s influences<br />
directes <strong>dans</strong> la compréhension mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> l’éthique.<br />
Ainsi l’idée du Bien, qui est d’abord une idée abstraite chez Platon (2002), reliée<br />
à un ordre supérieur, va peu à peu <strong>de</strong>venir une idée concrète avec <strong>de</strong>s répercussions<br />
possib<strong>les</strong> et même souhaitab<strong>les</strong> <strong>dans</strong> la vie quotidienne. Pour une bonne partie <strong>de</strong>s<br />
philosophes, l’éthique nécessite une intervention <strong>de</strong> la raison. C’est l’homme, avec sa<br />
faculté <strong>de</strong> jugement proprement humaine, qui intervient <strong>dans</strong> sa vie personnelle<br />
pour lui donner un sens. La raison est cet outil qui va lui permettre <strong>de</strong> définir ce qui<br />
est bien ou mal. Fort <strong>de</strong> ce jugement, l’homme va adopter la notion <strong>de</strong> responsabilité<br />
et ainsi pouvoir organiser <strong>les</strong> rapports humains en leur donnant un certain équilibre.<br />
Que la vertu soit une recherche du bonheur comme chez Aristote ou un <strong>de</strong>voir<br />
catégorique comme chez Kant, toujours est-il que c’est une valeur centrale <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
relations qui tissent le mon<strong>de</strong> et caractérisent l’humain ! Ainsi nous pouvons<br />
reconnaître avec Aristote que l’être humain est un être politique, c’est-à-dire un<br />
citoyen qui ne peut réaliser pleinement sa capacité humaine que <strong>dans</strong>, et travers la<br />
société.<br />
Cependant nous <strong>de</strong>vons également souligner <strong>les</strong> tensions qui sont apparues<br />
tout au long <strong>de</strong> cette généalogie et sous-ten<strong>de</strong>nt la pensée éthique. Les différentes<br />
conceptions, si el<strong>les</strong> sont compréhensib<strong>les</strong>, n’en comportent pas moins <strong>de</strong>s éléments<br />
constitutifs qui sont inévitablement source <strong>de</strong> conflit. Si l’on considère la vertu<br />
comme une disposition innée ou bien comme une acquisition qui sera le dur labeur<br />
<strong>de</strong> l’obéissance à la raison, et si l’on considère la vertu comme le souverain Bien ou si<br />
l’on ne prend en considération que sa forme utilitaire, il y a <strong>dans</strong> ces conceptions qui<br />
ne sont pas exhaustives presque nécessairement matière à conflit. Ces tensions, voire<br />
parfois ces conflits entre <strong>les</strong> différentes visions <strong>de</strong> la pensée éthique, sont loin d’être<br />
résolues. Il en <strong>de</strong>meure une conflictualité interne inhérente à la notion même<br />
67
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
d’éthique. C’est un constat qui doit donc être pris en compte <strong>dans</strong> la manière dont on<br />
va appréhen<strong>de</strong>r cette notion et, qui plus est, <strong>dans</strong> la manière dont on va la<br />
transmettre.<br />
Il n’en reste pas moins que l’éthique est à la fois une exigence et une valeur très<br />
forte <strong>de</strong> notre condition humaine, puisqu’elle répond à cette vocation première <strong>de</strong><br />
l’être humain, qui est <strong>de</strong> construire et d’entretenir la relation avec ses semblab<strong>les</strong>.<br />
C’est elle qui constitue le terreau <strong>dans</strong> lequel viennent s’épanouir <strong>les</strong> racines d’un<br />
engagement qui se développera <strong>de</strong> manière plus ou moins manifeste <strong>dans</strong> différents<br />
domaines <strong>de</strong> notre vie.<br />
C’est sans doute une raison majeure <strong>de</strong> la place prédominante <strong>de</strong> la notion<br />
d’éthique <strong>dans</strong> notre société mo<strong>de</strong>rne. À la lumière <strong>de</strong> cet historique, il paraît à<br />
présent utile <strong>de</strong> porter nos regards sur la façon dont nos contemporains la perçoivent<br />
et la mettent en pratique.<br />
3.2 I<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’éthique<br />
Nous sommes imprégnés d’une culture qui a vu disparaître <strong>les</strong> grands repères<br />
partagés qui balisaient le chemin <strong>de</strong> la réflexion morale. Nous nous trouvons<br />
confrontés à une pluralité <strong>de</strong> valeurs qui, <strong>dans</strong> l’absolu, sont toutes entendab<strong>les</strong>. Face<br />
à cette somme <strong>de</strong> repères individuels, la responsabilité <strong>de</strong>vient l’affaire où « chacun<br />
est renvoyé à Soi. Et chacun sait que Soi c’est peu » (Lyotard, 1979, p.30). Cette<br />
responsabilité individuelle est source d’incertitu<strong>de</strong> et peut, à juste titre, générer <strong>de</strong>s<br />
angoisses d’autant plus importantes que la profession infirmière met en jeu,<br />
rappelons-le, <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> mort. Pour Samaniego (2003) le relativisme<br />
postmo<strong>de</strong>rne constitue une chance en ce qu’il suscite inévitablement une<br />
revalorisation <strong>de</strong> la réflexion éthique. En effet, le relativisme voudrait que toutes <strong>les</strong><br />
valeurs soient éga<strong>les</strong>, mais ce serait ouvrir la porte à <strong>de</strong>s aberrations qui pourraient<br />
nous faire dire au pire, avec Voltaire, qu’à force <strong>de</strong> tolérance, on finit par tolérer<br />
l’intolérable ou au mieux reconnaître que :<br />
« dire que l’on respecte toutes <strong>les</strong> valeurs, veut bien souvent signifier<br />
que toutes <strong>les</strong> valeurs se valent puisqu’aucune valeur ne vaut rien. De<br />
68
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
là à penser que <strong>les</strong> valeurs ne valent rien, il n’y a qu’un pas » (Gruat,<br />
2009, p.6).<br />
Par sa récurrence <strong>dans</strong> <strong>les</strong> tous <strong>les</strong> secteurs <strong>de</strong> la vie courante, le concept<br />
d’éthique en vient à souffrir d’inflation. L’intérêt <strong>de</strong>s domaines <strong>les</strong> plus différents<br />
pour cette notion, donne souvent lieu à pléthore et aboutit à une compréhension aux<br />
contours plus que flous. À en croire Canto-Sperber, c’est le contenu sémantique du<br />
mot qui s’évapore <strong>de</strong>vant l’utilisation galvaudée <strong>de</strong> ce terme :<br />
« Le terme éthique s’est vu progressivement privé <strong>de</strong> son contenu à<br />
force d’être utilisé <strong>de</strong> façon indifférenciée. La nature du référent,<br />
le contenu <strong>de</strong> sens que recouvre le terme éthique, est <strong>de</strong>venu<br />
secondaire, l’essentiel est ce qu’on fait en disant éthique »<br />
(Canto-Sperber, 2002, p.85).<br />
Il est donc nécessaire <strong>de</strong> réfléchir aux différents aspects qui gravitent autour du<br />
concept d’éthique et lui donnent finalement son sens réel. Ce point nécessiterait un<br />
développement bien plus vaste, à la mesure <strong>de</strong> la complexité d’une notion peu<br />
saisissable, sans cesse remo<strong>de</strong>lée et redéfinie à la lumière du contexte <strong>dans</strong> lequel elle<br />
s’insère.<br />
Bien que fort intéressant, cela semble difficilement réalisable ici. Comme je l’ai<br />
déjà mentionné, il faut voir <strong>dans</strong> l’éthique une remise en question <strong>de</strong> nos actes et une<br />
interrogation <strong>de</strong> leurs buts, par-<strong>de</strong>là nos valeurs. Interrogation qui s’accompagne<br />
d’une mise en réflexion sur notre rapport à l’Autre. Nous tenterons donc une brève<br />
définition, avec <strong>les</strong> limites que nous venons d’évoquer.<br />
3.2.1 Définition <strong>de</strong> l’éthique<br />
L’éthique c’est avant tout un choix individuel, entre nos propres conceptions du<br />
bien et du mal. C’est ce qui est estimé comme bon, <strong>dans</strong> l’héritage aristotélicien <strong>de</strong> la<br />
visée téléologique <strong>de</strong> la « vie bonne », mais c’est en même temps, <strong>de</strong> façon plus<br />
pratique, une forme <strong>de</strong> penser la globalité pour arriver à <strong>de</strong>s réponses <strong>les</strong> plus justes<br />
69
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
possib<strong>les</strong>. Dans ce sens, l’éthique se voit conférée une forme procédurale.<br />
P. Ricœur abor<strong>de</strong> à maintes reprises ces <strong>de</strong>ux aspects qu’il voit en tension<br />
constante, entre d’un côté le désir <strong>de</strong> la « vie bonne » au sens d’Aristote, et <strong>de</strong> l’autre<br />
la déontologie d’une morale kantienne qui interdit le mal et prône le juste. Cette<br />
tension est à la fois vivante et productive.<br />
« La sagesse pratique consiste à inventer <strong>les</strong> conduites qui<br />
satisferont au mieux à l’exception que <strong>de</strong>man<strong>de</strong> la sollicitu<strong>de</strong> en<br />
trahissant le moins possible la règle (…). Elle (la sagesse pratique)<br />
consiste (…) à inventer <strong>les</strong> comportements justes appropriés à la<br />
singularité <strong>de</strong>s cas. Mais elle n’est pas pour autant livr ée à<br />
l’arbitraire, (…). Jamais la sagesse pratique ne saurait consentir à<br />
transformer en règle l’exception à la règle » (Ricœur, 1990, p.312-<br />
313).<br />
Ricœur prend ici comme exemple la souffrance du mala<strong>de</strong> en fin <strong>de</strong> vie,<br />
souffrance au nom <strong>de</strong> laquelle on refuserait <strong>de</strong> lui dire la vérité sur sa fin prochaine.<br />
Cet état <strong>de</strong> souffrance ne saurait cependant légitimer la constitution d’une règle à<br />
partir <strong>de</strong> cette exception. Taire la vérité, sous peine <strong>de</strong> faire souffrir, doit rester un<br />
acte singulier <strong>dans</strong> une situation singulière.<br />
Le comportement éthique n’est pas l’obéissance première à une morale,<br />
aujourd’hui fort discréditée par notre société sécularisée. « La vraie morale se<br />
moque <strong>de</strong> la morale » écrivait Pascal. L’éthique est bien plus que la morale, car elle<br />
correspond à cette exigence intérieure qui critique <strong>les</strong> mœurs actuel<strong>les</strong> et tente <strong>de</strong><br />
suivre ce qui est le « bien » à ses yeux.<br />
En tant que réflexion sur la signification d’un agir humain à un moment donné<br />
<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la société, il n’est pas possible <strong>de</strong> faire une éthique abstraite ni <strong>de</strong> la<br />
décontextualiser. Elle s’inscrit forcément <strong>dans</strong> la situation socio-historique spécifique<br />
qui est la sienne. En cela, elle constitue un moteur <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’humanité.<br />
70
3.2.2 Éthique et la responsabilité<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
La responsabilité est étymologiquement issue du latin respon<strong>de</strong>re, « répondre<br />
<strong>de</strong> ». On y retrouve l’idée d’obligation.<br />
« La responsabilité est la juste contrepartie <strong>de</strong> la liberté comme<br />
principe d’action, l’homme n’étant libre que pour autant qu’il assume<br />
<strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> ses actes » (Svandra, 2009b, p.11).<br />
L’éthique constitue la mise en réflexion sur ce qui est à la base <strong>de</strong> l’action,<br />
ce qui la constitue, son but, sa raison d’être et sa responsabilité. Raison et<br />
responsabilité en sont donc <strong>de</strong>s tuteurs indispensab<strong>les</strong> (Misrahi, 1995).<br />
La notion <strong>de</strong> responsabilité peut comporter <strong>de</strong>s nuances <strong>de</strong> compréhension<br />
diverses selon la perspective philosophique que l’on adopte.<br />
Ainsi pour Lévinas, la responsabilité n’est pas issue d’une quelconque<br />
conscience morale en nous, mais s’impose à nous. Elle prend sa source <strong>dans</strong> une<br />
obligation d’ordre éthique. C’est la vulnérabilité <strong>de</strong> l’autre qui m’oblige. Je partage<br />
mon humanité avec tout homme. Et c’est cette humanité qui fon<strong>de</strong> sa dignité et le<br />
respect que je lui dois.<br />
L’être humain est caractérisé par sa capacité relationnelle à l’Autre et la<br />
responsabilité qui lui en incombe.<br />
« Cette assignation à responsabilité déchire <strong>les</strong> formes <strong>de</strong> la généralité<br />
<strong>dans</strong> laquelle mon savoir, ma "connaissance" <strong>de</strong> l’autre homme, "me le<br />
représente" comme semblable, pour me découvrir <strong>dans</strong> le visage du<br />
prochain comme "responsable" <strong>de</strong> lui et, ainsi, comme unique - et élu »<br />
(Lévinas, 1998, p.101).<br />
Les limites <strong>de</strong> la conception kantienne rési<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> le peu <strong>de</strong> prise en<br />
considération <strong>de</strong> la responsabilité individuelle sur le plan <strong>de</strong>s conséquences. Seule<br />
l’intention est prise en compte au détriment <strong>de</strong>s résultats.<br />
71
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Dans le comportement <strong>de</strong> tout homme, il n’y a que <strong>de</strong>s différences <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés<br />
<strong>dans</strong> la méchanceté et non <strong>de</strong> nature en soi.<br />
L’homme est libre <strong>de</strong> suivre la loi morale qui s’impose à lui comme un<br />
« tribunal intérieur ». C’est <strong>dans</strong> cette liberté que s’exerce sa responsabilité.<br />
Étant donné que nous ne savons pas si une action et réellement faite par <strong>de</strong>voir,<br />
nous ne pouvons prendre en considération que l’observation <strong>de</strong>s normes mora<strong>les</strong>.<br />
L’une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s interrogations <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne, c’est la question <strong>de</strong><br />
savoir comment agir, <strong>dans</strong> sa vie personnelle et collective. Comment faire le meilleur<br />
choix, le choix réellement éthique ? Notre société vit <strong>dans</strong> le paradoxe du rejet <strong>de</strong>s<br />
repères traditionnels et, <strong>de</strong> l’autre, d’un besoin <strong>de</strong> références. L’éthique prend toute<br />
son envergure à la fois <strong>dans</strong> ce paradoxe et <strong>dans</strong> la conscientisation accrue <strong>de</strong><br />
l’importance <strong>de</strong>s questions publiques, <strong>de</strong> l’importance et <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong>s<br />
activités humaines.<br />
L’éthique engage à la fois la raison, la liberté et la volonté <strong>de</strong> l’homme. Elle en<br />
appelle à sa responsabilité <strong>dans</strong> ses réflexions comme <strong>dans</strong> ses actes. C’est là que<br />
s’exprime pleinement l’autonomie <strong>de</strong> l’homme, lorsqu’il déci<strong>de</strong> en lui-même, selon<br />
ses propres critères :<br />
« Etre Moi signifie, dès lors, ne pas pouvoir se dérober à sa<br />
responsabilité (…) cette saillie <strong>de</strong> l’ipséité <strong>dans</strong> l’être s’accomplit<br />
comme une turgescence <strong>de</strong> la responsabilité (…). Au lieu d’anéantir le<br />
Moi, la mise en question le rend solidaire d’Autrui d’une façon<br />
incomparable et unique. » (Lévinas, 1994, p.80).<br />
Pour Ricœur la sollicitu<strong>de</strong> implique toujours la responsabilité, ne serait-ce que<br />
par l’intermédiaire du dialogue.<br />
L’éthique est partie prenante <strong>de</strong> l’action. Elle est concrète et correspond à la<br />
conduite à avoir <strong>dans</strong> un cas particulier, une situation singulière. Elle s’apparente par<br />
différents aspects à la casuistique catholique mise au point par <strong>les</strong> jésuites.<br />
Contrairement à la morale, ces réflexions ne sont cependant pas statiques, mais<br />
appelées à une constante évolution, au rythme même <strong>de</strong> la société.<br />
72
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Si l’éthique a aujourd’hui beaucoup plus <strong>de</strong> succès que la morale, c’est qu’elle<br />
répond mieux à une exigence légitime <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne qui est <strong>de</strong> conserver sa<br />
liberté et son esprit critique <strong>dans</strong> le choix <strong>de</strong> ses valeurs. Les valeurs, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />
on retrouve le mot « évaluer », sont, pour l’Éthique d’Aristote, <strong>les</strong> vertus avec le<br />
sens d’excellence <strong>dans</strong> l’agir. Il y a surtout implicitement la notion <strong>de</strong> préférence, ce<br />
qui suppose la liberté et la volonté <strong>de</strong> l’être humain capable <strong>de</strong> mettre un ordre <strong>dans</strong><br />
ses choix et capable aussi d’exercer un jugement moral.<br />
Ricœur considère que la volonté <strong>de</strong> Kant a pris le pas sur le « désir<br />
raisonnable » d’Aristote et se rapproche ainsi plus <strong>de</strong> la loi par la notion du <strong>de</strong>voir,<br />
du « ce qu’il faut faire » (Ricœur, 1990, p.240).<br />
Pour être éthique, l’homme ne peut se contenter <strong>de</strong> sa faculté <strong>de</strong> raisonner. Il<br />
doit y avoir une répercussion <strong>dans</strong> ses actes qui donne à la notion <strong>de</strong> responsabilité<br />
toute sa dimension. La responsabilité commence là où l’homme <strong>de</strong>vient conscient <strong>de</strong><br />
sa prise <strong>de</strong> position et <strong>de</strong>s conséquences éventuel<strong>les</strong>. Ainsi, selon Mueller, il y a<br />
interdépendance entre <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> responsabilité et <strong>de</strong> culpabilité :<br />
« Il importe <strong>de</strong> désimbriquer responsabilité et culpabilité, afin d’établir<br />
la dimension éthique <strong>de</strong> la responsabilité ; mais il faut réfléchir aussi à<br />
leur interdépendance, si l’on ne veut pas réduire la responsabilité à une<br />
simple activité du sujet, alors qu’elle signifie toujours aussi<br />
l’imputation éthique d’une faute possible . » (Mueller, 1999, p.308).<br />
C’est <strong>dans</strong> cette notion même <strong>de</strong> la responsabilité que se joue la réalité<br />
infirmière au quotidien. Pourtant, <strong>de</strong> par <strong>les</strong> contingences liées à la pratique <strong>dans</strong> le<br />
contexte actuel, le spectre menaçant <strong>de</strong> la culpabilité jette une ombre toujours plus<br />
gran<strong>de</strong> sur la responsabilité.<br />
« Seule une éthique peut proposer <strong>de</strong>s contenus et <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments à une<br />
responsabilité professionnelle qui, livrée à elle -même, risquerait <strong>de</strong><br />
favoriser le retour du formalisme et du conventionnalisme, drapés <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> plis <strong>de</strong> "la morale" et <strong>les</strong> replis <strong>de</strong> la bonne conscience . » (Misrahi,<br />
1995, p.76).<br />
73
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Si l’on en croit Jonas, le sentiment <strong>de</strong> culpabilité ne doit pas désinvestir le<br />
soignant <strong>de</strong> sa responsabilité mais au contraire jouer un rôle <strong>de</strong> sentinelle <strong>dans</strong> le<br />
souci <strong>de</strong> l’Autre. Dans ce qu’il nomme « heuristique <strong>de</strong> la peur », Jonas fon<strong>de</strong> la<br />
responsabilité active sur une inquiétu<strong>de</strong> qui se préoccupe du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l’Autre et<br />
sur une « sollicitu<strong>de</strong> reconnue comme un <strong>de</strong>voir, d’un autre être qui, lorsque<br />
sa vulnérabilité est menacée <strong>de</strong>vient un "se faire du souci". » (Jonas, 1990,<br />
p.421).<br />
De la responsabilité qui s’exprime face à une autorité, divine par exemple, on<br />
est passé à une responsabilité induite par le souci <strong>de</strong> l’Autre et sa vulnérabilité<br />
(Svandra, 2008).<br />
Mais cette responsabilité trouve aussi <strong>de</strong>s réponses <strong>dans</strong> le cadre souvent<br />
rassurant du droit et <strong>de</strong> la déontologie.<br />
3.2.3 Éthique, droit et déontologie<br />
Comme nous le rappelle Sirven, l’acte soignant ne naît pas ex nihilo mais<br />
« chaque soin donné s’inscrit <strong>dans</strong> une pluralité <strong>de</strong> cadres qui assurent sa légitimité<br />
et le régulent <strong>dans</strong> le champ social :<br />
« Cadre thérapeutique, spécifique et pluridimensionnel (dimension<br />
technique et relationnelle),<br />
Cadre déontologique, fixant <strong>les</strong> <strong>de</strong>voirs du soignant et garantissant <strong>les</strong><br />
droits du soigné,<br />
Cadre juridique du recours en cas <strong>de</strong> difficulté entre soignant et soigné,<br />
relevant <strong>de</strong> la faute ou <strong>de</strong> l’aléa, susceptible <strong>de</strong> donner lieu à réparation<br />
Cadre, <strong>de</strong> plus en plus évoqué, <strong>de</strong> l’éthique, gar <strong>de</strong>-fou marquant <strong>les</strong><br />
limites. » (Sirven, 1999, p.24).<br />
L’éthique évolue au cœur <strong>de</strong> ces différents cadres mais avec <strong>de</strong>s contours flous<br />
qu’il est parfois difficile <strong>de</strong> distinguer <strong>de</strong>s autres sphères qui gravitent autour d’elle.<br />
Bien souvent, <strong>de</strong>s problèmes que l’on croit être d’ordre éthique relèvent plus<br />
spécifiquement du droit ou <strong>de</strong> la déontologie.<br />
74
3.2.3.1 Éthique et droit<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
La règle <strong>de</strong> droit est une règle <strong>de</strong> conduite <strong>dans</strong> <strong>les</strong> rapports sociaux et toute<br />
règle juridique a pour objet une conduite. Pour Ricœur, la loi ne représente que le<br />
tout <strong>de</strong>rnier niveau du dialogue social.<br />
L’éthique n’a rien d’obligatoire contrairement au droit, même si elle se réfère<br />
aussi à <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> normativité pour éclairer sa réflexion. Les lois sont le produit du<br />
pouvoir d’un état souverain qui rend obligatoire un comportement sous menace <strong>de</strong><br />
sanctions. Ces lois, qui sont normalement le produit <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> la majorité <strong>de</strong>s<br />
citoyens, cherchent à être mora<strong>les</strong> et justes, mais ne le sont jamais totalement et sont<br />
complétées continuellement par la jurispru<strong>de</strong>nce. Celui qui dit que « tout ce qui n’est<br />
pas défendu est permis » nie l’idée <strong>de</strong> morale ou d’éthique.<br />
Le droit fixe <strong>de</strong>s balises nécessaires pour assurer une cohérence aux décisions<br />
médica<strong>les</strong> et une continuité <strong>de</strong>s comportements. L’équité <strong>dans</strong> <strong>les</strong> décisions prises<br />
pour <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s successifs en dépend. Ces repères juridiques ai<strong>de</strong>nt également <strong>les</strong><br />
soignants à apprécier <strong>les</strong> risques qu’ils pourraient être amenés à prendre, comme<br />
membres d’un groupe social qui a défini ses règ<strong>les</strong>, lorsque, sciemment, mais <strong>dans</strong><br />
l’intérêt du mala<strong>de</strong> tel qu’il est alors perçu en conscience, ces règ<strong>les</strong> sont violées.<br />
L’exercice <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine montre quotidiennement que l’éthique ne peut être réduite<br />
à la seule loi.<br />
La loi est nécessaire pour donner <strong>de</strong>s repères mais elle ne peut aucunement se<br />
substituer à la pensée éthique ni à la déontologie.<br />
3.2.3.2 Éthique et déontologie<br />
La déontologie, quant à elle, consiste en un ensemble <strong>de</strong> règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> pratique<br />
professionnelle, proposées par <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> la profession, qui peuvent être<br />
imposées lorsque l’état a délégué une partie <strong>de</strong> ses pouvoirs à « un ordre<br />
professionnel », tel que l’Ordre <strong>de</strong>s Mé<strong>de</strong>cins par exemple.<br />
La déontologie est élaborée pour une profession pour en déterminer un idéal en<br />
termes <strong>de</strong> compétences et d’éthique. Elle permet <strong>de</strong> placer <strong>de</strong>s balises pour contrôler<br />
le pouvoir parfois très important <strong>de</strong>s soignants vis-à-vis du mala<strong>de</strong>, qui se trouve en<br />
situation <strong>de</strong> vulnérabilité. Elle protège à la fois <strong>les</strong> intérêts individuels et collectifs. Il<br />
75
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
s’agit d’objectifs à atteindre et le questionnement éthique apparaît particulièrement<br />
important <strong>dans</strong> <strong>les</strong> aspects qui échappent à cette obligation déontologique.<br />
La déontologie est largement influencée par la pensée <strong>de</strong> Kant, le défenseur du<br />
« <strong>de</strong>voir » pour qui l’intention est première, au détriment parfois <strong>de</strong> l’acte lui-même.<br />
L’accent est alors mis sur le projet <strong>de</strong> soin et non sur le patient avec sa souffrance.<br />
Le but <strong>de</strong> la déontologie c’est, d’une part, d’obtenir une certaine cohérence à<br />
l’intérieur <strong>de</strong> la même profession pour en garantir l’unité et, d’autre part, <strong>de</strong> forger<br />
une reconnaissance par l’extérieur <strong>de</strong> cette profession pour qu’elle soit reconnue et<br />
valorisée.<br />
Le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> déontologie s’adresse à la conscience et à la bonne volonté du<br />
professionnel, en stipulant ses <strong>de</strong>voirs par rapport à l’exercice <strong>de</strong> son métier. Il<br />
nécessite une connaissance <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong> son langage.<br />
La déontologie est au service d’une corporation, alors que l’éthique est au<br />
service du bien général, même si l’on parle <strong>de</strong> plus en plus « d’éthiques sectoriel<strong>les</strong> »,<br />
comme l’éthique <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine, du travail…<br />
La déontologie se veut être un ensemble <strong>de</strong> normes, <strong>de</strong> principes, <strong>de</strong> règ<strong>les</strong><br />
reconnus par une même profession et lui assurant sa reconnaissance sociétale et sa<br />
crédibilité. Les valeurs et principes que la déontologie a fait siens lient <strong>les</strong> individus<br />
d’une même profession sur un plan moral et <strong>les</strong> appelle à servir <strong>de</strong> modè<strong>les</strong>.<br />
S’il y a <strong>de</strong>s points où éthique et déontologie se rejoignent, il en est d’autres où<br />
el<strong>les</strong> sont en tension, voire même en opposition.<br />
Par exemple, l’infirmière rencontre fréquemment la situation <strong>dans</strong> laquelle un<br />
patient en phase terminale est en proie à d’intenses douleurs. Le principe éthique <strong>de</strong><br />
bénéficience voudrait que l’on injecte <strong>de</strong> la morphine pour soulager ses douleurs. Par<br />
ailleurs, cette injection provoquera très certainement un arrêt respiratoire étant<br />
donné son état présent, ce qui est contraire à la déontologie professionnelle qui<br />
voudrait que le soignant n’abrège en aucun cas <strong>les</strong> jours <strong>de</strong> son patient. Ces pratiques,<br />
dites <strong>de</strong> « sédation terminale » sont fréquentes et génèrent parfois <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong><br />
loyauté chez <strong>les</strong> soignants car ce sont <strong>de</strong>s actes qui pèsent lourd sur la conscience.<br />
Parfois le soignant se retrouve face à une situation où ce qui lui paraît légitime n’est<br />
pas légal.<br />
76
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
C’est <strong>de</strong>vant la complexité grandissante <strong>de</strong> notre société, <strong>de</strong>vant l’avancement<br />
du progrès et la perte <strong>de</strong> l’autorité normative, que l’éthique trouve aujourd’hui toute<br />
sa raison d’être. Cela explique également son omniprésence <strong>dans</strong> <strong>les</strong> domaines <strong>les</strong><br />
plus divers. Elle permet <strong>de</strong> redéfinir <strong>de</strong>s valeurs qui sont mises sur la sellette par<br />
l’évolution actuelle.<br />
Mais avoir un comportement éthique, c’est aussi et surtout avoir l’esprit<br />
critique sur le présent et le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> notre société, c’est exercer son libre-arbitre<br />
avec responsabilité et souci <strong>de</strong> l’Autre.<br />
La gran<strong>de</strong> difficulté <strong>de</strong> l’éthique rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la diversité. La diversité <strong>de</strong>s<br />
raisonnements, <strong>de</strong>s façons <strong>de</strong> penser, <strong>de</strong>s valeurs, qui font que nous sommes<br />
continuellement soumis à l’antinomie <strong>de</strong> la vérité. Devant <strong>les</strong> avis pluriels <strong>de</strong> nos<br />
contemporains, nous trouvons sans cesse <strong>de</strong>s contradictions <strong>dans</strong> une même<br />
proposition que l’on peut croire juste.<br />
L’éthique doit donc prendre en compte cette pluralité <strong>de</strong> pensée qui caractérise<br />
la pensée contemporaine pour redéfinir toujours à nouveau ses principes<br />
axiologiques.<br />
Elle a la très vaste ambition, <strong>de</strong> vouloir :<br />
« Reconstruire tous <strong>les</strong> intermédiaires entre la liberté, qui est le point<br />
<strong>de</strong> départ, et la loi, qui est le point d’arrivée . » (Ricœur, 2000).<br />
L’éthique est en quelque sorte comme une route enneigée. La voie n’est pas<br />
tracée d’avance, on se fraye un chemin petit à petit que l’on redéfinit sans cesse, en se<br />
confrontant aux obstac<strong>les</strong> <strong>dans</strong> un espace plus vaste que ce que l’on pouvait<br />
s’imaginer, avec <strong>de</strong>s vérités moins sûres qu’il n’y paraît et une direction<br />
continuellement à redéfinir.<br />
L’éthique est avant tout questionnement et point d’interrogation.<br />
« La déontologie participe <strong>de</strong> l’éthique. Seulement, l’éthique ne se<br />
réduit pas à la déontologie. » (Savadogo, 2008, p.120).<br />
77
3.3 L’éthique à l’hôpital<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
L’éthique ne saurait rester étrangère au domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. La question <strong>de</strong><br />
l’éthique hospitalière connaît une importance accrue <strong>dans</strong> notre mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne,<br />
<strong>dans</strong> la mesure où elle progresse à la rapidité <strong>de</strong>s progrès scientifiques et techniques.<br />
On peut parler d’éthique sur <strong>de</strong>ux registres différents qui se rejoignent pour ne<br />
former qu’un tout. D’un côté l’éthique est présente jusque <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations <strong>les</strong> plus<br />
bana<strong>les</strong> dès le moment où <strong>de</strong>s êtres humains sont en interaction. Elle se vit au<br />
quotidien, <strong>dans</strong> la manière dont s’incarnent <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> chacun au cœur <strong>de</strong> la<br />
relation <strong>de</strong> soin. L’éthique impose <strong>de</strong> se poser pour réfléchir et exercer un jugement<br />
constant sur ce qui est souhaitable <strong>dans</strong> la situation habituelle.<br />
Mais <strong>de</strong> l’autre côté, l’éthique est aussi invoquée <strong>de</strong> manière plus ciblée lorsque<br />
<strong>les</strong> professionnels du soin se trouvent confrontés à <strong>de</strong>s dilemmes éthiques, c’est-à-<br />
dire à <strong>de</strong>s situations précises <strong>de</strong>vant <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> une prise <strong>de</strong> décision s’impose dont le<br />
résultat n’est pas connu d’avance. On parle alors <strong>de</strong> questionnement éthique, un<br />
terme qui va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la simple question.<br />
« À la différence <strong>de</strong> la question énoncée, élaborée, qui contient <strong>les</strong><br />
référents <strong>de</strong>s réponses possib<strong>les</strong> <strong>dans</strong> son énoncé même, le<br />
questionnement est tout entier <strong>dans</strong> l’acte d’énonciation qui le soutient<br />
et le maintient ouvert. » (Sirven, 1999, p.115).<br />
Le questionnement, à la différence <strong>de</strong> la question, n’attend pas forcément une<br />
réponse mais interroge <strong>les</strong> différents paramètres d’une situation <strong>dans</strong> une visée<br />
réflexive. Tout comme l’éthique, et c’est pourquoi il lui sied si bien, il ne prétend pas<br />
détenir <strong>de</strong> savoir propre, et encore moins le pouvoir qui lui est lié. Le<br />
questionnement prend sa source <strong>dans</strong> la condition humaine et se veut donc l’affaire<br />
<strong>de</strong> tous, dès lors que l’homme est doté d’une conscience qui lui permet cette réflexion<br />
sur ses actes. Il naît en l’homme pour ensuite être enrichi et mo<strong>de</strong>lé par <strong>les</strong><br />
questionnements <strong>de</strong> ces semblab<strong>les</strong>. Il dépasse le simple cadre professionnel pour<br />
faire passer certains éléments au crible du doute. Dans cette réflexion, il est<br />
indispensable que le soigné soit considéré comme également doté <strong>de</strong> cette conscience<br />
réflexive, ce qui permet alors un partage éthique qui enrichit et nourrit la relation.<br />
78
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Au travers du questionnement apparaissent <strong>les</strong> choix possib<strong>les</strong> ainsi que leurs<br />
implications pour <strong>les</strong> personnes concernées. La décision thérapeutique émane<br />
toujours d’une réflexion partagée entre différents acteurs du soin. Elle est rarement<br />
donnée d’emblée mais est consécutive à un questionnement. Il s’agit <strong>de</strong> se déplacer<br />
du protocole ou <strong>de</strong> la « bonne conscience donnée par une conformité bien proche<br />
du conformisme vers une conscience inquiète, au sens d’éveillée, sans repos »<br />
(Sirven, 1999, p.111) pour faire émerger ce qui sera considéré comme la meilleure, ou<br />
en tout cas la moins mauvaise solution <strong>dans</strong> la situation donnée.<br />
Dans son activité, le soignant ne rencontre pas uniquement <strong>de</strong>s situations<br />
problématiques mais c’est le patient qui est au cœur <strong>de</strong> la problématique avec toute<br />
la dimension subjective qui lui est propre. L’éthique interroge le soignant et sa<br />
position, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute compétence professionnelle, sociale, humaine et au-<strong>de</strong>là<br />
<strong>de</strong>s règlementations et <strong>de</strong> la déontologie.<br />
Il ne peut se contenter d’examiner cette problématique mais doit l’inclure <strong>dans</strong><br />
un questionnement qui la dépasse et qui pose avant tout la question du sujet. Des<br />
textes normatifs, essentiels bien que figés, peuvent donner <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> réponse<br />
mais ne sauraient éclairer le questionnement <strong>dans</strong> son ensemble.<br />
La réflexion a posteriori sur <strong>les</strong> choix permet ensuite <strong>de</strong> rapprocher le discours<br />
et la pratique ainsi que la difficulté <strong>de</strong> leur harmonisation.<br />
Le questionnement est tout particulièrement important pour entretenir la<br />
réflexion, nous gar<strong>de</strong>r en éveil et « éviter cette éclipse <strong>de</strong> la conscience que l’on<br />
nomme bonne conscience et qui peut tout justifier » (Sirven, 1999, p.120).<br />
3.3.1 L’éthique au service <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine<br />
Dans un premier temps, l’éthique se préoccupe <strong>de</strong>s questions qui ne manquent<br />
pas d’émerger au fur et à mesure que <strong>les</strong> progrès techniques nous placent <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s<br />
limites encore inconnues. Ces avancées technologiques permettent, par exemple, <strong>de</strong><br />
déceler <strong>de</strong>s anomalies génétiques sur le fœtus, déjà au sta<strong>de</strong> embryonnaire, posant<br />
ainsi la question <strong>de</strong> l’avortement et <strong>de</strong>s limites que chacun <strong>de</strong> nous peut lui attribuer.<br />
Ce sont <strong>de</strong>s progrès qui remettent en question <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> l’acceptable : un bec <strong>de</strong><br />
lièvre, par exemple, sera considéré comme un simple défaut pour certains, comme un<br />
79
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
avilissement insurmontable pour d’autres. On pourrait multiplier à l’envi <strong>les</strong><br />
exemp<strong>les</strong> <strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> problèmes et <strong>de</strong> questionnements qui finalement pointent<br />
tous vers une même notion : celle <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> sa dignité… Ce sont <strong>de</strong>s<br />
mots chargés <strong>de</strong> contenus sémantiques très différents selon qui <strong>les</strong> emploie.<br />
Or ces notions ne sauraient bien sûr rester cloisonnées autour <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />
questions éthiques, certes très présentes <strong>dans</strong> le domaine hospitalier. Mais <strong>les</strong><br />
questions <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> relation à l’Autre et <strong>de</strong> sa dignité s’expriment au jour<br />
le jour, en continu. C’est une éthique quotidienne très concrète qui sous-tend la<br />
rencontre du patient avec le soignant.<br />
La profession soignante met un point d’honneur à une prise en charge<br />
holistique du patient, incluant <strong>les</strong> dimensions biologiques, psychologiques et socia<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. La confrontation n’est pas rare avec une mé<strong>de</strong>cine orientée avant tout<br />
sur la pathologie.<br />
« Les infirmières vivent mal cette espèce <strong>de</strong> distance qu’el<strong>les</strong> ressentent<br />
entre un discours humaniste médical <strong>de</strong> type hippocratique : faire le<br />
bien du patient, et une réalité où la qualité <strong>de</strong> cette vie ne leur para ît<br />
pas préservée. » (Coudray, 1994, p.67).<br />
Est-ce que nous ne nous trouvons pas ici face au conflit qui opposait, <strong>dans</strong> notre<br />
historique sur la pensée éthique, <strong>les</strong> philosophes soucieux avant tout <strong>de</strong> l’intérêt et<br />
du droit individuel et ceux qui défendaient l’intérêt collectif ? N’y a-t-il pas un conflit<br />
entre une éthique <strong>de</strong> responsabilité et une éthique utilitaire ?<br />
Dans le <strong>de</strong>rnier tiers du XX e siècle, le réexamen critique <strong>de</strong> l’éthique médicale,<br />
et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong>s sciences et technologies du vivant, s’est fait sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
la bioéthique. Celle-ci a systématisé et corrigé <strong>les</strong> principes déontologiques classiques<br />
par l’application d’une entreprise nouvelle d’analyse philosophique et par<br />
l’introduction d’un principe relativement hétérogène au cadre déontologique<br />
traditionnel : le principe d’autonomie. La notion d’autonomie n’est pas foncièrement<br />
absente <strong>de</strong> la conception traditionnelle <strong>de</strong> la relation mé<strong>de</strong>cin-patient. Mais le<br />
paternalisme est inhérent à cette conception, renforcé par <strong>les</strong> triomphes <strong>de</strong> la<br />
80
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
mé<strong>de</strong>cine scientifique qui semblait avoir creusé un fossé infranchissable. Le patient<br />
semblait alors réduit à être le terrain sur lequel se livre le combat héroïque du<br />
mé<strong>de</strong>cin contre la maladie (Dallaire, 2008).<br />
C’est essentiellement contre ce paternalisme que la bioéthique a systématisé<br />
l’exigence d’autonomie du patient, d’abord sous la forme d’une défense plus ferme<br />
<strong>de</strong> l’exigence du consentement volontaire <strong>de</strong>s sujets face à la recherche, puis face aux<br />
interventions chirurgica<strong>les</strong> et puis, enfin, face à tout traitement médical. Telle qu’elle<br />
est opératoire en bioéthique, la notion d’autonomie recouvre <strong>de</strong>ux famil<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
notions relativement distinctes, même si toutes <strong>de</strong>ux trouvent leur origine commune<br />
<strong>dans</strong> la philosophie <strong>de</strong> Kant.<br />
La mé<strong>de</strong>cine a parfois tendance à mettre <strong>de</strong> côté l’autonomie du patient.<br />
Comme son étymologie l’indique, cette autonomie représente la capacité <strong>de</strong> l’homme<br />
à se donner lui-même <strong>les</strong> normes <strong>de</strong> son comportement, à effectuer <strong>de</strong>s choix selon sa<br />
nature la plus profon<strong>de</strong>. Ainsi le patient reste libre d’accepter ou non le traitement<br />
proposé.<br />
Le <strong>de</strong>uxième volet <strong>de</strong> la notion d’autonomie est sa fonction <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la<br />
dignité spécifique <strong>de</strong> l’humain. Même largement diminuée par la maladie ou le<br />
handicap, le fait <strong>de</strong> conserver l’empreinte d’une autonomie est la marque <strong>de</strong> la<br />
dignité <strong>de</strong> la personne humaine et le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> ses droits essentiels.<br />
À noter que nous retrouverons souvent <strong>dans</strong> ce cadre la tension entre <strong>les</strong><br />
principes <strong>de</strong> bienfaisance et <strong>de</strong> non-maléficience issus <strong>de</strong> la déontologie<br />
traditionnelle avec le principe d’autonomie. Ce couple <strong>de</strong> contraires tendanciels<br />
reflète bien la tension que nous avons relevée <strong>dans</strong> notre historique sur l’évolution <strong>de</strong><br />
la pensée éthique. C’est la tension entre <strong>de</strong>ux positions philosophiques souvent<br />
considérées comme antinomiques : l’utilitarisme et la morale du <strong>de</strong>voir.<br />
C’est la tension quasi constante qui marque notre politique <strong>de</strong> santé entre le<br />
bien public et <strong>les</strong> véritab<strong>les</strong> intérêts <strong>de</strong>s personnes (Besanceney, 1991, p.20).<br />
Le progrès médical est parfois érigé en héros et fait <strong>de</strong> l’ombre à la dimension<br />
du soin et à la menace qui pèse sur sa dimension éthique. Mais c’est oublier quel est<br />
son objet premier, car en fin <strong>de</strong> compte, sans l’éthique, la mé<strong>de</strong>cine scientifique est<br />
vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa substance que constitue purement et simplement l’humain.<br />
81
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Il est nécessaire d’envisager <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux niveaux <strong>de</strong> la notion d’éthique que sont,<br />
d’un côté l’éthique fondamentale et <strong>de</strong> l’autre côté, l’éthique appliquée. Si la<br />
première part <strong>de</strong> la réflexion générale pour encadrer la pensée et la connaissance<br />
humaine et baliser le chemin sur lequel l’action va se mettre en place, la secon<strong>de</strong> en<br />
revanche, a comme origine l’action, qu’elle interroge et son<strong>de</strong> au moyen d’une<br />
réflexion qui examine <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments axiologiques <strong>de</strong> cette action (Desaulniers &<br />
Jutras, 2006).<br />
3.3.2 L’éthique au chevet du patient<br />
On distingue l’éthique du sujet, <strong>dans</strong> son individualité, ses spécificités, son<br />
appartenance socioculturelle et l’éthique du soin en tant qu’acte envers une personne.<br />
Mais <strong>dans</strong> ces <strong>de</strong>ux dimensions, la responsabilité et l’implication du soignant<br />
apparaissent très clairement. « C’est ce qu’il fait et dit qui fait effet <strong>de</strong> sens et<br />
<strong>de</strong> vérité pour le patient. » (Sirven, 1999, p.118). Il est donc le premier à <strong>de</strong>voir<br />
soumettre sa conscience au questionnement sur son activité.<br />
L’éthique, a contrario d’une potion magique qui apporterait <strong>de</strong>s solutions<br />
toutes prêtes, constitue une mise en question <strong>de</strong> nos actions et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cel<strong>les</strong>-ci,<br />
elle questionne leur sens et leur but.<br />
« L’éthique appliquée s’intéresse aux situations vécues sur le terrain et<br />
à la prise <strong>de</strong> décision en vue <strong>de</strong> résoudre <strong>de</strong>s problèmes concrets <strong>dans</strong><br />
<strong>de</strong>s contextes spécifiques. L’accent est mis sur la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong><br />
la situation qui pose problème, sur son contexte, sur l’analyse <strong>de</strong>s<br />
conséquences et sur la prise <strong>de</strong> décision . » (Desaulniers & Jutras, 2006,<br />
p.34).<br />
Mais l’éthique est déjà présente <strong>dans</strong> la mise en jeu <strong>de</strong> nos valeurs qui sont le<br />
fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> notre agir en tant que personne, en tant que professionnels et<br />
<strong>dans</strong> notre relation aux autres. L’éthique met en question le soignant en tant que<br />
personne et pas seulement pour ses actes ou ses paro<strong>les</strong>. Le questionnement éthique<br />
interpelle ce qui en l’homme est irréductible à toute objectivation. Pour autant il ne<br />
82
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
s’agit pas non plus d’un renoncement à soi mais peut-être d’une évolution du soi.<br />
En tant que l’éthique se préoccupe, comme nous l’avons vu <strong>dans</strong> le chapitre<br />
précé<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong> notre relation à l’Autre avec la responsabilité qui en incombe, on peut<br />
dire qu’elle est au centre <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Elle sous-tend <strong>les</strong> rapports entre <strong>les</strong><br />
professionnels et <strong>les</strong> patients en se basant sur <strong>les</strong> grands principes que nous avons<br />
cités précé<strong>de</strong>mment.<br />
Le mala<strong>de</strong> est au cœur <strong>de</strong> l’action infirmière et <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin. Au-<strong>de</strong>là<br />
du cadre déterminé <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin, l’éthique interroge le champ <strong>dans</strong> lequel<br />
cette relation prend sens. Loin d’être anodine, cette relation est à présent reconnue<br />
comme élément central du projet thérapeutique (Sirven, 1999, p.27). Dans la<br />
compréhension <strong>de</strong> la relation d’ai<strong>de</strong> selon Carl Rogers, le soignant est là pour ai<strong>de</strong>r le<br />
patient à grandir au travers <strong>de</strong>s épreuves traversées. Il l’accompagne <strong>dans</strong> son<br />
processus <strong>de</strong> réadaptation, la maladie étant comprise comme un processus <strong>de</strong> mise<br />
en échec <strong>de</strong> la capacité adaptative <strong>de</strong> l’individu.<br />
« Les notions d’empathie, <strong>de</strong> congruence et d’authenticité sont référées<br />
à l’efficacité recherchée, mais, également, <strong>de</strong> manière explicite, à une<br />
exigence éthique d’absence <strong>de</strong> savoir et <strong>de</strong> jugement sur l’Autre,<br />
accueilli et respecté. » (Sirven, 1999, p.102).<br />
La relation se distingue par <strong>de</strong>s caractéristiques qui la ren<strong>de</strong>nt complexe. Nous<br />
en examinerons ici quatre qui nous semblent essentiel<strong>les</strong> :<br />
1. L’asymétrie <strong>de</strong> la relation entre le patient et le soignant. Le premier est<br />
dépendant du second dont il ne possè<strong>de</strong> ni le savoir, ni le pouvoir. De plus, le patient<br />
se trouve généralement <strong>dans</strong> une situation <strong>de</strong> crise. La crise, par excellence facteur <strong>de</strong><br />
déséquilibre, peut être particulièrement perturbante, angoissante, génératrice <strong>de</strong><br />
peurs diverses. Elle met en jeu <strong>les</strong> repères habituels <strong>de</strong> la personne, engendrant la<br />
rupture et la perte <strong>de</strong> maîtrise. Le soignant <strong>de</strong>vient alors souvent l’écran sur lequel se<br />
projette le désir <strong>de</strong> repères du patient. Il en <strong>de</strong>vient le garant. Il se doit d’accueillir le<br />
patient et <strong>de</strong> le rassurer.<br />
83
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
2. Les <strong>de</strong>ux partenaires ont <strong>de</strong>s attentes réciproques qui peuvent être source <strong>de</strong><br />
pression, entraînant même parfois la culpabilité <strong>de</strong> ne pouvoir y répondre. Qui plus<br />
est, la relation <strong>de</strong> soin s’inscrit <strong>dans</strong> une dimension sociale et le soin, loin d’être<br />
uniquement mo<strong>de</strong>lé par le développement <strong>de</strong>s connaissances et techniques<br />
spécifiques, est aussi façonné par la compréhension sociale <strong>de</strong> la santé ainsi que<br />
l’idéologie hédoniste <strong>dans</strong> laquelle nous sommes immergés, qui veut que le corps<br />
soit parfait, gardé <strong>de</strong> toute trace impure et conservé <strong>dans</strong> la plus gran<strong>de</strong> jeunesse<br />
possible.<br />
3. Le phénomène fréquent <strong>de</strong> projection <strong>dans</strong> la relation à la souffrance. Le<br />
soignant est aux prises avec <strong>de</strong>s mécanismes psychiques inconscients qui l’ai<strong>de</strong>nt à<br />
gérer <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> soin diffici<strong>les</strong> et parfois confrontantes. Le refuge <strong>dans</strong> <strong>les</strong> actes<br />
techniques et une relation courtoise mais minimale sont <strong>de</strong>s stratégies fréquemment<br />
employées. Supposé exercer son rôle <strong>dans</strong> une neutralité affective et porté par<br />
l’altruisme, le soignant n’en <strong>de</strong>meure pas moins un être humain avec son vécu, sa<br />
personnalité et ses limites.<br />
4. La routine constitue l’un <strong>de</strong>s dangers qui guettent la relation <strong>de</strong> soin. Il est<br />
aisé <strong>de</strong> comprendre qu’un soignant qui voit le <strong>de</strong>ux centième patient se faire opérer<br />
<strong>de</strong> la hanche puisse le préparer à cette opération avec une certaine routine. Pourtant<br />
la routine <strong>dans</strong> <strong>les</strong> actes professionnels ne doit pas occulter la réalité du patient qui<br />
vit, pour sa part, certainement pour la première fois cette opération importante. Son<br />
angoisse risque vite d’être étouffée par le déroulement opérationnel <strong>de</strong>s activités<br />
préopératoires du soignant. Le soignant risque <strong>de</strong> négliger, voire d’occulter <strong>les</strong><br />
inquiétu<strong>de</strong>s préopératoires du patient. Ce faisant, il passe alors à côté d’une<br />
dimension essentielle <strong>dans</strong> le projet thérapeutique.<br />
La relation du soignant au soigné <strong>de</strong>vient d’autant plus essentielle, que la prise<br />
en soin se transforme, incluant toujours plus d’acteurs au chevet d’un même patient<br />
et complexifiant ainsi la relation à celui-ci. La relation duelle est mise <strong>de</strong> côté au<br />
profit d’une relation pluri-professionnelle, mais <strong>les</strong> attentes <strong>de</strong> ces différents acteurs<br />
sont parfois en tension, ne partageant pas forcément une même vision du soin et<br />
poursuivant <strong>de</strong>s objectifs qui peuvent être radicalement différents.<br />
84
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
C’est en particulier en lien avec la gestion que cette nouvelle incursion paraît la<br />
plus questionnante. L’intrusion toujours plus forte du mon<strong>de</strong> administratif et<br />
comptable <strong>dans</strong> l’univers hospitalier rend celui-ci impersonnel, réduisant le soin à<br />
une prestation chiffrée en termes <strong>de</strong> coût, et le soignant à un prestataire assigné à<br />
rentabilité et performance.<br />
La pluralité <strong>de</strong>s acteurs fait entrer le soin <strong>dans</strong> un champ d’intérêts qui peuvent<br />
parfois même être contradictoires. En effet, l’hôpital n’est plus le lieu d’accueil <strong>de</strong> la<br />
maladie et <strong>de</strong> l’exclusion sociale mais <strong>de</strong>vient un lieu <strong>de</strong> service <strong>dans</strong> lequel sont mis<br />
en pratique <strong>les</strong> savoirs et technologies développés. La mission <strong>de</strong> l’hôpital a donc<br />
fondamentalement changé et certains soignants ont <strong>de</strong> la peine à s’y retrouver.<br />
Le soin au mala<strong>de</strong> est marqué du sceau <strong>de</strong> l’histoire passée <strong>de</strong> la profession<br />
ainsi que du sceau, bien souvent, <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s soignants.<br />
Si soigner n’exige plus <strong>de</strong> renoncer à soi-même pour s’investir totalement, corps<br />
et âme, envers l’Autre comme c’était le cas lors <strong>de</strong>s première confréries, et si la<br />
logique professionnelle a remplacé la logique vocationnelle, force est <strong>de</strong> constater<br />
que <strong>les</strong> personnes qui s’engagent, le font le plus souvent avec beaucoup d’émotions<br />
caractérisées, pour une gran<strong>de</strong> partie, par ce souci <strong>de</strong> l’Autre, particulièrement<br />
chargé d’affect et <strong>de</strong> sensibilité. La dimension relationnelle peut aussi être<br />
bouleversante pour le soigné. C’est peut-être elle qui le gui<strong>de</strong> vers un<br />
questionnement existentiel et vers la réflexion <strong>de</strong> son « être », <strong>de</strong> ses limites, <strong>de</strong> la<br />
nécessité <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-fous d’une implication trop importante,<br />
<strong>de</strong>s valeurs qu’il veut mettre en jeu…<br />
C’est d’autant plus souhaitable que ce sont nos valeurs qui fon<strong>de</strong>nt notre<br />
engagement. Un engagement basé sur la technique, mais sans implication <strong>de</strong> l’être<br />
vers ses semblab<strong>les</strong>, resterait très questionnant, voire dangereux.<br />
Le patient est vulnérable, démuni, ramené à un état <strong>de</strong> dépendance proche<br />
parfois <strong>de</strong> la plus petite enfance, dépourvu d’un savoir que le soignant pourrait<br />
exploiter. L’éthique permet <strong>de</strong> rappeler <strong>les</strong> frontières <strong>de</strong> ce droit et <strong>de</strong> l’exercice d’un<br />
certain pouvoir car « L’éthique tire sa valeur <strong>de</strong> l’attention qu’elle confère aux<br />
figures <strong>de</strong> la vulnérabilité. » (Le Blanc, 2006, p.250). L’éthique est là, en tant que<br />
85
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
réflexion, pour rappeler au soignant l’impact que peuvent avoir ses actes mais aussi<br />
son attitu<strong>de</strong> sur le soigné, le rabaissant ou le valorisant, lui permettant <strong>de</strong> guérir ou<br />
au contraire <strong>de</strong> dépérir… L’enjeu est grand ! (Desaulniers & Jutras, 2006).<br />
3.3.2.1 Le « Prendre soin »<br />
Le soin lui-même est à la source <strong>de</strong> l’exigence éthique. À l’heure actuelle, on<br />
emploie, <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, l’anglicisme caring pour expliciter la relation au<br />
patient. Sans doute ce mot est-il plus fort et plus riche sémantiquement pour<br />
exprimer ce qu’est cette relation que la traduction française du « prendre soin ».<br />
Tschudin en citant Meyerhoff explique que le mot <strong>de</strong> caring renferme l’idée <strong>de</strong> la<br />
relation mère-enfant. C’est prendre soin <strong>dans</strong> le sens d’ai<strong>de</strong>r l’autre à grandir. Pour le<br />
patient, ce terme aura le sens d’ai<strong>de</strong>r à franchir <strong>les</strong> étapes, à « grandir » <strong>dans</strong> sa<br />
situation, c’est-à-dire d’apprendre à la gérer et à en tirer aussi un profit, autant que<br />
possible. (Tschudin, 2002, p.5).<br />
Confiance et respect sont <strong>de</strong>s éléments absolument indispensab<strong>les</strong> pour que<br />
cette dimension du caring puisse vraiment prendre toute sa place et tout son sens.<br />
En ce qui nous concerne, nous parlerons plus volontiers <strong>de</strong> l’expression<br />
« prendre soin » en lieu et place <strong>de</strong> l’habituelle « prise en charge » qui véhicule la<br />
connotation très péjorative du patient considéré comme une charge à porter.<br />
L’expression <strong>de</strong> « prise en soin » est intéressante parce qu’elle porte en son sein <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux interprétations : le soin au sens premier <strong>de</strong> la profession infirmière, comme acte<br />
précis. Mais aussi le soin plus maternel et plus global.<br />
Prendre soin du mala<strong>de</strong> requiert <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> sa maladie, mais aussi <strong>de</strong><br />
sa personne en favorisant son autonomie, son implication <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, en faisant<br />
preuve d’empathie face à <strong>de</strong>s situations personnel<strong>les</strong> parfois diffici<strong>les</strong>.<br />
Le prendre soin <strong>dans</strong> la fonction soignante est extrêmement vaste. Il s’agit tout<br />
autant du prendre soin face à la maladie que du soin corporel, <strong>de</strong> la toilette, <strong>de</strong> la<br />
coiffure… Il est fréquent <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s patients âgés et dépendants être bien soignés,<br />
mais n’être ni peignés, ni rasés. Le prendre soin, c’est aussi consacrer quelques<br />
minutes à un massage bienfaisant sur une peau sèche et flétrie. La notion <strong>de</strong> dignité<br />
est très vive <strong>dans</strong> le soin à la personne âgée et <strong>les</strong> débats que celui-ci occasionne.<br />
86
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Cependant prendre soin ne se résume pas à cette fonction purement corporelle.<br />
C’est aussi prendre soin <strong>de</strong> l’esprit et <strong>de</strong> l’âme. Cela peut être l’action d’accompagner<br />
l’Autre <strong>dans</strong> le processus d’acceptation d’une maladie, <strong>dans</strong> le <strong>de</strong>uil d’une partie <strong>de</strong><br />
son corps… Comment nier l’importance <strong>de</strong> la relation entre le soignant et la<br />
personne qui va être amputée ? Lorsque <strong>les</strong> proches sont partis, <strong>dans</strong> le calme du soir<br />
et la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la nuit, le soignant n’est-il pas celui qui reste l’interlocuteur <strong>de</strong><br />
référence pour recueillir <strong>les</strong> craintes et <strong>les</strong> angoisses <strong>de</strong> la personne ? L’empathie<br />
s’exprime <strong>dans</strong> l’acte <strong>de</strong> compréhension que le soignant met en place pour percevoir<br />
la souffrance <strong>de</strong> l’Autre. Or, comprendre c’est :<br />
« (…) se libérer, soit d’un préjugé, soit d’une ignorance, soit d’un<br />
malentendu. Et comprendre l’autre, c’est se libérer encore plus : <strong>de</strong> la<br />
peur, du mépris, <strong>de</strong> la haine ; c’est déjà aimer. » (Reboul, 1999, p.46).<br />
Prendre soin, c’est réagir à la douleur et au mal-être du patient. L’infirmière est<br />
la médiatrice qui va intervenir auprès du mé<strong>de</strong>cin pour que son patient soit soulagé.<br />
C’est elle qui va expliquer, avec un souci d’objectivité, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> termes <strong>les</strong> plus précis<br />
possib<strong>les</strong> ce que le patient ressent, ce qu’elle observe, <strong>les</strong> données techniques et, <strong>de</strong><br />
cette explication, vont dépendre souvent la réponse et l’action du mé<strong>de</strong>cin. Sa<br />
responsabilité est gran<strong>de</strong> vis-à-vis du patient :<br />
« Rejoindre et soutenir celui qui est isolé par la souffrance ultime…<br />
c’est se refuser à la solitu<strong>de</strong> absolue <strong>de</strong> la douleur humaine, en<br />
rappelant et en exprimant la fraternité toujours possible <strong>de</strong> notre<br />
communauté. » (Hirsch, Ferlen<strong>de</strong>r, 1998, p.3).<br />
Évi<strong>de</strong>mment, prendre soin c’est aussi accompagner le patient <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong><br />
phases qui précè<strong>de</strong>nt la mort pour l’amener jusqu’au bout vers l’ultime départ. La<br />
crainte <strong>de</strong> la souffrance au seuil <strong>de</strong> la mort peut paralyser littéralement le patient.<br />
Pouvoir lui assurer qu’on lui tiendra la main jusqu’au bout et qu’on ne lui tournera<br />
pas le dos le moment venu peut être extrêmement rassurant.<br />
Offrir une présence attentive au patient en acceptant <strong>les</strong> sentiments qu’il<br />
exprime, améliorer ses capacités <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> problèmes après avoir<br />
87
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
éventuellement i<strong>de</strong>ntifié <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> culpabilité et <strong>les</strong> avoir nommés. Prendre<br />
soin, c’est aussi ai<strong>de</strong>r le patient à assurer <strong>les</strong> décisions qu’il a prises en favorisant et<br />
en encourageant sa réassurance, en l’aidant <strong>dans</strong> la gestion d’une anxiété, <strong>dans</strong> la<br />
perte <strong>de</strong> sens, la dévalorisation <strong>de</strong> l’image <strong>de</strong> soi… nombreux sont ces éléments qui<br />
peuvent être encouragés par l’intervention soignante et qui seront <strong>de</strong>s ressources<br />
pour contourner ou diminuer <strong>les</strong> difficultés.<br />
Comme nous l’avons déjà précisé, la communication est partie intégrante <strong>de</strong> la<br />
relation à l’Autre. Elle en est même le soubassement si l’on admet l’affirmation<br />
connue qui dit qu’il est « impossible <strong>de</strong> ne pas communiquer. »<br />
L’acte <strong>de</strong> communiquer revêt en lui-même le caractère éthique <strong>de</strong> la<br />
reconnaissance <strong>de</strong> l’interlocuteur. Parler avec le patient c’est lui témoigner notre<br />
attention, le reconnaître en tant que notre semblable.<br />
Sans faire <strong>de</strong> véritable relation d’ai<strong>de</strong> qui requiert un savoir et une expertise<br />
particulière, le soignant peut favoriser, ou au contraire endommager beaucoup par<br />
l’acte <strong>de</strong> parole. Il a surtout une fonction d’écoute. En utilisant la reformulation et en<br />
prenant du temps pour son patient, il pourra parfois entrer <strong>dans</strong> la sphère<br />
mystérieuse <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> l’autre et <strong>de</strong> son regard sur sa situation. Le patient n’est<br />
pas toujours conscient <strong>de</strong>s sentiments qui l’habitent. Que ce soit la crainte, l’anxiété,<br />
la culpabilité ou autre…, le fait <strong>de</strong> mettre un nom <strong>de</strong>ssus peut être une ai<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la<br />
gestion <strong>de</strong> ces sentiments et leur influence sur l’état du mala<strong>de</strong>. Le soin, aussi<br />
complexe et technique soit-il, gar<strong>de</strong> un <strong>de</strong>voir d’humilité. En effet, sans cette part très<br />
naturelle <strong>de</strong> l’échange qui permet <strong>de</strong> mettre <strong>les</strong> maux en mots, d’exprimer ses<br />
craintes et ses appréhensions, d’envisager l’avenir, sans ce lieu <strong>de</strong> rencontre entre<br />
humains, la technique et la science, aussi puissantes soient-el<strong>les</strong>, ne sont rien ! Tout<br />
l’enjeu éthique prend vie <strong>dans</strong> cet échange.<br />
Le contact physique, le toucher <strong>de</strong> l’Autre apportent au soin une dimension très<br />
concrète. Le prendre soin du patient s’exprime peut-être le plus parfaitement <strong>dans</strong> le<br />
concept d’empathie. Ce concept va bien au-<strong>de</strong>là d’un savoir-faire, c’est un véritable<br />
savoir-être. Savoir être à un certain moment à la place du patient. Se mettre « <strong>dans</strong> sa<br />
peau » pour comprendre ce qu’il vit et pouvoir le rejoindre <strong>dans</strong> son niveau <strong>de</strong><br />
communication, <strong>dans</strong> sa solitu<strong>de</strong>, <strong>dans</strong> ses peurs… Être empathique, c’est réellement<br />
88
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
être capable d’aimer le patient au sens le plus noble du terme pour pouvoir le<br />
comprendre pleinement. Or cet amour restera parfois unilatéral :<br />
«(…) l’amour ne désigne pas d’emblée la réciprocité d’une rela tion <strong>de</strong><br />
moi à autrui et d’autrui à moi, mais l’éprouvante responsabilité<br />
(répondre à, répondre pour) à laquelle m’assigne le visage d’Autrui . »<br />
(Simon, 1993, p.158).<br />
Le caring couvre un ensemble très vaste <strong>de</strong> valeurs qui caractérisent la<br />
relation au patient. Or le choix entre ces valeurs n’est pas toujours très clair, car el<strong>les</strong><br />
sont relatives, leur relativité étant en lien avec le fait qu’el<strong>les</strong> sont<br />
« irréductiblement pluriel<strong>les</strong> et parfois, semble-t-il donc, incompatib<strong>les</strong> entre<br />
el<strong>les</strong> » (Reboul, 1999, p 45). Pour ne citer que quelques exemp<strong>les</strong>, prenons le concept<br />
d’autonomie. Lorsqu’un patient refuse un soin important, voire vital. Doit-on<br />
accepter cela au nom <strong>de</strong> l’autonomie, au risque <strong>de</strong> voir sa vie mise en péril, ou bien<br />
violer ce droit ? Que faire <strong>de</strong> l’autonomie, <strong>de</strong> la liberté du patient, lorsque celui-ci<br />
porte sur elle un autre regard que nous ? Comment le soignant doit-il réagir ? Il est<br />
évi<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong>s interrogations comme celle-ci ne peuvent faire l’économie d’une<br />
réflexion éthique.<br />
Si l’on se base sur le co<strong>de</strong> d’éthique <strong>de</strong>s infirmières édicté en 1953 par le Conseil<br />
International <strong>de</strong>s Infirmières (ICN : International Council of Nurses), l’infirmière se<br />
doit <strong>de</strong> :<br />
« Promouvoir la santé du patient, éviter une aggravation <strong>de</strong> la maladie,<br />
restaurer la santé et soulager <strong>les</strong> souffrances ».<br />
Il s’agit d’un programme qui en dit long sur <strong>les</strong> aptitu<strong>de</strong>s et <strong>les</strong> qualités que<br />
requiert cette profession. Or force est <strong>de</strong> constater que peu d’infirmières se sentent<br />
réellement à la hauteur <strong>de</strong> ce niveau d’expertise attendu (Fry & Johnstone, 2002, p.22).<br />
89
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
3.3.2.2 Le soignant et sa position face au mala<strong>de</strong><br />
Le soignant est toujours en position dominante face au mala<strong>de</strong>. Sa<br />
responsabilité s’exprime envers une personne fragile, diminuée.<br />
« Nous touchons ici du doigt le <strong>de</strong>gré le plus élémentaire et le plus<br />
concret <strong>de</strong> la dissymétrie : c’est envers un autrui plus faible,<br />
désavantagé ou menacé, que le sujet éthique se constitue et se reconnaît<br />
responsable, et c’est à cause même <strong>de</strong> ce fondamental déséquilibre qu’il<br />
consent à s’autolimiter. » (Mueller, 1999, p.309).<br />
Le patient est d’abord celui qui s’expose au soignant, par exemple pour <strong>de</strong>s<br />
investigations plus ou moins douloureuses. Mais il s’expose aussi <strong>dans</strong> sa nudité. La<br />
relation est asymétrique et attribue d’emblée un pouvoir au soignant, que ce soit par<br />
son savoir, son statut, la vulnérabilité du patient ou l’influence du contexte. Le<br />
soignant est en position dominante parce qu’il dispose d’informations que le patient<br />
n’a pas. Il a une vue d’ensemble sur la situation et ses connaissances et expériences<br />
lui permettent <strong>de</strong> la comprendre et <strong>de</strong> l’appréhen<strong>de</strong>r. Volontairement ou non, le<br />
patient ne reçoit quasiment jamais l’exhaustivité <strong>de</strong> l’information et se voit, <strong>de</strong> ce fait,<br />
dépendant du corps médical, et plus particulièrement du soignant, pour accé<strong>de</strong>r à<br />
une compréhension <strong>de</strong>s choses.<br />
Fry et Johnstone (2002, p.38) soulignent l’importance <strong>de</strong> la fonction d’avocat <strong>de</strong><br />
l’infirmière. Cette fonction va être exercée au travers <strong>de</strong> différentes tâches :<br />
1. En défendant <strong>les</strong> droits du patient (<strong>de</strong>vant le mé<strong>de</strong>cin, <strong>les</strong> proches,<br />
l’administration…) ;<br />
2. En informant le patient et discutant avec lui <strong>de</strong> ses be<strong>soins</strong>, ses centres<br />
d’intérêts et ses choix ;<br />
3. En respectant <strong>les</strong> caractéristiques premières du patient, c’est-à-dire sa<br />
dignité, son bien-être, sa sphère privée.<br />
Favoriser l’autonomie du patient, tel est le but recherché, mais cela suppose <strong>de</strong><br />
prendre en compte ses ressources, ses choix et par conséquent <strong>de</strong> lui fournir <strong>les</strong><br />
90
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
informations nécessaires qui vont lui permettre <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s choix réellement<br />
éclairés.<br />
La question centrale est <strong>de</strong> savoir comment nous comporter avec le patient pour<br />
lui accor<strong>de</strong>r le respect absolu, sans enfreindre nos valeurs mora<strong>les</strong> ni nos règ<strong>les</strong><br />
déontologiques, et encore moins la loi. Bref, comment nous comporter <strong>de</strong> manière<br />
éthique ?<br />
Il ne faut pas oublier que <strong>les</strong> progrès scientifiques et la médiatisation ont<br />
également <strong>de</strong>s répercussions sur le patient. Il n’est plus l’individu « docile » et<br />
« patient » justement, restant muet <strong>de</strong>vant le « Dieu en blanc » qu’il ne serait pas<br />
permis <strong>de</strong> remettre en question. Bien heureusement, l’évolution a aussi eu lieu du<br />
côté du patient, mais parfois avec ses excès également. Ainsi, plus que jamais <strong>dans</strong><br />
notre société, <strong>les</strong> individus se réclament du droit d’être soignés, mais aussi du droit<br />
d’être guéris. En occultant toujours plus <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> mort, <strong>de</strong> souffrance et <strong>de</strong><br />
maladie, pour <strong>les</strong> remplacer par <strong>de</strong>s mythes <strong>de</strong> toute-puissance, <strong>de</strong> perfection et<br />
d’immortalité, notre société nous rend mal à l’aise avec ces notions et font que l’on<br />
cherche bien souvent à <strong>les</strong> évincer.<br />
Mais même si le patient a pris quelque autonomie et un peu d’assurance, il n’en<br />
<strong>de</strong>meure pas moins en position d’infériorité et <strong>de</strong> dépendance vis-à-vis <strong>de</strong>s soignants.<br />
Ceux-ci ont donc une responsabilité déjà d’emblée induite par ce phénomène.<br />
Dans <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, c’est en effet, comme nous l’avons vu précé<strong>de</strong>mment, toute<br />
notre responsabilité qui est engagée. Cependant, cette responsabilité comporte<br />
également <strong>de</strong>s limites, qui, si el<strong>les</strong> sont franchies, menacent l’Autre <strong>dans</strong> son intégrité.<br />
Il s’agit <strong>de</strong> rechercher le meilleur compromis, ou le moins mauvais possible, entre <strong>les</strong><br />
valeurs <strong>de</strong>s parties en présence, <strong>dans</strong> le contexte socio-historique donné.<br />
Pour répondre à cette nécessité <strong>de</strong> réflexion, <strong>les</strong> institutions s’organisent afin<br />
d’avoir <strong>de</strong> plus en plus une démarche éthique inhérente à leur fonctionnement.<br />
Réfléchir, discerner et délibérer sur <strong>de</strong>s situations complexes avec <strong>de</strong>s enjeux parfois<br />
très divergents, voire opposés, s’avère un exercice difficile.<br />
C’est pourquoi <strong>de</strong> plus en plus d’institutions hospitalières mettent en place <strong>de</strong>s<br />
conseils ou commissions d’éthique composés <strong>de</strong> différents acteurs (patient si possible,<br />
famille proche, psychologue, juriste, mé<strong>de</strong>cin, personnel soignant, philosophe,<br />
91
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
éthicien…) pour tenter une réflexion commune autour <strong>de</strong> situations <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />
<strong>les</strong> enjeux sont parfois extrêmement divergents et délicats.<br />
Dans notre pratique d’enseignement auprès <strong>de</strong>s personnes en cours postgra<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>soins</strong> palliatifs, nous nous heurtons à un problème récurrent : la difficulté <strong>de</strong> ces<br />
soignants à entrer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s réflexions éthiques argumentées. Leurs argumentations<br />
émanent le plus souvent d’un discours assez superficiel <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’opinion,<br />
chargé d’émotions et d’affirmations a priori. Il ne s’agit pas d’un argumentaire<br />
approfondi et structuré. Poletti (1978) fait remarquer que l’évolution <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong><br />
métier à celle <strong>de</strong> profession, pour le corps soignant, nécessite immanquablement<br />
l’élaboration <strong>de</strong> cadres conceptuels et d’une théorie soli<strong>de</strong>ment fondée. Or il en est <strong>de</strong><br />
même en ce qui concerne la multiplication <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> discussions éthiques et leur<br />
prise <strong>de</strong> conscience. La diversité <strong>de</strong>s sources et la multiplication <strong>de</strong>s écrits nécessitent<br />
un entraînement à la recherche d’informations ciblées, ainsi qu’une formation toute<br />
particulière à l’argumentaire construit et au débat. La décision qui sera prise en fin<br />
<strong>de</strong> course doit faire référence à un ensemble <strong>de</strong> savoirs, savoir-faire et savoir-être,<br />
élaborés <strong>dans</strong> une réponse plurielle, concrète, unique, puisque chaque cas éthique est<br />
singulier. La démarche <strong>de</strong> réflexion éthique est plurifactorielle et la décision<br />
consensuelle est donc une synthèse fragile, toujours réinterrogeable et souvent<br />
attaquable, qui peut être une véritable mise en danger, d’où la nécessité absolue d’un<br />
argumentaire fondé.<br />
Par ailleurs, une délibération passée au crible est nécessaire pour permettre ce<br />
que Blon<strong>de</strong>au appelle la « paix <strong>de</strong> la conscience », en opposition aux remords et à<br />
la culpabilité (1999, p.56). Les comités d’éthique et leur réflexion pluridisciplinaire<br />
dont l’origine est à rechercher vers l’éthique <strong>de</strong> Jürgen Habermas, ont pour objectif<br />
d’examiner <strong>les</strong> différentes dimensions d’un dilemme éthique afin d’obtenir un<br />
consensus sur la solution la moins mauvaise possible <strong>dans</strong> le cas présenté. Ces<br />
comités se multiplient <strong>dans</strong> <strong>les</strong> grands centres hospitaliers et leur avis, certes<br />
consultatif, revêt néanmoins une importance grandissante.<br />
Les procédures utilisées pour élaborer le questionnement éthique sont<br />
relativement i<strong>de</strong>ntiques d’un comité à un autre. Coudray nous présente, à la Figure 1,<br />
celui <strong>de</strong> l’association SEL « Santé Éthique et Libertés », dirigée par le Professeur<br />
Léry à Lyon (Coudray, 1994) :<br />
92
Figure 1 : Santé Éthique et Libertés<br />
Source : Coudray, 1994, p.108.<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Le corps <strong>de</strong>s soignants est en charge d’une médiation sociale qui la confronte<br />
aux dimensions parfois très larges d’un soin global, <strong>dans</strong> lequel la singularité du<br />
patient est partiellement passée sous silence. Lorsque le soignant se tait, alors qu’il<br />
est <strong>dans</strong> un champ <strong>de</strong> décision où il est en droit d’être, ce silence revient à donner<br />
une approbation tacite à un acte qu’il n’approuve peut-être pas. Il ne joue alors pas<br />
son rôle d’avocat pour le patient. Pour assumer son rôle, le soignant doit pouvoir<br />
avoir une certaine assurance. Celle-ci lui sera, entre autres, conférée par la formation.<br />
Les domaines <strong>de</strong> l’éthique sont aujourd’hui si divers et si complexes que le soignant<br />
doit être formé <strong>dans</strong> cette optique.<br />
93
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
« La profession <strong>de</strong>s soignants, le groupe <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> la santé le plus<br />
important en Europe, aura un rôle critique à jouer pour permettre à la<br />
voix du patient d’être pleinement entendue .» (Tope et Koskinen, 2003,<br />
p.163).<br />
3.4 La relation soignante<br />
Dubet (2002), <strong>dans</strong> son ouvrage Le déclin <strong>de</strong> l’institution, s’interroge quant aux<br />
professions qui ont pour objectif le travail « sur autrui » et impliquent donc <strong>de</strong><br />
définir plus précisément ce qu’est cet « autrui ». Il démontre <strong>les</strong> tensions qui peuvent<br />
exister entre <strong>les</strong> différentes positions éthiques que le terme peut prendre et <strong>les</strong><br />
divergences <strong>de</strong> compréhension dont il peut faire l’objet. Dans une profession qui a<br />
l’Autre pour objet, se pose d’emblée cette question <strong>de</strong> notre regard sur l’altérité et <strong>de</strong><br />
notre attitu<strong>de</strong> vis-à-vis d’elle, <strong>de</strong> notre engagement à son égard. Le soin s’incarne<br />
<strong>dans</strong> la relation entre <strong>de</strong>ux personnes et génère à son tour un lien social. C’est<br />
pourquoi Hesbeen (1998, p.25) le décrit comme le moment « d’une rencontre et<br />
d’un accompagnement ».<br />
Le soignant a la lour<strong>de</strong> tâche d’essayer <strong>de</strong> se glisser <strong>dans</strong> la peau <strong>de</strong> l’Autre afin<br />
<strong>de</strong> comprendre ce qu’il vit. Le soignant participe à la décision du soin et dispose ainsi<br />
d’une autorité. En même temps, il ne peut « qu’être avec » et non prendre une<br />
posture <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> qui connaîtrait par avance le chemin.<br />
Il vit parfois une distorsion entre son savoir et <strong>les</strong> exigences <strong>de</strong> sa pratique. Il a<br />
par exemple le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> véracité, selon <strong>les</strong> principes éthiques <strong>de</strong> sa profession (ASI,<br />
2000), alors qu’il se voit souvent contraint <strong>de</strong> taire <strong>de</strong>s informations, voire <strong>de</strong> faire<br />
semblant parfois.<br />
L’éthique existe principalement <strong>dans</strong> la relation à l’Autre. C’est cette rencontre<br />
avec l’Autre, cette confrontation avec le prochain, qui lui donne sa substance.<br />
Chez Ricœur comme chez Lévinas, l’éthique se noue face à l’altérité <strong>de</strong> l’autre<br />
homme. C’est la dimension horizontale <strong>de</strong> la responsabilité.<br />
Ainsi, pour Emmanuel Lévinas, il faut partir du seul visage d’autrui. « L’accès<br />
au visage est d’emblée éthique. » (1982, p.79). Autrui a son sens en soi,<br />
indépendamment <strong>de</strong>s relations qui existent entre lui et moi et qui font que nous nous<br />
94
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
inscrivons <strong>dans</strong> un même contexte. Cet Autre me requiert et me rend <strong>de</strong> ce fait<br />
capable d’agir en être responsable. Ce visage <strong>de</strong> l’Autre <strong>dans</strong> sa concrétu<strong>de</strong> proche<br />
est le point <strong>de</strong> départ du cheminement éthique. En évacuant la morale, nous avons<br />
oublié ce Visage d’Autrui comme le rappelle Lévinas :<br />
« Mais cet "en face du visage <strong>dans</strong> son expression" - <strong>dans</strong> sa mortalité<br />
m’assigne, me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, me réclame : comme si la mort invisible à qui<br />
fait face le visage d’autrui- pure altérité, séparée, en quelque façon, <strong>de</strong><br />
tout ensemble - était mon affaire. » (Lévinas, 1998, p.96).<br />
Quand Lévinas, <strong>dans</strong> sa compréhension hyperbolique, évoque la notion <strong>de</strong><br />
visage, il ne parle pas directement du visage tel que nos sens le perçoivent chez nos<br />
vis-à-vis, mais bien plus du visage que l’on ne saurait voir, celui qui nous engage au<br />
plus profond <strong>de</strong> nous-mêmes. Ce visage interpelle, indirectement notre conscience<br />
propre.<br />
La relation selon Lévinas est toujours inégale, sans réciprocité, car j’ai une<br />
responsabilité toujours plus importante que l’Autre dont je ne dois rien attendre et<br />
surtout pas <strong>de</strong> la reconnaissance.<br />
Le soin permet <strong>de</strong> jeter un pont entre moi et l’Autre <strong>dans</strong> le but d’être plus<br />
proche <strong>de</strong> lui, et l’éthique professionnelle ne peut s’incarner réellement que <strong>dans</strong><br />
cette référence à autrui (Boula, 2010).<br />
Depuis fort longtemps, le processus qui mène à l’individuation est amorcé. Il<br />
chemine tout doucement vers son apothéose. Ce phénomène conduit à considérer<br />
l’individu toujours plus comme une entité à part entière, digne <strong>de</strong> s’accaparer<br />
pleinement le « je » individuel. Et ce « je » ne reste « je » que <strong>dans</strong> la limite <strong>de</strong> la<br />
liberté <strong>de</strong> l’Autre. Ma liberté s’arrête là où celle <strong>de</strong> l’Autre commence. Ainsi l’éthique<br />
se propose d’organiser et promouvoir l’évolution <strong>de</strong>s rapports humains, en<br />
reconnaissant la valeur <strong>de</strong> l’Autre, selon un certain nombre <strong>de</strong> principes. À notre<br />
époque nous réalisons que cet Autre revêt une importance primordiale. Cette prise<br />
<strong>de</strong> conscience est peut-être parallèle à la prise <strong>de</strong> conscience d’un égocentrisme<br />
grandissant qui représenterait une réelle menace pour cette relation à l’Autre<br />
95
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
(Svandra, 2009b). L’hôpital n’est-il pas le lieu par excellence où peut se vivre cette<br />
relation <strong>dans</strong> sa forme la plus fondamentale ?<br />
Face à toutes <strong>les</strong> maladies et toutes <strong>les</strong> déchéances, il s’agit <strong>de</strong> reconnaître<br />
l’Autre comme un être humain singulier et digne d’être. La relation <strong>de</strong> soin nous<br />
permet d’établir avec l’autre une relation qui l’inclut <strong>dans</strong> un réel concret. Ricœur<br />
donne à cette tentative <strong>de</strong> relation établie, faite à la fois <strong>de</strong> raison et <strong>de</strong> sentiment, le<br />
nom <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong>. Or Svandra met en évi<strong>de</strong>nce le fait que <strong>les</strong> termes sollicitu<strong>de</strong> et<br />
soin ont une origine étymologique issue du latin et très proche signifiant : souci,<br />
trouble moral, inquiétu<strong>de</strong> (Svandra, 2009b). En ce sens « avoir <strong>de</strong> la sollicitu<strong>de</strong> »<br />
pour quelqu’un, « c’est prendre soin » <strong>de</strong> lui, se faire du souci pour lui, se sentir<br />
concerné par sa situation. La sollicitu<strong>de</strong> représente l’engagement incarné <strong>dans</strong><br />
l’éthique du care.<br />
Au travers <strong>de</strong> la sollicitu<strong>de</strong>, le soignant peut rechercher la proximité du patient<br />
nécessaire à la relation thérapeutique, tout en gardant la distance nécessaire et<br />
bénéfique. La sollicitu<strong>de</strong> va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la compassion qui est certes nécessaire mais<br />
ne saurait circonscrire l’ensemble <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong>. Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> la pitié qui nous<br />
projette davantage sur notre propre difficulté à comprendre et envisager la<br />
souffrance <strong>de</strong> l’autre. Les vertus <strong>de</strong> respect et <strong>de</strong> dignité convoquent un certaine<br />
notion <strong>de</strong> distance, tandis que la notion <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong> comporte davantage l’idée<br />
d’un élan qui nous porte vers l’Autre et nous en rapproche. Il y a une dynamique<br />
d’échange et la communication n’est pas en sens unique (Ricœur, 1990).<br />
Le soin doit donc comporter <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> sympathie, <strong>de</strong> compassion, <strong>de</strong><br />
pitié mais ne saurait s’y référer uniquement sous peine <strong>de</strong> tomber <strong>dans</strong> une<br />
contingence toute humaine et subjective. La déontologie est là pour préserver un<br />
cadre distanciel indispensable et rappeler <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> la profession soignante, en<br />
<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s sentiments. Le risque serait <strong>de</strong> penser sa responsabilité personnelle en<br />
fonction <strong>de</strong> motifs subjectifs, tels que la sympathie ou l’intérêt. La déontologie est<br />
aussi là pour prévenir ce genre <strong>de</strong> dérive. Même avec <strong>les</strong> meilleures intentions du<br />
mon<strong>de</strong>, l’homme reste naturellement enclin à avoir plus <strong>de</strong> sympathie pour ceux qui<br />
lui sont proches. D’ailleurs étymologiquement, sympathie (sun-pathos) est<br />
l’équivalent du latin compassion (cum-patior). Ces <strong>de</strong>ux termes ont pris néanmoins<br />
une dimension sémantique différente (Svandra, 2009b).<br />
96
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Pour répondre à ce grand défi <strong>de</strong>s relations humaines, la pensée éthique va<br />
<strong>de</strong>voir se structurer et s’organiser autour <strong>de</strong> quelques piliers stab<strong>les</strong>. Ces <strong>de</strong>rniers<br />
vont être <strong>les</strong> principes éthiques. Ces principes dépen<strong>de</strong>nt très largement <strong>de</strong> la culture.<br />
C’est pourquoi la Convention <strong>de</strong>s Droits <strong>de</strong> l’Homme ne fait pas l’unanimité au<br />
niveau mondial. Néanmoins, chaque culture trouve un consensus quasi unanime sur<br />
un certain nombre <strong>de</strong> principes :<br />
« On observe au sein <strong>de</strong> nos cultures occi<strong>de</strong>nta<strong>les</strong>, une très gran<strong>de</strong><br />
unanimité sur un petit noyau <strong>de</strong> principes moraux. Ces principes<br />
forment le cadre stable par rapport auquel i l est possible <strong>de</strong> répondre à<br />
<strong>de</strong>s questions normatives. » (Canto-Sperber, 2002, p.88-89).<br />
L’une <strong>de</strong>s sources principa<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’éthique mo<strong>de</strong>rne se trouve <strong>dans</strong> la<br />
Déclaration <strong>de</strong>s Droits <strong>de</strong> l’Homme, qui affirme dès le début, explicitement, la<br />
dignité inhérente à tout être humain. Ce principe <strong>de</strong> dignité est l’un <strong>de</strong>s moteurs<br />
principaux <strong>de</strong> la réflexion éthique. La dignité place en avant le respect <strong>de</strong> la personne<br />
humaine comme entité individuelle et sociale. Elle fait écho à l’impératif <strong>de</strong> Kant <strong>de</strong><br />
traiter notre égal toujours comme fin et jamais comme moyen.<br />
En basant nos convictions et nos comportements sur ces notions <strong>de</strong> respect et <strong>de</strong><br />
dignité, nous mettons en avant une conception spécifique <strong>de</strong> l’humanité <strong>de</strong> l’homme.<br />
Les progrès et évolutions inédites <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières décennies font que bon nombre <strong>de</strong><br />
comportements privés et sociaux sont remis en question et nous incitent à revenir<br />
très clairement sur <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> respect et <strong>de</strong> dignité tel<strong>les</strong> que Kant <strong>les</strong><br />
définissaient. On pensera par exemple aux possibilités inédites <strong>de</strong> réanimation qui<br />
s’offrent actuellement à nous <strong>dans</strong> <strong>les</strong> grands centres hospitaliers. La mort recule,<br />
certes, mais avec ce progrès se pose la question <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> la vie ultérieure pour<br />
la personne réanimée. Doit-on privilégier <strong>les</strong> fonctions cardiaques et respiratoires en<br />
permettant la survie <strong>de</strong> la personne au risque <strong>de</strong> lésions cérébra<strong>les</strong> entraînant un état<br />
comateux pour le reste <strong>de</strong> l’existence ?<br />
Devant l’insuffisance <strong>de</strong>s données traditionnel<strong>les</strong>, l’incertitu<strong>de</strong> s’installe et<br />
l’éthique se propose humblement <strong>de</strong> tenter une redéfinition, <strong>dans</strong> ces circonstances<br />
97
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
particulières, <strong>de</strong> l’action la moins préjudiciable. C’est <strong>dans</strong> la complexité du<br />
développement <strong>de</strong> notre société que l’éthique trouve réellement tout son sens.<br />
Mais l’éthique c’est aussi la réponse à un processus <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s<br />
violations <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme <strong>les</strong> plus élémentaires et ce, pas seulement à l’autre<br />
bout <strong>de</strong> la planète ou <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations extrêmes <strong>de</strong> combat avec la vie. Les<br />
injustices et drames que nous pouvons découvrir jour après jour, tout près <strong>de</strong> nous,<br />
sont <strong>de</strong>s atteintes évi<strong>de</strong>ntes à la notion d’éthique, mais notre manière d’envisager <strong>les</strong><br />
<strong>soins</strong> quotidiens, <strong>les</strong> relations <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> jours avec nos patients, nos collègues, est<br />
tout autant empreinte <strong>de</strong> cette pensée éthique.<br />
L’éthique se fixe comme objectif <strong>de</strong> marquer <strong>les</strong> limites, pour nous impliquer<br />
<strong>dans</strong> la responsabilité directe face à notre société et à nos semblab<strong>les</strong>. En ce sens, elle<br />
implique une exigence <strong>de</strong> discernement et une prise <strong>de</strong> responsabilité <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
situations <strong>les</strong> plus anodines mais pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> la notion <strong>de</strong> respect reste centrale :<br />
« Respecter, c’est regar<strong>de</strong>r autrui, donc prendre attention à sa situation<br />
réelle. C’est tout le contraire <strong>de</strong> l’indifférence, même polie ! Pour que ce<br />
respect <strong>de</strong>vienne réel, pour que l’être humain accepte <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> soi<br />
pour considérer autrui quel qu’il soit comme une personne, il faut qu’il<br />
soit suscité et nourri par la conscien ce <strong>de</strong> partager un <strong>de</strong>stin commun<br />
qui exige la solidarité. Celle-ci naît en effet <strong>de</strong> la conscience <strong>de</strong><br />
l’appartenance à une commune humanité, où chacun est lié à<br />
l’autre… » (Fuchs, 1996, p.30).<br />
C’est à nouveau la dignité <strong>de</strong> l’être humain, telle que l’a définie Kant, qui prend<br />
sa pleine expression <strong>dans</strong> sa liberté <strong>de</strong> décision, son autonomie, face aux différentes<br />
forces et aux différents intérêts en jeu <strong>dans</strong> la relation thérapeutique. Or, si la dignité<br />
<strong>de</strong> l’humain est communément pensée en lien avec le patient, elle concerne tout<br />
autant le soignant qui est, lui aussi, sujet <strong>de</strong> droits et d’attention. Le soin <strong>de</strong>s autres<br />
ne saurait être déconnecté entièrement du soin <strong>de</strong> soi.<br />
98
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
3.5 L’éthique au service <strong>de</strong>s soignants<br />
En effet, comment être capable réellement <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong>s autres personnes<br />
si l’on ne prend pas soin <strong>de</strong> soi en sa qualité d’humain, conscient <strong>de</strong> son implication<br />
et <strong>de</strong> son action <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>. Cette recherche <strong>de</strong> l’être subjectif qui prend sa source<br />
chez Kierkegaard et évoque l’angoisse <strong>de</strong>vant la mort, implique aussi une réflexion<br />
sur soi.<br />
Lorsqu’il examine cette notion, Foucault (2001) se penche sur <strong>les</strong> écrits <strong>de</strong>s<br />
philosophes grecs et constate que la notion du souci <strong>de</strong> soi constitue le préalable<br />
indispensable à toute velléité <strong>de</strong> s’occuper d’autrui. En ce sens, le souci <strong>de</strong> soi est une<br />
ressource essentielle : prendre soin <strong>de</strong> soi, cela revient à la question <strong>de</strong> l’introspection.<br />
Le souci <strong>de</strong> soi doit s’incarner <strong>dans</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi. Il s’agit <strong>de</strong> se connaître<br />
personnellement, connaître et défendre ses valeurs. Les valeurs sont inscrites au plus<br />
profond <strong>de</strong> nous-mêmes et <strong>de</strong> notre conscience.<br />
C’est pourquoi « questionner la morale, ce n’est pas seulement étudier<br />
<strong>de</strong>s auteurs plus ou moins lointains, analyser <strong>de</strong>s théories plus ou<br />
moins séduisantes, c’est d’abord et avant tout s’observer soi -même, se<br />
questionner, son<strong>de</strong>r ses propres assises et parfois même ébranler ses<br />
sécurités. » (Fortin, 1995, p.4).<br />
Foucault développe la pensée grecque selon laquelle ce souci <strong>de</strong> soi est essentiel.<br />
Il ne s’agit pas d’un caprice narcissique, loin s’en faut. Chez Platon comme chez<br />
Aristote, on remarque cette insistance <strong>dans</strong> l’enseignement aux plus jeunes et cette<br />
injonction au souci <strong>de</strong> soi. Non <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong> satisfaire <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong>, mais <strong>dans</strong> le but<br />
d’accé<strong>de</strong>r à la vérité. Il s’agit, comme dit Foucault « d’une élaboration <strong>de</strong> soi sur<br />
soi, d’une transformation <strong>de</strong> soi sur soi » (p.17). Or, le but est tout à fait louable :<br />
il s’agit d’accé<strong>de</strong>r à un haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> vérité pour être à même d’exercer le pouvoir<br />
sur la Cité, c’est-à-dire sur <strong>les</strong> concitoyens. Etre soignant, c’est aussi exercer une<br />
forme <strong>de</strong> pouvoir sur <strong>les</strong> autres. Il ne s’agit pas d’un repli égoïste. S’il y a repli sur soi,<br />
ce n’est qu’un bref moment pour pouvoir ensuite s’ouvrir d’autant mieux vers <strong>les</strong><br />
autres.<br />
99
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Il y a certes <strong>dans</strong> cette expression une connotation quelque peu auto-centrée qui<br />
ne colle pas avec l’image <strong>de</strong> « dévotion » qui marque la profession infirmière. Il y a<br />
donc sans doute un travail <strong>de</strong> légitimation à réaliser.<br />
Le souci <strong>de</strong> soi est un moyen <strong>de</strong> connaissance, moyen essentiel au<br />
développement <strong>de</strong> l’argumentation qui permet <strong>de</strong> défendre un positionnement.<br />
Foucault relève ainsi <strong>dans</strong> un certain nombre <strong>de</strong> textes la présence conjointe du<br />
« connais-toi toi-même » (gnothi seauton) et du « souci <strong>de</strong> soi » (epimeleia<br />
heautou). Le premier, principe <strong>de</strong>lphique bien connu, ne saurait suffire mais prend<br />
plutôt un rôle <strong>de</strong> subordination par rapport au second (p.6). D’ailleurs <strong>dans</strong><br />
l’ouvrage Apologie <strong>de</strong> Socrate, ce <strong>de</strong>rnier se présente comme étant justement celui qui<br />
incite ses concitoyens à ne pas se négliger mais à se préoccuper <strong>de</strong> leur personne. Et<br />
Foucault balaie ensuite l’histoire philosophique pour montrer la récurrence <strong>de</strong> ce<br />
thème, <strong>de</strong>puis Epicure jusqu’aux Béatitu<strong>de</strong>s, en passant par Sénèque et Epictète chez<br />
<strong>les</strong> stoïciens, ou encore par Démétrius chez <strong>les</strong> cyniques.<br />
Si cette attitu<strong>de</strong>, aujourd’hui plutôt perçue comme relevant d’un certain<br />
égocentrisme n’est que très mo<strong>de</strong>stement valorisée, chez <strong>les</strong> Grecs en revanche, elle<br />
revêt un caractère essentiel. Pour <strong>les</strong> Grecs, il ne s’agit pas d’une forme <strong>de</strong><br />
complaisance que l’on s’accor<strong>de</strong>rait, mais bien d’un travail sur soi, d’une<br />
transformation progressive <strong>dans</strong> le but d’acquérir une plus gran<strong>de</strong> sagesse sur le<br />
mon<strong>de</strong>. Il ne s’agit pas uniquement <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi au sens cartésien du<br />
terme, mais bien plutôt d’une connaissance accompagnée d’une transformation <strong>de</strong><br />
soi (metanoia) et <strong>de</strong> sa relation au mon<strong>de</strong>, qui nécessite effectivement la<br />
connaissance profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa propre personne, chemin vers la connaissance <strong>de</strong> la<br />
vérité. Cette introspection est profondément éthique en ce sens qu’elle suppose une<br />
remise en question du système <strong>de</strong> valeurs inculqué par l’éducation et le contexte<br />
socio-culturel (p.93). L’individu doit pouvoir se constituer sa propre base axiologique<br />
et la défendre, car le souci <strong>de</strong> soi implique <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix et <strong>de</strong> ne pas se laisser<br />
bercer à tous <strong>les</strong> vents <strong>de</strong> doctrines, ni se laisser influencer par <strong>de</strong>s représentations<br />
extérieures diverses et multip<strong>les</strong>. Penser le rapport à soi permet <strong>de</strong> penser son<br />
rapport au mon<strong>de</strong> et d’utiliser son temps à bon escient, avec une visée téléologique<br />
précise. Avoir une conscience claire <strong>de</strong>s buts à atteindre, permet <strong>de</strong> réfléchir aux<br />
moyens d’y parvenir. C’est en quelque sorte une « conscience permanente <strong>de</strong> son<br />
100
effort » (Foucault, 2001, p.213).<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Mais ce chemin sur soi est également éthique parce qu’il suppose la présence<br />
d’un tiers. Chez <strong>les</strong> Grecs, ce tiers c’est le philosophe, celui que l’on admire et que<br />
l’on cherche à imiter, tandis que chez Sénèque, c’est le Maître, l’exemple et le gui<strong>de</strong><br />
(p.130). L’être humain ne saurait être pleinement indépendant, ni accé<strong>de</strong>r seul à la<br />
connaissance <strong>de</strong> soi. Il est traversé par la présence <strong>de</strong> l’Autre à qui l’on se mesure,<br />
que l’on suit, que l’on admire et conteste.<br />
Il ne s’agit pas d’un repli sur soi qui opèrerait une coupure du mon<strong>de</strong> mais<br />
d’une préparation à son action <strong>de</strong> sujet <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>.<br />
La nécessité du souci <strong>de</strong> soi est directement liée, chez <strong>les</strong> Grecs, à la volonté<br />
d’exercer le pouvoir. Or, le soignant n’exerce-t-il pas aussi un pouvoir, même si c’est<br />
parfois malgré lui, ou s’il n’en est pas toujours conscient ? Prendre soin <strong>de</strong> l’Autre,<br />
c’est aussi exercer une forme <strong>de</strong> pouvoir sur sa personne. Dans la dimension<br />
relationnelle, où s’entremêlent <strong>les</strong> émotions, <strong>les</strong> phénomènes psychologiques et<br />
psychiques, peut-on réellement venir en ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> manière efficace, lorsqu’on n’a pas<br />
au préalable effectué un cheminement personnel <strong>dans</strong> ce sens ? Comment ai<strong>de</strong>r le<br />
patient à se « retrouver » si l’on ne connaît pas le chemin déjà pour soi-même ?<br />
Interrogation que Ricœur éluci<strong>de</strong> <strong>dans</strong> soi-même comme un autre (1990). Le souci <strong>de</strong><br />
soi constitue donc une invitation à <strong>de</strong>venir pleinement sujet responsable <strong>de</strong> ses actes.<br />
Il apparaît comme « un principe constitutif <strong>de</strong> nos actions, et par là -même<br />
comme un principe limitatif » (Foucault, 2001, p.518).<br />
L’éthique va donc bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’application simple <strong>de</strong> principes, mais<br />
constitue réellement une mise en questionnement, une démarche inductive, <strong>dans</strong> le<br />
but d’ai<strong>de</strong>r à se penser, pour <strong>de</strong>venir ensuite capable <strong>de</strong> penser une situation et <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>venir un gui<strong>de</strong> pour d’autres. Dans sa pratique, le soignant va pouvoir gui<strong>de</strong>r <strong>les</strong><br />
différents partenaires <strong>dans</strong> leur façon <strong>de</strong> réfléchir le soin, <strong>dans</strong> la recherche<br />
d’alternatives, <strong>dans</strong> l’acquisition d’une plus gran<strong>de</strong> autonomie et l’expression<br />
renouvelée <strong>de</strong> leur humanité. Le soignant n’a pas le droit <strong>de</strong> juger, en revanche le<br />
questionnement lui appartient et, pour cela, il se réfère à une éthique. Cela se joue<br />
certes sur <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s questions <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il y a nécessité <strong>de</strong> prendre position,<br />
mais cela se joue également au quotidien, <strong>dans</strong> l’expression la plus élémentaire <strong>de</strong> la<br />
101
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
profession et jusque <strong>dans</strong> sa simple présence à ses semblab<strong>les</strong>. Tenir compte <strong>de</strong> ces<br />
différents niveaux constitue un réel défi. C’est lorsque ce souci <strong>de</strong> soi n’est plus<br />
possible, lorsque la personne est amenée à fonctionner à la manière d’un automate,<br />
que vont naître chez elle <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> frustration et <strong>de</strong> malaise.<br />
Après avoir examiné ces divers éléments <strong>de</strong> réflexion, il nous semble pertinent<br />
<strong>de</strong> dire, à l’instar <strong>de</strong> Bouvet & Sauvaige (2005), que le malaise vécu par <strong>les</strong> étudiants<br />
et <strong>les</strong> jeunes diplômés revêt bien une dimension essentiellement éthique.<br />
3.6 Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’éthique, la question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
Toutes <strong>les</strong> constatations sur <strong>les</strong> conditions d’exercice <strong>de</strong>s infirmières que nous<br />
avons relevées mettent en évi<strong>de</strong>nce l’enjeu éthique qui est au cœur <strong>de</strong> cette pratique<br />
infirmière quotidienne. Le soignant se trouve pris <strong>dans</strong> un champ <strong>de</strong> tensions entre<br />
<strong>de</strong>ux fon<strong>de</strong>ments éthiques qui orientent, aujourd’hui peut-être plus que jamais, notre<br />
société. D’un côté, <strong>les</strong> philosophies prônant le bonheur et la félicité mettent en avant<br />
le « bien <strong>de</strong> l’homme », tel Aristote <strong>dans</strong> l’Éthique à Nicomaque. De l’autre côté, <strong>les</strong><br />
philosophes axés sur le <strong>de</strong>voir et la raison, tel Kant, mettent davantage l’accent sur<br />
<strong>les</strong> exigences professionnel<strong>les</strong>. La notion d’autonomie, aujourd’hui très prisée, est<br />
d’ailleurs souvent comprise différemment selon ces <strong>de</strong>ux perspectives<br />
philosophiques. Très importante pour <strong>les</strong> kantiens, elle l’est beaucoup moins pour <strong>les</strong><br />
premiers. Il peut donc y avoir un réel conflit si <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux versants éthiques ne se<br />
rejoignent pas. Ces <strong>de</strong>ux positions ontologiques très différentes cristallisent <strong>les</strong><br />
débats actuels sur l’i<strong>de</strong>ntité infirmière. Alors que <strong>les</strong> infirmières désirent avant tout<br />
agir selon une philosophie du Bien, on attend <strong>de</strong> plus en plus d’el<strong>les</strong> qu’el<strong>les</strong> agissent<br />
selon une philosophie du <strong>de</strong>voir et <strong>de</strong> la responsabilité. Ici surgit l’opposition entre<br />
déontologie et téléologie.<br />
Et si Bouvet & Sauvaige (2005) concluent que l’écart entre l’idéal théorique <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong> et cette difficulté <strong>de</strong> prise en charge <strong>dans</strong> la réalité constituent une mise en<br />
danger <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité même <strong>de</strong> l’infirmière, il paraît évi<strong>de</strong>nt que cette i<strong>de</strong>ntité est<br />
essentielle. En effet, c’est elle qui permet au soignant d’exercer sa responsabilité et<br />
son jugement professionnel, même si cette prise d’autonomie qui l’accompagne est<br />
parfois génératrice d’angoisse. Face aux conditions <strong>de</strong> travail toujours plus diffici<strong>les</strong>,<br />
102
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
cette autonomie constitue quasiment un « impératif <strong>de</strong> survie » (Blon<strong>de</strong>au, 1999,<br />
p.165).<br />
C’est à la gestion <strong>de</strong> ces angoisses que nous pouvons contribuer en tant que<br />
formateurs.<br />
Nous ne voulons pas porter notre attention sur <strong>les</strong> décisions, certes importantes<br />
el<strong>les</strong>-aussi mais plus rares, auxquel<strong>les</strong> l’infirmière doit parfois faire face et qui<br />
nécessitent un positionnement explicite <strong>dans</strong> le cadre d’une réflexion éthique. Nous<br />
voulons davantage nous intéresser à ce qui <strong>de</strong>vrait constituer le but principal <strong>de</strong><br />
l’éducation éthique, à savoir la préparation <strong>de</strong>s étudiantes à faire face aux difficultés<br />
et tensions quotidiennes <strong>de</strong> la pratique et <strong>de</strong> la profession soignantes <strong>dans</strong> leur<br />
rencontre avec la souffrance, la corporalité, l’interaction, la vulnérabilité…(Van <strong>de</strong>r<br />
Arend, Smits, 2003, p.87).<br />
Nous souhaitons que nos étudiants, et <strong>les</strong> jeunes soignants, puissent sortir <strong>de</strong><br />
leur formation en exerçant avec une motivation pérenne la profession qu’ils ont<br />
choisie, le plus souvent, avec beaucoup d’amour et un grand esprit <strong>de</strong> service, faisant<br />
preuve d’une gran<strong>de</strong> compassion à l’égard <strong>de</strong> leurs semblab<strong>les</strong>. N’oublions pas que<br />
<strong>les</strong> étudiants qui choisissent cette voie le font souvent parce qu’ils ont ce désir <strong>de</strong><br />
s’investir, <strong>de</strong> vivre une altérité porteuse <strong>de</strong> sens, mais ils sont aussi sans doute plus<br />
sensib<strong>les</strong> que d’autres qui ne se laissent pas envahir si intensément par la souffrance<br />
<strong>de</strong> leur prochain. Il est donc indispensable <strong>de</strong> penser la formation sous l’angle<br />
éthique <strong>de</strong>s valeurs, tant pour le soignant lui-même que pour sa relation au patient, à<br />
ses collègues, à ses supérieurs… Si ces jeunes gens acquièrent la faculté d’analyser<br />
leurs émotions, <strong>les</strong> valeurs et <strong>les</strong> discours en jeu, ils seront aussi mieux à même <strong>de</strong><br />
prendre <strong>de</strong> la distance et <strong>de</strong> rechercher <strong>de</strong>s solutions adéquates à <strong>de</strong>s situations qui<br />
se complexifient <strong>de</strong> jour en jour.<br />
Leur donner la clé <strong>de</strong> cette faculté d’analyse est sans doute une <strong>de</strong>s meilleures<br />
armes contre le découragement qui guette beaucoup <strong>de</strong> personnes <strong>dans</strong> la profession.<br />
L’éthique en tant que travail personnel <strong>de</strong> réflexion et <strong>de</strong> positionnement sur<br />
<strong>de</strong>s valeurs joue immanquablement un rôle <strong>dans</strong> la manière dont l’étudiante va se<br />
percevoir et se construire en tant que professionnel. Elle paraît donc être une<br />
103
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
composante essentielle <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle. La dimension<br />
éthique est au cœur <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, comme élément fondamental <strong>de</strong> la relation à l’Autre,<br />
mais aussi comme fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> notre agir, <strong>de</strong> notre communication mais également<br />
<strong>de</strong> notre engagement au service du rôle professionnel. Par là-même, l’éthique<br />
façonne l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong>s infirmières et <strong>infirmiers</strong>.<br />
104
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
CHAPITRE 4 - IDENTITÉ DU SOIGNANT<br />
Chaque profession comporte un certain nombre <strong>de</strong> déterminants qui lui sont<br />
propres et qui créent une forme d’i<strong>de</strong>ntité commune chez ceux qui exercent cette<br />
profession. Toutefois cette i<strong>de</strong>ntité ne naît pas ex nihilo mais vient se greffer sur <strong>de</strong>s<br />
formes d’i<strong>de</strong>ntité déjà présentes. Il est important <strong>de</strong> comprendre comment se<br />
construit ce phénomène complexe <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité et selon quels processus itératifs<br />
s’articulent i<strong>de</strong>ntité personnelle, professionnelle et sociale. Un regard plus spécifique<br />
nous conduira à penser l’i<strong>de</strong>ntité en regard <strong>de</strong> l’évolution sociétale, en particulier à la<br />
lumière du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne, voire postmo<strong>de</strong>rne. C’est <strong>dans</strong> ce contexte que nous<br />
pourrons tenter d’appréhen<strong>de</strong>r la construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong><br />
l’étudiante, avant tout être humain avec son i<strong>de</strong>ntité propre, qui chemine vers le<br />
<strong>de</strong>venir d’une professionnelle <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>.<br />
4.1 Aux origines <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
L’importance du « soi » <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité personnelle paraît<br />
évi<strong>de</strong>nte. Pourtant elle ne l’est pas moins <strong>dans</strong> la perspective <strong>de</strong> la construction d’une<br />
i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Le concept d’i<strong>de</strong>ntité se trouve à l’intersection <strong>de</strong> plusieurs<br />
disciplines. Le terme est polysémique et mal circonscrit.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité joue sur une ambivalence, car elle est à la fois la caractéristique <strong>de</strong> ce<br />
qui est i<strong>de</strong>ntique <strong>dans</strong> la vision <strong>de</strong> la continuité, et également <strong>de</strong> ce qui est distinct.<br />
Héraclite d’Éphèse souligne cette ambivalence par la phrase que l’on connaît bien qui<br />
dit que l’« on ne se baigne jamais <strong>dans</strong> l’eau d’un même fleuve ». Il y a à la fois une<br />
permanence du fleuve mais aussi un renouvellement <strong>de</strong> l’eau qui niche en son lit par<br />
un phénomène dynamique continu. Si une personne conserve une continuité en<br />
termes <strong>de</strong> personne humaine, elle évolue au fur et à mesure <strong>de</strong> ses expériences mais<br />
aussi et surtout au fur et à mesure <strong>de</strong>s échanges qu’elle peut avoir avec son<br />
entourage.<br />
105
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
L’étudiante infirmière vit cette tension toute particulière entre ce qui est<br />
continuité, à savoir sa personne avec son vécu, ses valeurs, ses expériences qui ont<br />
forgé son caractère et sa compréhension du mon<strong>de</strong> et, d’un autre côté, ses<br />
interactions nouvel<strong>les</strong> avec un mon<strong>de</strong> méconnu, une profession elle-même marquée<br />
d’une i<strong>de</strong>ntité, <strong>de</strong>s patients avec leur histoire, et <strong>de</strong>s professionnels ayant chacun<br />
également leur trajectoire personnelle et professionnelle.<br />
Il importe donc <strong>de</strong> savoir comment se construit l’i<strong>de</strong>ntité personnelle pour<br />
pouvoir mieux cerner la dimension <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et la manière dont<br />
celle-ci se construit tout au long <strong>de</strong> la formation du futur infirmier.<br />
4.2 Compréhension du concept<br />
Le questionnement autour <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité n’est pas nouveau. Il fait l’objet <strong>de</strong> bien<br />
<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>puis fort longtemps déjà, tant au niveau <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité personnelle que<br />
sociale ou professionnelle. Déjà certains philosophes présocratiques, tels Parméni<strong>de</strong><br />
ou Héraclite, se sont interrogés sur le lien possible entre <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> changement et<br />
d’i<strong>de</strong>ntité, question encore pleinement d’actualité aujourd’hui. Certains auteurs<br />
actuels parlent même <strong>de</strong> crise d’i<strong>de</strong>ntité (Dubar, 2000). Le fait est que l’i<strong>de</strong>ntité<br />
interroge <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> facettes <strong>de</strong> la personnalité, <strong>de</strong> l’histoire du sujet, <strong>de</strong> son<br />
expérience, <strong>de</strong> ses schèmes cognitifs, <strong>de</strong> ses valeurs et interroge <strong>de</strong> façon plus globale<br />
la société et ses changements.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité trouve un ancrage <strong>dans</strong> différentes disciplines, et tous <strong>les</strong> auteurs<br />
ayant étudié ce thème s’enten<strong>de</strong>nt à souligner la complexité <strong>de</strong> cette notion.<br />
Complexe parce que dynamique, en constante évolution, du début jusqu’à la fin <strong>de</strong> la<br />
vie, et complexe également parce que soumise à l’influence du contexte au travers <strong>de</strong><br />
relations socia<strong>les</strong> et <strong>de</strong> trajectoires conditionnées socialement : elle est le « produit<br />
<strong>de</strong>s socialisations successives » (Dubar, 1999, p.5).<br />
Lipiansky insiste sur le caractère infini <strong>de</strong> la construction i<strong>de</strong>ntitaire, marquée<br />
par <strong>de</strong>s « ruptures et <strong>de</strong>s crises » jusqu’à la mort <strong>de</strong> l’individu (Lipiansky, 1992,<br />
p.37).<br />
L’i<strong>de</strong>ntité unit en son sein la continuité et le mouvement, marquée par <strong>de</strong>s<br />
phases régulières d’accommodation et <strong>de</strong> conflit. Elle unit ce qui reste permanent sur<br />
106
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
la durée : mêmeté (i<strong>de</strong>m) et ce qui évolue <strong>dans</strong> une logique d’ipséité (ipse). La<br />
mêmeté représente la persistance <strong>dans</strong> le temps du noyau i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> la personne,<br />
tandis que l’ipséité, en tant que démarche du soi vers le mon<strong>de</strong>, constitue la partie <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité qui se laisse façonner par ce contact avec le mon<strong>de</strong>. En cela elle définit le<br />
caractère spécifique du sujet (Dubar, 2000, p.2).<br />
Dans le phénomène i<strong>de</strong>ntitaire on distingue <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> que sont : l’i<strong>de</strong>ntité<br />
personnelle, i<strong>de</strong>ntité pour soi et l’i<strong>de</strong>ntité sociale, i<strong>de</strong>ntité pour l’Autre. La<br />
construction i<strong>de</strong>ntitaire joue donc sur <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux tableaux <strong>de</strong> façon permanente. Les<br />
représentations que l’individu a <strong>de</strong> lui-même et la manière dont il se perçoit<br />
interagissent en permanence avec la manière dont il est perçu par <strong>les</strong> autres. C’est ce<br />
qui fait dire à Dubar que « l’i<strong>de</strong>ntité pour soi est corrélative d’Autrui et <strong>de</strong> sa<br />
reconnaissance » (Dubar, 1999, p.110). Sans l’Autre qui me reconnaît, mon i<strong>de</strong>ntité<br />
n’est pas viable.<br />
Selon Tap (2004), l’i<strong>de</strong>ntité nous permet <strong>de</strong> rester nous-mêmes et <strong>de</strong>venir nous-<br />
mêmes avec <strong>les</strong> autres et à travers <strong>les</strong> autres. Il énonce 6 caractéristiques impliquées<br />
<strong>dans</strong> la construction et la dynamique <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité :<br />
La continuité : ce qui nous permet <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r notre stabilité intérieure,<br />
La représentation, que nous avons <strong>de</strong> nous et qui se confronte régulièrement<br />
avec celle que <strong>les</strong> autres ont <strong>de</strong> nous.<br />
L’unicité : notre conscience d’être <strong>de</strong>s êtres uniques, jamais semblab<strong>les</strong> en tous<br />
points,<br />
La diversité : la capacité à vivre plusieurs rô<strong>les</strong> <strong>dans</strong> notre quotidien, ce qui<br />
nous ai<strong>de</strong> à gérer nos différentes activités mais ne doit pas se muer en<br />
dispersion,<br />
L’action : une ai<strong>de</strong> à la réalisation <strong>de</strong> soi. Elle est le pendant du principe <strong>de</strong><br />
continuité mettant en valeur le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l’être humain par son action,<br />
Estime <strong>de</strong> soi : nécessaire pour nous ai<strong>de</strong>r à construire une i<strong>de</strong>ntité stable.<br />
La prise en compte <strong>de</strong> ces dimensions <strong>dans</strong> la formation professionnelle<br />
infirmière revêt un caractère particulièrement important sur le plan <strong>de</strong> la<br />
construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité ne constitue pas une carapace attitrée à un rôle et qu’il suffirait<br />
d’endosser à un moment donné. Elle est un construit complexe. L’i<strong>de</strong>ntité<br />
107
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
professionnelle vient s’ancrer à une i<strong>de</strong>ntité personnelle déjà présente et qui<br />
constitue ce que nous avons <strong>de</strong> plus intime (Lipiansky, 1992). Dans cette i<strong>de</strong>ntité,<br />
nous percevons la continuité <strong>de</strong> notre être, avec une référence à <strong>de</strong>s connaissances,<br />
<strong>de</strong>s valeurs, un vécu, c’est-à-dire <strong>de</strong>s éléments qui font notre singularité. C’est au<br />
travers <strong>de</strong> notre i<strong>de</strong>ntité que nous affirmons ce que nous sommes et comment nous<br />
nous distinguons <strong>de</strong> nos semblab<strong>les</strong>. Mais c’est également cette i<strong>de</strong>ntité qui nous<br />
confère une position <strong>dans</strong> la société. En tant que la vie est un mouvement dynamique,<br />
l’i<strong>de</strong>ntité est également mue par un mouvement perpétuel au fur et à mesure <strong>de</strong> nos<br />
expériences, <strong>de</strong>s changements qui s’opèrent au cours <strong>de</strong> notre existence. L’i<strong>de</strong>ntité<br />
personnelle est ainsi une i<strong>de</strong>ntité qui nous affirme en tant que personne singulière,<br />
en tant que Moi. L’i<strong>de</strong>ntité sociale, en revanche, nous affirme et nous définit<br />
davantage par rapport à l’Autre. Il s’agit d’une i<strong>de</strong>ntité attribuée (Dubar, 2006). Elle<br />
se base sur notre appartenance à une profession, une position sociale, un rôle<br />
particulier. « L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle constitue une instance fondamentale <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité sociale. » (Dallaire, 2008, p.443). Elle comporte <strong>de</strong>s aspects gratifiants<br />
<strong>dans</strong> la mesure où elle nous donne une place socialement.<br />
4.2.1 I<strong>de</strong>ntité personnelle<br />
L’individu construit son i<strong>de</strong>ntité tout au long <strong>de</strong> son existence en suivant un<br />
certain nombre d’étapes relativement structurées. L’i<strong>de</strong>ntité personnelle nous affirme<br />
en tant que personne singulière, en tant que Moi. C’est ce qui fait que nous nous<br />
percevons comme i<strong>de</strong>ntique à nous-mêmes en regard <strong>de</strong> connaissances, <strong>de</strong> valeurs,<br />
<strong>de</strong> représentations… qui sont nôtres et nous permettent <strong>de</strong> nous percevoir <strong>dans</strong> notre<br />
singularité et notre unicité (Gohier et al., 2005).<br />
Tap (1998, p. 65) définit l’i<strong>de</strong>ntité personnelle comme étant<br />
« l’ensemble <strong>de</strong>s représentations et <strong>de</strong>s sentiments qu’une personne<br />
développe à propos d’elle-même. Une autre façon serait <strong>de</strong> dire que<br />
l’i<strong>de</strong>ntité personnelle c’est ce qui permet <strong>de</strong> rester le même, <strong>de</strong> se réaliser<br />
soi-même et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir soi-même, <strong>dans</strong> une société et une culture<br />
données, et en relation avec <strong>les</strong> autres ».<br />
108
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Prenant racine <strong>dans</strong> le plus jeune âge, pour certains auteurs <strong>dans</strong> la phase <strong>de</strong><br />
gestation déjà, la construction que la personne fait d’elle-même, la manière dont elle<br />
se perçoit et perçoit le mon<strong>de</strong> constitue sa structure psychologique, <strong>dans</strong> laquelle elle<br />
va inscrire la suite <strong>de</strong> ses expériences et ses relations. Dans son sens restreint,<br />
l’i<strong>de</strong>ntité personnelle évoque l’i<strong>de</strong>ntité que l’individu a <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong> sa singularité et <strong>de</strong><br />
sa vie entrevue comme un continuum sur l’échelle <strong>de</strong> l’existence. Il se voit <strong>dans</strong> son<br />
caractère i<strong>de</strong>ntique, malgré le temps qui passe.<br />
Ruano-Borbalan (2001), en reprenant <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> Tap et d’autres auteurs.<br />
décline plusieurs dimensions <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité personnelle.<br />
Le désir <strong>de</strong> continuité du sujet qui s’exprime <strong>dans</strong> la volonté <strong>de</strong> s’inscrire <strong>dans</strong><br />
une lignée. L’individu s’inscrit <strong>dans</strong> l’histoire passée en se l’appropriant, il<br />
met en valeur le présent et <strong>les</strong> choix qu’il fait pour préparer le futur et son<br />
i<strong>de</strong>ntité à constituer. Dans le cas d’un fonctionnement normal, le mouvement<br />
constant du passé au futur permet à l’individu <strong>de</strong> donner sens à son présent ;<br />
Le sentiment d’unité ou <strong>de</strong> cohérence qui représente la concordance entre la<br />
manière dont l’individu se perçoit et ce que <strong>les</strong> autres pensent <strong>de</strong> lui. Plus<br />
cette cohérence est importante et plus la personne se sent stable <strong>dans</strong> son<br />
i<strong>de</strong>ntité ;<br />
Le processus <strong>de</strong> séparation et intégration qui permet <strong>de</strong> se distancer d’une<br />
i<strong>de</strong>ntité antérieure pour s’ouvrir à <strong>de</strong> nouveaux repères i<strong>de</strong>ntitaires, mais qui<br />
permet également <strong>de</strong> voir cohabiter plusieurs i<strong>de</strong>ntités en une même personne<br />
(professionnel, époux, père <strong>de</strong> famille…) et <strong>de</strong> voir évoluer ces i<strong>de</strong>ntités avec<br />
le cours <strong>de</strong> la vie ;<br />
L’incarnation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité en actes par <strong>les</strong>quels elle se réalise, s’affirme et se<br />
renforce, donnant à l’individu la capacité <strong>de</strong> gérer le changement tout en<br />
assurant une continuité ;<br />
L’i<strong>de</strong>ntité comme relevant d’une structure psychologique permettant à la<br />
personne <strong>de</strong> comprendre le mon<strong>de</strong>, d’effectuer <strong>de</strong>s choix sélectifs <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
informations et <strong>les</strong> options proposées.<br />
Ces trois <strong>de</strong>rniers points mettent clairement en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> différents domaines<br />
109
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels <strong>les</strong> étudiantes vont subir <strong>de</strong>s modifications <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité. Ces<br />
modifications ne sont pas toujours linéaires et évi<strong>de</strong>ntes. Nos valeurs éthiques et<br />
culturel<strong>les</strong> jouent un rôle essentiel <strong>dans</strong> notre i<strong>de</strong>ntité à laquelle el<strong>les</strong> donnent sens<br />
(Malewska-Peyre, 1999). À ce niveau, la réflexion éthique portant à la fois sur la<br />
compréhension et la cohérence, mais également sur la dimension <strong>de</strong> l’agir<br />
responsable prend tout son sens.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité ne saurait se référer uniquement à la perception <strong>de</strong> soi par l’individu.<br />
Elle constitue également un ensemble <strong>de</strong> représentations et <strong>de</strong> sentiments qui lui<br />
permettent <strong>de</strong> se reconnaître à la fois comme i<strong>de</strong>ntique et différent <strong>de</strong> ses semblab<strong>les</strong>.<br />
Elle est ce qui lui permet d’exister sur un plan social et d’assumer ses rô<strong>les</strong>, en se<br />
sachant reconnu par autrui (Tap, 2004). L’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’enfant se construit d’abord par<br />
rapport à ses parents, à son cadre familial, mais aussi par rapport à son milieu<br />
éducatif, son milieu social, ses fréquentations, ses activités sportives, son univers<br />
scolaire… ainsi que par la reconnaissance qu’on lui accor<strong>de</strong>. Dubar relève ce double<br />
mouvement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification revendiquée par soi ou par <strong>les</strong> autres en parlant<br />
« d’i<strong>de</strong>ntité pour soi » et « d’i<strong>de</strong>ntité pour autrui » (Dubar, 2000, p.4). Nos<br />
semblab<strong>les</strong> jouent un rôle parfois essentiel <strong>dans</strong> notre construction i<strong>de</strong>ntitaire « Car<br />
l’autre, en incarnant <strong>dans</strong> sa vie une manière particulière d’être pleinement<br />
humain, peut me prêter <strong>de</strong>s repères pour édifier ma personne » (Jollien, 2006,<br />
p.15). Ce lien <strong>de</strong> soi à l’Autre dont le caractère est indispensable, peut aussi<br />
constituer une source d’inquiétu<strong>de</strong> ; le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> sa propre i<strong>de</strong>ntité étant lié à la<br />
relation établie avec autrui et à sa « reconnaissance ». C’est ce qui conduit Dubar à<br />
définir l’i<strong>de</strong>ntité comme<br />
« le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif,<br />
subjectif et objectif, biographique et structurel, <strong>de</strong>s divers processus <strong>de</strong><br />
socialisation qui, conjointement, construisent <strong>les</strong> individus » (Dubar cité<br />
par Lanza, 1997, p.25).<br />
On relève donc <strong>les</strong> dimensions à la fois cognitives et affectives en lien avec ce<br />
concept. Il pointe vers trois dimensions importantes que sont : la représentation <strong>de</strong><br />
soi, la conscience <strong>de</strong> soi ainsi que l’image <strong>de</strong> soi. Trois éléments essentiels pour<br />
Mucchielli qui nous rappellent que pour « Erickson, l’i<strong>de</strong>ntité n’existe que par le<br />
110
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
sentiment d’i<strong>de</strong>ntité. » (Muchielli, 1999, p.24).<br />
Habiter un rôle <strong>de</strong> futur professionnel soignant exige <strong>de</strong> recourir à une<br />
introspection qui réfléchisse cette représentation <strong>de</strong> soi, cette conscience et cette<br />
image <strong>de</strong> soi afin <strong>de</strong> l’intégrer à une réalité concrète.<br />
4.2.2 I<strong>de</strong>ntité sociale<br />
Pour Lipiansky, l’i<strong>de</strong>ntité sociale<br />
« résulte <strong>de</strong> la position du sujet <strong>dans</strong> sa culture, <strong>dans</strong> sa société et <strong>de</strong><br />
son appartenance à différentes catégories socia<strong>les</strong> : rô<strong>les</strong> sociaux,<br />
profession, statut… et par sa situation <strong>de</strong> relation avec autrui »<br />
(Lipiansky, 1999, p.173).<br />
L’i<strong>de</strong>ntité sociale naît à l’intersection <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mouvements que sont le<br />
mouvement interne <strong>de</strong> l’individu vers lui et le mouvement externe, <strong>de</strong> l’individu<br />
vers le mon<strong>de</strong> et <strong>les</strong> institutions avec <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il interagit (Dubar, 1999). Dès le plus<br />
jeune âge, l’enfant i<strong>de</strong>ntifie ses groupes d’appartenance <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels il s’inscrit et<br />
dont il tente <strong>de</strong> répondre aux attentes. Il cherche à s’i<strong>de</strong>ntifier également à <strong>de</strong>s<br />
groupes encore inaccessib<strong>les</strong> mais qui constituent <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> et que sont <strong>les</strong><br />
groupes <strong>de</strong> référence (Lipiansky, 1999). L’entrée à l’école représente un moment<br />
important pour le processus <strong>de</strong> socialisation <strong>de</strong> l’enfant. Dubar reprenant <strong>les</strong> écrits <strong>de</strong><br />
Mead explique l’importance <strong>de</strong> cette étape en précisant que le regard <strong>de</strong> l’Autre qui<br />
contribue à construire l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’enfant n’est plus uniquement un individu, mais<br />
une collectivité, ce que Mead nomme « l’autrui généralisé » (Dubar, 1998, p.136).<br />
Grâce à son i<strong>de</strong>ntité sociale, l’individu peut dire qui il est, ce qui le catégorise<br />
socialement et lui permet <strong>de</strong> se sentir reconnu. Pour cela, il a besoin du regard <strong>de</strong><br />
l’Autre qui lui renvoie son image, risquant toujours que cette <strong>de</strong>rnière ne<br />
correspon<strong>de</strong> pas à sa vision, ce qui fait dire à Dubar que « l’i<strong>de</strong>ntité n’est jamais<br />
donnée, elle est toujours construite et à (re)construire <strong>dans</strong> une incertitu<strong>de</strong><br />
plus ou moins gran<strong>de</strong> et plus ou moins durable » (Dubar, 1999, p.109).<br />
L’i<strong>de</strong>ntité sociale se construit donc à la croisée du Soi, <strong>de</strong> son appartenance<br />
sociale et <strong>de</strong> son implication sociale. Le Soi ne constitue en aucun cas une production<br />
111
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
individuelle, mais résulte <strong>de</strong>s interactions <strong>de</strong> l’individu avec <strong>les</strong> personnes autour <strong>de</strong><br />
lui (Cohen-Scali & Guichard, 2008). D’un côté il s’i<strong>de</strong>ntifie à ce groupe, et <strong>de</strong> l’autre,<br />
il s’en différencie. En cela il affronte <strong>de</strong>s tendances contradictoires d’assimilation et<br />
<strong>de</strong> différenciation, d’i<strong>de</strong>ntification et <strong>de</strong> distinction.<br />
Par le Soi on entend l’importance reconnue par l’individu d’exister pour <strong>les</strong><br />
autres, d’être reconnu. Ce Soi évolue avec l’évaluation <strong>de</strong>s autres et l’acceptation ou<br />
le refus qu’il en fait. Mais le Soi permet également l’i<strong>de</strong>ntification indispensable à<br />
l’acquisition <strong>de</strong> nouveaux rô<strong>les</strong> sociaux. L’image <strong>de</strong> soi est donc dépendante <strong>de</strong>s<br />
autres, ce qui pour autant ne la « réduit pas à la fonction d’adaptation aux<br />
autres et aux conditions extérieures » (Malewska-Peyre, 1999, p.141).<br />
L’appartenance sociale quant à elle revêt une gran<strong>de</strong> importance pour<br />
l’adhésion du sujet à un groupe, quel qu’il soit, avec lequel il partage certains<br />
attributs. Dans une première phase, avant son acceptation par le groupe, l’individu<br />
commence à en intérioriser <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> et <strong>les</strong> valeurs. Il intériorise également <strong>les</strong> rô<strong>les</strong><br />
ou <strong>les</strong> statuts en lien avec ce groupe et s’implique alors personnellement au sein <strong>de</strong><br />
celui-ci. Par ce processus, il est conduit à l’implication sociale.<br />
Le groupe revêt à la fois un caractère rassurant et un caractère inquiétant, voire<br />
dangereux. Tap (1998) met fort bien en évi<strong>de</strong>nce l’ambigüité <strong>dans</strong> laquelle le rapport<br />
au groupe nous plonge. En effet, d’un côté, l’i<strong>de</strong>ntification au groupe <strong>de</strong>s individus<br />
ou à un <strong>de</strong> ses membres signifie que je me rapproche d’eux et m’éloigne par là-même<br />
<strong>de</strong> ma propre i<strong>de</strong>ntité, ce qui pourrait être vécu comme un danger. Mais pourtant, la<br />
construction i<strong>de</strong>ntitaire nécessite, nous l’avons vu, ce processus d’i<strong>de</strong>ntification qui<br />
est également sécurisant. Les groupes d’appartenance constituent une « source<br />
essentielle d’i<strong>de</strong>ntités » (Dubar, 2000, p.5). Il faut alors simplement « savoir<br />
revenir chez soi, si l’on veut forger son i<strong>de</strong>ntité personn elle » (Tap, 1998, p.67),<br />
c’est-à-dire passer par le processus d’i<strong>de</strong>ntisation, qui permet au sujet <strong>de</strong> se<br />
différencier et <strong>de</strong> s’affirmer <strong>dans</strong> son individualité.<br />
L’assimilation <strong>de</strong> la profession infirmière à la corporation qui la représente, à<br />
l’histoire qui la porte, et aux mouvements inter et intra-professionnels, permet à<br />
l’étudiante <strong>de</strong> se créer une i<strong>de</strong>ntité sociale.<br />
La construction i<strong>de</strong>ntitaire, loin d’être un long fleuve tranquille, est un<br />
processus « marqué par <strong>de</strong>s ruptures et <strong>de</strong>s crises, inachevé et toujo urs<br />
112
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
repris » (Lipiansky, 1998, p.27). En ce sens, elle nécessite un accompagnement.<br />
Comment situer à présent l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle entre cette i<strong>de</strong>ntité<br />
personnelle et cette i<strong>de</strong>ntité sociale ?<br />
Dans la compréhension <strong>de</strong> Lipiansky,<br />
« l’i<strong>de</strong>ntité oppose et articule donc, <strong>dans</strong> une même dynamique, le<br />
personnel et le social, l’image que l’on a <strong>de</strong> soi et celle qu’on offre à<br />
autrui, le <strong>de</strong><strong>dans</strong> et le <strong>de</strong>hors. Une barrière, fondatrice <strong>de</strong><br />
l’individualité, sépare et fait communiquer en même temps l’intérieur<br />
et l’extérieur, la personne intime et le personnage social » (Lipiansky,<br />
1992, p.60).<br />
Sainsaulieu quant à lui se veut moins dichotomique. Il reconnaît volontiers <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité abordés par Lipiansky mais sans <strong>les</strong> diviser <strong>de</strong> façon si<br />
marquée. L’aspect personnel <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité qu’il nomme l’ipséité et qui représente la<br />
continuité du sujet, s’articule avec l’expérience du mon<strong>de</strong> extérieur. C’est alors le Soi<br />
qui assure cette articulation comme médiateur, chargé <strong>de</strong> garantir la cohérence<br />
(Sainsaulieu, 1996).<br />
Mais <strong>les</strong> chemins à parcourir entre <strong>les</strong> i<strong>de</strong>ntités attribuées, héritées, ou <strong>les</strong><br />
i<strong>de</strong>ntités visées ne sont pas sans embûches. Il y a régulièrement <strong>de</strong>s heurts et <strong>de</strong>s<br />
conflits pour <strong>les</strong>quels la personne doit pouvoir mettre en place <strong>de</strong>s stratégies<br />
i<strong>de</strong>ntitaires. Si l’individu parvient à percevoir la modification <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité comme<br />
inhérente à une continuité, alors il peut éviter la crise. Les stratégies i<strong>de</strong>ntitaires vont<br />
favoriser ce mécanisme.<br />
Viser une i<strong>de</strong>ntité professionnelle, qui plus est une i<strong>de</strong>ntité socialement chargée<br />
<strong>de</strong> nombreuses représentations, n’est pas sans conséquence sur l’équilibre <strong>de</strong>s<br />
i<strong>de</strong>ntités en place, et le Soi a fort à faire pour rétablir l’équilibre. Il est à présent<br />
important d’observer <strong>les</strong> caractéristiques <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité professionnelle pour<br />
observer la dynamique qui lui est liée.<br />
113
4.2.3 I<strong>de</strong>ntité professionnelle<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
La question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité se complexifie encore lorsque l’on parle <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle. Aux autres paramètres se rajoute encore celui <strong>de</strong> l’appartenance à un<br />
corps professionnel, chargé lui aussi d’histoire, jamais figé mais soumis à une<br />
évolution constante qui vient se greffer sur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle déjà formée et qui<br />
constitue ce que nous avons <strong>de</strong> plus intime (Dallaire, 2008). Sans passer sous silence<br />
l’importance du contexte socio-culturel et <strong>de</strong> l’héritage familial, Sainsaulieu insiste<br />
sur le rôle essentiel <strong>de</strong> l’univers <strong>de</strong> travail, en particulier <strong>de</strong>s dynamiques<br />
relationnel<strong>les</strong> professionnel<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> le façonnage <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s personnes.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle constitue une instance fondamentale <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
sociale puisqu’elle permet à l’individu d’obtenir une place et <strong>de</strong> jouer un rôle précis<br />
<strong>dans</strong> la société. Elle n’en <strong>de</strong>meure pas moins une notion complexe et la question se<br />
pose <strong>de</strong> savoir comment elle est travaillée et développée en école. Elle est supposée<br />
acquise en fin <strong>de</strong> formation, mais quel<strong>les</strong> en sont réellement <strong>les</strong> composantes, <strong>les</strong><br />
enjeux, <strong>les</strong> spécificités ?<br />
Pour Dubar, l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle se compose à la fois d’une partie interne,<br />
une i<strong>de</strong>ntité propre qui découle <strong>de</strong> notre histoire, et d’une partie externe, une i<strong>de</strong>ntité<br />
conférée par <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> formation et le milieu <strong>de</strong> travail <strong>dans</strong> lequel s’exerce<br />
la profession. Il distingue ces <strong>de</strong>ux logiques i<strong>de</strong>ntitaires par :<br />
Un volet d’analyse diachronique <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité pour soi par lequel l’individu<br />
se perçoit <strong>dans</strong> son cheminement personnel ;<br />
Un volet d’analyse synchronique par lequel l’individu se perçoit <strong>dans</strong> son<br />
i<strong>de</strong>ntité construite au cœur <strong>de</strong> son univers professionnel et <strong>de</strong>s rapports<br />
dynamiques qui sous-ten<strong>de</strong>nt ce « véritable système social » (Lanza,<br />
1997, p.72).<br />
Dubar souligne ainsi la responsabilité que nous avons en tant qu’acteurs <strong>dans</strong><br />
un établissement <strong>de</strong> formation <strong>dans</strong> la construction i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong>s étudiants.<br />
Cette responsabilité est d’autant plus gran<strong>de</strong> que notre société fait face à une<br />
crise d’i<strong>de</strong>ntité forte qui « atteint le sens <strong>de</strong>s professions et leur inscription<br />
sociale » (Legault, 2003, p.183). Face à cette crise i<strong>de</strong>ntitaire, l’espace dialogique que<br />
l’éthique rend fertile, <strong>de</strong>vient indispensable. Si elle est l’initiatrice du questionnement<br />
114
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
<strong>dans</strong> le dialogue, adoptant alors une fonction <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>, elle est également l’initiatrice<br />
d’une évolution personnelle et collective, par le biais <strong>de</strong> ce même questionnement sur<br />
le sens et sur la mesure <strong>de</strong> l’engagement du professionnel.<br />
En interrogeant notre i<strong>de</strong>ntité, l’éthique interroge ce que nous sommes au plus<br />
profond <strong>de</strong> nous-mêmes, c’est-à-dire <strong>de</strong> nos valeurs et <strong>de</strong> nos motivations. Elle nous<br />
engage et fon<strong>de</strong> à la fois notre pensée et notre action. Interroger cette notion<br />
d’i<strong>de</strong>ntité, c’est réfléchir aux valeurs qui nous animent pour en constater l’impact et<br />
la portée. La dimension éthique inhérente à la notion d’i<strong>de</strong>ntité est donc centrale. Il<br />
nous semble que cette dimension est peu explorée durant la formation, alors qu’elle<br />
constitue le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité infirmière. Ce sont <strong>de</strong> jeunes adultes,<br />
parfois à peine sortis <strong>de</strong> l’ado<strong>les</strong>cence, et qui sont souvent eux-mêmes encore aux<br />
prises avec l’affirmation <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité personnelle. Malgré cet état encore instable,<br />
ces jeunes doivent pouvoir se construire une i<strong>de</strong>ntité professionnelle forte, capable<br />
<strong>de</strong> faire face aux difficultés <strong>de</strong> leur pratique future.<br />
« Les i<strong>de</strong>ntités professionnel<strong>les</strong> sont <strong>de</strong>s manières socialement<br />
reconnues, pour <strong>les</strong> individus, <strong>de</strong> s’i<strong>de</strong>ntifier <strong>les</strong> uns <strong>les</strong> autres, <strong>dans</strong> le<br />
champ du travail et <strong>de</strong> l’emploi. » (Dubar, 2000, p.95).<br />
L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle est donc en soi une forme <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité sociale<br />
puisqu’elle se joue <strong>dans</strong> l’interaction avec l’environnement. Pour Cohen-Scali, ce qui<br />
distingue l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, ce n’est pas tant l’adhésion au groupe spécifique<br />
que la nécessité d’en acquérir le droit d’entrée (diplôme) (Cohen-Scali, 2000).<br />
L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle voit la dialectique « continuité-distinction » <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité personnelle contrebalancée par une autre dialectique, collective cette fois,<br />
l’« i<strong>de</strong>ntification-distinction ». Portée par <strong>de</strong>s représentations, l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle se transforme avec <strong>les</strong> étu<strong>de</strong>s et la confrontation avec la réalité. Elle<br />
est marquée par <strong>de</strong>s transactions subjectives entre l’i<strong>de</strong>ntité héritée et l’i<strong>de</strong>ntité visée,<br />
ainsi que par <strong>de</strong>s transactions objectives entre l’i<strong>de</strong>ntité attribuée et l’i<strong>de</strong>ntité<br />
assumée (Dubar, 1999).<br />
L’estime <strong>de</strong> soi est au centre <strong>de</strong> ce processus car la reconnaissance sociale ne<br />
saurait suffire. Elle doit se doubler <strong>de</strong> reconnaissance affective.<br />
115
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle a pour objet premier la profession elle-même et<br />
l’i<strong>de</strong>ntité au groupe <strong>dans</strong> lequel elle se vit. En effet, si<br />
« donc l’i<strong>de</strong>ntité personnelle s’appuie sur l’intériorisation du social,<br />
réciproquement le social s’élabore aussi par projection <strong>de</strong>s attributs <strong>de</strong><br />
l’individualité au groupe. » (Lipiansky, 1998, p.145).<br />
Et l’auteur <strong>de</strong> faire remarquer la tendance forte à la personnification d’une<br />
communauté. La profession infirmière <strong>de</strong>vient détentrice <strong>de</strong>s mêmes attributs qu’une<br />
personne, ce qui facilite l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> l’étudiante à son groupe d’appartenance<br />
professionnel mais permet également à la profession <strong>de</strong> prendre sa place parmi<br />
d’autres groupes, tel celui <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins par exemple, <strong>de</strong>s laborantins, <strong>de</strong>s<br />
kinésithérapeutes, <strong>de</strong>s sages-femmes… Elle dégage <strong>de</strong>s spécificités qui lui sont<br />
propres mais emprunte également à ces groupes et échange avec eux.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle est, tout comme l’i<strong>de</strong>ntité personnelle, un processus<br />
en continuelle évolution. Elle se construit au fil <strong>de</strong>s expériences professionnel<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s<br />
rencontres, <strong>de</strong>s situations et <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> travail mais aussi <strong>de</strong>s représentations et<br />
<strong>de</strong>s connaissances.<br />
Cette i<strong>de</strong>ntité continue <strong>de</strong> se transformer et <strong>de</strong> se construire tout au long du<br />
parcours professionnel, jusqu’au moment <strong>de</strong> l’abandon <strong>de</strong> la profession par <strong>de</strong>ux<br />
mécanismes distincts que sont l’i<strong>de</strong>ntisation (singularité) et l’i<strong>de</strong>ntification<br />
(appartenance) (Gohier, 2005). Une part importante prend déjà naissance durant la<br />
formation. Les étudiants ne choisissent généralement pas cette profession par hasard.<br />
Ils commencent leur formation avec <strong>de</strong>s représentations <strong>de</strong> la pratique<br />
professionnelle déjà fortement ancrées. Leur i<strong>de</strong>ntité va se construire ensuite au fur<br />
et à mesure <strong>de</strong> la formation. Dans la formation par alternance, la construction <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle ne saurait être le seul privilège <strong>de</strong>s stages pratiques même<br />
si le processus d’i<strong>de</strong>ntification à la communauté professionnelle y trouve une large<br />
part. La pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> formation théorique en école va également contribuer largement<br />
à son élaboration, en particulier lorsqu’il sera question du rôle professionnel, du<br />
positionnement et du statut <strong>de</strong> soignant. Le temps <strong>de</strong> la formation constitue par<br />
conséquent un terreau particulièrement fertile qui va façonner l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle <strong>de</strong> l’étudiante. Il reste à saisir notre part <strong>de</strong> responsabilité <strong>dans</strong> la<br />
116
fertilisation <strong>de</strong> ce terreau.<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
L’enjeu est important car, <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong> cette profession, le positionnement<br />
et l’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire sont non seulement essentiels <strong>de</strong> par la nature du travail<br />
en lui-même et <strong>les</strong> difficultés auxquel<strong>les</strong> celui-ci nous confronte, mais également du<br />
fait que l’enjeu <strong>de</strong> la prise en charge est un être humain, avec toute la dimension <strong>de</strong><br />
dignité que Kant a si bien soulignée. La question est dès lors <strong>de</strong> savoir quel rôle la<br />
formation doit jouer <strong>dans</strong> le processus <strong>de</strong> construction i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> l’individu, et<br />
comment <strong>les</strong> expériences <strong>de</strong> stages et <strong>les</strong> réflexions en formation peuvent être mises<br />
en lien.<br />
Cependant, cette question ne saurait faire fi <strong>de</strong>s spécificités qui marquent la<br />
profession. Concernant l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession infirmière, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sources qui<br />
font principalement obstacle à une construction i<strong>de</strong>ntitaire paisible et stable sont :<br />
Le fait que la profession est marquée du sceau <strong>de</strong> l’histoire et qu’elle a été<br />
comme nous l’avons vu, très longtemps réservée aux femmes, que l’on a<br />
confinées à <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> domestiques et <strong>de</strong> service très peu valorisés.<br />
S’il est vrai que <strong>de</strong>puis le milieu <strong>de</strong>s années 1960 la configuration a un peu<br />
changé avec l’accès <strong>de</strong>s femmes au marché du travail, puis à différentes<br />
carrières <strong>dans</strong> une mutation <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> qui débor<strong>de</strong> largement la sphère<br />
professionnelle, l’infirmière n’a toujours pas, à l’heure actuelle en Suisse, <strong>de</strong><br />
statut propre. Elle est encore considérée comme la personne qui secon<strong>de</strong> le<br />
mé<strong>de</strong>cin.<br />
L’autre point névralgique rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> l’évolution <strong>de</strong> notre société. En effet,<br />
celle-ci ne facilite pas le développement d’une i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />
L’exigeant <strong>de</strong>voir kantien cè<strong>de</strong> la place à une morale <strong>de</strong> l’autonomie et du<br />
libre choix <strong>de</strong>s décisions.<br />
C’est <strong>dans</strong> la pratique, au cœur <strong>de</strong>s échanges, <strong>de</strong>s conflits, <strong>de</strong>s représentations<br />
collectives, <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong> savoir, savoir-faire et savoir-être, <strong>dans</strong> un lieu<br />
d’échange permanent, que la future infirmière <strong>de</strong>vrait pouvoir auto-construire et co-<br />
construire peu à peu son i<strong>de</strong>ntité. Mais si ses « aspirations initia<strong>les</strong> et la<br />
117
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
confrontation à <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> i<strong>de</strong>ntitaires vont conduire l’étudiante à se forger<br />
une i<strong>de</strong>ntité professionnelle » (Boittin, 2002, p.67), celle-ci s’affirme <strong>de</strong> moins en<br />
moins en regard <strong>de</strong> grands systèmes <strong>de</strong> référence déontologiques professionnels ou<br />
corporatifs.<br />
De fait, l’étudiante se trouve parfois en perte <strong>de</strong> repères durant la formation,<br />
confrontée à <strong>de</strong>s logiques professionnel<strong>les</strong> relevant d’i<strong>de</strong>ntités parfois très variées<br />
selon <strong>les</strong> stages. Cette réalité correspond à un phénomène <strong>de</strong> société plus large et<br />
l’hôpital que l’on dit être une « micro-société » en est le reflet.<br />
4.3 De la mo<strong>de</strong>rnité à la crise d’i<strong>de</strong>ntité plurielle<br />
Notre société actuelle est traversée par une « crise du lien social » qui génère<br />
<strong>de</strong>s ruptures d’équilibre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> relations entre individus, mais également <strong>dans</strong> la<br />
construction i<strong>de</strong>ntitaire personnelle <strong>de</strong> chacun (Dubar, 2000, p.10).<br />
Après une analyse détaillée <strong>de</strong> la compréhension historique <strong>de</strong> la notion<br />
d’i<strong>de</strong>ntité et <strong>de</strong>s tribulations que celle-ci a connu, Dubar conclut que <strong>les</strong> modè<strong>les</strong><br />
d’i<strong>de</strong>ntité stab<strong>les</strong> que nous connaissions par le passé sont réellement en crise puisque<br />
leur légitimité ne va plus <strong>de</strong> soi (Dubar, 2000, p.53). L’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> l’individu<br />
avec un modèle semble s’être plus ou moins évincée pour laisser la place à<br />
l’affirmation du « Je » individualiste.<br />
Dans notre société contemporaine, nous vivons une multiplication <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> et<br />
ce sont particulièrement <strong>les</strong> femmes qui sont concernées, jonglant avec le rôle <strong>de</strong><br />
mère, celui d’épouse, <strong>de</strong> responsable du ménage, <strong>de</strong> femme active<br />
professionnellement, <strong>de</strong> femme sportive et j’en passe… La femme doit réunir un<br />
nombre important <strong>de</strong> capacités, tant cognitives, qu’affectives ou organisationnel<strong>les</strong>…<br />
Elle peut se trouver en proie à <strong>de</strong>s difficultés face à <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités multip<strong>les</strong> qui<br />
s’affrontent et ne parviennent pas toujours à organiser leurs transactions sans heurts.<br />
La profession infirmière n’est pas épargnée par la crise ces i<strong>de</strong>ntités multip<strong>les</strong>, elle<br />
connaît, comme bien d’autres, <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s mutations comme le montre Sainsaulieu<br />
<strong>dans</strong> ses travaux récents. Le quotidien a perdu <strong>de</strong> sa stabilité : <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> se<br />
118
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
désunissent, <strong>les</strong> grands repères idéologiques sont délaissés, le mon<strong>de</strong> du travail se<br />
précarise, le politique perd <strong>de</strong> son autorité et la socialisation s’en trouve affectée. En<br />
lien avec ces changements apparaissent <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes d’i<strong>de</strong>ntités multip<strong>les</strong>,<br />
qui cohabitent tant bien que mal au sein d’un même groupe professionnel (Dubar,<br />
1998, p.137).<br />
Il est bien entendu qu’avec l’évolution <strong>de</strong>s mentalités, c’est également le rapport<br />
au travail qui se modifie. Longtemps considéré comme l’activité principale, il est<br />
aujourd’hui mis en concurrence avec une foule d’autres activités. On observe alors<br />
<strong>de</strong>ux tendances qui veulent, l’une, que le travail ne revête plus, pour certains, qu’un<br />
intérêt pécuniaire et pour <strong>les</strong> autres, que la profession constitue une possibilité<br />
d’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire par la reconnaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses compétences. De là, la<br />
vague d’expansion <strong>de</strong> cette notion <strong>de</strong> compétence <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> milieux<br />
professionnels (Dubar, 2000, p.110).<br />
4.4 I<strong>de</strong>ntité : <strong>de</strong> l’étudiante à la soignante<br />
Les programmes <strong>de</strong> formation insistent aujourd’hui sur la nécessité <strong>de</strong>s<br />
étudiants <strong>de</strong> s’adapter à différents contextes <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Le terme <strong>de</strong> flexibilité est<br />
particulièrement plébiscité pour souligner cette nécessaire compétence d’adaptabilité.<br />
Les cours à vocation socioprofessionnelle participent à la construction <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Ce sont ceux qui mettent en avant le «rôle propre » <strong>de</strong><br />
l’infirmière, son i<strong>de</strong>ntité, <strong>les</strong> aspects légaux et déontologiques, <strong>les</strong> cours sur la<br />
professionnalisation et <strong>les</strong> politiques <strong>de</strong> santé, <strong>les</strong> apports sur la méthodologie face à<br />
<strong>de</strong>s dilemmes éthiques.<br />
Les cours à vocation méthodologique contribuent également à la construction<br />
i<strong>de</strong>ntitaire par la transmission <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s (jugement clinique, pose <strong>de</strong> diagnostic<br />
infirmier, éducation du patient, initiation à la recherche…). En quelque sorte, c’est<br />
chaque cours qui apporte sa contribution à l’i<strong>de</strong>ntité, en fonction <strong>de</strong> ce que<br />
l’étudiante est à même d’ingérer au moment où elle le reçoit.<br />
Les étudiantes arrivent <strong>dans</strong> une école <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> non pas comme une<br />
page blanche qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait qu’à être dûment remplie, mais comme <strong>de</strong>s édifices<br />
119
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
en cours <strong>de</strong> construction. Des pierres sont déjà posées qui orientent la manière dont<br />
ils vont appréhen<strong>de</strong>r, comprendre, assimiler <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> connaissances.<br />
« Tout individu qui arrive en formation dispose <strong>de</strong> représentations,<br />
conceptions et connaissances préalab<strong>les</strong> qui auront une influence<br />
importante sur <strong>les</strong> acquisitions ultérieures . » (Bourgeois, 1996).<br />
L’étudiante dispose déjà, comme nous l’avons vu précé<strong>de</strong>mment, d’une i<strong>de</strong>ntité<br />
personnelle et sociale. Elle s’inscrit alors <strong>dans</strong> une dialectique entre l’i<strong>de</strong>ntité héritée,<br />
l’i<strong>de</strong>ntité personnelle formée et la nouvelle i<strong>de</strong>ntité à laquelle elle va être initiée par<br />
la culture professionnelle. Comme toute formation, la formation soignante représente<br />
« une contradiction permanente entre la conformité et l’autonomie » (Tap,<br />
1998, p.68).<br />
Immergée <strong>dans</strong> cette culture, elle va voir son nouveau rôle se développer par<br />
un processus d’i<strong>de</strong>ntification qui la conduit à négocier en permanence <strong>les</strong> tensions<br />
entre son idéal <strong>de</strong> la profession et la réalité qu’elle rencontre. Ce processus, marqué<br />
d’anticipation, est abordé dès <strong>les</strong> premiers cours à l’entrée en formation. Il sera<br />
d’abord théorique, axé autour <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> propres et délégués <strong>de</strong>s soignants. Il<br />
<strong>de</strong>viendra ensuite plus concret lors <strong>de</strong> la confrontation au réel sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong><br />
pratique. Les premiers temps <strong>de</strong> la formation mettent en évi<strong>de</strong>nce une tendance<br />
logique <strong>de</strong>s étudiantes à se mo<strong>de</strong>ler sur ce que la pratique attend d’eux, suivant le<br />
modèle piagétien d’assimilation-accommodation. Tout au long <strong>de</strong> sa formation,<br />
l’étudiante va vivre non seulement le conflit entre ses représentations idéa<strong>les</strong> <strong>de</strong> la<br />
profession et la réalité rencontrée, mais elle va <strong>de</strong>voir encore vivre le conflit entre <strong>les</strong><br />
normes idéa<strong>les</strong> véhiculées par l’institution scolaire et <strong>les</strong> réalités ou pratiques<br />
informel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> hospitaliers ou extra-hospitaliers. Alors que l’école met<br />
l’accent sur <strong>les</strong> connaissances ainsi que sur la nécessité d’une démarche d’analyse<br />
approfondie et d’une réflexion multifocale englobant <strong>les</strong> différents enjeux d’une<br />
situation, la réalité confronte <strong>les</strong> étudiantes au manque <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> personnel, à<br />
une rentabilité et une routine résultant <strong>de</strong> conditions d’exercice souvent diffici<strong>les</strong>.<br />
Leur vision idéalisée d’une profession parfois choisie dès l’enfance, doit faire face à la<br />
vision assombrie <strong>de</strong> professionnels désabusés.<br />
120
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
L’étudiante vit donc à la fois un processus d’assimilation ou d’i<strong>de</strong>ntification,<br />
ainsi qu’un processus toujours plus actif au fur et à mesure <strong>de</strong> l’avancée <strong>de</strong> la<br />
formation qui consiste en une différentiation. Celle-ci le voit prendre son autonomie,<br />
s’inscrire <strong>dans</strong> une perspective singulière à la profession en questionnant sa pratique,<br />
ses actes pour leur conférer leur validité professionnelle.<br />
Pourtant différentes étu<strong>de</strong>s montrent que l’acquisition <strong>de</strong> cette phase<br />
d’autonomie et d’expression singulière d’une pratique, se vit différemment d’une<br />
étudiante à l’autre. Certains d’entre eux restent, jusqu’au terme <strong>de</strong> leur formation,<br />
<strong>dans</strong> une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> conformation, d’accommodation, tant vis-à-vis <strong>de</strong> l’école que<br />
<strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> stage (Haberey-Knuessi, 2010). D’autres étudiants, n’ayant pas réussi à<br />
gérer <strong>les</strong> conflits internes générés par l’i<strong>de</strong>ntification à la nouvelle i<strong>de</strong>ntité, ont senti<br />
leur i<strong>de</strong>ntité personnelle menacée et sont entrés <strong>dans</strong> une situation <strong>de</strong> crise qui, selon<br />
<strong>les</strong> ressources dont ils ont alors disposé, ont eu <strong>de</strong>s conséquences plus ou moins<br />
négatives sur la construction <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité professionnelle (Garnier, 2002).<br />
De ces lectures, nous retenons quatre dimensions pour cerner la difficulté<br />
actuelle <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité sociale et professionnelle <strong>de</strong>s futurs soignants :<br />
tension croissante entre l’idéal enseigné et <strong>les</strong> limites imposées par <strong>les</strong> réalités<br />
<strong>de</strong> la pratique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> ;<br />
nécessité accrue <strong>de</strong> soutenir le développement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> et<br />
une société en perte <strong>de</strong> repères ;<br />
nécessité <strong>de</strong> s’extraire <strong>de</strong> la conception linéaire <strong>de</strong> l’apprentissage d’après un<br />
modèle, à un apprentissage individuel prenant racine <strong>dans</strong> un construit en<br />
constante élaboration ;<br />
nécessité <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> promouvoir l’évolution <strong>de</strong> la profession infirmière en<br />
lui permettant <strong>de</strong> s’extraire <strong>de</strong> son carcan d’humanisme inconditionnellement<br />
dévoué, pour s’ouvrir à un engagement réfléchi, actif et convaincu.<br />
Ces constats multip<strong>les</strong> et diversifiés nous conduisent à penser que la réponse ne<br />
saurait être linéaire et unifocale. Répondre à l’exigence d’une notion aussi complexe<br />
121
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
que l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle interroge nécessairement plusieurs dimensions.<br />
L’éthique, en tant que manière d’être au mon<strong>de</strong> influence notre rapport à nous-<br />
mêmes, à l’Autre, à la profession et au mon<strong>de</strong>. Elle est cet élément fédérateur entre<br />
<strong>les</strong> différentes formes d’i<strong>de</strong>ntités, entre « l’intérieur et l’extérieur, la personne<br />
intime et le personnage social » (Lipiansky, 1992, p.60).<br />
Mais cette éthique que l’on retrouve <strong>dans</strong> chacune <strong>de</strong>s six caractéristiques <strong>de</strong> la<br />
dynamique <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité décrite par Tap (2004), ne saurait rester lettre morte. Elle<br />
s’incarne au contraire <strong>dans</strong> une mise en acte qui, à son tour, vient favoriser la<br />
réalisation <strong>de</strong> soi. Elle contribue à la construction i<strong>de</strong>ntitaire en valorisant le<br />
développement <strong>de</strong> la personne par son action (Tap, 2004).<br />
Or, que cette i<strong>de</strong>ntité soit pensée <strong>dans</strong> le rapport au patient, à la profession ou à<br />
soi-même en tant que personne, la dimension éthique <strong>de</strong>meure centrale comme<br />
fon<strong>de</strong>ment. Cette éthique s’incarne <strong>dans</strong> un agir concret et une manière d’être soi,<br />
d’être à l’autre et d’être à son métier. C’est ici que la notion d’engagement prend tout<br />
son sens. L’engagement est à la fois le résultat d’un positionnement éthique mais<br />
également un moteur, au travers <strong>de</strong> la formation, <strong>de</strong> la relation au patient et <strong>de</strong><br />
l’investissement du rôle professionnel pour la construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />
La notion d’engagement, <strong>dans</strong> sa dimension éthique, réunit donc le Soi,<br />
l’appartenance sociale et professionnelle ainsi que l’implication également sociale et<br />
professionnelle d’une même personne, en créant pour elle le sens et la cohérence<br />
(Lipiansky, 1992).<br />
On comprend ici la centralité <strong>de</strong> ce concept d’engagement qui repose lui-même<br />
sur d’autres concepts et dimensions qui viennent façonner et enrichir ses différentes<br />
facettes.<br />
Ce sujet fera l’objet d’un développement théorique spécifique <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>uxième<br />
partie du présent travail. Il est néanmoins utile <strong>de</strong> convoquer ici quelques-uns <strong>de</strong>s<br />
concepts qui nous semblent jouer un rôle prépondérant <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong><br />
l’engagement professionnel.<br />
En effet, l’infirmière, quelle que soient son âge, sa provenance ou son<br />
expérience, exerce sa profession en étant imprégnée d’une culture institutionnelle et<br />
professionnelle, d’une expérience <strong>de</strong> vie et d’une personnalité propre. Ces<br />
122
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
paramètres influencent et façonnent son système <strong>de</strong> valeurs qui lui-même, à son tour,<br />
a un impact direct sur la manière dont cette infirmière va considérer ses semblab<strong>les</strong><br />
et en particulier <strong>les</strong> patients, ainsi que sa profession et ce qui constitue la nature<br />
profon<strong>de</strong> du soin. Ce système <strong>de</strong> référence éthique peut, à son tour, se scin<strong>de</strong>r entre<br />
une éthique <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et une éthique <strong>de</strong> responsabilité. On retrouve<br />
ici le champ <strong>de</strong> tension entre l’éthique d’Aristote et le désir <strong>de</strong> la vie bonne avec<br />
l’éthique <strong>de</strong> Kant et la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir et <strong>de</strong> responsabilité. Il semble impossible <strong>de</strong><br />
superposer pleinement l’éthique <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> avec l’éthique <strong>de</strong><br />
responsabilité, auquel cas nous aurions atteint l’harmonie parfaite, notre idéal<br />
rejoignant <strong>de</strong> manière absolue ce qui est <strong>de</strong> l’ordre du <strong>de</strong>voir. En revanche, la<br />
manière dont s’équilibrent ces <strong>de</strong>ux versants éthiques va jouer, selon nous, un rôle<br />
crucial <strong>dans</strong> le sens que l’infirmière va percevoir <strong>de</strong>rrière son activité. Il s’agit du<br />
sens porteur <strong>de</strong> cohérence, tel qu’Antonowsky (1997) l’entend. C’est un sens dont le<br />
bien-fondé permet <strong>de</strong> passer outre nos convictions ou <strong>de</strong> faire taire nos préférences.<br />
Cette notion <strong>de</strong> cohérence joue un rôle essentiel. En effet, c’est seulement à<br />
partir du moment où l’infirmière perçoit le sens <strong>de</strong> son activité et que sa<br />
responsabilité, mise en balance avec ses motivations et aspirations, trouve un chemin<br />
suffisamment cohérent, qu’elle peut réellement faire preuve d’authenticité <strong>dans</strong> la<br />
relation au patient et à ses collègues.<br />
On entend par authenticité, la manière d’être en adéquation entre notre être<br />
intérieur, nos sentiments, nos valeurs et ce que nous donnons à voir <strong>de</strong> nous-mêmes,<br />
notre implication <strong>dans</strong> une relation. Il s’agit d’être vrais et sincères, une attitu<strong>de</strong> que<br />
Rogers définit comme l’un <strong>de</strong>s trois concepts essentiels <strong>dans</strong> la relation au soigné<br />
(Rogers, 2010), à la fois pour être crédible auprès <strong>de</strong> la personne soignée, mais<br />
également pour son propre équilibre psychique.<br />
Or cette authenticité, à son tour, est l’ingrédient indispensable au<br />
professionnalisme, garantissant à la fois l’efficacité sur le plan professionnel, mais<br />
également le bien-être du soignant (Dallaire, 2008).<br />
De ce professionnalisme découle alors la volonté <strong>de</strong> l’infirmière <strong>de</strong> faire preuve<br />
d’implication et d’engagement <strong>dans</strong> sa prise en soin, <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong> son rôle<br />
professionnel et <strong>de</strong> son rôle <strong>de</strong> collaborateur au système sanitaire. Mais cet<br />
engagement peut également s’étendre à un niveau plus général, par exemple au<br />
123
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
niveau <strong>de</strong> l’action au sein <strong>de</strong> la corporation ou <strong>de</strong>s associations professionnel<strong>les</strong>…<br />
Si l’infirmière a jusque-là œuvré à construire principalement son i<strong>de</strong>ntité ou ses<br />
i<strong>de</strong>ntités : personnelle, sociale et professionnelle, à ce sta<strong>de</strong>, elle œuvre même<br />
directement à la construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> sa profession.<br />
C’est pourquoi, à notre sens, l’i<strong>de</strong>ntité infirmière n’est pas une simple<br />
juxtaposition <strong>de</strong> compétences, qu’el<strong>les</strong> soient techniques, relationnel<strong>les</strong> ou<br />
intellectuel<strong>les</strong>, mais relève d’un schéma beaucoup plus complexe qui interpelle la<br />
personne au plus profond d’elle-même. Le professionnel, c’est celui qui sait mobiliser<br />
sa subjectivité, son i<strong>de</strong>ntité personnelle pour l’investir <strong>dans</strong> son activité<br />
professionnelle. Il engage sa personne et on attend <strong>de</strong> lui qu’il respecte certes la<br />
déontologie mais également qu’il soit porteur d’une éthique en tant que réflexion<br />
approfondie et critique sur sa pratique et <strong>les</strong> valeurs qui la fon<strong>de</strong>nt.<br />
L’éthique, en tant qu’elle constitue un dénominateur commun et un fon<strong>de</strong>ment<br />
capital à la fois <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité et <strong>de</strong> l’engagement, <strong>de</strong>meure une notion centrale à<br />
explorer ici. Il s’agit <strong>de</strong> savoir quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> réponses que la formation permet<br />
d’apporter sur cette notion clé <strong>de</strong> l’éthique, <strong>dans</strong> sa relation à l’i<strong>de</strong>ntité et à<br />
l’engagement professionnels, ainsi que la manière dont ces thèmes sont structurés,<br />
réunis ou dissociés. Sont-ils ou non organisés et présentés aux étudiantes sous forme<br />
<strong>de</strong> système, un système qui fasse sens pour l’exercice professionnel du futur soignant<br />
et qui répon<strong>de</strong> à la logique hologrammatique, en sachant relever le défi <strong>de</strong> la<br />
complexité (Morin, 1982).<br />
La question se pose à présent <strong>de</strong> savoir comment sont conçus <strong>les</strong> systèmes <strong>de</strong><br />
formation <strong>de</strong>s infirmières et comment <strong>les</strong> différentes notions dont nous avons montré<br />
<strong>les</strong> liens étroits sont envisagés sur plan pédagogique pour être appréhendés <strong>dans</strong><br />
toute leur complexité.<br />
124
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
CHAPITRE 5 - LA FORMATION EN SOINS INFIRMIERS<br />
« La formation et le soin sont <strong>de</strong>ux modalités inséparab<strong>les</strong> <strong>de</strong> notre<br />
présence au mon<strong>de</strong>.» (Honoré, 2003, p.97). Dans le développement <strong>de</strong> l’existence<br />
humaine, la nécessité <strong>de</strong> la formation fait écho à l’obligation du soin. Reste à savoir<br />
comment <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sont articulées, en particulier <strong>dans</strong> la logique <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong>s<br />
compétences métier pour <strong>les</strong> futures infirmières.<br />
Dans la perspective socioconstructiviste <strong>de</strong> l’enseignement, la formation permet<br />
<strong>de</strong>s apprentissages qui ont pour but <strong>de</strong> transformer nos représentations et <strong>de</strong><br />
permettre à notre savoir, savoir-faire, et savoir-être, <strong>de</strong> se construire pour atteindre<br />
<strong>les</strong> objectifs visés.<br />
Il y a un travail à effectuer en amont pour l’implémentation <strong>de</strong> ces objectifs et,<br />
en aval, il s’agit <strong>de</strong> réfléchir aux modalités pédagogiques <strong>les</strong> plus appropriées pour<br />
atteindre réellement ces objectifs. L’analyse <strong>de</strong> pratique en constitue certainement<br />
l’un <strong>de</strong>s moyens privilégiés.<br />
Un <strong>de</strong>s buts <strong>de</strong> la formation, tant à l’école que sur le lieu <strong>de</strong> stage, rési<strong>de</strong> en effet<br />
<strong>dans</strong> la mise en mots <strong>de</strong>s opérations cognitives mobilisées au cours <strong>de</strong> la démarche<br />
clinique, en <strong>les</strong> introduisant comme éléments <strong>de</strong> compétence pour la pratique<br />
professionnelle. Il s’agit <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong> sa manière <strong>de</strong> raisonner et <strong>de</strong><br />
l’analyser. La tâche est ardue car cela implique <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong>s mots sur <strong>de</strong>s actions<br />
implicites, sur <strong>de</strong>s perceptions ou même sur <strong>de</strong>s intuitions. Il est néanmoins<br />
indispensable que l’étudiante parvienne à affiner son jugement clinique afin d’être<br />
capable <strong>de</strong> catégoriser <strong>les</strong> problèmes rencontrés et ainsi limiter l’espace <strong>de</strong> recherche<br />
<strong>de</strong>s solutions appropriées.<br />
C’est aussi un moyen <strong>de</strong> réduire le niveau d’abstraction <strong>de</strong>s savoirs en <strong>les</strong><br />
reliant à une pratique. Il est en effet nécessaire <strong>de</strong> travailler l’articulation entre <strong>les</strong><br />
apports théoriques et l’application pratique pour que <strong>les</strong> savoirs théoriques<br />
<strong>de</strong>viennent réellement <strong>de</strong>s savoirs d’action (Barbier, 2004).<br />
Les étudiants accumulent <strong>de</strong>s connaissances multip<strong>les</strong> mais dont la<br />
125
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
mobilisation au service du jugement clinique reste souvent bien ardue. Ces<br />
connaissances sont peu envisagées comme un fon<strong>de</strong>ment réflexif répondant aux<br />
be<strong>soins</strong> d’un exercice professionnel, en particulier sous l’angle éthique. En ce sens, la<br />
formation se révèle déjà soignante par elle-même. « La nécessité <strong>de</strong> la formation<br />
pour le soin conduit à le considérer lui -même comme formatif » (Honoré, 2003,<br />
p.125).<br />
Mais l’éthique exige une interrogation à un autre niveau <strong>de</strong> réflexion également.<br />
Dans la mesure où l’éthique engage <strong>les</strong> valeurs <strong>les</strong> plus intimes, on ne peut faire<br />
l’impasse d’une réflexion et d’un travail <strong>de</strong> fond autour <strong>de</strong> ces valeurs.<br />
Il faut savoir <strong>les</strong> repérer, <strong>les</strong> nommer et expliquer leur influence sur <strong>les</strong><br />
pratiques. Cela relève d’une tâche difficile (Jutras, 2007b, p.15-16).<br />
Et Gohier confirme cette difficulté <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong> l’éthique en précisant<br />
qu’il ne saurait être réduit à la simple application d’opérations menta<strong>les</strong>, mais<br />
nécessite réellement une dimension d’introspection et <strong>de</strong> mise en question <strong>de</strong> nos<br />
valeurs <strong>les</strong> plus ancrées, qui sont également la source <strong>de</strong> nos actions (Gohier, 2007,<br />
p.11-12).<br />
Dans la réflexion éthique, ce sont tout particulièrement <strong>les</strong> concepts : autonomie,<br />
liberté et responsabilité qui doivent être travaillés, mais en regard <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> autres<br />
valeurs qui vont <strong>les</strong> éclairer sous un angle plus spécifique et déterminant pour<br />
l’individu.<br />
Il va <strong>de</strong> soi que la notion <strong>de</strong> valeur est très intimement liée à celle <strong>de</strong> sentiment,<br />
puisqu’il s’agit <strong>de</strong> ce que nous avons <strong>de</strong> plus intime. Or, <strong>dans</strong> la profession infirmière,<br />
<strong>les</strong> valeurs sont largement mises à l’épreuve, mais <strong>les</strong> émotions également. C’est<br />
pourquoi il semble difficile <strong>de</strong> dissocier l’enseignement théorique <strong>de</strong> l’enseignement<br />
pratique. Les situations vécues sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> pratique, chargées d’affects et<br />
porteuses <strong>de</strong> nombreuses questions qui interrogent la personne <strong>dans</strong> ses dimensions<br />
<strong>les</strong> plus diverses, doivent pouvoir être reprises comme objet <strong>de</strong> questionnement et <strong>de</strong><br />
réflexion. En ce sens la formation par alternance constitue un processus<br />
véritablement dynamique et doit conduire l’étudiante à <strong>de</strong>venir une professionnelle<br />
capable d’agir son activité <strong>de</strong> manière réfléchie, appropriée et pertinente. Le<br />
126
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
processus <strong>de</strong> professionnalisation va permettre à l’étudiante <strong>de</strong> se construire, en tant<br />
que professionnelle, à partir <strong>de</strong> ce qu’elle est en tant que personne.<br />
5.1 La professionnalisation<br />
Accompagnée par le développement <strong>de</strong> la recherche au sein <strong>de</strong> la discipline <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, enrichie par <strong>de</strong>s connaissances nouvel<strong>les</strong>, la formation s’ancre à<br />
présent au plus haut niveau du système éducatif tandis que le processus <strong>de</strong><br />
professionnalisation concernant l’art <strong>de</strong> « prendre soin » s’opère et s’institutionnalise<br />
(Nadot, 2002).<br />
La professionnalisation représente le passage d’une activité au statut <strong>de</strong><br />
profession, c’est-à-dire l’institutionnalisation <strong>de</strong> cette activité (Bourdoncle, 2000) et<br />
comporte par là-même un enjeu social. La complexité grandissante <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong>s<br />
soignants permet <strong>de</strong> considérer la revendication au statut <strong>de</strong> profession comme une<br />
véritable nécessité et l’universitarisation <strong>de</strong> la formation infirmière a été rendue<br />
possible à <strong>de</strong>ssein, comme moyen privilégié d’accession à cette professionnalisation,<br />
permettant aux éléments pragmatiques <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s savoirs <strong>de</strong> référence<br />
scientifiquement validés (Lessard & Bourdoncle, 2003).<br />
Selon Dubar et Tripier (2005), la professionnalisation représente la velléité <strong>de</strong><br />
groupes professionnels <strong>de</strong> bénéficier d’une reconnaissance spécifique en passant du<br />
statut <strong>de</strong> métier à celui <strong>de</strong> profession. Lang (1999) note trois axes <strong>de</strong> la<br />
professionnalisation <strong>dans</strong> le débat public :<br />
celui qui fait référence au développement <strong>de</strong> compétences pratiques et<br />
intellectuel<strong>les</strong>, en vue d’un exercice professionnel,<br />
celui qui répond à la volonté <strong>de</strong> donner un statut <strong>de</strong> profession à un<br />
groupe,<br />
celui qui répond à une volonté <strong>de</strong> reconnaissance et <strong>de</strong> revalorisation<br />
d’une profession.<br />
Bourdoncle (2000) développera cinq pô<strong>les</strong> à partir <strong>de</strong> ces trois axes pour la<br />
professionnalisation <strong>de</strong> l’enseignement, pô<strong>les</strong> que nous retrouvons largement <strong>dans</strong> le<br />
domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : professionnalisation <strong>de</strong> l’activité, du groupe<br />
127
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
professionnel, <strong>de</strong>s savoirs professionnels, <strong>de</strong>s individus exerçant cette profession et<br />
<strong>de</strong> la formation.<br />
La professionnalisation recèle <strong>de</strong>s enjeux différents selon <strong>les</strong> groupes d’acteurs.<br />
Ainsi, pour <strong>les</strong> corps professionnels tel que le corps infirmier, l’enjeu <strong>de</strong> la<br />
professionnalisation se situe plus spécifiquement <strong>dans</strong> la reconnaissance sociale et<br />
économique <strong>de</strong> la profession, ainsi que la reconnaissance <strong>de</strong> son utilité, et au-<strong>de</strong>là<br />
encore <strong>dans</strong> la reconnaissance <strong>de</strong> soi au sein <strong>de</strong> cette société. Pour <strong>les</strong> organisations<br />
en revanche, l’enjeu n’est pas tant <strong>dans</strong> la reconnaissance <strong>de</strong> la profession que <strong>dans</strong> la<br />
reconnaissance <strong>de</strong>s professionnels mais au service <strong>de</strong>s organisations, en tant<br />
qu’acteurs et promoteurs <strong>de</strong> cel<strong>les</strong>-ci, contribuant à leur développement et à leur<br />
réussite par le biais <strong>de</strong> leurs compétences (Le Boterf, 2010). Au niveau individuel <strong>les</strong><br />
enjeux sont encore différents. Alors même que le travail <strong>de</strong>meure un moteur<br />
d’intégration sociale, l’enjeu d’être reconnu comme professionnel revêt une<br />
importance fondatrice <strong>de</strong> l’estime <strong>de</strong> soi, mais également d’une certaine forme<br />
d’i<strong>de</strong>ntité (Dubar, 2007).<br />
Le terme <strong>de</strong> professionnalisation est apparu <strong>dans</strong> le vocabulaire commun au<br />
cours <strong>de</strong>s années quatre-vingt, conjointement au terme <strong>de</strong> compétence issu <strong>de</strong><br />
l’entreprise, et s’inscrit <strong>dans</strong> <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong> management organisées autour<br />
<strong>de</strong> la libéralisation <strong>de</strong>s marchés, <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> décentralisation <strong>de</strong>s décisions et <strong>de</strong><br />
l’augmentation <strong>de</strong> la responsabilisation <strong>de</strong>s individus (Wittorski, 2007). Ceux-ci sont<br />
appelés à se prendre en charge et à faire évoluer leur carrière par ce processus <strong>de</strong><br />
professionnalisation, encouragés par une plus gran<strong>de</strong> autonomie et l’engagement<br />
<strong>dans</strong> le lifelong learning. Le lien avec l’évolution spécifique <strong>de</strong>s entreprises est<br />
tellement fort que certains auteurs préfèrent d’ailleurs parler <strong>de</strong><br />
« managérialisation » plutôt que <strong>de</strong> « professionnalisation », évoquant par-là <strong>les</strong><br />
pratiques <strong>de</strong> rationalisation, <strong>de</strong> standardisation et d’externalisation (Lefèvre &<br />
Ollitrault, 2007, p.97).<br />
Les processus <strong>de</strong> professionnalisation s’appuient, le plus souvent, sur la mise en<br />
œuvre d’un référentiel <strong>de</strong> compétences, considéré comme l’équipement « idéal »<br />
garantissant l’adéquation entre <strong>les</strong> compétences obtenues par une personne durant<br />
une formation, et son activité réelle à la sortie <strong>de</strong> la formation. Les compétences sont<br />
donc envisagées <strong>dans</strong> une perspective d’employabilité et <strong>de</strong> pertinence par rapport<br />
128
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
au marché du travail. Tous <strong>les</strong> auteurs ne s’accor<strong>de</strong>nt pas néanmoins à voir <strong>dans</strong> la<br />
compétence qu’un outil neutre permettant la professionnalisation <strong>de</strong> l’individu. Les<br />
référentiels <strong>de</strong> compétences sont effectivement issus d’une rationalisation <strong>de</strong><br />
l’activité induite par la conjoncture économique (Piot, 2009). Si Scallon met en gar<strong>de</strong><br />
contre le risque <strong>de</strong> confondre la compétence avec la notion <strong>de</strong> performance, qui est sa<br />
manifestation observable (Scallon, 2004), Astolfi exprime ses craintes <strong>de</strong> voir <strong>les</strong><br />
compétences se substituer aux savoirs (Houssaye et Cosnefroy, 2010). Boutin et Julien<br />
(2000), quant à eux, considèrent cette formalisation <strong>de</strong>s savoirs dangereuse, puisque<br />
ces <strong>de</strong>rniers seraient ainsi soumis aux logiques du marché économique. La<br />
compétence est appréhendée comme un potentiel générant une attente en termes <strong>de</strong><br />
résultats visib<strong>les</strong> et quantifiab<strong>les</strong> (Rozenblatt, 2002). Ceci est d’autant plus<br />
préjudiciable que <strong>les</strong> métiers adressés à l’humain, dont font partie <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>,<br />
ont la particularité <strong>de</strong> se trouver en tension entre une composante rationnelle,<br />
codifiée, pouvant être reflétée par un référentiel <strong>de</strong> compétences, et une composante<br />
interactionnelle, floue, par essence subjective. Les formations en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
doivent être pensées, certes en s’appuyant sur cette logique <strong>de</strong> compétences, mais<br />
cette <strong>de</strong>rnière ne doit pas occulter la part subjective et moins visible <strong>de</strong> l’action<br />
infirmière.<br />
Les compétences <strong>de</strong>s professionnels, tel<strong>les</strong> que décrites par Le Boterf (2010, p.23)<br />
peuvent tout à fait s’appliquer aux infirmières.<br />
On attend d’el<strong>les</strong> :<br />
qu’el<strong>les</strong> sachent ajuster leurs réactions face à <strong>de</strong>s changements ou prendre <strong>de</strong>s<br />
initiatives <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations complexes. Les infirmières ne doivent pas se<br />
limiter à leur rôle prescrit, mais savoir mettre en œuvre différentes stratégies<br />
<strong>dans</strong> l’exercice d’une profession qui fait face <strong>de</strong> façon régulière à l’instabilité<br />
<strong>de</strong>s patients <strong>dans</strong> l’évolution <strong>de</strong> leurs pathologies ;<br />
qu’el<strong>les</strong> sachent gérer <strong>les</strong> différentes situations rencontrées avec une<br />
intelligence pratique vive et utilisée à bon escient, sur la base <strong>de</strong> jugements<br />
juste et fondés ;<br />
qu’el<strong>les</strong> prennent en compte la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s patients et lui donnent une<br />
réponse adéquate ;<br />
129
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
qu’el<strong>les</strong> sachent allier leurs compétences professionnel<strong>les</strong>, leur savoir-faire et<br />
leurs ressources personnel<strong>les</strong> au service <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Les<br />
infirmières peuvent être amenées à combiner plusieurs pratiques, plusieurs<br />
expériences, diverses compétences ainsi que <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> caractères plus<br />
personnels pour répondre au mieux à ce qui est attendu d’el<strong>les</strong> ;<br />
qu’el<strong>les</strong> sachent aller chercher <strong>les</strong> ressources nécessaires au bon endroit pour<br />
répondre à une situation pour laquelle el<strong>les</strong> ne détiennent pas tous <strong>les</strong> atouts.<br />
Le travail en interdisciplinarité est un incontournable <strong>de</strong> la profession. La<br />
complexité <strong>de</strong>s situations et le savoir forcément partiel <strong>de</strong>s différents acteurs<br />
<strong>de</strong> <strong>soins</strong>, ren<strong>de</strong>nt la complémentarité indispensable. À ce sta<strong>de</strong>, la somme du<br />
tout constitue en termes <strong>de</strong> compétences une réelle plus-value par rapport à la<br />
somme <strong>de</strong>s compétences individuel<strong>les</strong> ;<br />
Les ressources ne sauraient être simplement combinées mais doivent parfois<br />
faire l’objet d’une métamorphose afin d’être organisées <strong>dans</strong> un tout construit<br />
différemment ;<br />
qu’el<strong>les</strong> sachent avoir une attitu<strong>de</strong> réflexive et soient capab<strong>les</strong>, par une<br />
introspection régulière, <strong>de</strong> progresser à partir <strong>de</strong> leurs expériences passées ;<br />
qu’el<strong>les</strong> agissent selon <strong>les</strong> critères éthiques et déontologiques inhérents à la<br />
profession et au service du soin.<br />
Concernant <strong>les</strong> ressources, el<strong>les</strong> peuvent être très diverses et Damasio (1995)<br />
relève à juste titre l’importance <strong>de</strong> l’intuition parmi <strong>les</strong> ressources personnel<strong>les</strong> que<br />
l’infirmière doit cultiver. En effet, s’ils ne sont pas i<strong>de</strong>ntifiab<strong>les</strong> et quantifiab<strong>les</strong> au<br />
même titre que d’autres capacités, <strong>les</strong> sentiments qui relèvent <strong>de</strong> l’émotion et <strong>de</strong><br />
l’intuition n’en constituent pas moins <strong>de</strong>s indicateurs extrêmement importants <strong>dans</strong><br />
la gestion du quotidien professionnel infirmier.<br />
D’autres ressources personnel<strong>les</strong> sont également fortement uti<strong>les</strong> qui relèvent<br />
davantage <strong>de</strong> l’expérience et du vécu.<br />
Mais que ces ressources soient internes ou externes, leur mobilisation dépend<br />
<strong>de</strong> la personne.<br />
À juste titre, Le Boterf précise que le processus <strong>de</strong> professionnalisation ne peut<br />
être engagé que par la personne elle-même, et si elle le désire vraiment et met tout en<br />
130
œuvre pour y parvenir.<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
En tant que formateurs il est donc illusoire <strong>de</strong> penser pouvoir professionnaliser<br />
une étudiante. En revanche, il est du ressort <strong>de</strong> l’organisme <strong>de</strong> formation <strong>de</strong> pourvoir<br />
au dispositif qui permettra à l’étudiante, selon son investissement, <strong>de</strong> réussir sa<br />
professionnalisation.<br />
Dans ce sens, Le Boterf nomme 10 principes directeurs d’une ingénierie <strong>de</strong> la<br />
professionnalisation (Le Boterf, 2010, p. 65).<br />
Préparer à « agir avec compétence » <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations professionnel<strong>les</strong> et<br />
non seulement faire acquérir <strong>de</strong>s ressources. Les ressources constituent certes<br />
un capital important, mais seule leur mobilisation et leur combinaison en un<br />
construit pertinent peut permettre <strong>de</strong> répondre aux exigences <strong>de</strong>s situations<br />
professionnel<strong>les</strong>.<br />
Concevoir <strong>les</strong> référentiels (<strong>de</strong> métier, d’emploi, d’activités) en termes<br />
prospectifs et comme <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> progression professionnelle sur <strong>les</strong>quels<br />
peuvent s’inscrire <strong>de</strong>s cib<strong>les</strong> <strong>de</strong> professionnalisation. L’analyse <strong>de</strong>s activités<br />
permet d’évaluer et <strong>de</strong> promouvoir la professionnalisation. Pour cela il est<br />
nécessaire d’établir ces référentiels permettant <strong>de</strong> suivre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés<br />
d’avancement <strong>dans</strong> la professionnalisation.<br />
Concevoir <strong>de</strong>s parcours <strong>de</strong> professionnalisation <strong>dans</strong> l’intérêt conjoint <strong>de</strong>s<br />
employeurs et <strong>de</strong>s salariés. Le futur professionnel doit être formé pour<br />
répondre aux exigences <strong>de</strong> l’institution hospitalière et <strong>de</strong> la profession<br />
infirmière, mais l’étudiante doit également pouvoir bénéficier d’une formation<br />
en adéquation avec ses valeurs et ce qu’elle est.<br />
Favoriser l’élaboration et la réalisation <strong>de</strong> projets personnalisés <strong>de</strong> parcours <strong>de</strong><br />
professionnalisation. L’étudiante doit pouvoir s’inscrire <strong>dans</strong> un projet qui lui<br />
appartient. Elle se présente à l’école d’infirmière avec, bien souvent, un projet<br />
déjà assez précis du domaine <strong>dans</strong> lequel elle souhaite exercer plus tard. La<br />
formation doit lui permettre <strong>de</strong> poursuivre ce projet ou <strong>de</strong> le quitter pour un<br />
autre qui lui conviendra mieux.<br />
Proposer une offre modulaire d’opportunités variées <strong>de</strong> professionnalisation<br />
et non seulement <strong>de</strong> formation. L’éventail <strong>de</strong>s différents lieux <strong>de</strong> stages<br />
permet à l’étudiante <strong>de</strong> découvrir différentes réalités <strong>de</strong> la pratique infirmière.<br />
131
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Mettre en œuvre une alternance ayant pour pivot central <strong>les</strong> situations <strong>de</strong><br />
travail. La formation par alternance constitue le terreau par excellence <strong>de</strong> la<br />
pratique infirmière. Celle-ci se vit <strong>dans</strong> le concret <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> stage mais<br />
s’appréhen<strong>de</strong> intellectuellement et émotionnellement sur <strong>les</strong> bancs <strong>de</strong> l’école,<br />
à la lumière <strong>de</strong>s concepts et <strong>dans</strong> le partage et la co-construction avec <strong>les</strong> pairs.<br />
Considérer l’apprenant comme acteur <strong>de</strong> sa professionnalisation. L’étudiante<br />
est celle qui agit sa formation et son <strong>de</strong>venir professionnel. Les outils doivent<br />
lui être mis à disposition mais elle est ensuite encouragée à prendre en main sa<br />
professionnalisation.<br />
Évaluer et reconnaître <strong>les</strong> progrès en professionnalisation. Les portfolios et <strong>les</strong><br />
relevés <strong>de</strong> stages constituent <strong>les</strong> moyens par excellence d’évaluation du<br />
développement <strong>dans</strong> la professionnalisation. Ils permettent d’évaluer<br />
conjointement différentes compétences illustrant ce domaine.<br />
Mettre en œuvre <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> tutorat et d’accompagnement <strong>de</strong> parcours,<br />
aussi bien pendant la formation en école que durant <strong>les</strong> pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> stage ;<br />
Assurer une coopération <strong>de</strong> qualité entre <strong>les</strong> acteurs intervenant sur un<br />
parcours <strong>de</strong> professionnalisation.<br />
Il s’agit donc <strong>de</strong> mettre tout en œuvre pour permettre à l’étudiante <strong>de</strong> se<br />
développer <strong>dans</strong> un contexte le plus proche possible du milieu professionnel <strong>dans</strong><br />
lequel elle sera immergée ultérieurement.<br />
Pour cela <strong>les</strong> éco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> utilisent <strong>les</strong> voies <strong>de</strong> professionnalisation<br />
tel<strong>les</strong> que décrites par Wittorski (2007, 2011) à <strong>de</strong>s moments différents <strong>de</strong> la<br />
formation. Et bien que ces différents mo<strong>de</strong>s ne soient pas complètement dissociab<strong>les</strong>,<br />
la formation en alternance permet néanmoins <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s accents plus ou moins<br />
marqués sur certains d’entre eux durant la pério<strong>de</strong> scolaire : réflexion sur l’action<br />
(analyses <strong>de</strong> pratique, étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cas..), logique <strong>de</strong> la traduction culturelle par rapport<br />
à l’action (prise <strong>de</strong> distance et conceptualisation <strong>de</strong>s situations) et logique <strong>de</strong><br />
l’intégration assimilation (politique inépuisable <strong>de</strong>s projets, omniprésents à tous <strong>les</strong><br />
niveaux), tandis que d’autres sont plus communément abordés durant <strong>les</strong> stages :<br />
logique <strong>de</strong> l’action en situation <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong> la réflexion et <strong>de</strong> l’action sous forme <strong>de</strong><br />
pratique réflexive, logique <strong>de</strong> la réflexion pour l’action (réflexion par anticipation).<br />
132
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Ai<strong>de</strong>r l’étudiante à se développer <strong>dans</strong> ce processus est une tâche complexe<br />
<strong>dans</strong> la mesure où elle entraîne une évolution <strong>de</strong>s compétences certes, mais a<br />
également <strong>de</strong>s répercussions sur le plan cognitif, affectif et i<strong>de</strong>ntitaire (Wittorski,<br />
2007, p.106). L’évolution <strong>de</strong> l’individu se réalise au travers <strong>de</strong> la confrontation à <strong>de</strong>s<br />
mon<strong>de</strong>s différents, porteurs <strong>de</strong> valeurs, d’intérêts et d’objectifs également différents.<br />
La formation en école mais aussi la confrontation à la réalité pratique vont avoir <strong>de</strong>s<br />
répercussions sur l’évolution <strong>de</strong> ses savoirs, <strong>de</strong> ses connaissances, mais également<br />
sur la manière dont il va se percevoir <strong>dans</strong> ses capacités professionnel<strong>les</strong> et <strong>dans</strong> ses<br />
aptitu<strong>de</strong>s personnel<strong>les</strong>. L’action éducative, qu’elle soit d’orientation plus théorique<br />
ou plus pratique, se distingue par une finalité profondément émancipatrice. L’impact<br />
sur l’image <strong>de</strong> soi, et au-<strong>de</strong>là sur l’estime <strong>de</strong> soi, n’est <strong>de</strong> loin pas négligeable. Et<br />
enfin, l’évolution se fera également sur le plan <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité, <strong>dans</strong> la manière dont<br />
l’étudiante perçoit son rôle professionnel avec <strong>de</strong>s répercussions sur son i<strong>de</strong>ntité<br />
personnelle et la place qu’elle s’accor<strong>de</strong> <strong>dans</strong> ce rôle.<br />
Sur un plan éthique, la professionnalisation a un impact non négligeable sur la<br />
manière dont la personne va considérer son rôle et l’engagement professionnel qui<br />
en découle, <strong>de</strong> même qu’une large influence sur la manière dont elle va déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />
l’investir ou non, <strong>de</strong> le développer ou pas. En même temps que se développe, chez<br />
l’étudiante, une construction progressive d’un positionnement professionnel, celle-ci<br />
vit <strong>de</strong>s tensions inhérentes aux évolutions qu’elle traverse <strong>dans</strong> son développement.<br />
Et Jorro (2010) souligne l’absence d’une approche praxéologique qui permettrait <strong>de</strong><br />
percevoir ces évolutions et d’en tenir compte <strong>dans</strong> l’accompagnement <strong>de</strong>s étudiantes.<br />
Une <strong>de</strong>s difficultés tient sans doute à l’organisation duale <strong>de</strong> la formation. En<br />
effet, la formation est organisée selon le principe <strong>de</strong> l’alternance, c’est-à-dire sur la<br />
base <strong>de</strong> l’interaction entre l’école et <strong>les</strong> différents lieux <strong>de</strong> stage du système sanitaire<br />
et social. Elle se situe à l’interface entre la logique d’action et la logique <strong>de</strong> formation<br />
et permet <strong>de</strong> trouver <strong>les</strong> « compromis pratique-théorie ». Elle va permettre à<br />
l’étudiante <strong>de</strong> s’approprier <strong>les</strong> différents éléments qui vont l’ai<strong>de</strong>r à construire<br />
progressivement sa compétence <strong>de</strong> futur soignante. Les connaissances<br />
méthodologiques ne prennent sens que <strong>dans</strong> une implémentation <strong>dans</strong> l’action,<br />
générant la prise <strong>de</strong> décisions adéquates, permettant l’anticipation d’éventuel<strong>les</strong><br />
133
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
complications et la définition <strong>de</strong> la marche à suivre.<br />
« La visée d’un savoir théorique est la connaissance <strong>de</strong>s choses pour<br />
elle-même ; celle d’un savoir d’action est leur modification. » (Barbier,<br />
2004).<br />
Le savoir théorique va donc se mo<strong>de</strong>ler en fonction du terrain qu’il va<br />
rencontrer.<br />
Piaget disait également que :<br />
« (… )l’expérience réconcilie la pensée formelle avec la réalité <strong>de</strong>s<br />
choses» (Piaget, 1964, p.99).<br />
Denoyel reprenant Piaget argumente qu’un sens doit être trouvé pour<br />
l’étudiante à cette expérience. Or ce sens ne pourrait se révéler qu’au travers du<br />
dialogue :<br />
« (…) dialogue entre <strong>les</strong> discontinuités <strong>de</strong>s activités vers une<br />
continuité formative, par la rencontre <strong>de</strong>s autres et <strong>de</strong>s choses »<br />
(Denoyel, 2005, p.81).<br />
C’est ce défi d’une continuité formative et formatrice que la Confédération<br />
Helvétique a choisi <strong>de</strong> relever en acceptant la création <strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées.<br />
Cel<strong>les</strong>-ci ont comme mission d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiants à intégrer <strong>de</strong>s connaissances <strong>de</strong><br />
niveau universitaire, pour <strong>les</strong> mettre au service d’une pratique professionnelle, sous<br />
la forme <strong>de</strong> compétences spécifiques liées à l’exercice d’une profession.<br />
5.2 La formation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> HES et <strong>les</strong> compétences infirmières<br />
La compétence n’est pas suffisante en elle-même, elle « n’a pas d’existence<br />
matérielle en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la personne qui la met en œuvre » (Le Boterf, 2010, p.21).<br />
Cela veut dire qu’elle doit prendre corps chez un professionnel capable <strong>de</strong> mesurer la<br />
complexité d’une situation et d’y apporter une réponse adéquate. Ce sont <strong>les</strong><br />
exigences liées à la complexification <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> qui ont conduit à l’universitarisation<br />
134
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
<strong>de</strong> la formation infirmière, permettant ainsi à la future infirmière <strong>de</strong> se doter <strong>de</strong>s<br />
compétences qu’elle pourra ensuite mettre en œuvre <strong>dans</strong> sa pratique. Dans le<br />
système HES ce sont <strong>les</strong> référentiels <strong>de</strong> compétence qui vont être <strong>les</strong> supports du<br />
processus <strong>de</strong> professionnalisation, permettant <strong>de</strong> mettre en visibilité <strong>les</strong> acquis. En<br />
effet, la partie visible <strong>de</strong> la compétence correspond à la performance attestée <strong>dans</strong> la<br />
maîtrise d’une tâche (Zarifian, 2009). Il ne faut alors pas occulter, comme nous<br />
l’avons relevé plus haut, l’importance <strong>de</strong> prendre en compte la partie subjective,<br />
moins visible, <strong>de</strong> la compétence infirmière.<br />
La formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> a connu une modification profon<strong>de</strong> en 1999<br />
avec l’acceptation <strong>de</strong>s accords <strong>de</strong> Bologne visant à créer un espace <strong>de</strong> formation<br />
européen. Suite à ces accords, la Suisse prend <strong>les</strong> mesures suivantes :<br />
Elle crée <strong>les</strong> Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées <strong>dans</strong> différents domaines : <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> et toutes filières paramédica<strong>les</strong> (kinésithérapie, sage-femmes…),<br />
ingénierie, gestion, travail social, économie, arts appliqués, musique…<br />
Elle adopte le système <strong>de</strong>s crédits ECTS (European Credit Transfer System)<br />
commun à cet espace <strong>de</strong> formation européen et censé encourager la mobilité<br />
<strong>de</strong>s étudiantes par une reconnaissance <strong>de</strong> leurs titres et <strong>de</strong> leur niveau<br />
d’étu<strong>de</strong>s ;<br />
Elle adopte le cursus universitaire commun LMD avec un premier cycle <strong>de</strong><br />
trois ans menant au titre <strong>de</strong> Bachelor, un second cycle <strong>de</strong> Master en <strong>de</strong>ux ans<br />
et un troisième cycle doctoral.<br />
En 2002 est créée la HES-SO : Haute École Spécialisée <strong>de</strong> Suisse Occi<strong>de</strong>ntale qui<br />
rassemble toutes <strong>les</strong> différentes filières en son sein et constitue l’organe faîtier qui<br />
chapeaute l’ensemble <strong>de</strong>s Hautes École Spécialisées <strong>de</strong> Suisse Occi<strong>de</strong>ntale. La filière<br />
infirmière, quant à elle, voit le jour en 2006 et décerne aujourd’hui le titre <strong>de</strong><br />
« Bachelor of Sciences HES-SO en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ».<br />
La formation se structure en une partie théorique dispensée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> murs <strong>de</strong><br />
l’école, et une partie pratique organisée sous la forme <strong>de</strong> six stages <strong>de</strong> cinq à huit<br />
semaines <strong>dans</strong> différents milieux hospitaliers et extra-hospitaliers (<strong>soins</strong> à domicile,<br />
milieu du handicap…).<br />
135
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
Dès 2012 un programme commun à toutes <strong>les</strong> éco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> HES<br />
(Annexe 4) a vu le jour, défini autour <strong>de</strong> sept rô<strong>les</strong> déclinés par la Conférence <strong>de</strong>s<br />
recteurs <strong>de</strong>s hautes éco<strong>les</strong> spécialisées (CSHES). Ces rô<strong>les</strong> précisent et délimitent<br />
l’étendue <strong>de</strong> l’exercice infirmier.<br />
Rôle d’expert en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : expertise du contexte socio-sanitaire et du<br />
jugement professionnel.<br />
Rôle <strong>de</strong> communicateur : relations interpersonnel<strong>les</strong> avec <strong>les</strong> usagers tout<br />
comme avec <strong>les</strong> autres professionnels.<br />
Rôle <strong>de</strong> collaborateur : promotion <strong>de</strong>s activités caractérisées par<br />
l’interdisciplinarité.<br />
Rôle <strong>de</strong> manager : lea<strong>de</strong>rship professionnel permettant <strong>de</strong> contribuer au<br />
succès <strong>de</strong> l’organisation.<br />
Rôle <strong>de</strong> promoteur <strong>de</strong> la santé : perspective <strong>de</strong> prévention et <strong>de</strong> promotion <strong>de</strong><br />
la santé au niveau sociétal.<br />
Rôle d’apprenant et <strong>de</strong> formateur : engagement professionnel fondé sur la<br />
pratique réflexive et l’utilisation <strong>de</strong> données probantes.<br />
Rôle <strong>de</strong> professionnel : engagement au service <strong>de</strong> la santé et <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong><br />
vie <strong>de</strong>s usagers mais aussi <strong>de</strong>s concitoyens et <strong>de</strong> soi-même au travers d’une<br />
pratique respectueuse <strong>de</strong> l’éthique.<br />
La Suisse roman<strong>de</strong> suit ainsi la logique d’universitarisation adoptée <strong>de</strong>puis<br />
longtemps en Amérique du Nord, <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
Ce qui est valable pour la Suisse roman<strong>de</strong> ne l’est pas forcément pour le reste<br />
du pays. En effet, <strong>les</strong> tensions sont importantes entre la Suisse roman<strong>de</strong> et la Suisse<br />
alémanique qui continue, quant à elle, à maintenir en parallèle à la formation HES<br />
encore peu répandue, l’ancienne formation infirmière en École Supérieure.<br />
À cela s’ajoute la création en 2007 <strong>de</strong> la formation d’ASSC (assistant en <strong>soins</strong> et<br />
santé communautaire) qui a pour objet la formation <strong>de</strong> professionnels capab<strong>les</strong><br />
d’exécuter une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s gestes <strong>infirmiers</strong>.<br />
La superposition <strong>de</strong> ces formations crée parfois confusion et interrogations chez<br />
<strong>les</strong> employeurs qui ont quelques difficultés à comprendre la différence <strong>de</strong> statut, <strong>de</strong><br />
connaissances et par conséquent également <strong>de</strong> traitement entre ces différents<br />
136
diplômés.<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
La formation est évaluée selon un système <strong>de</strong> compétences, en adéquation avec<br />
la logique actuelle <strong>de</strong> professionnalisation. L’étudiante en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> est censée<br />
acquérir, durant la formation, à la fois <strong>de</strong>s compétences sous la forme <strong>de</strong><br />
connaissances et d’habiletés relationnel<strong>les</strong> mobilisab<strong>les</strong> en situation, ainsi qu’une<br />
i<strong>de</strong>ntité professionnelle affirmée.<br />
La notion <strong>de</strong> compétence a été largement étudiée et thématisée <strong>de</strong>puis <strong>les</strong><br />
années quatre-vingt. Wittorski (2007, 2011) met en évi<strong>de</strong>nce différentes façon <strong>de</strong><br />
comprendre leur construction, leur nature et leur spécificité. Nous retiendrons plus<br />
spécifiquement <strong>les</strong> thèses <strong>de</strong> Le Boterf (1998) et <strong>de</strong> Perrenoud qui font l’unanimité en<br />
Suisse. Le premier considère la compétence comme la combinaison <strong>de</strong> ressources<br />
mobilisées <strong>de</strong> manière pertinente pour répondre aux exigences d’une situation. Pour<br />
le second,<br />
« la compétence est une capacité d’action efficace face à une famille <strong>de</strong><br />
situations, qu’on arrive à maîtriser parce qu’on dispose à la fois <strong>de</strong>s<br />
connaissances nécessaires et <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> <strong>les</strong> mobiliser à bon escient,<br />
en temps opportun, pour i<strong>de</strong>ntifier et résoudre <strong>de</strong> vrais problèmes . »<br />
(Perrenoud, 1999, p.120).<br />
Dans tous <strong>les</strong> cas, la compétence conjugue le savoir ou la connaissance avec une<br />
mise en œuvre inscrite <strong>dans</strong> une action. C’est en tout cas <strong>dans</strong> ce sens que se<br />
comprend la compétence telle que déclinée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> référentiels <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
Les référentiels communs qui sont utilisés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> HES <strong>de</strong> « <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> »<br />
<strong>de</strong> Suisse Occi<strong>de</strong>ntale témoignent d’un haut niveau d’exigence (Annexe 3). Nous<br />
pouvons à cet effet nommer l’une ou l’autre <strong>de</strong>s sous-compétences issues du<br />
document d’évaluation pour en mesurer la portée : on notera, par exemple, <strong>les</strong><br />
attentes suivantes à l’égard <strong>de</strong> l’étudiante :<br />
compétence 1 : Concevoir une offre en <strong>soins</strong> en partenariat avec la clientèle,<br />
inscrite <strong>dans</strong> une démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, en construisant et confrontant son<br />
jugement professionnel au sein <strong>de</strong> l’équipe et en développant <strong>de</strong>s conditions<br />
137
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
<strong>de</strong> prise en <strong>soins</strong> qui garantissent le respect <strong>de</strong>s dimensions léga<strong>les</strong>,<br />
déontologiques et éthiques ;<br />
compétence 2 : Réaliser l’offre en <strong>soins</strong> <strong>dans</strong> la perspective <strong>de</strong> projets <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />
interdisciplinaires en critiquant systématiquement son engagement personnel<br />
en regard du respect <strong>de</strong> l’altérité du client et en offrant l’espace et le temps qui<br />
permettent la construction du sens <strong>de</strong> l’expérience vécue par le client ;<br />
compétence 7 : Coopérer et coordonner son activité avec <strong>les</strong> acteurs du<br />
système socio-sanitaire en situant son activité <strong>dans</strong> le contexte sociopolitique<br />
et économique et en partageant ses valeurs professionnel<strong>les</strong> pour contribuer<br />
au respect <strong>de</strong>s droits et intérêts <strong>de</strong> la clientèle ;<br />
compétence 8 : Participer aux démarches qualité en faisant preuve d’esprit<br />
critique à l’égard <strong>de</strong>s outils et <strong>de</strong>s résultats ;<br />
compétence 9 : Exercer sa profession <strong>de</strong> manière responsable et autonome en :<br />
Appréciant l’évolution <strong>de</strong>s politiques socio-sanitaires et en<br />
relève <strong>les</strong> enjeux pour sa profession<br />
En se formant et s’informant sur <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> connaissances<br />
et technologies <strong>dans</strong> sa pratique<br />
En prenant <strong>de</strong>s initiatives et <strong>de</strong>s décisions <strong>dans</strong> sa pratique<br />
professionnelle<br />
En proposant <strong>de</strong>s actions contribuant au développement et à<br />
la visibilité <strong>de</strong> la profession infirmière<br />
En soutenant <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail favorab<strong>les</strong> à un<br />
exercice professionnel <strong>de</strong> qualité<br />
En utilisant <strong>de</strong>s moyens visant à préserver sa santé au travail<br />
et en <strong>les</strong> justifiant<br />
En prenant en compte <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> son auto-évaluation en<br />
vue d’améliorer son positionnement professionnel.<br />
La liste <strong>de</strong> ces compétences n’est pas exhaustive mais cet extrait démontre déjà<br />
l’envergure du savoir, savoir-être et savoir-faire exigé <strong>de</strong> l’étudiante.<br />
Dans ce contexte <strong>de</strong> formation en alternance, l’étudiante va <strong>de</strong>voir construire <strong>de</strong><br />
multip<strong>les</strong> compétences, dont cel<strong>les</strong> mentionnées ci-<strong>de</strong>ssus. Certes le niveau<br />
138
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
taxonomique attendu pour chacune <strong>de</strong> ces compétences augmente avec le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />
formation. Il n’en <strong>de</strong>meure pas moins que <strong>les</strong> attentes sont très élevées, tout<br />
particulièrement en termes <strong>de</strong> réflexivité, et l’on pourrait prétendre, sans trop<br />
prendre <strong>de</strong> risques, que le niveau visé correspond au <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> « performance » selon<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>grés élaborés par Benner (1995) alors que ce référentiel porte sur la formation<br />
<strong>de</strong>s novices. Si l’on en croit la philosophe américaine Onora O’Neil (1998), la barre est<br />
même inaccessible car, selon elle, seu<strong>les</strong> <strong>les</strong> compétences factuel<strong>les</strong> peuvent être<br />
considérées comme tel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> autres relevant plutôt du domaine du sens et ne se<br />
laissant pas enfermer <strong>dans</strong> le carcan étroit d’un référentiel <strong>de</strong> compétences, <strong>dans</strong> la<br />
mesure où el<strong>les</strong> se réfèrent à la notion d’absolu. Pescheux (2008) citant Wittorski<br />
confirme cela en définissant la compétence comme « le processus générateur du<br />
produit fini qu’est la performance, celle-ci étant mesurée/évaluée au titre <strong>de</strong><br />
la compétence » (Pescheux, 2008, p.40) et se limitant parfois à une énumération <strong>de</strong><br />
comportements observab<strong>les</strong>. Pensé et élaboré comme référentiel <strong>de</strong> compétences<br />
pour la formation, ce document est aussi la base sur laquelle sont effectuées <strong>les</strong><br />
évaluations.<br />
Le référentiel <strong>de</strong> compétences a pour objectif <strong>de</strong> cerner l’étudiante en jugeant<br />
d’un certain nombre d’acquis, en fonction d’une prise en charge qui se veut<br />
extrêmement complète et performante, celle du soin <strong>dans</strong> sa globalité.<br />
Le patient a pris la place qui lui revient <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong>s années soixante-dix,<br />
c’est-à-dire celle au cœur <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Toutes <strong>les</strong> théories <strong>de</strong> <strong>soins</strong> sont orientées vers<br />
son bien-être et la considération <strong>de</strong> sa personne <strong>dans</strong> sa singularité, incluant toutes<br />
<strong>les</strong> sphères qui la composent (biologique, psychologique, sociale et spirituelle).<br />
L’observation <strong>de</strong> toutes ces dimensions <strong>dans</strong> un soin dit holistique constitue dès lors<br />
l’exigence requise auprès <strong>de</strong>s étudiantes infirmières. Cette exigence s’intègre <strong>dans</strong> un<br />
ensemble plus vaste d’attentes précises envers ceux qui exercent cette profession.<br />
5.3 Une formation en alternance pour un engagement<br />
professionnel<br />
Les référentiels <strong>de</strong> compétences ont été conçus pour tenter d’équiper <strong>les</strong> futurs<br />
professionnels et <strong>de</strong> <strong>les</strong> rendre aptes à répondre à cette attente du marché du travail.<br />
139
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
L’alternance constitue un terrain privilégié pour l’acquisition <strong>de</strong> certaines<br />
compétences qu’il n’est possible <strong>de</strong> mettre en œuvre que sur le terrain lui-même.<br />
On peut assimiler la relation entre l’enseignant et l’étudiante à celle <strong>de</strong><br />
l’infirmière avec son patient. Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux binômes, le premier cherche à donner au<br />
second le maximum d’autonomie, sur la base <strong>de</strong> son développement personnel et <strong>de</strong><br />
ses ressources propres. La « pédagogie <strong>de</strong> la rencontre », telle que Denoyel la nomme<br />
(2005), doit permettre à l’étudiante <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong> son savoir, <strong>de</strong> ses<br />
manques et <strong>de</strong>s possibilités d’accé<strong>de</strong>r aux connaissances requises pour appréhen<strong>de</strong>r<br />
la situation. Cela ne peut se faire que <strong>dans</strong> un échange <strong>de</strong> confiance et un<br />
accompagnement <strong>de</strong> type tutoral.<br />
« L’accompagnant ne détient pas le sens profond <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong><br />
l’accompagné, il le soutient. » (Le Bouë<strong>de</strong>c et al., 2001, p.49).<br />
L’accompagnant se place <strong>dans</strong> une posture d’écoute qui va ai<strong>de</strong>r l’étudiante à<br />
faire son propre chemin pour découvrir <strong>de</strong> nouveaux horizons. En effet :<br />
« Accompagner quelqu’un c’est cheminer avec lui pour le confirmer<br />
<strong>dans</strong> ce nouveau sens où il s’engage . » (Le Bouë<strong>de</strong>c et al , ibid., p.149).<br />
Très souvent, l’enseignant est amené à travailler la confiance en soi, <strong>les</strong><br />
mécanismes <strong>de</strong> défense, <strong>les</strong> émotions avec l’étudiante. La relation pédagogique est<br />
donc <strong>de</strong> toute importance.<br />
Il n’est pas rare que <strong>de</strong>s étudiantes en formation aient déjà été touchées par <strong>de</strong>s<br />
décès très proches et pour eux la mort engendre souvent <strong>de</strong>s sentiments très forts. Il<br />
est important que cette confrontation avec la thématique puisse se faire <strong>dans</strong> un<br />
cadre plus intime, à l’école, avant que la confrontation avec la réalité n’ait <strong>de</strong>s<br />
conséquences néfastes sur la jeune personne. Connaître <strong>les</strong> phases du processus <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>uil sur le plan théorique ai<strong>de</strong>ra l’étudiante à mieux comprendre et accompagner<br />
un patient atteint d’une pathologie incurable et en proie à un sentiment <strong>de</strong> colère, par<br />
exemple.<br />
L’art du soin met en jeu <strong>de</strong>s savoirs complexes et si l’étudiante n’a pas un<br />
140
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
bagage <strong>de</strong> connaissances minimum, elle sera <strong>dans</strong> l’incapacité d’établir <strong>de</strong>s liens et<br />
<strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> l’apprentissage. Mais <strong>les</strong> conséquences négatives se feront également<br />
sentir parfois <strong>dans</strong> la gestion <strong>de</strong> ses émotions. Elle sera freinée <strong>dans</strong> la construction<br />
<strong>de</strong> ses compétences tant socia<strong>les</strong> qu’individuel<strong>les</strong> ou professionnel<strong>les</strong>.<br />
Notre société évolue et le mo<strong>de</strong> d’apprentissage également. Nous sommes<br />
passés d’un mo<strong>de</strong> d’apprentissage majoritairement transmissif à un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
construction du savoir. Notre vie mo<strong>de</strong>rne s’articule autour <strong>de</strong> phases alternées<br />
consacrées à la réflexion puis à la mise en pratique, <strong>dans</strong> un mouvement incessant.<br />
Nous vivons l’alternance au quotidien.<br />
Clénet et Roquet (2005, p.46-47) lient <strong>de</strong> manière intéressante la situation<br />
d’apprentissage en alternance à l’idée <strong>de</strong> complexité. Ils reprennent le schéma<br />
inhérent à l’apprentissage « sujet, action située, temporalité » et soulignent <strong>les</strong><br />
trois dimensions essentiel<strong>les</strong> que sont la circularité, l’interaction et la responsabilité.<br />
Il y a donc, selon ce schéma, un mouvement continu <strong>dans</strong> l’apprentissage par<br />
alternance qui s’appuie et nécessite l’interaction. Il engage la responsabilité, tant du<br />
formateur <strong>dans</strong> ce qu’il peut et doit transmettre, que du formé <strong>dans</strong> son rôle <strong>de</strong><br />
construction. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’apprentissage, c’est la responsabilité première qui s’exerce<br />
ici, présente avant toute interaction, à la manière dont Lévinas la comprend.<br />
L’alternance doit mettre l’étudiante en situation <strong>de</strong> se construire <strong>de</strong>s<br />
compétences lui permettant d’appréhen<strong>de</strong>r la complexité <strong>de</strong> sa réalité professionnelle.<br />
Si nous considérons la compétence comme élément central <strong>dans</strong> la formation<br />
soignante, en tant qu’elle « est la combinaison d’un ensemble <strong>de</strong> ressources<br />
coordonnées pour appréhen<strong>de</strong>r une situation » tel que l’affirme Morin (1990),<br />
nous avons <strong>de</strong>ux raisons majeures qui donnent à la formation par alternance tout son<br />
sens <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> :<br />
D’une part le fait qu’une compétence s’exerce toujours <strong>dans</strong> l’action et donc<br />
<strong>dans</strong> la pratique. Pour construire <strong>de</strong>s compétences réel<strong>les</strong> <strong>de</strong> soignant, l’étudiante<br />
utilise <strong>de</strong>s ressources en termes <strong>de</strong> savoir épuré mais également <strong>les</strong> ressources issues<br />
<strong>de</strong> son expérience pratique.<br />
D’autre part la compétence ne <strong>de</strong>meure pas individuelle mais s’inscrit <strong>dans</strong> un<br />
141
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
construit collectif, donc <strong>dans</strong> une équipe. La compétence ne s’arrête pas à l’individu ;<br />
elle <strong>de</strong>vient un objet commun d’équipe, d’institution. L’étudiante profite <strong>de</strong>s<br />
ressources <strong>de</strong> ses collègues et construit avec, et au travers d’eux, <strong>de</strong>s compétences qui<br />
seront, selon Perrenoud (2006) :<br />
Une capacité d’action efficace face à une famille <strong>de</strong> situations,<br />
Des combinaisons <strong>de</strong> ressources cognitives et <strong>de</strong> schémas opératoires,<br />
La capacité à mobiliser ces ressources et schémas opératoires à bon escient et<br />
au moment opportun.<br />
À cette liste intéressante, il manque néanmoins une composante humaine<br />
essentielle, celle qui est au centre <strong>de</strong> la profession d’infirmière, le care. Car le care<br />
exige aussi une forme <strong>de</strong> compétence, une compétence à forme humaine (Tschudin,<br />
2003, p.11). Il s’agit d’une compétence qui relève, comme nous l’avons dit, <strong>de</strong><br />
l’empathie et <strong>de</strong> la compassion. C’est sans doute sur cette compétence qu’il est le plus<br />
difficile <strong>de</strong> travailler, parce qu’inhérente à notre personne et à notre vécu. Pourtant,<br />
là encore, <strong>les</strong> apports <strong>de</strong> la théorie et le vécu <strong>de</strong> la pratique doivent pouvoir se<br />
rejoindre pour ai<strong>de</strong>r l’étudiante <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />
Ces différentes raisons nous permettent <strong>de</strong> considérer la formation par<br />
alternance comme le moyen par excellence <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s professionnels qui seront<br />
capab<strong>les</strong>, <strong>de</strong>main, d’appréhen<strong>de</strong>r la réalité du mon<strong>de</strong> du travail.<br />
Le but <strong>de</strong> la formation, compris <strong>dans</strong> ce sens, n’est pas <strong>de</strong> transmettre un savoir<br />
pur et décontextualisé mais bien au contraire <strong>de</strong> transmettre <strong>de</strong>s savoirs sous forme<br />
<strong>de</strong> ressources et <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s réflexions et comportements éthiques, pour ai<strong>de</strong>r<br />
l’étudiante à appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong> situations professionnel<strong>les</strong> qu’elle va rencontrer. Elle<br />
doit être guidée afin <strong>de</strong> construire son i<strong>de</strong>ntité professionnelle sur une base saine,<br />
sans subir <strong>les</strong> pressions d’une charge impossible à gérer. Les nouveaux référentiels<br />
<strong>de</strong> formation favorisent largement l’autonomie <strong>de</strong>s étudiantes, ce qui leur confère<br />
également une plus gran<strong>de</strong> responsabilité. L’alternance permet d’exercer cette prise<br />
d’autonomie.<br />
Dans sa phase concrète, l’alternance revêt un caractère ambitieux car<br />
142
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
transmettre un savoir et un savoir-faire selon <strong>de</strong>ux logiques différentes que sont la<br />
logique théorique et la logique pratique, n’est déjà pas une mince affaire. Qui plus est<br />
donc, lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> sphères intimement liées à la personnalité et au vécu<br />
individuel.<br />
Pour Boutinet (2005, p.96) l’alternance se construit sur une<br />
« pensée métissée » qui se veut être à la fois « conciliation <strong>de</strong>s oppositions et<br />
interrogation sur leur irréductibilité ». C’est bien cette ambivalence entre <strong>de</strong>ux<br />
systèmes se nourrissant réciproquement mais <strong>de</strong>meurant cependant bien différenciés,<br />
qui fait toute la richesse et en même temps toute la difficulté <strong>de</strong> la formation par<br />
alternance.<br />
Le dispositif par alternance suppose l’adaptation <strong>de</strong> l’individu aux différents<br />
milieux professionnels et c’est <strong>dans</strong> le creuset <strong>de</strong>s exigences <strong>de</strong> ces milieux que <strong>les</strong><br />
compétences viennent s’exprimer pleinement. El<strong>les</strong> exigent <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’étudiante,<br />
censée utiliser au mieux toutes <strong>les</strong> ressources à disposition pour faire face aux<br />
famil<strong>les</strong> <strong>de</strong> situations professionnel<strong>les</strong> plus ou moins complexes qu’elle aura à gérer,<br />
une forte capacité réflexive incarnée <strong>dans</strong> la mise en œuvre <strong>de</strong> compétences. Or cette<br />
activité réflexive ne saurait s’émanciper d’un cadre éthique indispensable.<br />
5.4 L’éthique comme fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la pensée réflexive<br />
De nombreux éléments <strong>de</strong> réflexion éthique sont thématisés durant la formation,<br />
en particulier <strong>dans</strong> le domaine relationnel. Il est fréquemment fait référence aux<br />
<strong>de</strong>voirs du soignant envers son patient, mais <strong>les</strong> limites déontologiques sont parfois<br />
diffici<strong>les</strong> à cerner. La réflexion sur <strong>les</strong> valeurs est certes thématisée, mais place le<br />
focus sur <strong>les</strong> relations qui lient le soignant aux autres personnes, que ce soit le patient,<br />
ses proches ou ses collègues. Extrêmement rarement, le focus est placé sur le<br />
soignant et son rapport à sa profession, à sa manière <strong>de</strong> vivre l’exercice <strong>de</strong> son métier.<br />
Il y a là, selon nous, un manque évi<strong>de</strong>nt, <strong>dans</strong> la mesure où cette réflexion<br />
permettrait à l’infirmière <strong>de</strong> s’interroger sur l’équilibre entre ses convictions, ses<br />
motivations, ses responsabilités, ouvrant ainsi la voie à la compréhension du sens<br />
réel <strong>de</strong> son action, ce qui, à son tour, engendrerait l’authenticité et l’agir<br />
professionnel essentiels à la relation thérapeutique (Wintzer, 2004). Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s<br />
143
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
répercussions sur le travail quotidien, l’authenticité conduit <strong>les</strong> soignantes à<br />
s’engager et à s’affirmer également <strong>dans</strong> leur i<strong>de</strong>ntité. La dimension éthique est au<br />
centre <strong>de</strong> toute la réflexion critique <strong>de</strong> l’étudiante sur son engagement. Il est donc<br />
nécessaire d’examiner la place accordée à l’éthique <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> la formation et<br />
<strong>les</strong> objectifs <strong>de</strong> la formation en éthique <strong>dans</strong> la perspective <strong>de</strong> l’engagement<br />
professionnel.<br />
L’éthique est sans doute plus qu’un phénomène <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, l’intérêt pour<br />
l’éthique correspond à un besoin réel <strong>de</strong> repères <strong>dans</strong> une société où <strong>les</strong> valeurs sont<br />
en crise, et qui subit un affaiblissement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité collective. Face à la pluralité <strong>de</strong>s<br />
valeurs qui se rencontrent au sein d’une classe ou d’un groupe professionnel, la mise<br />
en réflexion sur ce qui fon<strong>de</strong> notre agir s’avère essentiel. Un examen du programme<br />
<strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s infirmières nous permet <strong>de</strong> décrire <strong>de</strong> manière assez précise le<br />
contenu <strong>de</strong>s cours dispensés en éthique. Durant la première année, ce sont avant tout<br />
<strong>les</strong> bases sémantiques qui sont posées. La distinction est établie entre l’éthique, la<br />
déontologie et le droit. L’enseignant met en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> divergences <strong>de</strong><br />
compréhension, malgré <strong>de</strong>s étymologies i<strong>de</strong>ntiques (respectivement latine et<br />
grecque), <strong>de</strong>s notions <strong>de</strong> morale et d’éthique avec leur implication <strong>dans</strong> la manière<br />
d’appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong> choses. Une première attention est portée à la notion <strong>de</strong> valeur,<br />
ainsi qu’à cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> préjugé, d’a priori et <strong>de</strong> stéréotype. En secon<strong>de</strong> année, <strong>les</strong> débats<br />
s’orientent autour <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s questions éthiques, souvent fortement médiatisées. Les<br />
étudiantes prennent connaissance <strong>de</strong>s principes éthiques ainsi que <strong>de</strong> gril<strong>les</strong><br />
d’analyse ayant comme objectif la résolution <strong>de</strong> situations présentant <strong>de</strong>s dilemmes<br />
éthiques. Les questions <strong>de</strong> l’avortement, du diagnostic prénatal, <strong>de</strong> l’euthanasie, du<br />
racisme sont entre autres abordées largement par le biais <strong>de</strong> réflexions sur <strong>de</strong>s<br />
situations réel<strong>les</strong> ou fictives, après une transmission <strong>de</strong> connaissances spécifiques à la<br />
question traitée. Les conflits <strong>de</strong> valeurs sont mis en évi<strong>de</strong>nce et discutés, voire<br />
analysés si le temps le permet.<br />
Cette compréhension <strong>de</strong> l’éthique et la manière <strong>de</strong> l’appréhen<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
programmes <strong>de</strong> formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> semble relativement similaire d’une<br />
école à l’autre.<br />
Chinn et Kramer (2008, p.126) invitent <strong>les</strong> enseignants à centrer leurs cours<br />
d’éthique sur <strong>les</strong> sujets suivants : règ<strong>les</strong> déontologiques, droit, obligations et<br />
144
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
procédures. Wintzer (2004) a effectué une recherche intitulée « Réflexions sur<br />
l’éthique à partir d’une évaluation <strong>de</strong> l’appropriation <strong>de</strong> la dimension éthique<br />
<strong>dans</strong> le rôle professionnel » recherche qui lui a permis d’examiner <strong>les</strong> programmes<br />
<strong>de</strong> formation à l’éthique <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux éco<strong>les</strong>. Elle a mis en évi<strong>de</strong>nce que la formation à<br />
l’éthique se décline au mieux sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la résolution <strong>de</strong> conflits, quand il ne<br />
s’agit pas simplement d’un rapi<strong>de</strong> balayage <strong>de</strong> questions controversées. Il est vrai<br />
que ce sont souvent <strong>de</strong>s sujets chargés d’émotions qui suscitent la réflexion éthique.<br />
On ne peut qu’acquiescer au fait que cela constitue un terrain nécessaire à un bon<br />
développement cognitif <strong>de</strong> la réflexion. Néanmoins, il serait faux <strong>de</strong> se limiter à ce<br />
champ émotionnel.<br />
Les valeurs gui<strong>de</strong>nt notre comportement. El<strong>les</strong> évoluent au fur et à mesure <strong>de</strong><br />
nos expériences et <strong>de</strong> nos interactions socia<strong>les</strong>. Ce sont el<strong>les</strong> qui donnent un sens à<br />
nos actions. Il s’agit là <strong>de</strong>s composants profondément personnels, sous-jacents à<br />
notre vision du mon<strong>de</strong> et à notre manière <strong>de</strong> l’appréhen<strong>de</strong>r. Les valeurs nous<br />
animent, en tant qu’un idéal à poursuivre pour mener notre existence. El<strong>les</strong> orientent<br />
toujours, <strong>de</strong> façon plus ou moins marquée et <strong>de</strong> manière plus ou moins implicite, nos<br />
actions puisqu’el<strong>les</strong> en constituent normalement le fon<strong>de</strong>ment. Si nous n’agissons<br />
pas par conviction, c’est-à-dire selon nos valeurs, nous serons tôt ou tard confrontés à<br />
la frustration, frustration <strong>de</strong> n’avoir pas agi pour ce qui en « vaut la peine » (Reboul,<br />
1989). En ce sens, la valeur constitue un but, un idéal à atteindre vers lequel sont<br />
déployés nos efforts. La formation à l’éthique doit apporter une contribution<br />
importante <strong>dans</strong> ce domaine.<br />
Le postulat d’une inégalité <strong>de</strong>s valeurs en fonction <strong>de</strong>s situations implique<br />
l’idée d’éthique en tant que doute et questionnement. Ce doute relève même d’une<br />
certaine forme <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir professionnel pour Svandra (2004) qui place celui-ci à<br />
l’origine <strong>de</strong> la réflexion éthique, en argumentant que chercher continuellement le<br />
sens et <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> son action, c’est là le <strong>de</strong>voir parfois fastidieux et répétitif<br />
<strong>de</strong> tout soignant. Le recours à <strong>de</strong>s principes pour discerner <strong>les</strong> composantes d’une<br />
situation délicate est tout à fait pertinent. Cependant cela ne saurait dispenser <strong>les</strong><br />
étudiantes <strong>de</strong> pratiquer cette démarche <strong>de</strong> réflexion en profon<strong>de</strong>ur sur <strong>les</strong> valeurs qui<br />
145
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
<strong>les</strong> animent et la manière dont el<strong>les</strong> souhaitent investir ces valeurs <strong>dans</strong> leur<br />
engagement en tant que soignantes. Et c’est précisément sur ce point que la<br />
formation nous semble, à certains égards, quelque peu lacunaire. En effet, si l’examen<br />
<strong>de</strong>s valeurs qui fon<strong>de</strong>nt notre façon <strong>de</strong> considérer l’autre et <strong>de</strong> l’appréhen<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> sa<br />
situation est hautement souhaitable, il n’en <strong>de</strong>meure pas moins qu’une réflexion sur<br />
soi-même nous semble également fondamentale. En effet, face aux difficultés<br />
actuel<strong>les</strong> que connaissent <strong>les</strong> institutions, l’infirmière est <strong>de</strong> plus en plus<br />
fréquemment placée <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s dilemmes personnels entre ce qu’il lui paraît bien <strong>de</strong><br />
faire et ce qu’elle pense <strong>de</strong>voir faire. C’est ce choix intérieur, ce positionnement qui<br />
s’incarne ensuite <strong>dans</strong> l’engagement et <strong>dans</strong> l’action et ne saurait donc se soustraire,<br />
à notre sens, à une investigation d’ordre éthique.<br />
Le nouveau référentiel <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s infirmières qui vient <strong>de</strong> sortir en<br />
France est révélateur à cet égard. Il évoque la nécessité d’une introspection, mais en<br />
une seule phrase sur l’ensemble <strong>de</strong> l’ouvrage.<br />
« L’étudiant est amené à <strong>de</strong>venir un praticien autonome, responsable et<br />
réflexif, c’est-à-dire un professionnel capable d’analyser toute situation<br />
<strong>de</strong> santé, <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s décisions <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> son rôle et <strong>de</strong><br />
mener <strong>de</strong>s interventions seul et en équipe pluri -professionnelle.»<br />
(Arrêté du 31 juillet 2009 relatif à la formation au Diplôme d’État Infirmier, p.4,<br />
Annexe 5).<br />
Cette démarche introspective fondatrice <strong>de</strong> la responsabilité semble aller <strong>de</strong> soi.<br />
L’opérationnalisation <strong>de</strong> cet exercice difficile et <strong>de</strong> ses éventuel<strong>les</strong> limites ne fait<br />
l’objet d’aucun écrit spécifique.<br />
Les compétences citées <strong>dans</strong> ce référentiel sont par ailleurs très principalement<br />
axées sur l’action et la prise <strong>de</strong> responsabilité.<br />
Dans l’ouvrage <strong>de</strong> référence utilisé en formation <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : Nouveaux<br />
Cahiers <strong>de</strong> l’Infirmière, « l’éthique désigne l’étu<strong>de</strong> théorique <strong>de</strong>s principes qui<br />
gui<strong>de</strong>nt l’action humaine » (Perlemuter, 2003, p.34). On ne trouve à aucun moment<br />
146
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
la trace d’une nécessaire réflexion primaire chez soi. L’objet est toujours la relation au<br />
patient et aux <strong>de</strong>voirs qu’il nous impose : secret professionnel, droits du patient,<br />
droits à la santé, ainsi que <strong>de</strong>s réflexions sur <strong>les</strong> sujets générateurs <strong>de</strong> conflits<br />
éthiques : IVG, euthanasie, procréation médicalement assistée.<br />
Les manuels <strong>de</strong> références suisses <strong>de</strong> l’ASI (Association suisse <strong>de</strong>s infirmières)<br />
précisent que <strong>les</strong> principes éthiques se répartissent en quatre domaines <strong>de</strong><br />
responsabilité :<br />
responsabilité envers le patient et ses proches,<br />
responsabilité envers soi-même et la profession (précisant que le soignant doit<br />
d’interroger sur ses valeurs et <strong>les</strong> clarifier, utiliser judicieusement ses<br />
ressources psychiques et physiques),<br />
responsabilité envers <strong>les</strong> autres membres <strong>de</strong> l’équipe,<br />
responsabilité envers la société et l’environnement.<br />
Nous trouvons ici <strong>de</strong>s prémisses à notre objet, mais aucune piste d’exploration<br />
concrète n’est fournie. Ces bonnes intentions <strong>de</strong>meurent à l’appréciation <strong>de</strong>s<br />
soignants. El<strong>les</strong> démontrent bien <strong>de</strong> la pertinence <strong>de</strong> cette problématique, mais leur<br />
application concrète fait défaut.<br />
Dans le Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> déontologie infirmière universel <strong>de</strong> 2005 (Devers, 2005), après<br />
un étayage important <strong>de</strong>s droits, <strong>de</strong>voirs et responsabilités <strong>de</strong> l’infirmière, il est<br />
question <strong>de</strong> valeurs <strong>de</strong> la déontologie infirmière. La première valeur abordée est celle<br />
<strong>de</strong> la liberté. L’auteur insiste alors sur le fait que l’infirmière n’est pas libre <strong>de</strong> donner<br />
ou <strong>de</strong> refuser <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, mais que ce <strong>de</strong>voir est limité à l’urgence et au <strong>de</strong>voir<br />
d’humanité. L’infirmière ne serait pas tenue par <strong>les</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s qui ne seraient pas<br />
raisonnab<strong>les</strong>. Là encore, nous ne pouvons qu’acquiescer, tout en nous interrogeant<br />
sur le contenu <strong>de</strong>s mots : qu’est-ce que l’on considère ou non comme situation<br />
d’urgence, comme <strong>de</strong>voir d’humanité, comme <strong>de</strong>man<strong>de</strong> raisonnable ?... Il semble que<br />
la portée sémantique <strong>de</strong> ces mots soit laissée à l’appréciation propre <strong>de</strong> chaque<br />
infirmière. Ne doit-elle pas, cependant, être guidée <strong>dans</strong> cette recherche<br />
compréhensive ?<br />
147
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
La conclusion succédant à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ouvrages et documents <strong>de</strong> référence, c’est<br />
la présence <strong>de</strong> l’éthique comme ai<strong>de</strong> à la pensée et à l’action <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations <strong>de</strong><br />
dilemmes. Mais la réflexion sur son positionnement et son engagement, si elle est<br />
parfois évoquée, n’en reste pas moins très floue et peu concrète.<br />
On retrouve ce même flou <strong>dans</strong> nos référentiels <strong>de</strong> compétences. Ils soulignent,<br />
certes, la nécessité d’avoir une pratique réflexive pour favoriser la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et<br />
développer le rôle professionnel. Mais il n’est à aucun moment question d’une<br />
introspection portant sur <strong>les</strong> valeurs et motivations <strong>de</strong> l’étudiante <strong>dans</strong> son rapport à<br />
sa profession et le sens qu’elle y perçoit ou désire lui donner. L’implication<br />
personnelle, implicitement présente, n’est appréhendée que <strong>de</strong> manière abstraite.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, quant à elle, fait l’objet d’enseignements précis qui<br />
mettent en avant l’importance d’exercer une pensée critique ainsi qu’une pensée<br />
réflexive.<br />
Avec la formation HES, l’accent est mis sur la réflexion et l’analyse critique.<br />
Cette démarche réflexive trouve toute son expression, sa raison d’être et sa<br />
promotion <strong>dans</strong> le jugement clinique. Il s’agit également <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s<br />
domaines jusque-là restés quasiment inexplorés, tel celui <strong>de</strong> la recherche. En<br />
développant <strong>de</strong>s domaines comme celui-ci, <strong>les</strong> HES espèrent promouvoir <strong>les</strong><br />
transferts <strong>de</strong> connaissance vers la pratique pour la rendre plus performante.<br />
Cette formation suit le mouvement général <strong>de</strong> libéralisation du marché et <strong>de</strong><br />
responsabilisation <strong>de</strong>s acteurs. Ainsi, <strong>les</strong> infirmières sont encouragées à prendre<br />
davantage d’autonomie et d’initiatives. Cependant, « une telle proposition ne peut<br />
s’exercer qu’au sein d’un espace <strong>de</strong> liberté, favorisé et valorisé par le cadre<br />
institutionnel » (Hesbeen, 2000, p.55). Il s’agit là d’un point nodal qui parfois est<br />
empreint <strong>de</strong> tensions.<br />
Avoir un esprit critique ne signifie pas l’usage immodéré et constant <strong>de</strong> la<br />
critique mais au contraire un esprit <strong>de</strong> discernement qui sache mettre en doute et<br />
constater la véracité ou non d’un propos, mettre en question la représentation du réel<br />
d’une situation au moyen d’opérations logiques, statistiques, scientifiques et<br />
argumentatives. Cette action <strong>de</strong> discerner ce qui paraît légitime ou non repose sur <strong>les</strong><br />
148
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
valeurs, ce qui explique que le légitime puisse parfois s’opposer au légal.<br />
Notre société actuelle prône la tolérance parfois <strong>de</strong> manière absolue, et veut<br />
nous faire croire que toutes <strong>les</strong> valeurs se valent. Elle oppose au spectre angoissant<br />
<strong>de</strong> la pensée unique, un relativisme qui suppose que chaque avis a une égale valeur.<br />
Si cette démarche pose la condition absolue du respect <strong>de</strong> l’autre et <strong>de</strong> son opinion, il<br />
faut néanmoins prendre gar<strong>de</strong> à ne pas s’achopper sur un nihilisme peu constructif.<br />
Il s’oppose au dogmatisme qui, à l’extrême inverse, passe tout par le crible <strong>de</strong> la<br />
raison au détriment du savoir acquis par l’expérience.<br />
jugement.<br />
L’esprit critique utilisé <strong>de</strong> manière cohérente permet <strong>de</strong> réduire <strong>les</strong> erreurs <strong>de</strong><br />
Dans l’exercice <strong>de</strong> l’esprit critique, plusieurs métho<strong>de</strong>s sont envisageab<strong>les</strong>, la<br />
plus courante étant celle du questionnement.<br />
La métho<strong>de</strong> du questionnement permet <strong>de</strong> clarifier la situation. Très souvent<br />
<strong>de</strong>s problèmes émergent qui sont mal posés, peu transparents, empreints <strong>de</strong> préjugés<br />
ou d’idées préconçues. Avec cette métho<strong>de</strong>, il s’agit <strong>de</strong> « disséquer » une situation en<br />
mettant en évi<strong>de</strong>nce quels en sont <strong>les</strong> acteurs, le contexte, <strong>les</strong> différents paramètres<br />
d’influence, <strong>les</strong> liens annexes… Comprendre quel est l’ensemble <strong>de</strong>s éléments en<br />
présence qui peuvent interférer ou non <strong>dans</strong> une situation, permet <strong>de</strong> mieux pouvoir<br />
prendre en compte ceux sur <strong>les</strong>quels il sera possible d’avoir une influence ou non.<br />
Exercer un esprit critique revient aussi à douter, à la façon dont faisait Descartes<br />
pour accé<strong>de</strong>r à l’entière connaissance. Car rien n’est plus dangereux que d’accepter<br />
une vérité pour réelle sans en avoir examiné la validité. Cela suppose <strong>de</strong> laisser <strong>de</strong><br />
côté <strong>les</strong> opinions toutes faites ainsi que nos expériences et sentiments. Le savoir<br />
émane <strong>de</strong> la raison et non plus <strong>de</strong> notre seule expérience. Cette métho<strong>de</strong> permet <strong>de</strong><br />
décomposer le problème en partant <strong>de</strong> son aspect le plus simple au plus complexe.<br />
Elle convoque tous <strong>les</strong> détails autour <strong>de</strong> l’objet.<br />
Enfin, la métho<strong>de</strong> scientifique va se préoccuper <strong>de</strong> rechercher la validité d’un<br />
propos, ou ici l’exactitu<strong>de</strong> quant à l’interprétation qui est donnée <strong>de</strong> la situation. Elle<br />
cherche à démontrer <strong>les</strong> faits, en observant la réplicabilité <strong>de</strong> la situation, son<br />
exhaustivité, ainsi que son <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> représentativité à un niveau plus général. Le<br />
149
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
processus d’argumentation d’un phénomène ou d’une action est aujourd’hui<br />
fortement valorisé au sein <strong>de</strong> nos formations.<br />
extérieur.<br />
L’usage <strong>de</strong> la pensée critique se fait généralement par rapport à un objet<br />
En revanche, la réflexivité a pour objet la personne elle-même et <strong>les</strong> outils<br />
méthodologiques empruntés également à la sociologie examinent avant tout la<br />
personne <strong>dans</strong> son agir. Cette <strong>de</strong>rnière met son action sous la loupe, la confronte à<br />
une analyse conceptuelle pour lui proposer une éventuelle amélioration. La<br />
réflexivité est à la fois prise <strong>de</strong> conscience et prise <strong>de</strong> distance critique avant, pendant<br />
et après l’action. Par différentes étapes <strong>de</strong> questionnement, analyse <strong>de</strong> pratique, auto-<br />
évaluation, problématisation et conceptualisation, elle vise à questionner <strong>les</strong><br />
pratiques <strong>dans</strong> une visée <strong>de</strong> professionnalisation.<br />
Les temps consacrés à l’analyse réflexive sont appréciés par <strong>les</strong> étudiantes. Ils<br />
sont néanmoins courts et se centrent sur la réflexion qui a pour objet l’action, et non<br />
la personne elle-même. Pertinente au niveau <strong>de</strong> l’analyse du problème, cette<br />
démarche n’interroge pas la personne en profon<strong>de</strong>ur sur son positionnement, pas<br />
plus qu’elle ne constitue une réflexivité critique soulignant l’engagement <strong>de</strong> la<br />
personne <strong>dans</strong> un équilibre entre elle et sa profession. Elle est davantage entreprise<br />
sur le mo<strong>de</strong> praxéologique <strong>de</strong> la résolution <strong>de</strong> problème et <strong>de</strong>s réponses à apporter à<br />
ces problèmes, en s’aidant d’un bagage conceptuel pertinent.<br />
Certains auteurs dénoncent l’injonction à la réflexivité et mettent en gar<strong>de</strong><br />
contre le danger <strong>de</strong> son utilisation à outrance qui, d’une part, donne une supériorité<br />
ontologique à la pratique sur la théorie et qui, d’autre part, contribue toujours<br />
davantage à faire peser sur l’individu la responsabilité <strong>de</strong> ses échecs.<br />
D’ailleurs, cette réflexivité a également toutes ses lettres <strong>de</strong> nob<strong>les</strong>se auprès du<br />
nouveau management qui l’encourage largement, percevant là un moyen intéressant<br />
d’amener l’individu à progresser. Les compétences attendues <strong>de</strong>s individus étant<br />
multip<strong>les</strong> et ne renvoyant plus uniquement à la sphère technique mais aux<br />
compétences personnel<strong>les</strong> et psychologiques, l’individu est appelé à effectuer un<br />
travail introspectif considérable. Pour Martucelli (2006), la réflexivité est <strong>de</strong>venue un<br />
mot clé, qui même si celle-ci a pour objet le rapport intime <strong>de</strong> la personne à sa<br />
150
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
situation, a comme objectif premier l’utilisation externe <strong>de</strong> l’analyse interne<br />
(Martucelli, 2006) <strong>dans</strong> un mouvement <strong>de</strong> déplacement <strong>de</strong> la « subjectivité » vers une<br />
dimension collective, visant à la responsabilisation et à l’action (Ehrenberg, 2010).<br />
La logique économique qui prévaut <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du travail a donc<br />
certainement contribué à la propagation <strong>de</strong> la démarche réflexive, tout comme elle a<br />
contribué au courant actuel <strong>de</strong> professionnalisation.<br />
151
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />
152
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
DEUXIÈME PARTIE :<br />
CADRE DE<br />
RÉFÉRENCE<br />
SPÉCIFIQUE<br />
153
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
154
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Le domaine professionnel est un domaine complexe et <strong>les</strong> interactions qui s’y<br />
jouent, inscrites <strong>dans</strong> une dimension d’engagement, constituent <strong>les</strong> conditions d’un<br />
possible épanouissement <strong>de</strong>s professionnels, tout comme el<strong>les</strong> peuvent également<br />
constituer <strong>les</strong> conditions d’une vive frustration, voire <strong>de</strong>venir la source d’une atteinte<br />
à leur santé (Dejours, 2008).<br />
Le sens <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong>vient un objet d’intérêt récurrent <strong>de</strong> notre société et<br />
<strong>les</strong> questions qu’il soulève sont nombreuses. Composante du développement<br />
professionnel, l’engagement est-il lié à la satisfaction, à la motivation ? Est-il l’origine<br />
ou la conséquence d’une prise <strong>de</strong> responsabilité ?<br />
Il est en tout cas clair que l’engagement est indispensable à la relation soignante,<br />
qui ne saurait en être dépourvue sans se voir fondamentalement dénaturée. Dallaire<br />
(2008) écrit que l’infirmière doit s’engager <strong>de</strong> manière intense, cet engagement étant<br />
« facteur <strong>de</strong> croissance à la fois pour elle et la personne avec qui elle<br />
interagit » (Dallaire, 2008, p.89). L’héritage issu <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
véhicule encore largement une conception d’un engagement inconditionnel au<br />
chevet <strong>de</strong>s patients.<br />
Cependant, cette relation soignante s’inscrit <strong>dans</strong> un contexte <strong>de</strong> soin <strong>de</strong> plus en<br />
plus complexe et <strong>dans</strong> lequel la logique <strong>de</strong> performance et <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ment tend à se<br />
substituer à la logique humaniste, qui voudrait que l’humain soit le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />
notre responsabilité (Lévinas, 1986), ce qui n’est pas sans provoquer d’importantes<br />
tensions <strong>dans</strong> le champ d’activité <strong>de</strong>s infirmières.<br />
La dimension éthique interpelle chaque homme en son for intérieur, sur ce qui<br />
l’anime au plus profond <strong>de</strong> lui-même, et fon<strong>de</strong> ainsi son engagement, y compris <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> <strong>soins</strong>, objet <strong>de</strong> notre réflexion ici. Selon Lévinas, l’éthique précè<strong>de</strong> l’engagement et,<br />
même si tous <strong>les</strong> auteurs ne sont pas toujours d’accord sur ce point, tous<br />
reconnaissent en revanche un lien étroit entre éthique et engagement. Mais <strong>de</strong> quel<br />
engagement parle-t-on au juste ?<br />
L’engagement parce qu’il est éminemment personnel, ne peut être envisagé<br />
sous un angle solipsiste mais doit être vu <strong>dans</strong> son inscription à une société donnée<br />
par laquelle il est toujours à nouveau façonné et remo<strong>de</strong>lé. Nous verrons, tout<br />
particulièrement, comment l’engagement spécifique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> se trouve au cœur<br />
155
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
d’un champ <strong>de</strong> tensions induit par le néolibéralisme et <strong>les</strong> exigences en termes<br />
d’efficience et <strong>de</strong> rentabilité.<br />
Comprendre l’engagement et son évolution nécessite <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r un moment<br />
aussi sur <strong>de</strong>s concepts très proches qui contribuent à faire <strong>de</strong> ce phénomène ce qu’il<br />
est, et apportent chacun une pierre à son édifice.<br />
L’engagement s’inscrivant <strong>dans</strong> une dynamique d’action, nous l’envisagerons<br />
<strong>dans</strong> le rôle actif <strong>de</strong> parole et d’acte engagés qu’il est à même <strong>de</strong> jouer et <strong>de</strong><br />
promouvoir, au cœur <strong>de</strong> la profession infirmière.<br />
156
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
CHAPITRE 6 : UN CONCEPT FAÇONNÉ PAR L’ÉVOLUTION<br />
SOCIÉTALE<br />
Ce qui caractérise le concept d’engagement c’est la multiplicité <strong>de</strong>s regards qu’il<br />
convoque et <strong>de</strong>s interprétations qui lui sont attribuées. Il est impossible <strong>de</strong> se centrer<br />
sur un seul paradigme sous peine <strong>de</strong> laisser <strong>de</strong> côté <strong>de</strong>s éléments essentiels à sa<br />
compréhension. Différentes disciplines contribuent à lui apporter chacune un<br />
éclairage particulier.<br />
Pour autant le concept d’engagement propre aux <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, avec ses<br />
difficultés, ses limites mais aussi toute la force émancipatrice qui en émane, n’a pas<br />
encore fait l’objet <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> recherches, et ce domaine <strong>de</strong> connaissances<br />
présente <strong>de</strong>s lacunes très importantes (Simpson, 2009). Il s’agit ici d’étayer la<br />
réflexion et <strong>de</strong> montrer l’importance <strong>de</strong> ce concept, en favorisant sa compréhension<br />
pour notre profession.<br />
6.1 L’engagement, d’hier à aujourd’hui<br />
Différents auteurs se sont penchés sur la notion d’engagement ces <strong>de</strong>rnières<br />
années et ont essayé <strong>de</strong> mieux la comprendre, en particulier au travers <strong>de</strong> son<br />
évolution. Ces auteurs s’accor<strong>de</strong>nt à dire que <strong>les</strong> formes d’engagement se sont<br />
considérablement modifiées. Ainsi Ion (1997) parle d’un « engagement distancié »,<br />
par opposition à l’engagement qui prévalait jusque <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1960 et qui se<br />
caractérisait par une implication « corps et âme » <strong>de</strong> la personne. L’engagement<br />
serait à présent plus mesuré et n’empièterait pas autant sur la vie privée <strong>de</strong> la<br />
personne, et encore moins sur son i<strong>de</strong>ntité. Plus que jamais, cet engagement doit<br />
s’inscrire <strong>dans</strong> une cohérence générale du parcours biographique et <strong>de</strong> ce qui fait<br />
sens au cœur même <strong>de</strong> l’existence. Du fait même <strong>de</strong> sa disqualification sociale et <strong>de</strong><br />
sa stigmatisation, l’engagement doit d’autant plus trouver un sens intrinsèque et être<br />
157
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
valorisé <strong>de</strong> l’intérieur (Havard-Duclos & Nicourd, 2005). Une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> cette<br />
valorisation va se trouver <strong>dans</strong> son efficacité et la reconnaissance <strong>de</strong> son utilité.<br />
Selon Ladrière et al. <strong>dans</strong> l’Encyclopédia Universalis,<br />
« La conduite d’engagement est un type d’attitu<strong>de</strong> qui consiste à<br />
assumer activement une situation, un état <strong>de</strong> choses, une<br />
entreprise, une action en cours. Elle s’oppose aux attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
retrait, d’indifférence, <strong>de</strong> non-participation. » (2011, p.2).<br />
Et <strong>les</strong> auteurs d’ajouter que l’engagement est caractérisé par trois composantes<br />
majeures, à savoir : l’implication, la responsabilité et le rapport à l’avenir. Il en<br />
découle que l’engagement va <strong>de</strong>voir s’incarner <strong>dans</strong> une action concrète, <strong>dans</strong> la<br />
mesure où il constitue une démarche consciente d’investissement <strong>dans</strong> une cause ou<br />
une situation pour laquelle le sujet se sent appelé à prendre une responsabilité et à<br />
assumer ses positions, même si beaucoup <strong>de</strong> conséquences <strong>de</strong> ses actes lui échappent<br />
encore. L’engagement précè<strong>de</strong> la responsabilité dont il définit le contour et auquel il<br />
donne vie. L’enjeu d’un engagement est toujours profondément humain. Ses<br />
répercussions sont autant perceptib<strong>les</strong> chez la ou <strong>les</strong> personne(s) qui vont en<br />
bénéficier que chez la personne qui s’engage elle-même et se met en jeu. C’est en ce<br />
sens qu’on peut lier l’engagement à la notion d’avenir, puisqu’il s’inscrit <strong>dans</strong> une<br />
démarche qui entreprend <strong>de</strong> modifier l’avenir et certaines données qui lui sont liées,<br />
d’en déjouer <strong>les</strong> fatalités et d’en rétablir une perspective d’espoir. Sans qu’on puisse<br />
l’apparenter à un processus volontaire <strong>de</strong> type déterministe, l’engagement permet <strong>de</strong><br />
tracer un chemin du possible vers le futur, à partir <strong>de</strong> ce qui est et qui était déjà.<br />
Même s’il doit compter avec l’incertitu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> humain, il permet d’envisager et<br />
d’influer sur l’avenir (Kemp, 1973). Qu’il s’agisse d’un engagement envers une<br />
organisation, envers un parti politique ou encore envers <strong>de</strong>s convictions et <strong>de</strong>s<br />
valeurs, il recèle toujours une part d’inconnu plus ou moins gran<strong>de</strong> et donc, par<br />
conséquent, une prise <strong>de</strong> risque pour le sujet qui s’engage. Dans la profession,<br />
l’engagement allie un côté instrumental aux idéaux <strong>de</strong> la personne. Dans sa<br />
profession, la personne engagée met tout en œuvre pour acquérir ce dont elle a<br />
besoin pour l’exercer selon <strong>les</strong> valeurs mora<strong>les</strong> qui sont <strong>les</strong> siennes, ainsi que cel<strong>les</strong><br />
158
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
<strong>de</strong> la profession. Ainsi le soignant engagé n’est pas seulement un bon technicien,<br />
mais il se caractérise également par son investissement auprès du patient et <strong>de</strong>s<br />
autres acteurs <strong>de</strong> la situation. S’il y a donc une dimension <strong>de</strong> promesse <strong>dans</strong> la<br />
manière dont la personne s’engage, promesse d’être fidèle à ses convictions, il y a<br />
également en parallèle à cela, l’idée <strong>de</strong> durée. L’implication peut être momentanée<br />
alors que l’engagement, en revanche, s’exprime sur le long terme et implique l’entier<br />
<strong>de</strong> la personne, sans limites. Paradoxe s’il en est puisqu’il ne s’exercera jamais que<br />
sur <strong>de</strong>s situations el<strong>les</strong>-mêmes limitées ! Si l’homme est libre et autonome, cette<br />
liberté est néanmoins vouée à s’exercer <strong>dans</strong> le cadre limité <strong>de</strong> la vie humaine. Et son<br />
pouvoir est immense puisque la liberté constitue un véritable « acte fondateur » en<br />
cela qu’elle établit <strong>de</strong>s liens que l’engagement vient sceller <strong>dans</strong> une dimension<br />
dynamique et vivante. Que l’on pense à la littérature engagée <strong>de</strong> Malraux, <strong>de</strong><br />
Bernanos, <strong>de</strong> Sartre ou <strong>de</strong> Camus, pour n’en citer que quelques-uns, il nous faut bien<br />
reconnaître qu’elle ne saurait se résumer à une simple vision du mon<strong>de</strong> et à sa<br />
<strong>de</strong>scription. Elle s’incarne bel et bien <strong>dans</strong> une volonté <strong>de</strong> transformer le mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />
sa nature même. L’engagement convoque l’entier <strong>de</strong> la personne, et ce, <strong>de</strong> façon<br />
intense !<br />
Selon Meyer et Allen (1991), l’engagement peut être divisé en trois gran<strong>de</strong>s<br />
catégories qui sont : la dimension affective, la dimension <strong>de</strong> calcul et <strong>de</strong> rationalité,<br />
ainsi que la dimension normative se référant à la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir. L’engagement<br />
regroupe en son sein ces trois catégories, et l’individu engagé est donc à la fois lié par<br />
ses sentiments, sa raison, ainsi que par une conscience du <strong>de</strong>voir à accomplir. En<br />
constante interaction, ces trois sphères dynamiques contribuent à donner du sens<br />
pour la personne, <strong>dans</strong> son action et au-<strong>de</strong>là même <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité. Ainsi,<br />
l’engagement professionnel forge l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, et en favorisant<br />
l’autonomie, la mise en œuvre <strong>de</strong> compétences, ainsi que le lien social, il a également<br />
<strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces sur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle.<br />
Parce que l’engagement ne saurait être dissocié <strong>de</strong> l’acte qui en résulte comme<br />
une conséquence obligée, il est possible <strong>de</strong> dégager <strong>de</strong>s indicateurs permettant <strong>de</strong> le<br />
mettre en évi<strong>de</strong>nce.<br />
159
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
« Le choix <strong>de</strong> l’activité, l’engagement cognitif <strong>dans</strong> l’activité et la<br />
persévérance <strong>dans</strong> la réalisation <strong>de</strong> l’activité, constituent <strong>de</strong>s<br />
indicateurs <strong>de</strong> l’engagement. » (Jorro & De Ketele, 2011).<br />
Il faut arrêter <strong>de</strong> croire que l’engagement va <strong>de</strong> soi, porté par un élan<br />
vocationnel inconditionnel. L’engagement souffre du relativisme ambiant dont il<br />
porte <strong>les</strong> stigmates. Or, nous l’avons vu, cette hésitation à l’engagement est renforcée<br />
également par <strong>les</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> domination <strong>de</strong> nos institutions sur leurs<br />
employés. Les craintes <strong>de</strong> voir ses intérêts propres sacrifiés sur l’autel <strong>de</strong> la<br />
rentabilité conduisent la personne à une déresponsabilisation croissante.<br />
Conséquence <strong>de</strong> ces phénomènes ainsi que <strong>de</strong> la pensée mo<strong>de</strong>rne, nous<br />
acceptons <strong>de</strong> plus en plus difficilement le caractère contraignant d’un engagement,<br />
surtout si celui-ci est formalisé d’une manière ou d’une autre. Et le fait que cette<br />
notion soit <strong>de</strong>venue quelque peu désuète, s’explique justement par le message<br />
contraignant qu’elle véhicule. Son étymologie, qui signifie littéralement « mettre en<br />
gage », s’oppose à la valeur <strong>de</strong> liberté si chère à nos contemporains. S’engager, c’est<br />
« se donner en gage, se lier », une connotation que l’on retrouve <strong>de</strong> manière très<br />
précise <strong>dans</strong> le « sich bin<strong>de</strong>n » <strong>de</strong> l’allemand (se lier) ou le « to go into service » <strong>de</strong><br />
l’anglais (se mettre au service <strong>de</strong>) (Bobineau, 2010a, p.12). Dans ce sens l’engagement<br />
comporte un caractère contraignant, d’autant plus rédhibitoire, s’il est formalisé.<br />
La liberté offerte par la révocabilité est préférée au respect <strong>de</strong>s obligations, alors<br />
que Dubar affirme la nécessité pour l’engagement <strong>de</strong> se vivre concrètement au sein<br />
d’une organisation (Dubar & Tripier, 2007). Pour Gauchet (2002), appartenir à une<br />
communauté précise ou à un réseau précis, résulte du choix individuel, seul gage<br />
d’un engagement authentique. Or l’auteur <strong>de</strong> souligner que l’authenticité réellement<br />
vécue ne saurait s’accommo<strong>de</strong>r vraiment du collectif. Qu’il y ait là un délitement<br />
effectif du lien social ou une transformation <strong>de</strong>s modalités d’appartenance, toujours<br />
est-il que la manière d’être au groupe et à son travail s’est fortement modifiée.<br />
Tel que Durkheim et Weber l’avaient annoncé, la notion <strong>de</strong> contrat est <strong>de</strong>venue<br />
centrale <strong>dans</strong> notre société occi<strong>de</strong>ntale, dominant l’ensemble du fonctionnement<br />
économique et sociétal actuel (Modak et Messant, 2005).<br />
160
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Or, <strong>dans</strong> le contrat, <strong>les</strong> parties s’engagent en connaissance <strong>de</strong> cause, c’est-à-dire<br />
en ayant réfléchi et mesuré <strong>les</strong> bénéfices et <strong>les</strong> coûts. Les coûts s’expriment le plus<br />
souvent <strong>dans</strong> la frustration et l’épuisement. Les bénéfices, quant à eux, sont à voir<br />
<strong>dans</strong> la motivation, le sentiment <strong>de</strong> cohérence et <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> l’action, aspects<br />
fondamentaux du rôle professionnel.<br />
Ce calcul rationnel constitue l’un <strong>de</strong>s aspects spécifiquement liés à l’évolution<br />
<strong>de</strong> notre société. Néanmoins, l’engagement en tant que porté aussi largement par<br />
l’affect échappe bien souvent à cette réflexion consciente.<br />
6.2 L’influence du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne<br />
Avant <strong>les</strong> formes et contenus d’engagement, ce qui a évolué, c’est l’homme lui-<br />
même. Affranchi <strong>de</strong> toute relation divine, l’homme est <strong>de</strong>venu son propre maître et<br />
la porte s’est ainsi ouverte au libre-arbitre et à la suprématie d’une raison<br />
omnisciente, capable <strong>de</strong> tracer <strong>les</strong> contours <strong>de</strong> l’engagement nécessaire à l’homme.<br />
Mais la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> cette illusion d’une raison toute-puissante a inauguré<br />
une gran<strong>de</strong> « révolution anthropologique » <strong>de</strong>puis <strong>les</strong> années quatre-vingt, qui a<br />
contribué à modifier en profon<strong>de</strong>ur l’engagement individuel (Bobineau, 2010a). Et<br />
Bobineau <strong>de</strong> développer huit mutations fondamenta<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’être humain qui l’ont<br />
transformé pour lui donner <strong>les</strong> caractéristiques actuel<strong>les</strong> (Bobineau, 2010a):<br />
1. L’importance d’un rapport à soi authentique : l’être humain cherche à<br />
être en harmonie avec lui-même et à s’auto-réaliser ;<br />
2. Un rapport à son corps plus important : le bien-être et l’écoute <strong>de</strong> soi<br />
sont <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s éléments essentiels ;<br />
3. Un rapport aux autres, vécu sous un angle pragmatique et individualiste.<br />
La relation aux autres s’inscrit <strong>de</strong> plus en plus <strong>dans</strong> un calcul individuel <strong>de</strong><br />
ses intérêts propres et ses limites à ceux-ci ;<br />
4. Un rapport aux choses qui s’apparente à la logique <strong>de</strong> consommation :<br />
une conception utilitariste régit le rapport <strong>de</strong> l’humain avec <strong>les</strong> objets qui<br />
l’entourent ;<br />
161
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
5. Un rapport au temps modifié par la logique économique qui veut que le<br />
temps soit monnayable ;<br />
6. Un rapport à l’espace modifié par <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> communication ;<br />
7. Un rapport aux idées et aux valeurs rendu plus critique par la<br />
médiatisation et l’importance accordée au scientifique. Baigné <strong>dans</strong> un<br />
relativisme moral qui fait cohabiter une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> valeurs en son sein,<br />
le mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne laisse l’individu face à la lour<strong>de</strong> tâche <strong>de</strong> créer son<br />
propre système <strong>de</strong> valeurs. Son engagement va ensuite en dépendre, et<br />
l’on comprend que celui-ci se soit donc fortement modifié lorsque l’on<br />
considère toutes ces transformations ;<br />
8. Le rapport à la transcendance et au Salut, qui <strong>de</strong>vrait permettre à<br />
l’homme d’acquérir une plus gran<strong>de</strong> autonomie, le laisse néanmoins sans<br />
repères clairs et précis tant l’objet même <strong>de</strong> cet idéal transcendantal est<br />
soumis à la relativité <strong>de</strong>s opinions.<br />
Pour <strong>les</strong> auteurs <strong>de</strong> l’Antiquité, Platon et Aristote, tout comme quelques sièc<strong>les</strong><br />
plus tard pour Spinoza, l’éthique représente un but suprême qui serait la<br />
« meilleure » façon <strong>de</strong> se conduire <strong>dans</strong> son existence. Or ce but serait, selon eux, en<br />
harmonie avec la sagesse ou la connaissance <strong>de</strong> l’ordre qui régit l’univers. Avec <strong>de</strong>s<br />
penseurs comme Rousseau ou Kant, cette conception <strong>de</strong> l’éthique, qui élève la<br />
connaissance en Bien suprême, est totalement bouleversée. Pour Rousseau, comme<br />
pour Kant, la vertu cesse d’être liée à la connaissance. Chez Rousseau, la conscience<br />
est considérée comme un « instinct divin » qui se veut apte à juger du bien comme<br />
du mal. Chez Kant, elle est inhérente à l’humain par le biais <strong>de</strong> ce « tribunal<br />
intérieur » que constitue la conscience. Elle est directement liée à la volonté qui<br />
oriente l’agir <strong>de</strong> l’homme (Savadogo, 2008). Apel et Habermas prolongent ensuite ce<br />
tournant amorcé au siècle <strong>de</strong>s Lumières pour attribuer à l’homme seul cette capacité<br />
<strong>de</strong> se dicter ses propres lois, en discussion avec la collectivité <strong>dans</strong> laquelle il évolue.<br />
Cette « relativité <strong>de</strong>s valeurs, (…) impose <strong>de</strong> renoncer à rechercher ce<br />
qui est bien en soi pour l’homme pour s’interroger sur <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong><br />
validation <strong>de</strong>s conduites humaines… la réflexion sur le "juste", doit<br />
162
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
prendre le pas sur celle sur le "bien". » (Savadogo, 2008, p.63).<br />
Lévinas développe, quant à lui, une philosophie spécifique, <strong>dans</strong> la mesure où il<br />
lie singularité et bonté, la liberté trouvant alors sa pleine expression <strong>dans</strong> la rencontre<br />
avec l’Autre et s’exprimant sur le fon<strong>de</strong>ment d’une relation à Dieu.<br />
Bobineau (2010a) précise que « la morale <strong>de</strong>s Pères » est <strong>de</strong>venue « la morale<br />
<strong>de</strong>s pairs » (p.67), soulignant par-là l’importance <strong>de</strong> la communauté <strong>dans</strong> la<br />
définition d’un corpus <strong>de</strong> valeurs partagées, mais une communauté provisoire,<br />
passagère, qui s’accommo<strong>de</strong> ainsi pour un temps avant <strong>de</strong> laisser à nouveau chacun<br />
avec ses questionnements, le temps d’effectuer un autre choix pragmatique et<br />
individuel pour son parcours <strong>de</strong> vie.<br />
Ainsi l’engagement <strong>de</strong>vient « médiatique et réticulaire », exprimé par <strong>de</strong>s<br />
réseaux individuels ou <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> envergure. Il doit être lié à la sphère<br />
émotionnelle. On ne peut ici s’empêcher <strong>de</strong> faire référence à <strong>de</strong>s phénomènes comme<br />
face book qui en constitue un exemple type.<br />
Mais l’engagement actuel, c’est avant tout, selon Bobineau, une manière <strong>de</strong><br />
donner un sens à sa vie. Il distingue ainsi <strong>de</strong>ux buts différents <strong>dans</strong> l’engagement : la<br />
notion <strong>de</strong> skopos (le but concret) liée au sentiment d’utilité et la notion <strong>de</strong> telos (la<br />
finalité ultime) qui serait la co-existence et la vie sociétale. Le sentiment d’utilité est<br />
très fréquemment évoqué chez <strong>les</strong> infirmières qui ont comme objectif premier d’ai<strong>de</strong>r<br />
le patient, <strong>de</strong> le soigner, <strong>de</strong> le « réparer » (Bobineau, 2010a p.101). El<strong>les</strong> s’en trouvent<br />
alors el<strong>les</strong>-mêmes valorisées et accè<strong>de</strong>nt ainsi à une certaine forme d’autonomie.<br />
Encore faut-il que ces <strong>de</strong>ux buts soient réellement compatib<strong>les</strong>, malmenés<br />
comme peut l’être le personnel soignant <strong>dans</strong> le contexte professionnel qui est le sien.<br />
La psychologie, et en particulier la psychologie du travail, s’est donnée comme<br />
objectif <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r l’engagement à la lumière justement <strong>de</strong> ce contexte professionnel.<br />
6.3 L’engagement et la psychologie du travail<br />
Duchesne et al. (2005) note que <strong>les</strong> travaux portant sur l’engagement<br />
professionnel sont encore très peu répandus, en particulier sur ce qui fon<strong>de</strong> et permet<br />
<strong>de</strong> maintenir l’engagement. Ce concept n’a que rarement été analysé <strong>de</strong> manière<br />
163
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
formelle. Selon Becker (2006), il est plutôt traité comme un « concept primitif » utilisé<br />
sans justification ou définition précise, ce qui explique qu’il recouvre aujourd’hui une<br />
palette <strong>de</strong> significations aussi différentes <strong>les</strong> unes <strong>de</strong>s autres.<br />
Dans le domaine <strong>de</strong> la psychologie, il est considéré comme un état affectif et<br />
émotionnel d’épanouissement persistant et positif caractérisé par l’énergie, le<br />
dévouement (implication) et l’absorption (imprégnation) (Schaufeli & Martinez,<br />
2002). C’est la structure tri-factorielle que ces chercheurs ont mise en évi<strong>de</strong>nce en lien<br />
avec le concept d’engagement. Il ne s’agit pas d’un état temporaire et spécifique lié à<br />
un évènement ou un objet particulier, mais d’un état persistant <strong>dans</strong> le temps.<br />
L’énergie se caractérise par l’investissement <strong>de</strong> ses ressources, la volonté <strong>de</strong><br />
produire <strong>de</strong>s efforts pour le travail, la résilience, la capacité à résister à la<br />
fatigue et la persévérance face aux difficultés ;<br />
Le dévouement se manifeste <strong>dans</strong> le fort engagement professionnel,<br />
l’enthousiasme, la fierté et le souhait <strong>de</strong> relever le défi ;<br />
L’absorption est définie comme un état plaisant d’immersion <strong>dans</strong> son travail,<br />
le sentiment <strong>de</strong> ne pas voir le temps passer, la difficulté à se détacher <strong>de</strong> son<br />
activité.<br />
Kahn (1990, p.694) a défini l’engagement personnel comme étant « <strong>les</strong><br />
comportements selon <strong>les</strong>quels <strong>les</strong> personnes s’investissent ou non<br />
personnellement <strong>dans</strong> un objectif <strong>de</strong> performance professionnelle ». Lorsqu’ils<br />
sont engagés, <strong>les</strong> professionnels sont impliqués à la fois cognitivement,<br />
émotionnellement et physiquement. Kahn a mis en évi<strong>de</strong>nce trois conditions<br />
psychologiques (sens, sécurité et disponibilité) ayant une influence sur l’engagement<br />
personnel et le désengagement au travail. La question du sens présente <strong>de</strong> loin la<br />
plus forte corrélation.<br />
Selon Harter, Schmidt & Hayes (2002), l’engagement représente l’état <strong>dans</strong><br />
lequel <strong>les</strong> employés sont reliés émotionnellement à d’autres, vigilants sur le plan<br />
cognitif, impliqués, satisfaits et faisant preuve d’enthousiasme pour leur travail. Pour<br />
Meyer et Herscovitch (2002, p.301), l’engagement est « une force qui lie un<br />
individu à un cours d’action en rapport avec une ou plusieurs cib<strong>les</strong> ». Cette<br />
164
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
force repose sur une i<strong>de</strong>ntification, le partage <strong>de</strong> valeurs communes à l’institution et<br />
aux groupes <strong>de</strong> travail. Brown (1996) conclut <strong>dans</strong> une méta-analyse que la personne<br />
engagée est celle qui trouve son activité motivante, la considère comme un défi à<br />
relever, est engagée à la fois envers son activité mais aussi envers son institution, et<br />
s’engage volontiers <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s relations professionnel<strong>les</strong> avec ses collègues et ses<br />
supérieurs (Brown, 1996). L’engagement réfère presque toujours à un attachement<br />
émotionnel qui est basé sur le partage d’intérêts et <strong>de</strong> valeurs.<br />
Dans le langage courant, il est parfois difficile <strong>de</strong> faire la différence entre la<br />
notion d’engagement et celle d’implication. Les <strong>de</strong>ux sont souvent employés <strong>de</strong><br />
manière indifférenciée. Selon Paillé :<br />
« L’implication au travail désigne un état psychologique qui fait<br />
référence à la manière dont un employé considère son activité<br />
professionnelle comme une dimension importante pour lui et qui<br />
contribue à donner du sens à son existence . » (Paillé, 2008, p.147).<br />
Lapointe (1995, p.6) précise que le<br />
« concept d’implication au travail se propose <strong>de</strong> prendre en compte<br />
la subjectivité et la volonté qui caractérisent le travail réel et qui<br />
laissent aux salariés une certaine autonomie. Il est mesurable à<br />
l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s indicateurs suivants : <strong>les</strong> <strong>soins</strong> apportés à l’attention<br />
portée au travail ; la rapidité d’intervention en cas d’imprévu, <strong>les</strong><br />
efforts consentis pour obtenir productivité et qualité ; l’intérêt<br />
porté au travail. »<br />
Kiesler (1971), quant à lui, ne propose pas moins <strong>de</strong> trois cadres <strong>de</strong><br />
l’engagement :<br />
1. La première se réfère au lien à une personne ou une chose,<br />
2. La secon<strong>de</strong> se rapport à l’engagement <strong>dans</strong> l’action,<br />
3. La troisième envisage la personne <strong>dans</strong> son lien à un cours d’action.<br />
Selon cet auteur, l’engagement est essentiellement mû par une force interne, alors<br />
que Joule et Beauvois (1998) qui reprendront son analyse quelques années plus tard,<br />
165
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
préfèrent mettre l’accent sur <strong>les</strong> forces externes comme forces activatrices <strong>de</strong><br />
l’engagement.<br />
Les définitions <strong>de</strong>meurent relativement floues et <strong>les</strong> termes fréquemment<br />
intervertis <strong>dans</strong> une confusion conceptuelle certaine, alors qu’il s’agit <strong>de</strong> concepts<br />
spécifiques différents. Il est cependant assez intéressant <strong>de</strong> remarquer que l’on parle<br />
plus volontiers d’implication que d’engagement <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du management.<br />
Alors que le terme d’engagement est plus en lien avec l’idée d’une prise <strong>de</strong><br />
responsabilité incarnée <strong>dans</strong> une action, le terme d’implication, quant à lui, réfère<br />
davantage à un état et une i<strong>de</strong>ntification quasi inconditionnelle. L’observation du<br />
terme « involvment » <strong>dans</strong> la langue anglaise traduit bien cette idée d’implication<br />
totale <strong>dans</strong> une sorte « d’enveloppement » complet <strong>de</strong> l’individu. Pour Maslach,<br />
Schaufeli & Leiter (2001) l’engagement professionnel diffère <strong>de</strong> l’implication en cela<br />
qu’il a avoir avec l’enthousiasme inhérent au travail lui-même. La spécificité <strong>de</strong><br />
l’engagement est sa stabilité <strong>dans</strong> le temps (Hallberg et al., 2007). Le désengagement,<br />
au contraire, est marqué par le retrait et l’auto-protection physique, cognitive et<br />
émotionnelle.<br />
Succédant à la notion <strong>de</strong> vocation, l’engagement se révèle donc un concept<br />
assez récent, qui a commencé à attirer l’attention avec la conceptualisation du<br />
burnout. La psychologue Maslach, première à avoir étudié <strong>les</strong> dimensions du<br />
burnout, définit l’engagement comme étant le concept opposé. Les trois dimensions<br />
qu’elle a mises en évi<strong>de</strong>nce <strong>dans</strong> le burnout, et qui sont : l’épuisement émotionnel, la<br />
dépersonnalisation et la perte du sentiment <strong>de</strong> compétence, <strong>de</strong>viennent <strong>dans</strong><br />
l’engagement : le haut potentiel énergétique, l’implication forte et le sentiment <strong>de</strong><br />
compétence (Maslach & Leiter, 1997).<br />
Un peu plus tard, d’autres auteurs démontreront que le concept d’engagement<br />
est plus complexe et que, malgré sa relation certaine au burnout, on ne peut le limiter<br />
à être son opposé (Schaufeli & Salanova, 2007). L’engagement n’est pas seulement<br />
l’absence <strong>de</strong> burnout, mais l’incarnation du bien-être au travail. Il se caractérise par la<br />
cohérence du comportement avec la visée d’un objectif précis et l’adoption ou le rejet<br />
d’attitu<strong>de</strong>s ou d’alternatives, en fonction <strong>de</strong> cet objectif (Becker, 2006).<br />
Le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> est communément reconnu comme<br />
particulièrement propice aux pathologies du stress, <strong>de</strong> type burnout. Or <strong>les</strong> étu<strong>de</strong>s<br />
166
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
sur le burnout pointent fréquemment du doigt l’engagement comme étant l’un <strong>de</strong>s<br />
facteurs principaux <strong>de</strong> l’épuisement. On le comprend aisément, si l’on sait que<br />
l’engagement est lié à la cohérence et que cette <strong>de</strong>rnière ne pourra trouver sa pleine<br />
expression que lorsque l’individu pourra y laisser jaillir ses valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong>, c’est-à-dire qu’il choisira <strong>les</strong> alternatives qui sont en cohérence avec<br />
sa posture axiologique. C’est cette cohérence qui va pouvoir constituer le sens <strong>de</strong> son<br />
activité. On relève ici l’ambivalence d’une attitu<strong>de</strong> qui s’avère, d’un côté,<br />
indispensable à l’exercice <strong>de</strong> la profession et, <strong>de</strong> l’autre, représente un danger majeur<br />
pour la santé <strong>de</strong>s soignants. Et la définition <strong>de</strong> Jorro et De Ketele <strong>de</strong> l’engagement<br />
nous semble ici la plus adéquate pour rendre compte <strong>de</strong> cette tension que vivent <strong>les</strong><br />
soignants <strong>dans</strong> leur engagement, celui-ci étant défini par ces auteurs comme :<br />
« l’ensemble dynamique <strong>de</strong>s comportement qui, <strong>dans</strong> un contexte donné,<br />
manifeste l’attachement à la profession, <strong>les</strong> efforts consentis pour elle<br />
ainsi que le sentiment du <strong>de</strong>voir vis -à-vis d’elle et qui donne sens à la<br />
vie professionnelle au point <strong>de</strong> marquer l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et<br />
personnelle. » (Jorro & De Ketele, à paraître).<br />
Et <strong>les</strong> auteurs <strong>de</strong> préciser que <strong>dans</strong> ce processus dynamique, <strong>les</strong> trois sphères <strong>de</strong><br />
l’attachement, <strong>de</strong>s efforts et du <strong>de</strong>voir sont interreliées, et <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> leurs<br />
interactions dépend le sens que <strong>les</strong> individus vont trouver à leur activité.<br />
167
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
168
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
CHAPITRE 7 : L’ÉTHIQUE DE L’ENGAGEMENT : ENTRE LES<br />
SOINS ET LE MANAGEMENT<br />
Selon Svandra, le soin s’appuie sur une exigence éthique fondamentale : celui<br />
<strong>de</strong> « ne jamais laisser autrui à sa souffrance et à sa solitu<strong>de</strong> » (Svandra, 2009b,<br />
p.14). La mission est ardue et la responsabilité gigantesque pour <strong>les</strong> soignants !<br />
Ce d’autant qu’ils sont soumis à ru<strong>de</strong> épreuve par le contexte <strong>de</strong> restrictions<br />
budgétaires actuel. Peut-on imaginer un soignant sans engagement ? Est-il possible<br />
d’envisager une pratique qui ne soit pas habitée par une implication minimale, sans<br />
que cela ne pose très concrètement la question <strong>de</strong> l’éthique ? Peut-on s’imaginer un<br />
soignant indifférent ? Cela semble peu compatible avec l’exercice <strong>de</strong> la profession !<br />
Pour autant, peut-on attendre <strong>de</strong> lui qu’il soit habité d’une motivation absolue et<br />
inébranlable ? On ne peut, <strong>de</strong> manière objective et péremptoire, qualifier l’attitu<strong>de</strong><br />
d’un être humain <strong>de</strong> distanciée (indifférente) ou d’engagée. Pour le sociologue<br />
Norbert Elias, il y a un continuum entre ces <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>. Selon <strong>les</strong> circonstances,<br />
l’individu est poussé davantage vers l’une ou l’autre <strong>de</strong> ces extrémités (Elias, 1993).<br />
Si tant est que nous nous référions à la dimension <strong>de</strong> responsabilité et<br />
d’humanité, considérées comme fon<strong>de</strong>ment inaliénable <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin, tel que<br />
nous l’avons développé <strong>dans</strong> la première partie, l’engagement <strong>de</strong>vient dès lors une<br />
condition sine qua non à cette même relation. L’éthique <strong>de</strong> l’engagement prend<br />
racine tout naturellement <strong>dans</strong> l’éthique même <strong>de</strong> la profession soignante. L’éthique<br />
est indissociable <strong>de</strong> l’engagement, dont elle est une forme d’expression. Vivre <strong>de</strong><br />
manière éthique signifie s’engager et vivre le lien à ce qui nous entoure d’une façon<br />
particulière. Contrairement au droit qui s’impose à nous, l’éthique en appelle à la<br />
conscience <strong>de</strong> l’individu <strong>dans</strong> sa singularité, au-<strong>de</strong>là et en lien avec une collectivité<br />
(Savadogo, 2008).<br />
La crise économique et l’avènement du néolibéralisme ont amené <strong>de</strong>s<br />
169
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
changements considérab<strong>les</strong> au sein <strong>de</strong> la pratique infirmière.<br />
Si l’engagement infirmier est avant tout mû par une dimension empathique,<br />
altruiste, voire adopte même parfois une forme <strong>de</strong> don <strong>de</strong> soi, <strong>les</strong> contraintes<br />
imposées par <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion actuels, conduisent cette pratique à se calquer sur<br />
<strong>les</strong> modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’entreprise (De Gaulejac, 2011). Elle est amenée à répondre à <strong>de</strong>s<br />
objectifs <strong>de</strong> rentabilité qui ne sont pas toujours compatib<strong>les</strong> avec <strong>les</strong> valeurs et idéaux<br />
<strong>de</strong>s soignants. Aux prises avec <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeurs, ceux-ci peuvent alors sombrer<br />
<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s formes d’engagement pathologiques, ce qui nous conduira à évoquer <strong>les</strong><br />
risques liés à l’engagement.<br />
7.1 L’engagement au cœur d’un métier humain<br />
Les infirmières, une profession d’ai<strong>de</strong> avant tout, se décrivent el<strong>les</strong>-mêmes<br />
comme ayant un fort sens <strong>de</strong> la responsabilité et du <strong>de</strong>voir, très exigeantes envers<br />
el<strong>les</strong>-mêmes et <strong>les</strong> autres, se sentant responsab<strong>les</strong> <strong>de</strong> leurs réussites et <strong>de</strong> leurs échecs,<br />
avec un sentiment quasi omniprésent <strong>de</strong> ne jamais en faire assez. El<strong>les</strong> pensent avoir<br />
un niveau d’attentes élevé sur le plan éthique, avec la volonté <strong>de</strong> respecter certaines<br />
valeurs très importantes à leurs yeux (De Bouvet & Sauvaige, 2005). Le sens du<br />
<strong>de</strong>voir et la responsabilité éthique apparaissent comme <strong>de</strong>s éléments fondamentaux,<br />
<strong>dans</strong> un choix professionnel qui se veut au service <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s. C’est ici que s’inscrit<br />
tout le sens <strong>de</strong> l’engagement professionnel <strong>de</strong>s soignants.<br />
L’engagement infirmier est multifocal. Il ne saurait se limiter à l’engagement<br />
<strong>dans</strong> la relation au patient, mais se décline à différents niveaux :<br />
Dans la relation <strong>de</strong> soin,<br />
Dans la dynamique <strong>de</strong>s équipes,<br />
Dans l’institution,<br />
Au service <strong>de</strong> la profession,<br />
Au service <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />
L’engagement d’une personne peut être très important <strong>dans</strong> l’une ou l’autre <strong>de</strong>s<br />
catégories et beaucoup plus modéré <strong>dans</strong> d’autres domaines. Cependant, qu’il soit<br />
modéré ou non, il n’en reste pas moins un moteur essentiel <strong>de</strong> l’exercice<br />
170
professionnel.<br />
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Dans ce processus d’engagement, le soignant habite le rôle clé <strong>de</strong> l’acteur.<br />
L’éthique, en tant que réflexion sur l’agir, commence <strong>dans</strong> un premier temps par<br />
l’interroger personnellement, elle interroge son implication <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations<br />
rencontrées. L’éthique est trop largement perçue comme un outil <strong>de</strong> réflexion sur <strong>de</strong>s<br />
situations présentant <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeurs, au détriment <strong>de</strong> l’agir au quotidien, qui<br />
s’en trouve ainsi lésé, alors que « tout acte est porté par <strong>de</strong>s valeurs ou peut être<br />
analysé au nom <strong>de</strong>s valeurs » (Houssaye, 1999, p.231).<br />
Dans la pratique institutionnelle, l’éthique ne se distingue <strong>de</strong> la morale que<br />
difficilement pour porter son regard sur <strong>les</strong> aléas du « Bien » <strong>dans</strong> le concret d’une<br />
situation. Mais ne considérer l’éthique que sous cet angle, c’est occulter la part<br />
essentielle d’introspection à laquelle elle convie en examinant <strong>les</strong> valeurs<br />
personnel<strong>les</strong>, ce qui motive <strong>les</strong> pensées et <strong>les</strong> actes du soignant, et par là même, son<br />
engagement auprès du patient. Il ne s’agit pas ici d’une introspection narcissique,<br />
mais d’une nécessaire prise en compte <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> personnels du soignant,<br />
ingrédients significatifs pour sa motivation et son engagement.<br />
Nier <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> <strong>de</strong> la personne qui soigne, c’est nier qu’il est nécessaire pour<br />
elle <strong>de</strong> percevoir un certain bien-être pour pouvoir donner <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>de</strong> qualité et<br />
s’impliquer pleinement <strong>dans</strong> son exercice quotidien, mais également <strong>dans</strong> sa<br />
profession, et par là même se construire une véritable i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Déjà<br />
<strong>les</strong> philosophes <strong>de</strong> l’Antiquité affirmaient que le soin <strong>de</strong> l’Autre passe avant tout par<br />
le soin <strong>de</strong> soi, considérant que l’on ne pouvait réellement prendre soin <strong>de</strong>s autres <strong>de</strong><br />
manière adéquate que si l’on avait au préalable trouvé son propre équilibre (Gros,<br />
2007). Ricœur (1990) explique également que la possibilité <strong>de</strong> s’ouvrir à l’Autre <strong>dans</strong><br />
une objectivité <strong>de</strong> l’altérité ne peut exister que <strong>dans</strong> la mesure où l’on s’ouvre à soi-<br />
même d’abord, <strong>dans</strong> une démarche d’introspection. Et Arendt nous rappelle<br />
également que la pensée commence d’abord à dialoguer avec elle-même avant <strong>de</strong><br />
s’ouvrir à l’autre (Arendt, 1973). L’intersubjectivité et l’authenticité qui marquent<br />
notre rencontre avec l’Autre présupposent une introspection et une réflexion éthique<br />
préalable. « La connaissance <strong>de</strong> soi est une conditi on <strong>de</strong> la rencontre avec<br />
l’Autre. » (Gohier, 2007, p.11). C’est l’approfondissement <strong>de</strong>s pô<strong>les</strong> « Je » et « Tu »,<br />
dont parle Ricœur (1990), qui requiert ici toute notre attention. L’éthique se veut le<br />
171
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
garant <strong>de</strong>s liens entre <strong>les</strong> trois pô<strong>les</strong> du triangle éthique (le troisième pôle, le « il »,<br />
étant l’institution, la société et sa morale). L’éthique est une manière d’être à soi-<br />
même, au mon<strong>de</strong> et à l’Autre (Svandra, 2004). Le visage <strong>de</strong> l’Autre interpelle<br />
indirectement la conscience du soignant pour le rappeler à sa responsabilité selon<br />
l’approche lévinassienne.<br />
C’est dire que l’engagement ne peut se penser <strong>dans</strong> un contexte solipsiste, mais<br />
se trouve niché au cœur même <strong>de</strong> relations socia<strong>les</strong>. L’engagement est profondément<br />
enraciné <strong>dans</strong> l’éthique. Il ne peut s’en extraire puisqu’il est mû par ce qu’il y a <strong>de</strong><br />
plus profond <strong>dans</strong> l’individu et s’inscrit <strong>dans</strong> un rapport d’extériorité et <strong>de</strong> relation.<br />
Cette ouverture à l’Autre est indispensable au soin, qui a pour vocation d’accueillir<br />
cet Autre <strong>dans</strong> sa détresse et <strong>dans</strong> ce qu’il est. C’est parce que l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’Autre est<br />
respectée, que celui-ci peut envisager une relation sécurisante et <strong>de</strong> confiance.<br />
L’engagement, même s’il est porté à réalisation par une seule personne,<br />
s’effectue en regard d’autres personnes, ou en tout cas d’autres objets mus par <strong>de</strong>s<br />
personnes. C’est par la médiation d’un tiers et <strong>de</strong> son action sur ma personne, que je<br />
vais m’engager ou non. La parole joue alors un rôle primordial <strong>dans</strong> ce travail <strong>de</strong><br />
construction réalisé en commun. En tout premier lieu, le soignant s’engage à écouter,<br />
acte en lui-même fondamentalement éthique, nécessitant une gran<strong>de</strong> ouverture et<br />
beaucoup d’empathie, <strong>dans</strong> une relation parfois même dépourvue <strong>de</strong> communication<br />
orale. À partir <strong>de</strong> cette écoute va ensuite pouvoir s’élaborer une construction<br />
commune qui va donner du sens à l’action, qu’elle soit professionnelle ou non.<br />
7.2 L’engagement <strong>dans</strong> une société néolibérale<br />
L’engagement, en tant que comportement humain inhérent à l’activité<br />
soignante, se trouve donc <strong>dans</strong> un champ <strong>de</strong> tension propre à la société néolibérale<br />
qui est la nôtre. La crise économique et <strong>les</strong> mesures <strong>de</strong> restrictions budgétaires, qui<br />
ont été mises en place pour y faire face par l’intermédiaire <strong>de</strong> la gouvernance, sont<br />
portées par un management dont <strong>les</strong> objectifs premiers sont la rentabilité et<br />
l’efficience. Si ces mesures sont sans doute, <strong>dans</strong> une large partie, réellement<br />
nécessaires et pertinentes, leur application n’en est pas moins parfois très critiquable<br />
172
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
et on ne peut s’empêcher <strong>de</strong> leur imputer certaines <strong>de</strong>s problématiques aigües<br />
rencontrées aujourd’hui <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du travail (Martucelli, 2006).<br />
Il y a un champ <strong>de</strong> tension entre <strong>les</strong> objectifs sous-jacents <strong>de</strong>s institutions à<br />
entretenir et promouvoir l’engagement, et l’engagement véritable <strong>de</strong>s personnes à<br />
s’investir pour une cause profondément humaine. La tension n’est elle-pas celle qui<br />
oppose quelque part une profession <strong>dans</strong> laquelle il est attendu que l’on donne sans<br />
compter, et une logique <strong>de</strong> management où tout doit au contraire être compté et<br />
rentabilisé ?<br />
7.3 Engagement, entre satisfaction et performance<br />
Si l’engagement suscite autant d’intérêt auprès <strong>de</strong>s institutions, c’est bien parce<br />
qu’il est synonyme d’une certaine performance. On ne saurait pour autant nier la<br />
part <strong>de</strong> satisfaction que celui-ci confère aussi à ceux qui s’investissent <strong>dans</strong> leur<br />
activité.<br />
De nombreuses entreprises considèrent que la satisfaction au travail est la<br />
mesure par excellence pour savoir si leurs employés sont heureux <strong>dans</strong> leur<br />
entreprise. Bien que présentant <strong>de</strong>s corrélations fortes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mesures<br />
psychométriques, <strong>les</strong> concepts <strong>de</strong> satisfaction et d’engagement diffèrent. En effet,<br />
l’engagement se centre davantage sur la motivation cognitive et affective éprouvée<br />
lors <strong>de</strong> son travail sur une longue pério<strong>de</strong>. L’engagement met donc l’accent sur<br />
l’aspect cognitif <strong>de</strong> l’implication <strong>dans</strong> le travail, alors que la satisfaction accentue<br />
avant tout l’aspect affectif caractérisant le sentiment <strong>de</strong> bien-être, en lien avec un<br />
travail épanouissant.<br />
De plus l’engagement permet <strong>de</strong> répondre à un besoin profond <strong>de</strong> valeur<br />
sociale. Dans une société où la reconnaissance sociale ne va pas <strong>de</strong> soi, l’engagement<br />
permet <strong>de</strong> l’acquérir <strong>dans</strong> une certaine mesure (Mucchielli, 2006).<br />
Selon Bakker (2008), cinq étu<strong>de</strong>s empiriques démontrent <strong>de</strong>s corrélations<br />
importantes entre l’engagement au travail et la performance. Il note <strong>les</strong> raisons<br />
principa<strong>les</strong> à cette performance. Les personnes engagées éprouvent <strong>de</strong>s sentiments<br />
positifs tels que la joie ou l’enthousiasme. El<strong>les</strong> ont une meilleure santé, <strong>de</strong>viennent<br />
<strong>les</strong> artisans <strong>de</strong> leur emploi en se créant eux-mêmes <strong>de</strong>s ressources, et transmettent<br />
173
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
leur engagement à d’autres, <strong>de</strong>venant par là- même plus efficaces en tant qu’équipe.<br />
Reyes (1990) a mis en évi<strong>de</strong>nce, au travers <strong>de</strong> plusieurs étu<strong>de</strong>s, la corrélation entre <strong>les</strong><br />
résultats scolaires et l’engagement <strong>de</strong>s enseignants. Là où ces <strong>de</strong>rniers sont plus<br />
impliqués, préoccupés par la formation <strong>de</strong>s enfants, créatifs, innovateurs…, <strong>les</strong><br />
résultats <strong>de</strong>s élèves sont nettement supérieurs.<br />
On le voit, l’engagement, s’il est bien géré, peut avoir <strong>de</strong>s effets tout à fait<br />
positifs sur l’individu. Les psychologues ont montré que <strong>les</strong> enjeux <strong>de</strong> ce<br />
comportement sont multip<strong>les</strong>, tant pour l’individu que pour son entourage, et en<br />
particulier l’institution ou l’entreprise qui l’emploie.<br />
Au niveau individuel :<br />
L’individu engagé s’avère plus performant et plus impliqué. Le sens <strong>de</strong> la<br />
responsabilité qui émane <strong>de</strong> cet engagement fait qu’il <strong>de</strong>vient important pour<br />
lui d’être performant ;<br />
La satisfaction au travail crée un état <strong>de</strong> bien-être chez <strong>les</strong> personnes, qui a <strong>de</strong>s<br />
répercussions positives sur leur vie privée en produisant <strong>de</strong>s ressources<br />
personnel<strong>les</strong> (optimisme, estime <strong>de</strong> soi, sentiment <strong>de</strong> compétence) et<br />
également <strong>de</strong>s ressources professionnel<strong>les</strong>, puisque l’engagement suscite le<br />
soutien social, favorise l’autonomie et la critique constructive. L’enthousiasme<br />
et l’énergie investis <strong>dans</strong> le travail se voient également investis <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
activités, voire <strong>dans</strong> du bénévolat parfois. À la différence <strong>de</strong>s workaholics, <strong>les</strong><br />
personnes engagées apprécient <strong>de</strong> s’adonner à <strong>de</strong>s activités extra-<br />
professionnel<strong>les</strong>. Ces personnes expérimentent <strong>de</strong>s émotions positives, <strong>de</strong> la<br />
joie, <strong>de</strong> l’enthousiasme, une meilleure santé et transmettent leur engagement à<br />
d’autres personnes (Schaufeli & Van Rhenen, 2006 ; Hakanen, 2006 ). Dans une<br />
étu<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong> différentes organisations hollandaises, Schaufeli & Bakker ont<br />
montré que <strong>les</strong> individus engagés souffrent moins <strong>de</strong> maux <strong>de</strong> tête, <strong>de</strong><br />
problèmes cardio-vasculaires et <strong>de</strong> douleurs à l’estomac.<br />
Les différentes étu<strong>de</strong>s menées arrivent à la conclusion que <strong>les</strong> personnes<br />
engagées professionnellement sont mieux à même <strong>de</strong> mobiliser leurs<br />
ressources personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong>, qui, à leur tour, <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s<br />
stimulateurs <strong>de</strong> l’engagement futur, et ainsi <strong>de</strong> suite.<br />
174
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Par ailleurs le travail est un moyen important d’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire, jouant<br />
un rôle <strong>de</strong> médiateur entre l’individu et la société. Il donne une signification et<br />
une valeur par la contribution sociale que peut apporter l’individu et qui fait<br />
sens pour lui (Duchesne & Savoie-Zajc, 2005).<br />
Au niveau professionnel, l’engagement a un effet positif sur la manière dont le<br />
professionnel exerce son activité. Engelbrecht (2006) a mis en évi<strong>de</strong>nce que <strong>de</strong>s<br />
sages-femmes engagées sont empathiques à l’égard <strong>de</strong> leurs patientes et<br />
efficaces <strong>dans</strong> leur activité. Des relations ont été établies entre l’engagement et<br />
la performance (Bakker & Demerouti, 2007 ; Xanthopoulou, 2007).<br />
Par ailleurs, l’engagement est contagieux. Des personnes engagées suscitent<br />
l’engagement <strong>de</strong> leurs collègues en communiquant leur optimisme, leurs<br />
attitu<strong>de</strong>s chaleureuses et leurs comportements pro-actifs créant un climat<br />
d’équipe positif, indépendant <strong>de</strong>s exigences et ressources du contexte.<br />
L’équipe est alors plus performante <strong>dans</strong> son entier (Bakker & Demerouti,<br />
2008 ; Bakker & Demerouti, 2007 ; Bareil, 2004).<br />
Au niveau institutionnel, l’engagement joue un rôle clé en tant que médiateur<br />
entre <strong>les</strong> ressources mises à disposition par l’institution et l’intention <strong>de</strong><br />
quitter leur emploi <strong>de</strong>s salariés (Bakker & Demerouti, 2008). Le modèle <strong>de</strong><br />
l’engagement professionnel <strong>de</strong> Demerouti (JD-R mo<strong>de</strong>l) met en évi<strong>de</strong>nce le<br />
lien étroit entre <strong>les</strong> ressources personnel<strong>les</strong>, professionnel<strong>les</strong> et l’engagement.<br />
Des personnes engagées sont moins enclines à vouloir quitter leur emploi<br />
(Bakker, Demerouti, De Boer & Schaufeli, 2003).<br />
Des étu<strong>de</strong>s montrent que promouvoir l’engagement <strong>de</strong>s employés prévient<br />
sensiblement <strong>les</strong> cas <strong>de</strong> burnout.<br />
L’engagement est également facteur contribuant à la performance et à<br />
l’efficacité et donc à une réduction <strong>de</strong> coûts pour l’institution (Laschinger &<br />
Leiter, 2006).<br />
On comprend dès lors que <strong>les</strong> employeurs puissent trouver un intérêt tout<br />
particulier à promouvoir l’engagement <strong>de</strong> leurs employés. Et <strong>les</strong> sociologues mettent<br />
175
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
en gar<strong>de</strong> contre cet engouement récent mais passionné du management à vouloir<br />
favoriser le développement <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong>s individus.<br />
Pour Yves Clot,<br />
« on assiste à une démesure <strong>de</strong> l’engagement. Une sorte d’engagement à<br />
s’engager, au nom <strong>de</strong> la performance, <strong>de</strong> la productivité, <strong>de</strong> la<br />
rentabilité. » (Clot, 2006, p.22).<br />
L’engagement s’est développé en parallèle à ce mouvement néolibéral qui<br />
cherche à accroître la rentabilité par tous <strong>les</strong> moyens. En jouant <strong>dans</strong> la démesure, et<br />
en essayant d’investir la sphère affective <strong>de</strong> l’individu pour atteindre le maximum<br />
d’efficience, l’engagement risque bien alors d’avoir <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces fortement néfastes<br />
sur la santé. Il s’agit d’ailleurs d’un risque avéré, attesté par un nombre considérable<br />
<strong>de</strong> recherches menées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> pays occi<strong>de</strong>ntaux, et qui mettent toutes en évi<strong>de</strong>nce le<br />
lien entre un rapport faussé au travail et diverses pathologies du stress (Dejours,<br />
2008).<br />
7.4 Les risques liés à l’engagement<br />
C’est <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1970 que Freu<strong>de</strong>nberger, neuro-psychiatre, évoque l’idée<br />
que le burnout serait une « maladie <strong>de</strong> l’âme en <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> son idéal ». En disant cela, il<br />
met en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> phénomènes récurrents observés chez <strong>de</strong>s bénévo<strong>les</strong> largement<br />
investis auprès <strong>de</strong> populations toxicomanes <strong>de</strong> la région newyorkaise. Or, parmi ces<br />
phénomènes récurrents, il relève un engagement hors du commun, tant sur le plan<br />
temporel que matériel, voire sentimental. De l’extérieur il assimile l’engagement à<br />
une « bouée <strong>de</strong> sauvetage » pouvant parfois permettre <strong>de</strong> rejoindre une certaine<br />
forme d’idéal. De très nombreuses étu<strong>de</strong>s confirmeront par la suite que la surcharge<br />
physique, si elle joue un rôle <strong>dans</strong> l’épuisement, n’en est cependant pas le vecteur<br />
exclusif, ni même principal. Elle se trouve corrélée à un ensemble <strong>de</strong> facteurs, dont<br />
celui <strong>de</strong> la perte d’un idéal qui semble jouer un rôle majeur (Delbrouck, 2004).<br />
Alors que <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> pressions s’exercent sur <strong>les</strong> soignants, comment ne pas<br />
comprendre cette crainte <strong>de</strong>vant un engagement qui semble ne jamais être suffisant<br />
176
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
et peut <strong>de</strong>venir, en fin <strong>de</strong> compte, un véritable piège ? Comment ne pas comprendre<br />
cette peur <strong>de</strong> voir l’engagement se consumer (traduction littérale du terme burnout)<br />
avant même d’avoir pu atteindre un quelconque objectif. Si nous revenons sur<br />
l’origine du mot burnout, il est intéressant <strong>de</strong> noter que son emploi premier<br />
caractérisait, <strong>dans</strong> l’aéronautique, l’état d’une fusée qui avait brûlé tout son<br />
carburant. La flamme s’éteignait et la fusée, après avoir poursuivi sa trajectoire<br />
quelques minutes, retombait pour s’écraser sur le sol. Faut-il risquer <strong>de</strong> voir son<br />
engagement se consumer ainsi, avec <strong>les</strong> conséquences qui en découlent ?<br />
Aisée sur le papier, la tâche est plus ardue <strong>dans</strong> la réalité. En effet comment<br />
rester empathique à l’égard du patient, être pleinement authentique et compréhensif,<br />
dès lors que la surcharge émotionnelle exige une prise <strong>de</strong> distance <strong>de</strong> la subjectivité<br />
du patient ? Convient-il à ce moment-là <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> limites à l’engagement ?<br />
L’engagement fait peur et le risque est là <strong>de</strong> voir <strong>les</strong> soignants se glisser <strong>dans</strong><br />
l’armure protectrice <strong>de</strong> l’indifférence. Indifférence non par choix ou par manque <strong>de</strong><br />
compassion, mais par simple mesure d’autoprotection. Ainsi, pour Elias, qui<br />
substitue à l’indifférence la notion <strong>de</strong> distanciation, il s’agit d’un mécanisme qui<br />
permet <strong>de</strong> se protéger <strong>de</strong>s incertitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’engagement et <strong>de</strong> l’imprévisible qui peut<br />
surgir <strong>dans</strong> l’investissement (Elias, 1993).<br />
Apprendre à contrôler ses émotions est un passage obligé pour se protéger. Il<br />
s’agit là d’une indifférence toute relative, « constitutive <strong>de</strong> tout<br />
professionnalisme » (Giraud, 2003, p.108), qui ne saurait s’apparenter à une<br />
négation <strong>de</strong> l’Autre, mais relève davantage d’une logique professionnelle d’auto-<br />
protection, réponse du groupe à la menace <strong>de</strong> b<strong>les</strong>sure <strong>de</strong> son intégrité psychique.<br />
L’indifférence, comme capacité à oublier certains aspects d’une situation précise,<br />
constitue un mécanisme <strong>de</strong> défense qui démontre <strong>les</strong> nécessaires limites <strong>de</strong><br />
l’engagement. Celle-ci ne doit simplement pas sombrer <strong>dans</strong> une routine<br />
assoupissante qui « peut être en cela un comportement à risque » (Giraud, 2003,<br />
p.272).<br />
Mais l’indifférence, si elle se généralise et <strong>de</strong>vient un refuge trop régulier, va<br />
alors <strong>de</strong>venir un danger pour l’i<strong>de</strong>ntité même du soignant, et en particulier son<br />
i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Par ailleurs, à côté <strong>de</strong> cette indifférence passive, <strong>les</strong><br />
nombreux abandons <strong>de</strong> la profession, ainsi que le taux impressionnant <strong>de</strong><br />
177
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
pathologies menta<strong>les</strong> dont affirment souffrir <strong>les</strong> soignants, pèsent lourd <strong>dans</strong> la<br />
balance du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> la profession (Estryn-Béhar, 2004). Pour comprendre ce qui est<br />
réellement délétère <strong>dans</strong> l’engagement d’un individu, il est nécessaire d’en<br />
comprendre <strong>les</strong> attributs et <strong>les</strong> composantes.<br />
178
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
CHAPITRE 8 : LES CONCEPTS COROLLAIRES DE<br />
L’ENGAGEMENT<br />
Dans cette perspective d’une meilleure compréhension du phénomène, nous<br />
allons tenter d’éclairer la notion d’engagement en la liant à <strong>de</strong>s domaines<br />
conceptuellement voisins qui l’influencent très directement et la façonnent <strong>dans</strong> ces<br />
différentes acceptions.<br />
Il est en effet presque impossible <strong>de</strong> dissocier l’engagement <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong><br />
responsabilité, sans l’amputer d’un fon<strong>de</strong>ment essentiel. Ainsi, nous verrons <strong>dans</strong><br />
cette section, comment la responsabilité envisagée avec la dimension <strong>de</strong> « <strong>de</strong>voir »,<br />
influence et détermine l’engagement individuel, engagement qui ne saurait pour<br />
autant s’inscrire uniquement <strong>dans</strong> un acte <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir en faisant abstraction <strong>de</strong> toute<br />
forme d’autonomie. Si l’engagement est individuel, il suppose une marge <strong>de</strong> liberté<br />
<strong>de</strong> l’homme, pour laisser sa motivation s’y développer et le faire advenir pleinement.<br />
Mais la motivation et l’engagement ne sont réellement viab<strong>les</strong> que s’ils s’intègrent<br />
<strong>dans</strong> un environnement qui fasse sens et leur confèrent leur raison d’être et d’agir.<br />
8.1 Engagement et responsabilité<br />
L’engagement est-il toujours responsable ? Et la responsabilité implique-t-elle<br />
automatiquement un engagement ?<br />
L’être humain n’est pleinement sujet que lorsqu’il exerce cette responsabilité<br />
qui fait <strong>de</strong> lui un sujet conscient et porteur d’un savoir qui l’ai<strong>de</strong> à endosser cette<br />
responsabilité, non pas en lui permettant d’en concevoir la simple possibilité mais<br />
bien la réelle et incontournable nécessité.<br />
Svandra affirme que l’engagement, c’est « le fait <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r à l’avance d’être<br />
responsable <strong>de</strong> ce que l’on va faire » (Svandra, 2006, p.44) et <strong>de</strong> le faire avec une<br />
pru<strong>de</strong>nce constante. Il ne s’agit pas là <strong>de</strong> la pru<strong>de</strong>nce au sens où on l’entend<br />
179
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
communément aujourd’hui, mais <strong>de</strong> la pru<strong>de</strong>nce <strong>dans</strong> le sens d’une vigilance<br />
constante face à un mon<strong>de</strong> toujours plus orienté vers la technique, au risque d’opérer<br />
une réification <strong>de</strong> l’humain. On entend par là également une inquiétu<strong>de</strong> saine pour le<br />
respect <strong>de</strong> ce que l’on s’est engagé à faire, une pru<strong>de</strong>nce au sens aristotélicien <strong>de</strong> la<br />
phronesis. Face à la routine et à l’usure du temps, cette inquiétu<strong>de</strong> doit réveiller<br />
quotidiennement notre attention à la singularité <strong>de</strong> celui qui est soigné. Il y a bien là<br />
un double mouvement entre l’engagement qui induit la responsabilité, alors même<br />
que la responsabilité implique l’engagement. Est-il réellement possible d’imaginer<br />
une responsabilité sans engagement ?<br />
Si l’on se réfère à Jonas (1990), la responsabilité peut s’exprimer <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />
manières. Le soignant se trouve face à une responsabilité juridique à laquelle il doit<br />
se soumettre sous peine <strong>de</strong> sanctions, c’est l’imputation causale <strong>de</strong> ce qu’il a commis.<br />
Mais il est aussi face à une responsabilité morale plus délicate, parce que<br />
relativement subjective. Il s’agit là <strong>de</strong> la responsabilité face à ce qui n’a pas encore été<br />
réalisé, mais qui relève <strong>de</strong> son vouloir et <strong>de</strong> son pouvoir.<br />
« Un concept en vertu duquel je me sens donc responsable non en<br />
premier lieu <strong>de</strong> mon comportement et <strong>de</strong> ses conséquences, mais <strong>de</strong> la<br />
chose qui revendique mon agir. » (Jonas, 1990, p.132).<br />
En d’autres termes, il s’agit d’une responsabilité qui m’incombe face aux<br />
possibilités qui sont <strong>les</strong> miennes <strong>de</strong> permettre le développement <strong>de</strong> conditions<br />
favorab<strong>les</strong> pour ma situation et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> mon entourage. Il y a donc une part <strong>de</strong><br />
responsabilité qui découle du <strong>de</strong>voir, et une part <strong>de</strong> responsabilité assimilée au<br />
sentiment d’obligation lié à ce <strong>de</strong>voir.<br />
« Le <strong>de</strong>voir précè<strong>de</strong> la responsabilité en ce sens qu’il la fon<strong>de</strong>, et en<br />
même temps il suit la responsabilité, en ce sens que c’est <strong>dans</strong> la mesure<br />
où on est responsable que l’on peut s’éprouver comme obligé . » (Ladrière,<br />
1997, p.152).<br />
L’infirmière porte une gran<strong>de</strong> responsabilité : elle est soumise à la fois aux<br />
180
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
ordres médicaux et à son <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> « prendre soin ». Elle porte une responsabilité<br />
juridique pour ses actes. La difficulté se pose alors pour elle lorsque ces <strong>de</strong>ux sources<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs entrent en conflit, voire s’opposent. Le bien du patient ou la non-<br />
malfaisance (principes éthiques communément reconnus <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>) prévalent-ils<br />
sur <strong>les</strong> ordres médicaux ? Ses connaissances doivent permettre à l’infirmière <strong>de</strong> juger<br />
<strong>de</strong> l’éventuelle dangerosité <strong>de</strong> certains ordres auxquels elle se doit alors d’opposer<br />
un refus. Mais cette <strong>de</strong>rnière porte aussi, et peut-être avant tout, une responsabilité<br />
morale face à <strong>de</strong>s actes qu’elle jugerait humainement et moralement incorrects. Le<br />
soignant bénéficie d’une certaine marge <strong>de</strong> liberté <strong>dans</strong> laquelle s’exerce sa<br />
responsabilité, face à un être sur lequel il peut exercer un pouvoir plus ou moins<br />
grand. L’articulation <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux axes, selon la logique philosophique par laquelle<br />
elle est portée, aura d’autres répercussions sur son action soignante. Si l’on se réfère à<br />
Bourdieu, l’homme ne se croit libre que parce qu’il ignore ses liens, il doit chercher à<br />
exercer sa responsabilité, mais n’en est que très relativement responsable puisqu’il<br />
est assujetti au système. En revanche, pour Ricœur par exemple, l’homme est<br />
d’emblée un sujet libre et c’est cette liberté qui implique sa responsabilité. Le triangle<br />
<strong>de</strong>s pô<strong>les</strong> Je, Tu et Il constitue le cadre <strong>dans</strong> lequel s’exprime cette responsabilité.<br />
Cette <strong>de</strong>rnière n’en est pas moins l’expression d’une mise en œuvre <strong>de</strong> l’individu à<br />
partir <strong>de</strong> sa liberté, réelle ou supposée. Et Aristote définissait déjà « le responsable<br />
comme celui qui porte en lui-même le principe <strong>de</strong> son acte », sa responsabilité<br />
dépendant alors <strong>de</strong> sa volonté (Smadja, 2006, p.27) et <strong>de</strong> l’estimation que l’individu,<br />
ou ici l’infirmière, fait <strong>de</strong> ses possibilités d’action. Estimation qu’elle réalise grâce à<br />
son autonomie, et sous la conduite <strong>de</strong> sa pensée éthique qui lui dicte ce qui fait sens.<br />
« Le faire sens oriente ce que je fais en posant la question <strong>de</strong> ma<br />
responsabilité au vu <strong>de</strong> mon pouvoir faire . » (Honoré, 2003, p.176).<br />
En revanche, <strong>dans</strong> la conception <strong>de</strong> Lévinas, c’est la responsabilité qui prend le<br />
pas sur la liberté. « C’est parce que je suis libre que je suis respo nsable » (Gilioli,<br />
2004, p.13) et parce que celui qui me fait face m’interpelle <strong>dans</strong> sa faib<strong>les</strong>se d’être<br />
humain, il m’oblige presque malgré moi à la responsabilité. Et Svandra, cité par<br />
Gilioli, rejoint cette conception lévinassienne lorsqu’il affirme le soin comme<br />
181
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
manifestation <strong>de</strong> l’humanité (Gilioli, 2004). Ce soin est intimement lié à la<br />
responsabilité <strong>dans</strong> la mesure où le fait <strong>de</strong> prendre soin impose <strong>de</strong> « répondre <strong>de</strong><br />
quelque chose envers quelqu’un ». La prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> l’enjeu auquel il fait face<br />
<strong>dans</strong> son activité invite le soignant à la responsabilité. Or cette responsabilité n’est<br />
pas une option mais une obligation et cette réalité pèse lourd sur <strong>les</strong> épau<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />
soignants <strong>dans</strong> le contexte difficile qui est le leur. Elle se trouve <strong>de</strong> fait très souvent<br />
limitée à la première acception définie par Jonas, c’est-à-dire au <strong>de</strong>voir passible <strong>de</strong><br />
sanction en cas <strong>de</strong> manquement.<br />
Et cette responsabilité est d’autant plus difficile à assumer qu’elle se cristallise<br />
toujours davantage sur l’individu dont <strong>les</strong> aspirations visent le risque zéro, avec la<br />
menace du procès comme une épée <strong>de</strong> Damoclès toujours plus présente. Cette<br />
responsabilité, qui s’apparente avant tout à la morale du <strong>de</strong>voir telle que développée<br />
par Kant, fait du <strong>de</strong>voir le principe juridique qui prime sur toute autre considération.<br />
C’est « ce qui s’impose comme obligatoire », à contrario d’une responsabilité qui<br />
s’appuierait sur l’idéal du soignant quant aux <strong>soins</strong> qu’il souhaite pouvoir apporter<br />
et sur <strong>les</strong> finalités mêmes <strong>de</strong> son action, comme le voudraient l’éthique <strong>de</strong> la<br />
responsabilité selon Max Weber, ou encore l’autre pendant <strong>de</strong> la responsabilité<br />
définie par Jonas. On est ici aux prises avec le conflit entre la déontologie d’un côté et<br />
la téléologie <strong>de</strong> l’autre. Et ce qui est teleos pour le soignant ne l’est pas forcément<br />
pour l’institution <strong>de</strong> soin.<br />
Mais la donne se complexifie encore lorsque l’on prend conscience que la<br />
responsabilité représente également un outil important aux mains <strong>de</strong>s acteurs du<br />
management. De fait, la responsabilisation est <strong>de</strong>venue un leitmotiv du nouveau<br />
management qui n’a d’autre intérêt que l’efficience et la rentabilité, par le biais d’une<br />
implication personnelle intense. Ce phénomène est à double tranchant. Si, d'un côté,<br />
le nouveau management tend à responsabiliser l'individu en lui donnant une marge<br />
d'autonomie plus importante, d'autre part, en le rendant responsable <strong>de</strong> ses actes, il<br />
le rend également responsable <strong>de</strong> ses échecs et <strong>de</strong> son stress. Ainsi l'individu qui<br />
subit du stress en <strong>de</strong>vient lui-même responsable. On accusera une mauvaise gestion<br />
personnelle du stress d’en être la source, et l'institution s'en verra ainsi déculpabilisée.<br />
Sous le couvert d’une plus gran<strong>de</strong> autonomie, on affuble aussi le soignant d’une plus<br />
gran<strong>de</strong> responsabilité. La dissémination <strong>de</strong>s différentes prises <strong>de</strong> décision,<br />
182
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
conduisant à une dilution <strong>de</strong>s responsabilités institutionnel<strong>les</strong>, vise finalement à une<br />
focalisation sur la responsabilité individuelle, plus facile à épingler et à condamner<br />
(Ehrenberg, 2010).<br />
Par ailleurs, à force <strong>de</strong> responsabilités multip<strong>les</strong> et diverses, on finit par<br />
annihiler la notion même <strong>de</strong> responsabilité. On pèche alors par excès selon la mesure<br />
d’Aristote.<br />
Si donc la responsabilité va, jusqu’à un certain point, motiver l’engagement et le<br />
soutenir en lui donnant un but, elle ne doit pas se limiter à sa composante normative<br />
mais dépendre <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> l’individu. Soumise à l’excès, <strong>de</strong>s effets délétères<br />
peuvent apparaître, tant pour celui qui en est chargé que pour <strong>les</strong> personnes dont il<br />
s’occupe. En effet comment réagir face à une responsabilité qui augmente <strong>dans</strong><br />
l’exercice du soin, alors même que <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail sont toujours plus<br />
précaires et ne permettent pas <strong>de</strong> pouvoir l’assumer, voire entrent très directement<br />
en conflit avec l’éthique personnelle et professionnelle du soignant ?<br />
Selon Fiat (2006), cette situation, marquée par la fatigue et le découragement,<br />
peut conduire à l’esquive, ce « ren<strong>de</strong>z-vous manqué avec soi-même, avec sa<br />
propre volonté, sa liberté et sa responsabilité » (Fiat, 2006, p.57), ou atteindre la<br />
personne au plus profond d’elle-même, <strong>dans</strong> son être intérieur, en un mouvement<br />
tragique <strong>de</strong> repli sur soi. Même si Rameix (1996, p.87) souligne que<br />
« Etre éthique, c’est accepter et vivre le conflit du bien à faire et du<br />
<strong>de</strong>voir à accomplir, comme si la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> l’homme était d’en sortir<br />
<strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> meilleur qui n’est pas à atteindre, mais à construire »,<br />
il y a tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s limites à ce champ <strong>de</strong> tension qui, lorsqu’il est exacerbé,<br />
<strong>de</strong>vient douloureux et nocif.<br />
La responsabilité implique <strong>de</strong> savoir poser <strong>de</strong>s limites et se préserver en tant<br />
que sujet <strong>de</strong> l’agir. Elle implique un « soin » <strong>de</strong> soi qui ne peut s’exprimer que <strong>dans</strong> la<br />
capacité <strong>de</strong> l’être humain à fixer ses propres règ<strong>les</strong>, donc à exercer son autonomie.<br />
183
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
8.2 Engagement et autonomie<br />
Si l’engagement est à la fois à l’origine <strong>de</strong> la responsabilité, quand bien même il<br />
en est aussi une conséquence, il ne saurait s’exprimer réellement sans être véhiculé<br />
par une démarche autonome.<br />
L’autonomie, considérée comme le fait <strong>de</strong> se donner à soi-même ses propres lois,<br />
ses règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> conduite, l’orientation <strong>de</strong> ses actes, fait partie <strong>de</strong> ces valeurs très en<br />
vogue <strong>dans</strong> notre société. Alors que, selon le principe d’hétéronomie, l’objet donne à<br />
la volonté la loi par son rapport à elle, en revanche, lorsque l’on parle d’autonomie,<br />
on évoque la mise en balance <strong>de</strong>s souhaits ou <strong>de</strong>s désirs d’un côté, avec <strong>de</strong> l’autre<br />
une réflexion critique, guidée par <strong>de</strong>s principes d’action rationnels, permettant<br />
d’évaluer le <strong>de</strong>gré d’acceptabilité <strong>de</strong> ces souhaits et <strong>de</strong> ces désirs. Dans le milieu<br />
médical, on établit <strong>les</strong> projets <strong>de</strong> <strong>soins</strong> en visant la plus gran<strong>de</strong> autonomie possible<br />
du côté du patient. Il s’agit <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si, le plus souvent, on ne confond pas<br />
autonomie et indépendance. En effet permettre à une personne <strong>de</strong> retrouver la<br />
capacité <strong>de</strong> se vêtir ou <strong>de</strong> se mouvoir sans ai<strong>de</strong> relève <strong>de</strong> l’indépendance et non <strong>de</strong><br />
l’autonomie. La question <strong>de</strong> savoir si le patient reste maître <strong>de</strong> ses choix <strong>de</strong>meure<br />
entière. En effet, même si l’intention est sans doute là initialement, le système très<br />
paternaliste du fonctionnement hospitalier comporte <strong>de</strong>s dimensions affectives et<br />
cognitives qui induisent <strong>de</strong>s comportements inconscients, tant <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s acteurs<br />
du soin que <strong>de</strong>s patients eux-mêmes en termes <strong>de</strong> domination et <strong>de</strong> soumission<br />
(Jouan & Laugier, 2009).<br />
Nous restons très influencés par la compréhension kantienne du concept<br />
d’autonomie et il y a lieu <strong>de</strong> dépasser <strong>les</strong> « fragments <strong>de</strong> ce mythe philosophique »<br />
pour s’ouvrir à une compréhension renouvelée (Jouan & Laugier, 2009, p.6). Selon<br />
Kant, en effet, « l’autonomie tend à être conçue comme une intériorisation <strong>de</strong>s<br />
contraintes socia<strong>les</strong>, et c’est la généralité <strong>de</strong> ces contraintes qui rend possible<br />
une intégration <strong>de</strong>s désirs sous la double forme d’une éducation et d’une<br />
soumission <strong>de</strong>s désirs. » (Geay, 2009, p.256). Le tout est soumis à une volonté qui<br />
se doit d’être bonne. Le <strong>de</strong>voir, en qualité d’injonction avec son caractère impératif,<br />
n’est rendu nécessaire que parce que la volonté n’est pas d’emblée toujours bonne et<br />
que <strong>les</strong> désirs naturels pourraient avoir le <strong>de</strong>ssus. L’acte moral se résume alors à <strong>de</strong>s<br />
maximes universalisab<strong>les</strong> qui en signent aussi le formalisme. Et Gaziaux <strong>de</strong> préciser<br />
184
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
qu’il est nécessaire <strong>de</strong> « réviser le formalisme kantien pour mettre à nu la<br />
prétention universaliste qui en est le noyau dur » (Gaziaux, 1998, p.439).<br />
L’auteur met en question la suprématie accordée par Kant au principe d’autonomie<br />
sur celui <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong>s conditions humaines et <strong>de</strong>s relations socia<strong>les</strong>,<br />
démontrant que l’autonomie est tributaire <strong>de</strong> l’hétéronomie.<br />
Or, s’il y a certainement une intégration d’un certain nombre <strong>de</strong> contraintes<br />
socia<strong>les</strong> par le biais <strong>de</strong> l’éducation et <strong>de</strong> la socialisation, l’autonomie telle qu’on la<br />
conçoit aujourd’hui, <strong>dans</strong> notre société occi<strong>de</strong>ntale, entend essayer <strong>de</strong> se libérer au<br />
moins partiellement <strong>de</strong> ces « chaînes » inconscientes pour laisser la pleine expression<br />
au développement et aux désirs personnels. De prime abord cette conception semble<br />
être en opposition avec l’idée même d’engagement. La dimension <strong>de</strong> liberté<br />
véhiculée par le concept d’autonomie ne s’oppose-t-elle pas à celle <strong>de</strong> « mise en<br />
gage » ou <strong>de</strong> « mise au service » ? Le néo-libéralisme tente <strong>de</strong> promouvoir une<br />
conception <strong>de</strong> la liberté comme synonyme d’un choix absolument autarcique, non<br />
influencé par <strong>les</strong> contraintes d’une « vie bonne » ou d’un quelconque héritage<br />
sociétal, qu’il s’agisse <strong>de</strong> traditions ou <strong>de</strong> culture. La seule contrainte reste alors la<br />
nécessaire co-existence entre <strong>les</strong> acteurs. Déjà chez Rousseau, <strong>les</strong> valeurs sont<br />
considérées comme relatives et dépendantes <strong>de</strong> l’opinion personnelle sur le « bien ».<br />
La raison n’est en rien capable <strong>de</strong> faire sortir l’homme <strong>de</strong> cette parfaite subjectivité.<br />
Par la suite, Hobbes poursuit ce raisonnement, en argumentant que « le bien est<br />
toujours relatif au désir individuel d’acqu érir <strong>de</strong>s objets et du pouvoir. »<br />
(Gomez-Muller, 1999, p.86). C’est finalement cela qui serait censé donner un<br />
sens à l’existence. Pour <strong>les</strong> déontologistes contemporains, le problème <strong>de</strong> la<br />
coexistence <strong>de</strong>s individus mus par leur désirs personnels prime sur la « question du<br />
sens et <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong> l’existence » (Gomez-Muller, 1999, p.23). La question<br />
éthique <strong>de</strong> la « vie bonne » est alors reléguée à la dimension individuelle, subjective<br />
et privée, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> principes qui s’y rapportent.<br />
Et pourtant l’autonomie pensée, comme nous l’avons vu, comme capacité <strong>de</strong><br />
« se donner à soi-même ses propres règ<strong>les</strong> » suppose donc bien l’existence <strong>de</strong> ces<br />
règ<strong>les</strong>, exprimant par là une limite à l’autonomie. En même temps ces principes ne<br />
constituent-ils pas aussi <strong>les</strong> gar<strong>de</strong>-fous érigés <strong>de</strong> l’intérieur, non imposés par une loi<br />
extérieure ? Loin <strong>de</strong> partir d’une table rase, l’être humain agit <strong>dans</strong> toute décision<br />
185
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
selon un certain nombre <strong>de</strong> règ<strong>les</strong> intégrées qui ont une dimension d’universalité.<br />
Pour Kant, <strong>les</strong> normes mora<strong>les</strong> garantissent à l’individu sa liberté et sa non-<br />
soumission à <strong>de</strong>s déterminations externes. La « liberté du sujet qui suit <strong>les</strong><br />
impératifs catégoriques garantit tout à la fois sa subjectivité, son universalité<br />
et sa moralité. » (Ambroise & Laugier, 2009, p.109).<br />
C’est l’individu qui est premier et la moralité qu’il fon<strong>de</strong> établit sa<br />
responsabilité. Cependant le caractère tout-puissant <strong>de</strong> ce sujet pleinement<br />
responsable, parce que capable d’une parfaite maîtrise <strong>de</strong> lui-même basée sur une<br />
parfaite conscience <strong>de</strong> soi, a été bien élagué par <strong>les</strong> courants structuralistes et<br />
poststructuralistes. Ces <strong>de</strong>rniers ont démontré que l’individu reste très largement le<br />
résultat d’un construit historique et social (Ambroise & Laugier, 2009). Ainsi, <strong>de</strong> la<br />
pleine liberté dont il semblait jouir, l’individu se retrouve assujetti inconsciemment à<br />
<strong>de</strong>s normes socia<strong>les</strong> et à <strong>de</strong>s désirs enfouis. Il en résulte qu’il ne saurait être considéré<br />
comme pleinement responsable. Mais doit-on pour autant lui ôter toute dimension<br />
<strong>de</strong> responsabilité ? Certes non, nous dit Butler qui, s’inspirant <strong>de</strong> Foucault, voit la<br />
responsabilité comme une mise en mots, face à un semblable à qui je dois <strong>de</strong>s<br />
comptes et qui m’assigne à responsabilité par sa seule présence. « Selon Butler,<br />
c’est toujours par rapport à l’autre qui est à la source <strong>de</strong> mon existence que je<br />
me sens responsable. » (Ambroise & Laugier, 2009, p.117) et le soi, <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong><br />
raconter son histoire, s’en imprègne et en dégage sa responsabilité. On le voit ici,<br />
cette liberté s’exprime justement <strong>dans</strong> une volonté singulière <strong>de</strong> s’engager envers<br />
l’Autre. En prenant un risque, il est vrai !<br />
La liberté peut être pervertie. Pour Kant, une liberté pervertie est à l’origine du<br />
mal. C’est l’homme qui fait mauvais usage <strong>de</strong> sa liberté. Cette liberté peut être vécue<br />
<strong>de</strong> différentes manières, mais <strong>dans</strong> chaque cas elle est engagement, soit envers soi-<br />
même, soit envers un autre. Vivre son autonomie pleinement, c’est aussi se risquer à<br />
s’ouvrir à l’Autre, à s’engager vers lui <strong>dans</strong> un mouvement qui induit une certaine<br />
vulnérabilité. Il faut sans doute se détacher <strong>de</strong> la pensée cartésienne dualiste, selon<br />
laquelle l’autonomie serait entièrement et parfaitement opposée à l’hétéronomie,<br />
comme <strong>de</strong>ux faces diamétralement opposées, totalement antagoniques et<br />
irréconciliab<strong>les</strong>. Il faut bien davantage considérer <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux dimensions comme<br />
intimement liées <strong>dans</strong> un mouvement dialectique situé sur le continuum d’une<br />
186
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
même réalité complexe, à l’image <strong>de</strong> l’anneau <strong>de</strong> Möbius (Malherbe, 2001). En effet,<br />
pour que l’autonomie puisse prétendre à sa pleine expression, elle doit être entourée<br />
<strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-fous extrinsèques, qui peuvent sembler lui porter atteinte, mais qui<br />
permettent en réalité son plein épanouissement et sa protection. Protection d’autant<br />
plus capitale que la démarche inchoative et tâtonnante <strong>de</strong> l’autonomie implique cette<br />
exposition <strong>de</strong> soi à l’autre.<br />
Dans sa fonction et <strong>dans</strong> le positionnement qu’il est en droit d’adopter, le<br />
soignant est parfois appelé à s’autoriser une certaine « autonomie morale », c’est-à-<br />
dire une prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> ce que <strong>les</strong> normes sont relatives, et <strong>les</strong> actions plus ou<br />
moins dictées par <strong>les</strong> intérêts d’autres personnes. Se positionner exige d’assumer une<br />
pensée autonome et <strong>de</strong> tenir ferme face aux avis contraires. La pensée étant ici à<br />
rapprocher du verbe « penser » et <strong>de</strong> son origine latine « pensare », avec sa<br />
signification <strong>de</strong> « peser, examiner, évaluer ».<br />
L’autonomie réelle du soignant s’exprime <strong>dans</strong> sa capacité à se construire et<br />
s’épanouir au sein <strong>de</strong>s normes qui s’imposent à lui. Il peut adopter ces normes ou <strong>les</strong><br />
critiquer <strong>de</strong> façon constructive, afin <strong>de</strong> pouvoir ensuite <strong>les</strong> dépasser. C’est sa liberté<br />
qui l’autorise à cette inventivité, une liberté lui permettant d’échapper aux<br />
déterminations externes et internes. Or, pour ce faire, nous retrouvons l’idée <strong>de</strong><br />
Foucault du soin <strong>de</strong> soi, comme réflexion personnelle et fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité<br />
propre sur sa propre idée <strong>de</strong> la vie bonne et non sur <strong>de</strong>s normes externes.<br />
« C’est <strong>dans</strong> cette liberté conquise que s’inaugure finalement une<br />
responsabilité proprement morale, en ce sens que je peux alors<br />
véritablement inventer <strong>les</strong> rapports que j’entretiens avec autrui . »<br />
(Ambroise & Laugier, 2009, p.121).<br />
De toujours sujet que je suis, je tente d’être <strong>de</strong> moins en moins aveuglément<br />
assujetti pour <strong>de</strong>venir l’agent qui réalise ma propre subjectivité. Ainsi se comprend<br />
l’autonomie véritable. Elle n’a <strong>de</strong> valeur sociale réelle que si elle passe par la<br />
reconnaissance <strong>de</strong> l’autonomie et <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong> l’Autre. C’est ce qu’Habermas<br />
défend avec l’agir communicationnel et la dimension discursive <strong>dans</strong> laquelle doit<br />
s’exprimer pleinement la liberté <strong>de</strong> chacun autour du consensus et d’une sorte <strong>de</strong><br />
187
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
contrat social garantissant à chacun d’être entendu. Selon Goffman cité par Rawls,<br />
« libre-vouloir et égalité » sont <strong>les</strong> « fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’interaction »<br />
(Rawls, 2002, p.144). Et Gauchet <strong>de</strong> rajouter que<br />
« c’est la réciprocité <strong>de</strong>s intérêts individuels qui fon<strong>de</strong> le lien social<br />
parce que l’homme est voué à l’échange et dépend <strong>de</strong>s autres pour<br />
exister. » (Gauchet, 2002, p.103).<br />
Néanmoins, <strong>dans</strong> le contexte précé<strong>de</strong>mment décrit du néo-libéralisme, il faut se<br />
méfier <strong>de</strong> « l’instrumentalisation du thème <strong>de</strong> l’autonomie au service d’autres<br />
fins, non dites cel<strong>les</strong>-là » (Malherbe, 2001, p.74) ; c’est ici tout l’enjeu <strong>de</strong> la<br />
mainmise institutionnelle sur l’autonomie <strong>de</strong>s individus, <strong>dans</strong> la dynamique <strong>de</strong><br />
performance évoquée précé<strong>de</strong>mment.<br />
L’autonomie doit s’incarner <strong>dans</strong> un agir, et la pensée trouver un aboutissement<br />
concret. Qu’elle soit idéologique, stratégique, opérative ou exécutive, l’autonomie est<br />
considérée comme une fin et suppose le passage à l’action. Et Malherbe nous fait<br />
remarquer que « l’autonomie <strong>de</strong> l’autre se mesure à la croissance <strong>de</strong> la nôtre »<br />
(Malherbe, 2001, p.82), c’est-à-dire que le patient se verra confié une autonomie<br />
d’autant plus gran<strong>de</strong> que la nôtre pourra être avérée. Inversement, si nous ne<br />
sommes pas en mesure d’exercer notre autonomie <strong>dans</strong> le jugement et l’action, il est<br />
illusoire <strong>de</strong> vouloir promouvoir l’autonomie du patient.<br />
Pour autant, l’autonomie ne saurait trouver sa seule source <strong>dans</strong> l’idée <strong>de</strong><br />
responsabilité. La motivation joue un rôle moteur également primordial.<br />
8.3 De la motivation à l’engagement<br />
On ne saurait confondre <strong>les</strong> concepts <strong>de</strong> motivation et d’engagement, même si<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux se rejoignent sur certains points et sont bien souvent assimilés l’un à l’autre.<br />
La motivation est une énergie potentielle <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’intention, quand<br />
l’engagement relève avant tout <strong>de</strong> l’action mise en œuvre et <strong>de</strong> l’investissement en<br />
actes. La motivation se veut être un dynamisme, une énergie particulière nous<br />
permettant <strong>de</strong> nous projeter en avant vers ce qui en constitue la source. La<br />
188
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
motivation comporte une force d’action importante, mais l’action elle-même appelle<br />
l’engagement, processus par lequel un individu est amené à entreprendre ou cesser<br />
une activité avec une volonté spécifique (Ladrière, 1997). Avec la formation, la<br />
motivation est transformée en un savoir professionnel fait <strong>de</strong> compétences et<br />
d’habiletés.<br />
Il existe <strong>de</strong>s disparités <strong>dans</strong> la manière dont le concept <strong>de</strong> motivation est<br />
conceptuellement approché. On peut, <strong>de</strong> manière générale, diviser <strong>les</strong> théories <strong>de</strong> la<br />
motivation en trois ensemb<strong>les</strong> majeurs placés sur un continuum. D’un côté se<br />
trouvent <strong>les</strong> théories, toujours plus rares, qui, comme celle <strong>de</strong> Skinner (1953),<br />
considèrent que le conscient et l’inconscient sont étrangers à la motivation, cette<br />
<strong>de</strong>rnière découlant uniquement <strong>de</strong> la situation <strong>dans</strong> laquelle se trouve le sujet.<br />
Vers le centre du continuum, on trouvera <strong>les</strong> théories actuellement <strong>les</strong> plus<br />
répandues selon <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> cognitions sont accessib<strong>les</strong> à la conscience, cel<strong>les</strong>-ci<br />
jouant un rôle déterminant sur le comportement. Enfin, à l’autre extrémité du<br />
continuum, <strong>les</strong> théories postulent que <strong>les</strong> véritab<strong>les</strong> raisons motivationnel<strong>les</strong> sont<br />
inconscientes et peu accessib<strong>les</strong>. Cette théorie est principalement soutenue par Freud<br />
et le courant psychanalytique.<br />
Processus <strong>de</strong> lecture, par la personne, <strong>de</strong> son environnement (Bandura, 2003),<br />
Smith, Sarason et Sarason (1982, p.265), définissent la motivation comme « le<br />
processus interne qui influence la direction, la persistance et la vigueur du<br />
comportement dirigé vers un but ». Ce processus interne que constitue la<br />
motivation permet d’agir en fonction d’un objectif précis. Selon Duchesne et al. (2005),<br />
la motivation constitue une force qui engage l’action <strong>de</strong> l’individu en suscitant un<br />
certain comportement. C’est également la définition qu’en donne Houssaye (1993,<br />
p.223): « La motivation est habituellement définie comme l’action <strong>de</strong>s forces,<br />
conscientes et inconscientes, qui déterminent le comportement. » Vallerand &<br />
Thill (1993) se sont appliqué à développer une définition qui englobe à la fois <strong>les</strong><br />
effets internes mais également externes influençant sa mise en œuvre. Ils proposent<br />
la définition suivante :<br />
« Le concept <strong>de</strong> motivation représente le construit hypothétique utilisé<br />
afin <strong>de</strong> décrire <strong>les</strong> forces internes et/ou externes produisant le<br />
189
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
déclenchement, la direction, l’insistance et la persistance du<br />
comportement. » (p.18).<br />
L’engagement comporte donc <strong>de</strong>ux faces. Dans la partie visible, nous notons la<br />
présence et l’initiative, <strong>les</strong> éléments restants étant assimilés à une partie invisible :<br />
motivations, désirs…. Dans cette partie invisible, la motivation, réaction à un but<br />
généralement conscient, joue un grand rôle (Nuttin, 2000). Alors que l’homme <strong>dans</strong><br />
une première phase vit et construit sa personnalité <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> qui l’entoure, il ne<br />
peut laisser <strong>les</strong> choses à l’état premier mais a besoin <strong>de</strong> <strong>les</strong> transformer, ne serait-ce<br />
que, <strong>dans</strong> un premier temps, par l’action <strong>de</strong> la pensée. De ce besoin naît une<br />
dynamique motivationnelle qui va ensuite, <strong>dans</strong> bien <strong>de</strong>s cas, l’ai<strong>de</strong>r à transformer et<br />
agir sur son environnement <strong>de</strong> manière à pouvoir concrétiser ses buts et ses projets.<br />
L’action n’est donc pas plus le résultat automatique d’un apprentissage maintes fois<br />
répété qu’un stimulus simple ne saurait en être le point <strong>de</strong> départ. Elle se met en<br />
œuvre selon <strong>de</strong>s motivations diverses, dirigées vers <strong>de</strong>s buts plus ou moins proches<br />
(Nuttin, 2000). Nuttin considère la motivation comme l’interaction constante entre le<br />
sujet, l’environnement <strong>dans</strong> lequel il évolue et qu’il cherche à influencer, ainsi que la<br />
situation <strong>dans</strong> laquelle il se trouve. Il s’agit d’un construit hypothétique.<br />
Très souvent liée à la notion <strong>de</strong> besoin, elle-même émanant <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> complet<br />
bien-être que recherche l’être humain, la motivation, intrinsèque comme extrinsèque,<br />
<strong>de</strong>vient cette dynamique cherchant à satisfaire ce besoin. La motivation intrinsèque<br />
cherchera à répondre directement à un besoin (vi<strong>de</strong>r sa vessie parce que le besoin<br />
s’en fait sentir), alors que la motivation extrinsèque cherchera à répondre à un besoin<br />
secondaire mais non moins important (vi<strong>de</strong>r sa vessie pour éviter <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir s’arrêter<br />
durant le voyage). Dans ce second cas, on parlera <strong>de</strong> motivation extrinsèque, <strong>dans</strong> la<br />
mesure où le but recherché n’est pas la conséquence directe <strong>de</strong> l’action réalisée.<br />
Bien entendu on distinguera entre <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> physiologiques d’une part et <strong>les</strong><br />
be<strong>soins</strong> psychologiques ou comportementaux d’autre part. Elaboré <strong>de</strong> façon<br />
cognitive, le besoin est transformé en projet d’action. Il va <strong>de</strong> soi que tous <strong>les</strong> be<strong>soins</strong><br />
n’ont pas le même <strong>de</strong>gré d’importance et susciteront <strong>de</strong>s dynamiques<br />
motivationnel<strong>les</strong> différentes avec <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés d’intensité divers. Différentes<br />
composantes psychoaffectives, dont particulièrement <strong>les</strong> émotions, jouent un rôle<br />
190
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
décisif <strong>dans</strong> cette dynamique. Provoquant un état <strong>de</strong> la conscience caractérisé par la<br />
présence d’un état d’excitation avec ressentis agréab<strong>les</strong> ou désagréab<strong>les</strong>, accompagné<br />
<strong>de</strong> réactions physiologiques et psychologiques, <strong>les</strong> émotions <strong>de</strong>viennent source <strong>de</strong><br />
motivation en aidant la personne à une meilleure prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> la situation<br />
et en lui permettant ainsi d’adapter son comportement (Buck, 1985).<br />
Par ailleurs, <strong>les</strong> valeurs jouent un rôle important <strong>dans</strong> la mesure où l’être<br />
humain accor<strong>de</strong> une valeur plus ou moins subjective aux différentes motivations<br />
sensées répondre à ses be<strong>soins</strong>. Ces critères d’évaluation, en partie personnels, mais<br />
également en gran<strong>de</strong> partie influencés par l’univers socio-culturel, vont influer <strong>dans</strong><br />
la manière dont la personne recherchera à combler, plus ou moins rapi<strong>de</strong>ment, le<br />
besoin ressenti en mettant en place un comportement en harmonie avec ses be<strong>soins</strong>.<br />
La non-atteinte du but est signalée à la personne par un effet <strong>de</strong> discrépance qui<br />
va réactiver la motivation (Nuttin, 2000). Festinger (1957) a démontré que le sujet ne<br />
peut pas rester aux prises avec une trop grand discrépance ou, comme il la nomme,<br />
une trop gran<strong>de</strong> « dissonance cognitive ». Il va chercher à rétablir l’équilibre du<br />
mieux possible et à réduire au maximum cette dissonance, soit en modifiant son<br />
comportement, soit en modifiant sa perception <strong>de</strong>s choses, partiellement au moins.<br />
Mais, <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas, l’être humain a besoin d’avoir un contrôle sur ses actes,<br />
émanant directement <strong>de</strong> son besoin d’autonomie. Il s’agit d’un contrôle qui lui<br />
confère le sentiment <strong>de</strong> compétence (Pelletier & Vallerand, 1993). Déjà, en 1959,<br />
White mettait en évi<strong>de</strong>nce ce besoin <strong>de</strong> compétence lié à l’impact que la personne<br />
peut avoir sur son environnement (Vallerand & Thill, 1993, p.247). Sentiment qui, s’il<br />
est encouragé par la situation, va permettre <strong>de</strong> ressentir le plaisir et la satisfaction. En<br />
revanche, d’autres chercheurs ont montré que, si la personne est brimée <strong>dans</strong> son<br />
besoin <strong>de</strong> compétence et d’auto-détermination sur une longue pério<strong>de</strong>, « elle peut<br />
perdre toute forme <strong>de</strong> motivation et sombrer <strong>dans</strong> un état <strong>de</strong> résign ation<br />
acquise ou d’amotivation. » (Vallerand & Thill, 1993, p.253). Lorsqu’il est amotivé,<br />
le sujet ne perçoit plus <strong>de</strong> relations entre ce qu’il fait et ce qui en résulte. Il agit <strong>de</strong><br />
façon mécanique, mais <strong>les</strong> causes se trouvent hors <strong>de</strong> lui. Il n’a donc aucune<br />
motivation, qu’elle soit intrinsèque ou extrinsèque.<br />
Selon la théorie <strong>de</strong> l’évaluation cognitive, il s’agit <strong>de</strong> voir si ce qui motive la<br />
personne à agir émane d’une source extérieure, auquel cas on parlera <strong>de</strong> locus<br />
191
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
externe. Dans ce cas, la personne peut se sentir sous contrôle et perdre <strong>de</strong> son auto-<br />
détermination, ce qui renforcera le processus d’amotivation. En revanche, si elle a le<br />
sentiment d’être elle-même à l’origine <strong>de</strong> ses actions, son auto-détermination est<br />
renforcée et sa motivation également (Vallerand & Thill, 1993). Plus la personne aura<br />
la conviction que son comportement peut avoir <strong>de</strong>s résultats positifs et plus elle va se<br />
donner <strong>de</strong>s objectifs élevés. Par contre, même si le but est attractif, si la personne<br />
doute que ses capacités soient suffisantes à l’atteindre, son engagement lui paraîtra<br />
vain et <strong>de</strong>meurera assez ténu. À l’inverse, si une personne a confiance en ses<br />
capacités, elle peut gérer une situation difficile en adaptant un plus grand<br />
engagement <strong>dans</strong> la tâche pour une pério<strong>de</strong> donnée. Cette réalité nous montre<br />
l’importance <strong>de</strong> la confiance en soi. Et Muchielli d’affirmer que, lorsqu’on définit la<br />
motivation, « l’estime <strong>de</strong> soi en est la composante principale » (2006, p.74). Si<br />
une personne a confiance en ses capacités, elle peut gérer une situation difficile en<br />
adaptant un plus grand engagement, à la hauteur <strong>de</strong> sa motivation, <strong>dans</strong> la tâche<br />
pour une pério<strong>de</strong> donnée.<br />
À partir <strong>de</strong> toutes ces considérations, Jorro et De Ketele (à paraître) décrivent la<br />
motivation professionnelle comme « l’ensemble dynamique <strong>de</strong>s perceptions<br />
envers <strong>les</strong> tâches professionnel<strong>les</strong> à exercer <strong>dans</strong> un contexte donné, à savoir<br />
<strong>les</strong> perceptions :<br />
<strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong>s buts susceptib<strong>les</strong> d’être poursuivis <strong>dans</strong> la profession<br />
(but <strong>de</strong> maîtrise, buts <strong>de</strong> performance, buts sociaux) et <strong>de</strong>s tâches qui<br />
permettent <strong>de</strong> <strong>les</strong> poursuivre ;<br />
du sentiment d’auto-efficacité (perception <strong>de</strong> ses compétences pour<br />
exercer la profession et accomplir efficacement <strong>les</strong> tâches du métier ;<br />
du rapport plus ou moins favorable entre d’une part <strong>les</strong> bénéfices,<br />
intrinsèques ou extrinsèques, à tirer <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong>s tâches qui<br />
y sont liées et d’autre part <strong>les</strong> efforts à fournir pour cela ;<br />
du sentiment d’avoir la possibilité ou non d’agir sur l’environnement<br />
pour s’engager <strong>dans</strong> <strong>les</strong> tâches professionnel<strong>les</strong> ;<br />
<strong>de</strong> l’attente <strong>de</strong> résultats ».<br />
On perçoit mieux, à partir <strong>de</strong>s éléments cités, <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> tensions qui peuvent<br />
192
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
être <strong>de</strong>s atteintes à la motivation <strong>de</strong>s soignants. Que l’on songe à la difficile<br />
adéquation entre <strong>les</strong> buts poursuivis et <strong>les</strong> tâches à accomplir, au caractère relatif <strong>de</strong>s<br />
bénéfices à tirer <strong>de</strong> son engagement, aux possibilités très limitées <strong>de</strong> son action sur<br />
l’environnement ou encore au caractère souvent peu visible <strong>de</strong>s résultats, autant <strong>de</strong><br />
facteurs qui peuvent influencer négativement la motivation d’une infirmière. Ceci<br />
d’autant que cette <strong>de</strong>rnière s’engage souvent <strong>de</strong> manière très intime, avec <strong>de</strong>s<br />
attentes qui ne sont pas toujours conscientes (Chaska, 2000). En effet, à la base <strong>de</strong> la<br />
motivation professionnelle <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, il y a souvent le désir altruiste <strong>de</strong><br />
venir en ai<strong>de</strong>, <strong>de</strong> secourir. Cette motivation sincère peut néanmoins receler <strong>de</strong>s buts<br />
personnels plus ou moins conscients.<br />
« Même en allant vers l’autre [ pour l’autre ], c’est-à-dire <strong>de</strong> façon<br />
complètement altruiste ou simplement [ par amour ], l’individu<br />
contribue le plus souvent à son prop re épanouissement » (Nuttin, 2000,<br />
p.182).<br />
On comprend dès lors qu’un désenchantement <strong>dans</strong> ce désir <strong>de</strong> « sauver », s’il<br />
est frustrant pour l’action que souhaite avoir le soignant, est également délétère <strong>dans</strong><br />
son propre développement personnel. Dans le cas idéal, <strong>les</strong> possibilités d’exercice<br />
professionnel du soignant motivé <strong>de</strong>vraient correspondre à son projet <strong>de</strong><br />
développement personnel. Il y aurait ainsi continuité entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sphères et<br />
épanouissement pour la personne. Malheureusement, <strong>dans</strong> le contexte actuel, ce<br />
travail qui, intrinsèquement motivé est générateur d’une gran<strong>de</strong> et profon<strong>de</strong><br />
satisfaction, tend à <strong>de</strong>venir un moyen extrinsèque (salaire), utilisé pour pouvoir<br />
concrétiser ses projets. Et Nuttin d’ajouter que<br />
« le décalage entre le projet personnel et le travail concret que l’on doit<br />
exécuter semble être le facteur essentiel <strong>dans</strong> le conflit motivation -<br />
travail. » (Nuttin, 2000, p.197).<br />
Et l’on retrouve ici ce conflit généré par l’idéal en <strong>de</strong>uil, abordé précé<strong>de</strong>mment.<br />
La motivation, si elle a donc un impact sur la qualité <strong>de</strong>s prestations fournies<br />
par le soignant, n’en joue pas moins un rôle déterminant sur le vécu subjectif du<br />
193
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
soignant, <strong>dans</strong> toute sa dimension psychologique et émotionnelle. Elle constitue une<br />
clé essentielle au développement professionnel. Face à un mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne imprégné<br />
<strong>de</strong> valeurs contradictoires, avec d’un côté l’émancipation, le libéralisme et <strong>de</strong> l’autre<br />
la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’implication et <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> responsabilité, la motivation joue le rôle d’un<br />
« levier majeur <strong>de</strong> productivité pédagogique » (Carré, 2001, p.24). Et Carré <strong>de</strong><br />
déplorer le fait que la motivation soit souvent un concept contourné, en tout cas fort<br />
peu investigué <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la formation, avec <strong>les</strong> outils <strong>de</strong> la recherche<br />
scientifique.<br />
Cependant la motivation reste <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’intention et du potentiel d’action.<br />
Pour qu’elle aboutisse réellement, elle doit pouvoir s’incarner <strong>dans</strong> l’action, se<br />
transformant alors en un autre pilier du développement professionnel : l’engagement.<br />
C’est <strong>dans</strong> ce passage à l’action que l’activité du soignant prend tout son sens.<br />
Il va <strong>de</strong> soi qu’un concept comme la motivation est extrêmement vaste et<br />
mériterait que l’on s’y attar<strong>de</strong> plus longuement. Nul doute qu’il pourrait apporter<br />
<strong>de</strong>s éclairages complémentaires et bienvenus à notre objet. Pour autant, la complexité<br />
et le nombre <strong>de</strong> concepts mobilisés autour du concept d’engagement ne nous<br />
permettent pas <strong>de</strong> nous y attar<strong>de</strong>r davantage. Nous pensons avoir cerné ici <strong>les</strong><br />
éléments principaux, susceptib<strong>les</strong> d’avoir <strong>de</strong>s liens significatifs avec le concept étudié.<br />
8.4 La question du sens et <strong>de</strong> la reconnaissance<br />
À la lumière <strong>de</strong>s différents éléments mis en évi<strong>de</strong>nce à ce sta<strong>de</strong>, il semble que la<br />
question du sens recèle bien une importance capitale. Elle est présente <strong>de</strong>puis <strong>les</strong><br />
prémisses <strong>de</strong> la réflexion jusqu’à son aboutissement, comme un fil d’Ariane invisible<br />
mais indispensable. Le terme <strong>de</strong> sens, issu du latin « sensus », comporte trois<br />
acceptions majeures : raison (avoir du sens, faire sens…), sensation (dérivés du verbe<br />
sentir) et signe (renvoi vers un autre objet, orientation vers une certaine direction<br />
<strong>dans</strong> une perspective d’ensemble). D’autres auteurs rajoutent d’emblée la notion <strong>de</strong><br />
valeur, argumentant que « le <strong>de</strong>venir d’une existence sensée est donc bien un<br />
<strong>de</strong>venir directionnel et c’est le telos, comme sens, qui lui donne sa direction »<br />
(Gomez-Muller, 1999, p.13).<br />
194
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Le sens est ce qu'il y a <strong>de</strong> plus profond <strong>dans</strong> l'agir humain, il est la direction, la<br />
perspective <strong>dans</strong> laquelle s'inscrit un acte <strong>dans</strong> un itinéraire <strong>de</strong> vie, ou une<br />
signification à un moment donné, venant s’inscrire <strong>dans</strong> un tout cohérent. Le sens se<br />
rapporte à <strong>de</strong>s significations auxquel<strong>les</strong> il donne une orientation <strong>de</strong> compréhension.<br />
Des auteurs comme Antonovsky (1987) ont montré l’impact sur la santé du sens et <strong>de</strong><br />
la cohérence. Il y a donc plus qu’une question <strong>de</strong> plaisir ou <strong>de</strong> satisfaction. Selon cet<br />
auteur, le sens fait partie <strong>de</strong> l’autopoièse ou auto-création <strong>de</strong> soi. Même <strong>de</strong>s<br />
évènements ou situations diffici<strong>les</strong> peuvent être perçus comme <strong>de</strong>s défis et être<br />
aisément surmontés, dès lors que l’on peut <strong>les</strong> comprendre, avoir un certain impact<br />
sur eux et leur attribuer un sens. Ces trois facteurs permettent la mise en place <strong>de</strong><br />
stratégies <strong>de</strong> coping efficaces.<br />
La motivation est en tout premier lieu tributaire du sens. Sans que l’individu<br />
trouve du sens, il n’y a pas <strong>de</strong> motivation possible. Elle en est la condition essentielle<br />
(Mucchielli, 2006). Le sens est toujours en lien avec autre chose, que ce soit avec <strong>de</strong>s<br />
valeurs, <strong>de</strong>s projets, <strong>de</strong>s évènements… Le choix d’une profession lui-même introduit<br />
un sens <strong>dans</strong> l’existence d’une personne. Dans l’acte <strong>de</strong> soin, le sens se trouve<br />
fréquemment lié au souci <strong>de</strong> l’autre personne. Loin d’être relégué au seul rang <strong>de</strong><br />
principe théorique, le sens est une pièce maîtresse <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> la profession,<br />
mettant en jeu l’adéquation du soignant avec son environnement, et chacun <strong>de</strong> ses<br />
actes avec son éthique. Et Ladrière d’ajouter que :<br />
« c’est à partir <strong>de</strong> ce sens qu’il [l’individu] <strong>de</strong>vra réagir vis-à-vis <strong>de</strong><br />
toutes <strong>les</strong> situations <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il sera amené à se trouver, sous<br />
peine <strong>de</strong> se renier » (Ladrière, 1997, p.132).<br />
La question du sens, qui met en jeu un acteur avec l’univers qui l’entoure, ne<br />
peut que poser la question <strong>de</strong> l’éthique qui éclaire la relation <strong>de</strong> l’acteur avec lui-<br />
même en premier lieu, et sa relation avec <strong>les</strong> normes et lois qui l’entourent, <strong>dans</strong> un<br />
second temps.<br />
« L’engagement est l’ultime support qui procure un sens à l’existence<br />
<strong>dans</strong> son ensemble : "Exister est synonyme <strong>de</strong> s’engager".» (Savadogo,<br />
2008, p.60).<br />
195
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
La satisfaction éprouvée par le soignant est d’autant plus gran<strong>de</strong> que le soin <strong>de</strong><br />
l’Autre produit du sens pour son existence. Il est fréquent <strong>de</strong> retrouver cette<br />
association du « prendre soin » et du sens pour sa propre existence auprès <strong>de</strong>s<br />
bénévo<strong>les</strong> <strong>de</strong> différentes associations. À tel point que, selon Bobineau (2010a), si l’on<br />
comprend le sens, il est possible <strong>de</strong> comprendre l’engagement et inversement<br />
puisque, au travers <strong>de</strong> l’engagement, le sens <strong>de</strong> l’existence s’incarne <strong>dans</strong> la<br />
réconciliation entre l’individuel et l’universel (Savadogo, 2008).<br />
Cette dimension peut même se confondre avec un besoin « d’auto-réparation ».<br />
Différentes recherches montrent qu’un certain pourcentage d’étudiantes en <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> sont el<strong>les</strong>-mêmes en souffrance et cherchent, par le biais <strong>de</strong> leur profession,<br />
à trouver <strong>de</strong>s réponses à leur souffrance. Nombreuses sont <strong>les</strong> personnes dont le vécu<br />
a laissé <strong>de</strong>s b<strong>les</strong>sures ouvertes ou <strong>les</strong> a fait se situer en lisière <strong>de</strong> la « normalité »<br />
sociétale. Devenues très souvent la proie <strong>de</strong> processus <strong>de</strong> dévalorisation,<br />
l’engagement leur permet alors <strong>de</strong> se « re-construire » (Bobineau, 2010a, p.112), <strong>de</strong><br />
restaurer une i<strong>de</strong>ntité b<strong>les</strong>sée (Havard-Duclos & Nicourd, 2005).<br />
Cette question du sens peut avoir encore d’autres origines. Elle peut répondre à<br />
un besoin <strong>de</strong> reconnaissance exacerbé par un contexte <strong>de</strong> dissolution <strong>de</strong>s liens, ou<br />
par la logique actuelle <strong>de</strong> compétition et <strong>de</strong> performance. Le sens obtenu pour son<br />
existence et la faculté d’émanciper celle-ci sont <strong>de</strong>s plus-values importantes pour<br />
l’individu. L’objectif ultime, le telos n’est alors autre que la possibilité <strong>de</strong> vivre en<br />
société et en co-construction avec ses semblab<strong>les</strong>. De ce fait, on peut dire que<br />
l’« engagement est vecteur <strong>de</strong> socialisation » (Bobineau, 2010a, p.125) ; il est<br />
« fondateur, parce que créateur <strong>de</strong> la vie en société » (Ibid., p.139).<br />
Le sens est à la fois une direction que l’on prend et une signification que l’on<br />
donne à un acte en société. Selon Bobineau (2010a, p.142), il renferme quatre<br />
significations qui sont :<br />
1. le bien commun compris comme étant le rapport à <strong>de</strong>s valeurs universel<strong>les</strong><br />
et un bien égal pour tous <strong>les</strong> hommes ;<br />
2. l’intérêt général, représentant le bonheur du plus grand nombre <strong>dans</strong><br />
continuité <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> Bentham ;<br />
196
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
3. l’égoïsme qui, loin <strong>de</strong> toujours véhiculer une signification négative <strong>de</strong><br />
centration sur soi, se veut également un mécanisme <strong>de</strong> défense indispensable<br />
pour la protection du Soi intime et le respect <strong>de</strong> ses limites ;<br />
4. l’altruisme qui centre son regard sur autrui et lui accor<strong>de</strong> bienveillance,<br />
amour, réconfort.<br />
Ces quatre dimensions se retrouvent <strong>dans</strong> un schéma qui représente une vision<br />
d’ensemble <strong>de</strong> l’engagement.<br />
Figure13 : Déontologie et éthique selon Ricœur<br />
197<br />
(Bobineau, 2010a, p.151)<br />
L’éthique constitue ici, à nouveau, le ciment unificateur entre le sens et<br />
l’engagement puisque s’engager, c’est, à la manière dont le disait Wittgenstein,<br />
donner une tournure à notre action, donc lui donner un sens selon la troisième<br />
acception <strong>de</strong> la définition, c’est-à-dire une direction elle-même empreinte <strong>de</strong> valeurs.<br />
Il appartient à chacun <strong>de</strong> donner un sens à son projet <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> même qu’à son<br />
action quotidienne.
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Mais donner un sens, en fonction <strong>de</strong> valeurs spécifiques, suppose une mise à<br />
distance <strong>de</strong> l’action pour un engagement réflexif, <strong>dans</strong> un premier temps.<br />
198
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
CHAPITRE 9 : VERS UN ENGAGEMENT RÉFLÉCHI<br />
Une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s difficultés à surmonter <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>,<br />
rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> un empressement beaucoup plus important à être <strong>dans</strong> le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’action que <strong>dans</strong> celui <strong>de</strong> la réflexion. De par sa nature même, l’univers <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> se<br />
veut un univers en mouvement, soucieux d’apporter une réponse concrète et rapi<strong>de</strong><br />
aux problèmes rencontrés par <strong>les</strong> patients. Chargés, comme nous l’avons vu, du<br />
lourd héritage d’une dévotion sans bornes, toute exprimée au travers <strong>de</strong> l’action, <strong>les</strong><br />
soignants ont <strong>de</strong> la peine à s’octroyer ce qui peut apparaître, <strong>de</strong> prime abord, comme<br />
une perte <strong>de</strong> temps : à savoir le temps <strong>de</strong> la réflexion sur l’action. Pourtant ce temps,<br />
loin d’être synonyme <strong>de</strong> gaspillage, est un moment essentiel pour la recherche <strong>de</strong><br />
nouvel<strong>les</strong> orientations.<br />
L’homme n’est pas laissé à l’arbitraire d’un <strong>de</strong>stin sur lequel il n’aurait aucune<br />
emprise, mais il est au contraire doué <strong>de</strong> raison et appelé à mettre cette <strong>de</strong>rnière au<br />
service <strong>de</strong> son action. La raison, en s’appuyant sur <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> explicites ou implicites,<br />
sur <strong>de</strong>s principes et autres points <strong>de</strong> référence, permet <strong>de</strong> porter un jugement et<br />
d’orienter ainsi nos comportements (Savadogo, 2008).<br />
Parce que l’engagement s’il est mal investi, peut très vite <strong>de</strong>venir délétère pour<br />
le soignant et l’entraîner vers l’épuisement, il est d’autant plus essentiel qu’il<br />
s’inscrive <strong>dans</strong> un raisonnement pertinent.<br />
Nous verrons ici comment l’engagement enraciné <strong>dans</strong> une posture réflexive,<br />
peut jouer un rôle dynamique en aidant l’individu à découvrir et développer ses<br />
ressources, afin d’être équipé d’une argumentation soli<strong>de</strong> et <strong>de</strong> pouvoir, ainsi,<br />
défendre au mieux un positionnement. Positionnement à la fois personnel, mais aussi<br />
professionnel, jouant <strong>de</strong> ce fait un rôle essentiel sur l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong><br />
l’individu et par là-même, indirectement, sur l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession.<br />
Nous serons alors en mesure, au terme <strong>de</strong> ces réflexions sur l’engagement,<br />
d’expliciter <strong>de</strong> quelle façon cel<strong>les</strong>-ci ont inspiré notre travail et orienté notre<br />
problématique <strong>de</strong> recherche.<br />
199
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
9.1 Engagement et réflexivité<br />
Parce que l’engagement est un point nodal, constituant à la fois le moteur <strong>de</strong><br />
toute activité professionnelle épanouissante, mais également en même temps le point<br />
névralgique <strong>de</strong> celle-ci, il est indispensable <strong>de</strong> passer cette notion au crible <strong>de</strong> notre<br />
pensée critique, et <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r nos futurs soignants <strong>dans</strong> cette même démarche. Il ne<br />
s’agit pas, par la pensée critique, <strong>de</strong> faire un usage immodéré et constant <strong>de</strong> la<br />
critique, mais au contraire d’entraîner un esprit <strong>de</strong> discernement qui sache mettre en<br />
question la représentation du réel et porter un regard sur sa pratique à l’ai<strong>de</strong><br />
d’opérations logiques, scientifiques et argumentatives. Cette action <strong>de</strong> discerner ce<br />
qui paraît légitime ou non repose nécessairement sur <strong>les</strong> valeurs, ce qui explique le<br />
lien intrinsèque à l’éthique. L’examen <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong>vient incontournable en tant<br />
qu’el<strong>les</strong> sont porteuses <strong>de</strong> sens, gui<strong>de</strong>nt notre compréhension <strong>de</strong>s choses et sont<br />
indispensab<strong>les</strong> à l’infirmière pour l’ai<strong>de</strong>r à ajuster son activité professionnelle<br />
quotidienne et favoriser ainsi son engagement (Vinje & Mittelmark, 2006).<br />
Si Arendt déclare à l’occasion du procès d’Eichmann à Jérusalem que « La plus<br />
gran<strong>de</strong> part du mal est faite par <strong>de</strong>s gens qui ne se sont jamais décidés à être<br />
bons ou mauvais » (Arendt, 1966, p.58), c’est bien pour nous faire prendre<br />
conscience du caractère impératif <strong>de</strong> la pensée critique. « L’être humain est appelé<br />
à être sujet <strong>de</strong> son existence et non objet <strong>de</strong>s circonstances. » (Malherbe, 2001,<br />
p.124). Or, pour être réellement sujet, capable <strong>de</strong> dire « Je », l’homme se doit<br />
d’exercer sa raison critique, en particulier à l’encontre <strong>de</strong>s logiques <strong>de</strong> rentabilité ou<br />
d’une hypernormalisation que l’on retrouve <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services publics <strong>de</strong> la santé, par<br />
exemple, sous la forme d’une multiplication à l’extrême <strong>de</strong> toutes formes <strong>de</strong><br />
procédures. Cel<strong>les</strong>-ci, si el<strong>les</strong> peuvent s’avérer uti<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s cas précis et<br />
spécifiques, <strong>de</strong>viennent vite <strong>de</strong>s obstac<strong>les</strong> importants à la pensée individuelle,<br />
provoquant une forme d’asthénie, voire « d’atrophie <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> jugement<br />
moral » (Malherbe, 2001, p.100). Et l’auteur <strong>de</strong> nous rappeler l’invitation <strong>de</strong> Socrate<br />
déjà à l’usage d’une pensée et d’une parole créatives, visant à ai<strong>de</strong>r l’être humain à<br />
sortir <strong>de</strong> son carcan <strong>de</strong> normes pour grandir <strong>dans</strong> son être.<br />
La pensée critique s’oppose à la fois au spectre angoissant <strong>de</strong> la pensée unique,<br />
mais également au nihilisme qui peut résulter du relativisme actuel. Utilisée <strong>de</strong><br />
200
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
manière cohérente, elle permet <strong>de</strong> réduire <strong>les</strong> erreurs <strong>de</strong> jugement en ouvrant la porte<br />
<strong>de</strong> la réflexion sur <strong>les</strong> possib<strong>les</strong>. La première étape a pour objet d’approfondir la<br />
compréhension <strong>de</strong> la situation. Il s’agit d’un questionnement personnel qui va<br />
permettre <strong>de</strong> saisir quels sont <strong>les</strong> éléments en présence qui ont une inci<strong>de</strong>nce<br />
potentielle sur la situation. Dans la question <strong>de</strong> l’engagement, il s’agit <strong>de</strong> comprendre<br />
quels sont <strong>les</strong> facteurs qui le favorisent ou le freinent. Le regard sur ses valeurs et ses<br />
motivations personnel<strong>les</strong>, mises en relation avec le contexte, permettent <strong>de</strong> prendre<br />
conscience <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> tension qui émergent.<br />
Suit alors une phase <strong>de</strong> mise en doute qui suppose <strong>de</strong> laisser <strong>de</strong> côté <strong>les</strong><br />
opinions toutes faites ainsi que nos expériences et sentiments. À la manière <strong>de</strong><br />
Descartes pour accé<strong>de</strong>r à la connaissance, il s’agit <strong>de</strong> douter en décomposant le<br />
problème à partir <strong>de</strong> son aspect le plus simple jusqu’au plus complexe. À ce moment-<br />
là, il est sain <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> sa propre vision <strong>de</strong>s choses, <strong>de</strong> ses motivations… Cela ne<br />
signifie aucunement qu’el<strong>les</strong> soient erronées ou partiel<strong>les</strong>, mais l’étape <strong>de</strong> la<br />
réaffirmation argumentative va alors permettre <strong>de</strong> <strong>les</strong> vali<strong>de</strong>r pleinement. Lors <strong>de</strong> la<br />
troisième étape, en effet, on va se préoccuper <strong>de</strong> rechercher la validité <strong>de</strong> notre<br />
compréhension et <strong>de</strong> nos interprétations en interrogeant l’exhaustivité, la<br />
réplicabilité et le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> représentativité du phénomène (Perrenoud, 2006). C’est<br />
parce qu’il est engagé <strong>dans</strong> une lecture critique du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> soi <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> et<br />
du mon<strong>de</strong> en soi que le praticien se doit d’être réflexif. Et s’il est appelé à<br />
transgresser ou contester <strong>les</strong> interdits, ce n’est pas par esprit <strong>de</strong> contradiction, mais<br />
parce que cela correspond à sa compréhension du mon<strong>de</strong> (Perrenoud, 2006).<br />
Cette posture <strong>de</strong> réflexion critique, qui accepte l’humilité d’une connaissance<br />
non absolue, permet <strong>de</strong> saisir <strong>les</strong> différents paramètres qui gravitent autour <strong>de</strong><br />
l’engagement personnel. Il y a certes la partie introspective qui examine à la fois la<br />
motivation, le sentiment <strong>de</strong> responsabilité et interroge, par la même occasion, <strong>les</strong><br />
valeurs qui fon<strong>de</strong>nt le positionnement éthique. Mais cette posture permet également<br />
<strong>de</strong> faire peser <strong>dans</strong> la balance <strong>les</strong> éléments du contexte qui influent sur cet<br />
engagement. La distanciation critique, que l’analyse par la pensée permet d’opérer,<br />
<strong>de</strong>vient le gage d’une certaine objectivité. Celle-ci à son tour octroie alors le droit<br />
d’exprimer <strong>de</strong>s limites à l’engagement <strong>de</strong> l’individu. Cette démarche s’inscrit <strong>dans</strong> le<br />
201
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
souci <strong>de</strong> soi tel que le conçoit Foucault, en mettant l’accent sur le processus que<br />
chacun est amené à entreprendre pour soi-même et pour la société. Le souci <strong>de</strong> soi,<br />
tout comme le « prendre soin » <strong>de</strong> l’Autre, suppose un rapport à la société : c’est le<br />
rapport <strong>de</strong> l’éthique au politique (Foucault, 1984).<br />
Une introspection systématique approfondie, et la réflexion sur le sens du<br />
travail et <strong>les</strong> valeurs en jeu, sont <strong>de</strong>s outils indispensab<strong>les</strong> à l’infirmière pour l’ai<strong>de</strong>r à<br />
ajuster son activité professionnelle quotidienne et favoriser ainsi son engagement<br />
(Vinje & Mittelmark, 2006). L’éthique a pour but <strong>de</strong> permettre à l’individu<br />
d’examiner ses valeurs propres et <strong>de</strong> vivre en accord avec <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> qu’il édicte<br />
comme siennes, tout comme l’éthique professionnelle lui permet <strong>de</strong> porter un regard<br />
sur ses valeurs professionnel<strong>les</strong>. L’engagement doit se manifester comme la<br />
conséquence agie <strong>de</strong> cette réflexion éthique.<br />
La discussion et la mise en mots constituent <strong>de</strong>s étapes clé <strong>dans</strong> la réflexion<br />
engagée. La conscientisation critique suppose l’instauration <strong>de</strong> ce rapport dialogique<br />
avec le mon<strong>de</strong> et l’expérience individuelle, qui, pour ne pas s’étioler, doit être mise<br />
en mots pour se parfaire (Malherbe, 2001). C’est <strong>dans</strong> le partage avec d’autres que<br />
l’expérience prend sens <strong>dans</strong> un important travail d’unification entre altérités<br />
diverses.<br />
Il va <strong>de</strong> soi que l’analyse du système <strong>de</strong> valeur est un passage incontournable<br />
<strong>dans</strong> cette réflexion personnelle sur l’engagement. En effet <strong>les</strong> valeurs sont ces pierres<br />
angulaires sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> se fon<strong>de</strong>nt notre vision du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l’agir que nous<br />
désirons opérer sur celui-ci. Les éléments constitutifs <strong>de</strong> l’engagement, que sont la<br />
motivation ou la responsabilité, sont dépendants du regard que nous posons sur<br />
l’Autre, la personne mala<strong>de</strong>, mais aussi <strong>de</strong> notre regard sur la profession et sur le<br />
soin. Or ces perceptions du réel sont, <strong>dans</strong> une large mesure, influencées par notre<br />
système <strong>de</strong> valeurs émanant <strong>de</strong> notre bagage socio-culturel, éducatif, <strong>de</strong> nos<br />
expériences et <strong>de</strong> nos connaissances. Conscientiser, puis discuter ces valeurs nous<br />
donne accès à une nouvelle forme d’objectivité, celle qui découle <strong>de</strong> l’enrichissement<br />
mutuel et pour lequel l’espace dialogique se révèle un tremplin formidable.<br />
Si nous soulignons ici l’importance du dialogue <strong>dans</strong> l’espace réflexif du<br />
202
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
professionnel, force est <strong>de</strong> constater malheureusement que notre société n’accor<strong>de</strong><br />
plus guère <strong>de</strong> temps à ce genre <strong>de</strong> discussion pourtant essentielle. Il n’en <strong>de</strong>meure<br />
pas moins que la discussion est porteuse, comme le défend Habermas, d’une éthique<br />
indispensable à notre réflexion et à la recherche <strong>de</strong> consensus au sein d’une même<br />
équipe.<br />
« (…) l’enjeu <strong>de</strong> cette éthique censée régir <strong>les</strong> pratiques<br />
d’argumentation, <strong>de</strong> discussion est <strong>de</strong> dégager <strong>les</strong> procédures <strong>de</strong><br />
règlement <strong>de</strong>s conflits moraux et mêmes politiques . » (Savadogo, 2008,<br />
p.39).<br />
La discussion se plie au principe d’universalisation qui permet <strong>de</strong> trouver <strong>les</strong><br />
arguments viab<strong>les</strong> pour l’ensemble <strong>de</strong>s interlocuteurs. Qui plus est, elle est le garant<br />
d’une certaine objectivité <strong>dans</strong> la qualité éthique <strong>de</strong>s choix effectués par un individu.<br />
« La délibérative collective est la démarche la plus adéquate pour<br />
apprécier <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> l’action humaine, à partir du moment où il<br />
est tenu pour impossible qu’un individu soit capable <strong>de</strong> s’assurer seul,<br />
à travers une théorie arbitrairement élaborée, <strong>de</strong> la vérité <strong>de</strong> ses choix<br />
éthiques. » (Savadogo, 2008, p.78).<br />
Même si la discussion n’apporte pas d’éléments <strong>de</strong> réponse quant à la valeur<br />
intrinsèque <strong>de</strong>s choix effectués et fait preuve d’une gran<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie sur ce point, le<br />
consensus favorisé par cette coexistence langagière permet <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r certaines<br />
normes, acceptab<strong>les</strong> par toute la communauté concernée. Il est donc <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>voir<br />
<strong>de</strong> sensibiliser nos étudiants à cette démarche et <strong>de</strong> <strong>les</strong> former <strong>dans</strong> ce sens. L’enjeu<br />
est <strong>de</strong> taille, puisqu’il s’agira pour eux d’exprimer leurs opinions, <strong>de</strong> faire reconnaître<br />
leurs be<strong>soins</strong> et leurs ressources, <strong>de</strong> <strong>les</strong> argumenter, <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire valoir et <strong>de</strong> réfléchir<br />
collectivement aux stratégies qui pourraient encore être élaborées ou développées.<br />
Par ce biais, <strong>les</strong> étudiants seront à même <strong>de</strong> se positionner face à <strong>de</strong>s situations pour<br />
<strong>les</strong>quel<strong>les</strong> le manque <strong>de</strong> ressources ne permet plus <strong>de</strong> conserver une cohérence en<br />
adéquation avec <strong>les</strong> valeurs qui sont <strong>les</strong> leurs et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la profession. Cette prise <strong>de</strong><br />
203
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
position, dictée par la raison, sera synonyme d’engagement. Un engagement<br />
ponctuel, sans cesse à réinitier, mais essentiel pour l’i<strong>de</strong>ntité même du soignant.<br />
Par ailleurs, un autre rôle non moins essentiel <strong>de</strong> la discussion rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité collective. En effet, <strong>de</strong>s individus qui partagent le même métier et en font le<br />
sujet <strong>de</strong> leurs discussions contribuent à le faire avancer et à développer leur i<strong>de</strong>ntité<br />
collective en tant que corps professionnel (Clot, 2006). Très souvent <strong>les</strong> soignants<br />
expriment le sentiment <strong>de</strong> ne pas faire du « bon boulot », <strong>de</strong> toujours « parer au plus<br />
pressé » et cela constitue l’une <strong>de</strong>s principa<strong>les</strong> sources d’insatisfaction et <strong>de</strong><br />
frustration <strong>dans</strong> l’exercice professionnel (De Bouvet & Sauvaige, 2005). La frustration<br />
qui découle <strong>de</strong> l'impossibilité <strong>de</strong> mettre en œuvre sa posture axiologique, c'est-à-dire<br />
d'agir selon <strong>les</strong> valeurs qui sont <strong>les</strong> siennes et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la profession, engendre un<br />
manque <strong>de</strong> cohérence et une perte <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> l'activité. L’engagement, qu’il soit<br />
professionnel ou non, se traduit <strong>dans</strong> <strong>les</strong> actes <strong>les</strong> plus anecdotiques, tel que la<br />
discussion, la pensée ou l’action. Il se veut uni à la parole qui, elle, donne sens au<br />
discours. Ce n’est que s’il est en cohérence avec <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> l’individu que cet<br />
engagement prend réellement son sens pour l’individu. À défaut <strong>de</strong> cette cohérence,<br />
la perte <strong>de</strong> sens porte atteinte à l’engagement, « ultime support qui procure un<br />
sens à l’existence <strong>dans</strong> son ensemble (…) » (Savadogo, 2008, p.60). Par-là, c’est<br />
l’existence entière qui repose sur un engagement qui lui donne son sens et la<br />
structure.<br />
Il s’ensuit un sentiment <strong>de</strong> malaise, qui finit par induire un découragement et se<br />
traduit parfois par un épuisement, un abandon ou le repli <strong>dans</strong> une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
lassitu<strong>de</strong> teintée d’indifférence, c’est-à-dire une attitu<strong>de</strong> <strong>dans</strong> laquelle l’individu est<br />
présent mais « fermé à la reconnaissance <strong>de</strong> l’autre pour lui -même » (Honoré,<br />
2003, p.70.). Il s’abandonne passivement aux aléas <strong>de</strong>s circonstances et tente <strong>de</strong><br />
s’adapter au mieux aux sollicitations du moment. Des soignants épuisés par ce<br />
far<strong>de</strong>au du sacerdoce professionnel implicitement attendu peuvent être tentés <strong>de</strong> se<br />
réfugier <strong>dans</strong> cette armure protectrice qu’est l’indifférence. L’espace dialogique<br />
permet <strong>de</strong> conserver ce sens et <strong>de</strong>vient une arme <strong>de</strong> choix contre l’emmurement <strong>dans</strong><br />
l’indifférence.<br />
Le mouvement réflexif actuel, que certains auteurs n’hésitent pas à targuer<br />
204
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
d’« inflation réflexive », ne doit pas se confondre avec un scepticisme outrancier, ni<br />
<strong>de</strong>venir prescriptif ou idéologique. Le rationalisme instrumental tend à faire <strong>de</strong> la<br />
réflexivité une injonction visant l’efficience, l’efficacité et la productivité accrues<br />
(Demailly, 2008). Ce faisant, le risque est grand <strong>de</strong> faire peser sur l’individu la<br />
responsabilité <strong>de</strong> ce qui dysfonctionne, et <strong>de</strong> transformer le processus d’auto-<br />
évaluation en processus d’auto-sanction. En restant <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s bouc<strong>les</strong> fermées tel<strong>les</strong><br />
que peuvent l’être certaines démarches <strong>de</strong> réflexivité, l’individu est appelé à se<br />
remettre en question, mais ceci <strong>dans</strong> un circuit relativement fermé où tout<br />
changement, et donc toute réussite ou échec, dépen<strong>de</strong>nt finalement <strong>de</strong> lui.<br />
Ces démarches constituent une entrave évi<strong>de</strong>nte à l’engagement. La réflexivité<br />
doit bien plus s’entendre au sens d’un jugement pru<strong>de</strong>ntiel comme Aristote l’entend,<br />
c’est-à-dire un jugement ouvert sur <strong>les</strong> possib<strong>les</strong>, qui tâtonne, se cherche et réfléchit<br />
en prenant en compte tous <strong>les</strong> facteurs qui contribuent à faire <strong>de</strong> la situation ce<br />
qu’elle est. Cette réflexion, si elle s’éloigne un temps du sujet propre qui la produit,<br />
pour faire dialoguer l’ensemble <strong>de</strong>s éléments qui caractérisent la situation, permet<br />
ainsi <strong>de</strong> se détacher <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses limites pour s’ouvrir à <strong>de</strong>s influences extérieures,<br />
et en particulier, à la recherche <strong>de</strong> ressources externes. Elle permet <strong>de</strong> joindre <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux processus, celui <strong>de</strong> l’individuation qui conduit à une autonomie et une<br />
responsabilité plus importantes, et celui <strong>de</strong> la socialisation qui conduit à la<br />
construction et à la consolidation du lien social en vue <strong>de</strong> l’action collective.<br />
En résumé, le but <strong>de</strong> la réflexion est <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres. D’une part, ces processus<br />
se révèlent une ai<strong>de</strong> précieuse pour <strong>les</strong> infirmières <strong>dans</strong> l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s<br />
conditions <strong>de</strong> travail qui stimulent leur motivation et donnent une cohérence à leur<br />
activité. Et, d’autre part, ils ouvrent par là-même la porte au changement, permettant<br />
aux infirmières d’apporter <strong>de</strong>s modifications à leur situation pour maintenir un sens,<br />
et éviter la fatigue et l’épuisement. Les ressources internes peuvent ainsi être<br />
engagées <strong>de</strong> façon très active et adaptée, constituant un levier possible pour modifier<br />
l’environnement ou l’emprise sur celui-ci (Vinje & Mittelmark, 2006).<br />
205
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
9.2 Du rôle moteur <strong>de</strong>s ressources<br />
Face aux difficultés imposées par le contexte économique présent, et compte<br />
tenu du peu d’influence réellement possible sur ces contingences extérieures, certains<br />
chercheurs ont axé leur réflexion sur l’engagement, en reliant ce concept à la notion<br />
<strong>de</strong> ressource. De par cette ouverture, il est possible <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong><br />
ressources liées à l’emploi lui-même, ainsi que <strong>les</strong> ressources personnel<strong>les</strong> et socia<strong>les</strong>.<br />
Toutes ces ressources constituent <strong>de</strong>s éléments clé <strong>de</strong> l’engagement professionnel<br />
(Hobfoll & Buchwald, 2004).<br />
Les ressources diminuent l’impact <strong>de</strong>s exigences liées à la tâche, el<strong>les</strong><br />
permettent l’atteinte <strong>de</strong>s objectifs, stimulent la croissance personnelle,<br />
l’apprentissage et le développement. El<strong>les</strong> recèlent un potentiel motivationnel face<br />
aux exigences. Par ailleurs, il semble que <strong>les</strong> personnes engagées présentent <strong>de</strong>s<br />
différences caractéristiques au niveau personnel. El<strong>les</strong> sont plus extraverties et plus<br />
conscientes <strong>de</strong> leurs ressources. El<strong>les</strong> possè<strong>de</strong>nt davantage <strong>de</strong> ressources<br />
personnel<strong>les</strong> parmi <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> l’optimisme, une bonne estime <strong>de</strong> soi, une capacité <strong>de</strong><br />
résilience et <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> coping efficaces. Ces ressources, à leur tour, permettent<br />
aux personnes engagées <strong>de</strong> contrôler et d’agir sur leur environnement <strong>de</strong> façon<br />
positive (Bakker & Demerouti, 2007).<br />
Des personnes très engagées ont le désir <strong>de</strong> bien-faire. Or, si <strong>les</strong> ressources<br />
viennent à manquer et que cet idéal ne peut être atteint, ces personnes seront aussi<br />
sans doute plus rapi<strong>de</strong>ment démotivées et découragées (Britt, 2003). Plusieurs étu<strong>de</strong>s<br />
ont en effet démontré que le soutien social <strong>de</strong>s collègues et <strong>de</strong>s supérieurs,<br />
l’évaluation positive, la mise en valeur <strong>de</strong>s compétences, l’autonomie, <strong>les</strong> possibilités<br />
<strong>de</strong> formation, sont reliées positivement à l’engagement professionnel (Bakker &<br />
Demerouti, 2007). Les ressources professionnel<strong>les</strong> sont en lien avec <strong>les</strong> aspects<br />
physiques, sociaux et organisationnels <strong>de</strong> l’activité, tels que :<br />
réduction <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong>s coûts physiologiques et<br />
psychologiques qui lui sont associés,<br />
efficacité à l’atteinte <strong>de</strong>s buts professionnels,<br />
206
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
stimulation <strong>de</strong> la croissance personnelle, <strong>de</strong> la formation et du développement.<br />
Les ressources professionnel<strong>les</strong> jouent un rôle motivationnel intrinsèque,<br />
favorisant la croissance et le développement personnels, ainsi qu’un rôle<br />
motivationnel extrinsèque puisque <strong>les</strong> ressources offertes par l’environnement <strong>de</strong><br />
travail, souvent instrumentalisées, encouragent l’individu à s’engager <strong>dans</strong> le but<br />
d’atteindre <strong>les</strong> objectifs du travail (Bakker & Demerouti, 2008). Selon la théorie <strong>de</strong>s<br />
ressources <strong>de</strong> Hobfoll (2004), <strong>les</strong> individus cherchent à obtenir, retenir et protéger ce<br />
qui a <strong>de</strong> la valeur à leurs yeux, c’est-à-dire leurs ressources. Les individus doivent<br />
pourvoir eux-mêmes à certaines ressources pour compenser <strong>de</strong>s éventuel<strong>les</strong> pertes.<br />
Ce chercheur a mis en évi<strong>de</strong>nce le fait que <strong>les</strong> individus disposant d’un bagage <strong>de</strong><br />
ressources plus important sont moins susceptib<strong>les</strong> d’en perdre, alors que ceux qui<br />
n’ont pas accès à une gran<strong>de</strong> réserve <strong>de</strong> ressources pourront encore être<br />
désavantagés par <strong>de</strong>s pertes plus importantes. Par ailleurs, <strong>de</strong>s réserves importantes<br />
en ressources vont permettre aux individus <strong>de</strong> prendre plus <strong>de</strong> risques afin <strong>de</strong><br />
gagner d’autres moyens. Étant donné que le potentiel <strong>de</strong> ressources s’avère<br />
particulièrement important lorsqu’il y a une perte <strong>de</strong> cel<strong>les</strong>-ci, le potentiel<br />
motivationnel relié à ces ressources est donc d’autant plus stimulé que <strong>les</strong> exigences<br />
professionnel<strong>les</strong> sont élevées. El<strong>les</strong> ai<strong>de</strong>nt alors à l’accomplissement. Une étu<strong>de</strong><br />
réalisée auprès d’enseignants finnois <strong>de</strong>s éco<strong>les</strong> élémentaires, secondaires et<br />
techniques rapporte que <strong>les</strong> ressources professionnel<strong>les</strong> agissent comme <strong>de</strong>s<br />
stimulateurs et diminuent <strong>les</strong> relations négatives entre le mauvais comportement <strong>de</strong>s<br />
élèves, représentant un aspect exigeant du travail, et l’engagement professionnel. Par<br />
ailleurs, il a été démontré par cette étu<strong>de</strong> que <strong>les</strong> ressources influencent<br />
particulièrement l’engagement professionnel lorsque <strong>les</strong> enseignants sont confrontés<br />
à <strong>de</strong> graves problèmes <strong>de</strong> comportements inadéquats <strong>de</strong>s élèves (Bakker, 2007). De<br />
nombreuses recherches ont souligné ce lien étroit entre <strong>les</strong> ressources et<br />
l’engagement (Xanthopoulou, 2007 ; Rothmann & Storn, 2003 ; Mauno, Kinnunen &<br />
Ruokolainen, 2007). Luthans (2008) a mis en évi<strong>de</strong>nce que la résilience constitue une<br />
réserve <strong>de</strong> moyens personnels importante qui facilite l’engagement professionnel, en<br />
permettant à l’individu <strong>de</strong> mieux pouvoir agir sur son environnement et ses<br />
évolutions.<br />
207
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Mais, là encore, il faut être vigilant et ne pas succomber à la tentation <strong>de</strong><br />
n’envisager <strong>les</strong> ressources que sous l’angle d’un dynamisme propice à l’engagement.<br />
Dans ce cas, l’individu serait à nouveau l’acteur principal et sa dotation en moyens et<br />
capacités lui incomberait pleinement. Ce serait passer sous silence l’impact du<br />
contexte. Face à ce <strong>de</strong>rnier, une <strong>de</strong>s ressources majeures rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la prise <strong>de</strong><br />
position.<br />
9.3 Défendre un positionnement<br />
La prise <strong>de</strong> position s’inscrivant <strong>dans</strong> un collectif, c’est à nouveau le rôle du<br />
dialogue qui est mis en avant. C’est <strong>dans</strong> le dialogue, la « dispute », le débat, que<br />
s’effectue la mise en perspective renouvelant le sens collectif que produisent <strong>les</strong><br />
perspectives individuel<strong>les</strong> (Honoré, 2003). C’est l’action <strong>de</strong> chacun et sa<br />
détermination à faire évoluer la profession qui aura un impact sur le collectif <strong>de</strong>s<br />
soignants. Ensemble, ils peuvent s’accor<strong>de</strong>r autour <strong>de</strong>s finalités <strong>de</strong> leurs actes, <strong>les</strong><br />
hiérarchiser et mettre en place <strong>de</strong>s projets correspondant à leur vision <strong>de</strong> la<br />
profession. Une compréhension claire, définie et partagée <strong>de</strong> la profession est<br />
d’autant plus essentielle que <strong>les</strong> soignants sont appelés à travailler <strong>dans</strong> une<br />
interdisciplinarité <strong>de</strong> plus en plus vaste. Or, soucieux ne pas voir certaines <strong>de</strong> leurs<br />
pratiques « phagocytées » par d’autres disciplines et ne pas craindre cette proximité,<br />
<strong>les</strong> soignants doivent savoir prendre position pour défendre <strong>de</strong>s postures<br />
axiologiques et un idéal du soin.<br />
Devant le refus d’exercer un jugement et <strong>de</strong> prendre position, ou l’obéissance à<br />
ce qui semble constituer une interdiction <strong>dans</strong> ce sens, le risque est grand <strong>de</strong> voir<br />
l’arbitraire prendre le <strong>de</strong>ssus et se doubler d’une inflation normative qui imposera au<br />
soignant <strong>de</strong> se couler <strong>dans</strong> un moule sans doute peu conforme à ses aspirations. Or,<br />
« ne pas <strong>de</strong>venir ce que nous ne sommes pas, ne serait -ce pas opposer à<br />
l’interdit <strong>de</strong> penser la plus judicieuse <strong>de</strong>s résistances ? » (Malherbe, 2001, p.85).<br />
Une éthique réellement efficace se doit <strong>de</strong> déjouer ce qui veut nous interdire <strong>de</strong><br />
penser et d’exprimer notre pensée. C’est ici que commence l’engagement :<br />
engagement pour le droit <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> s’exprimer selon notre conscience, afin <strong>de</strong><br />
208
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
ne pas être purement et simplement objectifiés <strong>dans</strong> une réduction ontologique<br />
dramatique ! N’oublions pas que « L’être humain est appelé à être sujet <strong>de</strong> son<br />
existence et non objet <strong>de</strong>s circonstances . » (Malherbe, 2001, p.124).<br />
9.4 L’engagement, dynamique pour l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle<br />
Face aux conditions <strong>de</strong> travail actuel<strong>les</strong> et aux risques mentionnés<br />
précé<strong>de</strong>mment, il est important <strong>de</strong> promouvoir l’engagement <strong>de</strong>s infirmières <strong>de</strong><br />
façon appropriée. Il s’agit avant tout <strong>de</strong> <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à avoir confiance en el<strong>les</strong>, et à<br />
développer une pratique argumentée, faisant l’objet <strong>de</strong> dialogues entre pairs et<br />
soucieuses d’assumer leur pleine responsabilité <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites qui leur sont<br />
imposées par le contexte.<br />
Si l’on prend en considération l’exigence d’autonomie telle que la notion est<br />
comprise à l’heure actuelle <strong>dans</strong> la profession soignante, on ne saurait se limiter à<br />
l’exercice <strong>de</strong> compétences réflexives même si, comme nous l’avons vu, il est<br />
fondamental d’envisager un accroissement <strong>de</strong> nos capacités critiques. Mais il y a lieu<br />
<strong>de</strong> penser, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette dimension réflexive, un<br />
« processus d’auto-transformation <strong>de</strong> l’action sociale [ qui ] suppose<br />
d’une part une transformation du moi socialisé [ <strong>de</strong> ses compétences<br />
critiques, <strong>de</strong> son image <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses propres structures affective s ] et,<br />
d’autre part, un ensemble d’efforts orientés vers la transformation <strong>de</strong>s<br />
formes <strong>de</strong> connaissance du contexte social et <strong>de</strong>s institutions qui le<br />
structurent. » (Geay, 2009, p.265).<br />
Le combat <strong>de</strong>s infirmières doit se mener sur tous <strong>les</strong> éléments qui, d’une<br />
manière ou d’une autre, viennent constituer une entrave au plein développement <strong>de</strong><br />
leur autonomie réflexive et <strong>de</strong> leurs actions, <strong>dans</strong> le champ <strong>de</strong> leurs compétences<br />
professionnel<strong>les</strong>. Le développement <strong>de</strong> leur confiance en soi est la porte d’entrée<br />
permettant aux infirmières, <strong>dans</strong> leur composante subjective tout comme politique,<br />
<strong>de</strong> s’autoriser à faire valoir leurs expériences, à oser <strong>les</strong> décrire pour en démontrer le<br />
209
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
savoir qui leur est lié. Ce savoir représente la force argumentative, négociée <strong>dans</strong> le<br />
débat collectif, qui permet d’assumer un positionnement, et par là-même, <strong>de</strong><br />
façonner et d’affirmer une i<strong>de</strong>ntité professionnelle aux contours jusque-là encore<br />
assez flous.<br />
210
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
CHAPITRE 10 : DU PROBLÈME À LA THÈSE<br />
Le travail effectué <strong>dans</strong> la première partie <strong>de</strong> la thèse a permis <strong>de</strong> poser <strong>les</strong><br />
éléments du contexte <strong>dans</strong> lequel se développe le rôle professionnel infirmier et ses<br />
enjeux sur un plan éthique, ce sous plusieurs ang<strong>les</strong> :<br />
le contexte <strong>de</strong> <strong>soins</strong> actuel est source <strong>de</strong> certaines difficultés pour <strong>les</strong> soignants<br />
qui s'engagent ;<br />
<strong>les</strong> recherches sur ce sujet ne sont apparues que tard et nécessitent encore <strong>de</strong>s<br />
développements (Schaufeli, 2005) ;<br />
la profession est marquée par un passé encore très prégnant où l’engagement<br />
allait <strong>de</strong> soi comme don naturel <strong>de</strong> sa personne au service <strong>de</strong>s autres ;<br />
l’engagement est une notion centrale <strong>dans</strong> un domaine professionnel comme<br />
celui <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> où la relation humaine constitue la pierre angulaire<br />
du travail réalisé ;<br />
la notion d’engagement est complexe <strong>dans</strong> sa transmission et présente un<br />
intérêt pédagogique particulier, transférable à d’autres domaines que celui <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong> ;<br />
l’engagement constitue une catégorie <strong>de</strong> la première compétence du référentiel<br />
européen (Annexe 6), mais pose problème <strong>dans</strong> la mesure où aucun critère ne<br />
permet <strong>de</strong> l’évaluer concrètement.<br />
Une réflexion globale sur l’apport <strong>de</strong> ce balayage <strong>de</strong> la littérature nous ai<strong>de</strong>ra à<br />
replacer le sujet <strong>dans</strong> notre visée <strong>de</strong> recherche.<br />
211
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Il conviendra ensuite <strong>de</strong> définir plus précisément quel va être l’objet <strong>de</strong> la<br />
recherche, d’en rappeler <strong>les</strong> objectifs et d’indiquer <strong>les</strong> moyens mis en œuvre pour<br />
tenter d’y répondre.<br />
À cet effet, un regard plus synthétique sur la problématique permettra <strong>de</strong><br />
mieux préciser l’objet <strong>de</strong> la recherche ainsi que <strong>les</strong> hypothèses formulées.<br />
10.1 L’éclairage apporté par le cadre <strong>de</strong> référence<br />
On le voit, la question <strong>de</strong> l’engagement n’est déjà pas simple en soi, mais elle<br />
<strong>de</strong>vient réellement complexe lorsque l’on évoque le champ <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, ainsi<br />
que <strong>les</strong> contraintes et contingences auxquel<strong>les</strong> celui-ci fait face <strong>de</strong>puis quelques<br />
années.<br />
Parler d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong>vient alors une évi<strong>de</strong>nce. En effet, si,<br />
comme nous l’avons vu, l’engagement se veut inscrit <strong>dans</strong> une dimension <strong>de</strong> sens<br />
donnée à l’existence, et inscrit <strong>dans</strong> une action concrète au cœur même <strong>de</strong> cette<br />
existence et <strong>de</strong> la société, alors la question du choix et <strong>de</strong>s valeurs qui le portent est<br />
absolument essentielle. « Il ne s’agit pas <strong>de</strong> dénoncer le manquement aux<br />
valeurs proclamées, mais <strong>de</strong> situer une démarche critique <strong>dans</strong> un contexte<br />
donné <strong>de</strong> l’engagement » (Fritsch, 2000, p.96) pour chercher, au cœur d’un<br />
processus collectif, comment dépasser ce manquement <strong>dans</strong> une perspective<br />
d’engagement futur qui fasse sens pour <strong>les</strong> soignants, leur profession, mais<br />
également pour le Bien <strong>de</strong> la société <strong>dans</strong> son ensemble.<br />
Si tant est qu’il existe <strong>de</strong>s champs professionnels <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels l’engagement ne<br />
serait qu’une option, nul doute que celui <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> lui soit totalement<br />
étranger. Bien à l’inverse d’un caractère optionnel, c’est une dimension d’absolue<br />
nécessité qui accompagne l’engagement <strong>dans</strong> l’activité professionnelle du soignant.<br />
En effet, l’engagement est déjà, sur un plan très factuel, le gage d’un agir<br />
responsable, (Svandra, 2006) et se veut donc garant <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s prestations<br />
fournies par le professionnel.<br />
Mais l’engagement est loin <strong>de</strong> n’avoir d’implications que sur ce seul plan<br />
externe. Il implique, bien au contraire, le professionnel <strong>dans</strong> son entier, investissant<br />
212
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
comme nous l’avons vu ses sentiments, sa raison et sa conscience du <strong>de</strong>voir. En<br />
constante interaction, ces trois sphères dynamiques contribuent à donner du sens<br />
pour la personne, <strong>dans</strong> son action, et au-<strong>de</strong>là même <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité. Ainsi,<br />
l’engagement professionnel forge l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, et en favorisant<br />
l’autonomie, la mise en œuvre <strong>de</strong> compétences, la responsabilité ainsi que le lien<br />
social, il a également <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces sur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle (Tap, 2003). Il est, selon<br />
Savadogo, ce qui donne sens à l’existence elle-même (Savadogo, 2008).<br />
Or ce sens, à son tour, génère la motivation qui suscite l’engagement comme<br />
mise en œuvre <strong>de</strong> ce qui nous est cher, <strong>de</strong> ce que nous estimons et où nos valeurs<br />
prennent leur pleine expression. L’engagement <strong>de</strong>vient ainsi une véritable source<br />
d’épanouissement, capable <strong>de</strong> faire émerger <strong>de</strong>s ressources insoupçonnées.<br />
En ce sens, il se veut une dynamique capable d’agir sur le futur, <strong>de</strong> promouvoir<br />
le changement, et a ainsi une influence évi<strong>de</strong>nte sur le professionnel mais aussi sur<br />
son i<strong>de</strong>ntité et sa motivation à s’investir <strong>dans</strong> la profession.<br />
Face aux difficultés actuel<strong>les</strong> rencontrées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> milieux professionnels, nous<br />
sommes convaincus qu’un travail spécifique sur la notion d’engagement, une<br />
conscientisation <strong>de</strong> son importance et <strong>de</strong> ses conséquences, ainsi qu’un<br />
accompagnement à la réflexion permettant <strong>de</strong> soutenir un engagement réfléchi,<br />
distancé et positionné, constitue l’une <strong>de</strong>s pièces maîtresses vers la construction<br />
d’une motivation et d’un engagement pérenne <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> une profession<br />
choisie au départ, en gran<strong>de</strong> majorité, avec une volonté forte <strong>de</strong> s’y investir<br />
pleinement.<br />
Ce cadre <strong>de</strong> référence nous a permis d’obtenir une compréhension plus fine du<br />
concept d’engagement et <strong>de</strong> pouvoir penser celui-ci <strong>dans</strong> le déroulement <strong>de</strong> la<br />
formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
10.2 Problématique actuelle et pertinence <strong>de</strong> la recherche<br />
La profession soignante <strong>de</strong>meure, <strong>de</strong> par son histoire déjà, une profession qui<br />
nécessite un engagement. On entendra par personne engagée, celle qui est motivée<br />
par son activité, motivée à relever <strong>de</strong>s défis, à s’engager pour son institution, ainsi<br />
que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> relations avec <strong>les</strong> patients et <strong>les</strong> pairs. Elle est mue par un attachement<br />
213
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
qui se fon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>s intérêts et valeurs communs au lieu d’exercice (Brown, 1996).<br />
Même si tout être humain se situe sur un continuum entre la distanciation et<br />
l’engagement (Elias, 1993), il n’en reste pas moins que, sur ce continuum, le<br />
professionnel <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> occupe une position largement orientée vers le second pôle.<br />
Son implication est circonscrite au cœur même <strong>de</strong> son activité <strong>de</strong> soignant, <strong>dans</strong> sa<br />
rencontre avec le soigné, <strong>dans</strong> sa confrontation à <strong>de</strong>s situations émotionnellement<br />
lour<strong>de</strong>s à gérer, à la pénibilité physique et psychique du travail et à <strong>de</strong>s prises en<br />
charge très complexes qui mobilisent toutes ses facultés (Dallaire, 2008).<br />
Mais c’est avant tout parce que le soin trouve son incarnation <strong>dans</strong> un rapport<br />
d’altérité, et plus particulièrement d’une altérité dissymétrique, que l’engagement<br />
<strong>dans</strong> sa dimension éthique prend son véritable sens.<br />
En effet, par sa seule présence, l’Autre nous oblige à nous engager et nous<br />
assigne à responsabilité (Lévinas, 1991). À combien plus forte raison cette<br />
responsabilité revêt-elle toute sa raison d’être, alors que le soignant fait face à la<br />
vulnérabilité du patient (Svandra, 2004).<br />
Dans la formation, cet engagement semble aller <strong>de</strong> soi. De manière plus ou<br />
moins explicite, <strong>les</strong> compétences mises en œuvre <strong>dans</strong> le processus <strong>de</strong><br />
professionnalisation visent à faire acquérir à l’étudiante une posture et une i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle engagées, au service du patient et <strong>de</strong> la profession (Marchal & Psiuk,<br />
2002). Des aspects spécifiques au rôle professionnel, tels que le rôle propre, le<br />
jugement clinique, le rôle médico-délégué…, font l’objet d’une attention particulière<br />
durant la formation. Or, même si ces aspects s’inscrivent <strong>dans</strong> une logique<br />
d’engagement, l’examen du programme d’étu<strong>de</strong>s commun à toutes <strong>les</strong> Hautes Éco<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> Santé en Suisse roman<strong>de</strong> n’inclut pas d’apports spécifiques sur ce thème (PEC<br />
2008, HES-SO). Cette réalité est d’autant plus paradoxale que la notion d’engagement<br />
fait partie <strong>de</strong> la toute première compétence du référentiel européen (Annexe 6),<br />
document servant à l’évaluation <strong>de</strong>s étudiantes. Cette compétence qui s’intitule<br />
« S’engager <strong>dans</strong> un développement professionnel, être acteur <strong>de</strong> sa formation,<br />
adopter une attitu<strong>de</strong> réflexive et éthique afin <strong>de</strong> promouvoir la qualité <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong> », comprend plusieurs indicateurs dont le sixième et <strong>de</strong>rnier s’intitule à<br />
nouveau « s’engager <strong>dans</strong> un développement professionnel ». Cependant aucune<br />
précision n’est donnée quant à la manière d’évaluer ce critère. Pour certains<br />
214
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
enseignants, il y a là un problème majeur <strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong> étudiantes doivent<br />
être évaluées sur une notion dont <strong>les</strong> critères et <strong>les</strong> indicateurs sont absents. Le flou<br />
règne et le malaise se ressent tant chez <strong>les</strong> étudiantes que chez <strong>les</strong> formateurs et<br />
formatrices (Sonon, 2010).<br />
Ce malaise est sans doute exacerbé encore par <strong>les</strong> différents champs <strong>de</strong> tensions<br />
que l’étudiante est amenée à gérer dès le début <strong>de</strong> sa formation :<br />
l’histoire <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et la place <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> cette histoire. L’étudiante est<br />
invitée à développer un rôle autonome, à le revendiquer, alors même qu’il<br />
n’est pas toujours reconnu par l’institution, ni même très affirmé par <strong>les</strong><br />
professionnels eux-mêmes parfois ;<br />
l’idéal <strong>de</strong> la prise en charge holistique et sa collision avec un contexte <strong>de</strong><br />
réduction <strong>de</strong>s budgets entraînant la rationalisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> par mesure<br />
d’efficience ;<br />
une évolution <strong>de</strong>s mentalités marquée par l’individualisme ambiant et un<br />
rapport aux autres « prioritairement individualiste et pragmatique »<br />
(Bobineau, 2010b, p.37). Le désengagement social et la dévalorisation du lien,<br />
en particulier communautaire, sont <strong>les</strong> héritiers <strong>de</strong> cet individualisme, qui fait<br />
que l’individu <strong>de</strong>vient sa propre mesure et « se gar<strong>de</strong> d’appartenir » (Gauchet,<br />
2002, p.273). Paradoxe important pour l’étudiante dont on attend un<br />
comportement altruiste, engagé <strong>dans</strong> la relation et soucieux <strong>de</strong> s’inscrire <strong>dans</strong><br />
le collectif interdisciplinaire <strong>de</strong>s professionnels.<br />
Ces phénomènes s’inscrivent <strong>dans</strong> un contexte plus vaste <strong>de</strong> modification <strong>de</strong>s<br />
conditions <strong>de</strong> travail qui trouve son origine <strong>dans</strong> <strong>les</strong> difficultés économiques<br />
actuel<strong>les</strong>. Ces <strong>de</strong>rnières ont conduit l’hôpital à passer d’une logique <strong>de</strong> besoin à une<br />
logique <strong>de</strong> moyens, <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong> réduire <strong>les</strong> coûts à la manière d’une entreprise<br />
(Halbesleben, 2008).<br />
Cette maîtrise <strong>de</strong>s coûts passe par la réduction <strong>de</strong>s effectifs, mais fait également<br />
émerger <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong> management et <strong>de</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion qui<br />
ne sont pas sans conséquences sur l’organisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> : fragmentation du travail<br />
selon la logique taylorienne (alors que la prise en charge holistique voudrait qu’une<br />
215
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
même infirmière s’occupe <strong>de</strong> son patient <strong>de</strong>puis sa prise <strong>de</strong> service jusqu’à son<br />
départ), multiplication <strong>de</strong>s procédures inhérentes à la démarche qualité et<br />
augmentation <strong>de</strong> la charge administrative, incitation à une plus gran<strong>de</strong><br />
responsabilisation <strong>de</strong>s acteurs, en particulier <strong>de</strong>s cadres, avec pour conséquence<br />
l’augmentation <strong>de</strong> la souffrance au travail… (Dejours, 2009 ; Douguet, Muňoz &<br />
Leboul, 2005).<br />
Ces paradoxes expliquent sans doute l’écart important entre l’idéal <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> tel<br />
que professé <strong>dans</strong> nos éco<strong>les</strong> et l’action infirmière livrée aux contingences <strong>de</strong> la<br />
pratique. Lors <strong>de</strong> travaux précé<strong>de</strong>nts, nous avons pu constater la difficulté <strong>de</strong>s<br />
étudiantes, par ailleurs fort bien intentionnées, à intégrer leurs connaissances en<br />
éthique <strong>dans</strong> un engagement concret au cœur <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin. De la même<br />
façon, en interrogeant <strong>les</strong> enseignants <strong>de</strong>s éco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> et <strong>les</strong> praticiens formateurs<br />
sur leur manière d’envisager la prise en charge, force est <strong>de</strong> constater que, si tous<br />
partagent le désir d’offrir un soin <strong>de</strong> qualité, soucieux <strong>de</strong> l’humain et <strong>de</strong> son <strong>de</strong>venir,<br />
<strong>de</strong>s différences importantes se font jour quant à la manière <strong>de</strong> concevoir<br />
l’engagement au service du soin et du patient. C’est la dimension éthique <strong>de</strong><br />
l’engagement qui est ici directement concernée. Ces divergences s’expliquent, en<br />
majeure partie, par <strong>les</strong> réalités très différentes que vivent enseignants et praticiens,<br />
ces <strong>de</strong>rniers étant souvent frustrés voire désabusés face aux contraintes<br />
institutionnel<strong>les</strong> qui ren<strong>de</strong>nt leur idéal <strong>de</strong> soin incompatible avec <strong>les</strong> conditions<br />
d’exercice (De Bouvet & Sauvaige, 2005). À l’engagement se substitue alors parfois<br />
une indifférence, que l’on ne saurait concevoir comme une insensibilité à l’Autre,<br />
mais qui résulte bien davantage d’ « un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> réponse à <strong>de</strong>s risques encourus »<br />
(Giraud, 2003, p.128), c’est-à-dire d’un moyen <strong>de</strong> protection contre une réalité<br />
menaçante.<br />
C’est au travers <strong>de</strong> ces difficultés que l’étudiante doit se construire une posture<br />
d’engagement, et celle-ci n’est pas sans enjeux.<br />
En effet il y a <strong>de</strong>s enjeux évi<strong>de</strong>nts en termes <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> prestations <strong>de</strong> soin<br />
ainsi que <strong>de</strong> satisfaction et motivation au travail. Mais il y a également <strong>de</strong>s enjeux<br />
non moins cruciaux du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la construction i<strong>de</strong>ntitaire, à la fois<br />
personnelle et professionnelle, <strong>de</strong> l’étudiante. L’engagement, <strong>dans</strong> sa dimension<br />
216
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
éthique <strong>de</strong> rapport à l’Autre, a un impact direct sur l’i<strong>de</strong>ntité (Ricœur, 1990).<br />
La centralité <strong>de</strong> ce concept apparaît donc d’une importance essentielle pour la<br />
discipline <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, tout particulièrement <strong>dans</strong> sa dimension éthique<br />
interrogeant <strong>les</strong> valeurs mises en jeu <strong>dans</strong> l’engagement ainsi que <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> celui-<br />
ci. Or, si Rameix (1996) nous invite à une étu<strong>de</strong> rationnelle <strong>de</strong>s valeurs pour le<br />
développement <strong>de</strong> la pensée éthique, Bobineau affirme à son tour son caractère<br />
primordial face au phénomène <strong>de</strong> ce qu’il nomme une « effervescence axiologique »<br />
(Bobineau, 2010a, p.50), soulignant par-là la prolifération <strong>de</strong> valeurs différentes <strong>dans</strong><br />
une société marquée par <strong>les</strong> échanges nationaux, internationaux, mais également par<br />
le relativisme ambiant qui ouvre la porte à cette multiplicité <strong>de</strong> valeurs sans en<br />
favoriser la hiérarchisation. Autrefois, <strong>dans</strong> la pratique, l’étudiante s’immergeait<br />
implicitement <strong>dans</strong> un corpus clair <strong>de</strong> valeurs-clés. Aujourd’hui, elle doit se<br />
construire son propre système <strong>de</strong> valeurs, c’est-à-dire faire le tri <strong>dans</strong> cette profusion<br />
<strong>de</strong> valeurs « sans toujours avoir connaissance <strong>de</strong>s tenants et aboutiss ants <strong>de</strong><br />
ses choix » (Bobineau, 2010a, p.50). Ces choix, cependant, <strong>de</strong>vraient être réfléchis et<br />
se baser sur une pensée critique pour « se concrétiser <strong>dans</strong> l’action et manifester<br />
par là le sens <strong>de</strong> la responsabilité » (Gohier, 2007, p.12).<br />
Cette pensée critique doit aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la cohérence interne <strong>de</strong>s théories pour<br />
examiner la réalité et rendre explicites <strong>les</strong> valeurs qui viendront fon<strong>de</strong>r ces choix<br />
assumés. Il ne saurait être question <strong>de</strong> dénoncer un quelconque manquement à <strong>de</strong>s<br />
valeurs, mais bien plutôt <strong>de</strong> « situer une démarche critique <strong>dans</strong> un contexte<br />
donné <strong>de</strong> l’engagement. » (Fritsch, 2000, p.96).<br />
Dans ce contexte d’engagement, le soignant est l’acteur et l’éthique, en tant que<br />
réflexion sur l’agir, commence par l’interroger personnellement, elle interroge son<br />
implication <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations rencontrées. L’éthique est trop largement considérée<br />
comme un outil <strong>de</strong> réflexion sur <strong>de</strong>s situations présentant <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeur.<br />
Dans la pratique institutionnelle, elle ne se distingue <strong>de</strong> la morale que difficilement<br />
pour porter son regard sur <strong>les</strong> aléas du Bien <strong>dans</strong> le concret d’une situation. Mais ne<br />
considérer l’éthique que sous cet angle, c’est occulter la part essentielle<br />
d’introspection à laquelle elle nous convie en examinant nos valeurs, ce qui motive<br />
nos pensées et nos actes et par là-même notre engagement auprès du patient. Il ne<br />
217
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
s’agit pas ici d’une introspection narcissique, mais d’une nécessaire prise en compte<br />
<strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> personnels du soignant, fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> sa motivation et <strong>de</strong> son<br />
engagement. Si l’égocentrisme est bien, pour Morin (2000, p.107), une « tromperie à<br />
l’égard <strong>de</strong> soi-même », le cheminement intérieur permettant la compréhension <strong>de</strong><br />
soi n’en est pas moins indispensable. Contrairement à l’égocentrisme qui mène à une<br />
« hypertrophie du Moi » (Id, p.108), il ne reste pas focalisé sur sa propre personne,<br />
mais s’examine en premier, mesure la complexité humaine et prend conscience <strong>de</strong><br />
ses propres faib<strong>les</strong>se, ce qui l’amène à la capacité d’entrer en dialogue avec l’Autre,<br />
<strong>dans</strong> sa différence et <strong>dans</strong> ses incomplétu<strong>de</strong>s. Et Morin <strong>de</strong> déclarer que<br />
« l’incompréhension <strong>de</strong> soi est une source très importante <strong>de</strong><br />
l’incompréhension d’autrui » (Ibid., p.107).<br />
La démarche éthique est clairement apparente lorsque Gohier, <strong>dans</strong><br />
la même idée écrit que « La connaissance <strong>de</strong> soi est une condition <strong>de</strong> la<br />
rencontre avec l’Autre. » (Gohier, 2007, p.11). En effet, quand Platon (Alcibia<strong>de</strong>,<br />
Trad. Croiset, 2002) met en dialogue Socrate avec le jeune Alcibia<strong>de</strong>, ce <strong>de</strong>rnier ne<br />
peut qu’acquiescer à la question <strong>de</strong> Socrate <strong>de</strong> savoir si « se connaître soi-même, ce<br />
n’est pas ce que nous sommes convenus d’appeler sagesse morale ? » (Ibid.,<br />
p.133). Le développement amené par Socrate oblige le jeune homme à reconnaître<br />
que se connaître soi-même, c’est regar<strong>de</strong>r au fond <strong>de</strong> soi pour y voir « ce qu’il y a<br />
en nous <strong>de</strong> bon ou <strong>de</strong> mauvais » (Ibid, p.133), condition pour être juste avec <strong>les</strong><br />
autres hommes. C’est la connaissance du « Je » illustré <strong>dans</strong> le triangle <strong>de</strong> Ricœur<br />
(1990), développé ci-après, qui va permettre la rencontre et la relation avec le « Tu »,<br />
un « Tu » à la fois semblable et différent. L’éthique se veut alors le garant <strong>de</strong>s liens<br />
entre <strong>les</strong> trois pô<strong>les</strong>, incluant également le pôle tiers, car l’éthique est une manière<br />
d’être à soi-même, au mon<strong>de</strong> et à l’Autre (Svandra, 2004).<br />
« Seule une éthique explicite et réfléchie pourrait fon<strong>de</strong>r chacune <strong>de</strong>s<br />
conceptions possib<strong>les</strong> d’une profession… faute d’une telle éthique<br />
fondatrice, la codification déontologique <strong>de</strong>s professions risque fort <strong>de</strong><br />
se réduire à un cahier <strong>de</strong>s charges arbitrairement défini par chaque<br />
« maison », sans justification ni fon<strong>de</strong>ment rationnels . » (Misrahi, 1995,<br />
p.74).<br />
218
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
On imagine ici <strong>de</strong>s professionnels du soin qui agissent à la manière d’automates<br />
selon une charte déontologique précé<strong>de</strong>mment définie, et en se contentant<br />
d’appliquer <strong>de</strong>s prescriptions. Une perte <strong>de</strong> sens se fait jour, qui exacerbe encore une<br />
pénibilité du travail toujours plus importante (<strong>de</strong> Gaulejac, 2005). Il s’agit alors <strong>de</strong><br />
poser cette question du sens et Legault nous rappelle que cela revient à<br />
« Poser la question <strong>de</strong> l’éthique comme mo<strong>de</strong> spécifique <strong>de</strong> régulation<br />
sociale faisant place à l’autonomie du sujet. Pose r la question du sens,<br />
c’est poser, sur le plan personnel, la question <strong>de</strong> sa propre i<strong>de</strong>ntité, <strong>de</strong><br />
son authenticité et <strong>de</strong> ses engagements. » (Legault, prologue, XIII).<br />
L’individu <strong>de</strong>vient sa propre finalité, en même temps qu’il s’affirme, très<br />
paradoxalement, en revendiquant ses appartenances, mais <strong>de</strong>s appartenances<br />
choisies selon ses affinités (Bobineau, 2010a). Ce pragmatisme et ce choix autonome<br />
influencent son engagement dont il mesure à présent le coût. L’engagement ne se fait<br />
plus tellement pour l’appartenance au groupe, mais par volonté <strong>de</strong> donner un sens à<br />
sa vie, en aidant <strong>les</strong> autres par exemple (Bobineau, 2010a). S’engager c’est une<br />
manière <strong>de</strong> se construire au travers du rapport à l’Autre et du rapport à soi, c’est<br />
donc une manière singulière <strong>de</strong> construire son i<strong>de</strong>ntité (Castells, 2007) ou <strong>de</strong><br />
restaurer une i<strong>de</strong>ntité b<strong>les</strong>sée (Havard-Duclos & Nicourd, 2005). L’engagement<br />
permet <strong>de</strong> s’affirmer et <strong>de</strong> se réaliser. Si <strong>les</strong> formes d’engagement ont changé,<br />
l’engagement lui-même <strong>de</strong>meure une nécessité absolue, à la fois à un niveau plus<br />
général pour l’organisation <strong>de</strong> la vie en société (Mauss, 1997), mais également sur le<br />
plan singulier pour l’affirmation <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité personnelle, professionnelle et<br />
sociale.<br />
Le schéma ci-après pourrait nous ai<strong>de</strong>r à comprendre la transformation que<br />
l'individu va subir, lui qui vient se former aux <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
En effet, à y regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> plus près, on retrouve, comme nous venons <strong>de</strong> le voir,<br />
ce triangle avec <strong>les</strong> trois pô<strong>les</strong> développé par Ricœur, mais <strong>dans</strong> une double<br />
configuration. Dans le triangle supérieur, nous avons en effet l'individu, le JE en tant<br />
que personne, c'est-à-dire avec ses valeurs et tout son héritage socio-culturel ; nous<br />
219
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
retrouvons également le pôle TU, à savoir la rencontre avec <strong>les</strong> enseignants et <strong>les</strong><br />
autres étudiants ; ainsi que le pôle IL, l'institution scolaire qui va se charger <strong>de</strong><br />
l'enseignement théorique. Tout comme <strong>dans</strong> le triangle <strong>de</strong> Ricœur, l'éthique est ici<br />
omniprésente. C'est elle qui régit <strong>les</strong> interactions entre ces trois pô<strong>les</strong>. L'i<strong>de</strong>ntité<br />
personnelle et professionnelle va se transformer au contact <strong>de</strong>s individus rencontrés<br />
<strong>dans</strong> l'école, mais également au fur et à mesure <strong>de</strong> l'intégration <strong>de</strong>s connaissances<br />
théoriques. Mais limiter la formation à ce premier triangle serait extrêmement<br />
réducteur. En effet le processus <strong>de</strong> professionnalisation <strong>dans</strong> lequel l'étudiante est<br />
inscrite ne se limite pas à l'institution scolaire. Ici nous retrouvons à nouveau le<br />
triangle <strong>de</strong> Ricœur, mais en position inverse. En effet la partie supérieure se compose<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>, TU et IL. Le TU représente la rencontre <strong>de</strong> l'étudiante avec le patient<br />
ainsi qu'avec ses différents collègues <strong>de</strong> l'équipe pluridisciplinaire qui caractérise le<br />
mon<strong>de</strong> hospitalier, tandis que le pôle IL représente l'institution et le contexte <strong>dans</strong><br />
lequel s'exerce la profession.<br />
Cette double représentation <strong>de</strong>s pô<strong>les</strong> TU et IL est essentielle à prendre en<br />
compte pour saisir la transformation qui s'opère chez l'étudiante, <strong>de</strong> même que pour<br />
comprendre <strong>les</strong> difficultés qu'elle va pouvoir rencontrer <strong>de</strong> par cette structure<br />
complexe.<br />
Fort <strong>de</strong> ces différentes rencontres et expériences, l'étudiante va voir se modifier<br />
son i<strong>de</strong>ntité une nouvelle fois et développer une véritable i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />
Cette i<strong>de</strong>ntité, édifiée sur <strong>les</strong> valeurs éthiques qui s'y rattachent, va <strong>de</strong>venir le moteur<br />
d'un engagement professionnel à l'égard du patient, <strong>de</strong> la profession ainsi que <strong>de</strong><br />
l'institution <strong>de</strong> soin.<br />
On se rend compte à partir <strong>de</strong> ce schéma combien le processus <strong>de</strong><br />
professionnalisation est complexe, et en même temps riche et essentiel pour<br />
promouvoir un engagement motivé par un réel souci <strong>de</strong> l'Autre.<br />
220
Professeurs,<br />
Étudiants<br />
Professionnels<br />
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Engagement envers<br />
le patient<br />
Figure 14 : Triangle éthique revisité<br />
Personne<br />
JE<br />
Valeurs – héritage socioculturel<br />
IDENTITÉ PERSONNELLE<br />
TU IDENTITÉ<br />
IL<br />
IDENTITÉ PROFESSIONNELLE<br />
JE<br />
Soignant<br />
221<br />
Connaissances,<br />
Savoir<br />
Contexte <strong>de</strong> pratique<br />
Institution <strong>de</strong> soin<br />
Engagement envers<br />
l’institution<br />
Patient
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Si l'impact <strong>de</strong>s expériences pratiques et <strong>de</strong> la rencontre avec <strong>les</strong> patients en<br />
particulier <strong>de</strong>meure essentiel pour la construction <strong>de</strong> l'engagement professionnel,<br />
apparaît aussi clairement à partir <strong>de</strong> ce schéma le rôle primordial que la formation<br />
joue également <strong>dans</strong> cette perspective. <strong>L'engagement</strong> va être en partie induit par la<br />
confrontation aux connaissances théoriques et à la pratique d'un côté, et par la<br />
rencontre avec <strong>les</strong> pairs et <strong>les</strong> enseignants <strong>de</strong> l'autre. Mais fait-il pour autant l'objet<br />
d'un enseignement spécifique, alors qu'on lui reconnaît cette importance<br />
fondamentale ?<br />
Il semble qu'il soit largement considéré comme allant <strong>de</strong> soi, en particulier <strong>dans</strong><br />
la dimension éthique du rapport à soi et aux autres.<br />
10.3 Thèse et objectifs<br />
La thèse que nous défendons est donc celle <strong>de</strong> la nécessité d’un enseignement et<br />
d’un accompagnement spécifique à la construction d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement<br />
professionnel réfléchie <strong>de</strong> l’étudiante, au service du patient et <strong>de</strong> la profession, mais<br />
également au service <strong>de</strong> sa propre i<strong>de</strong>ntité.<br />
Cette recherche poursuit trois objectifs principaux :<br />
TABLEAU 02 : TABLEAU DES OBJECTIFS PRIORITAIRES<br />
Mettre en évi<strong>de</strong>nce le rôle central <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’infirmière en formation<br />
et sa dimension éthique <strong>dans</strong> la relation à l’Autre, tout particulièrement <strong>dans</strong> la<br />
relation à cet Autre vulnérable qui est le bénéficiaire <strong>de</strong> soin ;<br />
Examiner <strong>les</strong> concepts voisins qui permettent <strong>de</strong> mieux cerner la notion et qui<br />
pourraient être mobilisés <strong>dans</strong> la construction d’un enseignement sur le sujet ;<br />
Mettre en relief le bien-fondé d’un enseignement spécifique et structuré sur le<br />
sujet <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> une perspective d’amélioration <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong>, <strong>de</strong> satisfaction au travail, <strong>de</strong> motivation, mais également <strong>de</strong><br />
construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />
222
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
Indirectement, cette recherche tentera également <strong>de</strong> répondre, partiellement au<br />
moins, à <strong>de</strong>s objectifs secondaires mais non moins importants pour la compréhension<br />
du phénomène :<br />
Appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong> facteurs psychologiques, sociétaux et contextuels… qui<br />
influencent cette éthique <strong>de</strong> l’engagement, positivement ou négativement ;<br />
Comprendre l’impact que peut avoir l’usage <strong>de</strong> la pensée critique sur la<br />
manière dont une étudiante va s’engager ou non.<br />
Ces objectifs permettent <strong>de</strong> répondre à une question cruciale pour la discipline<br />
infirmière. En effet, face à une société dont le rapport au travail a changé, dont <strong>les</strong><br />
valeurs ont évolué, et face à une réalité incarnée <strong>dans</strong> une pratique souvent<br />
extrêmement pénible, la nécessité <strong>de</strong> penser une éthique <strong>de</strong> l’engagement<br />
professionnel infirmier s’avère plus aiguë que jamais.<br />
Une éthique <strong>de</strong> l’engagement se référant à <strong>de</strong>s concepts aussi variés que la<br />
motivation, le sens, la responsabilité, la conviction, l’authenticité, l’implication,<br />
l’assertivité…, <strong>de</strong>vrait permettre <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> réponse quant aux<br />
formes possible d’un engagement éthique <strong>dans</strong> la sphère professionnelle. L’étudiante,<br />
interpellée sur ses valeurs et le sens qu’elle donne à sa profession, serait également<br />
amenée à s’interroger sur la manière <strong>de</strong> s’investir, sur <strong>les</strong> dimensions et <strong>les</strong> limites <strong>de</strong><br />
son investissement face à la réalité concrète <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et développer ainsi <strong>de</strong>s<br />
ressources grâce à cette distanciation critique.<br />
Cela aurait pour conséquence <strong>de</strong> lui permettre <strong>de</strong> se projeter <strong>dans</strong> son avenir<br />
professionnel en s’autorisant à n’être pas « parfaite », <strong>de</strong> pratiquer un soin<br />
respectueux <strong>de</strong> l’Autre, sans voir <strong>dans</strong> cet Autre l’incarnation d’un idéal<br />
professionnel inatteignable.<br />
Il s’agit d’un défi <strong>dans</strong> l’acte formateur, puisque cette réflexion a comme<br />
ambition d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> pô<strong>les</strong> enseignement et pratique <strong>de</strong> la formation duale à se<br />
rapprocher. Des étu<strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes ont pu mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s conceptions<br />
parfois très divergentes entre ces <strong>de</strong>ux catégories professionnel<strong>les</strong> au sujet <strong>de</strong> l’acte<br />
<strong>de</strong> soin. Une réflexion, voire un modèle centré sur la personne soignante et son<br />
rapport à sa profession, pourrait permettre <strong>de</strong> relativiser cet écart <strong>de</strong> perception,<br />
étant donné que le point <strong>de</strong> référence n’est plus le soin en lui-même mais le rapport<br />
223
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
du soignant à ce soin. Ce modèle aurait comme avantage d’ouvrir <strong>les</strong> horizons <strong>de</strong><br />
compréhension sur <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong> ou imposées au soignant par le contexte.<br />
Intégrer un enseignement et un accompagnement à la construction d’une<br />
éthique <strong>de</strong> l’engagement professionnel <strong>dans</strong> le cursus <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
serait une manière <strong>de</strong> contribuer directement à l’élaboration <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle, puisque il s’agit <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s outils à l’étudiante, dès le début <strong>de</strong> sa<br />
formation, pour travailler à la fois <strong>les</strong> processus d’i<strong>de</strong>ntification, en partenariat avec<br />
<strong>les</strong> autres étudiantes et <strong>les</strong> processus d’i<strong>de</strong>ntisation pour l’amener à façonner le<br />
modèle <strong>de</strong> professionnelle spécifique qu’elle souhaite incarner plus tard.<br />
Nous sommes convaincue que cet enseignement favoriserait, <strong>dans</strong> une moindre<br />
mesure au moins, le développement d’éléments <strong>de</strong> réponse à <strong>de</strong>ux phénomènes<br />
majeurs qui frappent actuellement <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : l’abandon <strong>de</strong> la profession,<br />
chiffré à quelque 20% <strong>dans</strong> <strong>les</strong> dix années qui suivent le diplôme (Estryn-Béhar & Le<br />
Nezet 2006), ainsi que l’épuisement professionnel lié au stress, accompagné <strong>de</strong><br />
pathologies psychiques sévères et dont le taux alarmant avoisine <strong>les</strong> 30% en France<br />
(Pronost, 2001).<br />
Alors que la pénurie <strong>de</strong> personnel soignant s’annonce catastrophique pour <strong>les</strong><br />
années à venir, l’encouragement à cette posture réflexive dès le début <strong>de</strong> la formation<br />
pourrait vraisemblablement apporter une contribution positive.<br />
Le cadre <strong>de</strong> référence nous a permis <strong>de</strong> mieux cerner la notion d’engagement<br />
avec toutes ses composantes, mais également <strong>de</strong> mesurer l’étendue <strong>de</strong> sa complexité.<br />
Afin <strong>de</strong> répondre aux objectifs <strong>de</strong> recherche présentés ci-avant, et au vu <strong>de</strong> la<br />
complexité <strong>de</strong> cette notion, il nous a semblé opportun <strong>de</strong> construire un modèle<br />
permettant <strong>de</strong> rendre visible <strong>les</strong> différents paramètres influençant la construction <strong>de</strong><br />
l’engagement du futur professionnel et sur <strong>les</strong>quels il conviendrait <strong>de</strong> s’arrêter un<br />
moment durant la formation. Notre dispositif <strong>de</strong> recherche permettra, par le biais<br />
d’une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> différentes hypothèses, <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r la pertinence <strong>de</strong> ce schéma, d’en<br />
révéler <strong>les</strong> fail<strong>les</strong>, mais également <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> manques ou <strong>les</strong><br />
imprécisions qu’il peut contenir.<br />
Une fois validé, ce schéma pourra servir <strong>de</strong> base à un accompagnement<br />
224
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
pédagogique spécifique, selon <strong>de</strong>s étapes précises qui pourront être organisées sur<br />
toute la durée <strong>de</strong> la formation. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s différents paramètres du modèle,<br />
organisée selon différentes étapes en fonction d’une conceptualisation et d’une<br />
complexification croissantes, <strong>de</strong>vra permettre au jeune professionnel d’être, en fin <strong>de</strong><br />
formation, au bénéfice <strong>de</strong> cette forme d’engagement conscientisé et positionné, qui<br />
lui permette d’agir en fonction <strong>de</strong> ses valeurs, tout en étant conscient <strong>de</strong> ses limites et<br />
<strong>de</strong> son droit à prendre position et à s’affirmer <strong>dans</strong> ses convictions. Cet engagement<br />
sera fondé sur un positionnement axiologique réfléchi et assumé.<br />
Au vu <strong>de</strong>s liens qui ont pu être mis en évi<strong>de</strong>nce ici, nous pensons que ce travail<br />
autour <strong>de</strong> l’engagement et <strong>de</strong> l’éthique qui le fon<strong>de</strong>, aura <strong>de</strong>s répercussions sur le<br />
soignant et la pérennité <strong>de</strong> sa motivation professionnelle, mais également au-<strong>de</strong>là sur<br />
l’i<strong>de</strong>ntité collective professionnelle, ainsi que sur la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>dans</strong> son<br />
ensemble, <strong>dans</strong> la mesure où il favorise la construction <strong>de</strong> sens. Ce sens étant<br />
d’autant plus présent que <strong>les</strong> trois domaines <strong>de</strong>s valeurs, <strong>de</strong>s efforts consentis et du<br />
sentiment <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir à réaliser sont <strong>dans</strong> une dynamique interactive étroite<br />
(Duchesne et Savoie-Zajc, 2005). Plus la combinaison <strong>de</strong> ces trois entités est réussie et<br />
plus l’engagement est sain et durable, facilitant par là-même la construction <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, et plus ou moins directement aussi l’i<strong>de</strong>ntité personnelle.<br />
Si donc l’engagement est considéré comme une condition absolue <strong>de</strong> l’exercice<br />
infirmier (Dallaire, 2008) dont on reconnaît <strong>les</strong> aspects positifs, il semble judicieux <strong>de</strong><br />
réfléchir aux conditions <strong>de</strong> sa mise en œuvre pour qu’il puisse se développer <strong>dans</strong> un<br />
contexte favorable. En ce sens, le questionnement à la base <strong>de</strong> notre recherche peut<br />
s’énoncer ainsi : Comment la formation peut-elle contribuer à une prise <strong>de</strong><br />
conscience <strong>de</strong>s éléments qui influencent l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’étudiante et<br />
<strong>de</strong> l’étudiant, lui donnent sens <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s contextes parfois diffici<strong>les</strong> et contribuent à<br />
un développement <strong>de</strong> cet engagement qui répon<strong>de</strong> à l’exigence du souci <strong>de</strong> l’Autre,<br />
sans pour autant négliger le souci <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses limites personnel<strong>les</strong> ?<br />
La thèse que nous défendons est donc celle <strong>de</strong> la nécessité d’un enseignement et<br />
d’un accompagnement spécifique à la construction d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement<br />
professionnel réfléchie <strong>de</strong> l’étudiante, au service du patient et <strong>de</strong> la profession, mais<br />
également au service <strong>de</strong> sa propre i<strong>de</strong>ntité personnelle et professionnelle.<br />
225
DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />
226
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
TROISIÈME PARTIE :<br />
MÉTHODOLOGIE<br />
227
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
228
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
CHAPITRE 11 : DU MODÈLE AUX HYPOTHÈSES<br />
Partant du schéma double <strong>de</strong>s trois pô<strong>les</strong> <strong>de</strong> Ricœur ainsi que <strong>de</strong> la mise en<br />
évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> travailler cette notion d'engagement sous un angle<br />
conceptuel, selon <strong>les</strong> apports mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>dans</strong> le cadre conceptuel<br />
précé<strong>de</strong>mment développé, nous avons élaboré une ébauche <strong>de</strong> modélisation <strong>de</strong> ce<br />
concept d'engagement pour la formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Cette ébauche est<br />
présentée au schéma suivant (Schéma 1 : construction d’une éthique <strong>de</strong><br />
l’engagement). Par <strong>les</strong> questionnements posés et introduits lors <strong>de</strong>s entretiens, nous<br />
tenterons <strong>de</strong> porter un regard critique sur ce modèle, en retenant <strong>les</strong> éléments<br />
considérés comme pertinents, en retranchant ceux dont l'intérêt n'aura pas été<br />
démontré et en rajoutant éventuellement <strong>de</strong>s éléments complémentaires auxquels<br />
nous n'aurions pas songé.<br />
L’école professionnelle ne saurait être considérée comme le seul lieu<br />
d’apprentissage d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement. Celui-ci est également tributaire <strong>de</strong><br />
facteurs personnels, sociétaux et culturels.<br />
229
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
FIGURE 2 : SCHÉMA DE L’ENGAGEMENT<br />
230
11.1 Explication du schéma<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
L’engagement, loin d’être un donné linéaire, constitue un processus complexe<br />
qui dépend <strong>de</strong> facteurs intrinsèques et extrinsèques multip<strong>les</strong>. L’appréhension <strong>de</strong> ces<br />
différents facteurs et <strong>de</strong> leurs liens réciproques doit permettre <strong>de</strong> comprendre la<br />
construction <strong>de</strong> ce processus et d’influer sur certaines <strong>de</strong> ses composantes, en regard<br />
ici <strong>de</strong> l’exercice d’une profession particulière.<br />
Les étudiantes qui s’inscrivent pour suivre la formation infirmière n’entrent pas<br />
<strong>dans</strong> l’école comme une page blanche, une sorte <strong>de</strong> tabula rasa sur laquelle il<br />
suffirait d’inscrire la connaissance. Ils entament cette formation en y investissant leur<br />
personnalité, imprégnés à la fois <strong>de</strong> leur culture, <strong>de</strong> leur éducation et <strong>de</strong> différentes<br />
influences socia<strong>les</strong>. Ils ont aussi en leur for intérieur toutes sortes <strong>de</strong> représentations<br />
<strong>de</strong> leur future profession, qu’el<strong>les</strong> soient ou non le fruit d’une expérience concrète,<br />
vécue antérieurement.<br />
Ce bagage constitué d’inné et d’acquis ne saurait s’inscrire en la personne<br />
comme un contenu stérile et sans effets. Il laisse bien davantage germer, dès le plus<br />
jeune âge, <strong>de</strong>s attirances, <strong>de</strong>s intérêts et surtout <strong>de</strong>s valeurs qui orientent ses choix,<br />
mais aussi sa manière d’envisager la profession, tout comme son regard sur <strong>les</strong> êtres<br />
humains en général et plus spécifiquement encore la personne mala<strong>de</strong>.<br />
C’est sur ce socle que <strong>les</strong> capacités cognitives <strong>de</strong> réflexion et <strong>de</strong> mobilisation <strong>de</strong><br />
connaissances vont venir opérer pour permettre à l’individu <strong>de</strong> développer un<br />
véritable raisonnement éthique et une éthique professionnelle.<br />
Cette éthique va constituer le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>, moteurs <strong>de</strong> l’activité<br />
du soignant : la responsabilité professionnelle d’un côté, entendue comme le sens du<br />
<strong>de</strong>voir à accomplir, la fonction définie pour et par la profession <strong>dans</strong> une visée<br />
déontologique également, et <strong>de</strong> l’autre côté la motivation personnelle, renfermant <strong>les</strong><br />
aspirations et intérêts individuels.<br />
Lorsqu’un équilibre peut être trouvé entre ces <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>, en découle une<br />
dimension <strong>de</strong> sens et <strong>de</strong> cohérence à l’exercice professionnel. Si le pôle motivation<br />
prédomine et que l’individu agit en première ligne pour satisfaire ses propres<br />
intérêts personnels, certaines dimensions <strong>de</strong> son agir ne pourraient s’avérer que peu<br />
231
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
responsab<strong>les</strong>. En revanche, s’il agit plus par <strong>de</strong>voir, que celui-ci émane <strong>de</strong> sa volonté<br />
propre, ou qu’il résulte d’injonctions externes explicites ou implicites, l’individu sera<br />
frustré, sur la durée, <strong>de</strong> ne pouvoir répondre à ses motivations <strong>de</strong> manière<br />
satisfaisante.<br />
Sans un équilibre entre le pôle motivationnel d’un côté et le pôle du <strong>de</strong>voir<br />
responsable <strong>de</strong> l’autre, le sens même <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> l’individu peut s’en ressentir. Or,<br />
si l’individu ne trouve pas <strong>de</strong> sens à son activité, il ne peut pas s’engager <strong>de</strong> manière<br />
optimale, l’engagement supposant une implication <strong>de</strong> la personne tout entière pour<br />
une cause dont elle est convaincue. L’engagement suppose par ailleurs aussi une<br />
prise <strong>de</strong> risque <strong>dans</strong> la mesure où il est lié à une forme <strong>de</strong> don <strong>de</strong> sa personne. Or, le<br />
professionnel qui ne trouve pas <strong>de</strong> sens à son activité, ou tout au moins qui n’en<br />
perçoit pas une dimension suffisante, ne sera pas prêt à risquer un réel engagement,<br />
ou bien celui-ci se fera malgré lui mais à ses dépens. Cet état <strong>de</strong> fait aura non<br />
seulement <strong>de</strong>s conséquences sur son professionnalisme et la qualité <strong>de</strong> ses<br />
prestations, mais également sur son i<strong>de</strong>ntité professionnelle et, parce que <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />
sont intimement liées, sur son i<strong>de</strong>ntité personnelle également. Ce processus, s’il est<br />
conscient, pourra le conduire à modifier son système <strong>de</strong> valeurs pour le rendre plus<br />
approprié à la réalité, ou à chercher <strong>de</strong>s solutions alternatives.<br />
11.2 Questionnements, hypothèses et indicateurs<br />
En qualité <strong>de</strong> réflexions qui constituent une réponse présumée à la question et<br />
mettent en lien au moins <strong>de</strong>ux éléments, <strong>de</strong>s questions ont été évoquées avec <strong>les</strong><br />
personnes interviewées, qui ont un peu évolué au fur et à mesure <strong>de</strong>s entretiens.<br />
Ces questions ont été articulées autour <strong>de</strong> différents aspects <strong>de</strong> la notion<br />
d’engagement et se sont situé à différents niveaux. On a questionné, par exemple,<br />
l’aspect concret du dispositif <strong>de</strong> formation, l’impact <strong>de</strong>s enseignants, la construction<br />
d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement en lien avec une épistémologie <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, mais<br />
également avec <strong>de</strong>s connaissances en éthique et en philosophie, ou encore <strong>les</strong><br />
dimensions pratiques et organisationnel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> s’inscrit cet engagement.<br />
232
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Ces questionnements qui nous ont guidée <strong>dans</strong> l’élaboration <strong>de</strong> notre gui<strong>de</strong><br />
d’entretien, nous ont permis <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s hypothèses, el<strong>les</strong>-mêmes<br />
regroupant différentes catégories qui sont autant d’éléments sur <strong>les</strong>quels s’est axée la<br />
collecte <strong>de</strong> données.<br />
Ces hypothèses découlent également <strong>de</strong>s objectifs présentés <strong>dans</strong> la section<br />
précé<strong>de</strong>nte. La collecte sert à vérifier à la fois <strong>les</strong> hypothèses que l’on trouve<br />
récapitulées au tableau 3, et vise également l’atteinte <strong>de</strong>s objectifs.<br />
TABLEAU 3 : HYPOTHÈSES DE RECHERCHE<br />
L’engagement, tant professionnel que personnel, n’est pas abordé explicitement<br />
durant la formation, ni sous l’angle théorique ni sous l’angle éthique.<br />
L’engagement professionnel ne peut se développer et se maintenir sur la durée<br />
que si l’étudiante, puis la professionnelle, trouve un sens à sa pratique.<br />
Le sens <strong>de</strong> l’engagement est prétérité : par l’inadéquation <strong>de</strong> la pratique avec <strong>les</strong><br />
valeurs personnel<strong>les</strong>, par l’écart entre l’idéal <strong>de</strong> la prise en soin et la prise en soin<br />
réelle, par <strong>les</strong> conditions d’exercice.<br />
La formation peut ai<strong>de</strong>r l’étudiante à construire le sens <strong>de</strong> sa pratique et son<br />
i<strong>de</strong>ntité professionnelle malgré <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail diffici<strong>les</strong>.<br />
La formation peut contribuer, par le biais d’un travail sur <strong>les</strong> valeurs, <strong>les</strong><br />
ressources et <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong>, à ai<strong>de</strong>r l’étudiante à développer un<br />
engagement sain et durable.<br />
Les hypothèses ont donc été déclinées en catégories qui, selon Paillé et<br />
Mucchielli (2010), correspon<strong>de</strong>nt à une théorisation en progression. Fondée sur la<br />
tradition <strong>de</strong> la Groun<strong>de</strong>d Theory <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années soixante, la catégorie est un<br />
construit théorique sous forme d’une production textuelle qui permet <strong>de</strong> mieux<br />
cerner l’expérience humaine. Elle permet d’articuler le sens et <strong>les</strong> représentations<br />
avec <strong>les</strong> vécus <strong>de</strong>s individus. Elle prend son sens par rapport aux autres catégories.<br />
233
Elle a pour avantage d’ai<strong>de</strong>r à<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
« saisir une portion <strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong> la vie psychologique, sociale et<br />
culturelle à travers <strong>de</strong>s formu<strong>les</strong> qui soient relativement évocatrices<br />
tout en étant précises et empiriquement fondée s. » (Paillé & Mucchielli,<br />
2010, p.238).<br />
C’est en ce sens que la catégorie nous semble particulièrement appropriée à<br />
notre étu<strong>de</strong> qu’elle décrit <strong>les</strong> phénomènes, donne lieu à <strong>de</strong>s définitions et dévoile <strong>les</strong><br />
propriétés d’un concept, et en cela permet l’élaboration <strong>de</strong> théorisations. Les<br />
catégories répon<strong>de</strong>nt à notre volonté <strong>de</strong> mettre en lumière la construction du concept<br />
d’engagement et son ancrage <strong>dans</strong> le terrain.<br />
Il peut s’agir d’opinions, <strong>de</strong> jugements, <strong>de</strong> comportements, <strong>de</strong> thèmes, <strong>de</strong><br />
caractéristiques personnel<strong>les</strong> ou contextuel<strong>les</strong>, d’action collective, d’inci<strong>de</strong>nts, <strong>de</strong><br />
situations <strong>de</strong> logiques ou <strong>de</strong> dynamiques (Lamoureux, 2000 ; Paillé & Mucchielli,<br />
2010).<br />
Certains concepts étant extrêmement larges, il a été nécessaire d'en préciser <strong>les</strong><br />
catégories conceptualisantes retenues, c'est-à-dire <strong>les</strong> aspects considérés comme<br />
essentiels pour notre objet. C’est pourquoi, même si nous étudions le concept<br />
d’engagement, nous trouverons l’engagement parmi <strong>les</strong> catégories conceptualisantes<br />
retenues, comme <strong>de</strong>s entités spécifiques <strong>de</strong> théorisation permettant une meilleure<br />
compréhension du concept en général.<br />
Ces catégories sont ensuite traduites en indicateurs, c'est-à-dire en entités plus<br />
restreintes qui en sont <strong>les</strong> signes observab<strong>les</strong> et mesurab<strong>les</strong>. Ceux-ci ren<strong>de</strong>nt possible<br />
une compréhension univoque <strong>de</strong> l’hypothèse. Les indicateurs ne sont ni plus ni<br />
moins que <strong>les</strong> « définitions opérationnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s variab<strong>les</strong> d e la recherche »<br />
(Lamoureux, 2000, p.119).<br />
Ces indicateurs se doivent <strong>de</strong> représenter <strong>les</strong> concepts <strong>de</strong> la manière la plus<br />
pertinente qui soit, afin <strong>de</strong> garantir le plus grand <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> validité possible.<br />
234
TABLEAU 04 : HYPOTHÈSE 1<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
L’engagement, tant professionnel que personnel, n’est pas abordé explicitement<br />
durant la formation, ni sous l’angle théorique, ni sous l’angle éthique.<br />
Catégories<br />
conceptualisantes<br />
Engagement<br />
Formation duale<br />
Éthique<br />
Indicateurs<br />
Degré d’engagement, caractéristiques et<br />
conséquences <strong>de</strong> l’engagement<br />
Occurrence et forme <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> réflexivité<br />
durant la formation<br />
Cours dispensés sur le sujet <strong>de</strong> l’engagement<br />
professionnel<br />
Nature et fréquence <strong>de</strong>s cours dispensés sur le sujet<br />
Prise en compte <strong>de</strong> cette dimension <strong>dans</strong><br />
l’accompagnement en stage par le PF et/ou<br />
l’enseignant référent<br />
Moments <strong>de</strong> réflexion autour <strong>de</strong>s valeurs<br />
personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong><br />
Représentation <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong>s valeurs qui<br />
lui sont liées<br />
Réflexion et expression <strong>de</strong>s limites personnel<strong>les</strong><br />
235
TABLEAU 05 : HYPOTHÈSE 2<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
L’engagement professionnel ne peut se développer et se maintenir sur la durée<br />
que si l’étudiante, puis la professionnelle, trouve un sens à sa pratique.<br />
Catégories<br />
conceptualisantes<br />
Engagement<br />
Sens<br />
Étudiante<br />
Indicateurs<br />
Définition personnelle <strong>de</strong> l’engagement<br />
Éléments qui favorisent ou entravent l’engagement<br />
personnel et professionnel<br />
Degré d’engagement personnel <strong>dans</strong> la profession<br />
Caractéristiques <strong>de</strong> cet engagement personnel<br />
Liens établis entre engagement et sens<br />
Liens entre motivation et sens<br />
Éléments générateurs <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
Liens entre engagement et éthique personnelle et<br />
professionnelle<br />
Représentation par l’étudiante <strong>de</strong> sa future pratique<br />
professionnelle et <strong>de</strong> sa carrière<br />
236
TABLEAU 06 : HYPOTHÈSE 3<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Le sens <strong>de</strong> l’engagement est prétérité par :<br />
Catégories<br />
L’inadéquation <strong>de</strong> la pratique avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong>,<br />
L’écart entre l’idéal <strong>de</strong> la prise en soin et la prise en soin réelle,<br />
Les conditions d’exercice.<br />
conceptualisantes<br />
Sens<br />
Valeurs<br />
Engagement<br />
Conditions travail<br />
Indicateurs<br />
Liens établis entre motivation et engagement<br />
Liens établis entre sens et engagement<br />
Représentation <strong>de</strong> la prise en charge professionnelle<br />
adéquate<br />
Adéquation entre la prise en charge souhaitable et le<br />
contexte actuel d’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
Liens établis entre valeurs personnel<strong>les</strong> et/ou<br />
professionnel<strong>les</strong> et engagement<br />
Adéquation entre <strong>les</strong> responsabilités exigées et <strong>les</strong><br />
valeurs personnel<strong>les</strong><br />
Définition <strong>de</strong> l’engagement, le <strong>de</strong>gré, <strong>les</strong><br />
caractéristiques et conséquences <strong>de</strong> l’engagement<br />
Liens entre charge <strong>de</strong> travail et engagement<br />
Liens entre dynamique d’équipe et engagement<br />
Liens entre qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et engagement<br />
Liens entre qualité relationnelle avec le patient et<br />
engagement<br />
Liens entre ressources à disposition et engagement<br />
237
TABLEAU 07 : HYPOTHÈSE 4<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
La formation peut ai<strong>de</strong>r l’étudiante à construire le sens <strong>de</strong> sa pratique et son<br />
i<strong>de</strong>ntité professionnelle, malgré <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail diffici<strong>les</strong>.<br />
Catégories<br />
conceptualisantes<br />
Valeurs<br />
Sens<br />
I<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle<br />
Savoirs,<br />
connaissances<br />
Indicateurs<br />
Réflexions personnel<strong>les</strong> sur ses valeurs<br />
Moments <strong>de</strong> verbalisation <strong>de</strong> conflits <strong>de</strong> valeurs<br />
Effets produit par le fait <strong>de</strong> pouvoir ou non<br />
verbaliser <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeurs<br />
Liens entre valeurs, sens et cohérence<br />
Éléments aidant à la construction <strong>de</strong> sens durant la<br />
formation<br />
Représentations <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle<br />
Liens établis entre l’engagement et l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle<br />
Importance accordée aux connaissances pour la<br />
motivation et l’engagement<br />
Impact reconnu <strong>de</strong>s savoir-faire, savoir-être et<br />
savoirs sur une prise en charge porteuse <strong>de</strong> sens<br />
238
TABLEAU 8 : HYPOTHÈSE 5<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
La formation peut contribuer, par le biais d’un travail sur <strong>les</strong> valeurs, ainsi que<br />
sur <strong>les</strong> ressources et <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong>, à ai<strong>de</strong>r l’étudiante à développer un<br />
engagement sain et durable.<br />
Catégories<br />
conceptualisantes<br />
Valeurs<br />
Ressources<br />
Formation duale<br />
Engagement<br />
Indicateurs<br />
Réflexions personnel<strong>les</strong> sur ses valeurs et ce qui<br />
fon<strong>de</strong> son être intérieur<br />
Liens entre valeurs et sens<br />
Liens entre valeurs et positionnement professionnel<br />
Verbalisation <strong>de</strong>s ressources personnel<strong>les</strong>, socia<strong>les</strong>,<br />
organisationnel<strong>les</strong><br />
Nature et occurrence d’un travail sur <strong>les</strong> ressources<br />
personnel<strong>les</strong>, socia<strong>les</strong> et organisationnel<strong>les</strong><br />
Préparation par la formation au développement <strong>de</strong><br />
ces ressources<br />
Représentations <strong>de</strong> l’adéquation ou non <strong>de</strong> la<br />
formation en école avec la réalité professionnelle<br />
Représentations <strong>de</strong> l’adéquation ou non <strong>de</strong> la<br />
formation en stage avec la réalité professionnelle<br />
Représentations <strong>de</strong> la complémentarité ou non <strong>de</strong> la<br />
formation en école et en stage<br />
Origine du choix <strong>de</strong> la profession<br />
Degré <strong>de</strong> motivation exprimée<br />
Lien entre engagement et connaissances<br />
professionnel<strong>les</strong><br />
239
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
La problématique et <strong>les</strong> concepts qui y ont été développés, synthétisés autour<br />
<strong>de</strong> ces hypothèses, constituent la colonne vertébrale <strong>de</strong> cette recherche. Les<br />
hypothèses se veulent alors être <strong>les</strong> « charnières » d’un mouvement <strong>de</strong> balancier<br />
entre la théorie et la réalisation empirique d’une recherche (Quivy & Van<br />
Campendhout, 2006).<br />
Nos hypothèses <strong>de</strong> recherche ne sont pas organisées selon un modèle<br />
pyramidal, mais englobent néanmoins <strong>les</strong> trois niveaux distincts suivants :<br />
Niveau personnel : connaissance <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses valeurs, <strong>de</strong> ses limites et <strong>de</strong>s<br />
motivations à s’engager <strong>dans</strong> la profession et à soigner ;<br />
Niveau formation : connaissances et temps <strong>de</strong> réflexion intégrés au<br />
curriculum, adéquation <strong>de</strong> la formation (<strong>dans</strong> sa forme duale) avec la réalité<br />
professionnelle ;<br />
Niveau institutionnel : politique institutionnelle et conditions <strong>de</strong> travail<br />
susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong> favoriser l’engagement.<br />
Ces trois niveaux interrogent donc l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> une<br />
compréhension plus globale, du niveau le plus personnel et singulier jusqu’au<br />
niveau beaucoup plus vaste <strong>de</strong> la politique institutionnelle et <strong>de</strong> son influence sur la<br />
réalité, en passant par la formation et la préparation à cette réalité.<br />
De nombreux concepts ont donc dû être mobilisés afin <strong>de</strong> pouvoir apporter <strong>de</strong>s<br />
réponses aux hypothèses posées. Ces concepts sont utilisés <strong>dans</strong> une visée<br />
systémique, c’est-à-dire en tenant compte <strong>de</strong> leurs relations d’interdépendance et <strong>de</strong><br />
la complexité <strong>dans</strong> laquelle ils s’inscrivent. La notion d'engagement ne saurait être<br />
observée que sous l'angle d'un seul paradigme sous peine <strong>de</strong> voir sa compréhension<br />
fortement diminuée.<br />
La recherche <strong>de</strong> cohérence <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à ce que <strong>les</strong> phénomènes soient<br />
décomposés pour être analysés et donner lieu à d'éventuels liens <strong>de</strong> causalité. Elle ne<br />
peut cependant se soustraire à une recherche <strong>de</strong> sens qui, elle, vise davantage à<br />
comprendre la signification que <strong>les</strong> acteurs donnent à une situation ou à leurs<br />
240
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
pratiques. En ce sens, elle porte donc davantage sur la dimension <strong>de</strong> compréhension<br />
<strong>de</strong>s phénomènes et non sur leur explication causale.<br />
Il convient ici <strong>de</strong> spécifier que nous nous insérons plus spécifiquement <strong>dans</strong> le<br />
champ philosophique, en empruntant cependant à la sociologie, à la psychologie<br />
ainsi qu’aux sciences <strong>de</strong> l’éducation.<br />
241
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
242
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
CHAPITRE 12 : CADRE DE RÉFÉRENCE ET<br />
MÉTHODOLOGIQUE<br />
Le cadre <strong>de</strong> référence constitue l'armature sur laquelle se fon<strong>de</strong> le projet <strong>de</strong><br />
recherche. Tant sur le plan du contenu que sur le plan <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong>, le recours à <strong>de</strong>s<br />
cadres reconnus et validés sur le plan théorique permet <strong>de</strong> se situer clairement <strong>dans</strong><br />
une perspective scientifique.<br />
12.1 Cadre épistémologique<br />
Sur un plan épistémologique, cette recherche s’inscrit <strong>dans</strong> <strong>de</strong>ux paradigmes<br />
simultanément. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s différents éléments constitutifs <strong>de</strong> l’engagement et <strong>de</strong><br />
leurs relations réciproques se réfère au paradigme <strong>de</strong>scriptif, tandis que l’étu<strong>de</strong> du<br />
phénomène dynamique et complexe <strong>de</strong> cette même notion s’inscrit quant à elle <strong>dans</strong><br />
le paradigme compréhensif. On cherche avant tout à expliciter le sens, par un<br />
dialogue entre <strong>les</strong> dimensions épistémologiques et ontologiques, qui se <strong>de</strong>ssine<br />
<strong>de</strong>rrière le phénomène complexe que constitue l’éthique <strong>de</strong> l’engagement.<br />
L’observation <strong>de</strong>s interactions entre <strong>les</strong> réalités socia<strong>les</strong> et l’activité professionnelle,<br />
soutenue par une approche interprétative et la conception holiste <strong>de</strong> l’être humain,<br />
prenant en compte <strong>les</strong> personnes et leurs valeurs, permet <strong>de</strong> construire une<br />
compréhension <strong>de</strong> l’engagement infirmier. La recherche emprunte en majeure partie<br />
au champ <strong>de</strong> la philosophie, mais également à la sociologie, aux sciences <strong>de</strong><br />
l’éducation et à la psychologie, ce qui permet <strong>de</strong> cerner le phénomène sous<br />
différentes facettes. Son but est <strong>de</strong> faire ressortir le sens ou la signification que le<br />
phénomène étudié revêt pour <strong>les</strong> individus. De manière générale, la recherche<br />
qualitative vise à examiner <strong>de</strong>s phénomènes et à en donner une compréhension large<br />
permettant <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s théories à partir <strong>de</strong> ses conclusions (Fortin et al., 2006).<br />
La tradition <strong>de</strong> la sociologie compréhensive <strong>dans</strong> laquelle nous nous inscrivons tout<br />
particulièrement est celle <strong>de</strong> Weber qui définit l’activité comme « un comportement<br />
243
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
compréhensible » (Weber, 1965, p.329-330) et le sujet comme un acteur <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
contraintes d’une situation et <strong>dans</strong> son interaction avec <strong>les</strong> autres. Cette approche<br />
wébérienne entend mettre en évi<strong>de</strong>nce la dimension rationnelle <strong>de</strong>s comportements,<br />
en lien avec un vécu et <strong>de</strong>s faits qui concernent tout autant <strong>les</strong> représentations<br />
(pensées construites) que <strong>les</strong> pratiques socia<strong>les</strong> (faits expérienciés) à proprement<br />
parler (Blanchet & Gotman, 2001, p.25). Qu’elle s’inscrive <strong>dans</strong> la dynamique<br />
explicative ou compréhensive, l’enquête par entretien est extrêmement pertinente<br />
pour saisir le sens que <strong>les</strong> personnes accor<strong>de</strong>nt à leurs pratiques, ainsi que <strong>les</strong><br />
systèmes <strong>de</strong> références et <strong>de</strong> valeurs qui <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>nt.<br />
Les tableaux ci-<strong>de</strong>ssous récapitulent l’ensemble <strong>de</strong>s concepts, la justification <strong>de</strong><br />
l’éclairage apporté, ainsi que <strong>les</strong> auteurs <strong>de</strong> référence et <strong>les</strong> dimensions abordées.<br />
Notons que nous avons scindé notre cadre <strong>de</strong> référence en <strong>de</strong>ux parties. La<br />
première plante le décor. Il s’agit <strong>de</strong> développer l’ensemble <strong>de</strong>s concepts fondateurs<br />
sans <strong>les</strong>quels la secon<strong>de</strong> partie, celle qui porte plus précisément sur la notion<br />
d’engagement et ses corollaires, n’aurait pas réellement d’ancrage ni <strong>de</strong> sens. Tous<br />
<strong>les</strong> auteurs ne sont pas cités. Ont été retenus ceux sur <strong>les</strong>quels l’étayage du cadre<br />
conceptuel s’est plus largement appuyé.<br />
L’entier du cadre <strong>de</strong> référence, et tout particulièrement <strong>les</strong> concepts explicités<br />
ci-après avec <strong>les</strong> éclairages apportés par <strong>les</strong> différents auteurs, ont été<br />
particulièrement uti<strong>les</strong> <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> la grille d’entretien dont ils<br />
constituent l’ossature principale.<br />
Le tableau 9 ci-<strong>de</strong>ssous représente <strong>les</strong> concepts mobilisés en lien avec le champ<br />
<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, <strong>dans</strong> la première partie du cadre <strong>de</strong> référence.<br />
244
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
TABLEAU 09 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC LES SOINS INFIRMIERS.<br />
Nadot, 2002<br />
Magnon, 2006<br />
Petitat, 1989<br />
Benner, 1995<br />
Kérouac et al., 2003<br />
Dallaire, 2008<br />
Marchal & Psiuk, 2002<br />
Jouteau-Neves, 2005<br />
Hesbeen, 2002<br />
Svandra, 2004<br />
De Bouvet & Sauvaige, 2005<br />
SOINS INFIRMIERS<br />
Auteurs Discipline<br />
Formarier & Poirier-Coutansais, G., 2000<br />
245<br />
Soins<br />
<strong>infirmiers</strong>,<br />
histoire<br />
Dimensions<br />
développées<br />
Histoire <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong><br />
Soins <strong>infirmiers</strong> Nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
Soins <strong>infirmiers</strong><br />
Sirven, 1999 Mé<strong>de</strong>cine<br />
Sainsaulieu, 2003<br />
Dubet, 2002<br />
Clot & Lhuilier, 2010 ; Clot 2006, 2008,<br />
2010<br />
Dejours, 2008, 2009<br />
Martucelli, 2005<br />
Sociologie<br />
Psychologie<br />
De Gaulejac, 2011 Sociologie<br />
Contexte<br />
d’exercice actuel
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
TABLEAU 10 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC L’ÉTHIQUE<br />
ÉTHIQUE<br />
Auteurs Discipline<br />
Fuchs, 1990 Théologie<br />
Morin (Lucien), 1996<br />
Houssaye, 1999<br />
Aristote, Platon<br />
246<br />
Philosophie<br />
Canto-Sperber, 2002 Philosophie<br />
Ricœur , 1990<br />
Lévinas, 1994<br />
Lévinas, 1998<br />
Svandra, 2009a, 2009b<br />
Honoré, 2003<br />
Sirven, 1999<br />
Bolly, 2010<br />
Desaulniers & Jutras, 2006<br />
Hirsch, Ferlen<strong>de</strong>r, 1998<br />
Worms, 2010<br />
Foucault, 1984<br />
Honoré, 2003<br />
Foucault, 1984<br />
Blon<strong>de</strong>au, 1999<br />
Dimensions<br />
développées<br />
Histoire, valeurs<br />
I<strong>de</strong>ntité et<br />
définition <strong>de</strong><br />
l’éthique<br />
Philosophie Altruisme<br />
Soins <strong>infirmiers</strong><br />
Mé<strong>de</strong>cine<br />
Sciences <strong>de</strong><br />
l’éducation<br />
Éthique et<br />
mé<strong>de</strong>cine<br />
Sociologie<br />
Sociologie<br />
Soins <strong>infirmiers</strong><br />
Questionnement<br />
éthique <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
<strong>soins</strong><br />
Prise <strong>de</strong> décision<br />
Questionnement<br />
éthique <strong>dans</strong> le<br />
mon<strong>de</strong> médical<br />
Connaissance et<br />
souci <strong>de</strong> soi<br />
Droit,<br />
déontologie
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
TABLEAU 11 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC LA NOTION<br />
Dubar, 1999<br />
Dubar, 2000<br />
Tap, 1998, 2003<br />
Tap, 2004<br />
D’IDENTITÉ<br />
IDENTITÉ<br />
Auteurs Discipline<br />
247<br />
Dimensions<br />
développées<br />
Sociologie Mêmeté, ipséité<br />
Sociologie<br />
Mucchielli, 1999 Psychologie<br />
Lipiansky, 1998<br />
Cohen-Scali, 2000<br />
Dubar, 2000<br />
Legault, 2003 Philosophie<br />
Construction<br />
dynamique <strong>de</strong><br />
l’i<strong>de</strong>ntité<br />
Dimensions<br />
psychologiques<br />
<strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
Psycho-sociologie I<strong>de</strong>ntité sociale<br />
Crise d’i<strong>de</strong>ntité<br />
sociale, i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
TABLEAU 12 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC LA FORMATION<br />
Barbier, 2004<br />
Fabre, 2011<br />
Jorro, 2009<br />
Perrenoud, 2006<br />
FORMATION<br />
Auteurs Discipline Dimensions<br />
développées<br />
Sciences éducation<br />
248<br />
Savoirs théoriques<br />
et savoirs d’action,<br />
reconnaissance,<br />
réflexivité<br />
Denoyel, 2005 Sciences éducation Alternance<br />
Boutinet, 2005 Psychologie<br />
Perrenoud, 2006 Sciences éducation<br />
Le Boterf, 1998<br />
Le Boterf, 2010<br />
Wittorski, 2007, 2011<br />
Houssaye, 1999<br />
Reboul, 1989<br />
Jutras, 2007, 2010<br />
Gohier, 2005<br />
Desaulniers, M.-P. & Jutras, F.<br />
(2006).<br />
Sciences humaines<br />
Sciences éducation<br />
Boula, 2010 Psychologie<br />
Compétences<br />
Professionnalisation<br />
Valeurs et formation
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
TABLEAU 13 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC LA NOTION<br />
D’ENGAGEMENT<br />
Duchesne et al., 2005<br />
Becker, 2006<br />
Schaufeli et al., 2002<br />
Maslach et al., 2001<br />
Savadogo, 2008<br />
Bobineau, 2010a, 2010b<br />
Ion, 1997<br />
Havard-Duclos & Nicourd, 2005<br />
Fritsch, 2000<br />
Maslach & Leiter, 1997<br />
Schaufeli et al., 2002<br />
Kahn, 1990<br />
Duchesne, 2005<br />
Bobineau, 2010a<br />
ENGAGEMENT<br />
Auteurs Discipline<br />
Nuttin, 2000, Vallerand & Thill, 1993<br />
Jorro & De Ketele, 2011<br />
Mucchielli, 2006<br />
Bobineau, 2010a, 2010b<br />
Salanskis, 2001<br />
Gomez-Muller, 1999<br />
Apel, 1998<br />
Smadja, 2006<br />
Fiat, 2006<br />
249<br />
Psychologie<br />
Philosophie<br />
Sociologie<br />
Sociologie et<br />
psychologie <strong>de</strong>s<br />
organisations<br />
Anthropologie<br />
Psychologie<br />
Anthropologie<br />
Philosophie<br />
Philosophie<br />
Soins<br />
Philosophie<br />
Dimensions<br />
développées<br />
Définition,<br />
compréhension du<br />
concept<br />
Histoire <strong>de</strong><br />
l’engagement<br />
Aspects <strong>de</strong><br />
psychologie du<br />
travail et notion<br />
anthropologiques<br />
sur l’engagement<br />
Engagement et<br />
motivation<br />
Engagement et sens<br />
Engagement et<br />
responsabilité
Kant, (trad. Renaut, 1994)<br />
Gaziaux, 1998<br />
Geay, 2009<br />
Ladrière, 1997<br />
Jouan, M. & Laugier, S. (2009).<br />
Stacey Taylor, J.S. (2008)<br />
Malherbe, 2001<br />
Vinje & Mittelmark, 2006<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
ENGAGEMENT<br />
Auteurs Discipline<br />
250<br />
Philosophie<br />
Psychologie<br />
sociale<br />
12.2 Choix <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d’enquête<br />
Dimensions<br />
développées<br />
Engagement et<br />
autonomie<br />
Engagement et<br />
réflexivité<br />
La recherche permet, <strong>dans</strong> un mouvement dialectique, <strong>de</strong> compléter,<br />
d'approfondir et <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s connaissances. On va chercher, par une approche<br />
phénoménologique, à obtenir une compréhension <strong>de</strong> la réalité au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’apparence<br />
qui s’impose à nous. Le thème qui nous intéresse ne peut être envisagé que <strong>dans</strong> une<br />
perspective interactionniste puisque, selon Mead (cité par Horth, 1986), le<br />
phénomène étudié, ici l’engagement, ne peut se penser sans prendre en compte<br />
l’interprétation du vécu par <strong>les</strong> personnes el<strong>les</strong>-mêmes. Pourtois et Desmet (1997,<br />
p.24) rappellent que la perspective interactionniste « vise la compréhension<br />
interprétative <strong>de</strong> l’action sociale ». Il s'agit donc bien <strong>de</strong> l'interprétation d'une<br />
réalité, indépendamment <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> vérité <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière.<br />
Cependant, prendre en compte la subjectivité <strong>de</strong>s représentations et du vécu<br />
<strong>de</strong>s personnes représente un enjeu <strong>de</strong> taille pour la validité scientifique <strong>de</strong> la<br />
recherche. Pourtant, selon <strong>les</strong> mêmes auteurs, si l’étu<strong>de</strong> scientifique se réfère à la<br />
signification subjective <strong>de</strong>s actions humaines, cela ne signifie pas pour autant que la<br />
recherche ne soit pas objective. En effet cette <strong>de</strong>rnière peut être contrôlée par le<br />
dispositif méthodologique (Pourtois & Desmet, 1997).<br />
C’est à ce titre qu’il est indispensable <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s décisions vali<strong>de</strong>s au plan<br />
scientifique quant aux métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> recherche à privilégier ainsi qu’à leur<br />
triangulation éventuelle.
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
C’est à cet effet que nous avons choisi <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r en trois temps et <strong>de</strong> nous<br />
appuyer sur trois métho<strong>de</strong>s différentes.<br />
Dans un premier temps, nous avons choisi <strong>de</strong> mener une petite enquête<br />
exploratoire sous la forme <strong>de</strong> sept entretiens. Cette phase, qui peut parfois paraître<br />
inutile ou s’apparenter à une perte <strong>de</strong> temps peu souhaitable, s’est révélée<br />
importante <strong>dans</strong> la mesure où elle nous a permis d’orienter notre questionnement,<br />
comme nous le verrons ci-après.<br />
Dans un <strong>de</strong>uxième temps, nous avons choisi d'introduire, à côté d’un gui<strong>de</strong><br />
plus ouvert pour <strong>les</strong> entretiens, un questionnaire plus fermé constituant une toute<br />
petite partie quantitative à notre recherche. Ce bref questionnaire, présenté plus loin,<br />
a pour objectif <strong>de</strong> permettre <strong>de</strong> dégager une tendance générale sur certaines<br />
questions précises, et d’éclairer ainsi notre sujet <strong>de</strong> recherche sous un angle plus<br />
pragmatique.<br />
Enfin, une troisième et <strong>de</strong>rnière étape, nous a amenée à considérer, en regard<br />
du thème abordé, l’approche qualitative comme la métho<strong>de</strong> la plus appropriée.<br />
En effet cette approche permet d’envisager la complexité <strong>de</strong>s situations ainsi<br />
que la singularité <strong>de</strong>s expressions et <strong>de</strong>s expériences. Les personnes interrogées sont<br />
prises en compte <strong>dans</strong> leur intégrité et <strong>dans</strong> leur contexte, sans se voir « transposées »<br />
en un éventail <strong>de</strong> variab<strong>les</strong>. Le chercheur part <strong>de</strong>s expériences concrètes <strong>de</strong>s<br />
personnes interviewées et prend également en compte la représentation qu’el<strong>les</strong> se<br />
font, ainsi que la signification qu’el<strong>les</strong> donnent au sujet étudié.<br />
La démarche qualitative choisie, quant à elle, permet d’utiliser <strong>de</strong>s techniques<br />
<strong>de</strong> communication spécifiques <strong>dans</strong> le but d'obtenir un maximum d’informations, <strong>les</strong><br />
plus fiab<strong>les</strong> possib<strong>les</strong>, et élargir ainsi le matériau <strong>de</strong> recherche.<br />
Le chercheur est néanmoins conscient qu’il a aussi un impact sur la personne<br />
interrogée. Il doit avoir le souci d’induire le moins possible. Lors <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong>s<br />
données, il est indispensable <strong>de</strong> prendre en compte cet aspect.<br />
251
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
12.3 Avantages et inconvénients <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s<br />
Nous relevons plusieurs aspects qui nous poussent à considérer comme<br />
légitime et pertinent <strong>de</strong> croiser <strong>les</strong> regards en recourant à différentes métho<strong>de</strong>s, à la<br />
fois <strong>dans</strong> la collecte <strong>de</strong> données mais aussi <strong>dans</strong> leur traitement et leur analyse.<br />
En effet, si l'entretien se révèle sans doute le cadre <strong>de</strong> prédilection pour étudier<br />
un phénomène éminemment complexe et intime, il n'en <strong>de</strong>meure pas moins qu'il<br />
affiche une limite importante, à savoir le caractère personnel et la crainte <strong>de</strong> s'exposer<br />
à un jugement, alors même que <strong>les</strong> valeurs véhiculées par la communauté<br />
professionnelle sont très présentes et peuvent générer une hésitation à reconnaître,<br />
par exemple, un désengagement.<br />
Le questionnaire, traité <strong>de</strong> manière anonyme, permet <strong>de</strong> s'exprimer librement<br />
sur <strong>de</strong>s aspects plus personnels.<br />
Un <strong>de</strong>uxième avantage à ce croisement méthodologique rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la fonction<br />
<strong>de</strong> résumé que l'on peut trouver <strong>dans</strong> le questionnaire. En effet celui-ci, conçu <strong>de</strong><br />
façon très synthétique, donne la possibilité d'examiner le phénomène <strong>de</strong> manière<br />
concise. De par le fait que <strong>les</strong> items sont exactement <strong>les</strong> mêmes d'une personne à<br />
l'autre, il va <strong>de</strong> soi qu'il est plus aisé <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong><br />
comparaison. En outre, il existe une possibilité <strong>de</strong> comparer certaines données avec<br />
<strong>les</strong> résultats d’autres recherches menées avec ces mêmes outils. Les biais<br />
d'interprétation possib<strong>les</strong> sont réduits <strong>de</strong> par une marge d’interprétation moindre.<br />
Enfin la tendance générale que nous avons pu obtenir avec notre questionnaire<br />
a ensuite pu être comparée avec la tendance générale obtenue lors <strong>de</strong>s entretiens.<br />
Certes une superposition <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux instruments n'est aucunement possible <strong>dans</strong> la<br />
mesure où <strong>les</strong> données ne sont pas symétriques et cel<strong>les</strong> du questionnaire très<br />
synthétiques. Néanmoins certaines gran<strong>de</strong>s lignes ont pu être mises en parallèle et<br />
leurs convergences ou divergences faire l'objet d'interprétations.<br />
252
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
CHAPITRE 13 : OPÉRATIONNALISATION<br />
Alors que nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce l'intérêt <strong>de</strong> mener une recherche sur ce<br />
thème <strong>de</strong> l'engagement, il convient également <strong>de</strong> préciser la manière dont nous<br />
avons procédé pour organiser cette recherche et tenter d'apporter <strong>de</strong>s réponses à la<br />
problématique soulevée.<br />
Nous poserons en tout premier lieu notre regard sur le contexte <strong>de</strong> la recherche,<br />
à savoir <strong>les</strong> conditions théoriques et pratiques <strong>de</strong> sa réalisation. Nous expliquerons<br />
<strong>les</strong> raisons ayant motivé notre choix <strong>de</strong>s trois populations retenues, ainsi que la<br />
manière dont nous avons constitué nos échantillons, intégrés au paysage complexe<br />
<strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées.<br />
13.1 Contexte <strong>de</strong> la recherche<br />
L’éthique <strong>de</strong> l’engagement revêt à notre sens une importance sans précé<strong>de</strong>nt, et<br />
ce, pour diverses raisons. En effet, alors même que <strong>les</strong> étudiantes s'engagent <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, el<strong>les</strong> vont <strong>de</strong>voir faire face à <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> tensions multip<strong>les</strong>. Le<br />
soin nécessite effectivement un engagement du soignant. Peut-on réellement soigner<br />
sans être engagé ? De quelle forme <strong>de</strong> soin s'agit-il ?<br />
Le soignant est engagé à différents niveaux : d'abord, son engagement premier<br />
s'oriente vers le patient en tant que personne humaine à laquelle il a décidé <strong>de</strong> venir<br />
en ai<strong>de</strong>. Ensuite, il s'engage envers sa profession dont il a embrassé la déontologie et<br />
<strong>les</strong> compétences, aussi bien techniques que relationnel<strong>les</strong> ou socia<strong>les</strong>. Enfin, il<br />
s'engage envers une institution qui lui donne son emploi, son salaire et un cadre<br />
d'exercice.<br />
Si l'on se réfère à l'étymologie du terme « engagement », on retrouve <strong>les</strong> notions<br />
<strong>de</strong> « se lier à, mettre en gage sa personne ». C'est donc un acte fondamental<br />
253
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
important qui est attendu du soignant ici. Il est d'autant plus important <strong>de</strong> souligner<br />
cet aspect, que notre société ne valorise pas vraiment l'engagement, portée comme<br />
elle l'est par <strong>de</strong>s valeurs d'individualisme et d'intérêt personnel. Peu reconnu par la<br />
société, l'engagement subit un <strong>de</strong>uxième fléau <strong>dans</strong> l’univers soignant, à savoir celui<br />
<strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail détériorées et précarisées par la rationalisation budgétaire et<br />
la crise économique.<br />
Si l'on ne peut réellement penser le soin sans engagement, il importe alors <strong>de</strong><br />
travailler ce concept <strong>de</strong> manière réfléchie avec <strong>les</strong> étudiantes, en examinant <strong>les</strong><br />
dimensions conceptuel<strong>les</strong> qui le composent et le fon<strong>de</strong>nt, en connaissance <strong>de</strong> ses<br />
valeurs et ses limites, ainsi que <strong>de</strong> son inscription <strong>dans</strong> la réalité <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong>.<br />
Nous expliquerons, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> sections qui suivent, comment nous avons sélectionné<br />
nos échantillons. Nous avons fait le choix <strong>de</strong> conduire cette étu<strong>de</strong> sur la Suisse<br />
roman<strong>de</strong> qui constitue la population à laquelle nous avons un accès direct.<br />
L’inclusion <strong>de</strong> la Suisse alémanique aurait posé le problème <strong>de</strong> la validité <strong>de</strong> la<br />
traduction et n’aurait guère eu <strong>de</strong> pertinence étant donné que le système <strong>de</strong><br />
formation proposé y est relativement différent.<br />
La formation infirmière relève, en Suisse roman<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la compétence <strong>de</strong>s<br />
Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées. Ces hautes éco<strong>les</strong> étant relativement récentes, nous en<br />
expliquerons l’organisation, le fonctionnement ainsi que <strong>les</strong> différentes missions. Le<br />
terrain d’investigation étant connu, nous pourrons alors développer une explication<br />
sur <strong>les</strong> instruments et métho<strong>de</strong>s utilisés pour la récolte <strong>de</strong>s données.<br />
13.2 Choix <strong>de</strong>s populations<br />
Nous avons souhaité optimiser la fidélité <strong>de</strong> notre outil <strong>de</strong> collecte en<br />
augmentant la variabilité <strong>de</strong>s données par la constitution d’un échantillon large et<br />
diversifié. Par ailleurs nous avons mis en place une phase exploratoire <strong>de</strong> sept<br />
entretiens qui a permis <strong>de</strong> préciser la formulation <strong>de</strong> certaines questions, d’élargir le<br />
champ d’investigation en rajoutant certains items et <strong>de</strong> retrancher <strong>de</strong>s items<br />
redondants en ouvrant <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> pistes <strong>de</strong> réflexion. Cette démarche exploratoire,<br />
conduite sous la forme d’entretiens relativement libres, inspirés <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong><br />
254
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Rogers (Quivy & Campenhoudt, 2006), laisse aux personnes interrogées une liberté<br />
<strong>dans</strong> la direction qu’el<strong>les</strong> souhaitent donner à l’entretien. Afin <strong>de</strong> ne pas réduire<br />
l’échantillon disponible pour la recherche, cette phase a été conduite auprès<br />
d’étudiantes <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> <strong>dans</strong> un Institut <strong>de</strong> Formation en France. Même si le<br />
contexte culturel, ainsi que certains aspects spécifiques à la formation en France<br />
teintent bien entendu ces entretiens, ils ne constituent néanmoins pas une entrave à<br />
l’appréhension du sujet <strong>dans</strong> sa globalité et <strong>dans</strong> ses caractéristiques principa<strong>les</strong>.<br />
L’analyse <strong>de</strong>s données recueillies lors <strong>de</strong>s entretiens exploratoires a permis <strong>de</strong> cibler<br />
<strong>les</strong> questions et thèmes <strong>les</strong> plus pertinents à développer <strong>dans</strong> notre grille d’entretien,<br />
pour répondre à nos questionnements.<br />
Après la phase exploratoire, nous avons envoyé un courrier aux six éco<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
Suisse roman<strong>de</strong> pour obtenir l’autorisation d’enquêter auprès <strong>de</strong>s enseignants ainsi<br />
qu’auprès <strong>de</strong>s étudiants <strong>de</strong> leur institution. Nous avons présenté notre recherche et<br />
formulé notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> précise. Nous avons obtenu cette autorisation pour toutes <strong>les</strong><br />
éco<strong>les</strong>, sauf une qui n’a pas donné suite à nos <strong>de</strong>ux courriers. Dans chacune <strong>de</strong>s<br />
autres institutions, nous avons pu avoir une personne <strong>de</strong> contact jouant le rôle<br />
d’intermédiaire. L’organisation mise en place autour <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> par <strong>les</strong><br />
différentes éco<strong>les</strong> a eu un impact sur la constitution <strong>de</strong> l’échantillon ainsi que sur le<br />
taux <strong>de</strong> participation. Il va ainsi <strong>de</strong> soi que, lorsque notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> était soutenue par<br />
cette personne intermédiaire, le taux <strong>de</strong> participation était largement supérieur.<br />
Dans <strong>de</strong>ux éco<strong>les</strong>, l'existence <strong>de</strong> cette recherche et le souhait d'obtenir <strong>de</strong>s<br />
entretiens ont été mentionnés par un simple mail <strong>de</strong>mandant aux étudiantes <strong>de</strong><br />
s'adresser à nous pour plus <strong>de</strong> renseignements. Or, n'étant pas connue <strong>de</strong> ces<br />
personnes, la démarche restait somme toute assez impersonnelle et, <strong>dans</strong> ce cas, <strong>les</strong><br />
résultats furent assez décevants, puisqu’aucune étudiante ne s’est manifestée. En<br />
revanche, <strong>dans</strong> d'autres établissements, nous avons fait <strong>de</strong>s expériences intéressantes.<br />
Ainsi, <strong>dans</strong> l'un d'eux, une personne a directement pris contact avec <strong>les</strong> étudiantes et<br />
nous a transmis la liste <strong>de</strong>s personnes intéressées ; <strong>dans</strong> un autre, l'intermédiaire a<br />
même été jusqu'à planifier <strong>les</strong> entretiens sur <strong>de</strong>ux journées pour nous, tandis qu'une<br />
troisième nous ouvrait <strong>les</strong> portes pour présenter notre recherche in vivo <strong>de</strong>vant <strong>les</strong><br />
255
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
étudiantes. Dans ces <strong>de</strong>rniers cas, <strong>les</strong> résultats ont été très satisfaisants et nous ont<br />
permis <strong>de</strong> réunir l'échantillon d’étudiantes souhaité.<br />
En ce qui concerne <strong>les</strong> enseignants, nous avons procédé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières.<br />
Nous avons également présenté notre recherche <strong>de</strong> manière détaillée par mail aux<br />
enseignants <strong>de</strong>s différentes éco<strong>les</strong>. Nous avons obtenu par cette voie environ la<br />
moitié <strong>de</strong> notre échantillon. Pour la secon<strong>de</strong> moitié, nous avons nous-mêmes contacté<br />
directement <strong>de</strong>s collègues <strong>de</strong> différentes éco<strong>les</strong> que nous connaissions au préalable.<br />
Enfin, concernant <strong>les</strong> praticiens formateurs, nous avons présenté la recherche<br />
<strong>dans</strong> le cadre d'une formation continue qui se déroule <strong>dans</strong> nos murs et qui<br />
rassemble ces professionnels du terrain. Nous avions ainsi accès, en une seule<br />
journée, à un grand nombre <strong>de</strong> personnes et un important pourcentage a répondu<br />
par la positive. Nous avons par ailleurs interrogé également <strong>les</strong> praticiens formateurs<br />
qui accompagnaient nos étudiantes sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> stage au moment <strong>de</strong> cette phase<br />
d'enquête.<br />
13.3 Constitution <strong>de</strong>s échantillons<br />
Dans chacune <strong>de</strong>s populations choisies pour cette enquête, il nous était bien<br />
entendu impossible d’obtenir l’entier <strong>de</strong> la population. Nous avons alors sélectionné<br />
un échantillon qui soit suffisamment représentatif.<br />
Nous avons choisi <strong>de</strong> nous limiter à la Suisse roman<strong>de</strong>, non par souci<br />
linguistique, mais parce que la formation infirmière y est relativement spécifique. En<br />
effet la Suisse alémanique a choisi <strong>de</strong> conserver un système <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> majoritairement <strong>de</strong> niveau secondaire, tandis qu’en Suisse roman<strong>de</strong> elle<br />
est, à l'heure actuelle, exclusivement dispensée au niveau tertiaire. De plus la<br />
différence culturelle importante entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux régions constituerait un élément<br />
significatif qu'il serait nécessaire <strong>de</strong> prendre en compte, ce qui n'est pas l’objet <strong>de</strong> ce<br />
travail.<br />
Pour mieux cerner <strong>les</strong> caractéristiques <strong>de</strong>s échantillons, il est nécessaire <strong>de</strong> faire<br />
un petit détour par l’évolution <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s infirmières, et en particulier<br />
l’histoire relativement récente <strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées.<br />
256
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
13.4 Les HES, une histoire récente<br />
Une restructuration importante a été entreprise en Suisse roman<strong>de</strong> au niveau<br />
tertiaire <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong>s années quatre-vingt-dix. Cela concerne également <strong>les</strong> éco<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. La situation est un peu différente en Suisse alémanique, raison<br />
pour laquelle nous nous limiterons à évoquer le cas <strong>de</strong> la Suisse roman<strong>de</strong>. Les éco<strong>les</strong><br />
jusqu’alors indépendantes ont en effet été regroupées en HES (Hautes Éco<strong>les</strong><br />
Spécialisées) sous un organe faîtier, la HES-SO (Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées <strong>de</strong> Suisse<br />
Occi<strong>de</strong>ntale), suite à un concordat signé par plusieurs cantons le 9 janvier 1997 et qui<br />
est entré en vigueur le 27 mai 1999. Les cantons <strong>de</strong> Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel,<br />
Valais et Vaud ont signé ce concordat qui inaugure le passage <strong>de</strong>s éco<strong>les</strong><br />
d’infirmières <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré secondaire au <strong>de</strong>gré tertiaire. Les formations proposées<br />
<strong>de</strong>viennent alors <strong>de</strong>s formations universitaires. Le but est d’offrir une formation qui<br />
soit <strong>de</strong> niveau universitaire sur le plan théorique, mais avec un versant<br />
professionnalisant, permettant une intégration rapi<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> professionnel.<br />
La profession infirmière n’est <strong>de</strong> loin pas la seule concernée par ces changements. De<br />
nombreuses autres disciplines sont également passées au niveau HES :<br />
physiothérapie, ergothérapie, travail social, ingénierie, gestion…<br />
La HES-SO compte aujourd’hui quarante filières <strong>de</strong> formation réparties sur<br />
trente-trois sites et quelque quinze mille étudiants <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> domaines.<br />
Cependant six éco<strong>les</strong> dispensent la formation qui prépare à l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> et nous présenterons ici cel<strong>les</strong> qui ont accepté <strong>de</strong> participer à cette<br />
recherche.<br />
Haute École <strong>de</strong> Santé <strong>de</strong> Genève<br />
À la fin du XIXe siècle, une jeune fille du nom <strong>de</strong> Marguerite Champendal<br />
réalise une formation en mé<strong>de</strong>cine à Paris, fait rarissime en ce temps-là. À son retour<br />
à Genève, Marguerite va travailler avec <strong>les</strong> enfants défavorisés et sous-alimentés,<br />
avant <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r l’école d’infirmière « le Bon Secours » en 1905, qui lui survivra<br />
malgré <strong>de</strong> nombreuses tribulations. Cette école sera reprise par l’État en 1966 avant<br />
d’intégrer la structure HES.<br />
257
Haute École <strong>de</strong> Santé <strong>de</strong> Fribourg<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
La Haute École <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> Fribourg est la première école d’État <strong>de</strong> Suisse à être<br />
créée. Elle est mise sur pied le 6 décembre 1907 par Georges Python, Conseiller d’État,<br />
directeur <strong>de</strong> l’instruction publique. Cependant, pour bon nombre <strong>de</strong> raisons<br />
politiques et organisationnel<strong>les</strong>, l’école n’ouvrira ses portes que le 29 octobre 1913.<br />
L’école est pendant <strong>de</strong> nombreuses années dirigée par <strong>de</strong>s religieuses qui<br />
cè<strong>de</strong>nt le contrôle à une direction laïque en 1976 ; elle <strong>de</strong>vient école publique en 1978.<br />
Le canton <strong>de</strong> Fribourg étant un canton <strong>de</strong> langue bilingue : français et suisse-<br />
allemand, l’école ouvrira la possibilité <strong>de</strong> réaliser la formation en langue alémanique<br />
dès 1992. Jusque-là orientée sur <strong>les</strong> <strong>soins</strong> généraux, l’école s’associera à une autre<br />
école orientée <strong>soins</strong> psychiatriques, pour ne plus fon<strong>de</strong>r qu’une seule entité dès 1993.<br />
Les premières étudiantes à bénéficier <strong>de</strong> l’entrée <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Fribourg <strong>dans</strong> la<br />
structure HES sont cel<strong>les</strong> qui ont débuté leur formation en octobre 2002.<br />
Haute École <strong>de</strong> Santé Arc<br />
La Haute École <strong>de</strong> Santé Arc est constituée du regroupement <strong>de</strong> trois<br />
institutions <strong>de</strong>s cantons du Jura, Jura-Bernois et Neuchâtel, auparavant<br />
indépendantes : l’école <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> CESANE à la Chaux-<strong>de</strong>-Fonds, l’école<br />
ESIG à Delémont, l’école du CEFOPS à Saint-Imier. Les trois éco<strong>les</strong> sont issues <strong>de</strong><br />
fondations privées, créées à différents moments et amenées à s’unir pour <strong>de</strong>venir une<br />
entité unique intégrée à la HES-SO. Il est décidé que la direction <strong>de</strong> la filière <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> resterait à Delémont avec <strong>de</strong>s enseignements dispensés sur <strong>de</strong>ux lieux<br />
d’activité : Delémont et Neuchâtel.<br />
Avec la création <strong>de</strong> la Haute École Arc, le pari est réussi <strong>de</strong> réunir trois cantons<br />
et <strong>de</strong> créer une Haute École couvrant tout l’Arc Bejune (Berne-Jura-Neuchâtel). La<br />
Haute École Arc ne se limite pas à la filière infirmière, puisqu’elle renferme trois<br />
autres domaines : l’ingénierie, la gestion et <strong>les</strong> arts appliqués. La direction générale<br />
est basée à Neuchâtel et assure la coordination <strong>de</strong> l’ensemble.<br />
258
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
13.5 Des échantillons hétérogènes<br />
Étant donné la dimension pédagogique <strong>de</strong> cette recherche, nous avions jugé<br />
pertinent, <strong>de</strong> prime abord, <strong>de</strong> sélectionner <strong>de</strong>ux populations : <strong>les</strong> étudiantes ainsi que<br />
leurs enseignants. Toutefois, dès <strong>les</strong> premiers entretiens avec <strong>les</strong> étudiantes, nous<br />
avons pu relever l'accent très fort qu’el<strong>les</strong> plaçaient sur la partie pratique <strong>de</strong> la<br />
formation en alternance. Il nous a donc semblé essentiel d’inclure <strong>les</strong> praticiens<br />
formateurs <strong>dans</strong> notre recherche, <strong>dans</strong> la mesure où ceux-ci jouent également un rôle<br />
pédagogique important auprès <strong>de</strong>s étudiantes. Ces professionnels du soin sont<br />
chargés d’encadrer <strong>les</strong> étudiants en stage et <strong>de</strong> <strong>les</strong> gui<strong>de</strong>r en regard <strong>de</strong> leur niveau<br />
taxonomique. Les praticiens formateurs ont donc constitué donc notre troisième<br />
population faisant l’objet <strong>de</strong> la présente recherche.<br />
Le choix <strong>de</strong> ces trois populations hétérogènes permet <strong>de</strong> cerner le phénomène<br />
avec une plus gran<strong>de</strong> représentativité. Idéalement nous aurions souhaité réaliser un<br />
échantillonnage probabiliste stratifié. Néanmoins <strong>les</strong> mesures imposées par <strong>les</strong><br />
différentes éco<strong>les</strong> ne le permettaient pas. Nous avons donc constitué, <strong>dans</strong> un<br />
premier temps, un échantillonnage <strong>de</strong> volontaires.<br />
Ceci dit, cette forme d’échantillonnage comporte un biais évi<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> la<br />
volonté même <strong>de</strong>s personnes à participer, volonté qui fait déjà preuve en elle-même<br />
d’une forme d’engagement. Pour contourner ce biais, nous avons pris la décision <strong>de</strong><br />
nous orienter vers un échantillonnage par quotas. Nous avons accepté une part <strong>de</strong><br />
volontaires <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois populations, mais nous avons également fait une <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
plus formelle et plus directe à <strong>de</strong>s étudiantes <strong>de</strong> notre établissement, ainsi qu’à <strong>de</strong>s<br />
enseignants et praticiens formateurs afin <strong>de</strong> constituer un échantillon qui ne soit pas<br />
seulement composé <strong>de</strong> volontaires, mais également <strong>de</strong> personnes <strong>de</strong> prime abord<br />
plus réticentes, ceci afin <strong>de</strong> favoriser au maximum la diversité <strong>de</strong>s expériences.<br />
Nous avons, par exemple, fait <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s directes auprès d’étudiantes <strong>de</strong><br />
notre institution que nous suivions en stage, auprès <strong>de</strong> praticiens formateurs chargés<br />
<strong>de</strong>s suivis pratiques, ainsi qu’auprès d’enseignants rencontrés <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s réunions.<br />
259
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Interpellées directement, ces personnes ont accepté <strong>de</strong> participer à l’entretien, alors<br />
qu’el<strong>les</strong> ne s’étaient pas manifestées lors <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> institutionnelle préalable.<br />
La taille <strong>de</strong>s trois échantillons constitués est proportionnelle à la taille <strong>de</strong>s<br />
populations respectives.<br />
Échantillon d'étudiantes : 20 étudiants-tes<br />
Haute École <strong>de</strong> Santé Genève : 5 étudiants-es.<br />
Haute École <strong>de</strong> Santé Fribourg : 5 étudiants-es.<br />
Haute École <strong>de</strong> Santé Arc : 10 étudiants-es.<br />
Échantillon d’enseignants : 13 enseignants-tes<br />
Haute École <strong>de</strong> Santé Genève : 5 enseignants-es.<br />
Haute École <strong>de</strong> Santé Fribourg : 3 enseignants-es.<br />
Haute École <strong>de</strong> Santé Arc : 5 enseignants-es.<br />
Échantillon <strong>de</strong> 11 praticiens formateurs<br />
Différents lieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, intra et extrahospitaliers <strong>de</strong>s cantons <strong>de</strong> Neuchâtel, Jura et<br />
Vaud : 11 praticiens formateurs.<br />
Ces praticiens-formateurs sont <strong>de</strong>s professionnels <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> qui ont réalisé une<br />
formation continue supérieure en pédagogie, <strong>dans</strong> le but d'encadrer <strong>les</strong> étudiantes<br />
durant leurs stages. Nous avons sollicité leur participation lors d'une formation<br />
continue, ainsi que lors <strong>de</strong>s suivis <strong>de</strong> stage. Ils sont représentatifs <strong>de</strong>s milieux <strong>de</strong><br />
<strong>soins</strong> <strong>les</strong> plus divers : <strong>soins</strong> intensifs, mé<strong>de</strong>cine, chirurgie, psychiatrie, <strong>soins</strong> à<br />
domicile, dialyse...<br />
Ils exercent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cantons <strong>de</strong> Neuchâtel, du Jura et <strong>de</strong> Vaud. Nous ne<br />
présenterons pas leurs lieux d’activité, beaucoup trop disparates, dont l’intérêt <strong>dans</strong><br />
le cadre <strong>de</strong> notre recherche n’est pas significatif et qui pourrait, par ailleurs, mettre<br />
en danger l’anonymat <strong>de</strong>s personnes.<br />
260
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
CHAPITRE 14 : INSTRUMENTS UTILISÉS POUR LE RECUEIL<br />
DE DONNÉES<br />
C’est à l’issue <strong>de</strong> notre phase exploratoire que nous avons décidé <strong>de</strong> recourir à<br />
différents instruments pour mener notre recherche. Cette combinaison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
métho<strong>de</strong>s doit nous permettre <strong>de</strong> mieux prendre en compte l’exhaustivité du<br />
phénomène.<br />
La phase exploratoire (Annexe 7) a mis en évi<strong>de</strong>nce certaines emphases plus<br />
importantes que nous ne <strong>les</strong> avions envisagées au départ. Alors que nous pensions,<br />
<strong>de</strong> prime abord, traiter l’engagement sous un angle éthique mais <strong>de</strong> manière plutôt<br />
décontextualisée, au cœur du cursus <strong>de</strong> formation mais pas forcément en lien avec la<br />
pratique, <strong>les</strong> entretiens exploratoires nous ont conduit à modifier radicalement cette<br />
approche. En effet, <strong>les</strong> différentes dimensions du contexte <strong>de</strong> travail, <strong>les</strong> équipes et<br />
<strong>les</strong> logiques organisationnel<strong>les</strong> et managéria<strong>les</strong> qui découlent <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières<br />
transformations du mon<strong>de</strong> hospitalier, se sont révélés être <strong>de</strong>s éléments clés <strong>dans</strong> la<br />
problématique <strong>de</strong> l’engagement. C’est en lien avec ces éléments que nous avons pu<br />
ressentir le plus <strong>de</strong> frustration, voire <strong>de</strong> colère <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s jeunes soignants <strong>de</strong>vant<br />
faire face à <strong>de</strong>s situations contraires à leurs valeurs et aux principes éthiques <strong>de</strong> la<br />
profession. C’est également lors <strong>de</strong> ces entretiens que nous avons réalisé l’importance<br />
accordée par certains étudiants à un accompagnement pédagogique individualisé au<br />
sein <strong>de</strong> la formation. Nous avons donc choisi <strong>de</strong> compléter notre grille d’entretien<br />
pour pouvoir englober ces différents aspects.<br />
C’est également lors <strong>de</strong> cette phase que nous avons noté la gêne <strong>de</strong>s interviewés<br />
à répondre à certaines questions pouvant laisser entrevoir un « désengagement » et<br />
que nous avons décidé <strong>de</strong> mettre par écrit quelques questions ainsi que <strong>de</strong>ux échel<strong>les</strong><br />
validées, pour permettre aux personnes <strong>de</strong> donner un avis anonyme sur le sujet. On<br />
relèvera, par exemple, la retenue qui peut caractériser une personne s’engageant<br />
261
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
avant tout par intérêt personnel en vue d’une rémunération, ou encore pour obtenir<br />
une valorisation quelconque. La combinaison <strong>de</strong>s méthodologies anonymes et<br />
dialogiques nous semblait pouvoir garantir une meilleure couverture du champ<br />
exploré.<br />
14.1 De l’intérêt <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s<br />
L’enquête par questionnaire est appropriée lorsqu’il s’agit d’étudier <strong>de</strong>s<br />
opinions ou <strong>de</strong>s faits. Dans notre recherche, il nous avait semblé très limitatif <strong>de</strong> nous<br />
contenter d’une étu<strong>de</strong> quantitative, étant donné le caractère éminemment personnel<br />
et profond du sujet traité. L’entrevue ouvre <strong>de</strong>s horizons plus larges que <strong>les</strong> simp<strong>les</strong><br />
faits et opinions. Toutefois nous avons réalisé que l’utilisation d’un questionnaire<br />
comme complément à notre recherche pourrait avoir un intérêt certain. D’une part, il<br />
s’agit d’un outil concis qui permet tant <strong>de</strong> faire une sorte <strong>de</strong> photographie du<br />
phénomène étudié, que <strong>de</strong> rendre possible une mise en relation avec la phase<br />
qualitative, conférant à celle-ci, <strong>de</strong> ce fait, une validité supérieure. Cette métho<strong>de</strong> dite<br />
quantitative a comme avantage l’obtention d’un certain nombre <strong>de</strong> réponses qui<br />
entrent <strong>dans</strong> un cadre défini à l’avance par le chercheur. L’absence <strong>de</strong> données<br />
étrangères ou annexes donne lieu à un traitement relativement sûr et fiable.<br />
Néanmoins la limite importante <strong>de</strong> cette métho<strong>de</strong> se trouve à la fois <strong>dans</strong> le caractère<br />
contraignant et réducteur du modèle imposé, ainsi que <strong>dans</strong> le risque d’obtenir <strong>de</strong>s<br />
réponses peu réfléchies.<br />
L’enquête par entretien est une métho<strong>de</strong> qualitative dont certaines données<br />
peuvent cependant être traitées <strong>de</strong> manière quantitative; la métho<strong>de</strong> qui utilise <strong>de</strong>s<br />
entretiens vise avant tout à une compréhension en profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s phénomènes. Une<br />
gran<strong>de</strong> place est laissée à l'expression individuelle et à la direction que la personne<br />
veut laisser prendre au dialogue. Les données sont plus diffici<strong>les</strong> à analyser que<br />
cel<strong>les</strong> issues d’un instrument quantitatif, néanmoins <strong>les</strong> données recueillies lors<br />
d’entretiens permettent <strong>de</strong> cerner <strong>les</strong> phénomènes <strong>dans</strong> une plus gran<strong>de</strong> exhaustivité.<br />
Les dimensions à la fois <strong>de</strong>scriptives et compréhensives, selon <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> nous<br />
avons choisi d’examiner notre problématique, nous invitent à considérer<br />
l’importance d’obtenir <strong>de</strong>s données qualitatives, <strong>dans</strong> la mesure où l’entretien<br />
262
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
privilégie le processus <strong>de</strong> communication et d’interaction sur le plan humain. La<br />
démarche compréhensive cherche à i<strong>de</strong>ntifier quelle est la logique sociale <strong>de</strong>s acteurs.<br />
Elle est un excellent moyen pour expliciter le phénomène <strong>dans</strong> ses différentes<br />
dimensions.<br />
14.2 Caractéristiques du questionnaire<br />
La technique d’investigation par questionnaire a pour objectif « la vérification<br />
d’hypothèses théoriques et l’examen <strong>de</strong> corrélations que ces hypothèses suggèrent »<br />
(Quivy & Van Campenoudt, 2006). Le questionnaire a été distribué aux personnes<br />
ayant accepté <strong>de</strong> répondre à l’entretien. El<strong>les</strong> disposaient <strong>de</strong> trois semaines pour y<br />
répondre et le rendre sous forme anonyme, soit en le plaçant directement <strong>dans</strong> ma<br />
boîte aux lettres <strong>de</strong> l’école, soit en le faisant parvenir à notre secrétaire qui a, au<br />
préalable, reçu l’ordre d’ôter l’enveloppe avant <strong>de</strong> me le remettre afin d’éviter une<br />
possible i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> la personne.<br />
Nous avions pensé administrer ce questionnaire en début d’entretien, ce qui<br />
nous aurait permis d’avoir un maximum <strong>de</strong> retours. Cependant, le risque <strong>de</strong> voir<br />
l’entretien influencé par <strong>les</strong> questions posées lors <strong>de</strong> cette première phase, nous<br />
semblait trop important, sachant aussi que la présence d’un tiers pourrait induire <strong>de</strong>s<br />
réponses moins spontanées et quelque peu censurées.<br />
C’est pourquoi nous avons choisi <strong>de</strong> donner le questionnaire en mains propres<br />
et <strong>de</strong>mandé aux personnes <strong>de</strong> nous le renvoyer.<br />
Il s’agit d’un instrument quantitatif auto-administré. Il contient <strong>de</strong>s questions<br />
dichotomiques basées sur une échelle préexistante <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’engagement<br />
(Schaufeli & Salanova, 2007), <strong>de</strong>s questions avec échel<strong>les</strong> <strong>de</strong> rangs permettant <strong>de</strong><br />
graduer <strong>les</strong> réponses proposées selon un ordre <strong>de</strong> préférence, ainsi que <strong>de</strong>s questions<br />
semi-ouvertes donnant lieu à un éventuel approfondissement <strong>de</strong> la pensée.<br />
Nous avons souhaité que ce questionnaire soit suffisamment succinct pour ne<br />
pas créer une surcharge <strong>de</strong> travail auprès <strong>de</strong>s personnes qui ont déjà donné <strong>de</strong> leur<br />
temps pour <strong>les</strong> entretiens.<br />
263
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Le fait d’obtenir <strong>de</strong>s données à partir <strong>de</strong> ce questionnaire permet <strong>de</strong> repérer <strong>les</strong><br />
gran<strong>de</strong>s tendances <strong>de</strong> convergence ou <strong>de</strong> divergence entre <strong>les</strong> questionnaires et <strong>les</strong><br />
données <strong>de</strong>s entretiens. El<strong>les</strong> peuvent parfois faire émerger <strong>de</strong>s hypothèses qui se<br />
vérifient éventuellement si el<strong>les</strong> trouvent une récurrence.<br />
Dans la construction <strong>de</strong> notre questionnaire, nous avons choisi <strong>de</strong> nous limiter à<br />
quelques questions qui sont <strong>les</strong> suivantes :<br />
1.- Degré d'engagement<br />
Cette question est intéressante <strong>dans</strong> la mesure où elle nous permet <strong>de</strong> savoir<br />
comment la personne s'évalue elle-même par rapport à son engagement<br />
professionnel.<br />
2.- Raisons qui motivent l'engagement<br />
Ces items ont été retenus d'après la littérature existante sur le thème <strong>de</strong><br />
l'engagement (Schaufeli, 2005).<br />
3.- Conséquences <strong>de</strong> l'engagement<br />
Ce sont <strong>les</strong> conséquences que la personne perçoit pour elle-même (items<br />
également validés par la littérature et <strong>de</strong>s recherches antérieures, en particulier <strong>dans</strong><br />
le domaine <strong>de</strong> la psychologie du travail).<br />
4.- Trois questions généra<strong>les</strong><br />
Ces questions <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt une réflexion plus importante et visent à montrer le<br />
<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> conceptualisation autour <strong>de</strong> l'engagement et <strong>de</strong> sa dimension éthique <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Ces questions peuvent apporter <strong>de</strong>s compléments aux données qualitatives.<br />
La grille du questionnaire utilisé est disponible <strong>dans</strong> son entier en Annexe 8.<br />
264
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
14.3 Caractéristiques <strong>de</strong>s entretiens<br />
Nous baser uniquement sur <strong>de</strong>s questionnaires nous a semblé totalement<br />
inapproprié en regard <strong>de</strong> la thématique et <strong>de</strong> la complexité du phénomène étudié.<br />
Par ailleurs, l’expérience montre que <strong>les</strong> réponses apportées <strong>dans</strong> un questionnaire<br />
sont parfois peu réfléchies et relativement superficiel<strong>les</strong> (Dépelteau, 2000). C’est<br />
pourquoi la <strong>de</strong>uxième étape, l’approfondissement par <strong>les</strong> entretiens, nous semblait<br />
incontournable.<br />
Bien appropriés à la démarche hypothético-déductive, nous avons opté pour<br />
<strong>de</strong>s entretiens <strong>de</strong> type semi-directif selon Kaufmann (2011). Le chercheur dispose<br />
d’une grille <strong>de</strong> thèmes dont il ne révèle pas le contenu à la personne interrogée. La<br />
formulation <strong>de</strong>s questions n’est pas prédéterminée. Il pose une question <strong>de</strong> départ et<br />
laisse la personne s’exprimer librement, en intervenant peu, en reformulant pour<br />
s’assurer d’une bonne compréhension et en intervenant lorsque l’interlocuteur<br />
s’éloigne du sujet traité, ce qui constitue la seule contrainte à la liberté <strong>de</strong> l’enquêteur.<br />
Les termes <strong>de</strong> non-directivité ou semi-directivité sont issus <strong>de</strong> la psychosociologie <strong>de</strong><br />
Rogers, psychothérapeute ayant montré, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années quarante, l’importance <strong>de</strong><br />
ne pas « enfermer » l’interlocuteur <strong>dans</strong> un schéma prédéfini mais <strong>de</strong> lui laisser une<br />
certaine « indépendance psychologique » (Blanchet & Gotman, 2001, p.12). Nous<br />
partageons toutefois l’avis <strong>de</strong> Kaufmann (2011), selon lequel un effacement trop<br />
important <strong>de</strong> l’enquêteur peut générer une très gran<strong>de</strong> retenue chez l’interviewé.<br />
Sans pour autant nous engager <strong>dans</strong> une discussion, acquiescer franchement ou<br />
donner notre avis, nous avons choisi d’être présente par notre posture et notre écoute<br />
active, qui démontre, à notre avis, notre intérêt pour la personne interrogée.<br />
La technique utilisée pour l’entrevue est donc celle <strong>de</strong> l’entretien semi-structuré.<br />
Cette technique permet <strong>de</strong> cerner <strong>les</strong> données <strong>de</strong> manière plus précise que le<br />
questionnaire. L’espace est laissé au discours, <strong>les</strong> questions ne sont pas posées <strong>dans</strong><br />
un ordre figé, mais en fonction <strong>de</strong> la discussion et en respectant le cadre <strong>de</strong> pensée<br />
<strong>de</strong>s personnes interrogées. La grille <strong>de</strong> questions correspond à un canevas souple<br />
ayant pour seul but <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r le chercheur pour qu’il ne s’éloigne pas du sujet. Cette<br />
technique a le mérite <strong>de</strong> « combiner l’objectivité et la profon<strong>de</strong>ur » (Lamoureux,<br />
265
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
2000, p.148). Elle comporte aussi une dynamique qui lui permet <strong>de</strong> s’adapter à<br />
l’entretien et <strong>de</strong> s’ouvrir à <strong>de</strong> nouveaux domaines, peut-être encore inédits.<br />
Durant l’entretien, nous avons utilisé différentes techniques <strong>de</strong> communication,<br />
tel<strong>les</strong> que la validation, la reformulation, l’explicitation. L’objectif était <strong>de</strong> bien<br />
comprendre <strong>les</strong> logiques <strong>de</strong>s acteurs, <strong>les</strong> contingences <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> s’inscrit leur<br />
expérience, et <strong>de</strong> cerner au plus près leurs pratiques. L’entretien visait également à<br />
cerner <strong>les</strong> représentations socia<strong>les</strong>, <strong>les</strong> systèmes <strong>de</strong> valeurs et système <strong>de</strong> référence<br />
normatifs.<br />
La validation permet, par un mot, une posture ou un acte non-verbal, <strong>de</strong><br />
signaler à l’interlocuteur que l’on a bien compris ce qu’il a dit.<br />
La reformulation consiste à reprendre <strong>de</strong>s éléments thématisés par la personne<br />
avec d’autres termes pour vérifier l’interprétation que l’on a fait <strong>de</strong> son discours. Elle<br />
peut succé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> relance ou comporter une dimension réconfortante<br />
si l’implication est importante (Alami, Desjeux & Garabuau-Moussaoui, 2009).<br />
L’explicitation consiste, selon Vermersch (2010), à poser <strong>de</strong>s questions ciblées<br />
pour permettre à la personne d’approfondir sa pensée, <strong>de</strong> préciser ses idées, d’élargir<br />
son champ <strong>de</strong> réflexion.<br />
Les silences sont également à prendre en compte, à respecter, voire à thématiser<br />
pour en comprendre la portée. De même <strong>les</strong> signes non verbaux, postures, rires,<br />
réticences… ont été relevés et interrogés pour en connaître l’explication sous-jacente<br />
que l’enquêté a bien voulu nous livrer.<br />
Nous avons rédigé l’introduction à l’entretien, en précisant <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong><br />
passation <strong>de</strong> celui-ci, mais également <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong> traitement <strong>de</strong>s données.<br />
L’entretien débute par une question ouverte qui porte sur la motivation initiale <strong>dans</strong><br />
le choix <strong>de</strong> la profession. Il s’agit d’une question large qui amène la personne à<br />
raconter son vécu, à gagner une certaine forme <strong>de</strong> confiance et à poser <strong>les</strong> bases <strong>de</strong><br />
l’entretien qui va suivre.<br />
Les questions fermées (âge, parcours professionnel…) sont laissées pour la fin<br />
<strong>de</strong> l’entrevue afin <strong>de</strong> ne pas en perturber le déroulement. Par ailleurs une question<br />
générale est posée en guise <strong>de</strong> clôture, avant <strong>de</strong> laisser un <strong>de</strong>rnier espace à<br />
266
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
l’interviewé pour éventuellement compléter ses réponses ou apporter une autre<br />
réflexion.<br />
L'ensemble <strong>de</strong> l'entretien <strong>de</strong>vrait abor<strong>de</strong>r <strong>les</strong> sujets suivants : choix<br />
professionnel, éthique et profession, engagement professionnel et personnel,<br />
dimensions <strong>de</strong> l’engagement, limites et risques <strong>de</strong> l’engagement…<br />
La trame exhaustive utilisée comme base aux entretiens semi-dirigés est<br />
disponible en Annexe 9.<br />
267
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
268
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
CHAPITRE 15 : TRAITEMENT DES INFORMATIONS<br />
Le traitement <strong>de</strong>s informations constitue une phase délicate, soumise<br />
immanquablement à une certaine subjectivité mais qui se doit pourtant <strong>de</strong> se porter<br />
garante d’une objectivité maximale. Nous mettons en relief, <strong>dans</strong> un premier temps,<br />
la posture éthique du chercheur, pour ensuite effectuer une critique <strong>de</strong>s résultats et<br />
examiner enfin la métho<strong>de</strong> retenue pour la réalisation <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> contenu.<br />
15.1 Posture éthique et méthodologie <strong>de</strong> recherche<br />
L’aspect éthique est un aspect fondamental <strong>dans</strong> la rigueur avec laquelle la<br />
recherche doit être menée. La dimension éthique est consciencieusement prise en<br />
compte, tant <strong>dans</strong> la partie <strong>de</strong> l’enquête sur le terrain que <strong>dans</strong> le traitement et<br />
l’analyse <strong>de</strong>s données.<br />
Dans le cadre <strong>de</strong> la formation, comme ensuite <strong>dans</strong> la pratique, la tension est<br />
gran<strong>de</strong> au regard du nombre d'étudiants qui se trouvent en burnout après seulement<br />
quelques mois à quelques années d'exercice. On serait enclins à porter un regard<br />
critique sur la problématique <strong>de</strong> l'engagement <strong>dans</strong> le contexte <strong>de</strong> soin actuel, en<br />
évaluant certains paramètres d'un œil externe, ainsi qu'en relevant <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong><br />
rationalisation et <strong>de</strong> performance exigées. Le souhait est permanent <strong>de</strong> vouloir<br />
réaliser une typologie d'un exercice professionnel « idéal », mais sans doute utopique.<br />
Or ce souhait risque d’autant plus d’être déçu que la profession infirmière se veut<br />
par excellence d'orientation pratique et s'inscrit par conséquent <strong>dans</strong> une volonté <strong>de</strong><br />
recherche <strong>de</strong> solutions applicab<strong>les</strong>. Il nous faut donc être bien consciente <strong>de</strong> ces zones<br />
d’influence et se placer constamment <strong>dans</strong> une posture <strong>de</strong> distanciation, afin <strong>de</strong> juger<br />
<strong>de</strong> l'influence éventuelle <strong>de</strong> tels phénomènes sur la manière <strong>de</strong> mener notre<br />
recherche.<br />
269
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Comme explicité ci-avant, <strong>les</strong> personnes interviewées ont été retenues sans<br />
aucun critère <strong>de</strong> discrimination. Avant chaque entretien, el<strong>les</strong> sont informées sur <strong>les</strong><br />
sujets suivants : déroulement et buts <strong>de</strong> l’enquête, information quant à la possibilité<br />
<strong>de</strong> remplir un questionnaire ultérieurement, déroulement <strong>de</strong> l’entretien, traitement<br />
<strong>de</strong>s données, anonymisation et codification <strong>de</strong>s données personnel<strong>les</strong><br />
immédiatement à l’issue <strong>de</strong> l’entretien, impossibilité <strong>de</strong> reconnaître une personne<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> textes qui seront soumis à publication… Aux personnes intéressées,<br />
proposition a été faite <strong>de</strong> prendre connaissance du projet au préalable, projet <strong>dans</strong><br />
lequel figurent également <strong>les</strong> aspects éthiques <strong>de</strong> la recherche. Les enquêtés sont<br />
également informés sur mon statut <strong>de</strong> chercheure qui se différencie <strong>de</strong> celui<br />
d’enseignante. Le risque est important, surtout <strong>dans</strong> mon institution, <strong>de</strong> voir <strong>les</strong><br />
étudiants répondre en fonction <strong>de</strong> ce qu’un enseignant peut attendre d’el<strong>les</strong> et non<br />
<strong>de</strong> ce qu’el<strong>les</strong> auraient réellement envie <strong>de</strong> dire. Même si ce processus <strong>de</strong> désirabilité<br />
sociale proprement humain ne peut être totalement évité, au moins inconsciemment,<br />
il est primordial <strong>de</strong> rappeler que ce qui pourra être dit se situe en <strong>de</strong>hors du cadre<br />
scolaire et ne pourra avoir aucune influence sur le parcours <strong>de</strong> formation à venir.<br />
Pour ce faire, l’établissement d’un climat <strong>de</strong> confiance est une condition sine qua<br />
non.<br />
Afin que <strong>les</strong> personnes se sentent le plus libres possible, le choix <strong>de</strong> l’endroit<br />
pour la réalisation <strong>de</strong> l’entretien leur a été laissé. Il s’est déroulé soit sur le lieu <strong>de</strong><br />
travail <strong>dans</strong> un espace isolé et calme, soit à l’école <strong>dans</strong> notre bureau, soit au domicile<br />
<strong>de</strong>s interviewés. La posture du chercheur est importante. Il ne s’agit pas d’être <strong>dans</strong><br />
une relation d’ai<strong>de</strong> avec <strong>les</strong> personnes, mais <strong>de</strong> favoriser l'expression <strong>de</strong>s personnes<br />
sans <strong>les</strong> influencer en fonction <strong>de</strong> nos idées ou <strong>de</strong> nos connaissances.<br />
suivantes :<br />
Les personnes qui participent aux entretiens reçoivent <strong>les</strong> informations<br />
El<strong>les</strong> sont informées <strong>de</strong> leurs droits en tant que participants, à savoir la liberté<br />
totale et le droit <strong>de</strong> répondre ou non aux questions posées, ainsi que la possibilité <strong>de</strong><br />
mettre un terme à l’entretien quand el<strong>les</strong> le désirent, sans avoir à se justifier.<br />
En ce qui concerne le traitement <strong>de</strong>s données, el<strong>les</strong> sont informées <strong>de</strong> la rigueur<br />
éthique qui sera observée. Nous leur présentons <strong>les</strong> éléments qui garantissent la<br />
rigueur scientifique et l’intégrité et qui permettent, par ce biais, un traitement <strong>de</strong>s<br />
270
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
données correct, sans but <strong>de</strong> falsification ou d’orientation quelconque. L'objectif en<br />
est l'obtention <strong>de</strong>s résultats <strong>les</strong> plus fiab<strong>les</strong> possib<strong>les</strong>, ainsi que le respect <strong>de</strong> la valeur<br />
morale <strong>de</strong> la recherche.<br />
Enfin <strong>les</strong> interviewés se voient garantir l’anonymat. Il s'agit d’être vigilante<br />
pour savoir donner <strong>les</strong> informations assez précises permettant <strong>de</strong> procurer du sens à<br />
l’analyse, sans pour autant que cel<strong>les</strong>-ci puissent donner lieu à <strong>de</strong>s hypothèses quant<br />
à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s personnes concernées. De ce fait, un co<strong>de</strong> est attribué à chaque<br />
personne interrogée. Ce même co<strong>de</strong> est ensuite reporté sur le questionnaire et la<br />
retranscription <strong>de</strong>s enregistrements se fait sous ce même co<strong>de</strong>. La correspondance<br />
entre le co<strong>de</strong> et l’i<strong>de</strong>ntité réelle <strong>de</strong>s participants est maintenue sous fichier Excel<br />
verrouillé <strong>dans</strong> l’ordinateur, dont l’accès est strictement réservé à la chercheure.<br />
Les seu<strong>les</strong> informations plus personnel<strong>les</strong> qui apparaissent sont : le statut <strong>de</strong> la<br />
personne (étudiante, PF, enseignant), ainsi que le sexe, l’âge et le lieu <strong>de</strong> formation<br />
pour <strong>les</strong> étudiantes. Le nombre étant suffisamment élevé, ces éléments ne permettent<br />
pas d’i<strong>de</strong>ntification. En revanche nous ne précisons pas le lieu pour <strong>les</strong> échantillons<br />
d'enseignants et <strong>de</strong> Praticiens Formateurs étant donné leur nombre restreint qui<br />
permettrait une reconnaissance par trop aisée.<br />
Avec l'accord <strong>de</strong>s participants, <strong>les</strong> entretiens ont été intégralement enregistrés<br />
afin <strong>de</strong> permettre un dialogue ouvert, qui ne soit pas parasité par la prise <strong>de</strong> notes ni<br />
la diminution <strong>de</strong> l’attention. Par ailleurs une prise <strong>de</strong> note même rapi<strong>de</strong> ne saurait<br />
comporter l’intégralité du discours. Les interviews ont aussi été intégralement<br />
retranscrites. Il apparaît toujours à nouveau, lors <strong>de</strong> l’écoute <strong>de</strong>s enregistrements,<br />
que <strong>de</strong>s éléments ont mieux été pris en compte que d’autres ou n’ont pas été<br />
particulièrement relevés lors <strong>de</strong> l’entretien (Quivy & Campenhoudt, 2006). Cette<br />
technique permet d’écouter et <strong>de</strong> réécouter <strong>les</strong> enregistrements, <strong>de</strong> noter tous <strong>les</strong><br />
éléments, y compris <strong>les</strong> silences, hésitations et autres signes non-verbaux perceptib<strong>les</strong>,<br />
afin <strong>de</strong> <strong>les</strong> prendre en compte <strong>dans</strong> la phase d’analyse et <strong>de</strong> considérer la dynamique<br />
<strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> l’entretien vu comme processus. L’enregistrement permet en outre<br />
<strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à un contrôle ultérieur ou à une vérification du matériau <strong>de</strong> recherche.<br />
271
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Par rapport à cette prise en compte du non-verbal, un soin tout particulier doit<br />
être apporté à la prise <strong>de</strong> recul qui limite <strong>les</strong> interprétations spontanées en cherchant<br />
<strong>de</strong>s critères propres à l’organisation du discours lui-même.<br />
Il va néanmoins <strong>de</strong> soi que la recherche par entretien conserve une part <strong>de</strong><br />
subjectivité certaine <strong>dans</strong> la mesure où<br />
« tout discours produit par entretien est co -construit par <strong>les</strong><br />
partenaires du dialogue, en fonction <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> la communication et<br />
interactions à l’œuvre <strong>dans</strong> l’interlocution . » (Blanchet & Gotman, 2001,<br />
p.117).<br />
Toutefois, comme le précisent ces auteurs, il n’y a pas lieu d’exclure cette<br />
métho<strong>de</strong> en raison <strong>de</strong> ce biais inévitable, mais bien au contraire <strong>de</strong> le maîtriser et<br />
d’en tenir compte pour le dépasser, en mettant en place une série <strong>de</strong> mesures<br />
permettant <strong>de</strong> garantir la validité. L’élaboration soigneuse du protocole <strong>de</strong> recherche<br />
et l’honnêteté intellectuelle <strong>dans</strong> tout son déroulement sont <strong>de</strong>s éléments essentiels<br />
en ce sens.<br />
15.2 Critique <strong>de</strong>s résultats<br />
La critique <strong>de</strong>s résultats « permet <strong>de</strong> fixer <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> la recherche en en<br />
faisant ressortir <strong>les</strong> forces et <strong>les</strong> faib<strong>les</strong>ses » (Lamoureux, 2000).<br />
Dans la critique <strong>de</strong>s résultats, nous ne pouvons-nous empêcher <strong>de</strong> faire à<br />
nouveau référence à notre difficulté pour trouver <strong>de</strong>s personnes d'emblée<br />
enthousiastes à participer à notre recherche. Nous nous sommes heurtée à une<br />
attitu<strong>de</strong> peu participative, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s étudiantes comme <strong>de</strong>s enseignants. Doit-on<br />
considérer que ceux qui se sont montrés enthousiastes d'emblée sont forcément<br />
engagés ? Auquel cas notre recherche comporterait un biais important.<br />
De la même manière, <strong>les</strong> enseignants ont répondu par la positive lorsqu'ils<br />
étaient interpellés <strong>de</strong> manière personnelle. Auparavant la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> est restée quasi<br />
lettre morte. Est-ce un manque d'engagement ou une charge <strong>de</strong> travail trop lour<strong>de</strong><br />
qui ne permet pas d'envisager un surplus qui ne soit indispensable ?<br />
272
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Afin <strong>de</strong> limiter ces biais, nous avons fait le choix d'être plus directive et <strong>de</strong><br />
solliciter très directement enseignants et étudiantes. Nous avons conservé le caractère<br />
aléatoire <strong>de</strong> l'échantillon en ne choisissant pas <strong>les</strong> personnes, mais en <strong>les</strong><br />
sélectionnant sur <strong>de</strong>s critères <strong>de</strong> faisabilité : étudiantes suivies en stages, enseignants<br />
rencontrés lors <strong>de</strong> réunions roman<strong>de</strong>s ou <strong>dans</strong> notre équipe, en fonction <strong>de</strong> nos<br />
emplois du temps.<br />
Il est intéressant <strong>de</strong> prendre en considération le fait que <strong>les</strong> personnes se soient<br />
d'emblée portées volontaires pour la recherche ou non, et d'observer si <strong>de</strong>s éléments<br />
peuvent en être posés en termes d'hypothèse quant au <strong>de</strong>gré d'engagement <strong>de</strong> ces<br />
personnes.<br />
Le processus <strong>de</strong> recherche veut que l'on reprenne <strong>les</strong> hypothèses <strong>de</strong> départ pour<br />
en observer le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> véracité. Soit <strong>les</strong> hypothèses ne sont pas vérifiées et il s’agit<br />
<strong>de</strong> suggérer <strong>de</strong>s corrections. On termine alors l’interprétation. Soit <strong>les</strong> hypothèses<br />
sont vérifiées, c’est-à-dire que la critique <strong>de</strong>s résultats n’a pas décelé <strong>de</strong> lacunes<br />
majeures <strong>dans</strong> la collecte <strong>de</strong>s données ; l’analyse <strong>de</strong>s résultats démontre que<br />
l’hypothèse première est exacte. Il faut alors poursuivre l’interprétation.<br />
Dans ce cas, la discussion <strong>de</strong>s résultats s’attache à comparer ces faits<br />
scientifiques nouveaux avec <strong>les</strong> connaissances théoriques et empiriques qui ont<br />
permis <strong>de</strong> la poser. Il s’agit <strong>de</strong> montrer si ces faits nouveaux confirment ou infirment<br />
<strong>les</strong> étu<strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes, sur quel courant <strong>de</strong> pensée ils s’appuient plus spécifiquement<br />
et qu’est-ce qui est réellement novateur. Les données récoltées doivent permettre <strong>de</strong><br />
dégager <strong>de</strong> nouveaux questionnements. Il faut faire le tour <strong>de</strong> la question et donner<br />
toutes <strong>les</strong> significations possib<strong>les</strong> <strong>de</strong>s résultats obtenus. À ce sta<strong>de</strong> il peut y avoir une<br />
analyse complémentaire <strong>de</strong>s résultats, c’est-à-dire que l’on fait <strong>de</strong>s liens peut être<br />
nouveaux entre <strong>de</strong>s variab<strong>les</strong> ou entre <strong>de</strong>s personnes (tous ceux qui ont répondu <strong>de</strong><br />
telle manière à leur compréhension <strong>de</strong> l'engagement, et tous ceux qui se sentent<br />
motivés, par exemple…).<br />
Les résultats obtenus à nos hypothèses ont permis d'ouvrir la discussion et <strong>de</strong><br />
découvrir <strong>de</strong> nouveaux liens permettant <strong>de</strong> mieux comprendre le phénomène.<br />
273
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
274
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
CHAPITRE 16 : ANALYSE DU CONTENU<br />
Dans cette partie <strong>de</strong> la recherche, on va œuvrer à produire du sens à partir du<br />
matériau <strong>de</strong> recherche obtenu. Un peu à la manière <strong>de</strong> l’archéologue, le chercheur va<br />
tenter <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s connaissances à partir <strong>de</strong>s données qu’il aura récoltées<br />
(Bardin, 2003). Si <strong>les</strong> entretiens livrent un corpus <strong>de</strong> données somme toute<br />
relativement co-construit par <strong>les</strong> interactions entre l’enquêteur et l’enquêté, il s’agit à<br />
présent <strong>de</strong> faire parler ce corpus <strong>de</strong> la manière la plus « rigoureuse » possible.<br />
L’analyse <strong>de</strong> contenu ne saurait pour autant passer par la simple élaboration d’un<br />
résumé ne conservant que <strong>les</strong> propositions principa<strong>les</strong> à travers une lecture<br />
endogène. L’analyse <strong>de</strong> ces données se fait à partir <strong>de</strong>s questionnements formulés et<br />
en décortiquant <strong>les</strong> unités d’information qui vont <strong>les</strong> éclairer. Les mêmes données<br />
pourront fournir <strong>de</strong>s informations très différentes selon <strong>les</strong> hypothèses auxquel<strong>les</strong><br />
el<strong>les</strong> vont être rattachées, ainsi que l’exploitation que l’on souhaite en faire. La<br />
démarche d’analyse vise à octroyer une certaine intelligibilité aux données, tout en<br />
apportant une inévitable, et sans doute souhaitable, part d’interprétation (Blanchet &<br />
Gotman, 2001). Elle restera toujours partielle puisque l’analyse implique aussi la<br />
réduction <strong>de</strong> l’intégralité <strong>de</strong>s données. Il est utopique <strong>de</strong> penser pouvoir cerner<br />
l’entier d’un contenu (Kaufmann, 2011) car l’analyse est toujours une réduction <strong>de</strong> la<br />
complexité du réel, comme la recherche elle-même, somme toute.<br />
16.1 Type d’information recherché<br />
Le choix <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux métho<strong>de</strong>s retenues, quantitative et qualitative, est bien<br />
entendu fonction du type d’informations recherchées. Outre <strong>les</strong> variab<strong>les</strong> recherchées<br />
par le biais <strong>de</strong>s questionnaires, nous distinguons quatre sortes d’informations<br />
recherchées au moyen <strong>de</strong>s entretiens (Quivy & Campenhoudt, 2006) :<br />
275
1. L’information <strong>de</strong> type <strong>de</strong>scriptive<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Elle vise à rendre compte d’un phénomène en i<strong>de</strong>ntifiant ses conditions<br />
d’existence en interrelation avec son entourage, son environnement. Cela correspond<br />
à mettre en relief la nature <strong>de</strong>s éléments ;<br />
2. L’information <strong>de</strong> type interprétative<br />
Elle a pour objectif <strong>de</strong> proposer une signification, une explication aux<br />
événements. Pour cela, elle doit s'appuyer sur une analyse rigoureuse. Dans la<br />
conduite <strong>de</strong> l'entretien, le chercheur essaie <strong>de</strong> faire préciser sa pensée à l'enquêté<br />
jusqu'à le conduire à construire un modèle, non seulement au sens <strong>de</strong> la<br />
représentation, mais aussi au sens <strong>de</strong> l’idéal d'un phénomène. Les informations<br />
recueillies doivent permettre <strong>de</strong> compléter <strong>les</strong> informations obtenues sur un mo<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>scriptif en développant <strong>de</strong>s interprétations ;<br />
3. L’information <strong>de</strong> type prescriptive<br />
Elle a pour objectif <strong>de</strong> conduire au questionnement sur « ce qu’il faut<br />
faire ». Les énoncés formulés portent sur l'action et sont élaborés à partir d’une<br />
réflexion sur <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt l’action. Elle veille au respect <strong>de</strong>s finalités, <strong>dans</strong><br />
un souci d’exigence <strong>de</strong>s valeurs, d’attentes du groupe (obstac<strong>les</strong>, idéologies…) ;<br />
4. L’information <strong>de</strong> type stratégique<br />
Plus complexe, cette information vise <strong>de</strong>s énoncés élaborés pour l’action : « ce<br />
qu’il est pertinent <strong>de</strong> faire ». Elle exige une affirmation <strong>de</strong> soi, un positionnement<br />
professionnel et individuel <strong>de</strong> l’intéressé. Cette information peut être liée à<br />
l’information <strong>de</strong> type prescriptif, mais ne l'est pas forcément.<br />
Pour ce qui concerne notre recherche, nous avons visé, en tout premier lieu, <strong>de</strong>s<br />
informations <strong>de</strong> type <strong>de</strong>scriptif. Il va néanmoins <strong>de</strong> soi que, <strong>dans</strong> un contexte très<br />
orienté vers la pratique comme le sont <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, <strong>les</strong> données <strong>de</strong> nature<br />
prescriptive ou même stratégique, étaient également présentes. Nous <strong>les</strong> avons<br />
conservées <strong>dans</strong> une catégorie spécifique orientée vers <strong>les</strong> améliorations souhaitées.<br />
276
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
L'utilisation <strong>de</strong> plusieurs cadres <strong>de</strong> recherche, ainsi que la collecte<br />
d'informations auprès <strong>de</strong>s trois populations actrices autour <strong>de</strong> l'engagement <strong>de</strong>s<br />
étudiantes en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, et l'analyse <strong>de</strong> ce matériau <strong>dans</strong> son contexte réel,<br />
montrent que le processus <strong>de</strong> recherche constitue une entreprise dynamique<br />
(L’Écuyer, 1990). Cela nous a permis <strong>de</strong> faire émerger plusieurs construits à partir<br />
<strong>de</strong>s différentes catégories définies, et d’en comprendre mieux <strong>les</strong> relations.<br />
16.2 Méthodologie d’analyse <strong>de</strong>s données<br />
est un<br />
Si l'on se réfère à la définition <strong>de</strong> Mucchielli (1996, p.36), l’analyse <strong>de</strong> contenu<br />
« terme générique désignant un ensemble <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s d’analyse <strong>de</strong><br />
documents, le plus souvent textuels, permettant d’expliciter le, ou <strong>les</strong><br />
sens qui y sont contenus et/ou <strong>les</strong> manières dont ils parviennent à faire<br />
effet <strong>de</strong> sens. »<br />
L'analyse <strong>de</strong> contenu s'organise autour <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux matériaux qui sont, d'une part,<br />
le matériel donné a priori et qui constitue notre matériel <strong>de</strong> travail et d’étu<strong>de</strong>, et,<br />
d'autre part, le matériau élaboré par la recherche elle-même. Ce <strong>de</strong>rnier matériau se<br />
doit d'être le plus objectif possible. Cela signifie qu'un grand soin doit être apporté à<br />
la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s données ainsi qu'à leur analyse. Rigueur scientifique et<br />
méthodologie sont ici essentiel<strong>les</strong>.<br />
Cette méthodologie s'appuie sur <strong>les</strong> objectifs définis au départ et procè<strong>de</strong> à leur<br />
analyse <strong>de</strong> manière exhaustive et précise. C'est <strong>dans</strong> ce but qu'elle va s'appuyer sur<br />
une métho<strong>de</strong> d'analyse <strong>de</strong> contenu reconnue et validée.<br />
Or l’analyse <strong>de</strong> contenu, si elle s’opère <strong>de</strong> manière distincte <strong>dans</strong> l’une et l’autre<br />
phase, concerne néanmoins tout autant la phase quantitative que la phase qualitative.<br />
277
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
16.3 Analyse du questionnaire<br />
Au regard <strong>de</strong>s questionnements qui gui<strong>de</strong>nt l’ensemble <strong>de</strong> la recherche, il est<br />
possible <strong>de</strong> dégager différentes dimensions, selon l’exemple suivant pour <strong>les</strong> trois<br />
premières questions :<br />
Questionnaire<br />
Item<br />
Degré<br />
d’engagement<br />
Motivation à<br />
l’engagement<br />
Résultat <strong>de</strong><br />
l’engagement<br />
Q1 Q2 Q3 Q4<br />
Les questions aux réponses fermées ou à choix <strong>de</strong> catégorie peuvent être<br />
traitées <strong>de</strong> manière mathématique. Nous avons choisi <strong>de</strong> <strong>les</strong> dénombrer, sans pour<br />
autant entrer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s calculs mathématiques qui n’auraient guère <strong>de</strong> sens au vu <strong>de</strong><br />
la faible représentativité <strong>de</strong> l’échantillon collecté. Le traitement effectué sur Excel<br />
peut être consulté en Annexe 11.<br />
Les <strong>de</strong>ux autres questions ouvertes ont été traitées <strong>de</strong> manière individuelle.<br />
El<strong>les</strong> contiennent <strong>de</strong>s informations qu’il faut repérer, classifier, analyser et interpréter<br />
pour en extraire la ou <strong>les</strong> significations. Ces <strong>de</strong>rnières laissent néanmoins davantage<br />
d'espace aux individus pour s’exprimer, développer leurs réponses ou communiquer<br />
plusieurs avis. Une même question, posée simultanément à un grand nombre <strong>de</strong><br />
personnes, comprend nécessairement l’inventaire <strong>de</strong>s réponses, le classement, <strong>les</strong><br />
calculs ultérieurs tels que : fréquence, corrélation avec d’autres réponses, avec <strong>de</strong>s<br />
caractéristiques objectives. L’unité d’enregistrement retenue est le terme ou la<br />
locution. Par exemple, lorsque c’est l’engagement du sujet <strong>dans</strong> ses représentations<br />
qui est mis en avant, l’analyse est effectuée sur la valorisation du thème proposé.<br />
Cette opération peut s'avérer plus ou moins complexe en fonction du nombre d'idées<br />
contenues <strong>dans</strong> une même réponse, ainsi que <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> réalité objectivable.<br />
278
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
Le dépouillement et le classement <strong>de</strong>s réponses aux questions ouvertes a donc<br />
été faite en utilisant une métho<strong>de</strong> logico-sémantique et en in<strong>de</strong>xant <strong>les</strong> réponses. Le<br />
détail du traitement <strong>de</strong> ces questions est disponible en Annexe 12.<br />
16.4 Analyse <strong>de</strong>s entretiens<br />
Dans l’analyse <strong>de</strong>s entretiens, il existe plusieurs formes d’analyse <strong>de</strong> contenu<br />
qui s’appuient sur <strong>de</strong>s présupposés théoriques différents et s’avèrent plus ou moins<br />
adaptées à certains sujets <strong>de</strong> recherche. L’investigation du matériau se révèle être une<br />
tâche essentielle et la métho<strong>de</strong>, <strong>de</strong> même que la capacité d’analyse peut-être encore<br />
plus importante que le contenu lui-même (Kaufmann, 2011).<br />
La difficulté rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong> rendre compte à la fois <strong>de</strong>s entretiens <strong>dans</strong><br />
leur singularité, mais également d’un corpus <strong>de</strong> données communes au moins à<br />
plusieurs d’entre eux. Nous avons donc trouvé nécessaire <strong>de</strong> compléter l’analyse<br />
horizontale <strong>de</strong>s entretiens par une analyse linéaire <strong>de</strong>s entretiens singuliers.<br />
Dans l’analyse linéaire, nous avons cherché à montrer la cohérence du discours,<br />
sa structuration spécifique, <strong>les</strong> éventuel<strong>les</strong> répétitions thématiques et co-occurrences<br />
apparentes, le thème central. Les entretiens sont alors divisés en séquences, autour <strong>de</strong><br />
critères sémantiques, <strong>de</strong> thèmes, mais aussi <strong>de</strong> critères linguistiques (pauses,<br />
phrases…).<br />
Nous avons organisé cette phase selon le modèle préconisé par Bardin (1977,<br />
p.110) présenté ci-<strong>de</strong>ssous.<br />
TABLEAU 14 : TABLEAU D’ANALYSE LINÉAIRE<br />
UNITÉ SÉMANTIQUE SÉQUENCES REMARQUES THÉMATIQUE<br />
Phrases clé<br />
textuellement<br />
citées<br />
N° <strong>de</strong> séquence <strong>de</strong><br />
l’entretien<br />
279<br />
Remarques ou<br />
précisions sur <strong>les</strong><br />
sujets abordés<br />
Lien à la<br />
thématique plus<br />
générale
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
En ce qui concerne l’analyse horizontale et étant donné le caractère réflexif <strong>de</strong><br />
notre sujet ainsi que la logique <strong>de</strong> compréhension selon Weber que nous avons choisi<br />
d’utiliser pour notre enquête, il nous a semblé que la métho<strong>de</strong> d’analyse par<br />
découpage thématique s’avérait particulièrement appropriée. En effet, ce découpage<br />
transversal <strong>de</strong> tout le contenu par thèmes, c’est-à-dire par unités <strong>de</strong> sens, <strong>de</strong> façon<br />
endogène, est organisé selon une grille d’analyse élaborée empiriquement. Il permet<br />
<strong>de</strong> regrouper <strong>de</strong>s passages par unité <strong>de</strong> sens, sans se perdre <strong>dans</strong> une profusion <strong>de</strong><br />
notions similaires. Il est organisé autour <strong>de</strong>s hypothèses <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> et permet <strong>de</strong><br />
rendre compte <strong>de</strong> la quasi-totalité du corpus <strong>de</strong> données. Cette métho<strong>de</strong>, certes, ne<br />
permet pas <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> la singularité <strong>de</strong>s discours. Elle permet en revanche<br />
<strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s cohérences thématiques extrêmement intéressantes. Selon<br />
Blanchet et Gotman (2001, p.98), la métho<strong>de</strong> d’analyse thématique est « cohérente<br />
avec la mise en œuvre <strong>de</strong> modè<strong>les</strong> explicatifs <strong>de</strong> pratiques ou <strong>de</strong><br />
représentations… ». De plus, l’analyse thématique n’exclut pas une perspective<br />
verticale <strong>de</strong> considération <strong>de</strong>s thèmes abordés par chaque sujet et <strong>de</strong> leur cohérence<br />
interne, propre à une même personne. L’analyse linéaire permet une analyse<br />
horizontale plus rapi<strong>de</strong>, étant donné que <strong>les</strong> thèmes principaux, le nombre<br />
d’occurrence, <strong>les</strong> éventuel<strong>les</strong> co-occurrences ainsi que le caractère positif, négatif ou<br />
neutre <strong>de</strong>s énoncés, sont déjà mis en évi<strong>de</strong>nce lors <strong>de</strong> la première analyse.<br />
L’arbre thématique comportant l’ensemble <strong>de</strong>s catégories retenues après<br />
l’entrée et le classement <strong>de</strong>s données textuel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> le logiciel N’Vivo (voir Annexe<br />
13) a permis <strong>de</strong> classer et <strong>de</strong> dénombrer la masse <strong>de</strong>s données collectées lors <strong>de</strong>s<br />
entretiens. Les entretiens ont été intégrés un par un et le séquençage par thème a bien<br />
entendu été effectué manuellement <strong>dans</strong> le logiciel. Celui-ci a néanmoins permis, par<br />
la suite, <strong>de</strong> regrouper l’ensemble <strong>de</strong>s séquences d’entretiens se rapportant à un même<br />
thème, et ce, pour <strong>les</strong> 61 thèmes retenus à l’issue <strong>de</strong> l’analyse complète. Cette<br />
démarche peut permettre <strong>de</strong> traduire une information <strong>de</strong> nature qualitative en une<br />
autre <strong>de</strong> nature quantitative, et ainsi <strong>de</strong> faire émerger <strong>de</strong>s occurrences et la<br />
prédominance <strong>de</strong> thèmes par rapport à d’autres. On pourrait ainsi obtenir <strong>de</strong>s<br />
analyses <strong>de</strong> nature quantitative et d'autres <strong>de</strong> nature qualitative. Les premières ont la<br />
particularité d’être extensives (nombre d’informations important, mais <strong>de</strong> nature<br />
280
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
simple) et <strong>les</strong> secon<strong>de</strong>s se veulent intensives (nombre d’informations peu important,<br />
mais plus complexe) (Quivy & Campenhoudt, 2006). À partir <strong>de</strong>s occurrences nous<br />
aurions pu procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s calculs <strong>de</strong> fréquence et autres calculs statistiques simp<strong>les</strong>.<br />
Toutefois notre objectif se situant <strong>dans</strong> la logique compréhensive et non quantitative,<br />
nous avons choisi <strong>de</strong> simplement repérer <strong>les</strong> occurrences fortes, que nous<br />
mentionnons au fur et à mesure <strong>de</strong> l’exposition <strong>de</strong>s résultats, pour tenter d’en<br />
percevoir l’influence, et <strong>de</strong> nous centrer sur ces données qualitatives à analyser en<br />
tant que tel<strong>les</strong>.<br />
L’ensemble du matériau <strong>de</strong>s entretiens, regroupé par catégorie est disponible<br />
sur le CD joint en lieu et place <strong>de</strong> l’Annexe 1. Nous avons choisi ce moyen <strong>de</strong><br />
stockage étant donné son volume conséquent <strong>de</strong> pratiquement 900 pages.<br />
Avant d’entrée nos données <strong>dans</strong> N’Vivo et d’établir <strong>de</strong>s thèmes a priori, nous<br />
avons procédé à lecture <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens afin <strong>de</strong> nous familiariser avec<br />
leur contenu. L’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s différents thèmes et la construction <strong>de</strong> la grille<br />
d’analyse ont été élaborées à partir <strong>de</strong>s hypothèses <strong>de</strong> départ, <strong>dans</strong> un premier temps,<br />
et <strong>dans</strong> un second temps, ce sont <strong>les</strong> données el<strong>les</strong>-mêmes qui sont venues compléter<br />
la grille et lui donner sa structure finale.<br />
Dans la phase exploratoire nous n’avons pas suivi cet exemple, mais nous<br />
avons choisi <strong>de</strong> partir <strong>de</strong>s données <strong>de</strong>s entretiens uniquement pour i<strong>de</strong>ntifier <strong>les</strong><br />
thèmes. Le but était <strong>de</strong> repérer <strong>les</strong> thèmes fiab<strong>les</strong>, <strong>les</strong> éventuels oublis ainsi que <strong>les</strong><br />
doublons.<br />
Le chercheur a souvent tendance à orienter sa grille en fonction <strong>de</strong> ses<br />
hypothèses et <strong>de</strong>s résultats qu’il attend. Pour éviter ce biais, nous avons choisi <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à une tierce personne, sociologue, indépendante <strong>de</strong> la recherche et non<br />
familière du sujet, d’établir <strong>de</strong>s catégories à partir <strong>de</strong> trois <strong>de</strong>s entretiens choisis au<br />
hasard. Nous avons ainsi pu constater que sa grille était très similaire. L’ordre <strong>de</strong><br />
rangement différait quelque peu, mais <strong>les</strong> mêmes grands thèmes étaient présents,<br />
avec parfois une dénomination un peu différente, plus proche du paradigme<br />
sociologique. Ceci a permis <strong>de</strong> confirmer la pertinence <strong>de</strong> cette catégorisation. Les<br />
281
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
trois entretiens analysés par cette professionnelle externe sont disponib<strong>les</strong> à l’Annexe<br />
14.<br />
Avant la phase <strong>de</strong> récolte <strong>de</strong>s données, nous avons réfléchi à la manière dont<br />
ces données vont être codées et défini une méthodologie précise unique, permettant<br />
ensuite <strong>de</strong> convoquer une certaine forme <strong>de</strong> contrôle.<br />
« Le codage correspond à une transformation (…) par découpage,<br />
agrégation et dénombrement… permettant d’aboutir à une<br />
représentation du contenu » (Bardin, 1977, p.134).<br />
On entend par découpage, le choix <strong>de</strong>s unités, c’est-à-dire <strong>de</strong>s propositions<br />
séquentiel<strong>les</strong> retenues. L’énumération visait, quant à elle, à repérer et comptabiliser<br />
<strong>les</strong> répétitions. Enfin, l’agrégation a rendu possible la division en catégories.<br />
À partir du matériau intégré <strong>dans</strong> le logiciel N’Vivo, <strong>les</strong> données ont été<br />
reprises manuellement catégorie par catégorie. Ces catégories représentant <strong>de</strong>s<br />
thèmes et sous-thèmes ont été répertoriés sous forme numérique 1, 2, 3… tandis que<br />
<strong>les</strong> sous-thèmes, s’il en est, ont suivi la même numérotation : 1.1 ; 1.2 etc… Nous<br />
avons choisi une catégorisation par propositions courtes : une ou <strong>de</strong>ux phrases au<br />
maximum, que nous avons codifiées par segments : par exemple 1.1.1 pour le<br />
premier segment du sous-thème 1.1. Cette étape <strong>de</strong> codage a permis <strong>de</strong> trier et <strong>de</strong><br />
répertorier <strong>les</strong> informations, afin ensuite <strong>de</strong> pouvoir <strong>les</strong> classer et <strong>les</strong> retranscrire, <strong>de</strong><br />
façon structurée, pertinente <strong>dans</strong> le chapitre s’intéressant aux résultats <strong>de</strong> l’analyse.<br />
Cette étape était également nécessaire <strong>dans</strong> une perspective d’uniformisation <strong>de</strong>s<br />
données ; en ramenant <strong>de</strong>s expressions personnel<strong>les</strong>, par exemple, à un langage<br />
commun qui ai<strong>de</strong> à la conceptualisation et à l’interprétation (Van <strong>de</strong>r Maren, 2003).<br />
Dans l’analyse <strong>de</strong> contenu, nous avons différencié le contenu manifeste, c’est-à-<br />
dire <strong>les</strong> données explicites qui ont émergé <strong>de</strong>s retranscriptions, du contenu latent, et<br />
il s’agit là <strong>de</strong> tout ce qui est plus implicite, mais qui transparaît néanmoins<br />
clairement : <strong>les</strong> valeurs mises en jeu, <strong>les</strong> mécanismes explicatifs… Le contenu latent<br />
282
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
est rendu sous la forme d’hypothèses que nous formulons à la suite <strong>de</strong> liens mis en<br />
évi<strong>de</strong>nce.<br />
Nous retenons pour l’analyse <strong>de</strong> données <strong>les</strong> trois étapes clés que sont : la phase<br />
<strong>de</strong> catégorisation, la phase <strong>de</strong>scriptive et la phase explicative (Alami et al., 2009).<br />
La réduction <strong>de</strong>s données constitue, selon Huberman et Mi<strong>les</strong> (1985), l’une <strong>de</strong>s<br />
tâches <strong>les</strong> plus périlleuses lors d’une recherche qualitative. Le choix <strong>dans</strong> la manière<br />
<strong>de</strong> découper, séparer et assembler <strong>les</strong> différentes parties du matériau <strong>de</strong> recherche est<br />
une étape qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> réflexion, afin <strong>de</strong> garantir une structuration<br />
cohérente et pertinente pour l’interprétation.<br />
Nous avons décidé <strong>de</strong> placer d’emblée <strong>dans</strong> notre grille <strong>les</strong> concepts retenus<br />
pour nos hypothèses. Ensuite, <strong>les</strong> transcriptions <strong>de</strong>s entretiens ont été lues l’une<br />
après l’autre et chaque nouveau thème émergeant a fait l’objet d’un codage <strong>dans</strong> la<br />
grille d’analyse. Cela nous a permis la création <strong>de</strong> catégories significatives. Si un<br />
thème était déjà présent, le codage <strong>de</strong>s informations a permis d’en mesurer la<br />
fréquence. Sa nouvelle occurrence a été mentionnée <strong>dans</strong> la grille. Un espace laissé en<br />
marge <strong>de</strong>s catégories a permis <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s liens sous forme d'hypothèses, qui ont<br />
ensuite été uti<strong>les</strong> pour enrichir l’analyse.<br />
La grille a permis <strong>de</strong> hiérarchiser <strong>les</strong> thèmes principaux et <strong>les</strong> thèmes<br />
secondaires pour traiter l’ensemble <strong>de</strong> l’information et minimiser le risque<br />
d’interprétation.<br />
« À la différence du gui<strong>de</strong> d’entretien qui est un outil d’exploration<br />
[visant la production <strong>de</strong> données], la grille d’analyse est un outil<br />
explicatif [visant la production <strong>de</strong> résultats] »<br />
qui permet la production <strong>de</strong> sens autour <strong>de</strong> l’objet <strong>de</strong> recherche (Blanchet et<br />
Gotman, 2001, p.99). Cette manière <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r avait pour avantage <strong>de</strong> permettre la<br />
recherche ultérieure <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> passages concernés par le thème en question pour<br />
l’analyser en profon<strong>de</strong>ur, en faire émerger <strong>les</strong> unités <strong>de</strong> contenu, c’est-à-dire <strong>les</strong><br />
283
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
dimensions (références, thèmes, moyens, contexte…), et en extraire <strong>de</strong>s citations<br />
textuel<strong>les</strong>.<br />
Nous avons examiné <strong>les</strong> différents thèmes <strong>dans</strong> tout le corpus et examiné <strong>les</strong><br />
différences ou <strong>les</strong> similitu<strong>de</strong>s. Nous avons essayé ensuite <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong><br />
différentes typologies en conjuguant <strong>les</strong> analyses transversa<strong>les</strong> et vertica<strong>les</strong>, c’est-à-<br />
dire en regroupant <strong>de</strong>s thèmes et en mettant en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> raisonnement<br />
i<strong>de</strong>ntiques chez plusieurs personnes. Nous avons pu regrouper <strong>les</strong> différents thèmes,<br />
en évaluer l’occurrence ainsi que la fréquence, et faire <strong>de</strong>s croisements permettant <strong>de</strong><br />
cerner <strong>les</strong> similitu<strong>de</strong>s ou différences <strong>de</strong> données en fonction <strong>de</strong> l’âge, du parcours<br />
antérieur, <strong>de</strong> l’institution…<br />
Au fur et à mesures <strong>de</strong>s analyses, la grille d’analyse est <strong>de</strong>venue un véritable<br />
schéma organisationnel <strong>dans</strong> lequel sont venues s’insérer toutes <strong>les</strong> dimensions<br />
i<strong>de</strong>ntifiées au travers <strong>de</strong>s entretiens.<br />
Au terme <strong>de</strong> la catégorisation <strong>de</strong>s quarante-quatre entretiens, nous avions donc<br />
obtenu huit catégories généra<strong>les</strong> et soixante et une sous-catégories. Néanmoins, lors<br />
<strong>de</strong> la phase d’interprétation nous avons trouvé pertinent <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à certains<br />
regroupements. En effet, plusieurs sous-catégories ne comportaient qu’une ou <strong>de</strong>ux<br />
citations, quand d’autres se révélaient très proches <strong>de</strong> catégories déjà existantes et<br />
bien développées. Il apparaissait donc judicieux <strong>de</strong> regrouper ces éléments en un<br />
tout cohérent, sans pour autant laisser <strong>de</strong>s extraits <strong>de</strong> côté. Nous avons choisi <strong>de</strong><br />
placer <strong>dans</strong> la catégorie « autres » (7) <strong>les</strong> extraits qui ne présentaient pas, à notre sens,<br />
d’intérêt en regard du sujet traité. Ces extraits sont consultab<strong>les</strong> <strong>dans</strong> leur intégralité<br />
à l’Annexe 1.<br />
Dans un souci <strong>de</strong> clarté et <strong>de</strong> rigueur scientifique nous présentons ici <strong>les</strong><br />
principa<strong>les</strong> restructurations entreprises, par gran<strong>de</strong> catégorie.<br />
En ce qui concerne la première catégorie : « motivation à la profession », nous<br />
avions tout d’abord considéré comme pertinent <strong>de</strong> dissocier <strong>les</strong> catégories : 1.1<br />
parcours biographique, 1.2 expérience professionnelle antérieure à la formation, 1.3<br />
expérience professionnelle durant la formation, 1.4 idéal professionnel et 1.5 projets<br />
284
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
futurs. Nous nous sommes néanmoins rendue compte que <strong>les</strong> trois premiers items se<br />
rejoignent largement puisque <strong>les</strong> expériences professionnel<strong>les</strong> font partie intégrante<br />
du parcours autobiographique. Par ailleurs, l’analyse nous a également conduite à<br />
intégrer <strong>les</strong> points 1.4 et 1.5 au parcours <strong>de</strong> vie. En effet, en <strong>les</strong> examinant <strong>de</strong> manière<br />
plus précise, nous avons pu constater que la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s éléments<br />
développés <strong>dans</strong> ces rubriques par <strong>les</strong> répondants étaient également directement en<br />
lien avec le parcours biographique. Par exemple, l’idéal professionnel s’exprimant<br />
très souvent <strong>dans</strong> le choix d’un projet professionnel, il apparaissait alors naturel <strong>de</strong><br />
l’intégrer au point 1.1. Enfin, quelques items du point 1.4 relevant davantage <strong>de</strong>s<br />
valeurs, il paraissait judicieux <strong>de</strong> <strong>les</strong> intégrer au point 2.2 (liens entre valeurs<br />
personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong>) développé par la suite.<br />
Durant la démarche d’analyse, il nous est apparu que le point 2.6 (dimension<br />
éthique <strong>de</strong> l’engagement), faisait presque entièrement référence au point 3.4<br />
(engagement et responsabilité). Nous avons donc classé ces éléments majoritairement<br />
<strong>dans</strong> ce <strong>de</strong>rnier point, ainsi qu’une petite partie <strong>dans</strong> le point 3.2. (définition). Par<br />
ailleurs, le point 2.5 faisant référence à la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s ressources et limites<br />
personnel<strong>les</strong>, aurait été redondant avec une partie du chapitre 3.2. (souci <strong>de</strong> soi)<br />
auquel nous l’avons donc rajouté.<br />
Nous sommes parvenue à classer <strong>les</strong> affirmations du point trois (engagement<br />
et corollaires) en différentes catégories. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que l’engagement<br />
se traduit par <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s touchant différents domaines : attitu<strong>de</strong> au travail, attitu<strong>de</strong><br />
envers le patient et <strong>dans</strong> l’équipe, ainsi que par <strong>de</strong>s manifestations subjectives<br />
exprimées par <strong>les</strong> personnes. Par ailleurs, on relèvera également quelques<br />
caractéristiques plus généra<strong>les</strong> nous permettant d’obtenir un tour d’horizon assez<br />
vaste du phénomène étudié.<br />
Nous avons choisi d’intégrer <strong>les</strong> résultats du point 3.3 (expériences<br />
personnel<strong>les</strong>) au chapitre 1 dont il se rapprochait fortement, et le point 3.5<br />
(autonomie) <strong>dans</strong> <strong>les</strong> points 3.4 (responsabilité) ou 3.9 (moteurs et freins à<br />
l’engagement), étant donné qu’ils étaient parfois <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> proximité et auraient<br />
285
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
constitué <strong>de</strong>s redites nuisib<strong>les</strong> à la cohérence générale.<br />
À l’intérieur <strong>de</strong> chaque sous-chapitre, nous avons agencé <strong>les</strong> différents<br />
apports <strong>de</strong> manière structurée pour rendre la lecture aisée, et nous avons fait<br />
mention <strong>de</strong>s occurrences <strong>de</strong> certains propos au fur et à mesure <strong>de</strong> la mise en forme<br />
<strong>de</strong>s résultats.<br />
De nombreux éléments peuvent également appartenir à plusieurs catégories.<br />
Ils ont alors été analysés comme tels et pris en compte <strong>dans</strong> <strong>les</strong> différents sous-points.<br />
Nous avons par exemple choisi d’intégrer <strong>dans</strong> la rubrique motivation (3.6) la<br />
majeure partie <strong>de</strong>s données liées au chapitre 3.9 (moteurs <strong>de</strong> l’engagement), étant<br />
donné que l’on y retrouve un nombre important d’éléments en lien direct avec la<br />
question <strong>de</strong> la motivation.<br />
Les <strong>de</strong>ux sous-parties <strong>de</strong>s points 4.1 (spécificité <strong>de</strong> la formation duale) et 4.4<br />
(apports sur l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle) ont été traités ensemble <strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong><br />
données obtenues étaient relativement peu nombreuses et surtout peu différenciées.<br />
Dans le point 5, <strong>les</strong> sous-points ont été assez bien représentés pour faire l’objet d’un<br />
traitement spécifique. En revanche, le point 6.1 (promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> la<br />
formation) a été traité avec le point 6.4 (promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> la pratique),<br />
<strong>les</strong> étudiants ayant relié <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux items <strong>dans</strong> la visée <strong>de</strong> l’alternance intégrative.<br />
Dans la restitution <strong>de</strong>s résultats présente ici, nous avons volontairement fait<br />
<strong>de</strong>s regroupements plus larges, à l’intérieur <strong>de</strong>squels se trouvent cependant<br />
l’ensemble <strong>de</strong>s idées contenues <strong>dans</strong> l’analyse ainsi qu’une structure et une<br />
cohérence permettant une lecture plus aisée.<br />
L’ensemble <strong>de</strong>s données recueillies sont disponib<strong>les</strong> à l’Annexe 1, en version<br />
numérique étant donné le nombre <strong>de</strong> pages très important que cela représente.<br />
L’analyse <strong>de</strong>scriptive a ensuite permis <strong>de</strong> mettre en relation <strong>les</strong> éléments et <strong>les</strong><br />
différents indicateurs, en précisant le découpage thématique et en distinguant <strong>les</strong><br />
représentations <strong>de</strong>s pratiques. Il s’agissait d’isoler une catégorie et <strong>de</strong> la placer en<br />
face d’une autre catégorie pour en observer un lien plus ou moins fort, issu d’une<br />
tension plus ou moins dynamique entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux concepts. En présence notamment<br />
286
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux catégories investiguées sous l’angle <strong>de</strong> leur rapport réciproque, nous avons<br />
été vigilante à ne pas établir d’inférence <strong>de</strong> type causal mais <strong>de</strong> nous contenter <strong>de</strong><br />
pointer ces lieux <strong>de</strong> recoupements. L’établissement <strong>de</strong> liens <strong>de</strong> causalité est bien<br />
souvent un raccourci passant sous silence <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> nature beaucoup plus<br />
complexe (Paillé & Mucchielli, 2010) <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels un concept parfois révèle, amplifie,<br />
atténue ou modifie un autre concept. Il s’agit d’être pru<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> l’interprétation <strong>de</strong><br />
ces liens.<br />
Dans un second temps, l’analyse explicative, qui met en œuvre un important<br />
recul réflexif, a rendu possible la mise en perspective <strong>de</strong>s relations entre <strong>les</strong> acteurs<br />
entre eux ainsi que <strong>de</strong>s acteurs avec <strong>les</strong> objets. Il s’agissait alors d’élaborer <strong>de</strong>s<br />
hypothèses <strong>de</strong> compréhension <strong>de</strong>s actions et <strong>de</strong>s discours, ainsi que <strong>de</strong> ce qui <strong>les</strong><br />
motivent. L’analyse explicative constitue un schéma interprétatif qui s’appuie sur la<br />
littérature pour expliquer <strong>les</strong> données recueillies et en montrer le prolongement.<br />
L’utilisation <strong>de</strong>s catégories conceptualisantes implique<br />
« une intention d’analyse dépassant la stricte synthèse du contenu du<br />
matériau analysé et tentant d’accé<strong>de</strong>r directement au sens, et<br />
l’utilisation, à cette fin, d’annotations traduisant la compréhension à<br />
laquelle arrive l’analyste. » (Paillé & Mucchielli, 2010, p.234).<br />
Cette synthèse accompagnée d’une interprétation précautionneuse, a permis <strong>de</strong><br />
répondre à notre volonté première <strong>de</strong> vérifier et vali<strong>de</strong>r la théorisation en<br />
construction autour du concept d’engagement. Dans la discussion la synthèse <strong>de</strong>s<br />
résultats a ensuite été observée à la lumière <strong>de</strong>s théories accessib<strong>les</strong> pouvant éclairer<br />
le sujet et confirmer, infirmier ou compléter <strong>les</strong> propos recueillis.<br />
L’application d’une métho<strong>de</strong> post facto a rendue possible la mise en évi<strong>de</strong>nce<br />
d’une corrélation entre certaines données <strong>de</strong>s entretiens et cel<strong>les</strong> du questionnaire.<br />
Cette corrélation a comme intérêt <strong>de</strong> constituer un critère <strong>de</strong> validité pour la<br />
recherche. Il en va <strong>de</strong> même <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> relecture que nous avons choisie afin,<br />
287
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
ici encore, d’assurer une validité supérieure au présent travail. Cette métho<strong>de</strong> est<br />
explicitée ci-après <strong>dans</strong> le chapitre sur la validité <strong>de</strong> signifiance.<br />
288
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
CHAPITRE 17 : VALIDITÉ DE LA RECHERCHE<br />
Lorsque nous abordons la validité <strong>de</strong> la recherche, nous visons la validité <strong>de</strong><br />
l’analyse <strong>de</strong> contenu qui permet d’assurer que tous <strong>les</strong> indicateurs pertinents ont été<br />
représentés <strong>de</strong> manière pertinente. Elle peut être définie comme « l’adéquation entre<br />
<strong>les</strong> buts et <strong>les</strong> fins, sans distorsion <strong>de</strong>s faits » (Ghiglione & Matalon, 2004).<br />
17.1 Validité <strong>de</strong> signifiance<br />
À l’issue <strong>de</strong> la recherche, nous avons procédé à une validité <strong>de</strong> signifiance pour<br />
augmenter la fiabilité <strong>de</strong> la recherche. Cette métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> relecture précé<strong>de</strong>mment<br />
citée a permis <strong>de</strong> soumettre l’interprétation <strong>de</strong>s résultats aux personnes interrogées,<br />
ou à un certain nombre d’entre el<strong>les</strong>, pour savoir si cette interprétation correspond à<br />
leurs perceptions. Dans notre cas, dix personnes parmi <strong>les</strong> participants aux entretiens<br />
ont été sollicitées pour exprimer leur avis sur la synthèse <strong>de</strong>s résultats et nous<br />
communiquer le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> proximité ou d’éloignement avec <strong>les</strong> données partagées<br />
durant l’entretien. Les personnes <strong>de</strong>vaient nous dire si el<strong>les</strong> pouvaient se retrouver<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> propos cités et <strong>les</strong> interprétations faites. Hormis quelques divergences <strong>dans</strong><br />
l’emphase placée sur un concept ou l’autre (émanant <strong>de</strong> la récurrence <strong>de</strong> celui-ci <strong>dans</strong><br />
l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens), <strong>les</strong> données ont été considérées comme fidè<strong>les</strong> à leur<br />
entretien par ces personnes. Le résultat en a donc été la corroboration (Pourtois &<br />
Desmet, 1997).<br />
La méthodologie a pour objectif <strong>de</strong> permettre la mise en œuvre d’un dispositif<br />
<strong>de</strong> recherche favorisant la réalisation, aussi objective que possible <strong>de</strong> la recherche,<br />
afin <strong>de</strong> garantir au maximum la validité <strong>de</strong>s données. Dans ce sens, elle doit être<br />
traitée très minutieusement sous ses différents aspects. C’est pourquoi nous avons<br />
présenté consécutivement <strong>les</strong> différents éléments qui composent cette recherche,<br />
<strong>de</strong>puis <strong>les</strong> techniques utilisées pour recueillir <strong>les</strong> données, jusqu’à la manière dont<br />
289
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
ont été traités <strong>les</strong> résultats, en passant par le contexte <strong>de</strong> la recherche ainsi que <strong>les</strong><br />
choix opérés à différentes étapes. Même si le chercheur en sciences humaines se voit<br />
<strong>dans</strong> « l’impossibilité d’être exhaustif » (Pourtois, Desmet, Lahaye, 1998), il n’en<br />
<strong>de</strong>meure pas moins que la validité <strong>de</strong> son travail doit être avérée afin que celui-ci soit<br />
crédible.<br />
Plusieurs dimensions permettent <strong>de</strong> soutenir cette validité :<br />
1. Les hypothèses sont composées <strong>de</strong> concepts, eux-mêmes déclinés en<br />
variab<strong>les</strong> observab<strong>les</strong>. Ces concepts sont diversifiés et représentatifs du thème<br />
étudié afin <strong>de</strong> favoriser la validité <strong>de</strong> l’instrument ;<br />
2. Les mesures nécessaires sont prises au niveau <strong>de</strong> l’investigation <strong>de</strong>s<br />
données, <strong>de</strong> leur retranscription et <strong>de</strong> leur traitement pour en garantir la<br />
fidélité et la rigueur ;<br />
3. Une triangulation <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s permet <strong>de</strong> combiner plusieurs techniques<br />
<strong>de</strong> recueils <strong>de</strong> données afin <strong>de</strong> cerner au plus près l’objet d’étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> réduire<br />
au maximum la part subjective <strong>de</strong> chaque technique, en réduisant également<br />
<strong>les</strong> possibilités que <strong>les</strong> découvertes faites soient attribuab<strong>les</strong> en majeure partie<br />
à la technique utilisée.<br />
La nature même du sujet permet <strong>de</strong> travailler sur plusieurs matériaux et <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />
mettre en dialogue, <strong>de</strong> <strong>les</strong> comparer et d’en dégager un construit commun favorisant<br />
la richesse et la complexité <strong>de</strong>s données, ainsi qu’une interprétation plus élaborée.<br />
La triangulation théorique augmente gran<strong>de</strong>ment la fiabilité <strong>de</strong>s résultats en<br />
permettant <strong>de</strong> vérifier la récurrence ou la permanence d’informations, mais en<br />
permettant également d’observer <strong>de</strong>s divergences éventuel<strong>les</strong> entre <strong>les</strong> métho<strong>de</strong>s et<br />
d’analyser ces divergences, voire ces contradictions.<br />
On utilisera ici <strong>de</strong>ux formes <strong>de</strong> triangulation, l’une méthodologique et l’autre<br />
nommée triangulation <strong>de</strong>s sources.<br />
290
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
17.2 Triangulations et validité<br />
La première forme <strong>de</strong> triangulation vise l’utilisation <strong>de</strong> différentes métho<strong>de</strong>s<br />
pour l’investigation du même objet. Nous aurons donc une première enquête qui<br />
sera <strong>de</strong> nature quantitative, alors que la secon<strong>de</strong> partie, plus exhaustive, sera<br />
effectuée sous la forme qualitative.<br />
Dans la partie quantitative, nous sommes face à un objet relativement neutre, ne<br />
permettant pas <strong>de</strong> s’exprimer <strong>de</strong> façon très importante. L’intérêt est avant tout<br />
technique, celui <strong>de</strong> corroborer ou nuancer <strong>les</strong> données obtenues qualitativement.<br />
En revanche, la partie qualitative fait appel à la subjectivité <strong>de</strong> la personne, à<br />
son vécu, à son expérience, à sa réflexion et à sa connaissance. L’interaction y joue un<br />
rôle important.<br />
17.3 Triangulation <strong>de</strong>s sources<br />
Il s’agit ici <strong>de</strong> s’enquérir <strong>de</strong> sources d’informations différentes afin <strong>de</strong> cerner le<br />
sujet sous un nombre <strong>de</strong> facettes le plus large possible. C’est <strong>dans</strong> cet objectif que<br />
différents publics ont été interrogés : étudiantes, enseignants et praticiens formateurs.<br />
La notion d’engagement pourra donc être envisagée sous ces trois perspectives<br />
différentes, afin d’en permettre une compréhension la plus exhaustive possible.<br />
Le but <strong>de</strong> la recherche aura été <strong>de</strong> rompre avec <strong>les</strong> représentations communes et<br />
d’opérer ce que Bachelard nomme « la rupture épistémologique » pour permettre<br />
l’inscription d’un nouveau savoir <strong>dans</strong> le champ scientifique. Dispositif <strong>de</strong> recherche<br />
291
17.4 Dispositif <strong>de</strong> recherche<br />
TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />
FIGURE 3 Revue <strong>de</strong> littérature<br />
Catégorisation externe<br />
par sociologue<br />
(3 entretiens)<br />
Objectifs, hypothèses<br />
Étu<strong>de</strong> exploratoire<br />
Catégories Indicateurs<br />
Sélection <strong>de</strong> trois populations<br />
Questionnaire Entretien<br />
Base volontaire 44 entretiens semi-directifs<br />
Anonyme Grille sur la base <strong>de</strong>s catégories<br />
Vue générale et indicateurs<br />
Récolte <strong>de</strong>s données<br />
Traitement Excel Entrées par catégories et<br />
sous-catégories <strong>dans</strong> N’Vivo<br />
Analyse par question Analyse par catégorie Analyse linaire<br />
44 questionnaires 900 pages 6 entretiens<br />
Contrôle par<br />
un<br />
échantillon<br />
réduit<br />
<strong>de</strong> la<br />
fiabilité <strong>de</strong>s<br />
résultats<br />
Synthèse Synthèse<br />
par catégorie par entretien<br />
Synthèse générale <strong>de</strong>s résultats<br />
Discussion<br />
292
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
QUATRIÈME PARTIE :<br />
RÉSULTATS ET<br />
ANALYSES<br />
293
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
294
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
CHAPITRE 18 : RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE<br />
Dans ce chapitre ont été mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> résultats obtenus grâce à l’analyse<br />
<strong>de</strong>s données recueillies, d’une part, selon une première analyse <strong>de</strong> forme quantitative,<br />
<strong>de</strong> l’autre, selon une analyse <strong>de</strong> type qualitatif. Dans la première partie, <strong>les</strong> résultats<br />
obtenus lors <strong>de</strong> la passation du questionnaire ont été retracés <strong>de</strong> manière succincte en<br />
relevant, pour chaque item, <strong>les</strong> tendances généra<strong>les</strong> observées. Nous nous sommes<br />
attardés, <strong>dans</strong> la secon<strong>de</strong> partie, à l’examen <strong>de</strong> six entretiens choisis <strong>de</strong> manière<br />
aléatoire : <strong>de</strong>ux par échantillon <strong>de</strong> population qui sont analysés <strong>de</strong> manière plus fine<br />
et linéaire pour en mettre en évi<strong>de</strong>nce le développement, <strong>les</strong> liens entre <strong>les</strong> items,<br />
ainsi que la structure générale.<br />
Enfin, <strong>dans</strong> la troisième partie, <strong>de</strong> loin la plus conséquente, nous examinons, <strong>de</strong><br />
manière transversale, nos 44 entretiens classés et regroupés, <strong>dans</strong> un premier temps,<br />
<strong>dans</strong> 61 catégories.<br />
Comme expliqué précé<strong>de</strong>mment, nous avons choisi d’utiliser la technique du<br />
questionnaire <strong>dans</strong> le but d’obtenir <strong>de</strong>s tendances et une <strong>de</strong>scription généra<strong>les</strong> sur<br />
notre sujet, ainsi que quelques éléments <strong>de</strong> comparaison avec d’autres recherches, en<br />
particulier <strong>de</strong> psychologie organisationnelle. Nous n’avons cependant pas souhaité<br />
en faire notre outil d’investigation principal et, par conséquent, il nous a semblé plus<br />
juste, au vu tout particulièrement du nombre <strong>de</strong> questionnaires peu élevé (N=44),<br />
d’en faire une analyse statistique <strong>de</strong>scriptive. Nous nous en tiendrons donc à <strong>de</strong>s<br />
mises en évi<strong>de</strong>nce et comparaisons d’ordre général.<br />
Il aurait été intéressant <strong>de</strong> pouvoir i<strong>de</strong>ntifier l’origine <strong>de</strong>s questionnaires et <strong>de</strong><br />
savoir si la personne ayant répondu est une étudiante, un professionnel ou un<br />
295
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
enseignant. Toutefois nous avons renoncé à cela, car nous ne pouvions pas garantir<br />
l’anonymat requis <strong>dans</strong> une telle démarche.<br />
18.1 Des professionnels fortement engagés<br />
Une gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s professionnels interrogés se disent « engagés » à « très<br />
fortement engagés ». Pour la plupart, 23 sur <strong>les</strong> 44, ils se considèrent comme<br />
fortement engagés, tandis qu’aucun ne se reconnaît <strong>dans</strong> <strong>les</strong> désignations : « pas » ou<br />
« très peu engagé ». Deux personnes se distancient un peu <strong>de</strong>s autres en<br />
reconnaissant être « assez engagées ». C’est ce qu’illustre le diagramme suivant :<br />
Question posée : Comment qualifieriez-vous votre engagement<br />
professionnel ?<br />
FIGURE 4 : DEGRÉ D’ENGAGEMENT PROFESSIONNEL 2<br />
23<br />
7<br />
2<br />
2 Les chiffres mentionnés <strong>dans</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s graphiques représentent le nombre d’individus<br />
296<br />
12<br />
Pas engagé<br />
Très peu engagé<br />
Assez engagé<br />
Engagé<br />
Fortement engagé<br />
Très fortement engagé
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
18.2 Un engagement porté par une motivation et <strong>de</strong>s<br />
convictions<br />
Dans <strong>les</strong> facteurs qui motivent l’engagement, nous trouvons une forte<br />
concentration autour <strong>de</strong> l’aspect motivationnel et <strong>de</strong>s convictions. Ainsi, plus <strong>de</strong> la<br />
moitié <strong>de</strong>s soignants (27) considèrent que la motivation ou l’adéquation avec <strong>les</strong><br />
valeurs, <strong>de</strong>ux items qui se rejoignent fortement, sont <strong>les</strong> raisons premières <strong>de</strong><br />
l’engagement. On pourrait rajouter <strong>les</strong> six personnes qui inscrivent l’engagement en<br />
premier lieu <strong>dans</strong> la cohérence avec leurs objectifs. Seu<strong>les</strong> quatre personnes nomment<br />
comme première motivation l’intérêt porté au patient.<br />
De façon générale, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux premiers items « motivation, intérêt pour ce que je<br />
fais » et « adéquation avec mes convictions, mes valeurs », ainsi que le quatrième<br />
item « sens, cohérence avec mes objectifs », sont parmi <strong>les</strong> facteurs cités en priorité,<br />
alors même que <strong>les</strong> catégories six et sept « gain salarial et reconnaissance sociale »<br />
restent nul<strong>les</strong> pour ces items.<br />
En revanche, <strong>les</strong> rubriques « gain salarial » et « reconnaissance sociale »<br />
s’affichent, quant à el<strong>les</strong>, en <strong>de</strong>rnier <strong>dans</strong> l’ordre <strong>de</strong> priorité, avec une importance<br />
moindre pour la rémunération qui n’est citée que comme avant-<strong>de</strong>rnier ou <strong>de</strong>rnier<br />
facteur, <strong>de</strong> façon générale. Le graphique suivant permet <strong>de</strong> se faire une<br />
représentation <strong>de</strong> cette répartition.<br />
Question posée : Quels sont <strong>les</strong> facteurs d’engagement pour vous, <strong>dans</strong><br />
un ordre <strong>de</strong> priorité ?<br />
297
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
FIGURE 5 : FACTEURS D’ENGAGEMENT<br />
Les chiffres <strong>de</strong> 1 à 7 indiquent le niveau <strong>de</strong> priorité accordé par <strong>les</strong> personnes<br />
interrogées. Le 1 étant une priorité absolue, jusqu’au 7 comme <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>s priorités.<br />
18.3 L’engagement, un potentiel d’énergie<br />
D’après <strong>les</strong> recherches <strong>de</strong> Schaufeli et Martinez (2002), le concept d’engagement<br />
se déclinerait en une structure tri-factorielle mettant en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> trois dimensions<br />
<strong>de</strong> ce concept. Selon ce modèle l’énergie et la persévérance sont caractéristiques <strong>de</strong><br />
l’engagement, tout comme le sentiment d’efficacité et d’enthousiasme. La troisième<br />
dimension, l’absorption <strong>dans</strong> l’activité génère un consensus moins important.<br />
Le fait que l’engagement soit lié à l’énergie et à la persévérance est un avis<br />
partagé par une très large majorité (40 personnes pour le premier item et 41 pour le<br />
second). Le troisième item fait un peu moins l’unanimité, mais ce sont néanmoins<br />
tout <strong>de</strong> même 32 personnes sur <strong>les</strong> 44 qui reconnaissent que l’engagement <strong>les</strong> conduit<br />
à se sentir complètement absorbées et déconnectées du temps avec ses contingences.<br />
Le <strong>de</strong>gré d’impact en termes d’énergie et <strong>de</strong> persévérance est clairement perceptible<br />
à partir du schéma suivant :<br />
Reconnaissance sociale<br />
Gain salarial, rémunération<br />
Intérêt du patient, bienveillance<br />
Sens, cohérence avec mes objectifs, intérêt<br />
Responsabilité, <strong>de</strong>voir<br />
Adéquation avec mes convictions, mes valeurs<br />
Motivation, intérêt pour ce que je fais<br />
1<br />
2<br />
4<br />
6<br />
5<br />
298<br />
5<br />
11<br />
3<br />
17<br />
16<br />
12<br />
11<br />
16<br />
10<br />
11<br />
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%<br />
1 2 3 4 5 6 7<br />
9<br />
9<br />
13<br />
7<br />
2<br />
15<br />
20<br />
6<br />
15<br />
9<br />
6<br />
4<br />
4<br />
3<br />
2<br />
2<br />
1<br />
1<br />
1
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Question posée : Vous sentez vous particulièrement rempli d’énergie et<br />
<strong>de</strong> persévérance <strong>dans</strong> votre travail ?<br />
FIGURE 6 : ENGAGEMENT ET ÉNERGIE / PERSÉVÉRANCE<br />
On peut <strong>de</strong> même observer <strong>de</strong>s conséquences importantes sur le sentiment<br />
d’efficacité, comme nous le voyons ici, puisque ce sentiment d’efficacité apparaît<br />
pour neuf personnes sur dix comme bien réel.<br />
Question posée : Vous sentez-vous efficace, enthousiaste <strong>dans</strong> votre<br />
travail ?<br />
1 2<br />
FIGURE 7 : SENTIMENT D’EFFICACITÉ<br />
299<br />
41<br />
Oui Entre-<strong>de</strong>ux Non<br />
2 2<br />
40<br />
Oui Entre-<strong>de</strong>ux Non
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
En revanche la <strong>de</strong>rnière dimension, assimilée au fait <strong>de</strong> ne pas voir le temps<br />
passer, <strong>de</strong> par l’impact <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> l’activité professionnelle, donne un<br />
résultat un peu plus mitigé comme nous pouvons l’observer sur le schéma suivant.<br />
Question posée : Vous sentez-vous absorbé <strong>dans</strong> votre travail au point <strong>de</strong><br />
ne pas voir le temps passer ?<br />
FIGURE 8 : SENTIMENT D’ABSORPTION DANS L’ACTIVITÉ<br />
18.4 L’engagement : pour un sens à son existence<br />
Toute l’énergie utilisée pour satisfaire à son engagement professionnel donne<br />
lieu à un certain nombre <strong>de</strong> conséquences ou <strong>de</strong> résultats pour la personne qui<br />
s’engage. Les avis sont unanimes sur le fait que la « perte <strong>de</strong> liberté » du soignant ne<br />
constitue pas une conséquence primordiale, elle reste même largement anecdotique ;<br />
en revanche, <strong>les</strong> avis sont partagés quant aux conséquences <strong>les</strong> plus importantes <strong>de</strong><br />
cet engagement.<br />
Question posée : Quels sont <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> l’engagement pour la<br />
personne qui s’engage ?<br />
12<br />
Oui Entre-<strong>de</strong>ux Non<br />
300<br />
32
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
FIGURE 09 : RÉSULTATS DE L’ENGAGEMENT<br />
(1 représente la priorité la plus élevée, tandis que 8 représente la priorité la moins<br />
élevée).<br />
Efficacité<br />
Epanouissement<br />
Perte <strong>de</strong> liberté<br />
Satisfaction<br />
Sentiment d'utilité<br />
Valorisation<br />
Sens à son existence<br />
Reconnaissance sociale<br />
En considérant <strong>les</strong> trois premiers niveaux <strong>de</strong> résultats, on obtient <strong>de</strong>s scores<br />
quasi i<strong>de</strong>ntiques pour le « sens à son existence », le « sentiment d’utilité », la<br />
« satisfaction » et « l’épanouissement ». Avec cependant une préférence pour <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux premiers items cités <strong>de</strong> façon quasi égale comme premier et <strong>de</strong>uxième résultat<br />
<strong>de</strong> l’engagement ; le sentiment d’utilité peut aussi être pensé comme élément<br />
contributif au sentiment <strong>de</strong> « donner un sens à son existence ».<br />
Il convient <strong>de</strong> relever que seu<strong>les</strong> 11 personnes considèrent la valorisation<br />
comme un <strong>de</strong>s trois premiers résultats, tandis que, rappelons-nous, elle était<br />
également peu considérée parmi <strong>les</strong> facteurs d’engagement relevés ci-<strong>de</strong>ssus. Par<br />
ailleurs, « l’efficacité » est un résultat perçu comme important, avec une distribution<br />
très orientée vers <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> liste. Le schéma suivant, incluant à nouveau<br />
un ordre <strong>de</strong> priorité, cette fois échelonné <strong>de</strong> 1 à 8 (<strong>de</strong> la plus importante à la moins<br />
significative), permet <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong>s répartitions <strong>de</strong> ces priorités entre ces<br />
items considérés comme résultant directement <strong>de</strong> l’engagement.<br />
18.5 L’engagement constitue une prise <strong>de</strong> risque<br />
Pour <strong>de</strong> nombreuses personnes (39 sur <strong>les</strong> 44 interrogées), l’engagement<br />
constitue une prise <strong>de</strong> risques.<br />
1<br />
2<br />
3<br />
3<br />
3<br />
1<br />
5<br />
8<br />
2<br />
4<br />
3<br />
11<br />
10<br />
2<br />
4<br />
5<br />
4<br />
13<br />
6<br />
301<br />
5<br />
8<br />
9<br />
8<br />
10<br />
5<br />
0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%<br />
8<br />
7<br />
31<br />
1 2 3 4 5 6 7 8<br />
4<br />
6<br />
4<br />
6<br />
4<br />
8<br />
15<br />
11<br />
5<br />
6<br />
4<br />
8<br />
4<br />
5<br />
5<br />
4<br />
2<br />
2<br />
2<br />
1<br />
1
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Question posée : L’engagement constitue-t-il une prise <strong>de</strong> risque ?<br />
FIGURE 10 : L’ENGAGEMENT COMME PRISE DE RISQUE.<br />
Le caractère visuel du graphique permet <strong>de</strong> se rendre rapi<strong>de</strong>ment compte <strong>de</strong> la<br />
répartition <strong>de</strong>s réponses.<br />
Selon <strong>les</strong> réponses à notre question ouverte, l’engagement implique une « prise<br />
<strong>de</strong> position » et donc « l’exposition à un jugement ». L’engagement, toujours lié<br />
au « risque d’être déçu », est caractérisé par une « mise en danger <strong>de</strong> soi »<br />
pouvant faire émerger un « risque <strong>de</strong> frustration » et « d’épuisement ». D’où la<br />
nécessité, précisent certains individus, <strong>de</strong> se méfier d’un « engagement excessif » et<br />
<strong>de</strong> « savoir ses limites » pour ne pas risquer <strong>de</strong> « s’oublier soi-même et son<br />
réseau social ». Pour une autre personne, il n’y a pas <strong>de</strong> risque lié à l’engagement,<br />
tant que le soignant conserve une parfaite « authenticité » et que cette implication<br />
correspond à un choix délibéré.<br />
18.6 L’indifférence est le contraire <strong>de</strong> l’engagement<br />
Sur ce point, <strong>les</strong> avis sont plus partagés. En effet, on note une répartition quasi<br />
égale (20 et 19 personnes) entre ceux qui concluent à une opposition entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />
notions et ceux qui <strong>les</strong> considèrent comme <strong>de</strong>s phénomènes distincts.<br />
5<br />
Oui Non<br />
302<br />
39
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Question posée : L’indifférence est-elle le contraire <strong>de</strong> l’engagement ?<br />
FIGURE 11 : INDIFFÉRENCE ET ENGAGEMENT<br />
Pour une première moitié <strong>de</strong> personnes, l’engagement est effectivement opposé<br />
à l’indifférence <strong>dans</strong> la mesure où l’indifférence signifie un « désintérêt », alors que<br />
l’engagement, au contraire, implique un « intérêt à l’autre », « en rapport avec<br />
nos valeurs, croyances, le sens qu’on y met et donc qui fait que l’on y est pas<br />
indifférent ».<br />
Parmi <strong>les</strong> personnes qui ne voient pas d’opposition entre l’indifférence et<br />
l’engagement, notons cel<strong>les</strong> qui argumentent que « le contraire <strong>de</strong> l’engagement<br />
est le désengagement, et non pas l’indifférence », précisant que l’indifférence est<br />
davantage un autre <strong>de</strong>gré d’engagement plutôt que son opposé, voire une « forme<br />
particulière d’engagement ». Ce qui se justifierait aussi, pour une personne, par le<br />
fait que « l’on peut fonctionner sans être engagé, mais pas en étant<br />
indifférent ».<br />
19<br />
Il s’agissait pour nous ici, au moyen <strong>de</strong> cette question, <strong>de</strong> faire émerger <strong>les</strong><br />
craintes éventuel<strong>les</strong> liées au risque conscient lié à l’engagement. Cette question<br />
semble plus délicate et donne une répartition plus mitigée, comme nous pouvons le<br />
voir avec la prochaine figure.<br />
Oui Non<br />
303<br />
20
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
18.7 Exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique sans être<br />
engagé<br />
Avec cette possibilité évoquée on retrouve un consensus très fort orienté vers<br />
une réponse négative. Pour 33 personnes sur <strong>les</strong> 42 ayant répondu à cet item, il n’est<br />
pas possible d’exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> manière éthique sans être engagé. Les<br />
arguments sont nombreux pour justifier ce positionnement. Ainsi plusieurs<br />
personnes citent le registre <strong>de</strong>s valeurs, considérées comme le fon<strong>de</strong>ment d’un agir<br />
éthique se manifestant <strong>dans</strong> l’engagement. « L’éthique nous engage<br />
automatiquement puisqu’elle implique la mise en jeu <strong>de</strong> nos valeurs » et elle<br />
« engage l’entier <strong>de</strong> la personne ». Ainsi « <strong>dans</strong> l’éthique il y a déjà une notion<br />
d’engagement » et <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sont interdépendants. En effet, « si l’on est pas engagé,<br />
<strong>les</strong> aspects éthiques ne seront pas respectés <strong>de</strong> la même manière que si l’on est<br />
engagé », ce qui aura <strong>de</strong>s implications directes sur « le rôle professionnel ».<br />
Sur ce point, en revanche, <strong>les</strong> avis se rejoignent à nouveau davantage et, comme<br />
nous le voyons ici, la répartition est quasiment <strong>de</strong> un cinquième pour le non et quatre<br />
cinquièmes pour le oui.<br />
Question posée : Peut-on exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique<br />
sans être engagé ?<br />
FIGURE 12 : RÔLE PROFESSIONNEL, ÉTHIQUE ET ENGAGEMENT.<br />
33<br />
Oui Non<br />
304<br />
9
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
CHAPITRE 19 : RÉSULTATS ET ANALYSE DU CORPUS<br />
D’ENTRETIENS<br />
Cette partie <strong>de</strong> la recherche consiste à présent <strong>dans</strong> l’analyse <strong>de</strong> l’ensemble du<br />
corpus <strong>de</strong>s quarante-quatre entretiens. Ce corpus <strong>de</strong> données est entièrement<br />
disponible sous forme numérique à l’Annexe 1. Pour cette partie <strong>de</strong> l’analyse, nous<br />
avons pris chaque entretien et en avons mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> différents thèmes. Ces<br />
<strong>de</strong>rniers ont ensuite été classés, comme l’indique le tableau ci-<strong>de</strong>ssous, <strong>dans</strong> un arbre<br />
à catégories construit au fur et à mesure <strong>de</strong> l’analyse <strong>dans</strong> le logiciel N’Vivo.<br />
Nous nous proposons ici <strong>de</strong> reprendre <strong>les</strong> 61 catégories l’une après l’autre,<br />
recelant donc tous <strong>les</strong> extraits <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens, en choisissant <strong>de</strong><br />
regrouper certaines d’entre el<strong>les</strong>, tel que nous l’avons expliqué <strong>dans</strong> la méthodologie<br />
d’analyse <strong>de</strong>s entretiens. Pour permettre l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s verbatims retranscrits,<br />
nous avons choisi <strong>de</strong> conserver la codification telle qu’utilisée lors <strong>de</strong>s entretiens.<br />
Ainsi <strong>les</strong> lettres E, T, P sont à comprendre comme E pour étudiantes, T pour<br />
enseignants (teacher) et P pour professionnels praticiens-formateurs. Le chiffre<br />
correspond ensuite à la personne interrogée <strong>dans</strong> notre codification propre.<br />
TABLEAU 15 : MODÈLE DE TRAITEMENT POUR L’ANALYSE TRANSVERSALE<br />
ENTRETIEN UNITÉ SÉMANTIQUE CATÉGORIE<br />
E 26 (Étudiante<br />
n°26 sur notre liste)<br />
Données propre à<br />
la personne<br />
interviewée<br />
Phrase ou unité <strong>de</strong><br />
texte se rapportant<br />
à un thème précis<br />
305<br />
ABORDÉE<br />
Parmi <strong>les</strong> 8 thèmes<br />
extraits <strong>de</strong><br />
l’analyse : éléments<br />
biographiques,<br />
éthique,<br />
engagement…<br />
SOUS-CATÉGORIE<br />
Extrait d’un thème,<br />
avec mise en<br />
évi<strong>de</strong>nce du<br />
contenu précis et<br />
<strong>de</strong>s indicateurs
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Pour l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens, chaque unité sémantique a reçu un numéro, au<br />
fur et à mesure <strong>de</strong> l’analyse, qui permet <strong>de</strong> repérer la catégorie à laquelle elle se<br />
rapporte, ainsi que la sous-catégorie plus précisément.<br />
Ainsi une phrase correspondant à une définition <strong>de</strong> l’engagement recevra le<br />
numéro 3.2., le 3 étant le thème <strong>de</strong> l’engagement et le point 3.2 correspondant plus<br />
précisément à la sous-catégorie rassemblant <strong>les</strong> définitions <strong>de</strong> l’engagement.<br />
Cette partie qualitative a cherché à explorer <strong>de</strong>s dimensions assez larges, en lien avec<br />
l’engagement. On s’est préoccupé <strong>de</strong> l’influence du parcours <strong>de</strong> vie et du vécu<br />
professionnel sur l’engagement, en passant par l’engagement <strong>dans</strong> sa dimension<br />
éthique et en observant <strong>les</strong> concepts proches qui ont contribué à sa définition, pour<br />
examiner comment l’engagement est vécu en formation ainsi que <strong>dans</strong> le contexte<br />
hospitalier, afin finalement d’en découvrir <strong>les</strong> espaces encore peu exploités et qui<br />
pourraient être sujets à développement.<br />
19.1 Éléments du parcours <strong>de</strong> vie personnel et professionnel<br />
Nous nous sommes tous d’abord intéressée aux raisons initia<strong>les</strong> qui ont poussé<br />
nos interlocuteurs à choisir la profession d’infirmière. Il était intéressant <strong>de</strong><br />
s’interroger pour savoir si l’exercice <strong>de</strong> cette profession découlait également d’un<br />
choix libre au départ. Pour un certain nombre <strong>de</strong> personnes, il s’agit en effet d’un<br />
choix <strong>de</strong> second ordre, voire d’un choix par défaut. Parmi <strong>les</strong> étudiantes, plusieurs<br />
ont reconnu avoir fait ce choix après avoir raté d’autres concours (physiothérapie,<br />
sage-femme, éducateur, instituteur…), échoué <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s formations (mé<strong>de</strong>cine) ou<br />
pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> santé (ambulancier souffrant <strong>de</strong> lombalgies). Parmi <strong>les</strong><br />
professionnels, <strong>de</strong>ux personnes sont <strong>dans</strong> le cas d’une reconversion, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />
argumentant qu’ils avaient besoin <strong>de</strong> « donner un sens à leur existence », l’un<br />
étant auparavant informaticien et l’autre douanier. Mais, pour une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s<br />
étudiants, il s’agit d’un choix qui remonte à l’enfance. Neuf étudiants ont affirmé<br />
avoir toujours voulu exercer ce métier qui s’est imposé comme une sorte d’évi<strong>de</strong>nce :<br />
« J’ai toujours voulu faire infirmière (E17) ». Une enseignante et <strong>de</strong>ux<br />
professionnel<strong>les</strong> ont même évoqué le terme <strong>de</strong> « vocation », en nous expliquant que<br />
306
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
cela « vient <strong>de</strong> vocare, ça veut dire se dévouer, se donner pour quelqu’un et<br />
puis apporter quelque chose <strong>de</strong> soi à l’autre (P1)», exprimant le soin donc<br />
comme un véritable don <strong>de</strong> soi, une aspiration quasi innée : « j’ai toujours eu à<br />
l’intérieur <strong>de</strong> moi, tout ce qui est <strong>de</strong>s relations humaines et puis m’occuper <strong>de</strong><br />
l’autre, soigner l’autre, j’avais déjà ça <strong>dans</strong> mon caractère avant <strong>de</strong> me<br />
<strong>de</strong>stiner aux <strong>soins</strong> (P8)». Il peut s’agir d’un élan quasi passionnel (T14). Dans ce<br />
cas, l’engagement professionnel est lié à un choix personnel émanent d’une liberté<br />
fondamentale (Savadogo, 2008).<br />
Dans d’autres cas, on retient une certaine notion <strong>de</strong> contrainte. Inconsciemment<br />
ou non, le choix est influencé par <strong>de</strong>s évènements externes. On sera frappé, chez <strong>les</strong><br />
enseignants, tout comme chez <strong>les</strong> étudiants, <strong>de</strong> remarquer le lien assez fréquent entre<br />
ce choix <strong>de</strong> profession et une expérience <strong>de</strong> vie difficile vécue durant l’enfance,<br />
souvent une expérience avec la maladie. Nombreux sont ceux, en effet, qui ont été<br />
touchés par la maladie ou le décès d’un proche et qui expriment <strong>de</strong>s souvenirs<br />
diffici<strong>les</strong> <strong>de</strong> confrontation à leurs propres limites : « je m’étais sentie un peu<br />
impuissante (T9) » ; « j’ai souffert d’une réelle impuissance à accompagner<br />
ma grand-mère <strong>dans</strong> son processus <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> maladie (T14)» . Ces<br />
expériences réveillent comme un besoin <strong>de</strong> « réparer » quelque chose en soi :<br />
« J’avais 13 ans quand il y a eu l’acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> mon père, il est resté très<br />
longtemps hospitalisé. Donc tout tourne autour quand même <strong>de</strong> sauver <strong>les</strong><br />
autres, pis <strong>de</strong> me sauver moi aussi un peu quand même… (T13) », quand ce<br />
n’est pas l’expression d’une culpabilité, citée à cinq reprises : « J’ai ressenti une<br />
culpabilité extrêmement forte <strong>de</strong> l’avoir laissée seule à c e moment le plus<br />
difficile <strong>de</strong> son existence (mort) (T14) ». Une responsable <strong>de</strong> formation nous fera<br />
d’ailleurs remarquer que ce lien avec l’histoire <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s étudiants est souvent<br />
clairement i<strong>de</strong>ntifiable à partir <strong>de</strong>s autobiographies qu’ils doivent fournir à leur<br />
entrée <strong>dans</strong> l’école. Néanmoins, peu nombreux sont ceux qui sont à même <strong>de</strong> faire ce<br />
rapprochement <strong>de</strong> manière explicite et consciente. Lorsqu’il y a prise <strong>de</strong> conscience, il<br />
y a aussi tentative d’explication : « c’est comme si on avait besoin <strong>de</strong> comprendre<br />
pourquoi on a pas su faire, peut-être trouver <strong>de</strong>s ressources pour pouvoir le<br />
faire (T14)».<br />
307
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Nous avons noté, et <strong>les</strong> enseignants et professionnels ont confirmé cette<br />
compréhension <strong>de</strong>s choses (P7, T4), que <strong>les</strong> personnes ayant relaté <strong>de</strong> tels<br />
évènements avaient une capacité <strong>de</strong> réflexion particulièrement développée et parfois<br />
interpellante, comme cette jeune femme <strong>de</strong> 23 ans, infirmière <strong>de</strong>puis un an, qui nous<br />
explique que son fiancé a eu un acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> moto il y a six mois et restera désormais<br />
paraplégique. Sa réaction nous laisse pensive lorsqu’elle explique que « le choc<br />
passé, la souffrance, je dirais un petit peu diluée, ça fait grandir… (P6)».<br />
Mais, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette référence à sa propre histoire, nous avons pu relever<br />
<strong>de</strong>ux constantes <strong>dans</strong> toutes nos populations, à savoir l’altruisme et l’importance <strong>de</strong><br />
la dimension relationnelle. L’aspect relationnel est cité six fois chez <strong>les</strong> étudiantes et<br />
cinq fois chez <strong>les</strong> enseignants comme la motivation à l’origine du choix professionnel.<br />
On pourrait se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il en est <strong>de</strong> même chez <strong>de</strong>s professionnels toujours au<br />
contact avec <strong>les</strong> patients, ou si une certaine routine pourrait y porter atteinte, ce qui<br />
ne semble pas être le cas puisque cet aspect est également mentionné par sept<br />
professionnels sur <strong>les</strong> dix interrogés. Il en va <strong>de</strong> même pour l’attention portée à<br />
l’autre qui est nommée comme essentielle par <strong>les</strong> trois échantillons <strong>de</strong> participants.<br />
Nous avons choisi ici le terme d’altruisme, mais il intègre toute la dimension du<br />
rapport à la tierce personne : respect, soutien, accompagnement, empathie… Un<br />
enseignant la décrit comme une dimension d’empathie pour laquelle « on est<br />
biologiquement équipé… avec <strong>les</strong> neurones miroirs… » et « l’engagement naît<br />
<strong>de</strong> ça, <strong>de</strong> l’acceptation d’être touché par ce que, ce que vit l’autre (T15)» . Cette<br />
dimension altruiste semble être à la base <strong>de</strong> nombreuses motivations<br />
professionnel<strong>les</strong> : « j’adore ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> personnes (E16) » ; « je voulais me mettre<br />
au service <strong>de</strong> l’autre, même si je ne savais pas ce que ça voulait dire que<br />
d’être au service <strong>de</strong>s autres. Pour moi c’était l’évi<strong>de</strong>nce que je m’engage<br />
auprès d’autres êtres humains (P2) ». On retrouve donc un trait commun très<br />
généralisé d’altruisme comme sensibilité à la condition <strong>de</strong> l’autre et souhait <strong>de</strong> lui<br />
venir en ai<strong>de</strong>, en étant « touchés (E15) » par sa condition et intéressés par son<br />
existence : « moi j’ai dix-huit ans, ça m’intéresse <strong>de</strong> savoir la vie <strong>de</strong>s gens…<br />
(E16) » et en ayant envie d’y apporter une contribution positive : « j’ai essayé <strong>de</strong><br />
redonner un petit rayon <strong>de</strong> soleil aux patients qui sont mala<strong>de</strong>s, c’est vrai que<br />
308
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
moi ça m’épanouit <strong>de</strong> m’engager comme ça (E13) ». La sensibilité <strong>de</strong> nombreux<br />
soignants peut même parfois laisser place à un réel sentiment d’injustice, comme<br />
l’exprime cette enseignante à propos <strong>de</strong> sa rencontre avec <strong>de</strong>s situations d’oncologie<br />
pédiatrique : « c’est une situation difficile qu’on ne <strong>de</strong>vrait pas vivre <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />
moments aussi jeunes (cancer) (E16) ». Des différences sont perceptib<strong>les</strong> entre <strong>les</strong><br />
étudiantes qui ont déjà un parcours professionnel, et tout spécialement lorsque cette<br />
expérience se situe <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, avec ceux qui n’en ont pas ou pas <strong>dans</strong><br />
ce contexte. En effet, nombreux sont cel<strong>les</strong> qui travaillent comme ai<strong>de</strong>s-soignantes<br />
durant leurs congés et en soirée pour financer leurs étu<strong>de</strong>s (16 sur <strong>les</strong> 22), ou encore<br />
cel<strong>les</strong> (4) qui ont réalisé une première formation d’Assistantes en Soins et Santé<br />
Communautaire (formation supérieure à celle d’ai<strong>de</strong>-soignant, mais inférieure à celle<br />
d’infirmière). On note chez el<strong>les</strong> un regard plus objectif sur la réalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Si<br />
plusieurs d’entre el<strong>les</strong> conservent le souhait <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’humanitaire et <strong>de</strong> « sauver<br />
le mon<strong>de</strong> », el<strong>les</strong> ont en revanche pu observer <strong>les</strong> aspects réellement positifs <strong>de</strong> la<br />
profession, mais également <strong>les</strong> côtés moins ensoleillés. Cette première expérience<br />
aura d’ailleurs été l’occasion, pour <strong>de</strong>s étudiantes, <strong>de</strong> réaliser la part <strong>de</strong><br />
responsabilité qui incombe à l’infirmière, <strong>de</strong> défendre son rôle, et tout<br />
particulièrement aux plus jeunes <strong>de</strong> ces professionnel<strong>les</strong>. Un étudiant explique que<br />
cela « ne sert à rien <strong>de</strong> se plaindre et d’écarter le problème, autant l’affronter ,<br />
justifier <strong>les</strong> actions qu’on fait… c’est à nous <strong>les</strong> jeunes, <strong>les</strong> jeune s diplômés à<br />
changer le système (E18)». C’est l’occasion <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> côté certaines<br />
représentations encore fortement présentes : « au début je me suis dit ouais<br />
l’infirmière c’est la bonniche du mé<strong>de</strong>cin, tout le mon<strong>de</strong> croit ça et puis au<br />
final… on se rend compte qu’on a <strong>de</strong>s vraies responsabilités (E2) ».<br />
Par ailleurs, l’influence du milieu familial et éducatif est également clairement<br />
perceptible : « c’est <strong>de</strong>s valeurs… qu’on m’a inculquées déjà toute petite je<br />
pense (P6) ». Pour certains, il y a eu la présence d’un proche qui exerçait cette<br />
profession et leur a transmis cette passion : «… ma grand-maman était<br />
infirmière… elle me parlait toujours <strong>de</strong> cette profession… c’était une<br />
passionnée <strong>de</strong> sa profession et pis ben elle m’a donné le goût (P7) ». Pour<br />
d’autres, il y a quasiment comme un facteur d’hérédité, une sorte d’évi<strong>de</strong>nce<br />
309
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
familiale : « j’ai toujours voulu être infirmière parce que tout le mon<strong>de</strong> l’est<br />
<strong>dans</strong> ma famille, ma maman, ma tante… (E 25)» et le sentiment d’utilité semble<br />
être la source <strong>de</strong> cette motivation familiale : « J’étais toujours attirée… par <strong>les</strong><br />
gens qui avaient <strong>de</strong>s problèmes. J’avais envie <strong>de</strong> m’occuper du vieux monsieur<br />
qui était amputé… (T9)». Cette volonté d’ai<strong>de</strong>r est clairement mise en lien avec <strong>de</strong>s<br />
valeurs socio-éducatives et personnel<strong>les</strong> qui ont orienté le choix professionnel. « J’ai<br />
fait un stage <strong>dans</strong> une agence <strong>de</strong> publicité, j’ai trouvé cela tellement<br />
horriblement superficiel, surfait, que… je me suis dit non je ne peux pas<br />
cautionner quelque chose comme ça qui… correspon<strong>de</strong> pas du tou t à mes<br />
valeurs… c’est un domaine (<strong>les</strong> <strong>soins</strong>) qui rejoignait en fait <strong>les</strong> valeurs que…<br />
je veux aussi défendre (P10)».<br />
Ce sont ces mêmes valeurs qui ont amené plusieurs enseignants à s’éloigner <strong>de</strong><br />
la pratique soignante pour rejoindre le milieu <strong>de</strong> la formation. Pour trois enseignants<br />
en tout cas, le poids institutionnel a été la cause du départ. Certains ne mâchent pas<br />
leurs mots : « T’entres <strong>dans</strong> une usine à produire <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> où <strong>les</strong> patients<br />
débarquent et il faut qu’ils se la coincent (T3)» . C’est cet aspect qui <strong>les</strong> a poussés<br />
à modifier leur trajectoire : « Parce que là j’arrivais à un truc où je sentais<br />
que… je pouvais pas changer le système, le système il était comme ça. Si<br />
j’avais eu l’impression que le système pouvait changer, et pis me permettre<br />
quand même <strong>de</strong> concilier un peu plus, je serais restée… (T4) ».<br />
À cela s’ajoute une spécificité <strong>de</strong> curiosité intellectuelle particulièrement<br />
marquée chez <strong>les</strong> enseignants, déjà précisée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> motivations exprimées pour le<br />
choix <strong>de</strong> la profession, et qui se traduit par un souhait initial <strong>de</strong> découvrir <strong>les</strong><br />
mystères du corps humain, <strong>de</strong> « comprendre comment ça se passait, pourquoi ils<br />
étaient mala<strong>de</strong>s. Moi j’avais besoin <strong>de</strong>s explications (T5) ». Cette soif <strong>de</strong><br />
connaissances, cumulée à certaines difficultés inhérentes à la pratique infirmière<br />
tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> horaires, la conjugaison difficile avec une vie <strong>de</strong> famille ou encore la<br />
routine, ont conduit la plupart <strong>de</strong>s enseignants interrogés à entamer <strong>les</strong> formations<br />
<strong>les</strong> plus diverses et variées. Certains cumulent jusqu’à six diplômes supérieurs<br />
différents, parmi <strong>les</strong>quels : maîtrise <strong>de</strong> sociologie, maîtrise en sciences <strong>de</strong> l’éducation,<br />
maîtrise <strong>de</strong> langues, maîtrise d’histoire, licence en anthropologie, diplômes en<br />
310
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
éthique, en psychologie, en management <strong>de</strong> la santé, en santé publique, en santé<br />
communautaire, en psychiatrie clinique, en management <strong>de</strong>s ressources humaines,<br />
en philosophie du management… Or, comme l’une d’entre el<strong>les</strong> l’explique, la prise<br />
<strong>de</strong> distance et le développement d’une réflexion ancrée <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s connaissances<br />
ren<strong>de</strong>nt un retour <strong>dans</strong> l’institution hospitalière difficile : « j’avais fui, si on peut<br />
dire, l’hôpital <strong>de</strong> manière douce hein. Et puis euh, ben après… j’ai plus pensé<br />
à y revenir, parce que une fois que tu sors comme ça, j’aurais plus pu<br />
envisager <strong>de</strong> revenir bosser <strong>dans</strong> un hôpital par exemple (T3)» .<br />
Peut-être ce passage au domaine <strong>de</strong> la formation est-il aussi, en partie au moins,<br />
l’assouvissement d’un souhait non réalisé. Il est en effet intéressant <strong>de</strong> noter que l’on<br />
retrouve assez souvent <strong>les</strong> professions d’infirmière, et d’instituteur ou <strong>de</strong> professeur,<br />
en concurrence <strong>dans</strong> <strong>les</strong> motivations initia<strong>les</strong>. Parmi <strong>les</strong> enseignants, 6 sur <strong>les</strong> 12<br />
reconnaissent avoir hésité entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux professions ou, pour certains, avoir même<br />
choisi la profession infirmière après avoir raté le concours d’entrée pour <strong>de</strong>venir<br />
instituteur. Ainsi l’une reconnaît être revenue à ses « premières amours » et son<br />
« envie d’enseigner (T9)».<br />
À plusieurs reprises <strong>les</strong> étudiants précisent que c’est la présence simultanée <strong>de</strong>s<br />
aspects techniques et relationnels qui induisent une attirance particulière. Il est à<br />
noter que cet aspect ne semble plus essentiel pour <strong>les</strong> soignants ni pour <strong>les</strong><br />
enseignants, l’aspect humain <strong>de</strong>meurant l’aspect central <strong>de</strong> la motivation <strong>de</strong>s<br />
premiers, tandis que le développement <strong>de</strong>s connaissances conserve la première place<br />
<strong>dans</strong> la motivation <strong>de</strong>s seconds.<br />
On se rend bien compte <strong>de</strong> cet attrait <strong>de</strong> la technique qui caractérise un certain<br />
nombre d’étudiants en fin <strong>de</strong> formation aux projets professionnels qu’ils chérissent.<br />
En effet, 8 d’entre eux souhaitent travailler <strong>dans</strong> un service hautement technique, tel<br />
<strong>les</strong> urgences, la néonatologie ou encore <strong>les</strong> <strong>soins</strong> intensifs. Il arrive parfois que cet<br />
attrait soit encore lié à une volonté d’être <strong>dans</strong> une posture <strong>de</strong> sauveur, et <strong>les</strong><br />
enseignants soulignent la difficulté pour certains étudiants d’être confrontés à la<br />
réalité, car « ils sont plein d’illusions (T11) » et persuadés « d’un aspect <strong>de</strong><br />
toute puissance, <strong>de</strong> tout vouloir pour l’autre, tout donner… (T4) ». « C’est<br />
311
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
un apprentissage que l’on fait un peu <strong>dans</strong> la douleur (T4) » et qui est pourtant<br />
nécessaire.<br />
Comme grand trait caractéristique <strong>de</strong>s éléments du parcours professionnel,<br />
nous retiendrons que, pour tous <strong>les</strong> participants à l’enquête, la relation aux patients<br />
est unanimement évoquée comme génératrice <strong>de</strong> satisfaction, une relation <strong>de</strong><br />
« confiance mutuelle (E2) », faite <strong>de</strong> réciprocité où chacun apporte quelque chose<br />
à l’autre, et où le soignant reçoit aussi une forme <strong>de</strong> valorisation : « C’est tout le<br />
côté relationnel. Je trouve que ça m’apporte vraiment énormément… (E3) ». Et<br />
une praticienne <strong>de</strong> souligner la dimension proprement i<strong>de</strong>ntitaire du soin. Ayant<br />
abandonné quelque temps sa profession, elle y est revenue guidée par un besoin<br />
quasi vital, puisque dit-elle : « je n’arrivais pas entre guillemets à grandir…<br />
(P7) ».<br />
19.2 Dimension éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
Comprendre l’engagement <strong>de</strong>s professionnels soignants ne saurait que<br />
difficilement s’extraire à l’examen <strong>de</strong> la dimension éthique sous-jacente à cet<br />
engagement. En effet, peut-on réellement qualifier une action « d’engagée » si elle ne<br />
se fon<strong>de</strong> pas sur <strong>de</strong>s valeurs prédominantes chez le sujet en question ? Nous ferons<br />
ainsi un rapi<strong>de</strong> inventaire <strong>de</strong>s valeurs qui orientent l’action <strong>de</strong>s personnes<br />
interrogées en regard <strong>de</strong> leur pratique professionnelle, avant d’examiner la question<br />
<strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et <strong>de</strong> leur incarnation <strong>dans</strong> la pratique, la question du souci<br />
<strong>de</strong> soi comme connaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses valeurs, et enfin l’articulation entre <strong>les</strong><br />
valeurs et l’engagement.<br />
19.2.1 Valeurs <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, déontologie<br />
Lorsque nous analysons cette gran<strong>de</strong> catégorie, un phénomène nous frappe<br />
d’emblée, à savoir la récurrence du mot « respect ». En effet, à la question <strong>de</strong> savoir<br />
quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> valeurs principa<strong>les</strong> à mettre en œuvre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, 27 personnes<br />
citent le respect, dont 16 fois <strong>les</strong> étudiantes (sur 22). Il semble y avoir là un consensus<br />
largement partagé. Nous retrouverons d’autres valeurs fortement partagées et nous<br />
avons choisi <strong>de</strong> <strong>les</strong> présenter sous forme <strong>de</strong> tableau pour une meilleure visibilité. Il<br />
312
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
ne nous a pas semblé particulièrement important <strong>de</strong> spécifier <strong>les</strong> occurrences en<br />
fonction <strong>de</strong> la population, étant donné que seule la valeur « respect », précé<strong>de</strong>mment<br />
citée, a montré une orientation particulière, avec une représentativité plus marquée<br />
chez <strong>les</strong> étudiantes, peut-être due au fait d’une influence <strong>de</strong> la formation ?<br />
Nous indiquons, entre parenthèses, <strong>les</strong> mots qui ont été affiliés à la valeur<br />
nommée parce que présentant une synonymie ou tout du moins une proximité<br />
sémantique avérée.<br />
313
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
TABLEAU 16 : VALEURS ESSENTIELLES DANS L’EXERCICE DES SOINS<br />
INFIRMIERS.<br />
VALEURS IMPORTANTES DANS L’EXERCICE DES SOINS INFIRMIERS<br />
VALEURS OCCURRENCES<br />
Respect (du patient, <strong>de</strong> la dignité du patient, <strong>de</strong> ses valeurs…) 27<br />
Écoute (relation, parler) 13<br />
Ai<strong>de</strong> (soulager, apporter du confort, du bien-être, <strong>de</strong> la<br />
solidarité)<br />
Accompagnement 5<br />
Empathie (bienveillance, comprendre) 5<br />
Ouverture, non-jugement, acceptation <strong>de</strong> la différence 4<br />
Altruisme (intérêt pour l’autre, centration sur le patient) 3<br />
Dignité du patient 3<br />
Qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (faire <strong>de</strong> son mieux, donner le maximum) 3<br />
Confiance (partage) 3<br />
Disponibilité (prendre du temps) 2<br />
Congruence 1<br />
Authenticité 1<br />
Autonomie 1<br />
Positionnement (prendre la défense contre la maltraitance, <strong>les</strong><br />
préjugés…)<br />
Justice, équité 1<br />
Sécurité 1<br />
Nous trouvons là un certain nombre d’éléments qui, pour certains, ne<br />
correspon<strong>de</strong>nt pas réellement à <strong>de</strong>s valeurs, mais qui expriment tous, <strong>de</strong> manière<br />
plus ou moins directe, l’importance accordée au patient <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>.<br />
314<br />
12<br />
1
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Peut-être l’explication <strong>de</strong> cette centration sur la notion <strong>de</strong> respect se trouve-t-<br />
elle <strong>dans</strong> <strong>les</strong> remarques suivantes qui semblent se faire l’écho d’un souci partagé par<br />
<strong>les</strong> trois populations. La crainte subsumée ici n’est autre que celle d’une réification <strong>de</strong><br />
l’être humain, considéré non plus comme un être humain mais comme une chose<br />
(E12), sachant que bien sûr « il y a une maladie, il y a <strong>de</strong>s problèmes… mais<br />
d’abord il y a une personne (T10) ». Cela passe donc par « la reconnaissance <strong>de</strong><br />
la personne en tant qu’être humain, pis avec un pas sé (P5)».<br />
À ce phénomène <strong>de</strong> négation <strong>de</strong> la personne tel qu’il semble émerger <strong>de</strong> nos<br />
discussions, <strong>les</strong> étudiants, tout comme <strong>les</strong> autres personnes interrogées, expliquent la<br />
difficulté <strong>de</strong> trouver un consensus parmi <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt l’engagement <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong>. Les valeurs sont profondément ancrées en nous, et leur mise à l’écart parfois<br />
nécessaire implique un <strong>de</strong>uil difficile, « c’est quelque chose qui est tellement fort,<br />
que c’est dur <strong>de</strong> trouver un… consensus (E21) ». Car même si, en tant que<br />
membres d’une même corporation, nous avons un noyau <strong>de</strong> valeurs communes, tous<br />
nos collègues ne partagent pas forcément notre vision <strong>de</strong>s choses et « il faut aussi<br />
qu’on accepte que <strong>les</strong> autres n’ont pas <strong>les</strong> mêmes valeurs que nous. Et on sait<br />
qu’on doit tous travailler ensemble. Il fa ut juste trouver un noyau commun…<br />
(T11) ». On ne peut faire fi <strong>de</strong> l’entente <strong>de</strong> l’équipe à ce niveau-là. Elle est<br />
primordiale et certains considèrent la relation avec <strong>les</strong> collègues comme une relation<br />
<strong>de</strong> nature presque maritale, « un peu en communauté, en couple (P10) », d’où<br />
l’importance d’un partage commun, aussi pour éviter <strong>les</strong> risques <strong>de</strong> projection, <strong>de</strong><br />
transfert et contre-transfert à l’égard <strong>de</strong>s patients (E13, E3). Le besoin <strong>de</strong> liens, en<br />
réaction peut-être à une société où le délitement <strong>de</strong>s liens familiaux, sociétaux,<br />
communautaires fait rage, se révèle très présent, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> discours <strong>de</strong>s étudiants en<br />
particulier : « j’aime bien être auprès <strong>de</strong>s personnes âgées parce qu’on <strong>les</strong><br />
connaît quoi, c’est comme une famille… (E14) ». Une adéquation minimale avec<br />
ses propres valeurs est néanmoins essentielle pour éviter que ne germe une<br />
frustration <strong>de</strong>structrice (E21). C’est à cette prise <strong>de</strong> conscience que doivent parvenir<br />
<strong>les</strong> étudiantes, mais le chemin est d’autant plus difficile que cel<strong>les</strong>-ci sont aujourd’hui<br />
immergées <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> complexe, aux prises avec une profusion <strong>de</strong> valeurs. Il y a<br />
315
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
encore seulement une ou <strong>de</strong>ux générations « nos valeurs étaient préconstruites<br />
au fil du temps, <strong>de</strong> notre éducation… el<strong>les</strong> étaient déjà largement ancrées<br />
avant (la formation) (P5) », mais <strong>les</strong> générations actuel<strong>les</strong> sont exposées à<br />
« beaucoup <strong>de</strong> stimuli… ils ont beaucoup plus <strong>de</strong> be<strong>soins</strong> qui sont créés… et<br />
c’est beaucoup plus lent à arriver pour <strong>les</strong> jeunes à affiner ces valeurs… y a<br />
trop et pis quand y a trop on sait plus quoi choisir (P5)». Le tri est difficile<br />
parce que le cadre n’est plus donné d’avance : « Nous on était plus cadrés et puis<br />
après aussi on a réussi à mettre <strong>de</strong>s nuances, tandis que maintenant on leur<br />
donne <strong>les</strong> nuances et puis pour arriver à se cadrer, alors c’e st plus difficile<br />
(P9) ». Pour une professionnelle, la donne a réellement changé puisque, lorsqu’elle a<br />
fait sa propre formation, elle estime que <strong>les</strong> valeurs étaient communiquées en même<br />
temps : « on nous donnait notre panier, il était déjà plein », alors<br />
qu’aujourd’hui, selon elle, on donne le panier aux jeunes, mais « ils doivent (eux-<br />
mêmes) faire leurs paniers <strong>de</strong> commissions (<strong>de</strong> valeurs)… (P9) ». Le<br />
positionnement en tant qu’étudiante est <strong>de</strong> ce fait rendu nettement plus ardu, une<br />
difficulté encore majorée par le statut d’étudiante et l’enjeu <strong>de</strong> l’évaluation qui joue<br />
incontestablement un frein <strong>dans</strong> <strong>les</strong> velléités <strong>de</strong>s étudiantes à s’exposer trop<br />
personnellement (E22). Par ailleurs, l’inflation <strong>de</strong>s valeurs risque également <strong>de</strong><br />
fausser la réalité du quotidien <strong>de</strong>s professionnels du soin et, plus largement, du<br />
travail sur autrui. Dès lors on peut craindre une dégradation <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> la<br />
prise en charge <strong>de</strong> la personne, c’est-à-dire une dégradation <strong>de</strong> la dimension éthique<br />
<strong>de</strong>s <strong>soins</strong>.<br />
19.2.2 Des valeurs personnel<strong>les</strong> à leur expression <strong>dans</strong> le<br />
milieu professionnel<br />
Lorsqu’un professionnel se positionne <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> son exercice, c’est en<br />
référence à certains éléments qui nous semblent importants, <strong>de</strong>s éléments auxquels il<br />
attribue une certaine « valeur ». Dans l’idéal, nos valeurs personnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>vraient<br />
pouvoir trouver leur place <strong>dans</strong> notre exercice professionnel, au moins pour une<br />
large partie d’entre el<strong>les</strong>. Il ne s’agit pas d’une sorte d’idéal optionnel, mais<br />
davantage d’une nécessité inconditionnelle. Pourtant l’une <strong>de</strong>s enseignantes explique<br />
316
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
que c’est là la cause <strong>de</strong> son « abandon » <strong>de</strong> la pratique au profit <strong>de</strong> l’enseignement.<br />
L’écart entre ses valeurs personnel<strong>les</strong> et la pratique l’avait entraînée vers une gran<strong>de</strong><br />
frustration, se traduisant par l’épuisement et le souhait <strong>de</strong> s’éloigner d’un milieu<br />
<strong>de</strong>venu pathogène (T4). C’est une tension qui s’accumule peu à peu, jusqu’à avoir<br />
<strong>de</strong>s conséquences graves.<br />
Or cette tension entre <strong>les</strong> valeurs individuel<strong>les</strong>, et <strong>les</strong> valeurs tel<strong>les</strong> qu’el<strong>les</strong><br />
peuvent être vécues <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, tend à augmenter. Ainsi, alors que le respect est<br />
considéré comme la valeur première à observer, son <strong>de</strong>venir est parfois compromis :<br />
« On a plus le choix, en tout cas, on ne peut plus respecter l’autre à 100%<br />
<strong>dans</strong> ses choix ou <strong>dans</strong> ses valeurs parce qu’on a d’autr es règ<strong>les</strong> ou normes<br />
qui nous imposent le contraire (E15)». Un défaut <strong>de</strong> respect qui pèse parfois<br />
lourd sur la conscience <strong>de</strong>s soignants qui en connaissent <strong>les</strong> conséquences : « Si on<br />
doit sortir un patient, nous on sait que ce patient… n’est pas prêt à sorti r,<br />
mais puisqu’il faut libérer le lit, en fait nous, ce patient on l’enlève et il<br />
rentre (P3) ». Et l’on voit poindre une frustration importante chez <strong>de</strong>s<br />
professionnels qui doivent gérer <strong>de</strong>s situations délicates et disposent <strong>de</strong>s<br />
connaissances pour savoir ce qu’il y aurait lieu <strong>de</strong> faire, sans pour autant y être<br />
habilités : « Moi en tant qu’infirmier, je sais ce qu’il faut faire, ce qui faut lui<br />
donner je le sais, mais puisque c’est pas prescrit, je peux pas le faire donc<br />
j’attends le mé<strong>de</strong>cin (P3)». Ce même infirmier décrit le contexte institutionnel<br />
<strong>dans</strong> lequel il pratique, en expliquant la rareté grandissante <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins formés au<br />
profit d’internes souvent complètement dépassés, insécures face à leur manque<br />
d’expérience et par conséquent peu prompts à répondre aux appels <strong>de</strong>s soignants qui,<br />
eux, doivent faire face aux souffrances et interrogations <strong>de</strong>s patients (P3). La<br />
spécificité <strong>de</strong> la position <strong>de</strong> l’infirmière <strong>dans</strong> l’équipe est relevée à plusieurs reprises<br />
comme un lieu <strong>de</strong> tensions entre <strong>de</strong>s valeurs parfois assez divergentes, par exemple<br />
sur la place et l’importance <strong>de</strong> la dimension relationnelle <strong>dans</strong> la prise en charge du<br />
patient : « Sur le plan relationnel, on dit toujours qu’une infirmière est entre<br />
<strong>de</strong>ux chaises, entre le mé<strong>de</strong>cin et le patient, c’est vraimen t l’intermédiaire…<br />
c’est aussi quelqu’un qui n’est ni tout à fait le patient ni le mé<strong>de</strong>cin non<br />
plus…(T10) ». Les infirmières, « el<strong>les</strong> veulent agir en fonction <strong>de</strong> leurs valeurs,<br />
317
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
cet engagement, el<strong>les</strong> l’ont el<strong>les</strong>-mêmes au fond d’el<strong>les</strong>-mêmes, et puis el<strong>les</strong><br />
ont plus du tout <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> le faire… Là au milieu el<strong>les</strong> doivent oublier,<br />
enfin faire taire ce qu’el<strong>les</strong> voudraient el<strong>les</strong>, leurs manière s <strong>de</strong> fonctionner. Le<br />
petit moment qu’el<strong>les</strong> vont passer, l’attention qu’el<strong>les</strong> vont porter etc… et ça<br />
ça va être noyé sous une masse <strong>de</strong> sollicitations <strong>de</strong> facteurs différents qui<br />
viennent <strong>les</strong> stimuler tout le temps et puis el<strong>les</strong> arrivent plus à y répondre<br />
(P2)». Avec en prime la conscience <strong>de</strong>s répercussions qui peuvent en découler, tel<strong>les</strong><br />
« la négligence, la maltraitance… (E19 ) » ou l’erreur, « le risque <strong>de</strong> me<br />
tromper ! De justement injecter une dose qui n’était pas à une personne et<br />
puis voilà que ça puisse faire une hypoglycémie ou autre (E3) ».<br />
Mais, qu’elle soit liée aux contingences institutionnel<strong>les</strong> ou à <strong>de</strong>s dynamiques<br />
interpersonnel<strong>les</strong>, cette tension entre <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> et leur difficile mise en<br />
pratique a pour conséquence immanquable <strong>de</strong> générer un conflit intrapersonnel<br />
conséquent. Un enseignant le qualifie même <strong>de</strong> « détresse morale (T10) »,<br />
expliquant qu’il s’agit « d’une souffrance qui est occasionnée justement à cause<br />
d’un tiraillement <strong>de</strong> la conscience (T10) ». C’est un conflit qui ne semble pas<br />
toujours conscient, mais qui met néanmoins la personne <strong>dans</strong> une situation<br />
inconfortable. Cette enseignante explique comment elle s’était réfugiée <strong>de</strong>rrière une<br />
<strong>de</strong>xtérité technique pour se déculpabiliser, tout en étant en proie à une tension<br />
intérieure intense : « je me suis sentie mieux <strong>dans</strong> ma profession (après un<br />
changement <strong>de</strong> contexte important), j’étais pas non plus capable à l’époque<br />
d’expliciter pourquoi je me sentais moins en porte -à-faux… mais je pense<br />
qu’en fait c’était parce que je me sentais beaucoup plus en congruence avec<br />
mes valeurs profon<strong>de</strong>s… C’était le sens ! Pour moi ce que j’éprouvais <strong>dans</strong> cet<br />
exercice correspondait à la vision que j’avais <strong>de</strong> cet idéal là (T14) ». Le sens,<br />
elle l’avait trouvé <strong>dans</strong> l’ouverture à la dimension relationnelle du soin.<br />
C’est sans doute là que rési<strong>de</strong> l’une <strong>de</strong>s difficultés majeures <strong>de</strong> la confrontation<br />
<strong>de</strong>s étudiantes avec la réalité. « El<strong>les</strong> mettent tout leur cœur, toutes leurs<br />
valeurs… (T10) » et pensent investir une profession qui leur permettra <strong>de</strong> vivre en<br />
accord avec leurs valeurs, <strong>de</strong> « rentrer <strong>dans</strong> un cadre… où il n’y a pas <strong>de</strong><br />
problème, où on fait le bien pour <strong>les</strong> gens mala<strong>de</strong>s… l’endroit idéal pour<br />
318
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
respecter nos valeurs (T10)». El<strong>les</strong> doivent se rendre à l’évi<strong>de</strong>nce qu’il n’en est rien<br />
et parfois la déception est gran<strong>de</strong>, lorsque par exemple el<strong>les</strong> doivent mettre <strong>de</strong> côté<br />
<strong>de</strong>s idéaux professionnels tels ceux relevés précé<strong>de</strong>mment : dimension relationnelle,<br />
communication, écoute... (P6). « Je me suis retrouvée complètement confrontée à<br />
entre ce que je <strong>de</strong>vais faire par rapport à mon job et pis ce qui pour moi<br />
professionnellement était important à réaliser. C’était un patient qui avait<br />
besoin qu’on prenne du temps pour discuter avec lui et je pouvais pas parce<br />
que j’avais x choses à faire. Et c’était une frustration, l’impression <strong>de</strong> ne pas<br />
pouvoir faire mon boulot comme je… comme je voulais et comme c’était pour<br />
moi prioritaire (T4) ».<br />
Cette déception entraîne une souffrance profon<strong>de</strong>, dès lors qu’elle s’apparente,<br />
peu ou prou, à une négation <strong>de</strong> soi : « je me suis retrouvée complètement en<br />
désaccord avec mes valeurs. Finalement à faire mon job, à faire ce qu’on<br />
attendait <strong>de</strong> moi avec l’impression que je passais à côté <strong>de</strong> ce qui était<br />
essentiel. Pour moi, et pour le patient par rapport à mon mandat (T4)» . Triste<br />
constat qui conduira cette enseignante à quitter la clinique qu’elle chérit, au profit <strong>de</strong><br />
l’enseignement, porte <strong>de</strong> secours pour échapper à l’épuisement et au burnout :<br />
« c’est vrai que là (en partant), j’ai peut -être joué ma peau (T4) ».<br />
Il est donc capital d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à prendre conscience <strong>de</strong> ce<br />
vraisemblable décalage entre leurs attentes et la réalité, <strong>de</strong> l’impossibilité <strong>de</strong> toujours<br />
donner plus (E3). Il y a un nécessaire équilibre à trouver entre le <strong>de</strong>voir et <strong>les</strong><br />
motivations personnel<strong>les</strong> (E16), résultant <strong>de</strong>s valeurs individuel<strong>les</strong>. Notre vécu, nos<br />
expériences, notre contexte social et notre milieu éducatif font <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s personnes<br />
différentes, avec <strong>de</strong>s valeurs parfois également très différentes (P1). Mais, s’il est<br />
parfois nécessaire « à certaines places <strong>de</strong> se taire… et <strong>de</strong> faire taire nos propre s<br />
valeurs pour pouvoir mieux écouter la personne… (E3) », il faut pouvoir être un<br />
minimum authentique (E1) et en congruence avec nos valeurs. L’éthique, en tant<br />
qu’interrogation <strong>de</strong>s valeurs en situation, peut nous ai<strong>de</strong>r à trouver un minimum <strong>de</strong><br />
congruence <strong>dans</strong> le contexte donné (E15), afin <strong>de</strong> garantir une harmonie minimale<br />
avec nous-mêmes (T4).<br />
319
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
L’enjeu est important car, sans être en accord avec ce que l’on fait et ses valeurs,<br />
il n’est pas possible d’être professionnel (E2). Or <strong>les</strong> valeurs sont le fon<strong>de</strong>ment même<br />
<strong>de</strong> l’engagement (E11) : « il n’y a pas d’engagement sans valeur (T11) ». Le<br />
<strong>de</strong>voir ne saurait <strong>les</strong> occulter totalement et l’engagement ne pourrait être pérenne,<br />
« c’est pas un vrai engagement. (C’est) un engagement qui va s’arrêter à un<br />
moment donné, qui va avoir ses limites, qui est pas authentique, qui n’est pas<br />
sincère. Alors, pour moi, un engagement, <strong>de</strong> toute façon, il doit se faire avec<br />
<strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la personne », « je ne peux pas m’engager si ce n’est pas en<br />
fonction <strong>de</strong> mes valeurs (P2) ». Un engagement soli<strong>de</strong>ment ancré sur <strong>de</strong>s valeurs<br />
partagées <strong>de</strong>vient, en revanche, gage <strong>de</strong> bien-être au travail comme en témoigne une<br />
professionnelle qui explique que, <strong>dans</strong> son équipe, il n’y a pas eu <strong>de</strong> départ<br />
d’infirmière <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> neuf ans (à l’exception d’un départ en retraite). Le secret<br />
<strong>de</strong> cette équipe : « on va tous <strong>dans</strong> le même sens quoi ! (P9).<br />
19.2.3 Éthique et souci <strong>de</strong> soi<br />
Si l’engagement est fonction <strong>de</strong>s valeurs, comme l’exprime la praticienne<br />
mentionnée ci-<strong>de</strong>ssus (P2), cela suppose presque d’avoir mené une réflexion aux<br />
sujet <strong>de</strong> ses valeurs, <strong>dans</strong> la mesure où il y a <strong>de</strong>s répercussions <strong>dans</strong> l’agir du<br />
professionnel : « le fait <strong>de</strong> se connaître soi-même, c’est aussi connaître ses<br />
valeurs à mon avis, et puis c’est <strong>de</strong> pouvoir l’i<strong>de</strong>ntifier comme <strong>dans</strong> notre<br />
activité professionnelle, ce qu’on fait, ce que l’on doit dire parfois, ce que l’on<br />
doit réfléchir aussi, comment on doit réfléchir, ça nous permet <strong>de</strong> dire,… voilà,<br />
ce n’est pas en adéquation avec moi -même… (P8)». Une étudiante remarque,<br />
perplexe, que finalement « c’est bête mais on se connaît pas vraiment. On sait<br />
pas jusqu’où on peut aller, jusqu’où on peut supporter <strong>les</strong> choses. Pis <strong>de</strong>s fois<br />
où l’on remarque que c’est trop, c’est déjà trop tard (E16) ».<br />
Un danger à ce manque <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi est sous-entendu ici. Il est<br />
certainement intimement lié également à la nature même <strong>de</strong> la profession soignante,<br />
<strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ne sauraient se penser <strong>dans</strong> un univers<br />
aseptisé <strong>de</strong> tout sentiment. Bien au contraire, c’est un domaine où la confrontation<br />
avec <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> la vie est quotidienne. On peut tenter d’imaginer un peu la<br />
320
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
difficulté <strong>de</strong>s étudiantes avec certains évènements en écoutant cette étudiante<br />
expliquer sa première rencontre avec un patient décédé : « Pis je suis rentrée<br />
(<strong>dans</strong> la chambre), sincèrement, mes jambes, el<strong>les</strong> ont lâché, mais je suis<br />
restée <strong>de</strong>bout hein, mais mes mains m’ont lâchée, j’ai commencé à avoir <strong>de</strong>s<br />
frissons et d’avoir mal au ventre… (E2) ». « C’est une profession qui remet<br />
beaucoup en question, <strong>de</strong> par la confrontation à la maladie, à la mort, <strong>de</strong> par<br />
ce qu’elle nous renvoie à notre fragilité, <strong>de</strong> voir ce qu’elle met en évi<strong>de</strong>nce :<br />
<strong>les</strong> comportements humains, la violence, etc… (T14) ». Cette confrontation<br />
interroge ce que nous sommes en tant qu’être humain, cette rencontre peut parfois<br />
être bénéfique : « j’ai beaucoup appris sur moi au travers du décès d’un<br />
patient… (P33) », mais néanmoins elle nous « rapproche à notre propre mort…<br />
pis ça nous met mal finalement (E2) », comme l’exprime ouvertement cette<br />
étudiante.<br />
La réalité <strong>de</strong> l’exercice infirmier apparaît d’autant plus délicate que <strong>les</strong><br />
infirmières semblent encore peu à l’écoute d’el<strong>les</strong>-mêmes, et donc <strong>de</strong> leurs propres<br />
valeurs, s’affichant comme « <strong>de</strong>s personnalités… qui ont tendance à, à négliger<br />
leur bien-être pour celui <strong>de</strong>s autres (E5) ». « On dit bien <strong>les</strong> cordonniers, <strong>les</strong><br />
plus mal chaussés… je l’observe aussi généralement sur moi en fait ! … c’est<br />
vrai qu’on prend pas forcément soin <strong>de</strong> nous (E2) ». Les soignantes parlent <strong>de</strong>s<br />
droits du patient, mais passent sous silence <strong>les</strong> leurs (T3), enfermées parfois <strong>dans</strong> une<br />
culpabilisation « à parler <strong>de</strong> leur propre souffrance (T3) » ou <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong><br />
culpabilité plus ou moins conscients « c’est mon problème la culpabilité. Je pense<br />
qu’il y a quelque chose qui a été construit <strong>de</strong>pui s 53 ans (T9) ». Ces<br />
phénomènes constituent autant d’entraves à un positionnement face à ses propres<br />
limites.<br />
La connaissance <strong>de</strong> soi apparaît alors, encore davantage, comme un pré-requis<br />
incontournable (T1), à la fois pour se protéger soi-même, mais également pour<br />
garantir un soin <strong>de</strong> qualité qui soit en accord avec son éthique personnelle, car « une<br />
infirmière en mauvaise santé, elle peut pas soigner quelqu’un, <strong>dans</strong> le sens<br />
qu’il faut que nous on soit bien <strong>dans</strong> notre corps, <strong>dans</strong> notre tête, <strong>dans</strong> notre<br />
esprit, pour pouvoir justement prendre soin <strong>de</strong> l’autre correctement… et puis<br />
321
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
du coup pour ça il faut quand même se soucier <strong>de</strong> soi… (E2) ». « Si le<br />
soignant est pas bien <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité, il pourra pas contribuer à offrir une<br />
relation d’ai<strong>de</strong> et accompagner efficacement auprès d’autrui… (T14) ».<br />
L’infirmière ne peut donc pas s’oublier elle-même (E11, E3), c’est sa responsabilité au<br />
sens lévinassien du terme qui lui impose <strong>de</strong> prendre soin d’elle, et une enseignante<br />
<strong>de</strong> citer Ricœur en précisant que « pour être avec l’autre, il faut d’abord être<br />
avec soi (T1)». La connaissance <strong>de</strong> soi est une étape nécessaire pour accompagner le<br />
patient en toute authenticité (T13) : « si on occulte…qui on est… on peut pas être<br />
authentique. (T1) ». Le risque est alors <strong>de</strong> s’emmurer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong><br />
défense inconscients qui nous conduiraient à « vouloir prouver quelque chose<br />
(T13) », à se réfugier <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s masques ou se distancer pour ne pas se mettre en<br />
danger (T14). Car <strong>les</strong> expériences antérieures <strong>de</strong> vie « vont influencer le rapport<br />
qu’on a à nous-mêmes <strong>dans</strong> le soin (E1) ». Le constat personnel d’une<br />
enseignante est sévère, lorsqu’elle exprime la conséquence <strong>de</strong> cette absence <strong>de</strong><br />
connaissance <strong>de</strong> soi : « je n’ai pas été une bonne infirmière globalement <strong>dans</strong> le<br />
sens où cette absence <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> mes valeurs m’a empêchée <strong>de</strong><br />
totalement exprimer <strong>dans</strong> mes actes ces valeurs -là (T14) ».<br />
La connaissance <strong>de</strong> soi a donc <strong>de</strong>s implications, simultanément sur l’exercice du<br />
soin et sur la qualité <strong>de</strong> la prise en charge, mais également sur le soignant et la<br />
manière dont il va s’investir <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> en fonction <strong>de</strong> ses limites : « …il faut<br />
bien se connaître pour savoir jusqu’où est -ce qu’on peut s’engager pis <strong>de</strong><br />
quelle manière est-ce qu’on s’engage (E5) ». L’expression <strong>de</strong> ses limites ne<br />
s’oriente pas uniquement vers la relation au patient, mais je dois pouvoir exprimer<br />
jusqu’où je suis d’accord d’aller <strong>dans</strong> « ma relation avec le patient, ma relation<br />
avec l’étudiant mais aussi par rapport… à tout ce qu’on attend <strong>de</strong> moi <strong>dans</strong><br />
une institution (T9) ». C’est cette prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s limites qui me permet <strong>de</strong><br />
soutenir une posture professionnelle et <strong>de</strong> l’argumenter (T11).<br />
La connaissance <strong>de</strong> soi a donc une visée double : d’une part elle se veut le<br />
moyen <strong>de</strong> mettre à jour <strong>les</strong> valeurs qui animent le professionnel, mais, par cette<br />
même quête introspective, elle permet <strong>de</strong> dévoiler le périmètre <strong>de</strong> développement <strong>de</strong><br />
ces valeurs, périmètre au-<strong>de</strong>là duquel le processus <strong>de</strong>vient négatif. Ainsi, la<br />
322
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
connaissance <strong>de</strong> soi permet <strong>de</strong> réaliser où sont nos limites, parce que « le risque <strong>de</strong><br />
dépasser un certain seuil, il est peut -être plus important si on se connaît pas<br />
et si on ne sait pas placer <strong>de</strong>s limites (E5) ». On parvient à un seuil à partir<br />
duquel il sera difficile <strong>de</strong> faire marche arrière (E3). Le fait est qu’on ne peut pas<br />
séparer l’individu et le professionnel et « te connaissant mieux en tant<br />
qu’individu, tu peux poser tes propres limites... (T14) » et ainsi éviter <strong>les</strong><br />
conséquences d’un engagement inconsidéré, tel l’épuisement qui souvent en résulte.<br />
Un professionnel explique en effet que, en arrivant à bien connaître ses limites au<br />
niveau professionnel, il arrive à prendre <strong>de</strong> la distance, et du recul <strong>dans</strong> son travail,<br />
et à mettre <strong>les</strong> soucis professionnels <strong>de</strong> côté lorsqu’il est en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’institution<br />
(P8). La prise <strong>de</strong> distance est une protection fondamentale (E4) pour pouvoir<br />
«… fonctionner correctement (car) si on se protège pas, à moment donné c’est<br />
plus possible, on craque… (P5) ». « Le fait <strong>de</strong> le savoir, ça ai<strong>de</strong>, je pense à<br />
rester professionnel… (E17) », « …dire ben ça c’est mes valeurs donc jusque-<br />
là je peux accepter un certain nombre <strong>de</strong> choses, mais au -<strong>de</strong>là, je dois me<br />
positionner et dire stop, pour pas m’épuiser. C’est <strong>dans</strong> ce sens-là que je<br />
pense ce travail d’introspection est important, quoi (E17) ». Et plusieurs<br />
étudiants soulignent le bien-fondé <strong>de</strong> cette démarche <strong>de</strong> « regard sur soi-même »,<br />
non pas <strong>dans</strong> un élan narcissique, mais <strong>dans</strong> une volonté <strong>de</strong> connaître mieux ses<br />
limites (E18, E17, E2).<br />
D’ailleurs, une personne explique que c’est finalement le fait d’avoir passé sous<br />
silence ses motivations profon<strong>de</strong>s, et d’avoir continué à fonctionner selon ce qu’on<br />
attendait d’elle qui l’a conduite au burnout. C’est une psychothérapie qui l’a aidée à<br />
entrer <strong>dans</strong> cette introspection et à se découvrir réellement, un moyen qui permet <strong>de</strong><br />
« travailler sur soi-même, d’être conscient aussi <strong>de</strong> ses valeurs (T14) » . Les<br />
épreuves <strong>de</strong> vie ne constituent alors plus un obstacle, mais « on se sert <strong>de</strong> cette<br />
fragilité, <strong>de</strong> ses doutes et là à mon sens, on est plus fort, mieux armé mais au<br />
sens positif du terme pour faire face aux situations <strong>de</strong> détresse, d’angoisse et<br />
<strong>de</strong> fin <strong>de</strong> vie… (T14) ». Même déjà en proie au burnout, une personne explique<br />
que la connaissance <strong>de</strong> soi est essentielle pour ai<strong>de</strong>r à « se reconstruire » puisque, par<br />
cette démarche, il est possible <strong>de</strong> comprendre <strong>les</strong> raisons qui ont amené à cet état et<br />
323
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
« le processus <strong>de</strong> reconstruction implique que tu puisses comprendre pourquoi<br />
tu en es là… afin <strong>de</strong> ne pas retomber… <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mêmes cheminements…<br />
(T14) ».<br />
Par ailleurs, il faut aussi reconnaître que, sans cette introspection, « <strong>les</strong> choix<br />
ne sont pas libres en fin <strong>de</strong> compte, ils sont influencés mais peu raisonnés<br />
(T13) ». Ainsi, une enseignante explique que le fait d’avoir compris, bien <strong>de</strong>s années<br />
plus tard, qu’elle avait choisi ce métier pour régler <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> maladie<br />
douloureuses <strong>dans</strong> son entourage lorsqu’elle était enfant, lui a permis <strong>de</strong> comprendre<br />
pourquoi elle était mal à l’aise avec certains aspects <strong>de</strong> la profession, et <strong>de</strong> s’orienter,<br />
par conséquent, <strong>dans</strong> une direction qui correspon<strong>de</strong> réellement à ses valeurs et à ses<br />
convictions (T13). Si donc la connaissance <strong>de</strong> soi permet <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix raisonnés,<br />
elle permet également <strong>de</strong> favoriser un engagement réfléchi. « … C’est une sacrée<br />
remise en question (T9) » qui favorise un engagement sur le long terme (T15),<br />
puisque fondée non pas sur un élan passionnel, mais sur une réflexion sous-tendue<br />
par un raisonnement constructif. « On s’engage pas moins quand on introduit<br />
une dose <strong>de</strong> raison <strong>dans</strong> ses choix, on s’engage tout autant, on va simplement<br />
être plus clairvoyant par rapport au chemin qui nous attend et aux obstac<strong>les</strong><br />
qui sont sur ce chemin, ça veut pas dire qu’on donnera moins <strong>de</strong> soi mais ça<br />
veut dire, au contraire, je crois, qu’on est plus engagé quand on est conscient<br />
<strong>de</strong> ce que pour quoi on fait <strong>les</strong> choses (T14) ».<br />
Cette réflexion n’est pas donnée a priori. C’est un cheminement délicat, <strong>dans</strong> la<br />
mesure où elle implique l’entier <strong>de</strong> la personne et « touche pas mal à la sphère<br />
personnelle (E1) ». Le processus peut être dérangeant (T9), voire déstabilisant (T15),<br />
et il est à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il n’exige pas une certaine maturité (T14). Mais l’enjeu <strong>de</strong><br />
cette démarche mérite que l’on réfléchisse aux moyens <strong>de</strong> la mettre en œuvre.<br />
En effet, quelques étudiantes (5 sur <strong>les</strong> 22) expliquent avoir développé <strong>de</strong>s<br />
ressources externes. Certains parviennent à se préserver en s’adonnant à différentes<br />
activités : musique, sport (E22), sorties, cinéma, lectures, enrichissement intellectuel<br />
(E5). Une attention particulière est dévolue à la sphère sociale, plusieurs étudiantes<br />
expliquant l’impact primordial <strong>de</strong> leurs proches qui jouent un rôle <strong>de</strong> miroir et <strong>les</strong><br />
324
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
mettent en gar<strong>de</strong> lorsqu’ils perçoivent un « trop plein » chez el<strong>les</strong>. Néanmoins<br />
beaucoup s’investissent aussi <strong>dans</strong> le travail au détriment <strong>de</strong> leur vie privée, et c’est<br />
là que la réflexion sur soi <strong>de</strong>vient essentielle : « <strong>dans</strong> mon <strong>de</strong>rnier stage j’ai fait<br />
beaucoup d’heures supplémentaires donc… j’étais vidée et puis après je ne<br />
ressortais pas plus loin… mais ça va, je suis toute seule, j’ai pas <strong>de</strong> vie <strong>de</strong><br />
famille, j’ai pas d’enfants… ça doit être difficile <strong>de</strong> faire <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux (E26) ». Face<br />
à cette crainte déjà présente alors même que <strong>les</strong> étudiantes bénéficient d’un statut<br />
privilégié, l’école a donc un rôle essentiel à jouer. Il s’agit d’ai<strong>de</strong>r cette personne en<br />
formation à prendre soin d’elle, <strong>dans</strong> le sens platonicien du terme, c’est-à-dire<br />
apprendre à se connaître, à conscientiser ses valeurs et ses limites, pour pouvoir <strong>les</strong><br />
respecter (P8). La formation doit rendre possible la mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’influence<br />
<strong>de</strong> vécus antérieurs : « ça peut déjà ai<strong>de</strong>r l’étudiant à mettre le doigt <strong>de</strong>ssus<br />
(T9) » et permettre <strong>de</strong> travailler <strong>de</strong>ssus.<br />
Bien entendu, le rôle <strong>de</strong> formateur a <strong>de</strong>s limites qui ne sauraient être mises <strong>de</strong><br />
côté. Il ne peut ni ne doit, en aucun cas, prendre un rôle <strong>de</strong> thérapeute. Néanmoins,<br />
avec la réflexion sur <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt certains ressentis, certaines conceptions,<br />
ce sont <strong>de</strong>s graines qui sont semées et « ça va vraiment germer avec <strong>les</strong> situations<br />
auxquel<strong>les</strong> ils vont être confrontés (T13)» et, s’il le faut, cela permettra aussi<br />
d’orienter une étudiante vers un spécialiste à même <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> ses difficultés<br />
psychologiques. Dans le cadre <strong>de</strong> l’école, l’important est d’être à même <strong>de</strong> déceler<br />
<strong>de</strong>s problématiques rapi<strong>de</strong>ment, s’il y a lieu, ou en tout cas <strong>de</strong> contribuer à faire<br />
découvrir la bonne clé, celle qui permet « d’apprendre à penser, d’apprendre à se<br />
connaître et qui permet aussi <strong>de</strong> connaître l’autre puis <strong>de</strong> mieux le<br />
comprendre…(T14) ». On peut faire un bout <strong>de</strong> chemin ensemble durant la<br />
formation, mais comme il s’agit d’un phénomène complexe, il est nécessaire <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />
accompagner <strong>dans</strong> le processus dès le début <strong>de</strong> la formation et pendant <strong>les</strong> trois ans.<br />
Ainsi, « une gran<strong>de</strong> partie d’entre eux auraient déjà senti le droit et<br />
l’ouverture à peut-être poser leurs inquiétu<strong>de</strong>s, à poser leurs propres limites,<br />
et voilà, et puis ceci sans un regard jugeant en termes <strong>de</strong> performances<br />
(T14) ». Il faut être en effet vigilant et veiller à ce que cet accompagnement<br />
pédagogique, déjà plébiscité précé<strong>de</strong>mment par <strong>les</strong> étudiantes, ne s’inscrive pas <strong>dans</strong><br />
325
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
un registre évaluatif afin qu’une véritable base <strong>de</strong> confiance puisse s’instaurer entre<br />
l’étudiante et son « tuteur » (T14). Le cheminement sur soi, processus personnel<br />
pouvant être déstabilisant, il convient <strong>de</strong> prendre le temps nécessaire, sachant que<br />
chaque individu fonctionne différemment (T14). Par ailleurs, cet accompagnement ne<br />
s’improvise pas, mais implique « un champ <strong>de</strong> connaissances beaucoup,<br />
beaucoup plus large qu’une simple volonté <strong>de</strong> se tenir la main sur le chemin<br />
(T15) ». L’enseignant est fortement sollicité.<br />
L’analyse réflexive peut parfois constituer un moyen pédagogique intéressant,<br />
pour autant qu’elle ne soit pas uniquement orientée vers le vécu du patient (T9) mais<br />
aussi vers l’étudiante, en partant d’une situation qu’elle a « vécue en stage et<br />
expliquer quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> valeurs qui ont été mises en cause, qui ont posé<br />
dilemme… (T11) ». Dans une école où cette pratique est instaurée, en petits<br />
groupes, avec le même tuteur durant <strong>les</strong> trois années <strong>de</strong> formation, <strong>les</strong> étudiantes<br />
soulignent l’intérêt <strong>de</strong> ces échanges qui permettent aussi <strong>de</strong> « <strong>de</strong>briefer » (E2) après<br />
avoir vécu <strong>de</strong>s situations diffici<strong>les</strong>, par exemple en stage et à <strong>les</strong> retravailler pour en<br />
tirer <strong>de</strong>s leçons et savoir mieux réagir la fois suivante. « C’est (<strong>les</strong> échanges avec le<br />
tuteur) la première chose qui nous fait conscientiser (E3) ». Cela ai<strong>de</strong> aussi à verbaliser ses<br />
propres limites en fonction <strong>de</strong> ses valeurs, comme l’explique une praticienne à<br />
propos <strong>de</strong>s étudiants : «… qu’ils réfléchissent sur leurs valeurs parce que pour<br />
beaucoup ils savent ce qu’ils ont envie ou pas mais ils ne peuvent pas mettre<br />
<strong>de</strong> mots <strong>de</strong>ssus (P6) ».<br />
Cette pratique instaurée peut éviter que <strong>les</strong> apprentissages <strong>de</strong>s étudiantes ne se<br />
fassent par l’erreur, comme cette jeune femme qui explique que, si elle arrive<br />
aujourd’hui à placer <strong>de</strong>s limites, c’est parce qu’elle s’était retrouvée souvent chez elle,<br />
le soir, effondrée, et cela l’a amenée à se poser <strong>de</strong>s questions pour finalement<br />
parvenir à la capacité <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong>s freins à <strong>de</strong>s situations trop prenantes (E15). Mais<br />
tous ne sont pas à même <strong>de</strong> faire cette démarche en solitaire et parfois « il y a<br />
quelque chose qui est brisé et qui ne se refait plus (E15) ».<br />
Un enseignant résume en un mot l’importance qu’il donne à l’accompagnement<br />
<strong>de</strong>s étudiantes <strong>dans</strong> ce processus <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi : ce mot c’est l’engagement.<br />
326
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Il considère son propre engagement <strong>dans</strong> ce sens, envers <strong>les</strong> personnes en formation,<br />
comme capital (T15), et certaines étudiantes <strong>de</strong> confirmer cet avis en expliquant, pour<br />
l’un d’eux, que <strong>de</strong>ux enseignants ont joué un rôle majeur durant la formation : « ils<br />
m’ont aidé à me sentir bien <strong>dans</strong> ma fonction d’infirmier… étant bien <strong>dans</strong><br />
ma profession, je suis bien <strong>dans</strong> l’ensemble <strong>de</strong> qui je suis… (P8) ». On touche<br />
ici à la notion d’i<strong>de</strong>ntité, mesurant l’impact que la connaissance <strong>de</strong> soi et l’adéquation<br />
avec ses valeurs peuvent avoir sur l’i<strong>de</strong>ntité même d’une personne. Cette citation est<br />
certes un peu surprenante, puisqu’elle réduit l’i<strong>de</strong>ntité à sa composante<br />
professionnelle. Elle témoigne cependant aussi <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> l’activité<br />
professionnelle sur l’i<strong>de</strong>ntité non seulement professionnelle, mais également<br />
personnelle.<br />
19.2.4 Valeurs comme fon<strong>de</strong>ments et moteur <strong>de</strong> l’engagement<br />
Les valeurs sont réellement fondatrices <strong>de</strong> ce qui anime la personne et<br />
« l’engagement repose sur ce système <strong>de</strong> valeurs (E4) » puisque, pour être<br />
engagé, il est nécessaire d’être nourri <strong>de</strong> convictions, <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> donnent vie à nos<br />
motivations (E1). Les valeurs, aussi bien personnel<strong>les</strong> que professionnel<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> la<br />
mesure où nous sommes une seule et même personne (P9), sont le terreau sur lequel<br />
vont germer <strong>les</strong> motivations avant <strong>de</strong> voir grandir un engagement : « si on s’engage<br />
quelque part, c’est parce qu’on a envie <strong>de</strong> s’e ngager… par rapport à <strong>de</strong>s<br />
valeurs (E12) ». Or, parce que l’engagement ne peut se dissocier <strong>de</strong> ce terreau<br />
premier, il n’est pas possible <strong>de</strong> parler d’engagement sans une dimension éthique<br />
(E17). Et renier ses valeurs, c’est nier son éthique <strong>dans</strong> un combat douloureux. On<br />
pourrait citer cette enseignante qui reconnaît : « je souffre aussi chaque fois que je<br />
pourrais faire ceci mais qu’on me pousse à ne pas le faire… je prends sur moi,<br />
mais ça va un moment… (T12) », ou encore cette praticienne qui abon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> une<br />
direction similaire : «… j’étais gestionnaire d’équipe… moyennement en accord<br />
avec la hiérarchie. Et puis j’entends, la somme <strong>de</strong> travail était telle que...<br />
J’entends, c’était, c’était juste impossible. Et puis moi, évi<strong>de</strong>mment ben, j’ai<br />
voulu quand même essayer <strong>de</strong> le faire, avec mon tempérament et je me suis<br />
327
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
cassé <strong>les</strong> <strong>de</strong>nts, et le reste… (P9) ». Par ailleurs, lorsqu’il n’est pas source d’une<br />
souffrance personnelle, le défaut d’engagement peut comporter <strong>de</strong>s risques envers le<br />
patient : « le non-engagement entraîne bien souvent <strong>de</strong>s négligences ou <strong>de</strong>s<br />
omissions qui sont dommageab<strong>les</strong>… (E1) ».<br />
Alors qu’en revanche, un engagement conforme aux valeurs <strong>de</strong> l’individu<br />
conduit celui-ci à une stimulation <strong>de</strong> ses motivations (E12), à éprouver <strong>de</strong> la<br />
satisfaction (E18) et « à être en paix avec soi-même (P7) ». Cette absence <strong>de</strong> paix<br />
intérieure est d’ailleurs nommée comme raison majeure <strong>de</strong> l’abandon <strong>de</strong> la<br />
profession par une praticienne (P11), convaincue que cette paix intérieure constitue<br />
un élément indispensable à l’équilibre du soignant.<br />
Pourtant, l’harmonie, preuve d’une adéquation avec <strong>les</strong> valeurs, n’est pas<br />
toujours présente et nombreux sont <strong>les</strong> éléments qui peuvent amener <strong>de</strong>s tensions<br />
<strong>dans</strong> cet engagement motivé. En effet, <strong>dans</strong> un premier temps, <strong>les</strong> valeurs du<br />
soignant peuvent se heurter aux valeurs du patient. Il peut y avoir une discrépance<br />
fondamentale entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux : « ce que nous on veut, … c’est peut-être pas du<br />
tout ce que la personne veut (E3)». Dans ce cas « il faut trouver l’équilibre<br />
entre le choix du patient, entre l’idéal et toujours informer le patient….<br />
(E18) ». Que dire par exemple <strong>de</strong>s patients qui refusent <strong>de</strong>s traitements et dont on<br />
doit respecter le choix, tout en sachant que ce refus <strong>les</strong> conduira à <strong>de</strong>s souffrances,<br />
voire à une mort rapi<strong>de</strong> ? Comment le soignant peut-il être en paix lorsqu’il doit<br />
accepter la décision <strong>de</strong>s parents <strong>de</strong> refuser une transfusion sanguine chez leur enfant<br />
pour <strong>de</strong>s questions idéologiques, connaissant l’issue fatale <strong>de</strong> ce refus ? Autant <strong>de</strong><br />
situations, souvent heureusement moins dramatiques, mais tout aussi diffici<strong>les</strong> à<br />
assumer sur la durée, parce qu’en opposition avec nos valeurs profon<strong>de</strong>s.<br />
Par ailleurs, la profession soignante se veut, par essence, une profession qui se<br />
vit en équipe et c’est une belle motivation que <strong>de</strong> s’engager avec un but commun,<br />
« qu’on va définir ensemble (T4)». Mais, au sein <strong>de</strong> l’équipe, se côtoient <strong>de</strong>s<br />
individus différents et, là encore, peuvent émerger <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeurs importants<br />
qui vont alors constituer une entrave à l’engagement. Des conflits peuvent voir le<br />
jour entre <strong>les</strong> générations. Les jeunes soignants, qui peuvent paraître moins engagés,<br />
s’engagent peut-être avec <strong>de</strong>s valeurs et priorités différentes, émanant d’un contexte<br />
328
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>de</strong> vie et sociétal qui a fortement évolué lui aussi (T12). Plus délicate encore est la<br />
confrontation avec la question <strong>de</strong> l’honnêteté <strong>de</strong>s collègues, c’est-à-dire entre <strong>les</strong><br />
valeurs qu’ils affichent oralement et leur incarnation ou non <strong>dans</strong> la pratique (T13).<br />
Enfin, le conflit sans doute le plus fréquent et le plus problématique qui habite<br />
le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, comme d’ailleurs <strong>de</strong> nombreux milieux professionnels, reste le<br />
conflit lié à l’exercice même <strong>de</strong> la profession <strong>dans</strong> son contexte. Nous reviendrons<br />
largement sur ce point <strong>dans</strong> notre analyse ultérieure, mais nous pouvons déjà<br />
nommer l’organisation du travail comme un lieu <strong>de</strong> souffrance particulièrement aigu<br />
chez <strong>les</strong> soignants qui ont, <strong>de</strong> plus en plus, l’impression d’être quasiment confinés à<br />
une posture <strong>de</strong> fonctionnement, régulée, voire taylorisée, pour être le plus efficients<br />
possible, au détriment d’une individualisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et <strong>de</strong> la relation au patient,<br />
ce qui pourtant, comme nous l’avons vu, constitue incontestablement la valeur<br />
prioritaire pour une gran<strong>de</strong> partie d’entre eux (E22). Une professionnelle s’insurge :<br />
« on est quand même que <strong>de</strong>s êtres humains, il faut arrêter. Le système, il<br />
veut nous faire aller comme <strong>de</strong>s robots et on est quand même toujours tous,<br />
que <strong>de</strong>s êtres humains autant <strong>les</strong> patients que <strong>les</strong> soignants, hein ? Pas <strong>les</strong><br />
dirigeants visiblement, mais bon tant pis (P10) ».<br />
Pour contrevenir à cette problématique, certains professionnels n’hésitent pas à<br />
nous avouer qu’ils sont appelés à frau<strong>de</strong>r, au sens où l’entend Dejours (2008)<br />
lorsqu’il évoque la souffrance au travail : « je frau<strong>de</strong> un peu pour être un peu<br />
plus en cohérence avec ce que je veux (T13) ». Mais quelle est alors l’adéquation<br />
avec leur éthique personnelle et professionnelle ?<br />
Les conséquences sont lour<strong>de</strong>s pour ceux qui vivent cette lutte intérieure sur le<br />
long terme. Certains nomment plutôt une souffrance personnelle, du regret et une<br />
déception <strong>de</strong> ne pas « faire du bon boulot (E2)», <strong>de</strong> faire le minimum, ce qui, sur<br />
la durée, génère la frustration et l’épuisement (E13). Mais d’autres évoquent <strong>les</strong><br />
risques <strong>de</strong> maltraitance et d’agression que ce conflit intérieur peut faire germer (E13),<br />
lorsque l’on met trop longtemps le couvercle sur la marmite <strong>de</strong> ses valeurs et que la<br />
pression monte : « si on est en lutte perpétuelle… il y a un moment où ça finit<br />
par craquer (P1) ». Et un praticien nous parle <strong>de</strong> soignants qui étaient <strong>de</strong> très bons<br />
professionnels, à la fois sur le plan technique mais également sur le plan relationnel,<br />
329
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
et qui « ont perdu pied (P7) », parce qu’ils n’ont pas réussi à tenir cette pression<br />
allant à l’encontre <strong>de</strong> leurs valeurs (P10). Sur ce point, <strong>les</strong> professionnels sont<br />
d’accord, un engagement qui n’est pas porté par <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> l’individu n’est pas<br />
viable sur le long terme : « c’est un engagement qui va s’arrêter à un moment<br />
donné, qui va avoir ses limites, qui n’est pas authentique, qui n’est pas<br />
sincère (P2)».<br />
L’impossibilité <strong>de</strong> respecter ses valeurs constitue un frein majeur à<br />
l’engagement (E15) et à la dimension éthique <strong>de</strong> celui-ci, exprimée <strong>dans</strong> la relation<br />
soignant/patient. Ce faisant, c’est à l’i<strong>de</strong>ntité infirmière elle-même qu’un coup est<br />
porté (E15), puisque le soignant aura soit tendance à abandonner sa profession (P11),<br />
ou ne sera pas en mesure <strong>de</strong> faire son travail <strong>dans</strong> <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’art (E19).<br />
Face à cette problématique, un enseignant nous invite à songer à l’importance<br />
<strong>de</strong> la dimension cognitive <strong>dans</strong> l’engagement, expliquant que ce <strong>de</strong>rnier peut se<br />
construire et que, pour ce faire, il nécessite un engagement « scientifique au sens,<br />
au sens <strong>de</strong> la construction, <strong>de</strong> la conceptualisation <strong>de</strong> l’accompagnement<br />
(T15)», porté néanmoins par une éthique bien réfléchie.<br />
D’où l’importance d’un accompagnement ciblé <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s formateurs, <strong>dans</strong><br />
cette optique, durant <strong>les</strong> trois années <strong>de</strong> formation. Et cet accompagnement, appuyé<br />
sur <strong>les</strong> connaissances scientifiques et empiriques, doit permettre à l’étudiante<br />
d’acquérir une aisance <strong>dans</strong> son positionnement éthique, afin qu’il soit à même<br />
d’offrir <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>de</strong> qualité, <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> éthiques (E22). Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s<br />
accompagnateurs, il s’agit d’un enseignement <strong>de</strong> haut niveau, nécessitant <strong>de</strong>s<br />
connaissances très vastes et qui ne doit pas se confondre, comme parfois, avec une<br />
simple discussion du type « café du commerce (T3) ».<br />
19.3 L’engagement et ses corollaires<br />
Dans ce point consacré quasi exclusivement à la notion <strong>de</strong> l’engagement et à ses<br />
concepts proches, nous avions choisi <strong>de</strong> distinguer <strong>les</strong> définitions précises <strong>de</strong><br />
l’engagement proposées par <strong>les</strong> différentes personnes interrogées, <strong>de</strong>s<br />
caractéristiques que ces <strong>de</strong>rnières reconnaissaient à cette même notion. Toutefois,<br />
330
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
lors <strong>de</strong> l’analyse, il nous a paru judicieux <strong>de</strong> regrouper ces <strong>de</strong>ux catégories en une<br />
seule, étant donné la similitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s réponses, ainsi que leur caractère<br />
complémentaire.<br />
Lorsqu’on analyse <strong>les</strong> définitions et caractéristiques que <strong>les</strong> personnes ont<br />
données concernant l’engagement, on ne peut manquer d’être frappée par l’éventail<br />
<strong>de</strong> termes relevant du registre psychologique et se référant à <strong>de</strong>s manifestations<br />
éprouvées par le sujet s’engageant. Ces termes se déclinent sur différentes intensités<br />
<strong>de</strong> ressentis qui peuvent aller du simple intérêt porté à la profession, à ce qui permet<br />
<strong>de</strong> se l’approprier (actualités, formations, nouveautés, recherches…), jusqu’au<br />
registre quasi passionnel, évoqué par chacune <strong>de</strong>s populations décrivant <strong>les</strong><br />
personnes engagées comme <strong>de</strong>s personnes passionnées (E19, P8, T14). Entre ces <strong>de</strong>ux<br />
pô<strong>les</strong> rivalisent une pléia<strong>de</strong> <strong>de</strong> nuances pour décrire <strong>les</strong> sentiments <strong>de</strong>s personnes<br />
engagées. En tête <strong>de</strong> liste, on trouve la motivation, citée 11 fois : « s’engager, ben<br />
c’est déjà être motivé (E3) » ou le fait d’avoir « envie <strong>de</strong> faire ce qu’on fait<br />
(E13) », « envie d’aller travailler le matin (E17) ». On notera que l’engagement<br />
s’inscrit <strong>dans</strong> une dimension <strong>de</strong> conviction, également mentionnée à plusieurs<br />
reprises, conviction orientée vers le choix professionnel, « … il faut être persuadé<br />
que c’est cette profession là qu’on veut…(T11) », ou centré sur une cause,<br />
« …pour moi l’engagement ça serait d’être pleinement convainc ue <strong>de</strong> la cause<br />
pour laquelle on avance quoi, <strong>dans</strong> le projet <strong>dans</strong> lequel on est, d’être<br />
vraiment convaincu…(E1) ». L’enthousiasme et l’énergie sous-ten<strong>de</strong>nt cette<br />
conviction (E4) qui s’exprime aussi par une notion <strong>de</strong> plaisir pour l’individu engagé.<br />
En effet, cette mobilisation d’énergie et cet « investissement payé <strong>de</strong> ma personne<br />
(T9) » ne restent pas vains chez le sujet engagé, mais il en retire une satisfaction<br />
évi<strong>de</strong>nte que certains nommeront épanouissement, notion citée à 6 reprises avec celle<br />
<strong>de</strong> bien-être et <strong>de</strong> paix, parfois en lien avec la conscience du travail bien fait (E7, P8),<br />
et qui implique l’être humain <strong>dans</strong> son entier puisque « l’épanouissement d’un<br />
point <strong>de</strong> vue professionnel… va entraîner un épanouissement d’un point <strong>de</strong><br />
vue personnel. (P6) ». Pour autant que l’engagement ne dépasse pas <strong>les</strong> limites<br />
331
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
personnel<strong>les</strong> (P9), certains diront même que « c’est associé au plaisir (E13) », sans<br />
doute parce que cela contribue à trouver du sens <strong>dans</strong> son travail (P5).<br />
19.3.1 Définitions et caractéristiques <strong>de</strong> l’engagement<br />
Le processus d’engagement a <strong>de</strong>s répercussions à différents niveaux <strong>de</strong><br />
l’activité <strong>de</strong> l’être humain. Une très gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s personnes interrogées, toutes<br />
catégories confondues, nomme l’aspect relationnel comme le lieu d’expression le<br />
plus évi<strong>de</strong>nt d’une dimension d’engagement. Nous ne compterons pas moins que 15<br />
références à cette composante relationnelle, dont nous nous souvenons qu’elle<br />
obtenait déjà une place prépondérante <strong>dans</strong> <strong>les</strong> motivations ayant prévalu au choix<br />
professionnel <strong>de</strong>s soignants. Très nombreux sont ceux en effet qui affirment que le<br />
professionnel engagé est celui dont l’attitu<strong>de</strong> ou la relation au patient est « très<br />
empathique… très chaleureuse, très donnante… (T9) », en étant <strong>dans</strong> un « côte-<br />
à-côte (T10) », avec lui, faisant preuve d’un respect très affirmé <strong>de</strong> la singularité et<br />
<strong>de</strong> la dignité <strong>de</strong> celui-ci (E1), cherchant à s’adapter à lui et à « regar<strong>de</strong>r ses be<strong>soins</strong><br />
(E22) », <strong>de</strong> manière empathique : « c’est aussi en fait savoir remanier aussi son<br />
emploi du temps par rapport à… aux soucis <strong>de</strong> la personne qui peut y avoir en<br />
face <strong>de</strong> vous en fait (E2) ». Il s’agit d’« une orientation vers le patient (E11) »<br />
qui a pour seul objectif l’amélioration <strong>de</strong> sa condition : « tout tendait au bien-être<br />
du patient (P2) », impliquant un engagement émotionnel et une gran<strong>de</strong><br />
disponibilité (T9). Une étudiante résume l’engagement infirmier comme étant<br />
finalement le fait <strong>de</strong> ne pas s’enfermer <strong>dans</strong> l’agir, mais aussi d’être et donc <strong>de</strong><br />
privilégier <strong>les</strong> rapports humains (E25).<br />
Cette attitu<strong>de</strong> empathique est qualifiée à au moins dix reprises <strong>de</strong> « don <strong>de</strong> soi »,<br />
suggérant le caractère intense et absolu <strong>de</strong> cette ouverture à l’autre, ou d’implication<br />
<strong>dans</strong> l’exercice infirmier : « l’engagement infirmier… c’est ce don <strong>de</strong> toute notre<br />
personne (E25) », avec <strong>de</strong>s répercussions aussi sur la personne qui s’investit :<br />
« c’est tout donner <strong>dans</strong> son métier, c’est un peu fort ce que je dis, c’est<br />
donner son énergie, c’est mettre à contribution tout ce que l’on a pour mettre<br />
<strong>dans</strong> son métier. Quand on va faire notre journée <strong>de</strong> travail, on ressort, on est<br />
332
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
vidé, c’est ça pour moi être engagée <strong>dans</strong> quelque chose (E26) ». C’est un don<br />
qui se fait sous forme d’investissement et <strong>de</strong> disponibilité temporelle (E 15, E 17).<br />
Pour certains, il est nécessaire <strong>de</strong> conserver <strong>de</strong>s limites à ce don <strong>de</strong> soi (E9),<br />
alors que, pour d’autres, il s’agit d’un don inconditionnel, illimité « je vais donner<br />
le plus que je peux donner… (T3) », tout simplement parce que « quand on<br />
s’engage, on fait don <strong>de</strong> sa personne (P3) ».<br />
Il s’agit d’un investissement intense qui ne reste pas sans effets. La relation au<br />
patient s’en voit considérablement influencée, comme nous l’avons vu. Mais c’est<br />
l’ensemble <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> la personne qui porte l’empreinte <strong>de</strong> son engagement. En<br />
effet, <strong>les</strong> nombreuses caractéristiques <strong>de</strong> l’engagement qualifient l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
l’individu <strong>dans</strong> son travail.<br />
Il est intéressant <strong>de</strong> noter qu’à plusieurs reprises il est question du « petit plus »<br />
pour caractériser l’individu engagé : « il y a <strong>les</strong> infirmières qui font leur travail<br />
au sens strict… et puis il y a cel<strong>les</strong> qui font un peu plus, qui vont vraiment<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations… (E22) ». Il s’agit d’une forme d’implication active<br />
particulière (E12, E15, T10) qui se traduit par une complétu<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la manière <strong>de</strong><br />
prendre en charge <strong>de</strong>s situations : « voir une situation globalement, pas juste un<br />
diagnostic (E19) ». Et on ne peut manquer d’être interpellée ici par le caractère<br />
absolu et exhaustif qui ressort <strong>de</strong>s affirmations suivantes : « faire à fond…<br />
connaître le tout… (P2) ». Une étudiante décrit <strong>de</strong>s professionnel<strong>les</strong> engagées en<br />
disant «qu’el<strong>les</strong> pensaient à tout, quoi ! El<strong>les</strong> pensaient à tout euh, à ce qu’on<br />
pouvait penser, à ce qu’on pouvait faire… (E19) », tandis qu’une enseignante<br />
explique que, pour elle, l’engagement « c’est faire quelque chose et le faire<br />
correctement du début à la fin sans amputer <strong>de</strong>s étapes, d’en faire une analyse<br />
complète… en suivi pédagogique, … c’est être à une écoute totale (T5) ». Sans<br />
doute existe-t-il chez certaines <strong>de</strong> ces personnes une recherche <strong>de</strong> la perfection assez<br />
marquée : «… je sais aussi que mon tort est <strong>de</strong> vouloir toujours faire au mieux ,<br />
pas seulement faire au bien (P10) », peut-être en héritage à une incitation à la<br />
perfection héritée <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong> son ancrage religieux (T1).<br />
333
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Vouloir réaliser un travail <strong>de</strong> qualité est sans doute une caractéristique<br />
essentielle du professionnel (P4), qui poursuit <strong>de</strong>s objectifs bien définis et s’en donne<br />
<strong>les</strong> moyens (E21) comme le révèle une professionnelle : « je vais m’engager pour<br />
atteindre ce but <strong>dans</strong> ce que je considère comme bien, en suivant <strong>les</strong> règ<strong>les</strong><br />
établies par la société. Je vais faire tout mon possible pour permettre à ce bien<br />
<strong>de</strong> se produire (P9) ». C’est un but dont le patient constitue la finalité (P7) et envers<br />
lequel l’engagement consiste aussi à « maintenir le cap » pour continuer <strong>dans</strong> cette<br />
voie que l’on a choisie (P10).<br />
La personne engagée se trouve donc portée par une dynamique <strong>de</strong> projet (E21),<br />
elle-même motivée par une volonté <strong>de</strong> perfection et une volonté d’améliorer le<br />
quotidien <strong>de</strong>s patients ainsi que le fonctionnement du service (E9). Par exemple, la<br />
personne engagée « relève tout ce qui pourrait être amélioré, essaie <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />
choses pour que ça s’améliore… (P11) ». Cette dynamique fait d’elle une<br />
« locomotive qui entraîne un peu <strong>dans</strong> son sillage le reste <strong>de</strong> l’équipe (E4) ».<br />
L’engagement n’est pas statique, « c’est l’envie d’aller, <strong>de</strong> faire avancer <strong>les</strong><br />
choses (E18) », conséquence positive pour autant qu’il ne soit pas utilisé par la<br />
gestion d’entreprise à <strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> productivité (P8).<br />
Dans une équipe, le comportement d’une personne engagée est clairement<br />
perceptible. La passion qui anime parfois certains soignants ne manque pas d’avoir<br />
<strong>de</strong>s répercussions sur son activité. Tout d’abord au temps que cette personne met à<br />
disposition <strong>de</strong> son activité professionnelle. Très souvent cité, cet indicateur n’est<br />
pourtant pas toujours considéré <strong>de</strong> manière positive, certains soulignant l’excès et<br />
l’absence <strong>de</strong> limites : « elle y passe sa vie (au travail)… je pense qu’il y a <strong>de</strong>s<br />
limites à l’engagement, mais elle, elle n’en a pas vraiment (E15) ». Cela<br />
comporte <strong>de</strong>s conséquences pour la personne elle-même (E17). Par exemple, « il y<br />
avait plus <strong>de</strong> limites, à tel point que cela <strong>de</strong>venait dangereux pour eux, pis<br />
même au niveau du travail. Parce qu’on peut pas, c’est pas possible d’y passer<br />
vingt heures sur vingt-quatre (P5) ». La réalisation d’heures supplémentaires<br />
semble être un trait caractéristique <strong>de</strong> l’engagement infirmier (E21, E25) : « <strong>les</strong><br />
heures supplémentaires, ils ne regardaient pas, ils faisaient, ils aimaient faire<br />
ce qu’ils avaient commencé… s’il y a quelqu’un <strong>de</strong> mala<strong>de</strong>, c’est eux qui<br />
334
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
reviendront, ils sont tout le temps disponib<strong>les</strong>, un peu trop (E26) ». Et, à<br />
plusieurs reprises, on pointe le danger du doigt quant au risque encouru avec un<br />
trop grand engagement, à savoir d’en subir <strong>de</strong>s conséquences importantes : « à un<br />
moment donné faut dire stop parce que vous allez y laisser votre santé et<br />
votre vie privée et tout… (T15)».<br />
Pourtant, bien géré, l’engagement a <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces très positives en termes<br />
d’efficacité <strong>dans</strong> le travail. Ce sont <strong>de</strong>s personnes assidues, sur qui on peut compter<br />
(E19, T15), qui sont très peu absentes (E19), régulières <strong>dans</strong> leur travail (T5), enclines<br />
à prendre <strong>de</strong>s responsabilités et à <strong>les</strong> assumer (E9) et qui s’investissent pour faire<br />
évoluer leur pratique. Ainsi, l’investissement cognitif caractérisé par la volonté<br />
d’acquisition <strong>de</strong> connaissances, l’intérêt pour la recherche scientifique du domaine,<br />
<strong>les</strong> formations continues diverses <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>… est évoqué à <strong>de</strong> nombreuses<br />
reprises (E5, E21, P3). La dynamique <strong>de</strong> projet et d’évolution <strong>dans</strong> laquelle se<br />
trouvent <strong>les</strong> personnes engagées, suscite chez el<strong>les</strong> une « envie d’apprendre<br />
(E19) », et « un appétit… avec le goût aussi <strong>de</strong> connaître, <strong>de</strong> découvrir (T1) ».<br />
Au niveau <strong>de</strong> la dynamique d’équipe, <strong>les</strong> soignants engagés sont appréciés, car<br />
ils savent rester positifs même si la charge <strong>de</strong> travail est très élevée (E1). Ils aiment<br />
généralement partager avec <strong>les</strong> autres (E13) et ils font preuve d’une gran<strong>de</strong><br />
serviabilité (E14, E22, E25) : « si tout d’un coup il faut rester une heure <strong>de</strong> plus<br />
parce que la personne va mal… ils restent sans problème… ils se dévouent<br />
vraiment (E25) ». Ils affichent leur solidarité concrètement en accordant leur ai<strong>de</strong> le<br />
moment venu (T3, P6). Néanmoins, cet engagement peut aussi être vécu <strong>de</strong> manière<br />
moins positive par <strong>les</strong> collègues. En effet, il peut se révéler quelque peu culpabilisant<br />
également pour l’équipe (P5) et, au niveau <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin, certains font<br />
remarquer qu’une relation qui ne respecte pas la distance due à l’exercice <strong>de</strong> la<br />
fonction, n’est plus une attitu<strong>de</strong> professionnelle : « … <strong>de</strong> l’hyper-engagement, ça<br />
j’en ai vu. Après c’était tout ce travail à faire pour rester en même temps<br />
cordiale et professionnelle (T5) ». Les compétences du professionnel peuvent être<br />
mises en jeu car un praticien explique que, chez ces infirmières, « leur esprit<br />
d’analyse va être perturbé et il y a <strong>de</strong>s sentiments qui prennent un pas<br />
important sur le professionnalisme et là, forcément, on va au cla sh parce que<br />
335
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>les</strong> gens réfléchissent avec leurs émotions (P4) ». Une telle perte <strong>de</strong> distance<br />
peut même conduire au maternage <strong>de</strong>s rési<strong>de</strong>nts, en particulier envers <strong>les</strong> enfants ou<br />
<strong>les</strong> personnes âgées (P4).<br />
Si nous nous concentrons à présent sur <strong>les</strong> caractéristiques <strong>de</strong> l’engagement et<br />
<strong>les</strong> dimensions qui l’entourent, nous remarquerons que <strong>les</strong> personnes interrogées,<br />
plus particulièrement <strong>les</strong> étudiantes, admettent le caractère complexe <strong>de</strong><br />
l’engagement en exprimant parfois une certaine difficulté à trouver <strong>de</strong>s définitions<br />
<strong>dans</strong> la mesure où « c’est quelque chose <strong>de</strong> très subtil… (E22) » et qui rend sa<br />
compréhension ardue. « L’engagement… ouais je sais pas trop… j’arrive pas à<br />
le définir en fait… (E7) ». C’est en lui-même que le terme trouve sa définition et<br />
« on a envie <strong>de</strong> mettre le mot s’engager <strong>dans</strong> la définition (E21) ».<br />
Il faut admettre qu’il existe très certainement plusieurs formes et plusieurs<br />
niveaux d’engagement, qui sont aussi fonction d’un certain nombre <strong>de</strong> facteurs.<br />
Ainsi le caractère répétitif et monotone du travail aura parfois une inci<strong>de</strong>nce sur<br />
celui-ci (E7, E1, T3).<br />
Si cette définition est délicate, peut-être est-ce dû au fait qu’un engagement<br />
réfléchi suppose une connaissance conscientisée <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses limites (T1), à moins<br />
qu’elle ne résulte du caractère déstabilisant d’une attitu<strong>de</strong> qui implique<br />
nécessairement une prise <strong>de</strong> risque. En effet, <strong>dans</strong> la mesure où, libre d’exercer notre<br />
pensée autonome, nous effectuons <strong>de</strong>s choix (T14), il s’ensuit une prise <strong>de</strong> risque (T15,<br />
P3).<br />
Or, parce que l’engagement est indissociable <strong>de</strong> la profession (E3) et qu’il<br />
occasionne cette prise <strong>de</strong> risque, le rôle <strong>de</strong> l’enseignant en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> est<br />
d’accompagner l’étudiante (T14), dont l’engagement est parfois déjà très intense, à<br />
encourir cette prise <strong>de</strong> risque d’une façon raisonnée. Sans la dimension <strong>de</strong> sens, « on<br />
serait <strong>dans</strong> une certaine fonctionnalité normée (T13) », mais, si « l’engagement,<br />
c’est la cohérence d’un projet avec <strong>de</strong>s valeurs… (T13) », il s’inscrit alors aussi <strong>dans</strong> cette<br />
perspective <strong>de</strong> sens et fait appel aux catégories <strong>de</strong> la raison pour le structurer et le<br />
« raisonner ».<br />
C’est là une mission importante :<br />
336
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
« …En tant que formateur… on a une responsabilité à faire en sorte que<br />
cette prise <strong>de</strong> risque ou cet engagement initial, on puisse ai<strong>de</strong>r<br />
l’étudiant à le raisonner, à le fortifier mais aussi l’inscrire <strong>dans</strong><br />
quelque chose qui pourra faire en sorte qu’il se rappelle que la flamme<br />
<strong>de</strong>viendra le feu, puis que le feu aura suffisamment <strong>de</strong> munitions pour<br />
éclairer longtemps (T14) ».<br />
Se risquer ici à une définition <strong>de</strong> l’engagement est une aventure épineuse car<br />
forcément marquée du sceau <strong>de</strong> l’incomplétu<strong>de</strong>, tant <strong>les</strong> indicateurs nommés sont<br />
nombreux et divers. Néanmoins, il nous semble intéressant <strong>de</strong> citer une enseignante<br />
définissant <strong>les</strong> personnes engagées tout simplement par le terme <strong>de</strong> « gens vivants »,<br />
portés par une « envie », qui même s’ils n’en ont pas conscience ne font rien d’autre<br />
que « <strong>de</strong> nourrir cette partie vivante (T1) » par leur engagement. Si cette phrase<br />
n’a pas le mérite <strong>de</strong> l’exhaustivité, elle a au moins le privilège d’être simple, bien<br />
imagée et <strong>de</strong> véhiculer tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s éléments essentiels retenus lors <strong>de</strong> l’analyse<br />
<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux catégories.<br />
À l’issue <strong>de</strong> l’analyse sur la définition <strong>de</strong> l’engagement, il convient <strong>de</strong> préciser<br />
que le désengagement, quant à lui, est perçu <strong>de</strong> manière très négative. Il s’agit, selon<br />
<strong>les</strong> personnes interrogées, <strong>de</strong> professionnels qui font le strict minimum <strong>dans</strong> le travail<br />
comme <strong>dans</strong> <strong>les</strong> horaires (E7, P8), qui râlent quand il y a quelque chose à faire (E16),<br />
qui se concentrent sur le « faire » (E22) et n’entrent pas <strong>dans</strong> la relation au patient<br />
(E13, E26) : « c’est à peine si elle leur adresse la parole (E19) », le respectent<br />
tellement peu que l’on y voit quasiment une dimension <strong>de</strong> viol : « c’est comme si…<br />
on s’approprie la partie du corps du patient… c’est hyper intrusif ! (E19) ».<br />
Ces personnes substituent le jugement <strong>de</strong> valeur à l’empathie (E25), ne cherchent pas<br />
à acquérir <strong>de</strong> connaissances ni à évoluer <strong>de</strong> quelque manière que ce soit (E26). À<br />
l’inverse <strong>de</strong>s professionnels engagés, ceux-ci ne peuvent pas être satisfaits ni heureux<br />
<strong>dans</strong> leur fonction, ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas appréciés <strong>de</strong>s autres<br />
collègues (P10). Il s’agit donc d’un portrait quasi antagoniste avec celui dressé<br />
337
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
précé<strong>de</strong>mment. La question serait donc à présent <strong>de</strong> savoir quel est l’entre-<strong>de</strong>ux qui<br />
permet un engagement constructif, épanouissant et sain à plus long terme.<br />
19.3.2 De la responsabilité<br />
D’emblée, le lien entre responsabilité et éthique est établi, l’éthique trouvant son<br />
expression <strong>dans</strong> la mise en œuvre ou non <strong>de</strong> cette responsabilité au cœur <strong>de</strong><br />
l’exercice professionnel du soignant (E9). C’est en effet en regard <strong>de</strong> cette<br />
responsabilité ressentie à l’égard du patient et <strong>de</strong> la tâche qui lui est confiée que<br />
l’engagement prend vie. Ce <strong>de</strong>rnier doit trouver sa raison d’être <strong>dans</strong> la<br />
responsabilité et non en rapport avec une position hiérarchique, par exemple (P9).<br />
Orientée vers <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, la responsabilité recèle <strong>de</strong>s trésors en son sein et joue un<br />
rôle <strong>de</strong> catalyseur qui libère tout un champ <strong>de</strong> compétences (T15).<br />
Toutefois d’autre propos viennent temporiser cet effet positif <strong>de</strong> la<br />
responsabilité. Les conditions <strong>de</strong> travail actuel<strong>les</strong>, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> pressions qui<br />
s’exercent sur <strong>les</strong> professionnels, conduisent ces <strong>de</strong>rniers à prendre toujours plus <strong>de</strong><br />
responsabilités, voire parfois <strong>de</strong>s décisions relevant du registre médical (E11). Or la<br />
finalité <strong>de</strong> cette prise <strong>de</strong> responsabilités qui pèse sur <strong>les</strong> épau<strong>les</strong> <strong>de</strong>s soignants (E22)<br />
se trouve être une personne humaine, ce qui engage considérablement <strong>les</strong><br />
professionnels : « je me rends compte du rôle qu’on a <strong>dans</strong> la vie d’un patient<br />
(E16) ».<br />
Et nous retrouvons ici, nommée à plusieurs reprises, la peur <strong>de</strong> l’erreur comme<br />
un leitmotiv exprimant <strong>les</strong> limites d’une responsabilité trop importante en regard <strong>de</strong>s<br />
ressources disponib<strong>les</strong> (P2). « L’erreur est vite arrivée et pis elle peut avoir <strong>de</strong>s<br />
conséquences dramatiques sur quelqu’un (E19) ». Les pressions subies par <strong>les</strong><br />
professionnels, que ce soit par une charge <strong>de</strong> travail accrue, par <strong>de</strong>s dotations en<br />
personnel réduites, par la complexification <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> ou encore par<br />
l’augmentation <strong>de</strong> la charge administrative, s’inscrivent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s responsabilités<br />
parfois excessives. Cel<strong>les</strong>-ci engendrent une réelle peur <strong>de</strong> l’erreur et, <strong>de</strong> ce fait,<br />
induisent <strong>de</strong>s comportements individualistes contraires à cette profession basée sur<br />
l’échange et l’entrai<strong>de</strong>, comme l’explique ce professionnel : «… chacun veut, quand<br />
il y a un souci, reporter la responsabilité sur l’autre… là on arrive sur un<br />
338
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
terrain dangereux où chacun vraiment tire la cor<strong>de</strong> vers soi. Et il n’y a pas<br />
cette dynamique <strong>de</strong> tirer ensemble sur la cor<strong>de</strong> (P2) ».<br />
Et ce constat amène même à considérer la responsabilité, non pas seulement<br />
comme s’exerçant vis-à-vis du patient pour garantir <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> gages <strong>de</strong> sécurité ou<br />
vis-à-vis <strong>de</strong> l’institution (P6), mais comme le lieu où <strong>les</strong> soignants doivent exercer<br />
leur pleine vigilance pour le développement <strong>de</strong> la profession elle-même. Et une<br />
enseignante d’affirmer que « on a aussi une grosse responsabilité actuellement<br />
si on ne veut pas que notre profession meure… (T1) ».<br />
C’est <strong>dans</strong> cette perspective que doit être envisagée la formation <strong>de</strong>s étudiants.<br />
Selon cette même enseignante, ils doivent être avertis que la profession connaît <strong>de</strong>s<br />
intempéries, <strong>de</strong>s tempêtes, mais que leur rôle est d’ai<strong>de</strong>r à redresser le navire : «… et<br />
là, je crois qu’on a une responsabilité à tou s <strong>les</strong> niveaux. Si je peux montrer<br />
ça aux étudiants, ils peuvent peut-être apprendre que c’est possible pour eux,<br />
futurs diplômés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> unités <strong>de</strong> travail (T1) ». Loin <strong>de</strong> nous inviter à peindre<br />
une réalité idéale ou à entretenir <strong>de</strong>s représentations utopiques. La responsabilité <strong>de</strong>s<br />
formateurs engage à tout mettre en œuvre pour ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiants à faire que « le<br />
Titanic se redresse (T1) »<br />
.<br />
19.3.3 La motivation comme source d’engagement<br />
Une <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> préparer <strong>les</strong> étudiants à tenir bon quand viendront <strong>les</strong><br />
intempéries, pourrait être <strong>de</strong> <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à construire une motivation puissante, puisque<br />
cette <strong>de</strong>rnière est perçue comme une force permettant justement <strong>de</strong> faire face : « Je<br />
pense que si cette motivation elle était pas là, je pense que j’aurais arrêté… (E13) » ou<br />
même comme une arme permettant d’assurer le combat (P11) que <strong>les</strong> soignants ont à<br />
mener pour défendre leur profession. Il apparaît essentiel d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiants à bâtir<br />
une motivation durable en tant qu’elle constitue un préalable indispensable à<br />
l’engagement. Bien entendu la motivation n’est pas uniquement présente lorsque<br />
surviennent <strong>les</strong> situations diffici<strong>les</strong>. Elle revêt ici une importance particulière <strong>dans</strong> la<br />
mesure où, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> expériences positives comme négatives, c’est elle qui est à la<br />
source <strong>de</strong> l’engagement.<br />
339
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Tout au long <strong>de</strong> l’analyse, nous avons été interpellée par la proximité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />
termes : motivation et engagement. L’un et l’autre sont très souvent utilisés <strong>de</strong><br />
manière relativement indifférenciée et nous nous sommes même surprise à intégrer<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux termes <strong>dans</strong> une même question : « Qu’est-ce qui vous a motivé à vous<br />
engager ?».<br />
Si ces <strong>de</strong>ux notions sont très proches, el<strong>les</strong> ne sont pas pour autant synonymes,<br />
comme nous avons pu le voir précé<strong>de</strong>mment. Bon nombre <strong>de</strong>s personnes interrogées,<br />
et tout particulièrement <strong>les</strong> étudiants (E2, E5, E9, E 11, E12), sont très au clair avec le<br />
fait que la motivation précè<strong>de</strong> l’engagement, en tant qu’elle est ce qui l’anime. Même<br />
si le lien n’est pas explicité formellement, il apparaît à travers le discours <strong>de</strong>s<br />
personnes qu’il est clairement établi, car «… si on est pas engagée, on paraît<br />
démotivée (E26) » et en revanche « … quand on est motivé et pis quand on fait<br />
quelque chose qui nous plait, ben l’engagement il est…, il est quand même<br />
plus grand (E5) ». La motivation représente le potentiel d’énergie libéré ensuite<br />
<strong>dans</strong> l’engagement (E12).<br />
Dans une profession où certains aspects peuvent être ressentis comme répétitifs<br />
et peu passionnants, la démotivation parvient parfois à gagner du terrain (E1, E9).<br />
Certains professionnels n’hésitent pas à reconnaître qu’ils ne peuvent envisager leur<br />
avenir que <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s unités <strong>de</strong> <strong>soins</strong> où la routine n’a pas sa place, comme <strong>les</strong><br />
urgences (E26) ou <strong>les</strong> ambulances. D’autres préfèrent enchaîner <strong>les</strong> formations et<br />
investir différents postes pour « s’occuper l’esprit et se gar<strong>de</strong>r en éveil (P11) ».<br />
Gar<strong>de</strong>r la motivation est essentiel car, si elle s’évapore, c’est l’engagement qui se<br />
dissipe avec elle, pour laisser place à un fonctionnement automatisé : « j’espère que<br />
je serai pas un robot quand même mais euh… c’est peut-être ce qui va venir<br />
(E26) ». La réduction à la tâche (T3) peut conduire à l’usure (E26), lorsque la finalité<br />
ultime n’est plus que d’assurer l’assouvissement <strong>de</strong> pures nécessités vita<strong>les</strong> : « il<br />
faut bien qu’on mange à la fin du mois. Il faut bien qu’on paie <strong>les</strong> factures<br />
(T5) » ! La motivation extrinsèque n’est alors plus suffisante pour faire face à la<br />
survenue <strong>de</strong> la routine et le désengagement guette (P3).<br />
Outre le facteur routine, cette démotivation est aussi souvent mise en lien avec<br />
l’absence croissante <strong>de</strong> liberté, en particulier pour exercer son rôle propre et pour<br />
340
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
nourrir la relation au patient (P4, P9, E26), ainsi qu’avec l’augmentation <strong>de</strong> la tâche<br />
administrative (P4).<br />
On ne saurait pour autant reléguer cette motivation à un rang anecdotique et<br />
secondaire, tant il est vrai qu’elle constitue une composante du bien-être du<br />
professionnel <strong>dans</strong> son travail. C’est elle en effet qui le pousse à aller <strong>de</strong> l’avant, à<br />
s’investir <strong>dans</strong> la relation au patient et <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, et qui finalement, lorsqu’elle<br />
trouve un écho favorable, lui procure une satisfaction particulière (E3), accompagnée<br />
d’une paix intérieure bienfaisante (T3).<br />
La source première <strong>de</strong> la motivation rési<strong>de</strong>, pour bon nombre d’infirmières,<br />
<strong>dans</strong> la relation au patient lui-même. Ainsi une infirmière affirme que si, au début, sa<br />
motivation était orientée vers <strong>les</strong> actes techniques, elle a <strong>de</strong>puis évolué vers la<br />
dimension humaine (E5), tandis qu’une autre explique qu’une clé pour parer à la<br />
routine est <strong>de</strong> considérer davantage la personne que le soin (E14) : « J’ai trouvé que<br />
justement <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r sur le patient, sur la personne, ben que c’était<br />
beaucoup plus, beaucoup plus enrichissant, beaucoup plus varié et pis du<br />
coup beaucoup plus intéressant aussi, quoi (E5) », « …si on arrive à mettre<br />
ces lunettes-là pour être attentifs à ces petits détails, à faire attention que<br />
chaque personne est unique… ça rend aussi le travail plus intéressant…<br />
(E22) ».<br />
On trouve ici <strong>de</strong>s remarques très similaires à cel<strong>les</strong> déjà relevées concernant la<br />
place du patient, « le souci <strong>de</strong> la situation… et la prise en considération <strong>de</strong> la<br />
personne <strong>dans</strong> ce qu’elle est vraiment (E22) », mais également <strong>de</strong>s remarques au<br />
sujet <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> la prise en charge (P3).<br />
Une infirmière à domicile explique qu’elle se considère comme privilégiée <strong>dans</strong><br />
son secteur, en raison <strong>de</strong> la possibilité qui lui est donnée <strong>de</strong> jouir d’une liberté<br />
certaine et <strong>de</strong> ne pas <strong>de</strong>voir se limiter à l’exécution du rôle prescrit. Cela permet <strong>de</strong><br />
conserver la pleine motivation, s’exprimant <strong>dans</strong> la créativité que stimule le rôle<br />
autonome <strong>de</strong> l’infirmière (P9) et qui est gage d’une réelle qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P8). Nous<br />
percevons ici le statut <strong>de</strong> la motivation qui, si elle constitue <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce une<br />
variable essentielle <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> l’engagement, n’en est pas moins aussi<br />
341
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
tributaire, <strong>dans</strong> une certaine mesure, <strong>de</strong>s conditions <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> l’engagement<br />
s’exerce.<br />
Dans <strong>les</strong> institutions hospitalières, la place <strong>de</strong> l’autonomie se voit <strong>de</strong> plus en<br />
plus réduite à une peau <strong>de</strong> chagrin sous le poids <strong>de</strong> la structure et <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong><br />
modalités d’organisation du travail (P3, P10) visant l’efficience. À la restriction <strong>de</strong>s<br />
ressources (T10) s’ajoute la souffrance exprimée à plusieurs reprises d’une absence <strong>de</strong><br />
reconnaissance du travail effectué. Que ce soit <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la formation où il<br />
semble parfois que l’enseignant soit victime « d’un engagement à vi<strong>de</strong> pour une<br />
institution » qui n’accor<strong>de</strong>ra finalement aucune reconnaissance (T3), ou encore <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> <strong>soins</strong> où l’absence <strong>de</strong> retour est parfois pire que le retour négatif et s’apparente à<br />
une indifférence annihilante : « ce système, il mène justement à ce que personne<br />
n’ait envie <strong>de</strong> s’investir. De toute façon tout le mon<strong>de</strong> s’en fout parce que ,<br />
qu’on s’investisse ou qu’on s’investisse pas, il y a pas <strong>de</strong> différence… il n’y a<br />
ni contrôle, ni valorisation, il a rien qui, soit qui vous encourage, ni<br />
reconnaissance, ni sanction, ni rien du tout qui vient vali<strong>de</strong>r <strong>les</strong> trucs<br />
<strong>de</strong>rrière… pour finir au bout du compte, je m’excuse, mais à quoi ça sert <strong>de</strong> se<br />
casser la tête, quoi (P10) ? »<br />
Pour que motivation il y ait, il y a donc nécessité d’un « retour sur<br />
investissement ». Or, si ce retour n’est pas accordé par l’institution (T3), que ce soit<br />
sous une forme <strong>de</strong> valorisation ou non (E22, P3), la personne se sent niée en tant que<br />
telle, et pourrait alors perdre toute motivation puisque celle-ci n’a plus ce point<br />
d’ancrage. Fort heureusement, la composante relationnelle <strong>de</strong>meure un pôle<br />
motivationnel extrêmement puissant, permettant <strong>de</strong> relativiser quelque peu <strong>les</strong><br />
contraintes imposées par le système. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que ce sont <strong>les</strong><br />
professionnels, <strong>les</strong> premiers touchés par ces difficultés structurel<strong>les</strong> et leurs impacts,<br />
et que c’est eux qui se sont exprimés sur ce point. Ainsi à l’absence <strong>de</strong> reconnaissance<br />
<strong>de</strong>s supérieurs se substitue la reconnaissance <strong>de</strong>s patients et <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins (P10), la<br />
satisfaction d’avoir pu soulager, apporter un moment <strong>de</strong> bien-être (P6) ou encore<br />
joué un rôle à un moment donné <strong>dans</strong> la vie <strong>de</strong> quelqu’un (T13). L’estime <strong>de</strong> soi qui<br />
découle <strong>de</strong> ces différents retours est un stimulateur important pour <strong>les</strong> soignants<br />
(E11, E19).<br />
342
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
On peut donc aisément percevoir l’importance <strong>de</strong>s relations interindividuel<strong>les</strong><br />
<strong>dans</strong> le soutien à la dynamique motivationnelle <strong>de</strong>s soignants (E1) : « … je pense<br />
qu’on se motive pas vraiment tout seul. On a besoin <strong>de</strong>s autres (T5) ». La<br />
motivation a comme particularité d’être contagieuse (E16, P6), sans doute aussi parce<br />
qu’elle est fondée sur <strong>de</strong>s valeurs partagées (P9). À notre question sur la présence <strong>de</strong><br />
personnes qui ont pu donner à l’étudiante l’envie <strong>de</strong> s’engager, celle-ci répond avec<br />
enthousiasme que ce sont <strong>de</strong>s « personnes qui sont vraiment au summum <strong>de</strong> la<br />
motivation… qui donnent envie, qui donnent vraiment, qui relèv ent cette<br />
envie en moi… (E3)». Ces relations entre professionnels sont portées par <strong>de</strong>s liens<br />
<strong>de</strong> confiance et <strong>de</strong> solidarité fondamentaux (T3), car ce sont eux qui sont porteurs <strong>de</strong><br />
sens. Or, sans le sens et la cohérence, la motivation est anéantie (P1). Une infirmière<br />
se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quelle sera sa profession <strong>dans</strong> quelques années étant donné la tournure<br />
administrative que celle-ci prend, ainsi que cette inadéquation avec son idéal<br />
professionnel. C’est toute la question du sens qui se pose ici (P7), puisque le sens et la<br />
motivation se trouvent <strong>dans</strong> l’harmonie avec <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la personne (P9, P7).<br />
Il est néanmoins un avantage indéniable à la motivation qu’il convient <strong>de</strong><br />
souligner, à savoir que celle-ci ne naît pas ex nihilo, « elle se construit (P5) ». Plus<br />
<strong>les</strong> étudiants sont novices et plus ils accor<strong>de</strong>nt d’importance à la pratique, estimant<br />
qu’elle représente le lieu où l’engagement se construit en majeure partie (E15). Mais,<br />
malgré une fracture qui reste encore à réduire (P8), la formation peut néanmoins<br />
jouer pleinement son rôle <strong>dans</strong> cette construction. S’il est parfois nécessaire <strong>de</strong><br />
motiver certains professionnels pour suivre <strong>de</strong>s formations, en revanche, parmi <strong>les</strong><br />
personnes interrogées, nombreuses sont cel<strong>les</strong> qui ont avancé l’aspect du<br />
développement <strong>de</strong>s connaissances comme un puissant dynamisant à l’égard <strong>de</strong> la<br />
motivation. En effet, la formation, qu’elle soit initiale ou postgra<strong>de</strong> (pour autant qu’il<br />
s’agisse d’une formation conséquente et non un alibi <strong>de</strong> quelques heures (P4) permet<br />
une prise <strong>de</strong> distance bienfaisante (E19), une remise en question (P10), la<br />
verbalisation (P4), le développement <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> compétences et l’intérêt à<br />
s’investir <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s innovations, <strong>de</strong>s projets, <strong>de</strong>s améliorations (P3) qui pourraient<br />
d’ailleurs être aussi intéressantes pour l’employeur (T12). Ainsi, même la plus<br />
343
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
ennuyeuse <strong>de</strong>s routines peut <strong>de</strong>venir motivante dès lors qu’elle est vue sous l’angle<br />
d’une amélioration possible, impliquant la créativité et la réflexion du sujet, et lui<br />
conférant, par là-même, une forme <strong>de</strong> valorisation (P3).<br />
Ici, à nouveau, on remarquera que ce sont avant tout <strong>les</strong> professionnels, sans<br />
doute <strong>les</strong> plus concernés, qui ont en gran<strong>de</strong> majorité exprimé le bien-fondé <strong>de</strong> la<br />
formation.<br />
Cette constatation confirme néanmoins tout l’enjeu <strong>de</strong> la formation déjà au<br />
niveau initial <strong>dans</strong> la promotion d’une motivation pérenne, à même <strong>de</strong> prévenir la<br />
routine. Il s’agit parfois <strong>de</strong> commencer par déconstruire <strong>de</strong> fausses représentations<br />
initiées par <strong>les</strong> médias, et plus particulièrement <strong>les</strong> séries télévisées qui véhiculent<br />
une image totalement faussée <strong>de</strong> la profession (E11). Par ailleurs, une enseignante<br />
voit <strong>dans</strong> cette mission <strong>de</strong> formation un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> première importance, assimilé à<br />
une honnêteté professionnelle : « … je crois que je le fais (motiver <strong>les</strong> étudiants).<br />
Et j’ai pas que envie. Et je pense que quand je le ferai plus, il sera tant que je<br />
m’arrête. Ce serait pas honnête, sinon. Et j’aime (T1) » !<br />
19.3.4 Le sens <strong>de</strong> l’engagement<br />
Le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, <strong>de</strong> par sa proximité avec la vulnérabilité <strong>de</strong> l’être humain<br />
et la rencontre quasi-quotidienne avec <strong>les</strong> frontières <strong>de</strong> la souffrance et <strong>de</strong> la<br />
déchéance, <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la mort, constitue un lieu <strong>dans</strong> lequel la question du sens<br />
ne peut être évincée. Toujours à nouveau, elle vient directement ou indirectement<br />
interpeller le soignant. Une enseignante explique à ses étudiants : « …quand vous<br />
travaillerez avec <strong>de</strong>s patients en oncologie, en psychiatrie ou etc… vous serez<br />
confrontés à cette question du sens ou du non -sens <strong>de</strong> l’existence et vous<br />
serez amenés à <strong>de</strong>voir abor<strong>de</strong>r ces questions -là (T10) ».<br />
Pour autant la question du sens n’est pas une question aisée et il importe <strong>de</strong><br />
s’arrêter un moment pour essayer <strong>de</strong> mieux la saisir, en particulier <strong>dans</strong> sa relation<br />
au concept d’engagement qui nous intéresse ici.<br />
Le sens apparaît comme une notion difficile à cerner, car souvent implicite.<br />
Nous avons pu le remarquer, lors <strong>de</strong> l’analyse, à la difficulté que nous avons eue <strong>de</strong><br />
344
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
mettre en évi<strong>de</strong>nce cette notion lorsqu’elle n’était pas explicitée clairement, mais<br />
aussi à la difficulté <strong>de</strong> la faire émerger <strong>de</strong> définitions différentes du terme « sens ». En<br />
particulier <strong>les</strong> différences entre <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> sens comme direction et sens comme<br />
signification ont dû être examinées <strong>de</strong> plus près afin <strong>de</strong> ne pas nous livrer à une<br />
interprétation hâtive et erronée.<br />
Peut-être est-ce la difficulté à appréhen<strong>de</strong>r la notion <strong>de</strong> sens, qui veut qu’elle ne<br />
soit que peu, voire pas abordée durant la formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, comme<br />
l’exprime avec regrets cette responsable <strong>de</strong> formation : « on est vraiment peu sur<br />
le sens, je pense qu’on travaille peu sur le sens, on travaille beaucoup <strong>de</strong><br />
concepts qui sont intégrés, mais c’est pas une accumulation <strong>de</strong> concepts qui<br />
construit du sens (T13) ».<br />
Lorsque l’on s’intéresse à l’engagement, une réflexion sur le sens semble<br />
incontournable, tout particulièrement si l’on note l’importance <strong>de</strong> ce terme <strong>dans</strong> la<br />
citation d’un praticien qui nous dit, à propos <strong>de</strong> cet engagement professionnel, qu’il<br />
faut « qu’il y ait un sens… qu’on puisse donner un sens et qu’on soit<br />
vraiment convaincu du sens qu’on donne (P11) ».<br />
Sans le sens, pas d’engagement (P5, E5), puisque « c’est plus le sens qu’on<br />
donne aux choses et pourquoi on a choisi <strong>de</strong> faire ce métier qui fait qu’o n est<br />
engagé (E11) ». Mais, sans le sens, l’engagement est aussi limité <strong>dans</strong> son envergure<br />
(P8) et <strong>dans</strong> sa durée (P5), voire selon certains, impossible. « C’est le sens qu’on<br />
donne aux choses et pourquoi on a choisi <strong>de</strong> faire ce métier qui fait qu’on est<br />
engagé (E11) », et T3 pense également : «… si j’y vois pas <strong>de</strong> sens, ben je vais<br />
pas m’engager ». En effet, le sens constitue pour plusieurs personnes la base <strong>de</strong><br />
l’engagement (P5), le socle sur lequel il se fon<strong>de</strong> et se développe, il ne relève pas<br />
d’une préoccupation secondaire : « Moi je veux pouvoir m’engager en…<br />
trouvant du sens, un sens vraiment concret… (P10) », car, « sans le sens,<br />
l’engagement on peut l’oublier (P10) ». Et <strong>de</strong> la même manière, lorsque le sens<br />
disparaît, l’engagement s’évanouit avec lui (T9).<br />
345
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Or il est vrai que le sens peut se perdre. Ainsi plusieurs personnes évoquent la<br />
routine comme une source potentielle <strong>de</strong> perte <strong>de</strong> sens : « …c’est vrai qu’au début<br />
le sens on l’a, pis au bout d’un moment on le perd quoi, parce qu’à force <strong>de</strong><br />
faire toujours la même chose, on sait même plus pourquoi on fait ça, on le fait<br />
et pis c’est tout… (E2) ». Dans le travail routinier, une forme d’automatisation est<br />
apparentée au travail à la chaîne, également jugée comme particulièrement<br />
délétère au niveau du sens (E16, P6).<br />
C’est néanmoins le sens qui permet <strong>de</strong> tenir sur la durée et « …el<strong>les</strong> (<strong>les</strong><br />
infirmières) ne perdureraient pas si el<strong>les</strong> ne venaient que pour le salaire<br />
(P5) », car ces soignantes se seraient trompées <strong>de</strong> sens et celui-ci serait alors<br />
« déplacé (E1) ».<br />
Malheureusement, l’organisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, qui tend à se rapprocher d’un<br />
modèle fordiste <strong>de</strong> parcellarisation <strong>de</strong>s tâches visant l’efficience, porte une atteinte<br />
certaine au sens que <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> voient <strong>dans</strong> leur métier. En effet,<br />
ceux-ci évoquent par exemple la prise en charge globale comme particulièrement<br />
génératrice <strong>de</strong> sens (E16, E 14, E 22, T9…). Or celle-ci n’est plus tellement compatible<br />
avec <strong>les</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion. Il en va <strong>de</strong> même pour le rôle propre <strong>de</strong><br />
l’infirmière. Celui-ci est porteur <strong>de</strong> motivation et <strong>de</strong> sens parce qu’il implique le<br />
soignant, par sa réflexion et son savoir, <strong>dans</strong> une action délibérée et efficace auprès<br />
du patient (E22). Le rôle du soignant tend néanmoins à être balayé au profit d’un rôle<br />
d’exécutant nettement moins constructif, comme en témoigne cette professionnelle<br />
victime d’un burnout en lien avec ce processus <strong>de</strong> désincarnation du rôle infirmier :<br />
«… j’en étais plus qu’à <strong>de</strong>voir exécuter <strong>de</strong>s directives et puis c’est tout. On<br />
me <strong>de</strong>mandait plus <strong>de</strong> réfléchir et puis d’avoir un tantinet <strong>de</strong> réflexion et<br />
d’autonomie. C’était applique, applique, applique, même si c’est stupi<strong>de</strong>,<br />
applique (P10) ».<br />
Si l’on se souvient <strong>de</strong>s motivations premières évoquées par <strong>les</strong> soignants et <strong>de</strong><br />
leur centration sur le bien-être du patient, ainsi que du sentiment d’utilité à leur<br />
égard, on peut aisément comprendre que ce qui y porte atteinte soit vécu<br />
difficilement. En effet, « donner du plaisir aux gens, se sentir utile (E25) »,<br />
« apporter quelque chose au patient » (combiné au fait <strong>de</strong> se sentir utile, à<br />
346
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
nouveau [E26]), « la satisfaction <strong>de</strong> voir qu’une personne a pu aller… là où elle<br />
aurait eu <strong>de</strong> la difficulté à aller seule (T9) », sont autant d’éléments qui<br />
constituent le véritable sens, la véritable direction, mais également la raison d’être <strong>de</strong><br />
l’exercice professionnel <strong>de</strong>s soignants.<br />
C’est l’adéquation avec <strong>les</strong> valeurs profon<strong>de</strong>s qui animent <strong>les</strong> professionnels qui<br />
permet au sens <strong>de</strong> trouver son plein épanouissement (T3, T13). Sans cette base<br />
commune, le sens est absent et c’est la frustration qui prend le relais (E1), puisque,<br />
sans le sens, le plaisir et l’épanouissement au travail ne sont pas envisageab<strong>les</strong> (E1,<br />
P6). Que <strong>les</strong> attentes premières soient idéalistes en regard <strong>de</strong>s possibilités<br />
structurel<strong>les</strong>, ou qu’el<strong>les</strong> soient réalistes, la frustration <strong>de</strong> ne pas pouvoir vivre ses<br />
valeurs finit par porter atteinte à la santé du soignant qui peut alors rapi<strong>de</strong>ment<br />
sombrer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s pathologies d’épuisement, comme le burnout ou la dépression<br />
(P10). Cette frustration naît <strong>de</strong> ce que <strong>les</strong> infirmières « ne peuvent plus donner du<br />
sens à ce qu’il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire. En fait, <strong>dans</strong> le sens qu’il leur est<br />
<strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire, il y a une perte <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité professionnelle à laquelle<br />
el<strong>les</strong> croyaient et qu’el<strong>les</strong> souhaitaient el<strong>les</strong>, pour el<strong>les</strong> (P2) ». Certes, le sens<br />
est une donnée personnelle (T9) au même titre que <strong>les</strong> valeurs (E22), mais, <strong>de</strong> façon<br />
générale, lorsque <strong>les</strong> infirmières sont contraintes <strong>de</strong> renoncer partiellement à leur<br />
motivation première : le bien du patient et la mise en œuvre <strong>de</strong>s moyens susceptib<strong>les</strong><br />
d’ai<strong>de</strong>r à sa réalisation (E3, E12, E14, E25, T13…), el<strong>les</strong> per<strong>de</strong>nt automatiquement un<br />
certain bien-être (T14). On perçoit une forme d’i<strong>de</strong>ntification avec ce que le patient<br />
vit, si l’on en croit certains commentaires, comme cette étudiante expliquant que le<br />
fait <strong>de</strong> redonner un sens aux personnes âgées <strong>dans</strong> leur <strong>de</strong>rnière étape <strong>de</strong> vie à<br />
l’hôpital donnait un sens à sa profession (E3). Une autre infirmière explique que<br />
«…le fait qu’après le patient ne trouve pas le sens vous renvoie à vous -même,<br />
à vos questions sur le sens et <strong>les</strong> choses (P1) », quand il ne s’agit pas d’une<br />
i<strong>de</strong>ntification encore plus impliquante : « on est en contact avec <strong>les</strong> gens, enfin<br />
on prend leur malheur, on prend leur « maladie », et c’est vrai qu’on prend<br />
tout ça… (E13)».<br />
Il faut pourtant reconnaître que la question du sens ne va plus <strong>de</strong> soi. Et une<br />
enseignante <strong>de</strong> répondre en riant, lorsque nous lui avons <strong>de</strong>mandé si <strong>les</strong> étudiants<br />
347
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
avaient <strong>de</strong>s apports sur la question du « sens au travail », « <strong>dans</strong> quel sens » je<br />
pensais ma question (T14). Dans un mon<strong>de</strong> marqué par une pensée dominante<br />
d’autonomie, il semble mal venu et inquisiteur <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s réflexions sur <strong>de</strong>s<br />
sujets éminemment personnels comme celui du sens (T10). Mais c’est peut-être aussi<br />
le caractère ardu <strong>de</strong> la réflexion qui la rend peu attractive, au même titre que la<br />
philosophie pour cette enseignante : « ce qui m’inquiète… c’est que, dès que l’on<br />
parle <strong>de</strong> philosophie, j’ai l’impression très vite <strong>les</strong> étudiants disent, non on va<br />
pas se prendre la tête (T10) », à moins que ce ne soit en lien avec un aspect<br />
moralisateur s’il en est, qui pourrait être dérangeant alors que l’éducation morale<br />
n’est plus en vogue (T10). On pourrait croire, <strong>dans</strong> cette société libérale aux valeurs<br />
multip<strong>les</strong> et multiformes, qu’il n'est pas besoin <strong>de</strong> réfléchir au sens et aux valeurs qui<br />
l’animent. Pourtant, plusieurs professionnels l’affirment, <strong>les</strong> étudiants ont besoin <strong>de</strong><br />
ces réflexions (P9) : « Je pense qu’on est <strong>dans</strong> une nouvelle génération qui<br />
s’engage vraiment en souhaitant donner du sens. Peut-être même plus<br />
qu’avant (P2) ».<br />
Une enseignante explique que le sens est un aspect fondamental et qu’il est du<br />
<strong>de</strong>voir du formateur d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> jeunes à le construire : « (l’important) c’est pas<br />
qu’ils terminent et puis qu’ils aient bien réussi leur fo rmation, mais c’est<br />
qu’ils y trouvent du sens justement, donc l’engagement. Ce serait d’être avec<br />
ces étudiants en accompagnement, en enseignant à tout moment <strong>de</strong> la relation<br />
pédagogique pour <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à trouver du sens <strong>dans</strong> ce qu’ils font (T13) ». La<br />
formation est le lieu par excellence où l’on peut être « <strong>dans</strong> une dynamique <strong>de</strong><br />
requestionnement, d’avancée, <strong>de</strong> donner du sens (P2) », le lieu où la théorie et la<br />
pratique s’imbriquent pour se co-construire et générer un sens commun (T4). Mais la<br />
formation constitue également un moment privilégié <strong>dans</strong> la possibilité qu’elle offre<br />
d’apprendre aussi à donner du sens à ce qui n’en aurait pas <strong>de</strong> prime abord (E 15).<br />
En effet, «…toute tâche qu’une infirmière fait, elle a un sens donc déjà… si on<br />
met pas <strong>de</strong> sens déjà aux actes primaires… comment aller plus loin (P7)» ? Il<br />
y a une part personnelle à réaliser, qui est <strong>de</strong> soi-même donner du sens là où c’est<br />
possible (P2). Il s’agit certainement ici d’une arme privilégiée contre la routine :<br />
« avec <strong>de</strong>s personnes qui ont <strong>de</strong>s pathologies chroniques, où on ne voit pas<br />
348
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
d’amélioration, où c’est toujours la même chose, comment on donne du sens à<br />
tout ça ? Alors je n’ai pas trouvé grand-chose si ce n’était <strong>de</strong> valoriser le<br />
quotidien, <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> la valeur à <strong>de</strong>s choses qui pour cert ains n’en avaient<br />
pas… voilà comment redonner du sens au travail (T5) ».<br />
Si l’on sait que la « motivation se construit… suivant le sens qu’on donne<br />
au travail (P5) », la réflexion sur le sens <strong>de</strong>vient centrale face aux difficultés<br />
institutionnel<strong>les</strong> actuel<strong>les</strong>. Elle peut permettre <strong>de</strong> réfléchir sur <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong><br />
travail diffici<strong>les</strong> pour en découvrir un nouveau sens : «…ce qu’il faudrait c’est<br />
contenir cette pénibilité [comment je peux en venir à trouver <strong>les</strong> stratégies<br />
pour être intelligent malgré cette pénibilité et trouver <strong>de</strong>s trucs pour<br />
fonctionner et puis pour faire ça et ça]. Ouais, là ça prend du sens, quoi<br />
(T13) ». On trouve alors là un but qui permet <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le moteur motivationnel en<br />
éveil (E 14) et qui, au-<strong>de</strong>là, donne sens à l’existence elle-même (E 15).<br />
Au sein <strong>de</strong> la formation, le portfolio est nommé comme un outil intéressant<br />
pour ce cheminement (E2), <strong>dans</strong> la mesure où comprendre le rôle professionnel et le<br />
sens que l’on souhaite y donner est un processus qui prend du temps (T11, P5).<br />
Parfois même le sens émergera à posteriori, et c’est là que le portfolio s’avère<br />
intéressant, puisqu’il constitue un rappel du cheminement effectué auquel on peut<br />
toujours à nouveau se référer pour en prolonger la réflexion (P8).<br />
Au terme <strong>de</strong> cette analyse, la notion <strong>de</strong> sens apparaît comme capitale. C’est le<br />
sens qui permet un positionnement (basé sur <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong>) qui, à son tour, va se concrétiser sous une forme d’engagement.<br />
Une enseignante explique, en parlant d’une professionnelle ayant joué un grand rôle<br />
<strong>dans</strong> son propre engagement : « Elle ne s’est pas toujours fait aimer… parce que<br />
du moment que <strong>les</strong> choses avaient un sens, el<strong>les</strong> avaient une raison d’être,<br />
donc elle <strong>les</strong> faisait. Bien sûr en respectant quand même certaines règ<strong>les</strong> mai s<br />
<strong>de</strong>s directives qui n’avaient pas <strong>de</strong> sens, elle n’en tenait pas compte, elle allait<br />
en discuter pour dire que ça n’avait pas <strong>de</strong> sens et souvent elle arrivait à ses<br />
fins. Voilà moi ça m’a fait avancer <strong>dans</strong> ma profession énormément, c’était ses<br />
valeurs qu’elle mettait en avant… (T11) ».<br />
349
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Face aux difficultés actuel<strong>les</strong> du milieu du travail, sans doute est-t-il plus<br />
nécessaire que jamais <strong>de</strong> travailler sur ce positionnement orienté, afin <strong>de</strong> ne pas être<br />
comme « une marionnette » ballottée entre <strong>les</strong> logiques <strong>de</strong>s différents acteurs, mais<br />
perdant son propre idéal.<br />
Et nous conclurons avec cette réflexion très encourageante d’un enseignant qui<br />
fait remarquer, expérience faite : « la vie ou le travail, c’est quand il a perdu du<br />
sens que j’ai pu en saisir l’essence (T15) ».<br />
Peut-être que la crise que traverse actuellement le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
saura mettre en évi<strong>de</strong>nce toute la richesse <strong>de</strong> la profession et permettre d’en valoriser<br />
ce qui lui donne toute sa raison d’être.<br />
19.3.5 Les connaissances, <strong>de</strong>s ressources pour un engagement<br />
raisonné<br />
Trouver ce qui constitue la quintessence du métier <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aussi d’y accor<strong>de</strong>r<br />
une attention particulière, <strong>de</strong> mener une réflexion à ce sujet, bref <strong>de</strong> sortir du seul<br />
registre <strong>de</strong> l’expérience pour s’ouvrir à un « champ <strong>de</strong> connaissances beaucoup,<br />
beaucoup plus large qu’une simple volonté <strong>de</strong> se tenir la main sur le chemin<br />
(T15) ». La réflexion engage un processus <strong>de</strong> conceptualisation sur la profession, en<br />
particulier sur <strong>de</strong>s aspects comme celui qui nous préoccupe ici : l’engagement. Cette<br />
réflexion, nourrie par <strong>de</strong>s connaissances soli<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s repères conceptualisab<strong>les</strong>, peut<br />
contribuer à valoriser la profession et à lui donner un nouvel élan. Elle ne saurait<br />
pourtant faire fi <strong>de</strong> l’expérience et <strong>de</strong> l’influence que celle-ci exerce également sur<br />
l’engagement. La conceptualisation permettra <strong>de</strong> penser cette expérience.<br />
Ainsi, une enseignante affirme que le manque d’engagement est aussi lié « au<br />
manque <strong>de</strong> valeur qu’on accor<strong>de</strong> à nos références d’infirmière… (T1) », alors<br />
que, pour une autre, « …si on développe pas <strong>les</strong> connaissances, on peut pas<br />
s’engager ou on s’engage jusqu’à un certain niveau (T13) ». Les connaissances<br />
sont à la fois un fon<strong>de</strong>ment et un moteur pour l’engagement, comme le remarque<br />
350
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
une étudiante (E21). Ensemble avec <strong>les</strong> valeurs, el<strong>les</strong> permettent <strong>de</strong> construire du<br />
sens <strong>dans</strong> l’activité.<br />
Sans <strong>les</strong> connaissances, le sens fait partiellement défaut, au moins <strong>dans</strong><br />
certaines situations (E5), et il s’ensuit une pénibilité accrue du travail (E18), parce que<br />
certains liens ne peuvent pas être faits qui ai<strong>de</strong>raient à une meilleure compréhension<br />
<strong>de</strong> la situation, par exemple (E18). Comme cette enseignante qui explique qu’elle a<br />
décidé <strong>de</strong> se former en éthique après avoir vécu une tentative <strong>de</strong> suici<strong>de</strong> d’une<br />
personne âgée, consécutive au manque <strong>de</strong> diplomatie <strong>de</strong> l’équipe soignante qui, en<br />
accord avec la famille, avait décidé <strong>de</strong> son placement en institution (T11).<br />
De son côté, la conduite actuelle <strong>de</strong>s institutions ne favorise pas ou peu la<br />
construction <strong>de</strong> connaissances, et tend à imposer une logique largement dominée par<br />
l’agir au détriment <strong>de</strong> la réflexion, ce que certains nommeront un « parasitage<br />
professionnel (T3) », en évoquant la suprématie accordée à la pratique. Les<br />
connaissances qui sont mises en avant <strong>dans</strong> <strong>les</strong> institutions, mais aussi <strong>de</strong> plus en<br />
plus <strong>dans</strong> <strong>les</strong> centres <strong>de</strong> formation, sont <strong>de</strong>s connaissances totalement orientées sur le<br />
versant pratique, se basant sur <strong>les</strong> preuves et mues par <strong>de</strong>s visées d’efficience et <strong>de</strong><br />
rentabilité (T3).<br />
Très nombreux sont <strong>les</strong> professionnels qui regrettent amèrement le peu <strong>de</strong><br />
budget et donc aussi d’importance accordée à la formation continue (P2, etc…<br />
affirmation soutenue par <strong>de</strong> nombreuses personnes parmi <strong>les</strong> praticiens et<br />
enseignants). Ils expliquent en quoi ces moments <strong>de</strong> formation sont importants pour<br />
eux, car ils constituent <strong>de</strong>s haltes extrêmement bienfaisantes <strong>dans</strong> le cycle<br />
ininterrompu du quotidien. La formation permet une décentration (E25), une prise<br />
<strong>de</strong> distance en s’appuyant sur <strong>de</strong>s réflexions plus généra<strong>les</strong>, <strong>de</strong> santé, <strong>de</strong> société (T3),<br />
mais elle ai<strong>de</strong> aussi <strong>les</strong> professionnels sur le plan <strong>de</strong> la verbalisation <strong>de</strong> leurs<br />
difficultés, à mettre <strong>de</strong>s mots sur leurs maux, à exprimer leurs difficultés pour<br />
pouvoir <strong>les</strong> relativiser et travailler <strong>de</strong>ssus. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la démarche <strong>de</strong> connaissance,<br />
il y a également une fonction « thérapeutique ». La formation et <strong>les</strong> connaissances<br />
auxquel<strong>les</strong> elle donne accès sont importantes pour <strong>de</strong>ux raisons. D’une part, la<br />
formation ai<strong>de</strong> l’individu à prendre une distance nécessaire, à comprendre son<br />
351
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
propre fonctionnement pour pouvoir mieux comprendre l’Autre (T13), à<br />
recontextualiser sa réalité (T3) et à la rationaliser (E22, T13) pour l’observer <strong>de</strong><br />
manière un peu plus objectivable. D’autre part, la formation permet également d’agir<br />
sur le contexte lui-même, en favorisant le développement <strong>de</strong> projets avec une<br />
dynamique innovatrice (T7) et <strong>de</strong>s perspectives d’évolution (P3). Forts <strong>de</strong>s<br />
discussions et <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong> connaissances présentées, <strong>les</strong> professionnels se<br />
construisent <strong>de</strong>s outils et <strong>de</strong>s ressources qui pourront être mobilisées <strong>dans</strong> leur<br />
pratique (P7). Ils repartent ainsi remotivés et plein d’un élan nouveau qu’ils pourront<br />
ensuite réinjecter <strong>dans</strong> leur unité <strong>de</strong> <strong>soins</strong> (P2).<br />
S’il en est ainsi, c’est parce que <strong>les</strong> connaissances permettent <strong>de</strong> redonner du<br />
sens à ce qui, parfois, n’en a plus guère (E5), c'est-à-dire <strong>de</strong> redonner une direction<br />
pour savoir à quoi l’on s’engage et <strong>dans</strong> quelle direction cet engagement nous mène<br />
(E2).<br />
Face aux différentes directions qui s’offrent, il y a aussi <strong>de</strong>s choix à faire et <strong>de</strong>s<br />
ordres <strong>de</strong> priorité à établir. Or comment effectuer un choix éclairé et rationnel si <strong>de</strong>s<br />
connaissances essentiel<strong>les</strong> font défaut sur le sujet, qui permettraient justement d’en<br />
argumenter le bien-fondé ? Les connaissances ai<strong>de</strong>nt à sortir <strong>de</strong>s zones d’influence<br />
externes pour faire <strong>de</strong>s choix éclairés personnels, qui donneront sens à l’engagement<br />
par la suite (T13).<br />
En étant capable d’argumenter ses choix, la personne <strong>de</strong>vient en mesure <strong>de</strong> se<br />
positionner clairement (T13). Le rôle professionnel lui-même peut être influencé<br />
positivement (T13). L’argumentation conceptuelle offre à l’individu la possibilité <strong>de</strong><br />
s’affirmer, <strong>de</strong> se positionner face à son équipe, face aux mé<strong>de</strong>cins, <strong>de</strong> discuter <strong>les</strong><br />
décisions prises <strong>dans</strong> la situation du patient et au niveau institutionnel. Elle donne<br />
une assurance qui permet à ce positionnement <strong>de</strong> s’incarner <strong>dans</strong> une posture<br />
réellement professionnelle. Un enseignant fait d’ailleurs remarquer que « la<br />
compassion, vue sous un angle scientifique, ce serait une démarche <strong>de</strong><br />
positionnement <strong>de</strong> soi (T15) ». Les connaissances donnent à l’intéressé l’assurance<br />
nécessaire à l’incarnation <strong>de</strong> ce positionnement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations qu’il traverse<br />
(T13).<br />
352
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Dans le même temps, l’individu se voit valorisé <strong>dans</strong> cette prise <strong>de</strong> position<br />
argumentée qui lui permet <strong>de</strong> contribuer au changement (E1), aux améliorations, et<br />
« d’apporter <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> idées…(P3) ».<br />
Au lieu d’opposer <strong>les</strong> logiques <strong>de</strong> la pratique et <strong>de</strong> la théorie, comme cela tend à<br />
être fait <strong>dans</strong> certaines formations (T3), il serait intéressant <strong>de</strong> mesurer pleinement<br />
l’intérêt <strong>de</strong> la formation pour favoriser une culture générale permettant d’élargir <strong>les</strong><br />
idées, <strong>de</strong> présenter différentes approches sur un même sujet pour que l’individu<br />
puisse y trouver sa voie (T3). La formation propose un bagage qui accompagne le<br />
professionnel et, le jour venu, lui permet <strong>de</strong> puiser ce dont il a besoin pour répondre<br />
aux problématiques rencontrées (T3). Parce qu’elle s’incarne <strong>dans</strong> une dynamique <strong>de</strong><br />
remise en question et d’évolution, la formation constitue une arme appréciable contre<br />
la routine (P3) : «…au bout d’un moment je m’ennuie, donc le fait <strong>de</strong> me former,<br />
ça me permet <strong>de</strong> ne pas m’ennuyer <strong>dans</strong> mon poste tout en continuant <strong>de</strong> me<br />
passionner… J’ai besoin d’avoir quelque chose un peu toujours neuf… pour<br />
m’occuper l’esprit et me gar<strong>de</strong>r en éveil (P11) ». Par ce renouvellement <strong>de</strong> la<br />
perspective que le professionnel a sur son activité, <strong>les</strong> connaissances le protègent<br />
aussi efficacement contre le burnout et la perte <strong>de</strong> sens qui l’accompagne (T13) :<br />
« …plus on est au clair sur ce qui nourrit notre pratique, … sur ce qui forme<br />
le socle au fond sur lequel on s’appuie, moins on est en danger je dirais du<br />
burnout, du découragement et <strong>de</strong> la perte <strong>de</strong> sens (T1) ». Une enseignante<br />
spécialiste <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> santé au travail fait d’ailleurs remarquer que le manque<br />
<strong>de</strong> connaissances sur <strong>les</strong> lois <strong>de</strong>s employeurs et <strong>les</strong> droits <strong>de</strong>s employés constitue un<br />
phénomène récurrent présent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> problématiques <strong>de</strong> souffrances au travail (T3).<br />
Et même une étudiante, au préalable ai<strong>de</strong>-soignante, affirme avoir été surprise <strong>de</strong><br />
constater à quel point <strong>les</strong> équipes « connaissent peu leurs droits (E22) ». Il n’y a<br />
alors rien d’étonnant à ce qu’el<strong>les</strong> ne soient pas en mesure <strong>de</strong> « défendre leurs<br />
droits (P1) ». Il y a donc, à côté <strong>de</strong> la dimension émancipatrice <strong>de</strong> la connaissance,<br />
également une fonction plus instrumentale mais tout aussi essentielle.<br />
En protégeant le soignant du burnout et <strong>de</strong> la démotivation, l’acquisition <strong>de</strong><br />
connaissances vient gui<strong>de</strong>r la pratique, la réflexion sur cette pratique et l’engagement<br />
353
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
qui se concrétise auprès <strong>de</strong>s patients (T1). Ici apparaît clairement l’importance d’une<br />
formation qui soit en adéquation avec la réalité.<br />
De façon générale, on peut dire que <strong>les</strong> connaissances sont un levier majeur vers<br />
l’émancipation d’une profession malgré <strong>les</strong> contraintes actuel<strong>les</strong>, justement parce<br />
qu’el<strong>les</strong> permettent <strong>de</strong> mieux comprendre le système <strong>dans</strong> lequel cette profession<br />
s’intègre : « … si <strong>les</strong> étudiants comprennent aussi au niveau socio -politique,<br />
économique, qu’est-ce qui se passe, on comprend mieux l’impact que ça a sur<br />
notre quotidien <strong>de</strong> soignants… (T 13) ». Et comprendre le contexte permet<br />
également <strong>de</strong> lui faire face, en développant <strong>les</strong> stratégies appropriées qui, peut-être,<br />
ne permettront pas <strong>de</strong> le modifier, mais le rendront plus facile à appréhen<strong>de</strong>r. Ainsi<br />
une enseignante explique qu’il faudrait travailler par exemple sur la pénibilité du<br />
travail infirmier en se posant la question du « comment je peux trouver <strong>les</strong><br />
stratégies pour être intelligent malgré cette pénibilité et trouver <strong>de</strong>s trucs<br />
pour fonctionner… (T13) ». Et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces aspects purement techniques<br />
inhérents à cette métaphore <strong>de</strong> la machine, c’est le sens qui est à interroger <strong>dans</strong> ce<br />
fonctionnement.<br />
Il s’agit <strong>de</strong> redonner un sens à cette pratique et <strong>de</strong> sortir du dolorisme passif qui<br />
caractérise un peu la profession (T13), en agissant autrement qu’en se plaignant<br />
simplement <strong>de</strong> ce que « mon quotidien est pénible (T13) » ou en attendant <strong>de</strong><br />
faire l’objet <strong>de</strong> compassion ou <strong>de</strong> pitié (P4).<br />
Et si, comme nous l’avons mentionné au départ, <strong>les</strong> connaissances peuvent<br />
ai<strong>de</strong>r à mieux faire connaître <strong>les</strong> spécificités du travail infirmier, el<strong>les</strong> permettent<br />
aussi <strong>de</strong> le défendre (T1) et donnent, pour ce faire, <strong>de</strong>s armes uti<strong>les</strong> pour assurer sa<br />
sauvegar<strong>de</strong>. Sans armes, le combat serait ru<strong>de</strong>, voire voué à l’échec (P11). Une<br />
praticienne explique qu’elle souhaite poursuivre, après <strong>de</strong> nombreuses années <strong>de</strong><br />
pratique, sa formation infirmière vers un Master puis un Doctorat <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong><br />
défendre cette profession : « …le Master ouvre la voie <strong>de</strong> la recherche <strong>dans</strong> le<br />
domaine infirmier. Ça peut être utile pour améliorer le métier ou du moins<br />
pour essayer <strong>de</strong> freiner la dégradation du métier. C’est à nouveau une forme<br />
354
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
d’engagement pour essayer <strong>de</strong> sauver ce que je trouve beau <strong>dans</strong> ce métier -là<br />
(P11) ».<br />
Les connaissances sont donc bien un terreau fertile pour faire croître et soutenir<br />
l’engagement !<br />
19.3.6 Les limites <strong>de</strong> l’engagement<br />
Mener un combat exige <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> sa personne. L’engagement en tant<br />
qu’investissement <strong>de</strong> sa personne, à quelque niveau que ce soit, peut, sous certaines<br />
conditions, <strong>de</strong>venir une véritable source <strong>de</strong> souffrance (T4). Il convient alors <strong>de</strong><br />
réfléchir aux limites <strong>de</strong> cet engagement, ainsi qu’aux conditions parfois précaires <strong>de</strong><br />
sa mise en œuvre.<br />
Si on évoque le contexte <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, on a tout <strong>de</strong> suite à l’esprit <strong>les</strong><br />
limites imposées par le contexte organisationnel. Certes, la dynamique d’équipe peut<br />
aussi être source <strong>de</strong> tensions importantes (E13), <strong>de</strong> même que la relation avec un<br />
patient peut générer <strong>de</strong>s craintes et <strong>de</strong>s angoisses très fortes (P2), mais <strong>les</strong> freins à<br />
l’engagement sont effectivement plus en lien avec une inadéquation entre la mission<br />
à remplir et <strong>les</strong> motivations et/ou capacités <strong>de</strong>s soignants. Les causes peuvent aussi<br />
émaner directement <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Il peut s’agir, par exemple, d’unités <strong>de</strong><br />
<strong>soins</strong> réservées à <strong>de</strong>s populations plus diffici<strong>les</strong> à gérer que d’autres (E14). Mais le<br />
plus souvent, ce qui est évoqué ici, c’est l’organisation du travail et <strong>les</strong> implications<br />
<strong>de</strong> celle-ci sur <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail réel<strong>les</strong> : dotation réduite en personnel,<br />
turnover important et instabilité <strong>de</strong>s équipes… (T4, P6), révélant « un malaise »<br />
certain (P7). Plusieurs professionnels nomment par exemple un écart entre leurs<br />
valeurs et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’institution ou du travail à accomplir, comme étant une source <strong>de</strong><br />
souffrance importante et une limite certaine à toute forme d’engagement (E26, P1,<br />
P4) : « …je suis partie <strong>de</strong> certains endroits parce qu’ il y avait <strong>de</strong>s choses avec<br />
<strong>les</strong>quel<strong>les</strong> je n’étais pas forcément en accord (P1) ».<br />
Ces conditions <strong>de</strong> travail induisent un certain nombre <strong>de</strong> malaises sur <strong>les</strong>quels<br />
nous allons revenir, mais contribuent à anéantir le plaisir que <strong>les</strong> soignants peuvent<br />
avoir à exercer leur art. Or, sans un minimum <strong>de</strong> plaisir, <strong>les</strong> professionnels sont<br />
355
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
catégoriques, il sera difficile <strong>de</strong> s’engager (E1, E14, E19, E26, T3, T4) : « … si on a<br />
pas <strong>de</strong> plaisir par rapport à l’institution pour laquelle on travaille, si on n’est<br />
pas en accord avec <strong>les</strong> pratiques <strong>de</strong> l’institution pour laquelle on travaille, ça<br />
c’est <strong>de</strong>s facteurs, je pense, qui vont faire que l’engagement, il sera moindre<br />
(E1) ». Pour que l’individu puisse s’épanouir et trouver du plaisir à son activité,<br />
celle-ci doit avoir un minimum <strong>de</strong> sens, comme nous l’avons déjà vu <strong>dans</strong> une<br />
section précé<strong>de</strong>nte (E2, E22, T3) : « …en fait si je me donne à fond <strong>dans</strong> un<br />
engagement euh, particulier, c’est vrai que si j’y vois pas <strong>de</strong> sens, ben je vais<br />
pas m’engager. Donc c’est vrai qu’il y a du sens, il y a aussi un intérêt<br />
personnel… (T3) ». Intimement liée au sens, <strong>de</strong> par la valeur que <strong>les</strong> tiers et tout<br />
particulièrement la hiérarchie donnent à l’activité, valeur contributive à l’élaboration<br />
du sens, l’absence <strong>de</strong> retours et <strong>de</strong> reconnaissance est également considérée comme<br />
un frein important à l’engagement (T3, P7, P10) : « … pour moi, oui, il y a <strong>de</strong>s<br />
limites à l’engagement, ça revient toujours à <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong><br />
reconnaissance… (P7) ».<br />
Sur un plan plus personnel, il est vrai que <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, tout<br />
particulièrement la relation au patient <strong>dans</strong> sa position <strong>de</strong> vulnérabilité, laissent<br />
rarement indifférent. De par leur orientation déjà très encline à faire preuve<br />
d’empathie, nombreux sont <strong>les</strong> soignants à avoir osé nous avouer qu’ils dépassaient<br />
parfois largement le cadre professionnel <strong>dans</strong> la relation au patient ou en percevaient<br />
le danger imminent (E4, E2, E17, T5, P1, P4). Une étudiante souligne le fait que<br />
chaque soignant n’est pas touché <strong>de</strong> la même manière vis-à-vis <strong>de</strong>s mêmes situations<br />
<strong>de</strong> soin. Elle en déduit l’importance capitale <strong>de</strong> bien se connaître et <strong>de</strong> connaître ses<br />
limites, <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> soi pour éviter <strong>de</strong> s’exposer trop (E5). « Je suis moi-<br />
même tombée <strong>dans</strong> le panneau… je m’étais occupée d’un enfant qui était resté<br />
longtemps… je l’avais accompagné <strong>dans</strong> sa famille d’accueil et ben… j’avais<br />
plus envie <strong>de</strong> travailler après. Il était plus là, j’avais plus envie <strong>de</strong> travailler<br />
(T5) ».<br />
Une étudiante, auparavant ai<strong>de</strong>-soignante ayant travaillé plusieurs années en<br />
maisons <strong>de</strong> retraite, explique : « … j’étais capable <strong>de</strong> prendre <strong>les</strong> gens chez moi<br />
356
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
le soir, j’avais même plus envie <strong>de</strong> rentrer à la maison, quoi… (E14) ». La<br />
même personne reconnaît être restée auprès d’un patient toute une nuit, alors qu’elle<br />
n’était pas <strong>de</strong> service, mais pour pouvoir être là lors <strong>de</strong> son décès. C’est un<br />
engagement très fort, mais qui peut être préjudiciable pour la personne qui s’investit<br />
ainsi émotionnellement. Outre le fait que cet investissement peut être douloureux<br />
pour le soignant lui-même (E2, E19, T5), il peut également avoir <strong>de</strong>s répercussions<br />
négatives du point <strong>de</strong> vue du patient, la prise en charge n’étant plus directement<br />
professionnelle. Par exemple, le fait <strong>de</strong> ne pas pouvoir atteindre le but voulu avec un<br />
patient, guérison, sevrage, par exemple, peut être un facteur d’épuisement pour le<br />
soignant s’il ne place pas <strong>de</strong> limite à cette idée inconsciente <strong>de</strong> toute-puissance ou <strong>de</strong><br />
culpabilité (T9, P1). On peut d’ailleurs relever certaines remarques à l’effet qu’un sur-<br />
engagement <strong>de</strong> certains soignants n’est pas toujours bien vécu par leurs collègues,<br />
soulevant chez eux <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> culpabilité (E7) : « Quand tu te mets pas <strong>de</strong><br />
limites, t’en accor<strong>de</strong>s pas aux autres non plus (T9) », et l’impression d’un<br />
manque <strong>de</strong> confiance (P3), quand ce n’est pas le retard <strong>dans</strong> le reste <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (E13),<br />
ou bien encore l’agressivité <strong>de</strong>s soignants investis, qui est à gérer (E3).<br />
Ce sont parfois <strong>de</strong>s phénomènes psychologiques, souvent inconscients, qui<br />
conduisent <strong>les</strong> soignants à oublier la distance professionnelle. Il y a sans doute <strong>de</strong>s<br />
moments <strong>de</strong> projection, d’i<strong>de</strong>ntification, <strong>de</strong> rappels d’une histoire <strong>de</strong> vie qui ren<strong>de</strong>nt<br />
la distance difficile à gar<strong>de</strong>r (E2, E17, E19) : « …il y a aussi <strong>de</strong>s patients qui nous<br />
touchent plus que d’autres enfin… moi en home j’ai remarqué, il y avait une<br />
patiente, c’était presque un copier-coller <strong>de</strong> ma grand-maman et là, <strong>de</strong>s fois,<br />
enfin c’est pas que je confondais <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux, mais il y a quand même quelque<br />
chose… (E17) ».<br />
Cette empathie, assimilée parfois à <strong>de</strong> la projection, peut d’ailleurs conduire à<br />
dépasser son rôle sur le plan <strong>de</strong> l’activité (E2) et une professionnelle explique que,<br />
pour elle, une limite absolue à un engagement trop important serait d’avoir la<br />
tentation d’enfreindre la loi, par exemple en pratiquant l’euthanasie active pour<br />
soulager un patient (P11).<br />
Mais, parallèlement à l’engagement émotionnel, c’est aussi l’engagement<br />
temporel qui constitue une <strong>de</strong>s limites majeures évoquées par <strong>les</strong> personnes<br />
357
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
interrogées. En effet, pour bon nombre <strong>de</strong> ces personnes, l’investissement est parfois<br />
démesuré <strong>dans</strong> ce domaine. Le travail du soignant est comme un puits sans fond et il<br />
ne semble jamais complètement abouti. Pourtant, une journée n’a que vingt-quatre<br />
heures (E4) et le manque <strong>de</strong> temps est chronique (E5). Certains ne voient plus cette<br />
limite temporelle, comme l’évoque cette étudiante à propos <strong>de</strong> professionnels<br />
rencontrés en stage : « … j’ai l’impression que, <strong>de</strong>s fois, ils (<strong>les</strong> soignants)<br />
voyaient pas la limite…. Des fois, ils faisaient même quand ils avaient pas le<br />
temps et… puis plus ils faisaient ça et moins ils avaient le temps et plus ils<br />
avaient l’impression <strong>de</strong> pas pouvoir faire comme il faut… (E17) ». Lorsque<br />
l’investissement n’est pas présentiel, pour <strong>les</strong> cadres, il peut également se vivre <strong>de</strong><br />
manière plus discrète : « j’en connais <strong>de</strong>s gens qui même après le travail ils sont<br />
au travail, même chez eux. Donc tout ce qu’ils font est en rapport avec le<br />
travail. Des choses qu’ils pourraient faire au boulot, ben ils amènent à la<br />
maison une partie <strong>de</strong> leur travail… ou bien d es gens qui reviennent <strong>dans</strong> le<br />
service après dix-huit heures alors qu’ils ont fini le travail à seize heures<br />
(P3) ». Pour <strong>les</strong> personnes interrogées, cette problématique temporelle constitue une<br />
réelle limite à l’engagement, <strong>dans</strong> la mesure où elle investit la sphère <strong>de</strong>s limites<br />
physiques et psychiques <strong>de</strong> l’individu qui « se tue à la tâche (E18) ». Un trop<br />
grand investissement conduit, sur le long terme, à un épuisement <strong>de</strong>s ressources<br />
individuel<strong>les</strong> (P7) et « c’est l’organisme… à un moment donné qui dit stop<br />
(E3) ». En parlant d’une collègue, une praticienne explique : « … elle se donne à<br />
fond, elle s’écoute plus et elle suit plus et on sent que régulièrement elle a le<br />
dos qui bloque et ça veut bien dire qu’elle en a plein le dos, et en fait c’est son<br />
corps qui dit stop à sa place… (P11) ». Ces personnes « sont saturées,<br />
surmenées… (P3) » et s’épuisent (E19). Plusieurs expriment <strong>de</strong>s états <strong>de</strong> fatigue<br />
importants (E3) qui portent atteinte parfois à la santé (E2, E26, P4, P10) : « j’en avais<br />
marre, j’en pouvais plus… (E26) ». Le travail est déjà en soi lié au stress <strong>de</strong> par la<br />
responsabilité qui incombe à la tâche : « il y a <strong>de</strong>s limites parce qu’on travaille<br />
avec <strong>de</strong>s humains… (P7) ».<br />
Pour un certain nombre <strong>de</strong> personnes, il est délicat <strong>de</strong> savoir dire exactement où<br />
se situe la limite exacte à l’engagement (T9, E5), la juste-mesure (E19), le juste-milieu<br />
358
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
(E2, T4) entre un trop peu et un trop plein : « Je pense, comme tout soignant…<br />
j’aurais à un certain moment <strong>de</strong> la peine à déterminer la juste -limite, la juste-<br />
distance… (E19) ». Mais, même si l’on connaît cette limite, il peut être alors difficile<br />
d’agir en conséquence : « je pense qu’il faut savoir mettre <strong>de</strong>s limites, quoi,<br />
savoir ses limites (P9) ». Il faut par ailleurs aussi pouvoir <strong>les</strong> exprimer en osant<br />
dire « non » (T9, E4) : « comment arriver à dire non ?... enfin, ça dépend <strong>de</strong><br />
chacun, moi je sais que <strong>dans</strong> mon caractère je… je sais pas dire non (E9) ».<br />
La démarche est capitale si le soignant veut pouvoir préserver sa vie privée. Et,<br />
sur ce point, au moins dix <strong>de</strong>s personnes interrogées reconnaissent qu’il y a là une<br />
limite à l’engagement qui doit être observée avec beaucoup <strong>de</strong> vigilance : « … ils<br />
(<strong>les</strong> soignants) m’ont dit <strong>de</strong> me méfier, qu’il ne fallait pas que je sois tout le<br />
temps <strong>dans</strong> le travail, qu’il fallait créer une vie sociale et pis pas avoir que<br />
<strong>de</strong>s amis au travail mais aussi un milieu social à l’extérieur… (E26) ». On<br />
notera que ce sont surtout <strong>les</strong> étudiants qui sont conscients <strong>de</strong> cette difficulté, et ils<br />
sont nombreux (E1, E9, E14, E21, E22, E26, E25), ainsi que certains praticiens (P3, P5),<br />
l’ayant sans doute expérimentée, eux aussi.<br />
Ils sont donc plusieurs à souligner l’importance <strong>de</strong> leurs activités extérieures,<br />
ainsi que le soin <strong>de</strong> leur réseau social. Les enseignants, quant à eux, évoquent<br />
davantage la création <strong>de</strong> ressources métacognitives, fondées sur <strong>de</strong>s connaissances<br />
scientifiques permettant <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong> situations, tandis que <strong>les</strong><br />
praticiens favorisent <strong>de</strong>s ressources pouvant émerger <strong>de</strong> la pratique : fonction<br />
occupée, taux d’activité, soutien interne et externe, soin du réseau familial.<br />
Ce rapi<strong>de</strong> tour d’horizon nous permet <strong>de</strong> constater que <strong>les</strong> freins et limites à<br />
l’engagement sont multifactoriels <strong>dans</strong> un domaine aussi vaste que <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Mais<br />
sans doute la charge <strong>de</strong> travail reste-t-elle une <strong>de</strong>s limites <strong>les</strong> plus importantes.<br />
Surtout lorsqu’elle porte atteinte aux be<strong>soins</strong> essentiels <strong>de</strong>s soignants pour gérer <strong>les</strong><br />
situations diffici<strong>les</strong> qu’ils ne manquent pas <strong>de</strong> rencontrer, comme cette infirmière à<br />
domicile qui explique qu’il leur est maintenant parfois reproché <strong>de</strong> revenir au bureau<br />
quand el<strong>les</strong> ont dû faire face au décès d’un patient, <strong>les</strong> supérieurs estimant qu’el<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>vraient pouvoir continuer leur tournée, comme prévu (P11).<br />
359
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Et nous citerons cette infirmière qui explique que, lorsqu’elle travaillait à 100%,<br />
elle était épuisée, mais qu’à présent, avec un 50% comme taux d’activité, elle pouvait<br />
« respirer » (P9). Faut-il en conclure qu’un pourcentage supérieur est synonyme<br />
d’asphyxie ? On peut se poser la question, au vu <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> problèmes engendrés<br />
par le stress <strong>dans</strong> ce secteur professionnel, ces <strong>de</strong>rnières années plus particulièrement.<br />
19.3.7 L’engagement, élément fondateur <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle<br />
Réfléchir sur l’engagement infirmier impose un détour par le concept d’i<strong>de</strong>ntité,<br />
en tant que l’engagement professionnel affecte en profon<strong>de</strong>ur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle<br />
et professionnelle <strong>de</strong> l’individu.<br />
Si la motivation et l’intérêt sont <strong>de</strong>s témoins <strong>de</strong> l’engagement (E3), celui-ci<br />
s’inscrit à son tour <strong>dans</strong> un processus i<strong>de</strong>ntitaire précis. Pour certains, il paraît<br />
impensable <strong>de</strong> dissocier l’engagement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité (E16), c’est un impératif qui<br />
distingue la profession infirmière d’autres professions (E13, E16). Dans cette<br />
profession particulière, il semble que l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle soit d’emblée liée à<br />
l’engagement, <strong>dans</strong> la mesure où « on donne <strong>de</strong> nous, <strong>de</strong> notre patience, <strong>de</strong> notre<br />
écoute (E13) ». Il s’agit d’une implication importante <strong>de</strong> la personne qui ne manque<br />
pas d’avoir <strong>de</strong>s répercussions i<strong>de</strong>ntitaires.<br />
Or, parce qu’elle est tellement spécifique et importante pour l’exercice <strong>de</strong> la<br />
profession, il est indispensable d’oser défendre cette i<strong>de</strong>ntité qui semble encore peu<br />
affirmée, à cheval entre, d’un côté, <strong>de</strong>s positions inférieures d’ai<strong>de</strong>s-soignants et <strong>de</strong>s<br />
ASSC (assistants en <strong>soins</strong> et santé communautaire) et, <strong>de</strong> l’autre côté, le corps<br />
médical : «… j’ai l’impression <strong>de</strong>s fois qu’on est pas une profession à part<br />
entière. C’est vrai qu’on est au -<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s ASSC, au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins et<br />
puis c’est vraiment un entre-<strong>de</strong>ux qui répond aux attentes <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s<br />
autres, mais après voilà… (E1) ». Il est nécessaire d’oser affirmer <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la<br />
profession et « d’apprendre à se positionner, aussi à dire non à certaines<br />
pratiques, certaines <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s (P7) ». Cette démarche est d’autant plus<br />
360
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
importante que la création <strong>de</strong> ces nouveaux profils, comme <strong>les</strong> assistants en <strong>soins</strong> et<br />
santé communautaires (ASSC) et plus récemment <strong>les</strong> infirmières <strong>de</strong> niveau « école<br />
secondaire », est sans doute aussi en lien avec la crise et <strong>les</strong> mesures d’économie<br />
nécessaires ; en effet « l’histoire nous montre que l’on a tout le temps créé <strong>de</strong>s<br />
professions subalternes et c’est toujours la réponse à la pénurie, et c’est<br />
toujours la réponse au rationnement, heu, quand <strong>les</strong> coûts <strong>de</strong>viennent trop<br />
chers… (T12) ».<br />
Et force est <strong>de</strong> constater que l’affirmation <strong>de</strong> soi n’est pas la qualité première<br />
<strong>de</strong>s infirmières. Encore très marquées par un important complexe d’infériorité<br />
associé par exemple à leurs craintes face à une éventuelle dévaluation <strong>de</strong> leur<br />
diplôme (T4), <strong>les</strong> infirmières sont souvent aux prises avec <strong>de</strong>s états d’anxiété qui ne<br />
favorisent pas leur dynamisme au positionnement. Plusieurs personnes n’hésitent<br />
pas à évoquer le sentiment <strong>de</strong> victimisation qui se dégage <strong>de</strong> certains comportements<br />
(T4). Ainsi cet étudiant affirme : « j’ai l’impression que <strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong>-infirmières<br />
sont pas mal…euh…, se victimisent <strong>de</strong>s fois pas mal… (E18) » et une<br />
enseignante renchérit en rappelant <strong>de</strong> façon assez crue <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> caractères <strong>de</strong><br />
l’infirmière : « on souffre, on se flagelle. On subit ce nouveau milieu, on dit<br />
rien, on tombe en burnout, voilà, puis on va encore bosser parce que on a pas<br />
encore assez donné. Je sais pas pourquoi on entretient aussi ça… (T3) ». Une<br />
autre enseignante considère que la victimisation n’est autre qu’une « fausse<br />
humilité… parce qu’el<strong>les</strong> se sentent très méritantes et puis pas<br />
reconnues…(T4) ». Cette humilité serait alors une recherche plus ou moins explicite<br />
<strong>de</strong> reconnaissance (T4). Les moyens qui seraient potentiellement <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s à ces<br />
prises <strong>de</strong> position sont peu utilisés ou, quand ils le sont, « pas forcément <strong>de</strong> la<br />
bonne manière (P5) ». Parmi <strong>les</strong> personnes interrogées, seu<strong>les</strong> quatre personnes sur<br />
<strong>les</strong> quarante-quatre sont affiliées à l’Association Suisse <strong>de</strong>s Infirmières (ASI), dont un<br />
but est aussi <strong>de</strong> défendre l’i<strong>de</strong>ntité infirmière (T3). Il en va <strong>de</strong> même pour l’Ordre<br />
Infirmier dont peu voient un intérêt à ce qu’il soit constitué en Suisse. Une<br />
enseignante, très fortement engagée par ailleurs à l’ASI, trouverait très positif la<br />
création <strong>de</strong> cet Ordre Infirmier, pour autant qu’il joue vraiment son rôle <strong>de</strong><br />
promoteur <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité infirmière, comme au Canada ou aux Etats-Unis (T7). On<br />
361
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
sent parfois une forme <strong>de</strong> défaitisme <strong>de</strong>vant une réalité que l’on considère comme<br />
difficile, voire impossible à changer, et <strong>les</strong> jeunes ne sont pas épargnés par cette<br />
tendance (P10). Les forces s’évanouissent alors face à un combat qui paraît perdu<br />
d’avance (T12), tandis qu’il faudrait renforcer le lobbying infirmier et « montrer à<br />
quel point on (<strong>les</strong> infirmières) est pas remplaçab<strong>les</strong> (T12) ».<br />
Mais il est difficile <strong>de</strong> jeter la pierre aux infirmières <strong>dans</strong> leur manque <strong>de</strong><br />
positionnement si l’on pense à la pénibilité <strong>de</strong> leur tâche et à la fatigue chronique qui<br />
touche cel<strong>les</strong> qui exercent à un fort pourcentage (T4). Les réflexions sur le sens et<br />
l’engagement nous avaient conduite à souligner que la perte <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> l’activité<br />
constituait une atteinte et une mise en danger <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle (P2). Or ce<br />
sens est aussi <strong>de</strong> plus en plus mis à mal selon <strong>les</strong> contextes <strong>de</strong> travail et <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
gestion utilisés : «El<strong>les</strong> peuvent plus donner du sens à ce qu’il leur est <strong>de</strong>mandé<br />
<strong>de</strong> faire. En fait, <strong>dans</strong> le sens qu’il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire, il y a une perte<br />
<strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité professionnelle à laquelle el<strong>les</strong> croyaient et qu’el<strong>les</strong><br />
souhaitaient, el<strong>les</strong>, pour el<strong>les</strong> (P2) ». La coupe drastique <strong>dans</strong> le temps que<br />
l’infirmière peut accor<strong>de</strong>r à la relation au patient (P10, P11), <strong>de</strong> même que la revue à<br />
la baisse <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, constituent <strong>de</strong>s atteintes indéniab<strong>les</strong> au sens même<br />
<strong>de</strong> son activité (P11). Ne pouvant plus se reconnaître <strong>dans</strong> sa conception du soin, son<br />
i<strong>de</strong>ntité professionnelle s’en voit affectée.<br />
De fait, l’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire se vit différemment d’une institution à une<br />
autre, d’un contexte <strong>de</strong> soin à un autre (E15). Les infirmières <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> à domicile par<br />
exemple, contexte qui leur permet <strong>de</strong> conserver une marge d’autonomie un peu plus<br />
importante pour le moment encore, se sentent moins lésées et moins affectées <strong>dans</strong><br />
leur i<strong>de</strong>ntité (P9).<br />
Mais le malaise est là et un étudiant clame haut et fort : « c’est à nous <strong>de</strong><br />
changer <strong>les</strong> choses (E18) », en appelant ainsi à la responsabilité <strong>de</strong> chaque soignant.<br />
Cela suppose néanmoins que tous soient acquis à la même cause et puissent œuvrer<br />
<strong>dans</strong> le même sens, en se faisant confiance. Ainsi, une enseignante déplore la<br />
tendance très fréquente <strong>de</strong>s soignants à dénigrer leurs propres compétences, en<br />
sollicitant par exemple <strong>de</strong>s professionnels issus d’autres domaines comme conseillers<br />
ou même comme ascendants hiérarchiques (T4). La formation joue ici un rôle capital<br />
362
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>de</strong> mise en œuvre et promotion d’une i<strong>de</strong>ntité commune. Cela concerne bien entendu<br />
la formation <strong>de</strong> base (T5, P10), mais également la formation continue <strong>de</strong> ceux qui<br />
sont déjà acteurs sur le terrain. En effet, si l’i<strong>de</strong>ntité s’incarne <strong>dans</strong> une pratique, au<br />
contact avec la réalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P10), il y a un travail <strong>de</strong> rafraîchissement à faire<br />
auprès <strong>de</strong>s professionnels, en leur donnant <strong>de</strong> nouveaux outils ou en <strong>les</strong> stimulant à<br />
nouveau : « … il y aurait un travail à faire sur qu’est -ce que c’est qu’être<br />
infirmière et puis apprendre comment on défend ça en groupe, aussi<br />
politiquement pour défendre <strong>les</strong> droits et la profession… (E16) ». Il s’agit <strong>de</strong><br />
montrer aux étudiants l’intérêt <strong>de</strong> faire partie <strong>de</strong>s associations professionnel<strong>les</strong>, <strong>de</strong><br />
prendre part aux débats et discussions sur <strong>les</strong> politiques sanitaires (T12). Une<br />
praticienne affirme vouloir poursuivre ses étu<strong>de</strong>s en Master puis en Doctorat <strong>dans</strong> la<br />
discipline infirmière nouvellement créée à l’université en Suisse roman<strong>de</strong>, afin<br />
justement <strong>de</strong> pouvoir promouvoir cette i<strong>de</strong>ntité infirmière (P11).<br />
La partie n’est pas gagnée d’avance, car <strong>de</strong>s représentations soli<strong>de</strong>ment ancrées<br />
habitent la profession <strong>de</strong>puis plusieurs sièc<strong>les</strong> maintenant. Nombreuses sont <strong>les</strong><br />
personnes interrogées à avoir soulevé cette problématique <strong>de</strong>s représentations<br />
tenaces et <strong>de</strong> leur impact sur l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle actuelle : « …en choisissant<br />
ce métier-là, y a une partie qui reste, c’est un peu quand même… une espèce<br />
<strong>de</strong> don <strong>de</strong> soi… (E9) ». Le discours est ambigu car, rappelons-le, c’est ce que<br />
plusieurs personnes évoquaient au départ comme motivation à l’exercice <strong>de</strong> la<br />
profession : « …c’est vrai que nous soignants, enfin <strong>les</strong> comptab<strong>les</strong> ils donnent<br />
pas <strong>de</strong> leur « corps », alors que, nous, on donne <strong>de</strong> nous… (E13) ».<br />
L’infirmière conserve encore souvent <strong>les</strong> caractéristiques attribuées autrefois<br />
aux sœurs <strong>de</strong> charité qui exerçaient ce métier (T5, P4) : «… par rapport au rôle <strong>de</strong><br />
l’infirmière, on voit encore la personne qui tient la main du patient qu’est<br />
très… religieuse… qu’on fait ça parce que c’est une vocation (E18) » . Cette<br />
image est encore récente si l’on en croit une enseignante qui explique que, lorsqu’elle<br />
a fait ses étu<strong>de</strong>s <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années quatre-vingt, elle <strong>de</strong>vait encore placer un petit<br />
bonnet sur son chignon comme au début du siècle, alors insigne très clair <strong>de</strong><br />
soumission au mé<strong>de</strong>cin. Le port du tablier, l’internat obligatoire, autant <strong>de</strong> conditions<br />
qui évoquaient clairement la dévotion absolue attendue <strong>de</strong> l’infirmière, il y a peu <strong>de</strong><br />
363
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
temps encore (T3). Et aujourd’hui, on considère toujours ses qualités <strong>de</strong> femme<br />
dévouée : « L’infirmière, <strong>les</strong> gens ils la trouvent toujours très… toujours très<br />
méritante… gentille (T4) ». Mais « c’est pas parce qu’on est bien gentil avec<br />
quelqu’un qu’on est une bonne infirmière (T13) ». Et, par ailleurs, la gentil<strong>les</strong>se,<br />
si elle est toujours appréciable, ne saurait constituer l’unique fon<strong>de</strong>ment d’une<br />
profession aussi complexe que <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Un travail <strong>de</strong> mise en valeur est à<br />
faire auprès du grand public car « <strong>les</strong> gens, ils ne réalisent pas bien ce que font<br />
<strong>les</strong> infirmières (E15) ».<br />
Il convient donc <strong>de</strong> se positionner pour affirmer clairement quels sont justement<br />
<strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> cette profession : « Il faut qu’on se batte… et qu’on affiche<br />
clairement que le cœur du métier c’est nous… (T5) ». Ce positionnement<br />
s’apparente à une lutte, si l’on en croit la présence importante d’un vocabulaire lié<br />
spécifiquement aux conflits : ainsi le vocable « combat » apparaît cinq fois <strong>dans</strong> cette<br />
partie <strong>de</strong> l’analyse, avec également le terme « défense » qui est employé <strong>de</strong>ux fois (E1,<br />
E21…).<br />
Face à ces représentations tenaces et à la réminiscence d’une i<strong>de</strong>ntité peu<br />
valorisante, il importe <strong>de</strong> distinguer et promouvoir le savoir-faire, mais<br />
« déconnecté… d’une aura d’i<strong>de</strong>ntité un peu… bonne sœur, infirmière (T3) ».<br />
Il en va <strong>de</strong> la profession elle-même qui doit pouvoir se faire reconnaître à sa<br />
juste valeur et montrer sa spécificité, en particulier en regard <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong><br />
professions comme celle d’ASSC, dont <strong>les</strong> activités se rapprochent beaucoup <strong>de</strong> cel<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>s infirmières et qui pourraient constituer une menace pour ces <strong>de</strong>rnières (T1). La<br />
distinction ne semble d’ailleurs pas très claire pour certains étudiants (E7).<br />
Mais il en va aussi d’une reconnaissance par <strong>les</strong> autres disciplines. En effet, <strong>les</strong><br />
<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> portent encore <strong>les</strong> traces <strong>de</strong> nombreuses années <strong>de</strong> soumission à la<br />
mé<strong>de</strong>cine (E1). Contrairement aux sages-femmes par exemple, <strong>les</strong> infirmières sont<br />
encore très peu affirmées (T4) : « on ose pas se valoriser (T4) ». Les <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> empruntent souvent à d’autres disciplines face auxquel<strong>les</strong> ils ont parfois<br />
<strong>de</strong> la peine à faire valoir leur propre savoir (T4), ou maintiennent volontairement <strong>de</strong>s<br />
liens <strong>de</strong> subordination (T15) : « C’est un danger <strong>de</strong> substituer <strong>de</strong>s outils ex tra-<br />
disciplinaires, psychothérapie… et <strong>de</strong> penser que l’outil extra -disciplinaire est<br />
364
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
le même quand il est utilisé <strong>dans</strong> notre raisonnement et notre jugement. C’est<br />
comme si, au niveau <strong>de</strong>s champs disciplinaires, il y avait maintien <strong>de</strong> cette<br />
subordination <strong>de</strong> notre discipline à d’autres (T15) ». Une praticienne s’insurge,<br />
par exemple, <strong>de</strong> ce que l’on a choisi le terme <strong>de</strong> « diagnostic infirmier » pour décrire<br />
l’élément clé <strong>de</strong> la démarche clinique infirmière. Ce terme diagnostic étant très<br />
clairement affilié à la mé<strong>de</strong>cine (P4). La proximité entre la discipline infirmière et<br />
d’autres disciplines proches rend la délimitation difficile : « il y a d’autres corps <strong>de</strong><br />
métier qui gravitent autour <strong>de</strong> nous, comme <strong>les</strong> psychologues et pis parfois <strong>les</strong><br />
psychologues, leurs entretiens, <strong>les</strong> entretiens <strong>infirmiers</strong>, la frontière reste très<br />
mince donc… on doit aussi se construire notre i<strong>de</strong>ntité à ce niveau -là (P8) ».<br />
Face à ces réalités, il s’agit donc <strong>de</strong> favoriser un engagement ayant pour objectif <strong>de</strong><br />
faire ressortir l’essence <strong>de</strong> la discipline infirmière (T15). Il s’ensuit qu’un certain<br />
nombre d’<strong>infirmiers</strong> et infirmières ont pris cette responsabilité à cœur et mettent tous<br />
leurs efforts à développer et faire valoir le savoir propre à la discipline (T15).<br />
Qualifiés parfois <strong>de</strong> « puristes », ils s’opposent alors avec véhémence à tout contact et<br />
toute interférence avec d’autres disciplines (T3). Cette attitu<strong>de</strong> créé un clivage, au<br />
sein du corps enseignant en particulier, car beaucoup considèrent que <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> ne peuvent se passer <strong>de</strong>s disciplines connexes : « … je suis en porte-à-<br />
faux avec ceux qui sont vraiment rigoureux aux sciences infirmières (T13) ».<br />
Face aux tribulations que traverse actuellement la profession, il y a <strong>de</strong>s enjeux<br />
très importants à cet engagement pour l’i<strong>de</strong>ntité infirmière (T7). Nombreux sont en<br />
effet <strong>les</strong> professionnels qui quittent la profession (Estryn-Béhar, 2006 ; Jaccard Ruedin<br />
et al., 2009 ; Jaccard Ruedin & Weaver, 2009). L’une <strong>de</strong>s personnes interrogées<br />
n’hésite d’ailleurs pas à avouer qu’elle ne choisirait plus la profession aujourd’hui.<br />
Elle affirme que <strong>les</strong> professionnels qui ont eu, comme elle, ce raisonnement sur leur<br />
activité ont également quitté le métier : « … sachant ce que je sais aujourd’hui, je<br />
ferais autre chose… (T13) ». La question reste <strong>de</strong> savoir quelle motivation peut<br />
transmettre un enseignant ou une enseignante à <strong>de</strong>s futurs soignants lorsqu’ils<br />
nourrissent, en eux-mêmes, ces pensées à l’égard <strong>de</strong> la profession.<br />
365
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Pour ces professionnels, un changement et un attrait nouveau peuvent voir le<br />
jour <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> pour autant que le rôle propre soit mieux défini et<br />
permettent <strong>de</strong> construire du sens (T13). L’i<strong>de</strong>ntité passe, certes, par le savoir-faire et<br />
<strong>les</strong> compétences (T3) et il est indispensable <strong>de</strong> justifier ce travail infirmier (E1), <strong>de</strong> le<br />
légitimer pour être reconnu comme professionnel : « Si on est crédible, si on a <strong>de</strong>s<br />
arguments, si on peut expliquer au mé<strong>de</strong>cin, pourquoi on a fait ça, ce qu’on a<br />
observé et tout… on se met en professionnel… (P10) ». Les modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />
développés durant ces <strong>de</strong>rnières décennies sont un atout considérable, car ils<br />
« mettent vraiment <strong>les</strong> vrais mots sur ce que fait l’infirmière, et montrent à<br />
quel point l’infirmière est indispensable… cela permet <strong>de</strong> montrer que, si on<br />
enlève <strong>de</strong>s infirmières bien formées, ben que le système il périclite ou que ça<br />
coûte encore beaucoup plus cher au système <strong>de</strong> santé… (T12) ». C’est tout<br />
particulièrement <strong>dans</strong> l’engagement au niveau du rôle propre que ce savoir<br />
relativement récent prend toute son envergure et permet <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner le contour<br />
d’une i<strong>de</strong>ntité plus affirmée. Il s’agit <strong>de</strong> ne pas se confiner <strong>dans</strong> le rôle prescrit (E11),<br />
selon le stéréotype <strong>de</strong> l’infirmière « qui fait <strong>les</strong> piqûres », même si ce rôle est <strong>de</strong> plus<br />
en plus favorisé (E12) au détriment d’un rôle propre qu’il tend à absorber (E25) parce<br />
que moins visible : « on est quand même <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s structures où le rôle<br />
autonome <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus maigre si on veut bien, par manque <strong>de</strong><br />
temps…(P10) ». Favoriser le rôle autonome, c’est permettre à la créativité et à<br />
l’engagement du jeune professionnel motivé <strong>de</strong> trouver sa place, au lieu <strong>de</strong> tomber<br />
<strong>dans</strong> une acculturation résignée (T10).<br />
À cette question d’une étudiante : « Est-ce que l’i<strong>de</strong>ntité infirmière elle peut<br />
quand même s’affirmer sans le rôle autonome, parce que l’ engagement, il est<br />
quand même souvent lié au rôle autonome ? (E13) », nous répondrons donc,<br />
après ces considérations, que l’enjeu rési<strong>de</strong> réellement <strong>dans</strong> la valorisation <strong>de</strong> ce rôle<br />
(P4) <strong>dans</strong> lequel l’engagement trouve à la fois sa source vivifiante et sa pleine<br />
expression. Les professionnels ont ensuite à apprécier leur discipline pour savoir la<br />
mettre en valeur « Il faut ensuite être capable soi -même <strong>de</strong> se valoriser à<br />
travers ça aussi, <strong>de</strong> le reconnaître et pas d’attendre forcément que la<br />
366
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
valorisation vienne <strong>de</strong>s autres (T4) ». Ce sont aux infirmières <strong>de</strong> croire en leurs<br />
compétences et <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire reconnaître à leur juste valeur (P5).<br />
19.3.8 La dynamique d’équipe, élément contributif à<br />
l’engagement<br />
L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle se construit au sein du groupe qui exerce la même<br />
profession et la dynamique d’équipe joue un rôle important <strong>dans</strong> la manière dont <strong>les</strong><br />
membres <strong>de</strong> l’équipe vont venir habiter, voire faire évoluer cette i<strong>de</strong>ntité. Cette<br />
constellation d’individus qui constitue l’équipe a déjà son impact direct au niveau <strong>de</strong><br />
l’engagement professionnel. Les soignants, en particulier ceux qui travaillent à plein<br />
temps, passent une bonne partie <strong>de</strong> leur quotidien aux côtés <strong>de</strong> leurs collègues (T4),<br />
travaillant parfois douze heures d’affilée aux côtés <strong>de</strong> mêmes personnes, <strong>de</strong> jour<br />
comme <strong>de</strong> nuit (P2). Hormis quelques exceptions comme <strong>les</strong> infirmières scolaires ou<br />
infirmières en entreprise, par exemple, le métier <strong>de</strong> soignant ne s’exerce pas en solo<br />
mais au sein d’une équipe. Qui plus est, ces personnes vivent ensemble <strong>de</strong>s situations<br />
émotionnellement très chargées qu’il est difficile d’appréhen<strong>de</strong>r réellement lorsque<br />
l’on est étranger à cette profession : <strong>de</strong>s moments joyeux, mais surtout <strong>de</strong>s moments<br />
aussi très éprouvants <strong>de</strong> confrontation aux phases et situations <strong>les</strong> plus extrêmes <strong>de</strong><br />
l’existence. L’équipe est un moteur d’engagement précieux, « une sacrée force<br />
parce que <strong>dans</strong> ces choses diffici<strong>les</strong> à vivre <strong>de</strong> pouvoir partager, échanger, tout<br />
le mon<strong>de</strong> ne peut pas comprendre à l’extérieur non plus ce qu’on est en train<br />
<strong>de</strong> vivre…(T4) ». Le soutien <strong>de</strong>s collègues est d’autant plus important lorsque le<br />
soignant est lui-même atteint <strong>dans</strong> son intégrité physique ou mentale. On relèvera<br />
l’exemple donné par un praticien évoquant avec émotion un inci<strong>de</strong>nt récent survenu<br />
sur un service psychiatrique lorsque son collègue était <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Une patiente avait<br />
manqué d’étrangler son collègue <strong>dans</strong> un accès <strong>de</strong> folie, si celui-ci n’avait été secouru<br />
par un autre patient alerté par le bruit (P8). Au travers <strong>de</strong> cette solidarité orientée<br />
vers un même but, c’est le sens <strong>de</strong> l’activité qui est rendu possible, un sens à son tour<br />
perceptible pour le patient et bénéfique pour lui (P1).<br />
367
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Et, parce que l’équipe a un rôle tellement essentiel <strong>dans</strong> la manière dont va se<br />
dérouler l’exercice professionnel, l’engagement au sein <strong>de</strong> cette équipe en est<br />
d’autant plus important aussi. « … L’engagement <strong>dans</strong> l’équipe… est important<br />
pour soi, pour l’équipe, pour la personne et pour le patient (E1) », il revêt un<br />
caractère quasi déontologique <strong>dans</strong> la mesure où il est « une forme d’engagement<br />
vis-à-vis <strong>de</strong>s collègues (P6) ». Il s’agit d’une forme d’engagement mutuel tacite,<br />
constitutif <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité collective, dont <strong>les</strong> soignants perçoivent bien l’intérêt et la<br />
raison d’être. Il existe cependant <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> figure où la dynamique d’équipe est telle<br />
qu’elle ne favorise pas l’engagement (E1), lorsqu’il y a par exemple <strong>de</strong>s tensions ou<br />
<strong>de</strong>s conflits (E3, E2), tandis qu’une dynamique positive d’entrai<strong>de</strong> a <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces<br />
très positives sur l’engagement personnel (E3, E26). On relèvera par exemple cette<br />
remarque d’une étudiante qui réalise, lorsque nous lui posons cette question <strong>de</strong><br />
l’importance <strong>de</strong> l’équipe <strong>dans</strong> son propre engagement, que celle-ci a joué un rôle<br />
finalement crucial, avec <strong>de</strong>s conséquences sur son choix professionnel définitif : « …<br />
Tiens c’est maintenant (en référence à une expérience au sein d’une équipe<br />
très engagée) que j’y pense, ouais ! Que je me suis dit, ouais je continue pour<br />
être aussi infirmière ou ambulancière… (E3) ».<br />
Malheureusement, en fonction <strong>de</strong> certains facteurs, l’équipe n’a pas toujours<br />
une inci<strong>de</strong>nce positive et certains soignants peuvent en pâtir. Certaines équipes sont<br />
plus préoccupées par leur propre dynamique que par <strong>les</strong> <strong>soins</strong> (T4). D’autres<br />
réussissent à entraîner <strong>les</strong> étudiants ou <strong>les</strong> autres professionnels <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s conflits et<br />
clivages qui constituent un frein indéniable à leur engagement (P1). Enfin, certaines<br />
équipes se montrent très soudées et peu avenantes vis-à-vis <strong>de</strong>s « nouveaux », en<br />
particulier <strong>de</strong>s tout-jeunes soignants : el<strong>les</strong> ont la fâcheuse tendance à ne relever que<br />
<strong>les</strong> points négatifs (T4) et suscitent plutôt la démotivation et la perte <strong>de</strong> confiance en<br />
soi : « …quand vous avez toute une équipe qui vous dit que vous êtes nul et<br />
que tout est votre faute, ben on finit par y croire (P11) ».<br />
De fait le bon fonctionnement d’une équipe est loin d’être une évi<strong>de</strong>nce.<br />
« Beaucoup ont peur du travail d’équipe parce qu’ils ont peur d’être mis sous<br />
une chape <strong>de</strong> plomb (T9) ». Le regroupement <strong>de</strong> personnalités différentes constitue<br />
un défi important. Une équipe renferme par exemple <strong>de</strong>s personnes avec <strong>de</strong>s niveaux<br />
368
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
d’engagement différents, ce qui peut constituer une source <strong>de</strong> tension. Face à un<br />
grand nombre <strong>de</strong> personnes peu motivées, un soignant plein d’énergie finit par se<br />
décourager (E7) ; mais, <strong>de</strong> la même manière, <strong>de</strong>s personnes très engagées peuvent<br />
également <strong>de</strong>venir source d’épuisement pour <strong>de</strong>s collègues qui ne parviennent pas à<br />
« suivre leur rythme » (E7). Sans doute ces <strong>de</strong>rniers ressentent-ils <strong>les</strong> attentes<br />
implicites à leur égard : « Quand tu te mets pas <strong>de</strong> limites, t’en acc or<strong>de</strong>s pas<br />
aux autres non plus (T9) ». Qui plus est, <strong>les</strong> personnes très engagées sont, cela va<br />
<strong>de</strong> soi, généralement davantage appréciées <strong>de</strong>s patients auxquels el<strong>les</strong> accor<strong>de</strong>nt très<br />
souvent une plus gran<strong>de</strong> disponibilité et <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> plus intensifs. Ces différences ne<br />
manquent pas d’être verbalisées par <strong>les</strong> patients qui expriment leur gratitu<strong>de</strong> par <strong>de</strong>s<br />
courriers, <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux, créant ainsi <strong>de</strong>s jalousies au sein même <strong>de</strong> l’équipe (T4, E26,<br />
T9). Enfin, l’engagement plus important <strong>de</strong> certains, surtout s’il se concrétise sous la<br />
forme d’une présence accrue <strong>dans</strong> le service, renvoie à l’équipe un sentiment<br />
d’incompétence : «… (il y a) <strong>de</strong>s gens qui reviennent <strong>dans</strong> le service après dix -<br />
huit heures, alors qu’ils ont fini le travail à seize heures… (P3) », « …c’est<br />
<strong>de</strong>s gens saturés, surmenés… on perçoit comme <strong>de</strong> l’interférence et un<br />
manque <strong>de</strong> confiance <strong>dans</strong> l’équipe… (P3) ».<br />
À ces problèmes <strong>de</strong> personnalités et <strong>de</strong> dynamique <strong>de</strong> groupe, qui peuvent<br />
influer négativement sur l’engagement <strong>dans</strong> l’équipe, s’ajoutent <strong>de</strong>s difficultés liées<br />
au mon<strong>de</strong> économique actuel (T11) qui, <strong>de</strong> par <strong>les</strong> restrictions budgétaires imposées<br />
aux institutions, mettent <strong>les</strong> équipes à ru<strong>de</strong> épreuve en réduisant drastiquement <strong>les</strong><br />
dotations en personnel, générant un épuisement <strong>de</strong> plus en plus important. Les<br />
individus arrivent à leurs propres limites et, même si leur bonne volonté est toujours<br />
là, la fatigue ne manque pas d’avoir <strong>de</strong>s répercussions sur le travail en commun :<br />
« … ma collègue a <strong>de</strong> la chance <strong>de</strong> partir en vacances mais elle était aussi au<br />
bout du rouleau, agressive heu… on arrive plus à faire la part <strong>de</strong>s choses non<br />
plus, le moindre truc on pète (P7) ». Et une enseignante exprime son souci face<br />
au constat suivant : «… entre professionnels… la tension est montée,<br />
<strong>les</strong> difficultés sont grandissantes, il y a <strong>de</strong>s gens qui sont en compétition, <strong>de</strong>s<br />
jalousies… (T11) ». Les tiraillements sont aggravés encore par la pratique <strong>de</strong>venue<br />
369
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
courante, <strong>dans</strong> certaines institutions, d’accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s primes au mérite ou <strong>de</strong>s<br />
gratifications particulières.<br />
Ces difficultés ne restent toutefois pas au niveau <strong>de</strong> l’équipe. Dans une<br />
profession qui nécessite un travail collectif très important, <strong>de</strong>s tensions qui nuisent à<br />
cette solidarité peuvent également se répercuter sur la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> au patient<br />
(E11).<br />
L’engagement <strong>dans</strong> l’équipe est un phénomène complexe, car il est à la fois<br />
engagement <strong>dans</strong> une histoire commune et individuelle. Parfois intégré au groupe, le<br />
soignant se trouve, à d’autres moments, aux prises avec une gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> :<br />
« …bien sûr on agit en équipe <strong>dans</strong> le sens où on prend <strong>les</strong> décisions en<br />
équipe, mais après quand on va au chevet du patient, on est tout seul… (E2) ».<br />
Et cette solitu<strong>de</strong> est vécue d’autant plus mal que la peur <strong>de</strong> l’erreur grandit. Pris en<br />
étau entre l’accroissement <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong> travail d’un côté, et l’invitation à une plus<br />
gran<strong>de</strong> prise <strong>de</strong> responsabilité <strong>de</strong> l’autre, le professionnel vit <strong>dans</strong> l’ombre d’une<br />
peur qui est celle <strong>de</strong> commettre l’erreur potentiellement fatale, comme nous l’avons<br />
déjà vu : « … Les gens ont peur maintenant <strong>de</strong> faire faux… ils ont peur <strong>de</strong> la<br />
faute, ils ont peur qu’on leur reproche quelque chose. Donc ils vont jamais<br />
dépasser <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> leur propre fonction et chacun veut, quand il a un<br />
souci, reporter la responsabilité sur l’autre… et là on arrive sur un terrain<br />
dangereux où chacun vraiment tire la cor<strong>de</strong> vers soi. Et il n’y a pas cette<br />
dynamique <strong>de</strong> tirer ensemble sur la cor<strong>de</strong> (P2) ».<br />
L’engagement est ici mis à l’épreuve par <strong>les</strong> conditions d’exercice, mais aussi<br />
par un phénomène d’individualisme <strong>de</strong>venu plus que jamais une <strong>de</strong>s valeurs<br />
dominantes <strong>de</strong>s sociétés industriel<strong>les</strong> : « …on est en paradoxe avec ces<br />
changements psycho-sociétaux où on tend vers l’individualité quand même, et<br />
puis ça je pense que c’est ça qui pose problème (T13) ».<br />
Heureusement, même si cette manifestation d’individualisme tend à s’accroître,<br />
la solidarité reste un élément central <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong>s soignants et ils semblent bien<br />
conscients <strong>de</strong> son importance. Un professionnel prend l’exemple du foot pour<br />
expliquer que la dynamique d’équipe est semblable. Si l’un ne se sent pas bien, ce<br />
370
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
sont <strong>les</strong> autres qui vont pallier cela. Cette situation ne doit cependant pas s’installer<br />
<strong>dans</strong> la durée, car l’équipe a besoin <strong>de</strong> tous ses membres (P6). C’est, en effet,<br />
l’entrai<strong>de</strong> qui permet <strong>de</strong> pouvoir se décharger <strong>de</strong> situations trop lour<strong>de</strong>s ou trop<br />
confrontantes (E1), d’accompagner <strong>les</strong> plus faib<strong>les</strong> face aux situations <strong>les</strong> plus<br />
délicates, par exemple accompagner <strong>de</strong>s étudiants <strong>dans</strong> leur première rencontre avec<br />
la mort (E2), <strong>de</strong> se décharger lorsque l’on est épuisé (E3), d’exprimer ses craintes<br />
(E13), <strong>de</strong> pouvoir éviter <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> projection et <strong>de</strong> transfert en « déléguant »<br />
certains patients (E21). C’est <strong>dans</strong>, et avec le collectif que s’élaborent <strong>de</strong>s pistes <strong>de</strong><br />
réflexion sur <strong>de</strong>s situations ardues, que <strong>de</strong>s ressources sont mises en commun, <strong>de</strong>s<br />
synergies créées qui vont permettre d’y faire face (E25). Et c’est aussi le collectif qui<br />
permet <strong>de</strong> pallier, jusqu’à un certain point, la dégradation <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail,<br />
en mettant à l’épreuve la solidarité <strong>de</strong>s professionnels entre eux (P7) : « …on sait<br />
que la collègue, elle est <strong>dans</strong> un état…, on le voit, <strong>dans</strong> un état difficile, alors<br />
on essaie <strong>de</strong> la protéger aussi, <strong>de</strong> la soulager <strong>dans</strong> <strong>les</strong> tâches, après c’est nous<br />
qu’on fait plus, enfin c’est toujours la même chose quoi… on essaie <strong>de</strong><br />
protéger ses collègues, pis après nous on prend sur nous, mais après c’est<br />
après nous qu’on est fatiguées et c’est nos collègues qui font la même chose<br />
pour nous, on essaie toujours <strong>de</strong> composer <strong>les</strong> uns <strong>les</strong> autres, mais voilà…<br />
(P7) ».<br />
Pour que cet engagement solidaire puisse trouver sa place <strong>dans</strong> l’équipe, il est<br />
essentiel que, <strong>dans</strong> son sein, se vivent <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> respect, d’écoute et <strong>de</strong> confiance.<br />
Ce sont déjà <strong>les</strong> chefs <strong>de</strong> service qui <strong>de</strong>vraient avoir cette attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> motivation,<br />
d’écoute et <strong>de</strong> confiance, attitu<strong>de</strong>s génératrices d’une ouverture et d’une confiance<br />
ensuite réciproque avec l’équipe (T11). L’effet en casca<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mise en pratique <strong>de</strong><br />
ces valeurs est impressionnant : « …<strong>dans</strong> un collectif, il y a <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong>, il y a<br />
une dynamique d’équipe qui entraîne, là je pense que là ça fait <strong>de</strong>s mirac<strong>les</strong>…<br />
(T12) ». Ce sont souvent <strong>de</strong>s comportements implicites, très peu, voire pas<br />
verbalisés du tout, mais dont <strong>les</strong> conséquences sont très importantes pour le bon<br />
fonctionnement <strong>de</strong> l’équipe et pour la qualité du service rendu (P6, E18). Ces<br />
comportements sont dictés par <strong>de</strong>s valeurs très largement partagées par ceux qui<br />
exercent la profession (T9), tant au plan idéologique que pratique, ainsi que par la<br />
371
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
poursuite d’un but commun. Ces <strong>de</strong>ux éléments que sont <strong>les</strong> valeurs et le but,<br />
lorsqu’ils sont en gran<strong>de</strong> partie communs à une équipe, lui donnent une stabilité et<br />
favorisent le bien-être <strong>de</strong> ceux qui la composent (P7, T4). Une enseignante explique<br />
que, <strong>dans</strong> certains centres <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, comme par exemple <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s centres pour<br />
drogués ou alcooliques qui ont une philosophie particulière où <strong>les</strong> valeurs<br />
communes sont clairement définies et exprimées, il y a parfois <strong>de</strong>s équipes très<br />
soudées « parce qu’il y a un projet commun, il y a <strong>de</strong>s volontés communes…<br />
(T11) ».<br />
La dynamique d’équipe est donc indissociable <strong>de</strong> la profession infirmière.<br />
Même si ces équipes rassemblent toute une constellation <strong>de</strong> personnes très<br />
différentes, avec « chacun sa manière <strong>de</strong> penser, sa manière <strong>de</strong> faire… (E7)»,<br />
son caractère (E11, P7), ses affinités (E13), el<strong>les</strong> constituent une véritable source <strong>de</strong><br />
richesse justement <strong>de</strong> par ces différences qui, vécues <strong>dans</strong> le respect mutuel (P7),<br />
peuvent <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> véritab<strong>les</strong> moteurs à l’engagement professionnel (P1).<br />
Et c’est au cœur <strong>de</strong> l’équipe que se déroule une activité essentielle <strong>de</strong> cette<br />
profession, à savoir la mise en mots. En effet, c’est elle qui donne la possibilité au<br />
soignant <strong>de</strong> verbaliser son vécu et <strong>les</strong> émotions qui lui sont liées, ainsi que <strong>les</strong><br />
difficultés rencontrées <strong>dans</strong> telle ou telle prise en soin (E2, E13, E17). La discussion<br />
avec <strong>les</strong> pairs a pour effet <strong>de</strong> désamorcer <strong>les</strong> tensions et <strong>de</strong> favoriser une prise <strong>de</strong><br />
recul qui permet d’y voir plus clair et d’envisager <strong>de</strong>s pistes pour mieux gérer une<br />
situation, par exemple (E15, P1). C’est un temps qui est d’ailleurs assez souvent pris<br />
sur <strong>de</strong>s moments d’échanges informels, où chacun ose se livrer et peut ainsi se<br />
débarrasser <strong>de</strong> far<strong>de</strong>aux importants. Une infirmière ambulancière raconte que<br />
chacune <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> son institution arrive un quart d’heure avant l’heure<br />
d’embauche, tous <strong>les</strong> jours, pour se retrouver autour d’un café. Hormis son aspect<br />
convivial, cette rencontre est particulièrement bénéfique puisqu’elle permet aux<br />
équipes <strong>de</strong> raconter ce qu’el<strong>les</strong> ont vécu : « … Les équipes <strong>de</strong> la journée ventilent<br />
ce qu’el<strong>les</strong> ont fait pendant douze heures à l’équipe <strong>de</strong> nuit… ça paraît anodin<br />
mais …on traîne pas nos cassero<strong>les</strong>… s’il y a eu une intervention qui a été<br />
beaucoup plus difficile, on va prendre le temps d’en discuter sous forme d’un<br />
372
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>de</strong>briefing… (P2) ». C’est ce contexte favorable <strong>dans</strong> lequel l’individu se sent<br />
entendu et reconnu qui est à la source <strong>de</strong> son engagement, un engagement qui le<br />
conduit à travailler au minimum une heure et <strong>de</strong>mie supplémentaire par semaine,<br />
non rémunérée mais par choix, parce qu’il est conscient <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> ce travail<br />
en commun. À ce niveau, <strong>les</strong> collègues sont une véritable ressource pour le<br />
professionnel. Le groupe permet l’action collective (E21), mais il offre aussi une<br />
protection contre l’épuisement professionnel : « … quand on est unis <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
difficultés, ça ai<strong>de</strong> à toujours à affronter <strong>les</strong> difficultés, pour moi c’est aussi<br />
une chose qui contribue au fait que je ne sois pas épuisé professionnellement<br />
(P8)».<br />
Parce qu’elle revêt cette importance toute particulière, la dynamique <strong>de</strong> groupe<br />
et la réflexion sur l’équipe doivent être abordées durant la formation. Cette<br />
dynamique se vit déjà, d’une certaine manière, au sein du groupe classe (E7, E21) où<br />
<strong>les</strong> étudiants peuvent aussi rencontrer <strong>de</strong>s différences <strong>dans</strong> la manière dont le groupe<br />
fonctionne et percevoir l’impact que cela peut avoir sur leur propre engagement. Une<br />
étudiante, qui fait un cursus bilingue et qui suit donc <strong>de</strong>s cours avec un groupe<br />
germanophone et un groupe francophone, explique que ce second, un grand groupe<br />
avec <strong>de</strong>s individus peu motivés, a <strong>de</strong>s répercussions plutôt négatives : « … je<br />
remarque (avec <strong>les</strong> francophones) comme ça me… enfin, j’sais pas j’ai moins<br />
d’énergie, je suis… différente (E15) ». Et l’inverse se produit lorsqu’elle travaille<br />
avec le groupe germanophone.<br />
Il est donc important d’abor<strong>de</strong>r, durant la formation, le thème <strong>de</strong> l’engagement<br />
au sein d’une équipe <strong>de</strong> travail pour favoriser, déjà au niveau <strong>de</strong>s étudiants, un sens<br />
<strong>de</strong> la cohésion <strong>de</strong> groupe (P2). La dynamique <strong>de</strong> groupe ne doit pas être abordée<br />
uniquement sous l’angle <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s conflits comme cela semble être<br />
passablement le cas (E3), mais davantage comme l’opportunité <strong>de</strong> travailler<br />
conjointement en profitant <strong>de</strong>s synergies que la diversité <strong>de</strong>s personnes et <strong>de</strong> leurs<br />
ressources ren<strong>de</strong> possible. Il y a là un potentiel extrêmement important pour<br />
dynamiser l’engagement et lui permettre <strong>de</strong> se vivre pleinement. Et peut-être une <strong>de</strong>s<br />
clés est-elle d’encourager <strong>les</strong> étudiants à s’engager <strong>de</strong> telle manière à ce qu’ils<br />
373
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
puissent <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> véritab<strong>les</strong> locomotives qui « entraînent… <strong>dans</strong> leur sillage le<br />
reste <strong>de</strong> l’équipe (E4) », en jouant un rôle <strong>de</strong> modèle (E3, E5). L’engagement est, en<br />
partie au moins, un processus contagieux (E25) et il est donc possible <strong>de</strong> jouer ce rôle<br />
<strong>de</strong> moteur pour d’autres (T12) et <strong>de</strong> contribuer à créer une équipe dont l’unité va<br />
pouvoir « faire <strong>de</strong>s mirac<strong>les</strong> (T12) ».<br />
19.3.9 Caractéristiques sociéta<strong>les</strong> sur l’engagement<br />
Si <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s d’interaction et d’engagement évoluent au sein <strong>de</strong>s équipes, c’est<br />
bien entendu en lien avec <strong>les</strong> mutations structurel<strong>les</strong> déjà évoquées, mais aussi en<br />
gran<strong>de</strong> partie en lien avec <strong>les</strong> modifications du « vivre ensemble » inhérentes à nos<br />
sociétés en perpétuelle mutation.<br />
Pour comprendre l’engagement, que celui-ci se situe <strong>dans</strong> un collectif <strong>de</strong> travail<br />
ou bien qu’il soit considéré comme l’engagement d’un individu spécifique <strong>dans</strong> sa<br />
profession, il est nécessaire <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r un moment sur <strong>les</strong> perceptions que <strong>les</strong><br />
acteurs eux-mêmes ont <strong>de</strong> ces changements au niveau sociétal, et <strong>de</strong> leur influence<br />
sur le milieu du travail.<br />
La mixité culturelle influence également l’engagement. Les personnes qui<br />
composent <strong>les</strong> équipes soignantes ont certes toutes leur propre personnalité (E17).<br />
El<strong>les</strong> proviennent parfois <strong>de</strong> cultures différentes (E5) car <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont un<br />
<strong>de</strong>s domaines professionnels où la mixité <strong>de</strong>s cultures est la plus importante en<br />
Suisse. Ces différences culturel<strong>les</strong> ont <strong>de</strong>s influences certaines sur la manière <strong>de</strong><br />
s’investir. Ainsi cette étudiante d’un canton bilingue (francophone et germanophone)<br />
explique qu’elle observe un engagement nettement plus présent chez <strong>les</strong><br />
alémaniques déjà <strong>dans</strong> la manière d’abor<strong>de</strong>r la formation : « … on a un exercice à<br />
faire, un travail <strong>de</strong> groupe… on va y aller à fond, on va rechercher vraiment<br />
l’information… chez <strong>les</strong> francophones, … c’est u n peu plus laisser-aller<br />
(E5) », mais également <strong>dans</strong> la mise en pratique <strong>de</strong> l’engagement : « Pour <strong>les</strong><br />
suisses alleman<strong>de</strong>s, c’est normal… <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s camps d’été avec <strong>les</strong> enfants…<br />
(E5) ».<br />
374
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Mais chaque personne est aussi imprégnée du milieu social et éducatif <strong>dans</strong><br />
lequel elle a grandi. La différence est perceptible entre <strong>de</strong>s personnes, souvent d’une<br />
ou <strong>de</strong>ux générations plus âgées que <strong>les</strong> étudiants, qui ont été éduquées <strong>dans</strong> « le<br />
sens <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs… <strong>de</strong>s obligations, du service (T9) », et <strong>de</strong>s jeunes davantage<br />
baignés <strong>dans</strong> une « atmosphère … <strong>de</strong> plaisir, <strong>de</strong> confort (T9) ». Le rapport au<br />
travail et aux limites s’en voit passablement modifié.<br />
Avec l’avènement du règne <strong>de</strong> la raison et la chute <strong>de</strong>s grands récits, <strong>les</strong> repères<br />
moraux et spirituels se sont également effilochés (T10), laissant l’individu face à sa<br />
responsabilité personnelle <strong>de</strong> construire ses propres repères. Ils ont la lour<strong>de</strong> tâche<br />
<strong>de</strong> mettre en scène leur propre « je » (P2) et <strong>les</strong> valeurs qui l’animent. « Aujourd’hui<br />
le problème ce n’est pas qu’il n’y a plus <strong>de</strong> valeurs, c’est qu’il y en a<br />
tellement qu’il faut essayer… <strong>de</strong> se faire son propre système <strong>de</strong> références…<br />
c’est aussi un processus, ça tombe pas du ciel (T10) ». Par le passé, <strong>les</strong> valeurs<br />
étaient transmises <strong>dans</strong> le contexte familial et socio-éducatif, tandis qu’aujourd’hui<br />
el<strong>les</strong> semblent nettement moins bien ancrées (P5). La formation, <strong>de</strong> son côté, jouait un<br />
rôle <strong>de</strong> transmission <strong>de</strong>s valeurs professionnel<strong>les</strong> reconnues par la communauté et<br />
l’étudiante entrait <strong>dans</strong> la vie active avec son panier <strong>de</strong> valeurs bien défini.<br />
Aujourd’hui, la formation leur offre le panier, mais c’est à eux <strong>de</strong> faire leur choix<br />
parmi <strong>les</strong> valeurs en présence (P10). Il faut être capable <strong>de</strong> placer <strong>de</strong>s priorités, <strong>de</strong><br />
faire <strong>de</strong>s choix judicieux, non plus entre <strong>de</strong>s éléments relevant du noir ou du blanc,<br />
mais au contraire s’étalant sur une gamme infinie <strong>de</strong> nuances <strong>de</strong> gris, ente <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />
extrêmes. Or, « quand y a trop, on sait plus quoi choisir (P5) », c’est aussi l’avis<br />
<strong>de</strong>s étudiants qui sont parfois bien embarrassés <strong>de</strong>vant <strong>les</strong> options possib<strong>les</strong> (E5).<br />
C’est l’avènement d’une polyvalence (T1), qui se vit parfois au détriment du sens<br />
(T10) et suscite <strong>de</strong>s engagements pluriels (E5) : « J’ai besoin <strong>de</strong> pouvoir répartir et<br />
<strong>de</strong> ne pas m’engager <strong>dans</strong> une seule chose… (E15) », explique une étudiante. Les<br />
jeunes affirment une volonté d’indépendance (P9), <strong>de</strong> liberté <strong>dans</strong> leurs choix (T9,<br />
P7), mais vivent en fait aussi une gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> (T1) et <strong>de</strong>s craintes qui <strong>les</strong><br />
conduisent à préférer <strong>de</strong>s engagements au sein d’espaces plus confinés (E17, T9) et<br />
peut-être plus rassurants. On peut sans doute mettre ici en exergue la remarque<br />
375
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
d’enseignants qui reconnaissent que <strong>les</strong> étudiants sont peut-être moins engagés au<br />
sein <strong>de</strong>s grands groupes-classes que par le passé, moins actifs aussi <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />
associations professionnel<strong>les</strong>, mais en revanche toujours aussi engagés, sinon plus,<br />
<strong>dans</strong> la relation au patient et sa prise en charge (T20, T9). On retrouve d’ailleurs cet<br />
attrait pour l’engagement plus intime <strong>dans</strong> une recru<strong>de</strong>scence <strong>de</strong>s jeunes fil<strong>les</strong>, en<br />
particulier, à vouloir se marier rapi<strong>de</strong>ment, comme pour acquérir le cadre ou la<br />
stabilité qui leur fait défaut (T4, T5), et qui résulte aussi souvent du délitement <strong>de</strong>s<br />
liens familiaux (T3), mais aussi sociaux (T4).<br />
De fait, il s’exerce une forte pression sur <strong>les</strong> jeunes (E17) et cela d’ailleurs dès le<br />
plus jeune âge et <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> domaines (P9). La pression régulière liée à l’incitation<br />
à la performance génère un stress latent quasi continu chez eux (P9). Celui-ci se<br />
heurte à son tour aux pressions induites par <strong>les</strong> changements institutionnels <strong>dans</strong> le<br />
milieu <strong>de</strong> l’activité professionnelle (T9) et l’on comprend dès lors <strong>les</strong> craintes et <strong>les</strong><br />
peurs dont ils peuvent rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>venir la proie (T9). Cela explique aussi cette<br />
remarque d’une enseignante qui, en parlant <strong>de</strong>s étudiants <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années,<br />
exprime <strong>les</strong> sentir «… plus fragi<strong>les</strong> (T10) ». Et une autre enseignante renchérit en<br />
faisant le lien avec une certaine hésitation <strong>de</strong> leur part à s’engager, disant qu’ils<br />
« sont plus fragi<strong>les</strong> d’un point <strong>de</strong> vue i<strong>de</strong>ntitaire qu’avant, donc c’est peut-<br />
être aussi plus dangereux… <strong>de</strong> prendre ses responsabilités, <strong>de</strong>, euh, ouais, <strong>de</strong><br />
jouer son rôle… (T4) ». Cette fragilité est renforcée encore par le fait qu’il n’y a pas<br />
<strong>de</strong> réelle possibilité <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> recul pour <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à se positionner et définir ainsi <strong>les</strong><br />
contours d’une i<strong>de</strong>ntité réfléchie et mûrie (T10).<br />
Cette situation vectrice d’une insécurité palpable pour certains jeunes <strong>les</strong><br />
conduit à se réfugier <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> protection et à préserver leur<br />
sphère privée, leur « cadre à soi » (E17), <strong>de</strong> peur qu’elle ne soit trop envahie par <strong>les</strong><br />
pressions sociéta<strong>les</strong>. Ainsi une étudiante explique : «… on est tout autant engagé<br />
mais peut-être d’une autre manière. Justement, on apprend aussi à se<br />
protéger… (E15) ». Et une praticienne remarque que, selon elle, l’engagement est<br />
vécu « avec un peu <strong>de</strong> retenue (T4)» <strong>de</strong> par le fait qu’il y a cette crainte face à<br />
l’avenir. Or l’engagement implique a priori une orientation vers l’avenir, ce qui peut<br />
376
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
constituer un frein : « … on y va si on est sûr, on y va pas si on est pas trop<br />
sûr… il y a une impression <strong>de</strong> dangerosité du mon<strong>de</strong> autour (T4) ». Et cette<br />
même enseignante relève le fait que <strong>les</strong> étudiants verbalisent ouvertement <strong>de</strong>s peurs<br />
face à l’avenir et au chômage… (T4, E16). Ainsi une étudiante reconnaît : « Je suis<br />
plutôt du genre à vivre au jour le jour que me projeter trop loin, parce que<br />
sinon on ne vit plus, on pense à trop <strong>de</strong> choses, ça me déprime (E16) ». C’est<br />
cette même crainte qui constitue un frein à la prise <strong>de</strong> position (T1), attitu<strong>de</strong> pouvant<br />
s’apparenter à une certaine lâcheté pour certains. Ce peut être, par exemple, <strong>dans</strong> le<br />
manque <strong>de</strong> positionnement au sein du collectif pour faire face aux difficultés liées<br />
aux contingences institutionnel<strong>les</strong> (P3), ou encore <strong>dans</strong> la promptitu<strong>de</strong> à choisir <strong>de</strong><br />
partir lorsqu’une situation est trop déplaisante (T3). Ces comportements sont<br />
d’ailleurs, très certainement, renforcés par l’impact socioculturel et <strong>les</strong> désirs que la<br />
société attise d’un bien-être total et accessible (T5, T10, P7), immédiat (T3).<br />
Face à cette insécurité, <strong>les</strong> jeunes eux-mêmes reconnaissent l’intérêt d’avoir un<br />
cadre (E5) qui leur permette <strong>de</strong> s’engager, mais sur une route balisée (P9).<br />
À l’exception d’une enseignante qui considère que <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong>s jeunes ont<br />
changé et que <strong>les</strong> loisirs ont pris le pas sur la valeur « travail » (T5), pour toutes <strong>les</strong><br />
autres personnes interrogées sur cette question, <strong>les</strong> jeunes ne sont pas moins engagés<br />
que par le passé, mais el<strong>les</strong> reconnaissent que cet engagement est différent, en<br />
particulier à cause <strong>de</strong>s difficultés évoquées. La structure (organisation du travail,<br />
débouchés) et la perception <strong>de</strong> la société (sécurité <strong>de</strong> l’emploi, perspective d’avenir)<br />
limitent l’engagement. Il y a naturellement aussi <strong>de</strong>s aspects qui sont davantage liés<br />
aux caractéristiques <strong>de</strong> la société actuelle, comme par exemple la notion <strong>de</strong> la<br />
mobilité <strong>dans</strong> le travail, très largement soutenue par la pensée du lifelong learning<br />
et la tendance grandissante <strong>de</strong> nos contemporains à changer <strong>de</strong> travail, voire <strong>de</strong><br />
profession plusieurs fois <strong>dans</strong> leur carrière (E18). De ce fait <strong>les</strong> individus s’attachent<br />
moins à une institution, du reste <strong>de</strong> plus en plus anonyme, mais recherchent<br />
davantage à satisfaire <strong>de</strong>s intérêts propres (T1, P9). L’idéal professionnel en est<br />
revalorisé.<br />
Les enseignants et praticiens expliquent que, <strong>dans</strong> leur propre formation,<br />
l’engagement était avant tout communautaire. Il s’agissait d’une appartenance qui<br />
377
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
relevait <strong>de</strong> l’évi<strong>de</strong>nce et la communauté professionnelle semblait « plus au clair sur<br />
ses valeurs et sa posture (T1) ». Les pressions parenta<strong>les</strong>, qui ne manquaient <strong>de</strong><br />
s’exercer, traçaient déjà la voie (P8), alors qu’à présent l’étudiante doit trouver elle-<br />
même le sens à ce qu’elle entreprend (P8). D’une certaine manière, cette évolution est<br />
positive, puisqu’il semble que <strong>les</strong> étudiantes soient moins <strong>dans</strong> une logique <strong>de</strong><br />
l’adaptation à tout prix, comme <strong>les</strong> soignants <strong>de</strong>s générations précé<strong>de</strong>ntes ont pu<br />
l’être (P7). Pour ces <strong>de</strong>rniers, la soumission (T9) et la souffrance relevaient même<br />
d’une certaine normalité contenue <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s normes implicites : « … j’aurais été<br />
(du genre)… à souffrir… en disant il faut se taire, il faut rien dire. C’est mon<br />
rôle d’être là… (T3) ». Par rapport à ces phénomènes, <strong>les</strong> jeunes sont mieux à<br />
même d’exprimer leurs limites (T3). Ils cherchent, pour la plupart, à s’éloigner <strong>de</strong> ces<br />
formes d’engagement inconditionnel qui sont liées à l’histoire <strong>de</strong> la profession et qui<br />
faisaient du sacrifice complet la condition réellement favorable à son exercice (T5).<br />
Toutefois, en sortant <strong>de</strong> l’univers confiné et protecteur <strong>de</strong> la formation, l’arrivée<br />
<strong>dans</strong> l’univers du travail ne se fait pas sans douleur, car <strong>les</strong> étudiants sont<br />
« protégés » au lieu d’être immergés <strong>dans</strong> la réalité concrète (P7). Selon une<br />
enseignante : « Ils (<strong>les</strong> étudiants) sont <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> où l’idéal qu’on (<strong>les</strong><br />
enseignants) leur présente… le choc est d’autant plus violent que <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> management <strong>dans</strong> <strong>les</strong> institutions vont à l’encontre <strong>de</strong> cet idéal -là. À mon<br />
sens, le fossé, maintenant il est beaucoup plus grand pour eux qu’il ne le fut<br />
à l’époque pour moi… (T13) ». À cet égard la formation serait fragilisante et l’écart<br />
entre l’école et <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> pratique se serait accentué.<br />
Et cette même enseignante <strong>de</strong> voir <strong>dans</strong> cet état <strong>de</strong> fait une invitation explicite à<br />
œuvrer ensemble, durant la formation, pour réduire cet écart : « … je pense aussi<br />
que intégrer ça (l’écart entre idéal et réalité professionnelle) au niveau <strong>de</strong> la<br />
formation leur donnerait <strong>de</strong>s ressources supplémentaires… (T13) ».<br />
Les jeunes sont très majoritairement en quête <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> ce qu’ils font (T1, P3,<br />
P9) : « je pense qu’on est <strong>dans</strong> une nouvelle génération qui s’ engage vraiment<br />
en souhaitant donner du sens. Peut-être même plus qu’avant (P8) ». C’est le<br />
sens et, <strong>dans</strong> une certaine mesure aussi, l’appartenance qui jouent le rôle<br />
378
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
véritablement moteurs <strong>de</strong> l’engagement mais, si <strong>les</strong> conditions sont réunies, ils sont<br />
prêts à investir beaucoup, en particulier pour exercer une profession qui leur tient à<br />
cœur. Nous l’avons vu précé<strong>de</strong>mment, le sens est une composante capitale pour<br />
qu’un engagement pérenne puisse se concrétiser. Sans doute est-il d’autant plus<br />
galvaudé qu’il nous échappe en partie.<br />
Peut-être faut-il repenser l’engagement comme un engagement orienté<br />
davantage vers la personne soignée que vers l’exercice du soin lui-même (T7), et<br />
travailler sur le sens <strong>de</strong> ce soin, en réfléchissant ensemble aux moyens d’améliorer la<br />
pratique plutôt que <strong>de</strong> la subir (T4).<br />
19.3.10 De la reconnaissance<br />
Dans une société qui laisse l’individu toujours davantage seul face à lui-même,<br />
le besoin <strong>de</strong> reconnaissance semble être <strong>de</strong> plus en plus prégnant. Et, même si <strong>les</strong><br />
<strong>soins</strong> ne s’exercent pas directement en vue d’une reconnaissance (E7), plusieurs <strong>de</strong>s<br />
personnes interrogées admettent néanmoins la rechercher indirectement (E3) : « …il<br />
y a un besoin <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong>rrière qui est immense… (P1) », une<br />
reconnaissance à la fois <strong>de</strong> soi, mais simultanément aussi <strong>de</strong>s autres (E15). Refuser<br />
cette évi<strong>de</strong>nce serait se leurrer soi-même et vivre <strong>dans</strong> l’illusion du don gratuit (T9).<br />
La reconnaissance est source d’une valorisation qui n’est pas uniquement au<br />
bénéfice du <strong>de</strong>stinataire, mais elle imprègne en retour également son expéditeur (E3),<br />
<strong>dans</strong> un mouvement dialogique reposant sur une base <strong>de</strong> confiance (E7). De ce fait, la<br />
reconnaissance se veut vectrice d’un certain bien-être (E12), voire <strong>de</strong> bonheur :<br />
« Ceux qu’on voit qu’ils sont reconnaissants, c’est un vrai bo nheur (E15) »,<br />
tandis que son absence génère la frustration (E15). Peut-être en est-ce ainsi parce que<br />
la reconnaissance signifie, implicitement, avoir réussi à captiver l’intérêt d’autrui<br />
pour soi (P2) et, par là-même, voir son estime <strong>de</strong> soi renforcée (E14), <strong>dans</strong> la mesure<br />
où «… voir qu’on est capable <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses… ça renforce la confiance en<br />
soi aussi (E11) ».<br />
La satisfaction <strong>de</strong>s gens, et ici tout particulièrement <strong>de</strong>s patients, constitue un<br />
grand encouragement pour <strong>les</strong> professionnels : «… quand on <strong>les</strong> (<strong>les</strong> patients)<br />
379
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
voit venir avec le sourire, ben on se dit, ben on est là pour quelque chose…<br />
(E7) ». La joie <strong>de</strong> pouvoir apporter un peu <strong>de</strong> plaisir est mise en association directe<br />
avec la satisfaction qui en découle (E18, E13, E25, T9) : « satisfaction d’avoir un<br />
merci en retour… (P11) ».<br />
La reconnaissance, outre son effet bienfaisant, est également une marque<br />
d’estime qui permet <strong>de</strong> se situer et d’être rassuré. Une enseignante explique en quoi<br />
le manque <strong>de</strong> retours positifs a été délétère pour son engagement professionnel, dont<br />
elle ne pouvait saisir la réelle pertinence en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> cet avis extérieur (T9). La<br />
reconnaissance accordée se révèle en même temps reconnaissance d’une place et<br />
d’un statut (E3, E26, P10), un statut qui trouve sa raison d’être <strong>dans</strong> un sentiment<br />
d’utilité. Ce <strong>de</strong>rnier élément semble très important pour <strong>les</strong> soignants, tout<br />
particulièrement pour <strong>les</strong> étudiants qui voient là une <strong>de</strong>s sources premières <strong>de</strong> leur<br />
motivation professionnelle (E7, E12, E17, E19) : « … j’ai toujours voulu être<br />
infirmière… en m’occupant <strong>de</strong>s gens, j’ai l’impression d’être…utile (E25) ».<br />
On retrouve ici toute la question du sens et l’importance que <strong>les</strong> jeunes accor<strong>de</strong>nt à<br />
cette dimension <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> sphères <strong>de</strong> leur vie, vie professionnelle comprise.<br />
Le caractère d’utilité entre en symbiose avec une volonté d’être reconnu, <strong>de</strong> se<br />
voir accor<strong>de</strong>r une certaine importance (E7, E17). C’est le privilège <strong>de</strong> « …pouvoir<br />
voir qu’on est importante, qu’on a notre place, vraiment reconnue (E3) ».<br />
L’appréciation <strong>de</strong> la hiérarchie, <strong>de</strong> l’équipe et <strong>de</strong>s patients constitue un élément<br />
moteur qui entraîne un « cercle positif » d’engagement (P8). Mais autant cette forme<br />
<strong>de</strong> reconnaissance est source <strong>de</strong> motivation et d’engagement pour la personne,<br />
autant l’absence <strong>de</strong> reconnaissance peut être vécue comme une négation <strong>de</strong> soi, qui<br />
anéantit alors toute velléité <strong>de</strong> s’investir (E18, P10), voire suscite l’abandon <strong>de</strong><br />
l’emploi (T9). Cette absence d’attention personnelle, parce qu’elle nuit à l’estime <strong>de</strong><br />
soi, peut même avoir <strong>de</strong>s conséquences sur la santé mentale, comme l’explique une<br />
enseignante : « …ce qui m’a fait souffrir et puis qui au bout du compte aboutit<br />
un peu à un burnout, c’est un manque <strong>de</strong> reconnaissance… (T12) ». Et nous<br />
noterons que l’autre infirmière ayant subi un burnout relève la même problématique.<br />
Alors qu’elle a le sentiment « d’avoir fait son maximum, ça s’est évaporé <strong>dans</strong> la<br />
nature… (P10) », et elle s’est retrouvée seule avec son épuisement (P10).<br />
380
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
L’engagement paraît donc directement dépendant <strong>de</strong> la reconnaissance (P10). Si<br />
le soignant, <strong>dans</strong> son engagement, se heurte à l’indifférence ou au désintérêt, il finit<br />
par se décourager et perdre la force vitale <strong>de</strong> cet engagement qui ne correspond plus<br />
à ses attentes et se dissout <strong>dans</strong> le non-sens résultant <strong>de</strong> la non-reconnaissance (P10).<br />
En revanche, connaissant l’importance <strong>de</strong> cette dimension pour soutenir et faire<br />
croître motivation et engagement, il semble pertinent <strong>de</strong> chercher à la développer au<br />
niveau individuel, en étant soi-même prompt aux compliments et aux marques <strong>de</strong><br />
gratitu<strong>de</strong> à l’égard <strong>de</strong>s pairs (P10), mais aussi au niveau <strong>de</strong> la profession au sens<br />
large. C’est <strong>dans</strong> ce sens qu’une enseignante œuvre auprès <strong>de</strong>s étudiants : « …Je<br />
leur donne envie <strong>de</strong> se battre quelque part pour avoir une reconnaissance<br />
autre que ce qu’il existe mainten ant… (P5) ».<br />
L’engagement a donc pour objet une reconnaissance plus large que la seule<br />
reconnaissance inter-individuelle. Il a aussi comme perspective une reconnaissance<br />
sociale <strong>de</strong> la profession.<br />
19.3.11 Engagement comme prise <strong>de</strong> position<br />
L’engagement impose <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix et <strong>de</strong> <strong>les</strong> affirmer au travers d’un<br />
positionnement. De son côté, l’évolution <strong>de</strong> la profession et l’accroissement <strong>de</strong>s<br />
responsabilités qui l’accompagne ren<strong>de</strong>nt le positionnement également <strong>de</strong> plus en<br />
plus incontournable. À une époque où l’on vit une pénurie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins et où <strong>les</strong><br />
infirmières vont <strong>de</strong>voir assumer <strong>de</strong> plus en plus d’actes médicaux pour compenser ce<br />
manque (T10), l’engagement <strong>de</strong>vra être basé sur un positionnement clair.<br />
Ce positionnement se situe à plusieurs niveaux, mais il apparaît face au patient<br />
tout d’abord. L’infirmière n’est pas en mesure <strong>de</strong> prendre en compte tous <strong>les</strong> be<strong>soins</strong><br />
du patient lorsque celui-ci le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Assaillie par une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> tâches à<br />
réaliser, celle-ci doit pouvoir l’exprimer au patient, afin aussi <strong>de</strong> garantir une attitu<strong>de</strong><br />
congruente à son égard (E1). Mais elle exerce son positionnement aussi en faveur <strong>de</strong><br />
ce même patient. D’une part, l’infirmière doit jouer le rôle d’avocate pour le patient<br />
381
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
et défendre ses intérêts, lorsque lui-même n’est pas en mesure <strong>de</strong> le faire ou ne<br />
dispose pas <strong>de</strong>s connaissances suffisantes pour cela. D’autre part, elle doit aussi<br />
mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> situations critiques et <strong>les</strong> limites pouvant mettre en jeu la<br />
sécurité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P1). En effet, <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail actuel<strong>les</strong> ne garantissent pas<br />
toujours un soin <strong>de</strong> qualité irréprochable et, lorsque le risque d’erreur pointe à<br />
l’horizon, il est <strong>de</strong> son <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> le faire savoir clairement (P4, E1).<br />
Le positionnement <strong>de</strong> la personne trouve son point d’ancrage <strong>dans</strong> ses valeurs<br />
(E18). Il est le moyen par excellence <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire valoir et <strong>de</strong> <strong>les</strong> défendre (T11, P8). Il<br />
est à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si la prise <strong>de</strong> position ne constitue pas le lieu d’articulation entre<br />
<strong>les</strong> valeurs et l’engagement. En effet, qu’elle se fasse par le biais d’une verbalisation,<br />
par l’intermédiaire <strong>de</strong> projets ou par l’adhésion à <strong>de</strong>s organismes comme <strong>les</strong><br />
syndicats par exemple, la prise <strong>de</strong> position s’incarne <strong>dans</strong> une dimension<br />
d’engagement (E18). Certes on ne saurait oublier que le refus d’engagement constitue<br />
également un positionnement, lui aussi mû par <strong>de</strong>s valeurs.<br />
Mais se positionner implique <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s limites, ce qui s’avère parfois difficile<br />
pour <strong>les</strong> infirmières (E9, T12), comme cette étudiante l’explique : « … j’arrivais pas<br />
à donner <strong>les</strong> limites et pis t’as pas envie <strong>de</strong> montrer que tu peux plus…<br />
(E26) ». L’expression <strong>de</strong>s limites est une attitu<strong>de</strong> quelque peu antinomique avec la<br />
conception du positionnement comme don <strong>de</strong> soi qui prévaut encore parfois (E9),<br />
voire d’abnégation comme l’exprime une enseignante : « … je souffre chaque fois<br />
que je pourrais faire ceci, mais qu’on me pousse à ne pas le faire… ou alors je<br />
le fais et puis je prends sur moi… je m’épuise en le faisant (T12) ». La<br />
personne préfère ici se murer <strong>dans</strong> une souffrance silencieuse plutôt que d’oser une<br />
prise <strong>de</strong> position affirmée qui lui permettrait d’agir en pleine adéquation avec ses<br />
valeurs.<br />
Il faut toutefois reconnaître que cette prise <strong>de</strong> position exige d’avoir une<br />
certaine confiance en soi (E9), et <strong>de</strong> se sentir soutenu également un minimum (P8)<br />
pour oser s’affirmer.<br />
Si un manque d’affirmation peut être perçu comme reflétant une certaine<br />
lâcheté par certains (P3, P10), avec, <strong>dans</strong> plusieurs cas, <strong>de</strong>s arguments qui semblent<br />
bien être <strong>de</strong>s excuses à un non-positionnement (E12), comme cette étudiante qui<br />
382
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
explique qu’elle ne prend pas position du fait <strong>de</strong> son statut alors qu’elle a été témoin<br />
d’une situation qu’elle juge inacceptable (E16), <strong>dans</strong> <strong>de</strong> nombreuses situations, c’est<br />
le sentiment <strong>de</strong> mener un combat perdu d’avance qui ronge l’élan <strong>de</strong>s soignants. Une<br />
enseignante explique : « … j’essaie plutôt <strong>de</strong> me taire parce que je trouve que ça<br />
<strong>de</strong>vient un peu un combat vain… (T12) » et une praticienne regrette que ce genre<br />
d’attitu<strong>de</strong> soit déjà présente chez <strong>de</strong>s étudiantes fraichement diplômées, déjà<br />
« blasées » et enfermées <strong>dans</strong> une forme <strong>de</strong> défaitisme attentiste (P10).<br />
Selon certaines étudiantes, le positionnement <strong>de</strong>vrait être davantage travaillé<br />
durant la formation (E18), en particulier par le passage à l’écrit (E1). Certes, l’attitu<strong>de</strong><br />
en tant que telle s’apprend tout spécialement par la confrontation aux milieux <strong>de</strong> la<br />
pratique, <strong>dans</strong> le concret <strong>de</strong>s situations rencontrées, mais elle peut néanmoins se<br />
préparer <strong>dans</strong> son arrière-plan théorique (E1). En effet, pour être efficace, une prise<br />
<strong>de</strong> position se doit d’être argumentée et étayée théoriquement. Une étudiante<br />
explique, par exemple, qu’elle s’appuie sur <strong>les</strong> principes éthiques et déontologiques<br />
avant d’amener <strong>de</strong>s suggestions à ses collègues (E22). L’affirmation <strong>de</strong> ses<br />
convictions ne se fait pas à l’arrachée (T10), sur un coup <strong>de</strong> tête, mais repose sur <strong>de</strong>s<br />
arguments soli<strong>de</strong>s (P8) qui peuvent être travaillés durant la formation. Pour un<br />
enseignant, « c’est un impératif <strong>de</strong> pouvoir être là avec un niveau élevé <strong>de</strong><br />
jugement clinique et <strong>de</strong> pouvoir se positi onner clairement… (T15) ». L’analyse<br />
<strong>de</strong> pratique constitue un moyen pédagogique <strong>de</strong> prédilection pour travailler ces<br />
attitu<strong>de</strong>s (T14). Partant justement <strong>de</strong> la pratique et <strong>de</strong>s situations concrètes que<br />
l’étudiante est susceptible <strong>de</strong> rencontrer, elle permet <strong>de</strong> réfléchir, entre autres par la<br />
confrontation avec <strong>les</strong> pairs, aux différents arguments qui pourraient sous-tendre<br />
telle ou telle prise <strong>de</strong> position (E11). L’analyse <strong>de</strong> pratique est donc à la fois le moyen<br />
<strong>de</strong> se constituer un ensemble <strong>de</strong> références conceptuel<strong>les</strong>, expérientiel<strong>les</strong> ou autres<br />
pouvant nourrir <strong>de</strong>s arguments, mais « c’est aussi le moment où on peut ai<strong>de</strong>r<br />
l’étudiant à se positionner, à s’engager tout en verbalisant ses limites…<br />
(T14) ». C’est un moyen d’apprendre à assumer ses positions <strong>de</strong> manière<br />
constructive.<br />
L’analyse <strong>de</strong> pratique, parce qu’elle se travaille en groupe, revêt un autre intérêt<br />
tout aussi crucial, à savoir celui d’apprendre à se construire <strong>dans</strong> un collectif. En effet,<br />
383
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
la prise <strong>de</strong> position, lorsqu’elle est portée par une seule personne, peut être beaucoup<br />
plus anxiogène parce que plus risquée également : « …moi toute seule je me sens<br />
très très petite et faible pour faire <strong>de</strong>s combats <strong>de</strong> ce genre… (T12) ».<br />
L’individu seul peut rapi<strong>de</strong>ment être déstabilisé (T12), tandis que le collectif résistera<br />
plus longtemps. Parmi <strong>les</strong> personnes interrogées, très nombreuses sont cel<strong>les</strong> qui ont<br />
souligné l’importance du groupe <strong>dans</strong> la prise <strong>de</strong> position (E12, E14). Le système<br />
tend à empêcher la construction du collectif, ne serait-ce que par l’ampleur <strong>de</strong> la<br />
tâche imposée qui ne lui laisse que très peu <strong>de</strong> temps pour <strong>de</strong>s échanges et <strong>de</strong>s<br />
réflexions qui soient réellement nourrissantes, porteuses <strong>de</strong> sens (E11, P1). Une<br />
enseignante fait d’ailleurs remarquer que le système <strong>de</strong> formation n’est pas différent,<br />
puisque l’école ne fait qu’appliquer <strong>les</strong> textes imposés par <strong>les</strong> déci<strong>de</strong>urs, sans prendre<br />
quelque position que ce soit. Une réflexion collective pourrait pourtant permettre la<br />
recherche d’une plus gran<strong>de</strong> cohérence (T5). Le collectif permet d’unir <strong>les</strong> forces pour<br />
tendre vers un même objectif et le défendre (E14), avec à la clé <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong>s<br />
chances <strong>de</strong> succès (T4, P4) : « … <strong>les</strong> gens seraient plus forts en groupe, <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
hôpitaux (P4) ». C’est aussi le groupe qui permet l’endurance, car sans soutien le<br />
combat <strong>de</strong> longue haleine <strong>de</strong>vient lourd et pesant : « … faut revenir, faut pas<br />
lâcher, faut revenir, faut le redire autrement (T1) ». Sans un soutien d’équipe<br />
l’individu s’épuise. Le risque <strong>de</strong> cet effritement <strong>de</strong>s forces internes, c’est qu’il n’y ait<br />
plus que l’alternative du départ (P1). Même si cette solution peut s’avérer judicieuse<br />
lorsque tout changement s’avère impossible (T4), elle n’est cependant pas une<br />
solution idéale, puisqu’elle signe quelque part le désaveu <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> position et<br />
constitue une marche arrière par rapport à l’objectif visé (T4). Une praticienne<br />
conclut qu’ « il faut être tenace » et œuvrer ensemble pour avoir plus <strong>de</strong> poids (P11).<br />
En se positionnant l’individu s’engage (E1, E25), ce qui relève <strong>de</strong> sa<br />
responsabilité <strong>de</strong> professionnel (E22). Cette responsabilité lui incombe <strong>de</strong> « faire<br />
entendre sa voix (T11) » et <strong>de</strong> défendre son rôle professionnel (P10) face à<br />
l’évolution du secteur <strong>de</strong> la santé déjà évoquée.<br />
Dans cette perspective, un positionnement clair, argumenté et réfléchi constitue<br />
une véritable pierre angulaire pour le développement d’un engagement efficace.<br />
384
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
19.4 L’engagement <strong>dans</strong> le cursus <strong>de</strong> formation en <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong><br />
L’engagement, même s’il ne s’enseigne pas, durant la formation, au même titre<br />
qu’une matière concrète spécifique, n’en <strong>de</strong>meure pas moins très largement influencé,<br />
au travers <strong>de</strong> différentes activités, d’apports <strong>de</strong> cours multip<strong>les</strong>, mais aussi par<br />
l’intermédiaire du système <strong>de</strong> formation lui-même, ainsi que <strong>de</strong> ceux qui la<br />
dispensent. Il nous semble donc indispensable d’examiner <strong>de</strong> plus près <strong>les</strong> facteurs<br />
qui le façonnent progressivement.<br />
19.4.1 Spécificités <strong>de</strong> la formation duale<br />
La plupart <strong>de</strong>s étudiants accor<strong>de</strong>nt une faveur particulière à la pratique qui<br />
reste, pour eux, la possibilité <strong>de</strong> vivre <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>dans</strong> le réel le plus<br />
concret. Dans ce sens, le principe retenu <strong>de</strong> faire effectuer <strong>de</strong>s stages <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />
contextes différents est considéré comme très favorable (E15), ce qui permet parfois<br />
aux étudiants <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s domaines pour <strong>les</strong>quels ils n’auraient pas eu d’attrait,<br />
<strong>de</strong> prime abord. Très souvent ils souhaiteraient que <strong>les</strong> temps <strong>de</strong> pratique soient plus<br />
conséquents.<br />
Le caractère protégé <strong>de</strong> la formation, au sein <strong>de</strong> l’école, est mentionné à<br />
plusieurs reprises (T11, P7), y compris par <strong>les</strong> étudiants qui notent la vision utopique<br />
que l’école transmet, tout en reconnaissant que c’est aussi son rôle <strong>de</strong> transmettre un<br />
idéal, accompagné d’une palette <strong>de</strong> connaissances diverses, leur donnant la<br />
possibilité <strong>de</strong> construire, par eux-mêmes, leur propre posture et leur propre<br />
engagement (E22). Il est vrai que certaines réalités du mon<strong>de</strong> professionnel, comme<br />
la difficulté d’effectuer <strong>de</strong>s horaires disparates avec peu <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> récupération<br />
entre <strong>de</strong>ux, le rythme intense du travail tout au long d’une journée (P4), ainsi que la<br />
lour<strong>de</strong> responsabilité qui revient à l’infirmière diplômée, sont autant d’aspects que<br />
l’étudiante n’a pas pu tester avant son entrée <strong>dans</strong> la vie active (T11). Cela constitue<br />
sans doute un grand changement avec la formation précé<strong>de</strong>mment dispensée en<br />
Suisse, formation qui correspondait à un apprentissage <strong>de</strong> niveau secondaire et qui<br />
385
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
invitait l’étudiante à travailler selon le même rythme et <strong>les</strong> mêmes modalités que <strong>les</strong><br />
soignants diplômés (P7). Si ce système avait pour inconvénient l’inclusion <strong>de</strong><br />
l’étudiante à l’équipe comme force <strong>de</strong> travail, il avait néanmoins aussi le mérite <strong>de</strong><br />
l’immerger <strong>dans</strong> la réalité du métier (P7).<br />
On trouve parfois ainsi <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> références aux anciens systèmes <strong>de</strong><br />
formation, qui prônaient une plus gran<strong>de</strong> présence sur le terrain, avec cependant un<br />
socle <strong>de</strong> connaissances inférieur. Les étudiants ont parfois <strong>de</strong> la peine à comprendre<br />
<strong>les</strong> orientations prises par l’organe central <strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées qui, <strong>de</strong> par<br />
sa mission <strong>de</strong> formation universitaire, se doit d’offrir un panel <strong>de</strong> connaissances<br />
larges constituant un socle fondamental. Ce socle peut ensuite être mobilisé en<br />
fonction <strong>de</strong>s situations, le moment venu (T3). L’importance <strong>de</strong> ces connaissances<br />
n’apparaît souvent que <strong>dans</strong> un second temps, parfois lorsque <strong>les</strong> jeunes sont déjà<br />
diplômés. Confrontés à certaines pratiques, ce savoir prend d’un seul coup sens (E26,<br />
P10). Par ailleurs, le « manque <strong>de</strong> pratique », souvent reproché par <strong>les</strong> professionnels<br />
(P4), engendre un sentiment d’infériorité chez <strong>les</strong> étudiants qui ont alors tendance à<br />
se dénigrer pour se faire accepter, quitte à taire <strong>les</strong> nombreuses et riches<br />
connaissances qu’ils ont pu acquérir en cours (T12).<br />
Un autre élément vient alimenter cette tendance <strong>de</strong>s étudiants à polariser leur<br />
attention sur la pratique, à savoir la tendance générale <strong>dans</strong> cette profession à<br />
valoriser toujours davantage ce qui relève <strong>de</strong> l’agir et du faire, au détriment du<br />
savoir et du savoir-être (T3). Dans un mon<strong>de</strong> mû par la logique <strong>de</strong> l’efficience, il est<br />
clair que l’action revêt une importance supérieure et le risque est alors que la<br />
formation subisse « un nivellement par le bas (T3)», imposé par <strong>de</strong>s pratiques<br />
rendues plus fortes car opérationnel<strong>les</strong>, qui offrent un agir visible et quantifiable.<br />
Ainsi <strong>de</strong>ux logiques s’opposent <strong>dans</strong> le système dual <strong>de</strong> la formation infirmière :<br />
« la logique du terrain et la logique <strong>de</strong> la réflexion (P1)».<br />
Face à cela, il est d’autant plus essentiel qu’il y ait consensus parmi ceux qui<br />
dispensent la formation, et que <strong>les</strong> cours ne soient pas eux-mêmes vecteurs d’une<br />
« espèce <strong>de</strong> réductionnisme (T3) », comme cela semble être parfois le cas, à en<br />
croire cette enseignante. L’evi<strong>de</strong>nce based nursing (EBN), calqué sur le modèle<br />
médical <strong>de</strong> l’EBM (Evi<strong>de</strong>nce based medicine), peut d’ailleurs rapi<strong>de</strong>ment conduire<br />
386
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
à cette vision réductrice, si on l’enferme <strong>dans</strong> le schéma d’une simple application <strong>de</strong><br />
protoco<strong>les</strong>, au lieu <strong>de</strong> la penser comme un outil au service d’un champ <strong>de</strong><br />
connaissances très vaste (T3, T1). Et une enseignante <strong>de</strong> faire remarquer, avec<br />
beaucoup d’amertume, que le nouveau Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor (Annexe 4 ; PEC 2012)<br />
est porté par <strong>de</strong>s contenus transverses qui sont tous orientés vers le « faire » (T13) :<br />
EBN, E-learning… alors que <strong>de</strong>s aspects comme la philosophie ou l’éthique restent<br />
<strong>de</strong>s contenus ponctuels très peu valorisés (T1). Une enseignante met également en<br />
lumière l’inadéquation du système modulaire <strong>de</strong> la formation pour certaines<br />
matières comme la philosophie, qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt un développement <strong>dans</strong> le temps.<br />
Pensées <strong>dans</strong> cette continuité, la philosophie ou l’éthique permettent aussi à<br />
l’étudiante <strong>de</strong> suivre une évolution en parallèle <strong>dans</strong> leur cheminement professionnel<br />
(T13).<br />
Ce développement <strong>de</strong> la personne pourrait être considéré comme secondaire<br />
par le fait que <strong>les</strong> étudiants sont encore jeunes, éventuel obstacle à une réflexion<br />
mature sur soi et sa profession. Néanmoins, force est <strong>de</strong> constater que, jeunes ou<br />
moins jeunes, dès qu’ils arrivent en stage, <strong>les</strong> étudiants sont confrontés aux mêmes<br />
réalités parfois très violentes. C’est pourquoi une enseignante insiste en disant que ce<br />
cheminement doit impérativement être amorcé en formation, malgré cette<br />
immaturité parfois. C’est ensuite à l’équipe pédagogique que la tâche revient <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />
ai<strong>de</strong>r à avancer <strong>dans</strong> ce processus (T14, E22). Et d’ailleurs, <strong>les</strong> jeunes eux-mêmes<br />
avouent désirer un travail en ce sens : « non alors ça on nous prépare pas (à la<br />
réalité), alors clairement pas (E22)». Car ils expriment aussi ressentir une forte<br />
responsabilité et <strong>de</strong> fortes pressions. Un double échec à un module entraîne non<br />
seulement l’arrêt <strong>de</strong> la formation au sein d’une école, mais l’impossibilité <strong>de</strong> se<br />
représenter <strong>dans</strong> une autre école <strong>de</strong> la même filière <strong>dans</strong> toute la Suisse roman<strong>de</strong> sur<br />
une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> cinq ans. L’enjeu est donc immense.<br />
Dans la formation duale, le praticien formateur joue un rôle nodal, puisqu’il est<br />
le pivot entre la pratique et l’école. Formé en pédagogie, il a la responsabilité d’ai<strong>de</strong>r<br />
l’étudiante à atteindre <strong>les</strong> objectifs qu’il se fixe en regard du niveau taxonomique<br />
attendu par l’école. C’est lui qui est souvent le constructeur <strong>de</strong> sens et qui fait<br />
prendre conscience à ce jeune en formation <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> certaines<br />
387
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
connaissances pour gérer <strong>de</strong>s situations particulières (T12). Sa position n’est toutefois<br />
pas toujours très confortable, <strong>dans</strong> la mesure où il peut se trouver en porte-à-faux<br />
avec une équipe dont il est néanmoins tributaire, n’étant pas toujours sur place pour<br />
juger <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> l’étudiante (T12). Par ailleurs, vis-à-vis <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, sa<br />
position est également délicate. Il doit à la fois accompagner celui-ci <strong>dans</strong> son<br />
processus d’apprentissage, l’ai<strong>de</strong>r à surmonter ses difficultés et, pour cela, entrer<br />
parfois <strong>dans</strong> une sphère relativement intime <strong>de</strong> l’étudiante, alors même qu’il sera, à<br />
la fin du stage, chargé <strong>de</strong> porter sur lui une évaluation qui pourra être lour<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
conséquences (T12). Étudiantes comme praticiens formateurs estiment judicieux <strong>de</strong><br />
pouvoir recourir à un tiers externe, non évaluateur, lors <strong>de</strong> difficultés sur le terrain<br />
(T12). Et pourtant, <strong>les</strong> enseignants regrettent que <strong>les</strong> praticiens ne fassent appel à eux<br />
que lorsque la situation est, le plus souvent, sans issue (T12).<br />
Dans l’accompagnement pédagogique, <strong>les</strong> praticiens utilisent fréquemment la<br />
pratique réflexive à laquelle ils ont été formés. Les différentes personnes interrogées<br />
sur ce point sont unanimes quant à l’intérêt que cette approche peut revêtir pour le<br />
développement professionnel. Pour <strong>les</strong> enseignants, tout comme pour <strong>les</strong> praticiens<br />
formateurs et <strong>les</strong> étudiants, la pratique réflexive constitue un moyen pédagogique<br />
excellent pour permettre <strong>de</strong> relier la théorie et la pratique, c’est-à-dire d’interroger la<br />
théorie, mais à partir d’une pratique qui lui donne sens (P10). La pratique réflexive<br />
joue réellement ce rôle <strong>de</strong> ciment unificateur entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux univers <strong>de</strong> la formation<br />
duale, démontrant l’importance <strong>de</strong> chacun, mais également leur caractère<br />
interdépendant. Mais la pratique réflexive, <strong>dans</strong> la mesure où elle place l’acteur du<br />
soin au centre <strong>de</strong> la réflexion, interroge aussi ses valeurs.<br />
19.4.2 Travail sur <strong>les</strong> valeurs en formation et soin <strong>de</strong> soi<br />
Les valeurs sont abordées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, souvent <strong>de</strong> manière implicite (E22),<br />
sous l’angle <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeur qui peuvent surgir <strong>dans</strong> certaines situations<br />
présentant <strong>de</strong>s dilemmes (E4). Le cas <strong>de</strong> l’euthanasie est, par exemple, fréquemment<br />
évoqué. Mais, même là, la question <strong>de</strong>s valeurs semble abordée <strong>de</strong> façon<br />
relativement superficielle, <strong>les</strong> étudiants pouvant donner leur avis mais sans être<br />
388
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
contraints d’argumenter vraiment (E22). Et une enseignante reconnaît que <strong>les</strong><br />
étudiants acquièrent <strong>de</strong>s connaissances thématiques, par exemple en éthique, mais<br />
sans une réflexion en profon<strong>de</strong>ur (T10). Les choix pédagogiques opérés par <strong>les</strong> éco<strong>les</strong><br />
ne sont pas orientés vers cette réflexion (T10). Le concept même <strong>de</strong> valeur semble<br />
aussi très peu abordé, parfois seulement en première année rapi<strong>de</strong>ment (T4). Dans<br />
certaines institutions, il ne l’est pas du tout sous l’angle personnel du rapport à soi et<br />
à ses ressentis : « … parfois c’est un peu argumenté en termes <strong>de</strong> connaissances<br />
mais pas <strong>de</strong> vécu émotionnel (E22) » et d’ailleurs la formation conduit à se centrer<br />
davantage sur l’autre, comme on peut le comprendre au travers <strong>de</strong>s mots <strong>de</strong> cette<br />
étudiante : « (avant la formation) j’étais plus… basée sur moi, que maintenant<br />
je suis plus basée sur l’autre (E13)», oubliant peut-être <strong>de</strong> donner à la part<br />
personnelle l’attention qui lui est due.<br />
Parmi <strong>les</strong> étudiantes interrogées, plusieurs regrettent que <strong>les</strong> concepts abordés<br />
<strong>dans</strong> ce domaine le soient <strong>de</strong> façon purement théorique (E1). Des illustrations, par<br />
<strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong> concrets, permettraient <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r la notion (E1). Par<br />
ailleurs, un regard introspectif sur <strong>les</strong> valeurs importantes pour le soignant rendrait<br />
possible un positionnement plus affermi entre le <strong>de</strong>voir et <strong>les</strong> convictions<br />
personnel<strong>les</strong>. L’étudiante explique qu’« il y a <strong>de</strong>s choses qu’on fait qui sont<br />
contraires à nos valeurs ou intérieurement on se dit [ non là je suis pas<br />
d’accord ], mais on le fait quand même…(E1) ». Exprimer ses ressentis et se<br />
positionner <strong>de</strong>vrait être travaillé (E2) pour que le positionnement puisse être légitimé<br />
et relié à la notion d’engagement, ce qui n’est apparemment jamais le cas.<br />
Certaines étudiantes disposent déjà d’une certaine capacité <strong>de</strong> réflexion et <strong>de</strong><br />
décentration à leur arrivée en formation (E12), en lien souvent avec leur éducation et<br />
leurs expériences (E7). D’autres, en revanche, doivent apprendre à gérer cette part<br />
personnelle <strong>de</strong>s valeurs au fur et à mesure <strong>de</strong> la formation, souvent <strong>dans</strong> la<br />
confrontation avec la pratique (E9). Certes <strong>les</strong> valeurs s’appréhen<strong>de</strong>nt plus facilement<br />
<strong>dans</strong> le concret d’une situation (E11), mais le chemin n’est pas toujours <strong>de</strong> tout repos<br />
pour celui qui l’emprunte et il correspond à « une remise en question permanente<br />
(E11) ».<br />
389
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
En formation, c’est l’analyse <strong>de</strong> pratique qui constitue le moyen par excellence<br />
<strong>de</strong> la réflexion sur soi et <strong>de</strong>s valeurs engagées en situation (E11). Comme l’exprime<br />
cette étudiante, l’analyse <strong>de</strong> pratique « permet <strong>de</strong> prendre du recul par rapport à<br />
la situation (E11)» et <strong>de</strong> se recentrer (E13). Une autre met en évi<strong>de</strong>nce l’importance<br />
<strong>de</strong> ces moments d’analyse par rapport au vécu émotionnel : « nos valeurs et nos<br />
émotions, el<strong>les</strong> sont toujours là, mais parfois implicites et ça ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />
exprimer (E22) ». La narration et la verbalisation <strong>de</strong>s situations vécues permettent<br />
aux étudiantes <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong> leurs difficultés ou forces, comme l’exprime<br />
cette étudiante : « grâce à ces séminaires, j’ai compris où pouvaient être mes<br />
faib<strong>les</strong>ses et où pouvaient être mes forces (E19) ». Grâce à l’écoute et à la<br />
sensibilité du formateur qui œuvre <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> maïeutique auprès <strong>de</strong>s<br />
étudiantes (T14), <strong>les</strong> vécus douloureux peuvent être évoqués et analysés, avec la<br />
distance qui ouvre sur <strong>les</strong> voies <strong>de</strong>s possib<strong>les</strong>, par le partage avec <strong>les</strong> pairs, <strong>dans</strong> la<br />
manière <strong>de</strong> <strong>les</strong> gérer (T10). Une enseignante explique que <strong>de</strong>venir un professionnel<br />
constitue un processus parfois douloureux. S’il y a, face à cette réalité, un <strong>de</strong>voir<br />
d’honnêteté (T14), il y a aussi nécessité <strong>de</strong> donner <strong>les</strong> moyens d’y faire face et ces<br />
processus itératifs que l’analyse <strong>de</strong> pratique met en œuvre « sont aussi nécessaires<br />
pour la construction (T14)» du professionnel. Pourtant, malgré ces considérations<br />
très positives sur l’analyse <strong>de</strong> pratique, nous avons pu mettre en évi<strong>de</strong>nce qu’elle<br />
n’est pratiquée, <strong>de</strong> manière régulière et avec <strong>de</strong>s enseignants formés, que <strong>dans</strong> un<br />
seul établissement. Tous s’accor<strong>de</strong>nt à en reconnaître la valeur, mais elle <strong>de</strong>meure<br />
peu exploitée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> faits.<br />
Dans une école, <strong>les</strong> enseignantes ont choisi un autre mo<strong>de</strong> d’approche pour<br />
faire réfléchir aux valeurs. El<strong>les</strong> réalisent <strong>de</strong>s sketches <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels el<strong>les</strong> jouent le<br />
rôle d’une infirmière dont <strong>les</strong> comportements mettent en jeu <strong>les</strong> valeurs et la<br />
déontologie <strong>de</strong>s soignants (E13). Cette mise en scène a été plébiscitée par <strong>les</strong><br />
étudiantes qui ont apprécié le côté à la fois réaliste, mais aussi pratique et concret <strong>de</strong><br />
cette forme d’apprentissage. Cette confrontation à leurs valeurs leur a permis <strong>de</strong><br />
réfléchir également à leurs limites (E13) puisque, comme l’explique une étudiante :<br />
« connaître nos valeurs, ça permet aussi <strong>de</strong> connaître nos limites… (E22) », et<br />
donc aussi <strong>de</strong> pouvoir passer le relais lorsque cela <strong>de</strong>vient nécessaire (E11). Dans une<br />
390
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
autre école, <strong>les</strong> étudiantes ont eu à faire <strong>de</strong>s choix qui ont mis en évi<strong>de</strong>nce la<br />
différence <strong>de</strong> critères qui peuvent émerger entre différentes personnes ayant comme<br />
objectif la même profession. L’engagement <strong>de</strong>s soignants peut être influencé par <strong>de</strong>s<br />
critères très différents, qui ouvrent la porte à <strong>de</strong>s conflits potentiels s’ils ne sont pas<br />
discutés (E13). De fait, l’incohérence du travail avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> génère<br />
la frustration, d’où la nécessité d’oser dire stop (E13), ou même <strong>de</strong> modifier <strong>de</strong>s<br />
trajectoires professionnel<strong>les</strong>, si el<strong>les</strong> s’avèrent incompatib<strong>les</strong> (E13). La question se<br />
pose alors à une enseignante <strong>de</strong> savoir comment ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à développer<br />
cette posture, « cette capacité à avoir une forme <strong>de</strong> clarté et <strong>de</strong> courage pour<br />
être effectivement en adéquation entre <strong>les</strong> valeurs promues et <strong>les</strong> valeurs<br />
effectives (T1) ».<br />
Si le désaccord avec ses valeurs propres génère un trouble <strong>de</strong> la conscience,<br />
l’harmonie avec le soi intérieur est source <strong>de</strong> paix et <strong>de</strong> sérénité (E22). Il y a là un<br />
véritable défi à relever, durant la formation, pour préparer l’étudiante à savoir<br />
défendre ses valeurs, en acceptant que <strong>les</strong> autres professionnels aient parfois <strong>de</strong>s<br />
valeurs différentes (T5). Défi d’autant plus grand que <strong>les</strong> promotions comptent<br />
toujours davantage <strong>de</strong> jeunes et que <strong>les</strong> grands groupes sont peu appropriés pour ce<br />
genre <strong>de</strong> réflexion intimement personnelle (T10, E25). Une enseignante note, par<br />
ailleurs, que l’importance <strong>de</strong> cette dimension est sous-estimée par certains collègues,<br />
dont <strong>les</strong> préoccupations sont davantage axées sur <strong>de</strong>s aspects techniques <strong>de</strong> la<br />
formation : <strong>soins</strong> techniques, skillslab 3 , e-learning, simulations… (T10, T4). La<br />
volonté d’entrer <strong>dans</strong> cette démarche d’introspection sur <strong>les</strong> valeurs dépend du bon<br />
vouloir <strong>de</strong> l’enseignant (T10, T4). Un enseignant propose d’utiliser, par exemple, le<br />
moment du contrat tripartite qui se déroule à chaque début <strong>de</strong> stage avec l’étudiante<br />
concernée, son enseignant <strong>de</strong> référence et le praticien formateur <strong>de</strong> l’établissement <strong>de</strong><br />
soin. Ce contrat qui a comme finalité <strong>de</strong> conclure un accord autour <strong>de</strong>s objectifs <strong>de</strong><br />
stage et d’en définir <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong> réalisation, permet d’établir un lien avec <strong>les</strong><br />
situations concrètes <strong>de</strong> la pratique. Par ailleurs, la configuration en petit comité,<br />
constitue également une condition idéale à une démarche personnelle (T15).<br />
3 Skillslab : laboratoire <strong>de</strong> simulation.<br />
391
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
La difficulté peut rési<strong>de</strong>r <strong>de</strong> façon plus emblématique <strong>dans</strong> une scission<br />
récurrente au niveau <strong>de</strong>s formations entre la connaissance <strong>de</strong> soi, et donc <strong>de</strong> ses<br />
valeurs, et la connaissance technique. Les <strong>de</strong>ux conceptions <strong>de</strong> la formation, l’une<br />
centrée sur le soignant en tant que personne et dont découle la connaissance <strong>de</strong> soi, et<br />
l’autre centrée sur <strong>les</strong> techniques et procédures spécifiques, se font face et peuvent<br />
s’exclure mutuellement si l’on ne prend pas gar<strong>de</strong> à leur articulation. La<br />
connaissance scientifique, quant à elle, <strong>de</strong>vrait permettre <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r et<br />
d’outiller la connaissance <strong>de</strong> soi, cette <strong>de</strong>rnière constituant un préalable<br />
incontournable à l’engagement professionnel (T15). Une étudiante considère cette<br />
connaissance <strong>de</strong> soi comme indispensable pour qu’une relation authentique puisse<br />
s’établir avec le patient (E3). Cette connaissance personnelle est rendue indispensable<br />
au soin <strong>de</strong> l’autre (E13) par le fait même que l’infirmière est « son propre outil <strong>de</strong><br />
travail (T4) », ce qui fait dire à ce praticien : « c’est difficile pour moi <strong>de</strong> concevoir un<br />
professionnel <strong>de</strong> la santé qui ne se connaît pas soi-même (P8) ».<br />
Sur un plan plus général, la construction réfléchie <strong>de</strong> cette part personnelle, vue<br />
non pas <strong>dans</strong> une perspective d’efficience, mais comme vecteur d’un bien-être au<br />
niveau du développement i<strong>de</strong>ntitaire (P6), permet la construction plus soli<strong>de</strong> du<br />
collectif professionnel.<br />
19.4.3 L’engagement <strong>dans</strong> la formation<br />
De l’analyse sur cette question <strong>de</strong>s contenus <strong>de</strong> cours en lien avec l’engagement,<br />
nous retiendrons un consensus massif sur le fait que cette notion n’est pas thématisée,<br />
en tant que telle, durant la formation. Nous pourrions citer au moins neuf étudiantes<br />
et quatre enseignants ayant répondu <strong>dans</strong> ce sens. D’autres sont moins catégoriques,<br />
expliquant ne pas avoir <strong>de</strong> souvenirs précis (E1) ou imaginer que cela vienne<br />
ultérieurement (E15). Une enseignante reste perplexe après notre entretien, avouant<br />
que nos questions l’ont rendue attentive à un manque évi<strong>de</strong>nt par rapport à cette<br />
notion pourtant centrale <strong>dans</strong> l’activité infirmière (T5).<br />
Pour certaines <strong>de</strong>s étudiantes interrogées, l’engagement est indirectement<br />
thématisé <strong>dans</strong> son lien avec la notion <strong>de</strong> responsabilité (E2) et d’autonomie (P4), ou<br />
392
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
alors pour mettre en évi<strong>de</strong>nce la nécessaire distance thérapeutique. Il est évoqué,<br />
plus spécifiquement, lorsqu’il est question <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin avec <strong>de</strong>s populations<br />
« diffici<strong>les</strong> », tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> personnes souffrant d’addictions ou <strong>de</strong> troub<strong>les</strong><br />
psychiques graves (T9, P8), mais aussi avec <strong>de</strong>s populations auprès <strong>de</strong>squel<strong>les</strong> le<br />
soignant s’engage peut-être davantage sur le plan affectif, comme <strong>les</strong> personnes<br />
âgées ou <strong>les</strong> enfants (T4).<br />
Plusieurs étudiantes regrettent que l’engagement émotionnel soit si peu objet<br />
<strong>de</strong> cours et <strong>de</strong> réflexions (E1, E2). C’est un peu comme si l’engagement allait <strong>de</strong> soi,<br />
« comme si ça faisait partie du cahier <strong>de</strong>s charges et puis à nous <strong>de</strong> nous<br />
débrouiller, entre guillemets (E7) », et, s’il n’y a pas <strong>de</strong> cours à ce sujet « on en a<br />
encore moins sur <strong>les</strong> conséquences que ça pourrait avoir (E7) ». La mise en<br />
mots <strong>de</strong> ce qu’est concrètement l’engagement pourrait constituer une clé pour<br />
l’exercice professionnel (E13) et éviter <strong>de</strong>s situations où, la routine prenant le <strong>de</strong>ssus,<br />
on pourrait se laisser aller à ne plus agir en professionnel (E13).<br />
L’engagement doit bénéficier, en contrepartie, d’un temps dévolu à soi et à ses<br />
ressources, qui puisse être l’exutoire du stress accumulé (E22).<br />
Plusieurs étudiantes et enseignantes relèvent l’aspect délicat du sujet comme<br />
objet d’enseignement (E1), celui-ci relevant plus d’une dynamique d’action que d’un<br />
contenu théorique (E1) qui conserve toujours une part d’artificiel (E2). Une<br />
enseignante fait remarquer que l’on ne peut pas imposer l’engagement à un jeune,<br />
mais qu’on peut, en revanche, le rendre attentif à son importance et à la dynamique<br />
qu’il génère pour le développement professionnel (T7). Intimement personnel, il est<br />
aussi incarné différemment selon <strong>les</strong> individus, leur culture, leur éducation et leurs<br />
expériences. Ainsi, une enseignante fait remarquer qu’il faut se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> jugements<br />
hâtifs sur un non-engagement apparent d’une étudiante. Celle-ci pouvant être très<br />
engagée par sa seule « présence, <strong>dans</strong> la manière d’interagir… il peut y avoir<br />
<strong>de</strong>s étudiants très discrets sur le plan verbal, mais très présents (T1) ».<br />
Cette même enseignante souligne aussi la nécessaire cohérence <strong>de</strong> l’enseignant<br />
face aux étudiantes, à savoir l’adéquation entre ce qui est enseigné et ce que <strong>les</strong><br />
étudiantes peuvent voir <strong>de</strong> la manière dont l’enseignant vit son engagement<br />
concrètement (T1).<br />
393
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
19.4.4 Impact <strong>de</strong>s enseignants sur l’engagement<br />
Sur ce point, <strong>les</strong> étudiantes sont aussi unanimes et reconnaissent l’impact que<br />
leurs enseignants ont sur la manière dont el<strong>les</strong> vont considérer leur pratique et leur<br />
intégration à cette pratique (E18). La motivation a, en soi, quelque chose <strong>de</strong><br />
contagieux qui fait que <strong>les</strong> professeurs motivés génèrent également une motivation<br />
chez leurs étudiantes (E5), même si le sujet <strong>de</strong>s cours abordés ne correspond pas à<br />
leur intérêt premier. Ces enseignants motivés savent donner l’envie d’approfondir un<br />
sujet <strong>de</strong> prime abord considéré par l’étudiante comme très secondaire (E15) : « le<br />
prof engagé, il va faire vivre son cours. Même quelqu’un qui est pas intéressé,<br />
il va s’y intéresser (E7) ». La mise en récit <strong>de</strong>s expériences vécues par <strong>les</strong><br />
enseignants <strong>dans</strong> leur pratique <strong>de</strong> soignants touche <strong>les</strong> étudiantes, comme l’explique<br />
une étudiante : « ils nous donnent <strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong>, ils nous racontent <strong>de</strong>s<br />
histoires qu’ils ont vécues, leurs expériences. Ça motive beaucoup. De <strong>les</strong> voir<br />
parler <strong>de</strong> leur métier, c’est passionnant (E17)» et c’est le lien affectif à la<br />
profession qui transparaît au travers <strong>de</strong> ces récits, puisque la même étudiante<br />
poursuit : « certains on remarque qu’ils ont vraiment aimé faire ça (E17) ».<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la motivation, c’est même l’engagement que ces enseignants suscitent,<br />
comme l’affirme une étudiante en disant <strong>de</strong> ses profs qu’ils « nous engagent, ils<br />
nous poussent à nous engager (E25)».<br />
En revanche, le désengagement a une influence négative. Plusieurs étudiants<br />
regrettent que <strong>de</strong>s enseignants viennent en cours en étant peu préparés, en donnant<br />
<strong>de</strong>s lectures qui ne sont pas exploitées ultérieurement, et quittent la classe pour se<br />
réfugier <strong>dans</strong> leur bureau ou à la cafétéria (E15), en laissant <strong>les</strong> étudiants travailler<br />
seuls (E9). Jugé comme une solution <strong>de</strong> facilité, ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement, lorsqu’il<br />
se répète, finit par générer la démotivation (E9). Ce n’est donc pas tant un<br />
éloignement <strong>de</strong> la pratique qui démotive <strong>les</strong> étudiants, même si cet éloignement <strong>de</strong> la<br />
réalité est aussi vécu comme un entrave (E22). Le ton est dur avec certains<br />
professeurs qui « ne savent plus ce que c’est… que la pratique… on leur<br />
donnerait un dossier et puis une prise en charge à faire, ils en seraient pas<br />
capab<strong>les</strong>… (E17) ». Mais c’est surtout à leur attitu<strong>de</strong> que <strong>les</strong> étudiants jugent leur<br />
motivation. Et ils ne sont pas dupes : « … on remarque assez vite quand <strong>les</strong> profs<br />
394
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
sont motivés et engagés ou pas (E17) ». La même étudiante explique : « certains<br />
ils sont plus <strong>dans</strong> la pratique <strong>de</strong>puis longtemps mais ils sont quand même<br />
motivants parce que… ils ont encore ça <strong>dans</strong> la tête (E17) » et « ils donnent<br />
envie d’aller plus loin…(E18)» par leur savoir et <strong>les</strong> connaissances qu’ils aiment à<br />
partager, et qui peuvent ensuite permettre <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s liens en situation (E18). Cette<br />
motivation générée au cœur <strong>de</strong> la formation, va bien souvent se traduire par un<br />
engagement plus concret <strong>dans</strong> le lieu d’exercice professionnel (T1).<br />
Il importe néanmoins que cette dynamique motivationnelle transmise soit en<br />
concordance avec la réalité. Parfois la déception a lieu lors <strong>de</strong> l’entrée sur le terrain<br />
<strong>de</strong> la pratique. En formation, <strong>les</strong> étudiantes se laissent contaminer par la motivation<br />
<strong>de</strong>s enseignants mais réalisent alors, lorsqu’el<strong>les</strong> sont confrontées à la réalité, que cet<br />
idéal n’est plus d’actualité (E25) et que certaines « bonnes pratiques » et une<br />
idéalisation liée à la philosophie <strong>de</strong> soin (T3) ne sont « plus du tout adaptées à la<br />
vie professionnelle (E25) ».<br />
Le fait <strong>de</strong> voir que <strong>de</strong>s infirmières réussissent à conserver motivation et<br />
engagement, malgré <strong>les</strong> années <strong>de</strong> travail et la fatigue <strong>de</strong> la profession, est aussi une<br />
gran<strong>de</strong> source d’espoir pour <strong>les</strong> jeunes qui entrent <strong>dans</strong> le métier (E1). Et une<br />
enseignante voit ici une réelle responsabilité, <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong> donner aux futurs<br />
diplômées à la fois l’envie <strong>de</strong> s’engager mais aussi <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> le faire, afin qu’el<strong>les</strong><br />
puissent faire face aux intempéries et ai<strong>de</strong>r à redresser le bateau (T1). Il faut pouvoir<br />
faire partie <strong>de</strong> ces personnes phares qui suscitent l’envie, à un moment donné, <strong>de</strong><br />
suivre leur exemple (T1) mais qui n’atten<strong>de</strong>nt pas, pour jouer ce rôle <strong>de</strong> modèle,<br />
d’être parfaits (T1). Cette enseignante affirme que « l’engagement, c’est aussi<br />
renoncer à être parfait (T1) ».<br />
Les enseignants doivent être attentifs à ne pas sombrer <strong>dans</strong> une nostalgie <strong>de</strong><br />
temps révolus, ce qui semble être parfois le cas, et qui porte atteinte à la motivation<br />
que l’on peut transmettre (T10). Car « la meilleure façon <strong>de</strong> former à<br />
l’engagement, c’est d’être engagé soi -même (T1) » et inversement ce sera<br />
« difficile <strong>de</strong> (<strong>les</strong>) motiver si soi-même on baisse la tête (T10) ».<br />
395
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
L’engagement personnel <strong>de</strong> l’enseignant peut aller jusqu’à conclure une forme<br />
<strong>de</strong> « partenariat » (T15) avec <strong>les</strong> étudiantes, ou encore à exercer une fonction <strong>de</strong> gui<strong>de</strong><br />
qui relève presque du « thérapeute » (P8), comme reconnaît ce praticien que <strong>les</strong><br />
enseignants ont aidé à se « sentir bien <strong>dans</strong> sa fonction d’infirmier en<br />
psychiatrie (P8) » et à créer une harmonie entre sa vie professionnelle et<br />
personnelle (P8). Au bénéfice <strong>de</strong> cette expérience, ce professionnel peut, à son tour,<br />
jouer un rôle <strong>de</strong> modèle engagé auprès <strong>de</strong>s étudiants qu’il encadre. Et il le clame haut<br />
et fort : « je leur donne envie <strong>de</strong> se battre quelque part pour avoir une<br />
reconnaissance autre que ce qu’il existe maintenant…(P8) ». La motivation et<br />
l’engagement <strong>de</strong>s professionnels peuvent même influencer <strong>les</strong> représentations et<br />
choix <strong>de</strong>s étudiantes quant à leur future pratique. C’est ce qu’affirment, à l’unisson,<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux praticiennes, infirmières en gériatrie. Les étudiantes arrivent souvent assez<br />
démotivées, avec <strong>de</strong>s images négatives <strong>de</strong> la gériatrie et <strong>de</strong>s personnes âgées.<br />
Néanmoins, leur engagement et la passion qui se dégage <strong>de</strong> leur attitu<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le<br />
concret ont souvent raison <strong>de</strong> leurs appréhensions premières et modifient leur vision<br />
<strong>de</strong> ce secteur <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P5), jusqu’à modifier <strong>de</strong>s choix <strong>de</strong> carrière (P7).<br />
La plupart <strong>de</strong>s praticiens interrogés sont bien conscients du rôle <strong>de</strong> modèle<br />
qu’ils jouent auprès <strong>de</strong>s jeunes en formation et <strong>de</strong> leur responsabilité à cet égard (P7,<br />
P8, P10).<br />
19.4.5 Les ressources contre l’épuisement<br />
Le thème <strong>de</strong>s ressources personnel<strong>les</strong> semble être abordé <strong>de</strong> façon plutôt<br />
globale. Ainsi, <strong>les</strong> étudiantes sont invitées à être attentives à leur hygiène <strong>de</strong> vie, à<br />
leurs loisirs, à gar<strong>de</strong>r la distance relationnelle nécessaire permettant <strong>de</strong> faire la part<br />
<strong>de</strong>s choses entre le professionnel et le personnel, et à trouver <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> parole<br />
comme « un échappatoire, ou un moyen <strong>de</strong> pouvoir se vi<strong>de</strong>r un peu (E5) ».<br />
Le feed-back fait partie <strong>de</strong>s ressources sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> formateurs insistent.<br />
Sollicité régulièrement auprès <strong>de</strong>s praticiens lors <strong>de</strong>s stages, il permet en effet à<br />
l’étudiante <strong>de</strong> pouvoir se situer, d’être rassurée ou, le cas échéant, <strong>de</strong> pouvoir mettre<br />
<strong>les</strong> mesures en place pour atteindre <strong>les</strong> objectifs (E2). Dans le même sens, <strong>les</strong><br />
396
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
enseignants insistent pour que <strong>les</strong> étudiantes produisent <strong>de</strong>s auto-évaluations<br />
régulières qui engagent la réflexivité. Un enseignant explique mettre l’accent sur<br />
« l’importance d’apprendre à s’auto-évaluer et à faire confiance à son auto-<br />
évaluation », sachant que, lorsque l’étudiante sera diplômée, elle sera confrontée à<br />
<strong>de</strong>s équipes où c’est avant tout ce qui ne va pas qui fait l’objet <strong>de</strong> remarques, et non<br />
l’inverse (T4).<br />
Une enseignante explique qu’il ne s’agit pas <strong>de</strong> développer une boîte à outils,<br />
mais bien davantage <strong>de</strong> « gui<strong>de</strong>r l’étudiante <strong>dans</strong> la découverte <strong>de</strong> la<br />
connaissance <strong>de</strong> soi et l’émergence <strong>de</strong>s ressources personnell es (T14) »,<br />
ressources donc déjà bien présentes mais parfois peu mobilisées.<br />
Pour cette mobilisation, la verbalisation et l’échange jouent un rôle déterminant,<br />
tout particulièrement entre pairs, en raison <strong>de</strong> cette « communauté du vécu où le<br />
partage prend sens (T14) ». Ce partage serait le plus fructueux s’il pouvait<br />
s’effectuer avec <strong>de</strong>s personnes différentes, apportant chacune <strong>de</strong>s compétences<br />
complémentaires, par exemple sous la forme <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> pratique (T14). Le<br />
phénomène d’individualisation actuel constitue un frein à la mobilisation <strong>de</strong> cette<br />
ressource capitale (T14).<br />
19.4.6 De l’enjeu <strong>de</strong> la réflexivité<br />
Une étudiante, partageant sa vision <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> humanitaire, explique <strong>les</strong> limites<br />
d’une approche qui se voudrait simplement compensatoire et chercherait<br />
uniquement à pallier <strong>les</strong> be<strong>soins</strong>. Elle lui préfère largement une approche visant à<br />
« outiller » <strong>les</strong> autochtones pour <strong>les</strong> mettre en position d’être, eux-mêmes, capab<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> pallier à ces manques, en ayant acquis <strong>les</strong> compétences <strong>dans</strong> ce but (E18). Nous ne<br />
pouvons-nous empêcher <strong>de</strong> faire ici un parallèle avec l’analyse <strong>de</strong> pratique. Elle<br />
cherche bel et bien, elle aussi, par une réflexion approfondie et conceptualisée, à<br />
fournir à l’étudiante ou au professionnel, <strong>de</strong>s éléments leur permettant <strong>de</strong> pouvoir<br />
gérer la situation. Cette posture réfléchie n’est alors plus un outil parmi d’autres,<br />
mais <strong>de</strong>vient partie intégrante d’une « hygiène <strong>de</strong> vie (E5) ». À condition toutefois<br />
qu’elle accepte <strong>de</strong> se détacher <strong>de</strong> son orientation première vers le patient, pour faire<br />
397
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
également la lumière sur <strong>les</strong> processus internes qui ont conduit le praticien à ses<br />
actions et fait émerger ses ressentis (E5, T5). Cela nécessite alors d’être guidé<br />
correctement au travers <strong>de</strong> ce processus, entre autres aussi pour avoir l’opportunité<br />
d’ancrer sa réflexion sur une argumentation soli<strong>de</strong> (E5). La relation <strong>de</strong> confiance<br />
établie avec <strong>les</strong> autres personnes présentes l’autorise à « se montrer un peu plus<br />
fragile sans être trop menacé (T4) », à exprimer ses sentiments et même à pleurer,<br />
par exemple (T4).<br />
Selon plusieurs personnes interrogées, la réflexivité constitue une arme<br />
importante <strong>dans</strong> le combat économique qui se livre au niveau du système <strong>de</strong> santé.<br />
De par son ancrage conceptuel et la validité scientifique qu’elle acquiert, elle permet<br />
aux infirmières <strong>de</strong> postuler pour une plus gran<strong>de</strong> reconnaissance sociale et<br />
économique, mais également <strong>de</strong> démontrer <strong>les</strong> dérives d’un système assujetti à la<br />
logique managériale et qui, par l’augmentation <strong>de</strong>s pressions, réduit à néant ce temps<br />
nécessaire à la réflexion. La verbalisation est évincée au profit <strong>de</strong> la communication<br />
virtuelle par l’intermédiaire <strong>de</strong> l’ordinateur (T9). Une étudiante explique la différence<br />
qu’elle a pu vivre entre un service traditionnel dont le quota est <strong>de</strong> 0.8 soignants par<br />
patient, et un service d’oncologie privé dont le quota est <strong>de</strong> 1.2 soignants par<br />
personne mala<strong>de</strong>. Dans le premier cas, aucune possibilité <strong>de</strong> prendre du temps pour<br />
la réflexion, alors que, <strong>dans</strong> le second, cette réflexion est au centre <strong>de</strong> la prise en <strong>soins</strong><br />
(E5). C’est une mise en synergie <strong>de</strong>s compétences et réflexions <strong>de</strong> chacun qui ouvre<br />
sur <strong>de</strong>s horizons <strong>de</strong> possib<strong>les</strong> quasiment infinis (T12). Et plusieurs étudiantes<br />
regrettent la centration importante du cursus <strong>de</strong> formation sur <strong>les</strong> actes techniques,<br />
qui pourtant s’acquièrent rapi<strong>de</strong>ment <strong>dans</strong> la pratique, au détriment d’un<br />
entraînement à la réflexion, dont l’exercice est beaucoup plus ardu et nettement plus<br />
long à s’approprier (E3, E5).<br />
De plus, la profession étant complexe et <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> parfois diffici<strong>les</strong><br />
à gérer, un regard extérieur sur son propre fonctionnement s’avère très aidant. Une<br />
étudiante fait le parallèle avec <strong>les</strong> psychothérapies que font certains soignants <strong>de</strong>s<br />
milieux psychiatriques. Elle explique que, sans aller jusque-là, cette mise en question<br />
<strong>de</strong> ses propres fonctionnements, et la verbalisation au lieu <strong>de</strong> l’intériorisation <strong>de</strong>s<br />
difficultés vécues, seraient un apport très bénéfique (E9). Cela permettrait, à la fois,<br />
398
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>de</strong> prendre du recul (E11), <strong>de</strong> bénéficier <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>s pairs et <strong>de</strong> leur analyse<br />
(E11). Mais, malheureusement, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services, le temps n’est pas suffisant pour<br />
procé<strong>de</strong>r à ce genre <strong>de</strong> réflexion. Comme l’explique une étudiante, « il manque<br />
aussi <strong>de</strong>s temps d’échanges je pense entre étudiants, entre <strong>les</strong> équipes en fait<br />
sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> stages… mis à part le temps <strong>de</strong>s transmissions qui est assez<br />
court pour parler <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> patients, on a pas forcément le temps <strong>de</strong> prendre<br />
du recul, <strong>de</strong> poser une situation… et c’est vrai que ça, ça manque ! (E11) ».<br />
Facteur <strong>de</strong> motivation, ce serait pourtant aussi « une rentabilité pour le service…<br />
et <strong>dans</strong> le coût bénéfice… c’est le bénéfice qui est largement supérieur (T4) ».<br />
Car, si l’effet positif <strong>de</strong> la réflexion se fait sentir sur la prise en charge, il imprègne<br />
aussi celui qui se laisse mo<strong>de</strong>ler et transformer. Une praticienne décrit ainsi avec<br />
beaucoup d’enthousiasme <strong>les</strong> effets <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> pratique : « tu ressors grandi<br />
un petit bout <strong>de</strong> soi… Et puis ça te redonne <strong>de</strong> l’élan , ça te redonne <strong>de</strong>s<br />
ressources…(P2) ».<br />
L’absence <strong>de</strong> cette analyse réflexive sur <strong>les</strong> services, conjuguée à la conscience<br />
<strong>de</strong> sa valeur ajoutée, ont comme conséquence un souhait formulé à au moins trois<br />
reprises parmi <strong>les</strong> étudiantes, <strong>de</strong> pouvoir revenir sur <strong>les</strong> bancs <strong>de</strong> l’école après<br />
quelques mois d’exercice professionnel, afin <strong>de</strong> pouvoir analyser ce temps d’insertion<br />
professionnelle avec leur tuteur et leurs pairs, et <strong>de</strong> pouvoir ensuite réajuster leur<br />
pratique <strong>de</strong> manière adéquate (E15).<br />
Une praticienne mentionne le portfolio comme un outil réflexif lui ayant été<br />
particulièrement aidant. Même si elle n’en a compris l’intérêt que très tard <strong>dans</strong> la<br />
formation, elle réalise à quel point il a été un facteur favorisant pour la<br />
conscientisation <strong>de</strong> certains phénomènes <strong>dans</strong> son exercice professionnel (P8).<br />
19.4.7 Le positionnement professionnel<br />
Ce point a largement été développé en lien avec l’engagement. Nous nous<br />
contenterons donc <strong>de</strong> souligner quelques aspects qui n’ont pas encore fait l’objet <strong>de</strong><br />
considérations antérieures. Sur ce thème, <strong>les</strong> apports semblent être relativement<br />
variab<strong>les</strong> d’une institution à une autre. Dans certains centres <strong>de</strong> formation, la notion<br />
399
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>de</strong> positionnement semble quasiment absente (E12), tandis que d’autres éco<strong>les</strong><br />
accor<strong>de</strong>nt une attention soutenue à cet aspect <strong>de</strong> la profession, qui lui permet <strong>de</strong><br />
s’émanciper d’une soumission ancienne à la mé<strong>de</strong>cine (E25) et <strong>de</strong> s’affirmer à part<br />
entière au sein <strong>de</strong> l’équipe pluridisciplinaire (E25). Mais, là encore, tout comme pour<br />
l’engagement, la limite <strong>de</strong> l’apport théorique apparaît clairement, parallèlement à la<br />
nécessaire confrontation avec la pratique (E25).<br />
Ce qui nous frappe en écoutant la <strong>de</strong>scription que <strong>les</strong> étudiants font <strong>de</strong> la notion<br />
<strong>de</strong> positionnement, c’est sa focalisation sur le fait « d’oser dire non », d’oser refuser<br />
d’effectuer un soin. Les fon<strong>de</strong>ments conceptuels, qui sont à la base <strong>de</strong> ce<br />
positionnement et permettent <strong>de</strong> le légitimer, <strong>de</strong>meurent néanmoins peu visib<strong>les</strong><br />
(E19). On exprime un désaccord auprès <strong>de</strong> la hiérarchie (E13), mais sans<br />
argumentaire apparent. Nous relevons le fait que <strong>les</strong> étudiantes qui mentionnent cet<br />
arrière-plan conceptuel sont aussi cel<strong>les</strong> qui bénéficient, <strong>dans</strong> leur institution, <strong>de</strong><br />
l’analyse <strong>de</strong> pratique. S’il est bien entendu impossible d’établir un lien certain entre<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux éléments, on est cependant en droit d’en poser l’hypothèse. Ainsi, une <strong>de</strong>s<br />
étudiantes explique : « j’ai toujours un avis sur ce que je lis, ce que j’entends,<br />
j’arrive toujours à me positionner après c’est… est -ce que je me positionne en<br />
fonction <strong>de</strong> mes valeurs ou en fonction <strong>de</strong>… <strong>de</strong> mes connaissances… j’essaie<br />
<strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r… <strong>de</strong> le vérifier par <strong>de</strong>s connaissances, par <strong>de</strong>s lectures ou bien en<br />
discutant… (E22) ». Faire l’impasse sur ce fon<strong>de</strong>ment théorique, c’est, selon une<br />
enseignante, comme vouloir peindre un mur sans apposer, au préalable, une couche<br />
<strong>de</strong> fond, une couche d’accrochage (T9). Rapi<strong>de</strong>ment la peinture s’écaille et le résultat<br />
est bien pire que la situation initiale. Aux compétences d’analyse doivent se joindre<br />
un socle <strong>de</strong> connaissances permettant <strong>de</strong> faire le lien avec <strong>les</strong> concepts théoriques,<br />
mais aussi « la capacité d’ouverture et <strong>de</strong> non-jugement… le positionnement éthique<br />
(T14) ».<br />
Une enseignante regrette que le nouveau programme ne soit pas davantage axé<br />
sur le savoir scientifique et que <strong>les</strong> éco<strong>les</strong> acceptent <strong>de</strong> se laisser dicter <strong>de</strong>s plans <strong>de</strong><br />
formation avec <strong>les</strong>quels el<strong>les</strong> sont en désaccord profond. El<strong>les</strong> sont ainsi el<strong>les</strong>-mêmes<br />
un contre-exemple au positionnement (T5).<br />
400
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Et une autre enseignante explique qu’il y a nécessité d’unir <strong>les</strong> efforts, en<br />
construisant sur le socle <strong>de</strong> valeurs communes à la base <strong>de</strong> la profession, afin <strong>de</strong><br />
pouvoir se positionner <strong>de</strong> manière raisonnée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations jugées incompatib<strong>les</strong><br />
avec une pratique infirmière digne <strong>de</strong> ce nom (T9). L’enjeu est double, puisqu’il y a,<br />
d’un côté, <strong>les</strong> conséquences au niveau <strong>de</strong> la profession, mais il y a également, <strong>de</strong><br />
l’autre, l’inci<strong>de</strong>nce sur <strong>les</strong> étudiantes pour <strong>les</strong>quels l’enseignant conserve très souvent<br />
une valeur <strong>de</strong> modèle. La manière dont l’équipe enseignante gère ses tensions<br />
<strong>de</strong>vient ainsi, pour l’étudiante, un exemple <strong>de</strong> la manière dont vont se gérer <strong>les</strong><br />
tensions <strong>dans</strong> l’équipe soignante (T9). Il est alors d’autant plus essentiel <strong>de</strong> leur<br />
montrer la nécessité <strong>de</strong> « construire un engagement collectif et puis <strong>de</strong><br />
construire une institution qui fonctionne bien (T9) ».<br />
Le positionnement est indispensable à l’engagement, car, sans lui, l’engagement<br />
n’a pas <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment et risque donc bien vite <strong>de</strong> se heurter à ses propres limites.<br />
19.5 Contexte hospitalier<br />
On ne saurait déconnecter l’engagement d’un individu <strong>dans</strong> une profession<br />
donnée, <strong>de</strong> l’environnement <strong>dans</strong> lequel s’exerce cette profession. Il va <strong>de</strong> soi que cet<br />
environnement va marquer <strong>de</strong> son sceau particulier une certaine dimension <strong>de</strong> la<br />
profession. Ceci est d’autant plus actuel pour <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> que <strong>les</strong> réformes en<br />
cours, <strong>de</strong>puis quelques années, modifient en profon<strong>de</strong>ur l’environnement sanitaire et<br />
social. Il est donc impossible d’examiner la notion d’engagement infirmier en faisant<br />
l’impasse sur le lieu <strong>dans</strong> lequel celui-ci prend vie.<br />
19.5.1 L’exercice du soin <strong>dans</strong> le contexte sanitaire<br />
Dans la refonte du système <strong>de</strong> santé, <strong>les</strong> professions ont été redéfinies et <strong>de</strong><br />
nouvel<strong>les</strong> professions sont apparues, qui font que <strong>les</strong> infirmières ont aussi davantage<br />
<strong>de</strong> peine à trouver leur place <strong>dans</strong> ce nouveau paysage. L’i<strong>de</strong>ntité infirmière est<br />
encore en plein développement (E1) et <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion ne lui<br />
facilitent pas cette recherche.<br />
401
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Comme nous avons pu le voir précé<strong>de</strong>mment, <strong>les</strong> soignants arrivent <strong>dans</strong> le<br />
domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> avec un idéal assez élevé, celui <strong>de</strong> vouloir « soigner tout le<br />
mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> guérir tout le mon<strong>de</strong>… (E11) ». Ils ont fait le choix d’investir une<br />
gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leur personne pour mettre en œuvre leur idéal <strong>dans</strong> le soin aux<br />
patients, mais <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail leur permettent <strong>de</strong> moins en moins <strong>de</strong> réaliser<br />
ce projet.<br />
Les conditions d’exercice tiennent parfois d’un véritable défi, comme l’explique<br />
cette étudiante, ancienne ai<strong>de</strong>-soignante : « nous, en douze minutes on <strong>de</strong>vait<br />
lever déjà <strong>les</strong> personnes qui avaient du mal à marcher, qui avaient <strong>de</strong><br />
l’arthrose, enfin <strong>les</strong> amener faire un tour aux WC, enfin on était pas contents<br />
<strong>de</strong> ce qu’on faisait quoi, on se sentait maltraitants… (E13) ». La réduction <strong>de</strong>s<br />
moyens ainsi que la pénibilité physique et psychique sont nommées à plusieurs<br />
reprises comme <strong>de</strong>s sources potentiel<strong>les</strong> <strong>de</strong> maltraitance, même chez <strong>les</strong> soignants <strong>les</strong><br />
mieux intentionnés (E19, P3). Parvenus aux limites <strong>de</strong> leurs ressources, ils n’arrivent<br />
plus « à faire la part <strong>de</strong>s choses… et au moindre truc ça (on) pète… ». Or<br />
cette agressivité est à son tour vécue « comme une charge émotionnelle pour<br />
<strong>les</strong> autres (P7) ».<br />
Certains soignants choisissent alors <strong>de</strong> se distancer pour se protéger. Se sentant<br />
toujours à nouveau brimés <strong>dans</strong> leur élan, ils finissent par baisser <strong>les</strong> bras (E19). À la<br />
charge <strong>de</strong> travail physique s’ajoute, <strong>de</strong>puis quelques années, la lour<strong>de</strong>ur<br />
administrative avec un temps consacré à remplir <strong>de</strong>s papiers, faire <strong>de</strong>s évaluations,<br />
réaliser <strong>de</strong>s procédures… qui ne cesse d’augmenter, au détriment bien entendu du<br />
temps accordé aux patients (P2).<br />
Dans une certaine mesure, <strong>les</strong> déci<strong>de</strong>urs tablent sur la conscience<br />
professionnelle <strong>de</strong>s soignants et <strong>de</strong> leur compassion pour <strong>les</strong> patients. Ils savent<br />
qu’ils n’entreprendront pas d’actes qui pourraient <strong>les</strong> mettre en danger. Une<br />
ancienne ai<strong>de</strong>-soignante explique qu’elle avait envisagé <strong>de</strong> faire grève avec son<br />
équipe, mais tous s’étaient ensuite ravisés en pensant aux rési<strong>de</strong>nts délaissés, ainsi<br />
qu’aux autres soignants qui auraient eu, à ce moment-là, à assumer une charge<br />
encore plus lour<strong>de</strong> (E13). Une autre praticienne explique qu’elle culpabilise <strong>de</strong> voir<br />
402
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
ses collègues ai<strong>de</strong>s-soignantes essayer <strong>de</strong> boucler péniblement une matinée <strong>de</strong> travail<br />
et ne peut s’empêcher <strong>de</strong> leur venir en ai<strong>de</strong>, délaissant ses propres activités (P7).<br />
Dans <strong>les</strong> zones frontalières comme cel<strong>les</strong> qui ont constitué notre terrain<br />
d’investigation, la comparaison avec <strong>les</strong> conditions salaria<strong>les</strong> françaises, ainsi que <strong>les</strong><br />
conditions <strong>de</strong> travail, constitue un autre moyen <strong>de</strong> pression important. Selon une<br />
étudiante, « <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la frontière, el<strong>les</strong> sont payées 1'200 euros… et<br />
el<strong>les</strong> ont le triple <strong>de</strong>s patients qu’el<strong>les</strong> ont ici… (E19) ». Les postulations <strong>de</strong><br />
françaises souhaitant travailler en Suisse sont nombreuses et <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> pression<br />
sur le personnel en place, par conséquent, assez efficaces. Le travail n’est plus aussi<br />
facile à trouver que par le passé et certains soignants préfèrent se taire par peur <strong>de</strong>s<br />
conséquences (P3).<br />
Les institutions exercent aussi <strong>de</strong>s pressions indirectes sur le personnel, en<br />
omettant d’informer le personnel sur ses droits. Ainsi, une enseignante explique<br />
avoir découvert, à sa gran<strong>de</strong> surprise, un document légal élaboré par la<br />
Confédération Helvétique octroyant le droit aux soignants <strong>de</strong> refuser <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong>, pour raison d’objection <strong>de</strong> conscience. Remis aux directeurs d’hôpitaux à qui a<br />
été laissée la responsabilité d’information <strong>de</strong>s employés, ce document est<br />
apparemment inconnu <strong>de</strong>s soignants (T10). Une praticienne fait d’ailleurs écho à<br />
cette réalité d’aliénation <strong>de</strong>s droits en expliquant l’impossibilité, pour elle, <strong>de</strong> suivre<br />
toute formation continue, droit pourtant bel et bien reconnu par la convention<br />
cantonale (P10).<br />
La souffrance est bien présente chez <strong>les</strong> soignants interrogés et <strong>les</strong> propos<br />
sonnent à nos oreil<strong>les</strong> comme <strong>de</strong>s appels douloureux au changement. L’épuisement<br />
et autres pathologies liés au stress se répan<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> <strong>les</strong> équipes qui, <strong>de</strong> ce fait, ne<br />
sont jamais au complet (E19) et n’ont plus l’énergie nécessaire à revendiquer leurs<br />
droits (P3). Dans un effet <strong>de</strong> cercle vicieux, <strong>les</strong> soignants qui travaillent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />
équipes à effectif réduit sont alors soumis à une intensité <strong>de</strong> travail plus importante<br />
et, par conséquent, s’épuisent à leur tour (E19). Le pool <strong>de</strong> remplaçants est contacté<br />
en <strong>de</strong>rnier recours, comme l’explique cette étudiante qui en fait partie : « quand ils<br />
nous appellent en <strong>de</strong>rnier recours,… ils en peuvent juste plus, moi je sens <strong>les</strong><br />
équipes qui sont épuisées avec cette dotation <strong>de</strong> personnel… (E22) ». Les<br />
403
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
départs très fréquents sont la conséquence première <strong>de</strong> cet épuisement et ils<br />
entraînent avec eux un tournus important <strong>dans</strong> l’équipe, induisant <strong>de</strong>ux<br />
conséquences majeures : d’une part, il faut sans cesse former <strong>de</strong> nouveaux collègues<br />
qui nécessitent un temps d’acclimatation au terme duquel souvent ils quittent le<br />
service. Et, d’autre part, <strong>les</strong> équipes sont composées en large majorité <strong>de</strong> jeunes<br />
professionnels disposant <strong>de</strong> peu d’expérience et qui s’en trouvent d’autant plus<br />
fragilisés, tout particulièrement <strong>dans</strong> ce contexte difficile (T4). Dans ces équipes, la<br />
même enseignante explique que <strong>les</strong> soignants « sont engagés mais en ayant<br />
l’impression <strong>de</strong> ne pas avoir <strong>les</strong> moyens vraiment d’assumer ça, quoi. Donc<br />
eux… ils vivent <strong>dans</strong> la peur (T4) ».<br />
Une enseignante décrit ces phénomènes, en expliquant qu’il y a « une forme <strong>de</strong><br />
rouleau compresseur du système actuel… une espèce <strong>de</strong> banalisation, et<br />
certaines interventions <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> comme une<br />
autre… (T9)». À l’hôpital lieu <strong>de</strong> charité, on a substitué l’hôpital entreprise avec sa<br />
logique managériale et ses exigences <strong>de</strong> rentabilité. La prise en charge, qui voudrait<br />
que l’on considère l’être humain <strong>dans</strong> sa dimension holistique, se voit parcellarisée<br />
en une somme d’actes disjoints, réalisés chacun par un autre intervenant, selon une<br />
logique taylorienne comme l’explique cette étudiante : « on travaille tout en<br />
tournées, donc il y a la tournée <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, la tournée <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong> sang, la<br />
tournée <strong>de</strong> ci, la tournée <strong>de</strong> ça, c’est vrai que c’est difficile… déjà pour le<br />
suivi <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, et puis ça rend <strong>les</strong> soignants démotivés (E22) ».<br />
Cette disjonction <strong>dans</strong> l’activité au quotidien génère un sentiment <strong>de</strong> dispersion chez<br />
<strong>les</strong> professionnels, qui ont le sentiment <strong>de</strong> passer d’une activité à une autre sans<br />
continuité, <strong>de</strong> ne jamais vraiment achever un travail que l’on voudrait pourtant<br />
réaliser <strong>dans</strong> <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’art (P3).<br />
La gestion <strong>de</strong> lits se fait à flux tendus. Il faut que l’occupation <strong>de</strong>s lits soit<br />
optimale, puisque l’hôpital <strong>de</strong>vra en rendre compte. Tout sera fait <strong>dans</strong> ce sens-là,<br />
même si, d’un point <strong>de</strong> vue médical, c’est une aberration. Ainsi un soignant explique<br />
vivre <strong>de</strong>s situations aberrantes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sens. Parfois ce sont <strong>de</strong>s patients qui<br />
sont renvoyés chez eux, le lit étant déjà réservé, alors que leur état imposerait qu’ils<br />
restent en institution. D’autres fois, ce sont <strong>de</strong>s patients qui restent là pendant<br />
404
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
plusieurs semaines parfois, sans raison majeure, mais pour optimiser le taux<br />
d’occupation <strong>de</strong>s lits, puisque maintenant « on veut <strong>de</strong>s chiffres… il faut faire<br />
<strong>de</strong>s chiffres (P3) ». Ce sont <strong>les</strong> principes même <strong>de</strong> déontologie professionnelle qui<br />
sont mis à mal, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong>s soignants qui sont attaquées. En effet, la<br />
pression constante <strong>dans</strong> le rythme <strong>de</strong> travail impose <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix et <strong>de</strong><br />
privilégier certains patients par rapport à d’autres, remettant ainsi en cause le<br />
principe même d’équité face aux <strong>soins</strong>, au risque d’ailleurs d’essuyer <strong>les</strong> critiques<br />
d’une hiérarchie pointant du doigt <strong>les</strong> lacunes repérées (P7, P10). Un praticien<br />
explique que ce système <strong>de</strong> pression constante entraîne un fort sentiment <strong>de</strong> ne pas<br />
faire du « bon travail », <strong>de</strong> ne pas « faire le travail jusqu’au bout (P3) ». À la<br />
frustration <strong>de</strong> ce travail empêché, s’ajoute la déception <strong>de</strong> ne pas être entendu <strong>de</strong>s<br />
supérieurs (P8), voire <strong>de</strong> réaliser que leur supérieure directe est aussi<br />
« instrumentée » et « muselée » par sa hiérarchie, étant elle-même assujettie à cette<br />
logique comptable (P3). Même <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins sont sous pression. Ils ne peuvent plus<br />
prescrire ce qu’ils veulent, mais se voient imposés <strong>de</strong>s traitements moins onéreux par<br />
le pharmacien <strong>de</strong> l’hôpital qui, lui aussi, doit justifier ses dépenses et chercher la<br />
rentabilité optimale, même si cela se fait au détriment du patient (P3). Dans <strong>les</strong><br />
institutions privées la pression remonte jusqu’au directeur dont la place dépend <strong>de</strong>s<br />
actionnaires qui statueront <strong>de</strong> son efficacité à une gestion performante (P3).<br />
C’est sans doute là ce qui nous frappe le plus lors <strong>de</strong> cette analyse, parce que<br />
cela revient à la manière d’un refrain lancinant. Il s’agit <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> l’humain <strong>dans</strong><br />
l’institution. En effet, <strong>dans</strong> un lieu où l’humain est censé se trouver au centre <strong>de</strong>s<br />
préoccupations, il semble que sa présence soit <strong>de</strong> plus en plus niée au profit d’une<br />
logique monétaire. Sur ce point <strong>les</strong> témoignages sont nombreux et édifiants. Nous<br />
avons cet exemple <strong>de</strong> patients qui ne peuvent pas recevoir <strong>les</strong> traitements prescrits<br />
parce que jugés trop onéreux (P3). Mais nous avons aussi l’exemple criant <strong>de</strong> cet<br />
infirmier veilleur <strong>de</strong> nuit qui a manqué <strong>de</strong> peu d’être étranglé par une patiente, en<br />
psychiatrie, alors que l’équipe avait donné l’alerte plusieurs jours auparavant pour<br />
signaler le comportement violent <strong>de</strong> cette patiente, totalement décompensée. Ce<br />
veilleur doit sa vie au « passage fortuit d’un autre patient qui s’était levé pour<br />
aller aux toilettes (P8) ». Et, malgré cet inci<strong>de</strong>nt et l’arrêt immédiat <strong>de</strong> ce soignant<br />
405
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
par son mé<strong>de</strong>cin, il aura encore fallu « trois jours pour que la patiente reçoive<br />
une médication pour l’ai<strong>de</strong>r et puis il a fallu attendre un mois et <strong>de</strong>mi pour<br />
qu’on mette en place un <strong>de</strong>uxième veilleur <strong>dans</strong> l’unité… (P8) ».<br />
Dans le même ordre d’idées, si la loi sur le travail se doit d’être respectée, <strong>les</strong><br />
modalités organisationnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s institutions vont parfois complètement à son<br />
encontre. C’est le cas <strong>dans</strong> cette institution qui n’octroie que trente minutes <strong>de</strong> pause<br />
à son personnel, sachant qu’il lui faut déjà dix minutes à l’aller et dix au retour pour<br />
se rendre à la cafétéria. Pour peu qu’il y ait encore un peu d’attente, la pause est<br />
réduite à néant (E22). Or, en effaçant ces temps <strong>de</strong> pause, ce sont aussi <strong>les</strong> temps <strong>de</strong><br />
verbalisation qui sont ôtés, élément essentiel au travail et au bien-être du soignant.<br />
La coupe <strong>dans</strong> ces temps d’échanges a <strong>de</strong>s répercussions négatives, à la fois sur la<br />
prise en charge, puisque le patient est réduit à sa pathologie (T9), mais également sur<br />
<strong>les</strong> soignants. Comme le dit cette enseignante : « c’est un calcul à court terme… c’est<br />
mauvais pour la santé <strong>de</strong> l’équipe (T9) ». Une infirmière aux <strong>soins</strong> à domicile<br />
explique que <strong>les</strong> petits rapports du matin ont été supprimés, la hiérarchie ayant jugé<br />
que le dossier informatisé permettait la transmission <strong>de</strong>s informations et ôtait toute<br />
nécessité d’échange entre <strong>les</strong> soignants (P10). C’est nier toute l’importance <strong>de</strong> la<br />
communication informelle et <strong>de</strong> la dynamique d’équipe qui se construit et se fortifie<br />
<strong>dans</strong> ces moments privilégiés. À la communication inter-individuelle, on a substitué<br />
la communication virtuelle (P10).<br />
Ce manque d’échange peut bien vite être la source d’une division, laquelle est<br />
peut-être, d’ailleurs, bienvenue pour une institution qui craindrait <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong><br />
pouvoir. C’est ce qu’explique ce praticien pour lequel il y a réellement une volonté<br />
<strong>de</strong>s dirigeants <strong>de</strong> « diviser pour mieux régner », en utilisant pour cela sciemment<br />
certaines techniques <strong>de</strong> désinformation et <strong>de</strong> triangulation (P3). Division par ailleurs<br />
encore renforcée par certaines pratiques managéria<strong>les</strong>, comme <strong>les</strong> primes au mérite<br />
qui font qu’il y a « <strong>de</strong>s gens qui sont en compétition, <strong>de</strong>s jalousies… beaucoup<br />
<strong>de</strong> difficultés interprofessionnel<strong>les</strong> (T11) ».<br />
Cette mainmise sur l’équipe est d’autant plus nocive que <strong>les</strong> collègues restent<br />
une ressource majeure pour pouvoir faire face au stress (P7). Une certaine marge<br />
406
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
d’autonomie est aussi perçue comme une ressource bienvenue (T13), mais elle est<br />
rare. De façon générale, un parallèle peut être fait entre la situation <strong>de</strong>s patients et<br />
celle <strong>de</strong>s soignants. À la piètre considération <strong>de</strong>s premiers, dont la dimension<br />
humaine est souvent négligée au profit <strong>de</strong> considérations économiques, s’associe la<br />
triste condition <strong>de</strong>s seconds, qui se reconnaissent, à maintes reprises, <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />
vocab<strong>les</strong> également dépourvus <strong>de</strong> dimension humaine. Ainsi plusieurs estiment être<br />
<strong>de</strong>s « pions » que l’on déplace à sa guise comme sur un échiquier, <strong>de</strong>s exécutants à<br />
qui il est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> ne surtout pas trop réfléchir, mais d’appliquer, même si l’ordre<br />
donné tient <strong>de</strong> l’absur<strong>de</strong> (P10). À au moins six reprises, <strong>les</strong> personnes interrogées<br />
s’i<strong>de</strong>ntifient à <strong>de</strong>s robots dont on attend un fonctionnement bien huilé (P3). Une<br />
praticienne exprime avoir le sentiment d’une « robotisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P8) », en<br />
reconnaissant que l’on a <strong>de</strong> plus en plus à faire à « <strong>de</strong>s <strong>infirmiers</strong> machinistes qui<br />
effectuent <strong>de</strong>s gestes coutumiers, jour après jour, sans vraiment se poser <strong>les</strong><br />
questions <strong>de</strong>rrière (P8) ». C’est dû au fait que « le système, il veut nous faire<br />
aller comme <strong>de</strong>s robots et on est quand même toujours tous, que <strong>de</strong>s êtres<br />
humains, autant <strong>les</strong> patients que <strong>les</strong> soignants… (P10) ». Une autre praticienne<br />
<strong>les</strong> rejoint en expliquant : « on a <strong>de</strong>s actes à faire auprès <strong>de</strong> lui [le patient], mais<br />
après ça s’arrête là… on a pas le temps après d’avoir justement cette…<br />
dimension relationnelle (P7) ». La dimension chaleureuse s’évanouit (P7). Il y a<br />
donc un écart toujours plus important entre le travail prescrit et le travail réel (P10).<br />
Même l’hyperspécialisation, qui touche à présent la mé<strong>de</strong>cine, encourage cette perte<br />
<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’humain, en délaissant la perspective holiste pour lui substituer une vue<br />
très morcelée <strong>de</strong> la personne (P5). On retrouve d’ailleurs cette tendance déjà durant<br />
la formation. Une enseignante explique que son plaisir principal à enseigner était <strong>de</strong><br />
pouvoir créer du lien entre <strong>les</strong> concepts et d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiants <strong>dans</strong> cette démarche.<br />
Or, à présent, cet aspect n’est plus souhaité, puisque ce que l’on attend d’une haute<br />
école, c’est qu’elle forme « <strong>de</strong>s spécialistes » (T12). Et une praticienne ne peut<br />
s’empêcher <strong>de</strong> s’écrier que cette évolution « humainement, c’est<br />
dramatique ! (P10) ».<br />
Cette perte <strong>de</strong> la dimension humaine ne laisse pas <strong>les</strong> professionnels<br />
indifférents. Une praticienne affirme que cela « génère <strong>de</strong>s angoisses (P7) » chez<br />
407
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
elle. Pour plusieurs autres, la situation professionnelle actuelle génère une perte <strong>de</strong><br />
sens (E22) et une infirmière explique : « moi je peux pas exécuter <strong>de</strong>s trucs, <strong>de</strong>s<br />
directives qui sont stupi<strong>de</strong>s, non ou qui sont contradictoires (P10) ». Cette<br />
praticienne établit un lien direct entre le fait d’avoir été considérée comme un pion<br />
que l’on déplace à sa guise, avec la perte <strong>de</strong> sens qui en découle, et le burnout dont<br />
elle a été victime à ce moment-là (P10).<br />
D’où l’importance d’un positionnement général et d’une information à la<br />
population encore largement ignorante <strong>de</strong>s difficultés réel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> milieux <strong>de</strong><br />
<strong>soins</strong> (P3). Celle-ci doit aussi être mise à contribution <strong>dans</strong> le combat mené, car celui-<br />
ci n’est pas seulement économique, mais également politique (P5). Or <strong>les</strong> politiques<br />
ne semblent pas toujours bien conscients <strong>de</strong> la réalité du contexte hospitalier, <strong>de</strong><br />
l’activité soignante réelle, ainsi que <strong>de</strong> l’impact <strong>de</strong> l’évolution démographique sur<br />
cette profession. En effet, avec l’évolution démographique et le vieillissement <strong>de</strong> la<br />
population, <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus complexes, ces<br />
personnes souffrant très souvent <strong>de</strong> polypathologies et nécessitant <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
beaucoup plus invasifs que par le passé (P10).<br />
Le départ d’un service n’est souvent pas la solution, car, « si on part <strong>de</strong> son<br />
service parce qu’il y a <strong>de</strong>s logiques comptab<strong>les</strong>, on va se retrouver <strong>dans</strong> un<br />
autre milieu où ce sera peut-être encore pire (P3) ». Partir c’est aussi perdre un<br />
peu la bataille et une enseignante reconnaît que « c’est quand même un peu<br />
frustrant parce que <strong>de</strong> se dire en même temps si <strong>les</strong> gens qui ont encore cette<br />
motivation-là s’en vont, ça changera jamais rien ! (T4) », mais, <strong>dans</strong> la même<br />
phrase, cette enseignante explique qu’elle n’avait en quelque sorte pas le choix, il<br />
s’agissait pour elle d’une solution vitale : « C’est vrai que là, j’ai peut-être joué<br />
ma peau (T4) ». Et, nous avons pu le constater aussi, beaucoup <strong>de</strong>s professionnels<br />
que nous avons interrogés ont fui <strong>les</strong> services hospitaliers traditionnels pour se<br />
réfugier <strong>dans</strong> l’enseignement ou <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s secteurs moins sous pression, comme <strong>les</strong><br />
<strong>soins</strong> à domicile. Deux soignants citent même en exemple <strong>les</strong> <strong>soins</strong> intensifs,<br />
expliquant que le stress y est très largement présent, <strong>de</strong> même que la charge <strong>de</strong><br />
travail. Mais pourtant <strong>les</strong> tensions se vivent beaucoup mieux, du fait que l’infirmière<br />
408
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
n’a que <strong>de</strong>ux ou trois patients et qu’elle est à « 100% avec la personne (E22) ». De<br />
ce fait, elle peut avoir « un lien qui est plus proche et plus renforcé avec <strong>les</strong><br />
patients (E15) ». Cet aspect relationnel semble contrebalancer une bonne part du<br />
stress vécu (E3).<br />
Dès leurs premiers stages, <strong>les</strong> étudiantes se ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> l’impact que<br />
l’attention portée par l’infirmière à un patient peut avoir. Hospitalisés, sortis <strong>de</strong> leur<br />
contexte, <strong>de</strong> leurs habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie, habités par <strong>les</strong> craintes d’un avenir incertain, bon<br />
nombre <strong>de</strong> patients souffrent parfois plus d’angoisses que <strong>de</strong> maux physiques réels.<br />
Une oreille attentive aura souvent <strong>de</strong>s effets extrêmement positifs, comme le rappelle<br />
cette étudiante : « j’ai pu observer la satisfaction euh… chez <strong>les</strong> patients quand<br />
je vois une infirmière qui prend euh… dix minutes, qui s’assied vers le<br />
patient… ça se ressent toujours quoi. Parfois, on a même plus besoin <strong>de</strong><br />
donner <strong>de</strong>s antalgiques ou <strong>de</strong>s c almants après (E22) ».<br />
L’impossibilité <strong>de</strong> mettre en pratique cette dimension humaine du soin est alors<br />
vécue comme un échec : « … on passe pas assez <strong>de</strong> temps pour faire un soin<br />
et… juste à ce moment-là on se rend compte que le patient a quelque chose à<br />
nous dire et puis ben, on est pris par l’organisation… c’est frustrant, très<br />
frustrant (E14) ».<br />
Tous <strong>les</strong> professionnels interrogés sont d’accord pour reconnaître l’importance<br />
d’une action collective face à cette dégradation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P11), car, si <strong>les</strong> soignants ne<br />
« travaillent pas leur positionnement, ils sont happés <strong>dans</strong> le système et… ça<br />
fera un peu <strong>de</strong>s robots… Ce sera plus <strong>de</strong>s personnes qui seront… comment<br />
dire… en fait si la personne elle se positionne pas, elle exécute et quand on en<br />
vient <strong>dans</strong> l’exécution, on perd aussi ses valeurs, voilà (P7) ».<br />
Face à cette situation <strong>de</strong> plus en plus difficile à gérer, <strong>les</strong> soignants doivent<br />
adopter une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> défense <strong>de</strong> leurs intérêts, même si « c’est difficile <strong>de</strong><br />
résister parce que <strong>les</strong>… le poids <strong>de</strong>s structures , c’est violent (T3) », il est<br />
néanmoins important <strong>de</strong> tout mettre en œuvre <strong>dans</strong> ce sens. Si la santé publique ne<br />
joue pas son rôle (T4), c’est aux <strong>infirmiers</strong> et infirmières <strong>de</strong> se prendre en mains et <strong>de</strong><br />
se positionner, « d’affirmer leurs valeurs personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong>, ce<br />
409
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
qu’ils ont envie <strong>de</strong> défendre et… <strong>de</strong> trouver un équilibre (P10) ». Donc ce<br />
combat suscite bel et bien un engagement <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s soignants (P10), un<br />
engagement pour redonner <strong>de</strong> la cohérence, <strong>de</strong> la structure et surtout <strong>de</strong> l’humain au<br />
milieu <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P10).<br />
19.5.2 Qualité <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />
Si l’activité est mue uniquement par la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir, cela provoque, à la<br />
longue « un ras-le-bol » (E12) et une démotivation.<br />
Nous remarquons d’ailleurs, au fil <strong>de</strong> l’analyse, <strong>de</strong>s éléments paradoxaux. En<br />
effet, certaines personnes, en particulier <strong>de</strong>s étudiants, affirment agir selon leurs<br />
convictions, ou du moins le souhaiter, mais <strong>dans</strong> la réalité, lorsqu’ils décrivent leur<br />
activité, on <strong>les</strong> sent pris <strong>dans</strong> l’étau <strong>de</strong>s obligations externes (E21).<br />
Par ailleurs, selon une étudiante, nous pouvons constater qu’une dotation en<br />
personnel insuffisante fait automatiquement pencher la balance du côté <strong>de</strong> l’agir et<br />
<strong>de</strong>s obligations professionnel<strong>les</strong> (E22). Elle décrit logiquement ce phénomène en<br />
expliquant que lorsque « le personnel est mal doté… on est peut-être plus <strong>dans</strong><br />
le faire, <strong>dans</strong> l’agir et on est moins <strong>dans</strong> l’être parce qu’on a pas le temps <strong>de</strong><br />
le faire et on s’épuise (E22) ». D’ailleurs, ce que l’étudiante exprime ici nous est<br />
confirmé par l’expérience vécue d’une soignante qui a pu l’expérimenter à ses<br />
dépens : «… Il y a eu aussi ça <strong>dans</strong> mon épuisement. C’est parce que j’entends,<br />
j’étais plus qu’à <strong>de</strong>voir exécuter <strong>de</strong>s directives et puis c’est tout. On me<br />
<strong>de</strong>mandait plus <strong>de</strong> réfléchir et puis d’avoir un tan tinet <strong>de</strong> réflexion et<br />
d’autonomie… (P10) ».<br />
Outre l’impact sur le soignant, c’est aussi la qualité du soin qui en pâtit, selon<br />
certains professionnels, puisque, si le travail est fait par <strong>de</strong>voir, « il n’y a plus cette<br />
dimension ben chaleureuse, relationnelle en fait cette dimension-là est <strong>de</strong> plus<br />
en plus perdue… et c’est l’essence même du soin qui est perdue (P7) ».<br />
Les <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> sont importants : l’expertise et la responsabilité parce qu’on est<br />
très vite <strong>dans</strong> l’erreur et « elle peut avoir <strong>de</strong>s conséquences dramatiques sur<br />
quelqu’un… », mais cela ne suffit pas, et l’étudiante rajoute que le soin doit se faire<br />
410
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
aussi « en fonction <strong>de</strong> nos convictions… c’est primordial pour euh, pour le<br />
bien-être (E19) ».<br />
Le secret d’un engagement professionnel durable se trouverait donc <strong>dans</strong><br />
l’équilibre entre <strong>les</strong> responsabilités et <strong>les</strong> convictions, équilibre rendu possible par le<br />
souci <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses valeurs, comme l’exprime une étudiante : « Si on respecte ses<br />
valeurs, on se respecte soi, et pis si on arrive à trouver l’équ ilibre entre<br />
finalement ce qu’on nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’un point <strong>de</strong> vue déontologique et puis ce<br />
que nous on a comme convictions, comme inspiration, si on a cet équilibre -là,<br />
on est moins sujet, sans doute, à l’épuisement (E5) ».<br />
19.5.3 De l’épuisement professionnel <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
Car le danger qui guette actuellement <strong>les</strong> soignants, c’est bien l’épuisement. « Il<br />
y a un pourcentage élevé qui sont en état d’épuisement professionnel… <strong>dans</strong><br />
notre profession (E5) », affirme une étudiante, approuvée par une professionnelle<br />
qui parle d’une « explosivité <strong>de</strong> burnout ». L’épuisement lié à l’exercice du métier,<br />
aussi appelé burnout, résulte d’une exposition au stress prolongé, pério<strong>de</strong> durant<br />
laquelle l’organisme, soumis à <strong>de</strong>s stresseurs souvent multip<strong>les</strong>, a épuisé toutes ses<br />
ressources, tant sur le plan neuro-végétatif qu’hormonal. On se rend compte <strong>de</strong>s<br />
conséquences désastreuses que ce phénomène peut entraîner chez un soignant en<br />
entendant une étudiante qui explique : « j’étais tellement sous stress que j’avais<br />
plus faim, pis je sentais que j’étais plus sûre <strong>de</strong> moi, que j’avais plus<br />
vraiment la tête concentrée à ma tâche, pis j’ai arrêté chez <strong>les</strong> personnes âgées<br />
parce que j’avais peur <strong>de</strong> leur faire du mal (E5) ». Aux conséquences physiques<br />
se joint donc une perte <strong>de</strong> confiance en soi, qui peut avoir <strong>de</strong>s répercussions sur la<br />
prise en charge <strong>de</strong>s patients (E5), ou <strong>les</strong> contacts avec <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> (E12). Une<br />
étudiante raconte cet inci<strong>de</strong>nt qui l’a choquée durant sa formation, lors duquel une<br />
infirmière a frappé un patient <strong>de</strong>vant elle et elle renchérit en disant que, « pour en<br />
arriver là, enfin pour frapper un patient… il faut vraiment être au bout du<br />
rouleau (E14) ».<br />
411
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Les causes qui conduisent à ce stress chronique sont nombreuses <strong>dans</strong> l’univers<br />
<strong>de</strong> soin actuel. Parmi <strong>les</strong> éléments relevés, on citera la routine et la pénibilité du<br />
travail (horaires, charge physique et émotionnelle…) comme <strong>de</strong>s éléments récurrents<br />
(E21). Ainsi, une étudiante explique que, <strong>dans</strong> le home où elle travaille pendant son<br />
temps libre, plusieurs infirmières sont arrêtées pour burnout. Mais cela s’explique<br />
aussi, dit-elle, par une clientèle <strong>de</strong> psychogériatrie très difficile à gérer sur le long<br />
terme, « avec <strong>de</strong>s gens déments qui crient, qui pleurent, qui se tapent, qui<br />
déambulent… (E22) ». Et l’étudiante reconnaît qu’elle ne pourrait pas non plus<br />
travailler à plein temps <strong>dans</strong> cette institution, en disant : « ce serait trop dur pour<br />
moi ! (E22) ». Cependant, à côté <strong>de</strong> cette charge liée au travail lui-même, il faut<br />
également mentionner la dénonciation, toujours à nouveau réitérée, d’un sentiment<br />
<strong>de</strong> désorganisation générale. Et c’est avec virulence que s’exprime cette infirmière<br />
qui a quitté la pratique pour l’enseignement, en raison justement <strong>de</strong> toutes ces<br />
difficultés : « Moi ce que je trouvais lourd, c’était <strong>les</strong> trucs d’organisation… À<br />
la fois une institution euh… qui mange, qui tue… il y a du poids à l’égard<br />
<strong>de</strong>s gens qui sont à l’intérieur, je trouvais doul oureux (T3) ». La charge <strong>de</strong><br />
travail se double alors d’un stress généré par le manque <strong>de</strong> coordination, <strong>les</strong> efforts<br />
investis sans retours (P8), le sentiment <strong>de</strong> ne jamais faire que parer au plus pressé,<br />
sans pouvoir terminer (P3, P10), avec un énervement et une frustration liés à la<br />
conscience d’une tâche mal accomplie (E12, E15). Et, qui plus est, l’infirmière se<br />
trouve à l’interface entre une personne souffrante et cette hiérarchie (T10) dont <strong>les</strong><br />
responsabilités sont parfois tellement diluées qu’il est difficile <strong>de</strong> savoir à quelle<br />
porte frapper. Ainsi, un praticien explique la tension très vive que génère chez lui le<br />
fait <strong>de</strong> percevoir la douleur d’un patient et <strong>de</strong> ne pas pouvoir le soulager,<br />
simplement parce que l’interne <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> ne prend pas le temps <strong>de</strong> venir rédiger une<br />
prescription. L’empathie pour le patient se mêle à la colère d’une attitu<strong>de</strong> vécue<br />
comme une imposture, ainsi qu’au sentiment <strong>de</strong> culpabilité et d’injustice (P3).<br />
La fatigue chronique <strong>de</strong>vient un obstacle à la gestion du quotidien et, à plus<br />
forte raison, <strong>de</strong>s imprévus (E2). Au bout d’un moment <strong>les</strong> forces physiques lâchent et<br />
« le corps ne peut plus suivre… le corps ou l’esprit… suivant la situation<br />
(E2) ». Différents exemp<strong>les</strong> nous sont donnés qui illustrent parfaitement cette<br />
412
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
affirmation. Une praticienne raconte, par exemple, le vécu d’une collègue dont le dos<br />
bloque régulièrement sous l’effet du stress, preuve pour elle qu’elle « en a plein le<br />
dos et qu’en fait, c’est son corps qui dit stop à sa place (P11) ». Si elle ne prend<br />
pas gar<strong>de</strong>, sa chute risque d’être sévère, affirme la praticienne. Ses craintes sont<br />
corroborées par l’histoire d’une enseignante qui nous raconte avec beaucoup<br />
d’émotion l’épuisement d’une collègue infirmière qui a conduit cette <strong>de</strong>rnière à<br />
choisir la solution ultime, celle du suici<strong>de</strong>, à quelques années seulement <strong>de</strong> la retraite.<br />
Face à son mal-être, elle n’a trouvé aucune oreille attentive, ni aucun soutien <strong>de</strong> la<br />
part <strong>de</strong> ses supérieurs. Le désespoir a alors pris le <strong>de</strong>ssus (T9). C’est aussi ce que<br />
décrit cette praticienne, victime d’un burnout quelques années auparavant : « un<br />
matin, je me suis dit non [là je peux plus, je peux plus y aller], c’était<br />
l’angoisse totale. Je me suis dit, bon, soit je me présente aux urgences en<br />
psychiatrie… ouais, je peux plus c’est fini… (P10) ».<br />
On sent la crainte qui habite <strong>les</strong> étudiants face à cette réalité. Certains préfèrent<br />
délibérément ne pas y penser pour éviter « la déprime (E16) », d’autres envisagent<br />
déjà <strong>de</strong> quitter le service si la situation <strong>de</strong>vient trop pénible (E18, E17, E19).<br />
Il convient <strong>de</strong> relever que <strong>les</strong> causes <strong>de</strong> l’épuisement relevées par <strong>les</strong> personnes<br />
interrogées sont très fortement mises en lien avec un environnement générateur <strong>de</strong><br />
stress. Les aspects individuels en termes d’attentes personnel<strong>les</strong>, d’investissement et<br />
du soin <strong>de</strong> soi apte à réguler cet investissement, ne sont pas mentionnés ici.<br />
Selon <strong>les</strong> étudiantes, l’épuisement <strong>de</strong>s soignants est d’autant plus<br />
problématique qu’il frappe <strong>les</strong> plus motivés et <strong>les</strong> plus engagés d’entre eux (E18),<br />
ceux qui sont « tellement pris <strong>de</strong><strong>dans</strong>… (E15)», qu’ils ne sont pas capab<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
prendre du recul et « <strong>de</strong> se regar<strong>de</strong>r faire (P2) ». Certains sont très empreints<br />
d’une mentalité infirmière persistante qui pense tout <strong>de</strong>voir donner, au détriment <strong>de</strong><br />
leur propre personne, et s’engagent donc sans aucune limite (T9). Mais ce sont<br />
également <strong>de</strong>s soignants qui s’engagent avec ce qu’ils ont <strong>de</strong> plus profond, leurs<br />
valeurs profon<strong>de</strong>s et, lorsqu’ils ne peuvent plus agir en fonction <strong>de</strong> ces valeurs, il<br />
s’ensuit une souffrance réelle, accompagnée d’une perte <strong>de</strong> sens, et par là-même une<br />
perte d’i<strong>de</strong>ntité professionnelle (P2).<br />
413
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Une étudiante relève le conflit <strong>de</strong> valeurs auquel elle se trouve confrontée, entre,<br />
d’un côté, <strong>les</strong> exigences toujours plus élevées <strong>de</strong> la pratique en termes d’horaires et<br />
<strong>de</strong> dotation par patient et, <strong>de</strong> l’autre, la qualité <strong>de</strong> la prise en charge promue par<br />
l’école, avec au centre la relation au patient et l’analyse approfondie <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong><br />
soin. Mais l’équation <strong>de</strong>meure insolvable (E15). Très souvent <strong>les</strong> étudiantes adhèrent<br />
sincèrement à cet idéal et la frustration en est d’autant plus gran<strong>de</strong> (T10). À cela<br />
s’ajoute que la vie <strong>de</strong> famille est parfois aussi largement prétéritée par <strong>les</strong> horaires et<br />
<strong>les</strong> rythmes <strong>de</strong> travail, quand ce n’est pas par le travail lui-même, lorsque <strong>de</strong>s cadres<br />
soignants emmènent leurs dossiers chez eux et doivent rester accessib<strong>les</strong> jour et nuit<br />
(P3). Tous ne parviennent pas à « couper » en quittant leur poste (P8) et l’institution,<br />
avec ses exigences, ne le favorise pas non plus (P7). Nous avons rencontré plusieurs<br />
étudiantes qui se posent la question <strong>de</strong> savoir comment il leur sera réellement<br />
possible <strong>de</strong> concilier, plus tard, la vie <strong>de</strong> famille avec la profession (E26).<br />
À différentes reprises, nous avons pu saisir le rôle clé que joue l’équipe <strong>dans</strong> la<br />
prévention du burnout. Plusieurs personnes ont relevé l’importance du rôle <strong>de</strong><br />
miroir (E7) du collègue qui fait part <strong>de</strong> ses observations à celui qui est épuisé et le<br />
met en gar<strong>de</strong> contre une péjoration <strong>de</strong> son état. Mais l’équipe est aussi un réceptacle<br />
indispensable à la gestion <strong>de</strong>s émotions, ne serait-ce que par la verbalisation du vécu,<br />
<strong>de</strong>s ressentis ou <strong>de</strong>s craintes… (E13). Nous avons été frappée par <strong>les</strong> témoignages <strong>de</strong><br />
soignants qui démontrent clairement que, sans la solidarité <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> leur<br />
équipe, la majeure partie <strong>de</strong>s soignants <strong>de</strong> leur unité seraient en maladie et le service<br />
ne pourrait pas fonctionner (P7). Mais qu’en est-il alors <strong>de</strong> ces lieux <strong>de</strong> pratique où<br />
<strong>les</strong> temps <strong>de</strong> parole n’existent pas et <strong>les</strong> colloques se voient réduits au minimum<br />
(E22) ?<br />
414
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
19.5.4 De l’importance <strong>de</strong> la verbalisation<br />
Le thème <strong>de</strong> la verbalisation revient comme l’un <strong>de</strong>s principaux leitmotivs <strong>de</strong><br />
ces entretiens.<br />
Sans doute, la nature même <strong>de</strong> la profession, qui se veut par définition une<br />
profession basée sur l’échange et le travail en complémentarité, contribue-t-elle à ce<br />
besoin explicite <strong>de</strong> s’exprimer. Que l’on évoque <strong>de</strong>s pratiques professionnel<strong>les</strong> sans<br />
problèmes majeurs ou, au contraire, <strong>de</strong>s pratiques générant <strong>de</strong>s souffrances et un<br />
mal-être, le thème <strong>de</strong> la communication reste central.<br />
Dans <strong>les</strong> situations délicates, la verbalisation ai<strong>de</strong> à la distanciation (E7), à<br />
« vi<strong>de</strong>r la marmite au fur et à mesure (P1) », mais aussi à la prise <strong>de</strong> conscience<br />
<strong>de</strong> ses propres limites (E9). À la manière d’un rétroviseur, elle dispose d’une fonction<br />
réfléchissante, tant sur la situation du patient que sur son propre investissement.<br />
L’individu trouve <strong>de</strong>s ressources au travers <strong>de</strong> la réflexion et <strong>de</strong> la rationalisation, et<br />
là il est important que chaque personne soit placée sur un pied d’égalité, quelle que<br />
soit sa fonction <strong>dans</strong> l’équipe (E22).<br />
Si, en revanche, <strong>de</strong>s conflits sont présents <strong>dans</strong> l’équipe, une sorte <strong>de</strong> censure<br />
apparaît qui fait obstacle à la confiance et donc au partage (E13). Une étudiante fait<br />
remarquer que <strong>dans</strong> ces équipes « la pression monte, elle monte… et c’est<br />
souvent <strong>dans</strong> ces services-là qu’il y a le plus <strong>de</strong> burnout (E13) ». La<br />
verbalisation jouerait donc un rôle <strong>de</strong> soupape, permettant au soignant ni d’exploser,<br />
ni d’imploser. Une étudiante parle <strong>de</strong> son expérience en milieu psychiatrique, en<br />
expliquant la régularité <strong>de</strong>s discussions d’équipes, discussions parfois animées, voire<br />
conflictuel<strong>les</strong>, mais où <strong>les</strong> gens « se disaient <strong>les</strong> choses et puis après c’était réglé<br />
(E17)». Elle fait la comparaison avec un second stage en home, où ces moments-là<br />
n’existaient pas et où l’impact négatif <strong>de</strong> ce manque d’échange était clairement<br />
perceptible au niveau <strong>de</strong> la dynamique d’équipe (E22). Et plusieurs personnes nous<br />
confirment l’absence totale <strong>de</strong> colloque en home, hormis la remise du service le matin<br />
<strong>de</strong> bonne heure (P7). Les politiques <strong>de</strong> management actuel<strong>les</strong> poussent à diminuer<br />
ces temps considérés comme trop onéreux, alors qu’ils sont comme une petite<br />
bouffée d’oxygène dont l’effet dure toute une journée (P9). Une praticienne<br />
415
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
interrogée fait part <strong>de</strong> la motivation <strong>de</strong> ses collègues à venir quinze minutes plus tôt<br />
avant chaque prise <strong>de</strong> service pour pouvoir échanger, ventiler <strong>les</strong> situations diffici<strong>les</strong><br />
vécues par l’équipe sortante… et en fin <strong>de</strong> compte pouvoir rentrer chez soi l’esprit<br />
libre (P6).<br />
Les soignants apprécient souvent <strong>les</strong> milieux psychiatriques ou <strong>les</strong> domaines<br />
spécialisés, tels <strong>les</strong> <strong>soins</strong> palliatifs, par exemple, justement parce qu’ils accor<strong>de</strong>nt cette<br />
importance à l’échange (T9). Les services publics pensent faire <strong>de</strong>s économies <strong>de</strong><br />
temps et d’argent en <strong>les</strong> supprimant, mais c’est un calcul à court terme, car ils sont<br />
indispensab<strong>les</strong> au bien-être <strong>de</strong>s employés (T9). Une autre enseignante renchérit en<br />
expliquant que « l’employeur il a pas encore compris… ça peut lui paraître une<br />
perte <strong>de</strong> temps <strong>dans</strong> un premier temps, par rapport à la production <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong>… mais à moyen terme, il aurait tout à gagner… (T7) ». Le gain est donc<br />
déjà lié à la motivation <strong>de</strong>s soignants, mais ces échanges sont aussi autant <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-<br />
fous contre <strong>les</strong> erreurs ou omissions potentiel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> la prise en soin (P5).<br />
Il manque aux soignants un vrai « espace <strong>de</strong> réflexion (T7) » au cœur <strong>de</strong> leur<br />
pratique. La technique et le travail à la chaîne, mus par une logique <strong>de</strong> rentabilité, ont<br />
usurpé la place <strong>de</strong>s échanges entre pairs, temps qui serait pourtant essentiel à la<br />
discussion et à la réflexion (P1).<br />
Pour <strong>les</strong> étudiantes, c’est souvent à l’école que ce temps <strong>de</strong> parole peut être<br />
accordé, comme l’exprime l’une d’entre el<strong>les</strong> : « à l’école souvent on peut bien (en)<br />
parler quand même, <strong>les</strong> formateurs ils sont vraiment à l’écoute (E14) ». À<br />
chaque retour <strong>de</strong> stage, une petite discussion entre pairs permet d’échanger sur le<br />
déroulement du stage (P1).<br />
Lorsque cette verbalisation s’incarne <strong>dans</strong> une dynamique d’analyse <strong>de</strong><br />
pratique, elle prend une valeur encore majorée <strong>de</strong> par la fonction <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> du tuteur<br />
(E13). Le partage <strong>de</strong>s expériences entre pairs, ainsi que la mise en commun <strong>de</strong>s<br />
ressources, sont <strong>de</strong>s atouts essentiels pour le retour à la pratique (E13).<br />
Cependant plusieurs étudiantes se posent la question <strong>de</strong> savoir quels pourront<br />
être leurs canaux d’expression lorsqu’el<strong>les</strong> seront diplômées, en particulier si l’équipe<br />
vit <strong>de</strong>s tensions (E14).<br />
416
19.6 Perspectives futures<br />
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
La profession infirmière est, sans nul doute, à un tournant décisif <strong>de</strong> son<br />
histoire (T15). De ce que ses partisans vont en faire, <strong>de</strong> sa défense, <strong>de</strong> la défense <strong>de</strong><br />
ses richesses, <strong>de</strong> l’argumentation et <strong>de</strong> la légitimation vont dépendre son i<strong>de</strong>ntité<br />
future. Il y a là une opportunité à pas manquer pour faire reconnaître la profession à<br />
sa juste valeur et l’ai<strong>de</strong>r à s’émanciper <strong>de</strong> ce lourd héritage <strong>de</strong> nombreux sièc<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
soumission servile (T15). Le travail sur l’engagement constitue un moyen privilégié<br />
pour contribuer à cette émancipation.<br />
19.6.1 Promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> la pratique<br />
Lorsqu’on interroge <strong>les</strong> jeunes en formation sur <strong>les</strong> éléments qui, selon eux,<br />
pourraient contribuer à construire encore plus soli<strong>de</strong>ment leur engagement durant la<br />
formation, nous constatons à plusieurs reprises le souhait d’un accompagnement<br />
plus individualisé, qui tienne compte <strong>de</strong>s aspirations et valeurs personnel<strong>les</strong>, ainsi<br />
que <strong>de</strong> leur projet professionnel (E1). Ce souhait est à réfléchir car <strong>les</strong> promotions très<br />
gran<strong>de</strong>s d’étudiants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> peuvent, <strong>de</strong> prime abord, constituer un<br />
obstacle (P8).<br />
Certes, la notion d’engagement reste difficile d’accès. Elle ne s’enseigne pas<br />
comme une autre matière et reste éminemment personnelle. L’engagement interroge<br />
la personne et reste « lié à la connaissance <strong>de</strong> soi (E5) ». Dans l’approche<br />
didactique, ce concept <strong>de</strong>vrait être lié à la notion <strong>de</strong> positionnement, un<br />
positionnement qui est important vis-à-vis <strong>de</strong>s partenaires interdisciplinaires (E5). Il<br />
s’agit déjà pour certains d’apprendre à savoir dire « non » et à déléguer (E26).<br />
Dans le même registre, <strong>les</strong> étudiantes souhaiteraient approfondir une réflexion<br />
sur leurs limites personnel<strong>les</strong>, afin d’être mieux préparées à <strong>les</strong> exprimer en situation<br />
(E7) et <strong>de</strong> savoir trouver un juste milieu avec la distance professionnelle (E15).<br />
En ce qui concerne <strong>les</strong> modalités pédagogiques, nous ne pouvons que souligner<br />
l’importance accordée à la dimension dynamique. En effet, le sujet ne se prêtant pas à<br />
un traitement conceptuel classique, il convient <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r une approche peut-<br />
417
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
être plus individualisée et plus ancrée <strong>dans</strong> la réalité professionnelle. Ainsi <strong>les</strong><br />
interventions <strong>de</strong> personnes très engagées ayant vécu un burnout seraient appréciées,<br />
<strong>de</strong> même que <strong>les</strong> sketches et mise en situation fictives, mais reposant sur du vécu et<br />
imposant d’adopter un regard critique sur <strong>de</strong>s comportements, pour s’interroger<br />
ensuite sur ses propres comportements en regard d’une situation similaire. Une<br />
étudiante ayant vécu <strong>de</strong>s sketchs d’enseignantes réalisés <strong>dans</strong> cet esprit raconte <strong>les</strong><br />
avoir beaucoup appréciés pour la manière dont ils l’ont interpellée (E13). Une autre<br />
étudiante souhaiterait que <strong>de</strong>s situations contraires à leurs propres valeurs soient<br />
exposées en classe, afin <strong>de</strong> susciter <strong>de</strong>s réflexions et réactions parmi <strong>les</strong> étudiants, et<br />
que l’ensemble du cours puisse être interactif (E1).<br />
Une étudiante explique qu’un certain nombre <strong>de</strong> ses collègues se plaignent <strong>de</strong><br />
n’avoir pas suffisamment <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> stage, argumentant que ce temps permettrait<br />
justement <strong>de</strong> mieux intégrer son engagement professionnel et d’amortir le choc du<br />
passage du statut d’étudiante à celui <strong>de</strong> professionnelle (E17). Cette même jeune fille<br />
explique attendre <strong>de</strong>s enseignants qu’ils travaillent avec eux sur leurs attentes et<br />
l’adéquation <strong>de</strong> celle-ci, ou non, avec la réalité. Selon elle, l’école pourrait déjà<br />
« jouer un rôle amortir le choc (E17) ».<br />
La nature <strong>de</strong> l’engagement, peu saisissable sur un plan théorique, renforce ce<br />
besoin d’expérimentation pratique (E19), mais elle <strong>de</strong>vrait en tous <strong>les</strong> cas être<br />
abordée durant la formation, ce qui n’est pas encore réalisé (E17).<br />
Une étudiante propose même <strong>de</strong> pouvoir faire un stage après le diplôme,<br />
comme cela semble être le cas à Berne, mais toujours avec un statut d’étudiante, pour<br />
entrer progressivement <strong>dans</strong> la vie active (E17). Ce passage constitue encore un<br />
grand choc pour beaucoup (T14), ne serait-ce que par la découverte <strong>de</strong>s horaires <strong>de</strong><br />
nuit, <strong>de</strong>s nombreuses journées <strong>de</strong> travail d’affilée, d’une responsabilité nettement<br />
plus importante… (P9, E17).<br />
Le portfolio pourrait être un support très intéressant au développement du<br />
projet professionnel, s’il était bien expliqué et mieux encadré dès le départ (E26).<br />
C’est souvent seulement à la fin <strong>de</strong> la formation que <strong>les</strong> étudiants en découvrent tout<br />
l’intérêt (E26, P8). Il pourrait être travaillé en duo avec l’enseignant et l’étudiante<br />
418
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
pourrait ainsi grandir, au travers <strong>de</strong> cette relation <strong>de</strong> confiance, <strong>dans</strong> un engagement<br />
plus mature, parce que mieux préparé et sciemment accompagné (P8). Grâce à cet<br />
accompagnement, le choix <strong>de</strong> carrière pourrait davantage être en corrélation avec <strong>les</strong><br />
valeurs personnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’étudiante, ce qui ne semble pas toujours être le cas (P5).<br />
Face à cette génération <strong>de</strong> jeunes, influencés par le contexte sociopolitique et<br />
économique <strong>dans</strong> lequel ils évoluent, l’enseignant doit aussi développer <strong>de</strong> nouveaux<br />
mo<strong>de</strong>s pédagogiques. Dans <strong>de</strong>s temps pas encore si anciens, l’infirmière trouvait son<br />
i<strong>de</strong>ntité par son i<strong>de</strong>ntification avec la communauté professionnelle <strong>dans</strong> laquelle elle<br />
s’engageait. Aujourd’hui, l’enseignant et le praticien formateur ont un rôle <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>.<br />
Ce sont eux qui doivent donner à l’étudiante une carte routière indiquant <strong>les</strong><br />
possib<strong>les</strong> <strong>de</strong> son évolution professionnelle et l’ai<strong>de</strong>r à développer et nourrir <strong>les</strong><br />
valeurs qu’elle est prête à investir pour ce cheminement (P10).<br />
19.6.2 Limiter l’épuisement par la formation<br />
Les personnes interrogées sont unanimes à reconnaître que l’épuisement naît, le<br />
plus souvent, d’une difficulté à se distancier <strong>de</strong> la situation professionnelle (E4),<br />
quelle que soit, par ailleurs, la source <strong>de</strong> stress vécue au cœur <strong>de</strong> celle-ci. Un <strong>de</strong>s<br />
moyens privilégiés pour tenter <strong>de</strong> prévenir cet épuisement par le biais <strong>de</strong> la<br />
formation, cité à maintes reprises, rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> un « entraînement » à une posture <strong>de</strong><br />
réflexion distanciée. Ainsi, l’analyse réflexive est plébiscitée à <strong>de</strong> très nombreuses<br />
reprises, par tous <strong>les</strong> acteurs : étudiants, enseignants et praticiens. Elle permet <strong>de</strong><br />
poser <strong>les</strong> éléments <strong>de</strong> la situation, <strong>de</strong> se remettre en question, <strong>de</strong> faire émerger <strong>les</strong><br />
émotions (E3) et également d’apprendre <strong>de</strong> comportements passés (E7). Elle est,<br />
somme toute, une ai<strong>de</strong> à la construction du système <strong>de</strong> valeurs <strong>de</strong> l’étudiante au<br />
service <strong>de</strong> son activité professionnelle (T3).<br />
L’analyse réflexive permet <strong>de</strong> réfléchir à ses propres limites, élément aussi<br />
essentiel pour se préserver et prendre soin <strong>de</strong> soi (E5), et une étudiante fait<br />
remarquer que cette démarche d’introspection serait extrêmement bienvenue pour<br />
ai<strong>de</strong>r à se découvrir et ainsi aussi pouvoir i<strong>de</strong>ntifier, chez soi, <strong>les</strong> frontières d’un<br />
419
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
engagement qui <strong>de</strong>viendrait pathologique (E5). Car, comme l’exprime cet étudiante<br />
avec une gran<strong>de</strong> sincérité marquée d’inquiétu<strong>de</strong>, « c’est bête, mais on ne se connaît<br />
pas vraiment. On ne sait pas jusqu’où on peut aller, jusqu’où on peut supporter <strong>les</strong><br />
choses… pis <strong>de</strong>s fois où l’on remarque que c’est trop, c’est déjà trop tard… (E16) ».<br />
Une autre étudiante soulève l’idée intéressante d’un moment <strong>de</strong> réflexion qui<br />
permettrait <strong>de</strong> se détacher du patient pour s’autoriser à penser à soi et ainsi être<br />
légitimé à reconnaître ses propres limites et à apprendre à <strong>les</strong> exprimer <strong>de</strong> manière<br />
constructive, sans être accablé du poids <strong>de</strong> la culpabilisation d’un manque<br />
d’empathie ou d’échec <strong>dans</strong> la prise en soin (E9, T3).<br />
Mais cette introspection ne s’improvise pas et plusieurs étudiantes soulignent la<br />
nécessité d’être accompagnées <strong>dans</strong> ce processus, qui pour certaines se rapproche<br />
même un tant soit peu <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> psychothérapie (E9, P9). Il faut, en effet, <strong>de</strong>s<br />
professionnels capab<strong>les</strong> d’ai<strong>de</strong>r à gérer le stress et l’anxiété (E11), parce que, par<br />
exemple, s’occuper d’une personne décédée, « pour certaines personnes c’est un<br />
sacré stress, jour et nuit ils y pensent, c’est pas facile (E16) », comme en<br />
témoigne cette étudiante. Cependant, avant même un accompagnement aussi<br />
spécifique, c’est déjà la présence d’une personne <strong>de</strong> référence qui serait indispensable,<br />
« quelqu’un à qui on peut s’adresser <strong>de</strong> précis (E7) » en cas <strong>de</strong> difficultés durant<br />
la formation. De toute évi<strong>de</strong>nce, cette dimension <strong>de</strong> soutien, même relativement<br />
impersonnel et ponctuel, fait défaut <strong>dans</strong> certaines institutions (E7) <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />
<strong>les</strong> étudiants se sentent alors « paumées (E15)». L’étudiante explique, en parlant<br />
<strong>de</strong>s enseignants et responsab<strong>les</strong> <strong>de</strong> formation, qu’ils « se renvoient tous un peu la<br />
balle le jour où ça va pas (E7) » et, pour finir, l’étudiante en arrive à la conclusion<br />
du « débrouille-toi toute seule (E7) ». Ainsi, au lieu du soutien, elle rencontre une<br />
attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> retrait et d’indifférence et reste seule avec un malaise parfois très profond,<br />
comme le décrit cette étudiante : « je rentrais tous <strong>les</strong> soirs en pleurant, je<br />
dormais plus… on m’envoie chez l’infirmière scolaire pour prend re un<br />
Temesta® (calmant)… enfin, c’est pas ça qui m’ai<strong>de</strong>… (E7) ». Elle décrit ce<br />
stage comme « un enfer (E7) » qui la plongeait <strong>dans</strong> un tel état que, dit-elle, « ma<br />
maman, elle avait peur <strong>de</strong> me laisser aller tellement elle me voyait pas bien<br />
(E7) ». On comprend ici le besoin exprimé par l’étudiante <strong>de</strong> pouvoir trouver une<br />
420
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
oreille attentive et un conseil personnel <strong>dans</strong> une situation qui aurait pu avoir <strong>de</strong>s<br />
conséquences graves, sans doute sous-estimées. Une autre étudiante considère que<br />
cette personne <strong>de</strong> référence pourrait aussi se trouver sur le lieu <strong>de</strong> stage et jouer un<br />
rôle <strong>de</strong> tuteur (E16).<br />
Mais plusieurs étudiantes nous ren<strong>de</strong>nt attentive au fait qu’il serait incohérent<br />
<strong>de</strong> n’envisager une prévention du burnout que pendant la durée <strong>de</strong> la formation.<br />
El<strong>les</strong> mettent en évi<strong>de</strong>nce la difficile et récurrente confrontation avec <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong><br />
travail fatiguées, au bord <strong>de</strong> l’épuisement, et qui entraînent avec eux <strong>les</strong> personnes<br />
encore motivées (E11). Une étudiante pense qu’il serait nécessaire <strong>de</strong> réaliser un<br />
travail spécifique <strong>dans</strong> ce sens au sein « <strong>de</strong> la formation continue », avec <strong>les</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> et infirmières déjà en poste. Cela permettrait <strong>de</strong> « maintenir le sens et la<br />
motivation (E11) ». C’est du ressort <strong>de</strong> l’employeur, mais il y a sans doute « <strong>de</strong>s<br />
ponts à continuer (T12) » pour œuvrer <strong>dans</strong> cette direction (T4).<br />
De façon générale, la plupart <strong>de</strong>s personnes interrogées trouveraient important<br />
<strong>de</strong> thématiser l’engagement en lien avec cette notion d’épuisement et <strong>les</strong> différents<br />
éléments présentés ci-<strong>de</strong>ssus (E16). Selon une étudiante, il s’agit d’une question<br />
d’honnêteté <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s enseignants, ceux-ci ayant le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à mettre<br />
en lien leur engagement, souvent d’emblée assez « intuitif » et absolu, avec une<br />
réalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> qui peut vite s’avérer très <strong>de</strong>structrice, s’il l’on y est pas préparé<br />
(E17). Plusieurs professionnels attestent la nécessité <strong>de</strong> cette préparation (P2, P7). Et<br />
une enseignante acquiesce en soulignant l’importance <strong>de</strong> travailler avec <strong>de</strong>s<br />
situations emblématiques qui soient le reflet du contexte <strong>de</strong> <strong>soins</strong> actuel (T13). Au<br />
cœur <strong>de</strong> ce contexte, elle relève la nécessité incontournable d’œuvrer, avec <strong>les</strong><br />
étudiants, au développement <strong>de</strong> ressources et <strong>de</strong> <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à penser leur action au sein<br />
d’un collectif (T13).<br />
19.6.3 Promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> au cœur <strong>de</strong> la<br />
formation<br />
Il est nécessaire <strong>de</strong> travailler une alternance réelle avec un partenariat entre <strong>les</strong><br />
praticiens formateurs et <strong>les</strong> enseignants, et non pas un partenariat « entre chefs<br />
421
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
(T12) », c’est-à-dire qui se situe uniquement entre <strong>les</strong> directions <strong>de</strong>s différents<br />
établissements sous la forme <strong>de</strong> conventions, sans pour autant que la mise en œuvre<br />
concrète <strong>dans</strong> la pratique soit réellement l’objectif principal. L’analyse <strong>de</strong> pratique,<br />
vécue <strong>dans</strong> un cadre <strong>de</strong> partenariat comme celui-ci, serait extrêmement fructueuse<br />
(T12). Tous <strong>les</strong> praticiens s’accor<strong>de</strong>nt à reconnaître la richesse que l’interaction à trois,<br />
entre praticien, étudiant et enseignant, peut susciter, chacun pouvant apporter sa<br />
pierre à l’édifice d’une meilleure compréhension d’une situation. La motivation<br />
individuelle s’en trouve décuplée, et avec elle l’engagement (P8). Le clivage<br />
persistant entre éco<strong>les</strong> et milieux <strong>de</strong> la pratique pourrait alors être remplacé par une<br />
riche co-construction (T15), car, comme l’explique une enseignante : « finalement<br />
quand on bosse ensemble, on réalise que on ne vit pas <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s<br />
différents. On a <strong>de</strong>s fois <strong>de</strong>s points d’appui, on a <strong>de</strong>s pondérat ions qui sont<br />
différentes, mais… professionnellement on se retrouve… c’est plutôt l’aspect<br />
<strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et du positionnement qui posent question (T4) »,<br />
et une élaboration commune autour <strong>de</strong>s situations permettrait <strong>de</strong> <strong>les</strong> discuter et <strong>de</strong><br />
<strong>les</strong> préciser. Un enseignant insiste sur la nécessité <strong>de</strong> développer le jugement clinique<br />
comme élément clé unificateur, puisqu’il permet <strong>de</strong> partir <strong>de</strong> la pratique et <strong>de</strong> lui<br />
donner un fon<strong>de</strong>ment conceptuel concret. « Il permet <strong>de</strong> donner un sens à cet<br />
engagement naturel ou empathique (T15) », en incluant « <strong>dans</strong> l’agir<br />
compréhensif ou <strong>dans</strong> l’agir compassionnel <strong>de</strong>s éléments concrets (T15) ». Par<br />
là-même, le jugement clinique permet <strong>de</strong> valoriser le savoir infirmier et <strong>de</strong> montrer<br />
que l’infirmière est « un maillon très important (T12) », même si, <strong>de</strong> l’extérieur,<br />
on a l’impression que tout « va <strong>de</strong> soi, que c’est normal (T12) ». Le jugement<br />
clinique s’exprime au travers d’un choix <strong>de</strong> priorités et <strong>de</strong> connaissances qu’il « faut<br />
mobiliser à bon escient, au bon moment, et ça ne se dicte pas <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
procédures. Cette qualité-là, elle est singulière à chaque instant (T12) ».<br />
La formation modulaire revêt certaines limites par rapport au développement<br />
professionnel, puisqu’elle signe, à un moment donné, la fin d’un apprentissage. Une<br />
enseignante fait remarquer qu’un certain nombre d’éléments <strong>de</strong>vraient pouvoir être<br />
travaillés <strong>dans</strong> une continuité sur <strong>les</strong> quatre années <strong>de</strong> formation (T14). Le<br />
développement professionnel est un processus <strong>de</strong> construction qui se poursuit<br />
422
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
durant toute la formation, au même titre que l’i<strong>de</strong>ntité individuelle et nécessite d’être<br />
accompagné (T14). C’est à cet accompagnement que <strong>les</strong> enseignants doivent œuvrer<br />
en réfléchissant aux moyens d’ai<strong>de</strong>r à une prise <strong>de</strong> conscience sur la réalité, quitte à<br />
<strong>de</strong>voir reconstruire sur <strong>les</strong> ruines <strong>de</strong> représentations erronées (T14).<br />
Par ailleurs, la formation ne doit pas rester un espace confiné d’une réflexion<br />
ponctuelle, mais ouvrir sur <strong>les</strong> autres champs d’intervention possib<strong>les</strong>. Ainsi, une<br />
praticienne fait remarquer que, par le biais <strong>de</strong> la formation, il serait indispensable <strong>de</strong><br />
contribuer au développement <strong>de</strong> compétences que <strong>les</strong> soignants n’ont pas, à savoir<br />
<strong>les</strong> compétences d’un engagement plus politique (P2). Elle argumente en disant que<br />
l’on « connaît mal <strong>les</strong> lois <strong>de</strong> la politique et qu’il faut s’engager …<br />
politiquement en sachant tirer <strong>les</strong> bonnes ficel<strong>les</strong> (P2) ». Il faut écarter ce « soi<br />
niant » encore beaucoup trop largement influent <strong>dans</strong> la profession (P2). Cette<br />
action politique permettra aussi <strong>de</strong> sensibiliser la population, <strong>de</strong> l’informer sur <strong>les</strong><br />
conditions réel<strong>les</strong> du système <strong>de</strong> santé et d’inciter, <strong>de</strong> cette manière, à une<br />
mobilisation plus générale (P2). C’est aux jeunes professionnels <strong>de</strong> se fédérer et <strong>de</strong> se<br />
positionner ainsi politiquement (T10), avant qu’il ne soit trop tard (P10). Pour ce faire,<br />
la formation a une responsabilité importante en ce qu’elle est à même <strong>de</strong> leur offrir<br />
<strong>de</strong>s compétences et <strong>de</strong>s ressources pour réussir ce positionnement et faire évoluer<br />
l’image <strong>de</strong> la profession.<br />
Il est nécessaire effectivement <strong>de</strong> souligner le <strong>de</strong>gré, sans doute jamais inégalé,<br />
<strong>de</strong> changement au cœur même <strong>de</strong> cette profession. D’abord centré sur le patient et la<br />
mé<strong>de</strong>cine, elle s’est ensuite ouverte aux soignants, pour accueillir la notion<br />
d’interdisciplinarité il y a quelques années, puis celle d’institution et, pour finir, <strong>de</strong><br />
nos jours, s’étendre à un phénomène sociétal (T3).<br />
On mesure l’ampleur <strong>de</strong> cette évolution en regardant <strong>dans</strong> le rétroviseur <strong>de</strong><br />
l’histoire. De l’infirmière soumise au mé<strong>de</strong>cin (E1), celle-ci est <strong>de</strong>venue acteur du<br />
soin, douée d’un jugement argumenté et conceptuellement fondé (T15). Elle doit<br />
néanmoins encore fournir bien <strong>de</strong>s efforts pour se débarrasser <strong>de</strong> la culpabilité qui<br />
l’habite (E5, T9, T3, T5), alors qu’elle tend vers un idéal <strong>de</strong> perfection (T1) qui la<br />
423
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
pousse à se donner, corps et âme (E13), sans considération aucune <strong>de</strong> ses propres<br />
limites (T9).<br />
Ce poids d’une histoire, dont on ne se débarrasse que lentement, constitue un<br />
frein indéniable à la construction d’une i<strong>de</strong>ntité affirmée (T5).<br />
On se doit également <strong>de</strong> souligner le caractère fortement féminin <strong>de</strong> la<br />
profession qui contribue, sans aucun doute, à ce manque d’affirmation. On ne<br />
manquera pas <strong>de</strong> relever <strong>les</strong> difficultés très concrètes <strong>de</strong> la gestion d’une vie<br />
professionnelle, déjà très complexe en elle-même, avec <strong>les</strong> exigences d’une vie <strong>de</strong><br />
famille. Mais ce trait caractéristique est sans doute également la source d’une<br />
possibilité d’affirmation moindre (P7), tout particulièrement vis-à-vis du pouvoir<br />
médical, quant à lui largement masculin (P11).<br />
424
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
CHAPITRE 20 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE LINÉAIRE<br />
Après avoir réalisé cette analyse <strong>de</strong> l’ensemble du corpus <strong>de</strong>s données,<br />
catégorie par catégorie, en <strong>les</strong> recomposant <strong>de</strong> façon à rendre compte d’un tout<br />
cohérent, il apparaît à présent pertinent <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une analyse différente. Celle-ci<br />
ne procè<strong>de</strong>ra plus à un examen <strong>de</strong>s catégories, mais elle s’attar<strong>de</strong>ra à comprendre le<br />
discours <strong>de</strong> six personnes différentes, pour un dégager une lecture singulière.<br />
Les entretiens que nous avons retenus, pour en faire une analyse systématique<br />
linéaire, ont été sélectionnés <strong>de</strong> manière aléatoire. Nous avons considéré comme<br />
pertinent <strong>de</strong> retenir <strong>de</strong>ux entretiens pour chaque échantillon <strong>de</strong> population et nous<br />
avons, pour ce faire, considéré <strong>les</strong> entretiens <strong>dans</strong> leur ordre <strong>de</strong> transcription par<br />
population. Ainsi, par exemple, l’entretien E18 a été retenu en sa qualité <strong>de</strong> premier<br />
entretien retranscrit <strong>dans</strong> l’échantillon <strong>de</strong>s étudiants, l’entretien E26 ayant été le<br />
second à être retranscrit.<br />
Pour chacun <strong>de</strong> ces six entretiens, nous avons tout d’abord relevé <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s<br />
thématiques abordées. Puis, à l’intérieur <strong>de</strong> ces thématiques, nous avons noté <strong>les</strong><br />
unités sémantiques et idées clés. L’entier <strong>de</strong> cette analyse se trouve en Annexe15.<br />
Nous reprenons ici <strong>les</strong> idées clés pour mettre en exergue <strong>les</strong> points suivants : ce<br />
qui caractérise la personne interrogée, ce qui a trait à son expérience professionnelle,<br />
sa compréhension <strong>de</strong> l’engagement, ce qui le fon<strong>de</strong> et le dynamise, son regard sur la<br />
profession et sur la formation au <strong>de</strong>venir du professionnel en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
20.1 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s étudiants<br />
Les étudiants ont <strong>de</strong>s parcours différents, en fonction <strong>de</strong>s formations suivies et<br />
<strong>de</strong> leurs expériences <strong>de</strong> vie. Il est intéressant <strong>de</strong> suivre leur raisonnement et leur<br />
manière <strong>de</strong> concevoir leur engagement envers une profession qu’ils ne connaissent<br />
pas encore vraiment.<br />
425
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
20.1.1 Premier entretien : premier étudiant (E18)<br />
Le premier étudiant est en <strong>de</strong>uxième année Bachelor. Il est âgé <strong>de</strong> 22 ans et a<br />
déjà travaillé <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, étant au bénéfice d’un diplôme d’ASSC. Il<br />
est l’un <strong>de</strong>s premiers à avoir manifesté sa disponibilité, suite à notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />
envoyée par mail à l’ensemble <strong>de</strong>s étudiants pour réaliser ces entretiens. Nous<br />
sommes frappée par la personnalité <strong>de</strong> notre interlocuteur, son <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> réflexion et<br />
<strong>de</strong> maturité.<br />
Né en Suisse, mais issu d’une famille qu’il qualifie <strong>de</strong> « multiculturelle », il se<br />
dit avoir toujours été très conscient <strong>de</strong> ses privilèges au point d’avoir beaucoup<br />
culpabilisé avec, dès le plus jeune âge, une attitu<strong>de</strong> très altruiste <strong>de</strong> vouloir partager<br />
et ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> autres : «… quand j’étais petit, je voulais jamais recevoir quelque<br />
chose, je voulais partager, toujours je voulais aller vers <strong>les</strong> autres ».<br />
Ses premières expérience <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> en Suisse n’ont pas été très<br />
satisfaisantes et le rôle infirmier n’était, selon lui, guère mis en valeur. À ce sta<strong>de</strong>, il<br />
hésitait encore entre plusieurs professions : physiothérapeute, ergothérapeute,<br />
éducateur… Tout lui plaisait et il était apprécié <strong>de</strong> tous. Mais c’est une expérience<br />
<strong>dans</strong> l’humanitaire qui va finalement orienter son choix définitif vers <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong>. Cette expérience semble avoir joué un rôle essentiel <strong>dans</strong> son <strong>de</strong>venir<br />
professionnel. Au travers <strong>de</strong> son investissement en In<strong>de</strong>, il découvre tout à la fois : un<br />
sentiment d’utilité inégalé, la reconnaissance <strong>de</strong>s patients et plus tard <strong>de</strong>s pairs, une<br />
confrontation à <strong>de</strong>s valeurs différentes, y compris parmi <strong>les</strong> bénévo<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s<br />
infirmières modè<strong>les</strong> qui vont lui donner envie <strong>de</strong> se lancer <strong>dans</strong> la profession, une<br />
nouvelle dynamique <strong>de</strong> projet qui va donner sens à sa formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
ouvrant la porte sur <strong>de</strong> nouveaux projets, une autre conception <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> orientée<br />
davantage vers l’accompagnement plutôt que vers la guérison. Enfin cette expérience<br />
va lui faire prendre conscience <strong>de</strong> sa responsabilité <strong>de</strong> mettre en œuvre <strong>les</strong><br />
changements à son niveau et lui permettre d’acquérir une maturité et une<br />
profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> réflexion étonnante : « … ça ne sert à rien <strong>de</strong> cracher sur le rôle,<br />
c’est à toi <strong>de</strong> le changer… ». Il ne sera pas, comme certains étudiants, aveuglé par<br />
une vision totalement idéaliste <strong>de</strong> l’humanitaire, mais pourra, au contraire, penser<br />
s’y investir tout en étant bien au clair avec <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> cette approche.<br />
426
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Parallèlement à sa formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> actuelle, cet étudiant est<br />
extrêmement actif. Il travaille, le week-end et certains soirs <strong>dans</strong> une maison pour<br />
personnes âgées, ainsi que sur appel <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> <strong>soins</strong> comme ASSC.<br />
Il exprime une gran<strong>de</strong> solidarité vis-à-vis <strong>de</strong> ses collègues qu’il vient épauler<br />
<strong>dans</strong> ses remplacements et s’investit beaucoup pour <strong>les</strong> patients. Il est en même<br />
temps conscient que son statut d’ASSC lui permet certaines libertés qu’une infirmière<br />
n’a pas, tant sa responsabilité est lour<strong>de</strong>. Par ailleurs, il fait également remarquer que<br />
la tâche est nettement plus facile pour quelqu’un qui, comme lui, ne vient que très<br />
ponctuellement et ne subit pas la lour<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la tâche jour après jour. Il est conscient<br />
<strong>de</strong> la routine qui, combinée à l’usure physique, peuvent rapi<strong>de</strong>ment avoir <strong>de</strong>s<br />
conséquences néfastes sur la santé <strong>de</strong>s individus.<br />
Ces activités multip<strong>les</strong> ne l’empêchent toutefois pas <strong>de</strong> nourrir une vie sociale<br />
très <strong>de</strong>nse. Au contraire, nous précise-t-il, cette dimension sociale est d’autant plus<br />
importante que l’univers du travail est prenant. Ce sont pour lui <strong>de</strong>s ressources<br />
capita<strong>les</strong> pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il est prêt à faire beaucoup <strong>de</strong> sacrifices. Et l’étudiant fait là,<br />
à nouveau, preuve d’une gran<strong>de</strong> maturité <strong>dans</strong> la mesure où il explique avoir<br />
largement réfléchi à cette question <strong>de</strong> l’épuisement et s’être délibérément fixé <strong>de</strong>s<br />
priorités, en s’imposant <strong>de</strong>s limites et <strong>de</strong>s objectifs. La réflexion est sous-tendue par<br />
une stratégie ciblée, qui se matérialise par la mise sur pied <strong>de</strong> nombreux projets,<br />
comme celui imminent <strong>de</strong> partir faire plusieurs mois <strong>de</strong> stage à l’étranger.<br />
Tout en ayant un regard critique lui permettant <strong>de</strong> pointer du doigt ses<br />
difficultés, il fait preuve d’une confiance en soi et en ses capacités. Au niveau <strong>de</strong> la<br />
formation, il met en évi<strong>de</strong>nce le rôle essentiel du mentor qui l’ai<strong>de</strong> à mieux se<br />
structurer et à dépasser ses difficultés. Le mentor est un enseignant qui accompagne<br />
<strong>les</strong> mêmes étudiants tout au long <strong>de</strong> la formation et procè<strong>de</strong> avec eux à <strong>de</strong>s séances<br />
d’analyse réflexive. Cet accompagnement fait partie <strong>de</strong>s points forts <strong>de</strong> la formation,<br />
<strong>de</strong> même que <strong>les</strong> moments d’analyse <strong>de</strong> pratique par petits groupes, qui permettent<br />
la verbalisation <strong>de</strong>s émotions, le positionnement, ainsi qu’une meilleure connaissance<br />
<strong>de</strong> soi. Il regrette en revanche que la formation ne soit pas plus axée sur le jugement<br />
clinique, outil pourtant essentiel à la reconnaissance <strong>de</strong> l’étudiante par <strong>les</strong> pairs. La<br />
dynamique <strong>de</strong> groupe qui caractérise d’ailleurs le travail avec <strong>les</strong> pairs au sein d’une<br />
427
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
équipe serait, selon lui, appréhendée <strong>de</strong> façon trop superficielle durant la formation,<br />
le focus étant mis uniquement sur <strong>les</strong> conflits d’équipe. Or la dynamique d’équipe est<br />
centrale, à son sens, puisqu’elle est le lieu où doivent pouvoir s’incarner, au moins<br />
partiellement, <strong>les</strong> idéaux <strong>de</strong>s différentes personnes.<br />
Et l’on retrouve cette idée <strong>dans</strong> la conception <strong>de</strong> l’engagement chez cet étudiant.<br />
En effet, pour lui, l’engagement est porteur <strong>de</strong> satisfaction, pour autant qu’il ren<strong>de</strong> la<br />
poursuite <strong>de</strong> l’idéal possible, indépendamment <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong> travail qui n’est du<br />
coup que secondaire. En revanche, si cet idéal n’est pas atteignable, l’engagement<br />
peut vite <strong>de</strong>venir pathologique et conduire au burnout.<br />
Il donne la définition <strong>de</strong> l’engagement suivante : « L’engagement, c’est la<br />
motivation pour quelque chose, c’est l’envie d’all er, <strong>de</strong> faire avancer <strong>les</strong><br />
choses ». Il s’agit d’une définition à l’image <strong>de</strong> notre étudiant, doté d’une forte<br />
propension au mouvement, <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> dynamique évolutive orientée vers un<br />
but précis. Le sujet en est aussi le principal acteur.<br />
La motivation joue un rôle clé <strong>dans</strong> cette définition <strong>de</strong> l’engagement, mais<br />
plusieurs paramètres la conditionnent : d’une part, cette motivation est rendue<br />
possible lorsque le soin peut être centré sur la personne, individualisé et adapté au<br />
patient. D’autre part, la reconnaissance et <strong>les</strong> encouragements la favorisent<br />
également, <strong>de</strong> même que la perspective <strong>de</strong> réalisation <strong>de</strong> différents projets. La<br />
formation a une part importante <strong>dans</strong> la motivation, en tant qu’elle doit permettre<br />
une meilleure connaissance <strong>de</strong> soi, qui, à son tour, permet à l’individu <strong>de</strong> placer <strong>de</strong>s<br />
limites et d’agir selon ses valeurs. Car, selon notre étudiant, le soin centré sur la<br />
personne et la connaissance <strong>de</strong> soi sont <strong>de</strong>s préalab<strong>les</strong> incontournab<strong>les</strong> à l’exercice du<br />
soin envers le patient. Sans ces préliminaires, il y a risque d’épuisement et celui-ci<br />
<strong>de</strong>vient, à son tour, source <strong>de</strong> démotivation pour <strong>les</strong> autres.<br />
L’étudiant regrette d’ailleurs que la démotivation gagne aussi rapi<strong>de</strong>ment la<br />
jeunesse qu’il n’estime pas, pour autant, moins engagée que par le passé, mais plutôt<br />
désabusée, comme découragée par un combat qui semble perdu d’avance.<br />
Dans le regard que cet étudiant porte sur la profession se dressent <strong>de</strong>ux<br />
tableaux antagonistes qui marquent la profession actuelle. D’un côté, <strong>les</strong><br />
représentations très tenaces qui continuent <strong>de</strong> connoter cette profession avec <strong>de</strong>s<br />
428
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
attentes envers <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> encore très orientées vers <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la<br />
charité et <strong>de</strong> la miséricor<strong>de</strong>, et, <strong>de</strong> l’autre, une évolution inévitable, due à la<br />
conjoncture économique et à l’évolution sociétale, qui bouleverse en profon<strong>de</strong>ur<br />
toute la conception <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Face à cela, il <strong>de</strong>vient, selon lui, plus que jamais<br />
nécessaire que <strong>les</strong> infirmières se positionnent et adoptent une philosophie <strong>de</strong> combat.<br />
C’est cela que nous relevons comme le plus marquant <strong>dans</strong> cet entretien. En<br />
effet, nous y trouvons une constellation <strong>de</strong> métaphores empruntées au registre du<br />
combat. Des termes afférents apparaissent à quatre reprises au minimum, qui<br />
soulignent la conscience <strong>de</strong> cette responsabilité du soignant à œuvrer pour <strong>de</strong>s<br />
changements <strong>dans</strong> son <strong>de</strong>venir professionnel. Et l’étudiant <strong>de</strong> déplorer une attitu<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> victimisation et <strong>de</strong> défaitisme, chez certains professionnels, tout comme chez<br />
certains étudiants déjà, se plaignant <strong>de</strong> leurs conditions, sans pour autant<br />
entreprendre quoi que ce soit pour y remédier : « … je me suis dit, ça ne sert à<br />
rien <strong>de</strong> se plaindre et d’écarter le problème, autant l’affronter et justifier <strong>les</strong><br />
actions qu’on fait, d’argumenter nos ac tions, après, … je me dis que c’est à<br />
nous <strong>de</strong> combattre ». Membres <strong>de</strong> plusieurs associations, dont l’Association Suisse<br />
<strong>de</strong>s Infirmières, ainsi que d’un syndicat, l’étudiant estime pouvoir déjà réaliser un<br />
certain nombre <strong>de</strong> choses à son niveau, avant <strong>de</strong> passer à d’autres échelons. Il en<br />
appelle ainsi à la responsabilité <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> même, en particulier pour<br />
valoriser le rôle autonome et par là-même la profession, à laquelle il accor<strong>de</strong> déjà un<br />
très grand intérêt.<br />
Résumé <strong>de</strong> l’analyse du premier entretien<br />
Si l’on résume, <strong>de</strong> manière plus succincte et schématique, cet entretien en<br />
fonction <strong>de</strong> notre objet, on pourrait le décrire <strong>de</strong> la manière suivante, <strong>les</strong> idées ou<br />
mots clés étant surlignés.<br />
L’expérience personnelle, conjuguée à une influence du cadre culturel et<br />
social ainsi que <strong>de</strong> l’éducation clairement perceptib<strong>les</strong>, ont contribué à un<br />
raisonnement mature et argumenté sur la manière d’envisager sa profession et plus<br />
spécifiquement son engagement au sein <strong>de</strong> cette profession.<br />
429
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Grâce, entre autres, à son séjour en In<strong>de</strong> et à une démarche d’introspection que<br />
cette expérience a favorisée, il a pu faire émerger <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong> qui vont gui<strong>de</strong>r son idéal <strong>dans</strong> cette profession. Cet idéal s’inscrit<br />
<strong>dans</strong> la définition <strong>de</strong> l’engagement suivante :<br />
« L’engagement, c’est la motivation pour quelque chose,<br />
c’est l’envie d’aller, <strong>de</strong> faire avancer <strong>les</strong> choses.»<br />
Au travers <strong>de</strong> cette définition, c’est l’individu qui a réellement le rôle principal.<br />
Il est lui-même l’acteur et l’engagement (au travers du positionnement, <strong>de</strong> la prise<br />
d’initiative, <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> projets) constitue ce qui donne sens à sa vie, la<br />
source <strong>de</strong> motivation étant directement liée au sentiment d’utilité concrétisé par cet<br />
engagement.<br />
Le sens n’est que très peu soutenu par la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir ou par la fonction<br />
exercée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, mais provient :<br />
De cet engagement personnel pour un idéal,<br />
De la reconnaissance octroyée par <strong>les</strong> patients et <strong>les</strong> pairs.<br />
La conscience d’une responsabilité personnelle invite à concrétiser cet<br />
engagement et à le mettre en scène par <strong>de</strong>s actes réfléchis et argumentés. C’est tout le<br />
contraire <strong>de</strong> la victimisation.<br />
Face aux difficultés actuel<strong>les</strong>, l’engagement conduit à mener un combat.<br />
430
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Pour ce faire, il relève la nécessité <strong>de</strong> développer trois pô<strong>les</strong> :<br />
Des ressources personnel<strong>les</strong> Un idéal La connaissance <strong>de</strong> soi<br />
Socia<strong>les</strong> et <strong>de</strong>s dynamiques (soin au patient, ses limites (confiance en<br />
d’équipe positionnement) soi,valeurs personnel<strong>les</strong><br />
La formation peut et doit faciliter le développement <strong>de</strong> ces trois pô<strong>les</strong> :<br />
par <strong>de</strong>s enseignements pertinents et <strong>de</strong>s enseignants qui soient <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong><br />
d’engagement,<br />
par l’accompagnement personnel et ciblé du mentor ou tuteur,<br />
par la verbalisation <strong>de</strong>s émotions et l’ai<strong>de</strong> à une meilleure connaissance <strong>de</strong> soi,<br />
par l’apprentissage d’un positionnement argumenté,<br />
par le renforcement du jugement clinique et <strong>de</strong>s compétences spécifiquement<br />
infirmières.<br />
Il s’agit bien entendu d’un étudiant encore relativement jeune, et certainement<br />
influencé par le discours entendu en formation.<br />
20.1.2 Deuxième entretien : <strong>de</strong>uxième étudiant (E26)<br />
La <strong>de</strong>uxième étudiante est en troisième année Bachelor. Elle aura son diplôme<br />
d’infirmière quelques mois après notre entretien. Elle est âgée <strong>de</strong> 23 ans.<br />
L’étudiante a choisi la profession infirmière un peu par défaut, après avoir raté<br />
le concours <strong>de</strong> physiothérapeute et estimé n’avoir pas le niveau pour faire institutrice.<br />
431
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Elle ne regrette toutefois pas ce choix et <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers stages, en particulier en milieu<br />
aigu, lui ont apporté beaucoup <strong>de</strong> satisfaction.<br />
De sa personne l’étudiante nous livre très peu, sinon qu’elle n’a comme hobby<br />
que <strong>de</strong> rares activités au club <strong>de</strong> ski et son travail d’ai<strong>de</strong>-soignante en home (maison<br />
<strong>de</strong> personnes âgées), ainsi que sa famille.<br />
Nous rencontrons une étudiante très préoccupée par <strong>les</strong> patients, leur bien-être<br />
et leur sécurité. Elle présente une caractéristique d’engagement intense, comme son<br />
langage l’indique puisqu’elle affirme, à cinq reprises « se donner à fond ». On<br />
retrouve ce don absolu <strong>de</strong> sa personne <strong>dans</strong> sa définition <strong>de</strong> l’engagement :<br />
« (L’engagement) c’est… c’est tout donner <strong>dans</strong> son métier, c’est un peu fort<br />
ce que je dis, c’est donner son énergie, c’est mettre à contribution tout c e que<br />
l’on a pour mettre <strong>dans</strong> son métier. Quand on va faire notre journée <strong>de</strong><br />
travail, on ressort, on est vidé, c’est ça pour moi être engagée <strong>dans</strong> quelque<br />
chose ». L’entier <strong>de</strong> la personne est sacrifié sur l’autel <strong>de</strong> l’engagement qui implique<br />
un positionnement puisque « quand on est engagé, on se positionne ». Cet<br />
engagement revêt un caractère absolu qui la conduit à s’investir intensément, au<br />
détriment <strong>de</strong> sa vie sociale : « <strong>dans</strong> mon <strong>de</strong>rnier stage j’ai fait beaucoup d’heures<br />
supplémentaires, donc quand tu re ssors, t’es vidée et puis c’est vrai qu’après<br />
je ne ressortais pas plus loin… » et <strong>de</strong> ses forces psychiques : « … j’en avais<br />
marre, j’en pouvais plus ». L’engagement semble ici conduire à un épuisement<br />
physique complet.<br />
Le sentiment d’utilité donne un sens à son activité et motive son engagement,<br />
par exemple au service <strong>de</strong>s personnes âgées <strong>dans</strong> le home pour lequel elle travaille<br />
un week-end sur <strong>de</strong>ux. La reconnaissance <strong>de</strong> ces personnes pour qui « on est un<br />
peu plus que <strong>de</strong>s soignants » génère <strong>de</strong> la motivation et un sentiment <strong>de</strong><br />
responsabilité qui entraîne l’investissement. Celui-ci est d’autant plus gratifiant que<br />
la qualité relationnelle à la personne âgée est encore préservée par la taille mo<strong>de</strong>ste<br />
<strong>de</strong> l’institution, ainsi que sa bonne dotation en personnel. Notre étudiante se fait<br />
néanmoins du souci quant à un <strong>de</strong>venir professionnel qui voit cette qualité <strong>de</strong> prise<br />
en charge diminuer inéluctablement. Préoccupation majorée encore par la crainte<br />
bien consciente <strong>de</strong> ne pas savoir poser <strong>de</strong> limites, <strong>de</strong> ne pas être à même d’affirmer<br />
432
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
un positionnement, et <strong>de</strong> voir sa vie familiale en souffrir. Ce qui la conduit même à<br />
envisager <strong>de</strong> pouvoir <strong>de</strong>venir une infirmière « robot », avec une approche techniciste<br />
pure, même si cela n’est pas son souhait. Elle reconnait nécessiter jusqu’ici la<br />
présence d’une tierce personne qui sache poser <strong>les</strong> limites pour elle, tout en étant<br />
totalement au clair avec le fait que ce ne sera pas toujours forcément le cas.<br />
La routine pourrait conduire à ce fonctionnement automatisé et c’est pourquoi<br />
l’étudiante cherche à investir un domaine professionnel où règne l’imprévu, comme<br />
<strong>les</strong> services d’urgences ou <strong>les</strong> ambulances. D’ailleurs un stage récent en psychiatrie,<br />
davantage dominé par <strong>de</strong>s activités répétitives, ne l’a pas du tout satisfaite. À cette<br />
frustration s’est ajouté un sentiment <strong>de</strong> négation <strong>de</strong> soi : « … j’avais l’impression<br />
d’être une marionnette, on tire <strong>dans</strong> un sens, <strong>dans</strong> l’autre… ». Elle se sentait<br />
trop peu sûre d’elle pour affronter cela et s’est, du coup, retrouvée très mal à l’aise.<br />
Le plaisir faisant défaut, c’est la démotivation qui a gagné du terrain et, là encore,<br />
nous retrouvons la dimension d’absolu puisque l’étudiante estime n’avoir « pas été<br />
engagée du tout ».<br />
Cette étudiante semble très consciente <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> faire un travail sur elle.<br />
Elle reconnaît avoir réalisé, peu <strong>de</strong> temps auparavant, l’intérêt du portfolio pourtant<br />
mis en place <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> la formation. C’est la remise en question sur ses<br />
valeurs qui lui a paru particulièrement bénéfique et elle regrette que <strong>les</strong> apports sur<br />
<strong>les</strong> valeurs soient restés très superficiels durant la formation, sans que ne soit<br />
abordée la question <strong>de</strong>s limites. Pour elle, un travail sur <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> reconnaître<br />
ses limites, mais aussi sur la manière <strong>de</strong> <strong>les</strong> affirmer, <strong>de</strong> <strong>les</strong> défendre, ainsi que <strong>les</strong><br />
possibilités <strong>de</strong> mettre en place ou <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s ressources pour justement faire<br />
face à ces limites, seraient <strong>de</strong>s outils extrêmement bienvenus pour l’entrée <strong>dans</strong> la vie<br />
professionnelle. Avec <strong>les</strong> connaissances théoriques d’un côté, considérées comme le<br />
socle sur lequel l’engagement se construit, et, <strong>de</strong> l’autre, un accompagnement<br />
personnalisé <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité reposant sur ses valeurs, le futur<br />
professionnel serait beaucoup mieux armé pour faire sa place <strong>dans</strong> son champ<br />
d’activité.<br />
433
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Résumé <strong>de</strong> l’analyse du <strong>de</strong>uxième entretien<br />
Les valeurs personnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’étudiante sont implicites, peu ou pas verbalisées.<br />
Le choix <strong>de</strong> la profession s’est fait par défaut, mais il en résulte une satisfaction<br />
pour <strong>de</strong>ux raisons majeures :<br />
Sentiment d’utilité Reconnaissance <strong>de</strong>s patients et <strong>de</strong>s<br />
pairs<br />
Engagement sans mesure : Définition.<br />
« (L’engagement) c’est… c’est tout donner <strong>dans</strong> son méti er, c’est un peu<br />
fort ce que je dis, c’est donner son énergie, c’est mettre à contribution tout ce<br />
que l’on a pour mettre <strong>dans</strong> son métier. Quand on va faire notre journée <strong>de</strong><br />
travail, on ressort, on est vidé, c’est ça pour moi être engagée ».<br />
Avec <strong>de</strong>s conséquences<br />
SE DONNE À FOND<br />
Travail en parallèle <strong>dans</strong> un home.<br />
Engagement très intense <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services <strong>de</strong><br />
<strong>soins</strong> (heures supplémentaires, exhaustivité<br />
<strong>dans</strong> le soin…).<br />
Travail durant toutes <strong>les</strong> vacances.<br />
Isolement social.<br />
Épuisement.<br />
Atteinte à la vie <strong>de</strong> famille.<br />
434
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Sentiment <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir et <strong>de</strong> responsabilité.<br />
Besoin <strong>de</strong> reconnaissance, <strong>de</strong> valorisation.<br />
Mais le manque <strong>de</strong> recul et <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> distance induit :<br />
Incapacité au positionnement peut envisager <strong>de</strong> travailler <strong>de</strong><br />
manière robotisée.<br />
Méconnaissance <strong>de</strong> ses limites risque d’épuisement très fortement<br />
435<br />
présent.<br />
Regard jugeant sur d’autres étudiants ayant fait d’autres choix pour leur avenir<br />
professionnel : homes, psychiatrie…<br />
Perte <strong>de</strong> distance professionnelle : « On est plus que <strong>de</strong>s soignants ».<br />
Rôle <strong>de</strong> l’école :<br />
Représentation idéalisée <strong>de</strong> certains services<br />
(exemple : urgences serait synonyme d’absence <strong>de</strong> routine).<br />
Permettre <strong>de</strong> travailler sur ses propres valeurs.<br />
Promouvoir la connaissance <strong>de</strong> soi.<br />
Promouvoir la connaissance <strong>de</strong> ses propres limites.<br />
Favoriser un positionnement argumenté.<br />
Permettre le développement <strong>de</strong> connaissances, socle à l’engagement.<br />
Favoriser l’élaboration <strong>de</strong> ressources.<br />
Permettre <strong>de</strong> travailler la confiance en soi.<br />
Nous avons donc ici <strong>de</strong>ux étudiants très différents. Les divergences majeures<br />
sont liées à un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses valeurs, <strong>de</strong> ses limites très<br />
différents entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux. Dans ce second entretien l’absence <strong>de</strong> la réflexion sur soi<br />
fait défaut, laissant la porte ouverte à <strong>de</strong>s comportements qui peuvent rapi<strong>de</strong>ment<br />
<strong>de</strong>venir délétères pour la personne. Ce manque <strong>de</strong> recul a automatiquement <strong>de</strong>s<br />
conséquences sur le faible positionnement <strong>de</strong> l’étudiante, qui, lorsqu’elle se trouvera
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
confrontée, comme ce fut déjà le cas lors du <strong>de</strong>rnier stage en psychiatrie, à <strong>de</strong>s<br />
situations qui confronteront ses propres valeurs, risque <strong>de</strong> vivre une gran<strong>de</strong><br />
souffrance intérieure anéantissant toute motivation, tout engagement et pouvant la<br />
conduire rapi<strong>de</strong>ment vers l’épuisement.<br />
20.2 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s praticiens<br />
Les <strong>de</strong>ux praticiens exercent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s milieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> qui présentent peu <strong>de</strong><br />
similitu<strong>de</strong>s. Il est malgré tout intéressant <strong>de</strong> repérer <strong>les</strong> préoccupations semblab<strong>les</strong><br />
qui <strong>les</strong> habitent et d’observer <strong>les</strong> façons distinctes d’y faire face.<br />
20.2.1 Troisième entretien : premier praticien (P3)<br />
Le premier praticien est âgé <strong>de</strong> 38 ans. Il a réalisé sa formation en France, mais<br />
travaille <strong>de</strong>puis plusieurs années en Suisse. Il est informaticien <strong>de</strong> première<br />
formation, mais a souhaité cette reconversion pour donner un sens plus concret à son<br />
existence. Après avoir tenté plusieurs concours, il s’est orienté vers la profession<br />
infirmière puisqu’elle lui ouvrait <strong>de</strong> nombreuses perspectives. Il travaille<br />
actuellement <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans <strong>dans</strong> un service <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine et exerce la fonction <strong>de</strong><br />
praticien formateur, c’est-à-dire qu’il encadre <strong>les</strong> étudiants qui viennent en stage, en<br />
faisant son possible pour <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à atteindre leurs objectifs <strong>de</strong> stage. Il est<br />
intéressant <strong>de</strong> noter que, cette première partie autobiographique passée, le praticien<br />
nous parlera pratiquement toujours à la première personne du pluriel, comme pour<br />
indiquer qu’il s’exprime au nom <strong>de</strong> toute la corporation. Ce n’est que lorsqu’il<br />
affirmera son opposition à certaines pratiques, entre autres <strong>de</strong> ses collègues, qu’il<br />
s’exprimera à nouveau, pour un temps, à la première personne du singulier.<br />
Sensible à la douleur <strong>de</strong>s patients, il a comme valeurs premières le respect <strong>de</strong><br />
leur dignité et <strong>de</strong> leurs propres valeurs. Sa plus gran<strong>de</strong> satisfaction en lien avec<br />
l’engagement s’exprime <strong>dans</strong> la conscience d’avoir fait du bon travail.<br />
Malheureusement, il vit actuellement beaucoup <strong>de</strong> frustrations <strong>de</strong> par <strong>les</strong><br />
conditions <strong>de</strong> travail qui n’octroient pas toujours la possibilité d’offrir ce cadre<br />
respectueux au patient. Il prend pour exemple la durée d’hospitalisation, expliquant<br />
436
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
que celle-ci est décidée en faveur <strong>de</strong> critères économiques et non pas en fonction <strong>de</strong><br />
l’état du patient. De ce fait, <strong>les</strong> valeurs du professionnel sont bafouées et il se sent<br />
discrédité <strong>dans</strong> son rôle et ses compétences, comme il l’exprime en disant qu’il<br />
connaît l’état du patient et sait ce qui serait bon pour lui, mais ne peut rien<br />
entreprendre sans prescription. C’est par ailleurs aussi le principe <strong>de</strong> non-<br />
malfaisance <strong>de</strong> la charte éthique <strong>de</strong>s soignants qui est mise à mal et le praticien<br />
d’utiliser un langage assez ru<strong>de</strong> pour décrire l’acte, à la mesure <strong>de</strong> celui-ci : « Si on<br />
doit sortir un patient, nous on sait que ce patient… n’est pas prêt à sortir, mais<br />
puisqu’il faut libérer le lit, en fait nous ce patient on l’enlève et il rentre ». On notera la<br />
chosification opérée <strong>de</strong> l’être humain qui n’est plus qu’une marchandise que l’on<br />
peut « sortir » ou « enlever », et l’on sent poindre la révolte chez ce soignant.<br />
Face à cette frustration, l’équipe joue un rôle décisif, en particulier <strong>de</strong> par le fait<br />
qu’elle permet <strong>de</strong> ventiler et d’échanger. Mais <strong>les</strong> doléances ne vont pas plus haut<br />
<strong>dans</strong> la hiérarchie, l’expérience ayant montré que cela ne sert à rien. Et ce praticien<br />
d’expliquer que <strong>les</strong> choses ont changé, en particulier <strong>dans</strong> l’organisation<br />
institutionnelle. Auparavant <strong>les</strong> responsabilités étaient clairement définies et l’on<br />
savait où s’adresser. La chef <strong>de</strong> service (ICUS) avait un certain pouvoir et relayait<br />
volontiers <strong>les</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s qui étaient ensuite examinées en haut-lieu. Mais à présent,<br />
avec <strong>les</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion, <strong>les</strong> responsabilités sont réparties entre <strong>de</strong><br />
multip<strong>les</strong> pô<strong>les</strong> d’activités et personne ne se sent plus vraiment responsable pour<br />
quoi que ce soit. L’autonomie <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> service a diminué et ceux-ci subissent<br />
également <strong>de</strong>s pressions, tout comme le corps médical d’ailleurs, qui ren<strong>de</strong>nt leur<br />
position particulièrement inconfortable. Cette position pivot ambivalente est sans<br />
doute la cause d’au moins un burnout d’une ICUS, sur <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux recensés <strong>dans</strong> ce<br />
même service durant <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers six mois. L’organisation du travail a donc <strong>de</strong>s<br />
répercussions directes sur la motivation qu’elle anéantit. De plus, l’augmentation <strong>de</strong><br />
la charge <strong>de</strong> travail représente également un poids grandissant sur <strong>de</strong>s équipes déjà<br />
fatiguées. Il s’ensuit <strong>de</strong>s désaccords d’ordre relationnel, parce que chacun est aux<br />
limites <strong>de</strong> ses forces. Ces désaccords, à nouveau, sapent le peu <strong>de</strong> motivation restante.<br />
Quant aux patients, ils ne sont pas dupes et chaque soignant sait qu’un patient qui<br />
ressent le stress du soignant aura tendance à être beaucoup plus <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur et<br />
437
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
exigeant, qu’en ayant en face <strong>de</strong> lui une personne détendue et à son écoute. C’est<br />
ensuite un processus en spirale. Un patient très exigeant, peu amène, génère chez le<br />
soignant épuisé une nervosité supplémentaire, qui peut alors rapi<strong>de</strong>ment se muer en<br />
une attitu<strong>de</strong> proche <strong>de</strong> la maltraitance.<br />
Mais le praticien explique également l’impact <strong>de</strong>s nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />
management sur le genre <strong>de</strong> patients hospitalisés <strong>dans</strong> le service. En effet, <strong>de</strong>s<br />
patients, qui ne <strong>de</strong>vraient pas s’y trouver, y séjournent parfois plusieurs semaines,<br />
simplement pour « occuper <strong>de</strong>s lits ». Il en va ainsi, par exemple, <strong>de</strong> patients internés<br />
en psychiatrie et transférés, normalement, sur une très courte durée en service<br />
« normal » pour un traitement spécifique. Ceux-ci y séjournent parfois sur une<br />
longue pério<strong>de</strong> alors que le service n’est pas adapté pour ce genre <strong>de</strong> patients, <strong>les</strong><br />
soignants y sont peu habitués et la charge <strong>de</strong> travail quotidienne n’est pas diminuée<br />
pour autant. Ces cas d’hospitalisation prolongée sont alors vécus très difficilement<br />
par <strong>les</strong> soignants qui se considèrent comme <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> « pions sur l’échiquier »,<br />
un échiquier où la « logique comptable a pris le pas sur l’humain ». Ce soignant<br />
cite aussi un autre aspect révélateur <strong>de</strong> cette logique comptable, en expliquant<br />
l’impossibilité récente d’obtenir <strong>de</strong>s médicaments effervescents pour <strong>les</strong> patients<br />
nécessitant du calcium. Qui connaît ces comprimés sait qu’ils sont très gros,<br />
quasiment incassab<strong>les</strong> et ne peuvent que très difficilement être ingérés par <strong>les</strong><br />
personnes âgées, par ailleurs très nombreuses à en avoir besoin. Mais <strong>les</strong> priorités<br />
institutionnel<strong>les</strong> sont claires. L’économie réalisée en diminuant la consommation <strong>de</strong><br />
médicaments effervescents, pèse plus lourd <strong>dans</strong> la balance que le bienfait accordé<br />
par ces mêmes remè<strong>de</strong>s aux patients.<br />
L’infirmier interviewé vit ce contexte <strong>de</strong> travail et <strong>les</strong> changements <strong>dans</strong> la<br />
profession avec d’autant plus <strong>de</strong> regrets et d’amertume qu’il est conscient <strong>de</strong> sa<br />
responsabilité : « la personne soignée, quand elle est mala<strong>de</strong>, vous remet toute<br />
sa dignité entre vos mains… toute sa vie intime… ». Le sentiment d’échouer<br />
<strong>dans</strong> la pleine mesure <strong>de</strong> sa responsabilité conduit à un fort sentiment <strong>de</strong> culpabilité.<br />
Culpabilité <strong>de</strong> bafouer <strong>de</strong>s valeurs essentiel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> le soin et culpabilité <strong>de</strong> ne pas<br />
réaliser un travail <strong>de</strong> qualité. Dans la réalité, <strong>les</strong> responsabilités <strong>de</strong>s soignants sont<br />
toujours plus importantes, ne serait-ce que par le fait du nombre grandissant<br />
438
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
d’internes au détriment <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins qualifiés, dont le coût est, bien entendu,<br />
nettement plus élevé. Cette configuration médicale induit également d’importantes<br />
situations <strong>de</strong> stress, comme l’explique notre interlocuteur. En effet, <strong>les</strong> internes, qui,<br />
<strong>de</strong> leur côté, manquent <strong>de</strong> soutien et d’encadrement, sont souvent dépassés par <strong>les</strong><br />
situations rencontrées et ne répon<strong>de</strong>nt alors plus aux appels <strong>de</strong>s soignants. Ceux-ci<br />
peuvent parfois rester plusieurs heures sans réponse, alors qu’ils sont au chevet du<br />
patient et vivent au plus près sa douleur et son incompréhension. Situation d’autant<br />
plus inconfortable et révoltante que, comme l’explique le praticien, « moi en tant<br />
qu’infirmier je sais ce qu’il faut faire, ce qu’il faut lui donner, je le sais mais<br />
puisque c’est pas prescrit, je peux pas le faire , donc j’attends le mé<strong>de</strong>cin ».<br />
Face à cet état <strong>de</strong> fait, c’est une perte <strong>de</strong> sens qui se fait jour <strong>dans</strong> la motivation<br />
première du soignant à l’exercice <strong>de</strong> sa profession. Le danger est alors très menaçant<br />
<strong>de</strong> voir l’engagement réduit à une peau <strong>de</strong> chagrin. Dépourvu du sens, élément clé<br />
<strong>de</strong> l’agir humain, le soignant se voit alors dépourvu <strong>de</strong> sa caractéristique humaine au<br />
profit d’un rôle d’exécutant sans âme, à la manière du robot : « j’ai l’impression<br />
d’être un robot, on est <strong>de</strong>s exécutants… j’ai pas besoin <strong>de</strong> réfléchir, <strong>de</strong> toute<br />
façon si je réfléchis, ce sera la même chose au final , donc il y a pas besoin <strong>de</strong><br />
se fatiguer à réfléchir ».<br />
Seule lueur d’espoir <strong>dans</strong> cette perspective <strong>de</strong> travail mécaniste, l’atout que<br />
constitue la formation. Notre interlocuteur a récemment réalisé sa formation <strong>de</strong><br />
praticien formateur et explique comment celle-ci lui a été bénéfique, en particulier<br />
pour l’ai<strong>de</strong>r à sortir <strong>de</strong> la routine, à prendre <strong>de</strong> la distance et à mettre en place <strong>de</strong>s<br />
projets qui puissent donner un nouveau sens à son action en redynamisant un<br />
engagement premier très fort envers cette profession.<br />
En effet, on mesure l’ampleur <strong>de</strong> cet engagement professionnel lorsque le<br />
praticien nous explique que le fait d’avoir « épousé » cette profession constitue déjà<br />
en soi un acte d’engagement. On peut y voir un parallèle avec une sorte <strong>de</strong> contrat <strong>de</strong><br />
mariage. Et la définition accordée à l’engagement se situe <strong>dans</strong> la même idée,<br />
puisque celui-ci correspondrait à un don <strong>de</strong> soi, exercé à partir d’une volonté libre,<br />
comme une prise <strong>de</strong> risque volontaire en fonction d’un but précis. Dans <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong>, l’engagement n’est pas orienté uniquement vers le patient mais également<br />
439
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
vers l’institution. La logique <strong>de</strong> rentabilité porte donc atteinte à l’engagement <strong>dans</strong><br />
ces <strong>de</strong>ux perspectives.<br />
Par ailleurs, notre interlocuteur fait remarquer que l’engagement ne doit pas<br />
non plus être démesuré, sous peine <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir à son tour source <strong>de</strong> tension pour<br />
l’équipe. Celle-ci vit un présentéisme accru, par exemple, comme une marque <strong>de</strong><br />
méfiance, un « soupçon d’incapacité » démotivant. Par ailleurs, l’engagement<br />
démesuré conduirait à une forme d’aveuglement, un manque <strong>de</strong> discernement se<br />
concrétisant par une forte rigidité <strong>dans</strong> la conception du travail, un agir protocolaire<br />
très prononcé, <strong>de</strong>venant vite incompatible avec la dynamique <strong>de</strong> groupe basée sur<br />
l’échange, la négociation et l’ajustement <strong>de</strong>s positions réciproques.<br />
Dans son rôle <strong>de</strong> praticien formateur, ce soignant souhaite préserver l’étudiante<br />
<strong>de</strong> ces difficultés. Certes cette <strong>de</strong>rnière ne peut que constater certaines<br />
problématiques et certains dysfonctionnements, mais elle doit être protégée <strong>de</strong> cela le<br />
plus possible. Pour notre interlocuteur, il est important que l’étudiante puisse<br />
pleinement profiter <strong>de</strong> son temps d’étu<strong>de</strong>. Le sujet <strong>de</strong> l’engagement n’est pas abordé<br />
directement, si ce n’est lorsque le praticien formateur approuve <strong>les</strong> objectifs qui, eux,<br />
démontrent le <strong>de</strong>gré d’engagement. L’étudiante n’a pas d’autre opportunité <strong>de</strong><br />
s’engager, sinon pour l’atteinte <strong>de</strong> ses objectifs, puisque toute situation <strong>dans</strong> laquelle<br />
elle aurait à se positionner ouvertement est discutée avec le praticien formateur, puis<br />
reprise par lui <strong>dans</strong> l’équipe. Si cette manière <strong>de</strong> vivre l’accompagnement<br />
pédagogique a le mérite <strong>de</strong> mettre l’étudiante au cœur <strong>de</strong> son processus<br />
d’apprentissage, elle ne lui permet toutefois pas d’être confrontée à la réalité. Par<br />
ailleurs, <strong>les</strong> possibilités d’expression <strong>de</strong> l’étudiante s’en trouvent réduites, d’autant<br />
plus que le seul vrai espace <strong>de</strong> verbalisation se vit <strong>dans</strong> la confrontation avec celui<br />
qui sera, à la fin du stage, l’évaluateur <strong>de</strong>s compétences. Une réalité qui peut placer<br />
l’étudiante, tout comme le praticien, <strong>dans</strong> une situation délicate.<br />
Pour ce soignant, c’est surtout <strong>dans</strong> sa réalité future <strong>de</strong> professionnelle que<br />
l’étudiante va pouvoir développer son engagement, après une pério<strong>de</strong><br />
d’acculturation inévitable. Et, là encore, la qualité <strong>de</strong> l’équipe est rappelée pour<br />
spécifier l’importance <strong>de</strong> l’action collective. Il est important que <strong>les</strong> jeunes agissent,<br />
car ceux qui sont au front sont souvent en souffrance, mais trop épuisés pour<br />
440
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
pouvoir agir d’une quelconque manière. L’engagement doit ai<strong>de</strong>r à se positionner<br />
clairement, à oser avouer ses désaccords et notre interlocuteur déplore le fait que<br />
certains <strong>de</strong> ses collègues, prompts à la critique lorsqu’ils sont entre pairs, soient<br />
ensuite enfermés <strong>dans</strong> un mutisme total lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> revendiquer haut et fort<br />
son positionnement face à la hiérarchie. La peur <strong>de</strong> perdre son travail serait la<br />
première cause <strong>de</strong> ce mutisme malsain.<br />
Pour notre praticien, la question est à présent <strong>de</strong> savoir jusqu’où cautionner ces<br />
pratiques. Il considère que l’engagement doit soutenir une prise <strong>de</strong> position affirmée<br />
et argumentée. Il ne s’agit pas <strong>de</strong> tomber <strong>dans</strong> la culpabilisation, comme le<br />
voudraient certains partisans du nouveau management, mais <strong>de</strong> retrouver, au<br />
travers <strong>de</strong> ce positionnement, un nouveau sens à son exercice.<br />
Résumé du troisième entretien<br />
Praticien caractérisé par :<br />
Implication, distance critique sur l’univers du travail,<br />
mais aussi sur ses propres attitu<strong>de</strong>s au sein <strong>de</strong> cet univers.<br />
Considère être engagé déjà par le choix <strong>de</strong> profession effectué.<br />
Engagement envers la profession très intense : « a épousé la profession ».<br />
441
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
S’investit comme professionnel avec <strong>de</strong>ux aspects majeurs :<br />
Empathie, souhaite le bien-être du patient Désir du travail bien<br />
fait<br />
MAIS<br />
Conditions <strong>de</strong> travail<br />
New management<br />
Répercussions sur le soin Répercussions soignants<br />
Équipe<br />
Qualité, relation Engagement, santé<br />
Tensions<br />
Rôle <strong>de</strong> la formation.<br />
Redonner du sens, <strong>de</strong> la motivation.<br />
Ai<strong>de</strong>r à construire <strong>de</strong>s projets pour faire face.<br />
Il est utile <strong>de</strong> se rappeler que ce praticien, déjà âgé <strong>de</strong> 38 ans, a abandonné son<br />
premier métier parce qu’il n’y trouvait plus <strong>de</strong> sens. On peut donc imaginer, et c’est<br />
ce qui ressort <strong>de</strong> la manière dont il parle <strong>de</strong> la profession soignante, qu’il a consenti<br />
beaucoup d’efforts en faveur <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière, en se référant à son idéal. La<br />
442
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
déconvenue <strong>de</strong>s limites à la prise en soin imposée par le système en est d’autant plus<br />
douloureuse et difficile à accepter.<br />
20.2.2 Quatrième entretien : <strong>de</strong>uxième praticien (P11)<br />
Notre <strong>de</strong>uxième praticienne, âgée <strong>de</strong> 30 ans, bénéficiaire d’un grand nombre<br />
d’expériences professionnel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> différents secteurs <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Son<br />
choix professionnel n’est pas un choix initial, puisqu’elle aurait souhaité étudier la<br />
mé<strong>de</strong>cine. Toutefois, après un stage en hôpital, elle a réalisé que <strong>les</strong> soignants avaient<br />
une plus gran<strong>de</strong> proximité avec <strong>les</strong> patients. Elle a donc choisi <strong>de</strong> s’orienter vers cette<br />
profession, convaincue par cet aspect qui, pour elle, était capital.<br />
Elle exerce à présent sa fonction d’infirmière et <strong>de</strong> praticienne formatrice au<br />
sein d’un service à domicile. Après la fréquentation <strong>de</strong> différents lieux d’exercice <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong>, elle a délibérément choisi <strong>de</strong> rester aux <strong>soins</strong> à domicile, car, dit-elle, ils offrent<br />
encore un espace un peu « protégé » contre la mainmise <strong>de</strong> l’économie sur le secteur<br />
<strong>de</strong> la santé.<br />
Pour elle, en effet, la profession est en danger vital <strong>de</strong> par <strong>les</strong> restrictions<br />
imposées au secteur sanitaire. C’est en effet la place <strong>de</strong> l’humain qui diminue, au<br />
profit d’une logique tayloriste et d’une réification <strong>de</strong> la personne, comme la<br />
praticienne l’illustre en expliquant le déroulement <strong>de</strong>s toilettes le matin à l’hôpital.<br />
De fait, l’écart entre le travail prescrit et le travail réel est toujours plus grand et c’est<br />
l’i<strong>de</strong>ntité même <strong>de</strong> la profession qui est atteinte : « on tue le métier… on fait<br />
jamais une longue carrière ! ». Les soignants qui ont choisi la profession par souci<br />
d’ai<strong>de</strong>r leur prochain, avec un attrait particulier pour la dimension relationnelle, sont<br />
frustrés <strong>de</strong> se retrouver à faire <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> tâches administratives et d’assouvir<br />
<strong>les</strong> attentes d’une traçabilité sans fin, <strong>dans</strong> le seul but d’optimiser l’efficience. Tout ce<br />
temps dévolu à l’administration fait défaut auprès du patient. Dépourvu <strong>de</strong> leur<br />
dimension humaine, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> automatisés génèrent l’indifférence et ne permettent<br />
pas au soignant <strong>de</strong> se développer, ni <strong>de</strong> développer son i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />
Outre <strong>les</strong> répercussions sur la prise en charge, c’est donc également l’image du<br />
métier qui est atteinte.<br />
443
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Face aux difficultés rencontrées, la praticienne soulève l’importance <strong>de</strong> la<br />
verbalisation en équipe et du soutien que le groupe peut apporter. Elle explique que,<br />
<strong>dans</strong> l’une <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> <strong>soins</strong> à domicile, <strong>de</strong>s tensions se multiplient. La<br />
verbalisation en est rendue très difficile et certains soignants subissent une gran<strong>de</strong><br />
souffrance ; ils « mangent <strong>les</strong> problèmes en eux ». Dans <strong>les</strong> autres équipes, la<br />
verbalisation est certes plutôt informelle, mais elle est tout <strong>de</strong> même présente, avec<br />
une latitu<strong>de</strong> nettement plus importante qu’à l’hôpital.<br />
Dans ses expériences passées, la soignante a plusieurs fois choisi <strong>de</strong> quitter son<br />
lieu d’exercice, lorsque la confrontation à ses valeurs personnel<strong>les</strong> était <strong>de</strong>venue trop<br />
importante. Elle reconnaît cependant que ses valeurs profon<strong>de</strong>s peuvent aussi être<br />
contraires aux normes institutionnel<strong>les</strong>. Une limite à son engagement serait, pour elle,<br />
d’être tentée <strong>de</strong> soulager un patient en lui accordant l’euthanasie qu’il réclame, pour<br />
répondre à ses valeurs d’humanité. Mais, se sachant en porte-à-faux avec la loi, il<br />
serait alors temps pour elle <strong>de</strong> partir avant <strong>de</strong> commettre un geste illicite.<br />
Il existe cependant tout un éventail <strong>de</strong> situations qui mettent le soignant en<br />
porte-à-faux avec <strong>de</strong>s valeurs profon<strong>de</strong>s, quant à el<strong>les</strong> tout à fait licites et louab<strong>les</strong>.<br />
Cet écart génère un sentiment <strong>de</strong> trouble intérieur et une souffrance qui conduit soit<br />
au départ, soit à l’épuisement. Le conflit <strong>de</strong> valeurs peut parfois surgir entre le corps<br />
soignant et le corps médical, ces <strong>de</strong>rniers étant plutôt réticents à prescrire une<br />
antalgie forte, dont on sait qu’elle risque d’abréger la vie d’un patient, tandis que <strong>les</strong><br />
soignants, eux, au chevet du mala<strong>de</strong>, sont confrontés à <strong>de</strong>s souffrances parfois<br />
insupportab<strong>les</strong>.<br />
Pour cette soignante, il va <strong>de</strong> soi que l’engagement ne peut se réaliser sans être<br />
en accord avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong>. Selon sa définition, l’engagement c’est :<br />
« quand on veut réellement quelque chose qui pour nous est bien », un but<br />
pour lequel on met tout en œuvre et « on fait tout son possible pour<br />
l’atteindre ». C’est donc, a contrario d’une attitu<strong>de</strong> minimaliste, une mise en action<br />
pour mener un combat. Il est à noter que ce terme est particulièrement présent au<br />
cours <strong>de</strong> cet entretien, puisqu’il revient à cinq reprises, avec parfois encore d’autres<br />
444
termes voisins (défense, lutte…).<br />
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Or cet engagement doit impérativement être porté par le sens qui en est le<br />
fon<strong>de</strong>ment et le moteur. Lorsqu’on s’engage, c’est pour un combat qui doit avoir du<br />
sens, auquel on puisse donner un sens, et pour lequel on doit pouvoir être convaincu<br />
du sens donné.<br />
Vouloir considérer l’exercice soignant sans sa dimension d’engagement, c’est<br />
mettre en jeu l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession, <strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong> personnes engagées<br />
sont aussi cel<strong>les</strong> qui permettent l’amélioration <strong>de</strong>s pratiques, avec un souci constant<br />
<strong>de</strong> faire évoluer ce qui a lieu <strong>de</strong> l’être.<br />
La difficulté <strong>de</strong> la personne engagée, c’est d’attendre le même engagement <strong>de</strong>s<br />
autres et notre interlocutrice reconnaît être ici parfois très exigeante, alors qu’elle est<br />
consciente que ces personnes peuvent avoir d’autres priorités.<br />
Vis-à-vis <strong>de</strong>s étudiantes, elle attend un engagement, mais qui n’est pas<br />
forcément verbalisé. La manière <strong>de</strong> développer <strong>les</strong> démarches <strong>de</strong> <strong>soins</strong> constitue,<br />
selon elle, une preuve déjà suffisante <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’apprenant.<br />
Pour elle, <strong>les</strong> étudiantes font face à une difficulté <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres lors <strong>de</strong> la sortie<br />
<strong>de</strong> la formation. En effet, d’un côté, el<strong>les</strong> se trouvent confrontées à la réalité<br />
professionnelle d’une perte <strong>de</strong> l’idéal lorsque « le beau métier est enterré sous <strong>les</strong><br />
obligations ». Et, <strong>de</strong> l’autre, alors qu’el<strong>les</strong> sont fragilisées par le passage du<br />
« cocon » douillet du mon<strong>de</strong> étudiant vers l’ « autre mon<strong>de</strong> » <strong>de</strong>s professionnels, el<strong>les</strong><br />
sont aussi jaugées par leurs pairs. Les nouveaux venus peuvent <strong>de</strong>venir rapi<strong>de</strong>ment<br />
<strong>les</strong> souffre-douleurs d’équipes fatiguées, voire usées. L’entrée <strong>dans</strong> la vie active en<br />
est rendue d’autant plus difficile et il peut s’ensuivre une atteinte à l’estime <strong>de</strong> soi.<br />
La formatrice regrette que la réflexion sur soi et la manière <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong><br />
soi aient été si peu abordées <strong>dans</strong> la formation, et a fortiori <strong>dans</strong> <strong>les</strong> formations<br />
postgra<strong>de</strong>s. Apprendre à reconnaître <strong>les</strong> signes <strong>de</strong> stress pourrait s’avérer fructueux,<br />
<strong>dans</strong> la mesure où la connaissance <strong>de</strong> ses propres fail<strong>les</strong> et doutes permettrait à<br />
l’étudiante d’élaborer <strong>de</strong>s ressources spécifiques. Notre interlocutrice reconnaît que<br />
sa force personnelle rési<strong>de</strong> justement <strong>dans</strong> le fait d’avoir su développer <strong>de</strong><br />
nombreuses ressources personnel<strong>les</strong> qui l’ai<strong>de</strong>nt à prendre <strong>de</strong> la distance.<br />
445
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Le découragement menace lorsque, par exemple, <strong>de</strong>s suppressions <strong>de</strong> postes<br />
sont envisagées, alors même que <strong>les</strong> soignants affichent déjà <strong>de</strong>s taux d’heures<br />
supplémentaires très élevés. Que l’on soit investi ou que l’on soit au bord du burnout,<br />
seuls <strong>les</strong> collègues sont là pour ai<strong>de</strong>r. Le mé<strong>de</strong>cin du personnel n’existe que « en<br />
tant que numéro <strong>de</strong> téléphone » en cas d’acci<strong>de</strong>nt du travail, mais il n’y pas <strong>de</strong><br />
suivi du personnel. Selon la praticienne, l’institution est elle-même en souffrance, elle<br />
ne peut donc pas s’occuper encore en plus <strong>de</strong>s individus. Le terme <strong>de</strong> « chaos » est<br />
évoqué pour montrer l’ampleur <strong>de</strong> la désorganisation. Les instances hiérarchiques ne<br />
semblent pas du tout au clair avec le fonctionnement <strong>de</strong>s praticiens formateurs par<br />
exemple, jusqu’à ignorer l’existence <strong>de</strong> certains d’entre eux. La vision d’ensemble est<br />
absente et <strong>les</strong> soignants ont l’impression <strong>de</strong> « jouer aux pompiers » en permanence.<br />
L’exemple est pris d’une collègue en souffrance psychique qui, pour compenser,<br />
s’investit encore davantage <strong>dans</strong> son travail et, par conséquent, s’épuise encore plus.<br />
Elle entre <strong>dans</strong> une psychosomatisation du stress, avec <strong>de</strong>s douleurs dorsa<strong>les</strong> que<br />
notre praticienne attribue au fait « qu’elle en a plein le dos ». Mais, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />
l’équipe, personne ne réalise son malaise et aucune ai<strong>de</strong> n’est lui est proposée sur le<br />
plan institutionnel.<br />
L’absentéisme, en revanche, semble faire l’objet d’une préoccupation <strong>de</strong><br />
l’institution, puisque <strong>les</strong> professionnels concernés se voient appelés chez eux par<br />
téléphone pour un suivi <strong>de</strong> la situation. Certes bien vécu lorsque la confiance est là,<br />
ce suivi peut aussi être interprété comme une forme <strong>de</strong> pression institutionnelle<br />
stigmatisante.<br />
La praticienne accor<strong>de</strong> une importance capitale à la formation et au<br />
développement <strong>de</strong>s connaissances. Ces <strong>de</strong>rnières sont indispensab<strong>les</strong> pour<br />
« s’engager <strong>dans</strong> le combat », lutter contre la routine et gar<strong>de</strong>r la motivation.<br />
Il faut à tout prix éviter <strong>de</strong> sombrer <strong>dans</strong> le défaitisme, mais rester alerte, faire<br />
<strong>de</strong>s « piqûres <strong>de</strong> rappel » à la manière <strong>de</strong>s abeil<strong>les</strong>, protester et se positionner <strong>de</strong><br />
manière argumentée, même si cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong> beaucoup d’énergie. Car, pour cette<br />
soignante, si aucun changement n’intervient, la prise en charge <strong>de</strong>s patients va<br />
446
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>de</strong>venir une réelle catastrophe. La prise <strong>de</strong> position dépend, <strong>de</strong> prime abord, d’une<br />
initiative personnelle sur <strong>les</strong> sujets qui nous touchent plus précisément, mais elle doit<br />
ensuite s’élaborer et se développer au sein d’un collectif pour avoir plus <strong>de</strong> poids.<br />
Le but <strong>de</strong> l’engagement en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> doit s’inscrire <strong>dans</strong> le sens que <strong>les</strong><br />
professionnels donnent à leur exercice et à sa défense, envers et contre tout.<br />
L’engagement trouve toute sa raison d’être <strong>dans</strong> un combat essentiel pour sauver la<br />
profession.<br />
Résumé du quatrième entretien<br />
Professionnelle positionnée, affirmée,<br />
prête au combat pour défendre <strong>les</strong> intérêts <strong>de</strong> la profession.<br />
Accuse<br />
Mainmise <strong>de</strong> l’économie réduit à néant la dimension humaine<br />
et fait du soignant un prestataire <strong>de</strong> service automatisé.<br />
L’engagement revêt <strong>de</strong> ce fait un rôle d’autant plus fondamental.<br />
Nécessité <strong>de</strong> s’engager pour défendre la profession et ses valeurs humaines :<br />
un but pour lequel on met tout en œuvre et « on fait tout son possible pour<br />
l’atteindre ».<br />
La défense <strong>de</strong> la profession constitue le sens <strong>de</strong> l’engagement.<br />
C’est un combat qui a du sens et pour lequel on est convaincu.<br />
La formation doit permettre d’acquérir <strong>de</strong>s armes en termes d’argumentation :<br />
Il en va <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong>s soignants et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la<br />
profession<br />
447
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Si le vocabulaire du combat est ici très fortement présent, on doit cependant<br />
souligner que l’objet n’en est pas le même que chez <strong>les</strong> étudiantes. Pour ces <strong>de</strong>rnières,<br />
il s’agit d’un combat à mener pour le bien du patient et pour soi. En revanche, chez<br />
<strong>les</strong> praticiens, le combat est davantage mû par un souci <strong>de</strong> s’opposer à un système<br />
qui porte atteinte à l’essence même <strong>de</strong> la profession.<br />
20.3 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s enseignants<br />
Les <strong>de</strong>ux enseignants sont <strong>infirmiers</strong> et infirmières <strong>de</strong> première formation et<br />
leur choix <strong>de</strong> bifurquer vers l’enseignement résulte <strong>de</strong> cheminements personnels<br />
différents. Leur vécu personnel et professionnel imprègne leur façon d’envisager leur<br />
mission d’enseignant.<br />
20.3.1 Cinquième entretien : premier enseignant (T14)<br />
Notre première enseignante, âgée <strong>de</strong> 43 ans, est responsable <strong>de</strong> formation.<br />
Infirmière <strong>de</strong> première profession, avec tout son parcours scolaire en France, elle<br />
s’occupe aujourd’hui <strong>de</strong> la répartition <strong>de</strong>s cours <strong>dans</strong> le cursus Bachelor.<br />
Notre interlocutrice n’avait pas comme souhait premier <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir infirmière,<br />
mais elle se <strong>de</strong>stinait à la mé<strong>de</strong>cine. Toutefois, en échec <strong>dans</strong> cette formation, elle se<br />
présente alors à <strong>de</strong>ux concours : physiothérapeute et infirmière. Reçue au <strong>de</strong>ux, elle<br />
choisit le second pour <strong>les</strong> possibilités <strong>de</strong> promotion et la diversité que la profession<br />
offre.<br />
Cependant, avec le recul, elle explique que ce sont certainement <strong>de</strong>s aspects<br />
totalement inconscients qui l’ont guidée, à l’époque, vers ce choix. Il y a, d’un côté, le<br />
vécu d’une grand-mère très mala<strong>de</strong> et la culpabilité qui pèse lourd sur ses épau<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />
n’avoir pu la soulager ; <strong>de</strong> l’autre, son besoin relationnel important et son besoin<br />
d’estime répon<strong>de</strong>nt à une carence affective <strong>dans</strong> l’enfance. Enfin, s’affiche également<br />
un intérêt pour autrui, réalisé bien <strong>de</strong>s années plus tard. On peut dire que le contexte<br />
socio-éducatif a joué un rôle <strong>dans</strong> son choix, mais plutôt en suscitant une contre-<br />
réaction.<br />
448
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Or, parce que ces be<strong>soins</strong> étaient inconscients, cette enseignante explique s’être<br />
fabriqué <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> défense permettant <strong>de</strong> faire face. Elle affirme avoir été<br />
une infirmière très bonne technicienne, mais pas une bonne infirmière <strong>dans</strong> le sens<br />
où elle n’était pas en mesure d’entrer réellement <strong>dans</strong> une relation d’empathie avec<br />
<strong>les</strong> patients, n’étant pas au clair avec elle-même. Elle pose donc la connaissance <strong>de</strong> soi<br />
comme un préalable à une relation <strong>de</strong> qualité.<br />
C’est après avoir quitté la France (<strong>de</strong>ux ans après son diplôme) et s’être intégrée<br />
en Suisse qu’elle réalise le malaise qu’elle éprouvait auparavant. La profession<br />
infirmière mettant, à cette époque, beaucoup plus l’accent sur la dimension<br />
relationnelle au patient, elle se sent, toujours inconsciemment, beaucoup plus en<br />
accord avec ses valeurs et cela lui « redonne la confiance <strong>dans</strong> le métier ». Ce<br />
décalage inconscient avec son idéal était finalement cause <strong>de</strong> souffrance et aurait,<br />
selon elle, provoqué rapi<strong>de</strong>ment l’abandon <strong>de</strong> la profession. C’est finalement une<br />
psychothérapie consécutive à un burnout qui a permis <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce tous ces<br />
éléments, en particulier le rôle central <strong>de</strong>s valeurs <strong>dans</strong> son état psychique.<br />
C’est elle qui reçoit tous <strong>les</strong> dossiers <strong>de</strong> candidature <strong>de</strong>s étudiantes,<br />
accompagnées, comme il se doit pour la postulation, <strong>de</strong> leur autobiographie et <strong>de</strong><br />
leurs motivations. Elle note <strong>de</strong>s liens évi<strong>de</strong>nts entre <strong>de</strong>s parcours <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong>s<br />
situations familia<strong>les</strong> et le choix <strong>de</strong> la profession. Toutefois, rares sont cel<strong>les</strong>, dit-elle,<br />
qui font el<strong>les</strong>-mêmes ce lien, tout comme elle ne le faisait pas non plus à son entrée<br />
en formation, mais seulement bien plus tard.<br />
Il est difficile d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à travailler <strong>les</strong> valeurs, car el<strong>les</strong> sont en<br />
pleine construction i<strong>de</strong>ntitaire. Pourtant ce cheminement doit absolument être<br />
abordé, car la « profession remet beaucoup en question, <strong>de</strong> par la confrontation<br />
à la maladie, à la mort, <strong>de</strong> par ce qu’elle nous renvoie à notre fragilité ».<br />
Être conscient <strong>de</strong> ses fragilités et <strong>de</strong> ses doutes permet <strong>de</strong> mettre en œuvre <strong>de</strong>s<br />
stratégies. Mais, pour cela, il est nécessaire d’apprendre à penser ce qui, selon elle,<br />
n’est pas évi<strong>de</strong>nt chez <strong>les</strong> étudiantes. Il s’agit <strong>de</strong> « trouver la bonne clé » pour<br />
mobiliser <strong>les</strong> bonnes compétences. Une bonne clé qui ne serait autre que la<br />
connaissance <strong>de</strong> soi ? Il ne s’agit pas d’offrir une boîte à outils avec <strong>de</strong>s ressources<br />
449
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
prêtes à l’emploi, mais davantage d’accompagner l’étudiante <strong>dans</strong> un cheminement<br />
personnel à la découverte d’elle-même.<br />
Actuellement <strong>de</strong> grands efforts sont mis en place pour transmettre <strong>de</strong>s concepts,<br />
mais ceux-ci sont décontextualisés et très peu en lien avec le sujet lui-même. Selon<br />
cette enseignante, il serait important <strong>de</strong> faire un bout <strong>de</strong> chemin ensemble avec <strong>les</strong><br />
étudiantes pour <strong>les</strong> amener à mieux se connaître et ce, dès la première année.<br />
Notre interlocutrice estime avoir un caractère très passionné et s’investir à fond<br />
<strong>dans</strong> ses activités. Néanmoins, cette passion « brûle » beaucoup <strong>de</strong> ressources,<br />
jusqu’à leur consumation totale, comme l’exprime le terme burnout <strong>dans</strong> sa<br />
traduction littérale <strong>de</strong> l’anglais. Notre interlocutrice est actuellement en rémission<br />
après avoir été victime <strong>de</strong> burnout ! Elle reconnaît qu’un cheminement préalable sur<br />
elle-même aurait peut-être permis <strong>de</strong> l’éviter. Il a en tout cas la vertu <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à se<br />
reconstruire, à mieux comprendre le pourquoi <strong>de</strong> cet effondrement et à mieux<br />
pouvoir anticiper l’avenir.<br />
La connaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses valeurs permet un engagement plus raisonné et<br />
donc une plus gran<strong>de</strong> sérénité. Pour elle, la passion est quelque chose <strong>de</strong> positif, mais<br />
qui doit être cadré par la raison. Cette raison ne constitue pas un frein à l’engagement,<br />
mais permet qu’il soit mis en œuvre avec clairvoyance et puisse porter d’autant plus<br />
<strong>de</strong> fruits.<br />
Selon sa définition, l’engagement constitue « une prise <strong>de</strong> risque calculée ».<br />
L’engagement suppose <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix et donc <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s risques, mais<br />
limités par la connaissance <strong>de</strong> soi. Dans le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, l’engagement serait<br />
plus spécifiquement « la connaissance <strong>de</strong> soi au service d’autrui ».<br />
L’engagement est un positionnement qui s’incarne <strong>dans</strong> l’action. Les attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> sur-<br />
engagement sont typiques <strong>de</strong> la profession soignante et sont très souvent la cause <strong>de</strong>s<br />
pathologies du stress. Notre enseignante dit avoir parfois peur en lisant <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
autobiographies <strong>de</strong>s aveux passionnés, comme « j’ai toujours voulu faire ce<br />
métier, c’est le but <strong>de</strong> ma vie ». L’engagement est la mise en pratique concrète<br />
d’une posture, mais cela comporte <strong>de</strong>s risques importants.<br />
450
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Le formateur a donc non seulement une tâche, mais avant tout un <strong>de</strong>voir<br />
d’ai<strong>de</strong>r l’étudiante à prendre conscience <strong>de</strong> ces risques <strong>dans</strong> l’engagement, avec<br />
comme ressource première la réflexion sur soi et ses limites.<br />
Il est cependant important <strong>de</strong> souligner, pour notre interlocutrice, le caractère<br />
très exigeant d’un tel accompagnement <strong>de</strong>s étudiantes. Les ai<strong>de</strong>r à verbaliser, en<br />
exerçant l’art <strong>de</strong> la maïeutique, nécessite <strong>de</strong> vastes connaissances et <strong>de</strong>s expertises<br />
multip<strong>les</strong>. Les analyses <strong>de</strong> pratiques peuvent être <strong>de</strong> très bons outils <strong>dans</strong> ce sens là,<br />
si el<strong>les</strong> sont guidées par <strong>de</strong>s personnes compétentes. L’analyse <strong>de</strong> pratique ne saurait<br />
se confondre avec <strong>de</strong>s séances <strong>de</strong> discussion au retour <strong>de</strong>s stages. Elle constitue<br />
néanmoins une opportunité sans égal, <strong>dans</strong> la mesure où elle permet l’échange entre<br />
<strong>les</strong> pairs et la verbalisation, <strong>de</strong>ux ressources fondamenta<strong>les</strong> pour le travail d’équipe<br />
futur. Le collectif est aussi là pour ai<strong>de</strong>r à prévenir le stress et mettre en œuvre la<br />
solidarité <strong>dans</strong> l’équipe.<br />
L’anticipation permet <strong>de</strong> créer un pont entre l’idéal <strong>de</strong> l’étudiante et la réalité,<br />
en privilégiant une réflexion sur <strong>les</strong> valeurs à investir, valeurs qui, selon elle, seraient<br />
à cet âge-là encore comme <strong>de</strong> « la pâte à mo<strong>de</strong>ler ». Ces ressources doivent<br />
permettre <strong>de</strong> tenir ferme <strong>dans</strong> la tempête et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le cap, c’est-à-dire le « bon »<br />
sens, car « lorsque le sens s’en va, tout perd sa raison d’être ».<br />
Selon cette professionnelle enseignante, un accompagnement pédagogique<br />
réellement adapté à la pratique, doit être pensé <strong>dans</strong> le système <strong>de</strong> formation en<br />
alternance qui est le nôtre. Or l’alternance est un modèle pédagogique exigeant, dont<br />
la logique est à intégrer dès le départ. L’enseignante regrette qu’elle soit souvent<br />
introduite après coup, avec une dimension alors très réductrice. Pour elle,<br />
l’alternance s’appuie sur une analyse <strong>de</strong> pratique bien guidée avec <strong>les</strong> bons acteurs.<br />
Malheureusement, jusqu’à ce jour, l’analyse <strong>de</strong> pratique n’est pas obligatoire et<br />
dépend « du bon vouloir <strong>de</strong> l’enseignant ». Le partenariat entre l’école et le stage<br />
<strong>de</strong>vrait se développer autour d’une co-construction et permettrait ainsi <strong>de</strong> revaloriser<br />
la pratique. Ce travail en commun aurait un impact immanquable sur l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle, puisqu’une « communauté <strong>de</strong> réflexion » <strong>de</strong>vient la source d’une<br />
« i<strong>de</strong>ntité commune forte et claire ».<br />
451
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Pour notre interlocutrice, l’engagement n’est pas une option. Il fait partie <strong>de</strong><br />
l’activité infirmière, dont on attend une implication personnelle liée à la nature même<br />
du travail effectué. Parce que l’entier <strong>de</strong> la personne est impliqué <strong>dans</strong> la relation <strong>de</strong><br />
soin, cela nécessite <strong>de</strong> bien se connaître pour savoir faire face. Ce processus <strong>de</strong><br />
connaissance <strong>de</strong> soi au travers <strong>de</strong>s situations rencontrées pourrait être on ne peut<br />
mieux mis en œuvre <strong>dans</strong> une démarche d’analyse <strong>de</strong> pratique.<br />
Résumé du cinquième entretien<br />
Professionnelle passionnée, très engagée.<br />
À découvert ses valeurs cachées à la suite d’un burnout.<br />
Prend conscience <strong>de</strong> l’adéquation avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> pour son équilibre.<br />
La non-prise en compte <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> a différentes inci<strong>de</strong>nces :<br />
Peut générer <strong>de</strong> la frustration et conduire à <strong>de</strong>s pathologies comme celle<br />
rencontrée ici.<br />
Empêche la personne d’être totalement authentique <strong>dans</strong> sa relation avec le<br />
soigné.<br />
Empêche le soignant d’entrer <strong>dans</strong> une dimension d’empathie véritable.<br />
Conduit à utiliser <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> défense qui peuvent altérer <strong>les</strong> relations<br />
<br />
interpersonnel<strong>les</strong>.<br />
L’engagement implique la personne au plus haut <strong>de</strong>gré :<br />
L’individu doit faire <strong>de</strong>s choix L’individu est poussé à prendre <strong>de</strong>s<br />
452<br />
risques.<br />
Il est donc primordial que cette prise <strong>de</strong> risque se fasse sous le contrôle <strong>de</strong> la raison.<br />
D’où la définition <strong>de</strong> l’engagement comme « une prise <strong>de</strong> risque calculée »,
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Mais une prise <strong>de</strong> risque qui nécessite « la connaissance <strong>de</strong> soi au service<br />
d’autrui ».<br />
La connaissance <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses valeurs, <strong>de</strong> ses limites comme préalable absolument<br />
indispensable à l’engagement infirmier.<br />
Même si <strong>les</strong> jeunes sont en construction i<strong>de</strong>ntitaire avec parfois une difficulté à<br />
entrer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s raisonnements approfondis, le cheminement doit être amorcé avec<br />
eux dès la première année.<br />
L’analyse <strong>de</strong> pratique constitue un outil qui permet :<br />
Le lien avec la pratique et la réduction du fossé.<br />
La mise en perspective <strong>de</strong> situations vécues pour examiner son propre<br />
fonctionnement et mieux comprendre <strong>les</strong> valeurs en jeu.<br />
La confrontation et l’enrichissement <strong>de</strong> la discussion avec <strong>les</strong> pairs.<br />
La construction d’un savoir incarné et non uniquement conceptuel.<br />
La co-construction <strong>de</strong> la formation et <strong>de</strong> l’accompagnement entre pratique et<br />
école.<br />
La construction d’une i<strong>de</strong>ntité commune avec <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong>s terrains.<br />
L’engagement, un incontournable <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> mais qui doit avoir <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-fous<br />
et être bien ciblé pour porter <strong>de</strong>s fruits et ne pas <strong>de</strong>venir source <strong>de</strong> souffrance.<br />
Cette orientation pédagogique <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> l’engagement est certainement liée à<br />
la fonction d’enseignante <strong>de</strong> cette personne, <strong>de</strong> même qu’aux différentes expériences<br />
qu’elle a pu traverser.<br />
453
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
20.3.2 Sixième entretien : <strong>de</strong>uxième enseignant (T15)<br />
Notre <strong>de</strong>uxième enseignant est âgé <strong>de</strong> 54 ans. À l’origine instituteur, il se trouve<br />
<strong>dans</strong> ses premières années <strong>de</strong> pratique toujours à nouveau confronté à ses limites<br />
<strong>dans</strong> sa volonté <strong>de</strong> venir en ai<strong>de</strong> aux enfants en difficulté. Il se rend rapi<strong>de</strong>ment<br />
compte que la bonne volonté ne suffit pas et que, une fois <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> la pathologie<br />
atteintes, il est nécessaire d’avoir d’autres compétences pour ai<strong>de</strong>r ces enfants à<br />
progresser. Il choisit donc à ce moment-là <strong>de</strong> s’orienter vers la formation d’infirmier<br />
en psychiatrie, puisque à l’époque <strong>les</strong> cursus sont encore séparés : psychiatrie, <strong>soins</strong><br />
généraux ou pédiatriques.<br />
Après plusieurs années <strong>de</strong> pratique, il rejoint le corps enseignant, afin <strong>de</strong><br />
continuer à développer <strong>de</strong>s connaissances et à en faire profiter d’autres, plus jeunes,<br />
qui, selon son espérance, prendront le relais pour faire avancer et reconnaître la<br />
profession.<br />
Selon son expression, la formation <strong>de</strong>s jeunes constitue le « prétexte »<br />
permettant d’écrire le texte véritable, à savoir la connaissance <strong>de</strong> soi au service <strong>de</strong><br />
l’humanité.<br />
Il se rend compte alors que cet accompagnement à la connaissance <strong>de</strong> soi<br />
<strong>de</strong>man<strong>de</strong> un champ <strong>de</strong> connaissances très vaste, qui ne saurait se résumer à « tenir la<br />
main » d’une personne, ce qui le conduit vers une formation plus spécifique.<br />
Il y a, selon notre interlocuteur, un champ <strong>de</strong> tension important <strong>dans</strong> la<br />
formation soignante, qui se focalise autour <strong>de</strong> la dichotomie entre la connaissance en<br />
tant que telle et la connaissance <strong>de</strong> soi. Les <strong>de</strong>ux sont maintenues divisées, alors<br />
qu’el<strong>les</strong> sont indissociab<strong>les</strong>, la connaissance générale s’incarnant au travers <strong>de</strong> la<br />
connaissance <strong>de</strong> soi. Ces lacunes <strong>dans</strong> le processus <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi ont <strong>de</strong>s<br />
conséquences directes sur l’engagement qui en constitue, selon lui, le fon<strong>de</strong>ment.<br />
Dans la dimension d’engagement, notre enseignant cite l’empathie comme étant<br />
une fragilité ou une vulnérabilité, à même cependant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir une véritable force<br />
motrice d’engagement, à partir du moment où justement ce travail sur soi permet <strong>de</strong><br />
transformer la faib<strong>les</strong>se en force et d’en faire émerger une ressource. De fait, la<br />
454
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
connaissance <strong>de</strong> soi permet d’engager son humanité, sa réflexion, son savoir pour le<br />
conjuguer à celui <strong>de</strong> l’autre, <strong>dans</strong> une perspective <strong>de</strong> co-construction humaine.<br />
L’empathie constitue un préalable nécessaire pour être sensible à autrui, mais la<br />
compassion, sous l’angle scientifique, ouvre au positionnement <strong>de</strong> soi par le biais<br />
d’un jugement clinique, doté <strong>de</strong> repères conceptualisab<strong>les</strong>. Le risque <strong>dans</strong> notre<br />
profession est, selon notre interlocuteur, <strong>de</strong> confondre un engagement<br />
compassionnel pur, plus ou moins intuitif, avec une mise en œuvre professionnelle<br />
reposant, quant à elle, sur <strong>de</strong>s savoirs scientifiques.<br />
Cette dimension scientifique permet à la fois d’être plus adéquat <strong>dans</strong> la prise<br />
en charge, mais aussi <strong>de</strong> gagner en crédibilité sur le plan social, en tant que<br />
profession. Or, si « l’engagement c’est l’acceptation d’être touché par ce que vit<br />
l’autre et d’endosser notre responsabilité d’agir en fonction <strong>de</strong> cet éprouvé,<br />
(cela doit se faire non) selon mes propres cadres <strong>de</strong> références mais avec <strong>de</strong>s<br />
apports scientifiques ». Et là, « l’économie <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi,… elle est<br />
pas possible », car c’est la compréhension <strong>de</strong> l’impact sur soi-même <strong>de</strong> cette<br />
condition humaine qui est nécessaire à la crédibilité.<br />
L’engagement serait un lien intrinsèque à la vie. Et l’enseignant <strong>de</strong> se référer au<br />
processus créationnel pour le démontrer. Mais l’engagement professionnel, lui, se<br />
doit <strong>de</strong> dépasser l’engagement affectif et sensoriel pour « l’habiller d’une<br />
démarche scientifique structurée ». Il y a <strong>dans</strong> l’engagement, déjà au niveau<br />
primaire, une démarche volontaire qui consiste à « accepter d’endosser cette<br />
posture nécessaire pour la vie ».<br />
Et notre interlocuteur <strong>de</strong> résumer ce point en disant que « l’engagement, c’est<br />
se mettre en accord avec une caractéristique humaine pour la mettre au<br />
service structuré et intentionnel <strong>de</strong> co -création avec l’autre », et <strong>de</strong> rendre<br />
attentif à la nécessité <strong>de</strong> conserver l’humanité au centre <strong>de</strong> l’engagement, comme<br />
seule force motrice viable. Il soulève le risque, inhérent à la dimension éthique<br />
également, <strong>de</strong> réifier certaines notions clés dont l’humain doit absolument rester<br />
l’épicentre.<br />
L’enseignant considère comme une véritable responsabilité personnelle <strong>de</strong><br />
455
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
conduire <strong>les</strong> étudiants à cette introspection qui leur permet <strong>de</strong> mieux pouvoir ai<strong>de</strong>r<br />
l’autre : « mon engagement à moi il se situe justement <strong>dans</strong> l’accompagnement<br />
<strong>de</strong>s étudiants à la construction <strong>de</strong> cette, <strong>de</strong> cette compétence ». Mais, pour lui,<br />
le problème en formation n’est pas tant la capacité <strong>de</strong>s étudiants à faire une<br />
démarche d’introspection, que <strong>les</strong> modalités organisationnel<strong>les</strong> ne lui permettant pas<br />
d’être rendue possible pour tous. Certes certains contenus <strong>de</strong> cours (par exemple,<br />
l’approche santé et maladie d’un point <strong>de</strong> vue psychologique) favorisent déjà une<br />
amorce <strong>de</strong> cette dimension, mais cela <strong>de</strong>meure un socle très mince.<br />
L’autre difficulté, que notre interlocuteur remarque à cette démarche, rési<strong>de</strong><br />
<strong>dans</strong> l’écart entre l’idéal compassionnel <strong>de</strong> nombreux étudiants et la réalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />
qui génère la frustration. La difficulté se trouve <strong>dans</strong> l’impossibilité <strong>de</strong> mettre en<br />
œuvre une démarche dont la personne est pourtant convaincue elle-même. Et son<br />
expérience lui a fait rencontrer <strong>de</strong>s jeunes professionnels qui expliquent qu’ils<br />
préfèreraient ne pas avoir connu cet idéal auquel ils aspirent à présent, sans que<br />
s’offre à eux la possibilité <strong>de</strong> le réaliser. Cet état <strong>de</strong> fait est source d’une gran<strong>de</strong><br />
culpabilité pour l’enseignant, partagé entre l’envie <strong>de</strong> transmettre cet idéal et le souci<br />
<strong>de</strong> générer cette frustration chez <strong>les</strong> futurs professionnels sur qui repose la lour<strong>de</strong><br />
responsabilité <strong>de</strong> « transformer le terrain ».<br />
Pourtant, dit-il, « l’engagement est moteur d’une démarche indispensable<br />
au soin » et le jugement clinique permet <strong>de</strong> lui donner un sens et une consistance.<br />
Raison pour laquelle cet enseignant met un accent très important sur la notion <strong>de</strong><br />
jugement clinique.<br />
C’est lui qui permet à la parole <strong>de</strong> l’infirmière d’être soutenue par une<br />
argumentation, <strong>de</strong> mettre en mot ce que la situation <strong>de</strong> soin véhicule au plan<br />
théorique et humain. Le jugement clinique permet <strong>de</strong> donner à voir le raisonnement<br />
infirmier et, par là aussi, d’avoir une influence sur <strong>de</strong>s décisions thérapeutiques, par<br />
exemple. Il est le moteur d’une reconnaissance au niveau du système <strong>de</strong> santé <strong>dans</strong><br />
son ensemble. Il permet <strong>de</strong> relever le très grand défi qui consiste à conjuguer « le<br />
mouvement vocationnel avec la dimension scie ntifique, l’agir compassionnel<br />
avec l’engagement social, intellectuel et scientifique <strong>de</strong> l’infirmière », bref <strong>de</strong><br />
456
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
la faire sortir <strong>de</strong> son héritage historique <strong>de</strong> simple femme dévouée et empreinte <strong>de</strong><br />
miséricor<strong>de</strong>, à une professionnelle certes empathique mais légitimée <strong>dans</strong> son<br />
jugement par un savoir scientifique approprié, lui permettant aussi d’élargir son<br />
champ décisionnel. Et l’engagement responsable représente ici la possibilité d’être soi<br />
avec tout son savoir et son expérience, qui ouvrent sur un large champ <strong>de</strong><br />
compétences. Le raisonnement clinique, dont l’aboutissement constitue le jugement<br />
clinique, permet d’articuler entre eux ces savoirs et compétences spécifiquement<br />
infirmières. Il importe alors <strong>de</strong> limiter <strong>les</strong> recours à d’autres disciplines et d’éviter<br />
tout lien <strong>de</strong> subordination.<br />
Or ici rési<strong>de</strong>, selon notre interlocuteur, un autre problème majeur. À savoir que<br />
tous <strong>les</strong> enseignants ne sont pas formés à la démarche clinique. Il s’ensuit alors un<br />
inévitable préjudice pour l’apprentissage. Mais le problème est plus délicat encore,<br />
puisque <strong>les</strong> enseignants, même s’ils sont <strong>infirmiers</strong> à la base, ne sont pas tous<br />
convaincus du statut scientifique <strong>de</strong> la discipline et se tournent justement volontiers<br />
vers d’autres disciplines pour compléter leurs savoirs : psychologie, mé<strong>de</strong>cine…. Il<br />
n’y a, <strong>de</strong> ce fait, qu’une esquisse d’i<strong>de</strong>ntité commune qui se crée, car le corpus <strong>de</strong><br />
savoirs ne fait pas l’unanimité. Le raisonnement clinique infirmier, par exemple,<br />
permettrait, pour notre enseignant, d’affirmer l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong><br />
l’infirmière et sa reconnaissance. Dans cette perspective, la démarche clinique doit<br />
être au cœur <strong>de</strong> la profession, mais, pour ce faire, tous <strong>les</strong> enseignants <strong>de</strong>vraient en<br />
être convaincus. Notre interlocuteur place beaucoup d’espoir <strong>dans</strong> le nouveau<br />
programme, espérant que le raisonnement infirmier y trouve une place réellement<br />
centrale. Pensée comme telle dès le départ <strong>de</strong> la construction du programme, la<br />
pondération <strong>de</strong>s matières <strong>de</strong>vrait répondre à cette volonté <strong>de</strong> promouvoir le savoir<br />
infirmier.<br />
L’enjeu est pour lui important, car, si l’engagement est indispensable au soin,<br />
« il est nécessaire d’outiller cet engagement sans en déshumaniser l’essence<br />
profon<strong>de</strong> ».<br />
C’est pour la construction <strong>de</strong> cet engagement raisonné que notre interlocuteur<br />
s’engage lui-même avec beaucoup d’enthousiasme et <strong>de</strong> conviction.<br />
457
Résumé du sixième entretien<br />
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Instituteur, a choisi la profession infirmière pour pouvoir<br />
ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> enfants avec <strong>de</strong>s difficultés psychiques.<br />
Accor<strong>de</strong> beaucoup d’importance à la compassion et à l’empathie.<br />
L’empathie peut constituer un réel moteur d’engagement, à condition d’un travail<br />
préalable sur soi qui permette d’en faire une ressource.<br />
Pour cet enseignant : véritable responsabilité personnelle <strong>de</strong> conduire <strong>les</strong> étudiants<br />
à cette introspection qui leur permet <strong>de</strong> mieux pouvoir ai<strong>de</strong>r l’autre.<br />
« Mon engagement à moi il se situe justement <strong>dans</strong> l’accompagnement <strong>de</strong>s étudiants<br />
à la construction <strong>de</strong> cette compétence ».<br />
Connaissance et connaissance <strong>de</strong> soi doivent être pensées et transmises ensemble.<br />
Dénonce leur division <strong>dans</strong> la formation.<br />
La connaissance permet le positionnement <strong>de</strong> soi par le jugement clinique.<br />
et une reconnaissance scientifique.<br />
L’argumentation scientifique, par le biais <strong>de</strong> la démarche clinique, favorise la<br />
reconnaissance <strong>de</strong> la profession au sein du système <strong>de</strong> santé.<br />
Trois problèmes majeurs cependant :<br />
MAIS<br />
L’organisation structurelle <strong>de</strong> la formation qui ne favorise pas ce travail<br />
d’introspection et <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi ;<br />
Une frustration générée chez <strong>les</strong> étudiantes, qui découvrent le soin idéal avec<br />
l’agir compassionnel, mais ne peuvent l’appliquer <strong>dans</strong> la réalité ;<br />
Des divergences parmi <strong>les</strong> enseignants, entre ceux qui considèrent que la<br />
discipline a un statut réellement scientifique et <strong>les</strong> autres, ces <strong>de</strong>rniers<br />
accordant beaucoup moins d’importance au jugement clinique.<br />
458
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Pour cet enseignant, l’enjeu est important car :<br />
l’engagement est indispensable au soin, mais<br />
« il est nécessaire d’outiller cet engagement sans en<br />
déshumaniser l’essence profon<strong>de</strong> ».<br />
C’est pour la construction <strong>de</strong> cet engagement raisonné que notre interlocuteur<br />
s’engage lui-même avec beaucoup d’enthousiasme et <strong>de</strong> conviction.<br />
20.4 Conclusion <strong>de</strong> l’analyse qualitative<br />
On peut dire que nous retrouvons certaines constantes au travers <strong>de</strong> ces<br />
entretiens qui pourraient se résumer, <strong>de</strong> façon très générale, en quelques lignes : La<br />
mise en exergue <strong>de</strong>s difficultés rencontrées <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> avec <strong>de</strong>s<br />
conditions <strong>de</strong> travail et une politique organisationnelle qui conduit à la<br />
déshumanisation, obligent le soignant à sortir d’une posture compassionnelle<br />
altruiste pour développer une posture professionnelle, certes toujours orientée vers<br />
l’Autre mais favorisant une i<strong>de</strong>ntité professionnelle fondée sur <strong>de</strong>s compétences.<br />
Cette dimension est surtout défendue par <strong>les</strong> professionnels, tandis que <strong>les</strong><br />
enseignants mettent l’accent sur la connaissance <strong>de</strong> soi et le positionnement réfléchi.<br />
C’est cette posture argumentée et théoriquement fondée qui lui permettra <strong>de</strong> mener<br />
ce combat difficile, celui <strong>de</strong> la préservation <strong>de</strong> ses valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> l’exercice du soin.<br />
Nous conclurons l’ensemble <strong>de</strong> cette analyse en citant cet appel à l’action d’une<br />
enseignante engagée, pour qui il est temps que <strong>les</strong> soignants sortent d’une « certaine<br />
complaisance… à cet abonnement au passé (T11)» et acceptent que le mon<strong>de</strong><br />
change, tout en prenant conscience que « c’est aussi nous qui le faisons ce<br />
mon<strong>de</strong> (T11)». Et cette enseignante ajoute : « c’est mon combat, mais j’ai envie<br />
<strong>de</strong> dire… ne vous laissez pas gagner par le désespoir, l’espérance est vot re<br />
défi, surtout maintenant, il faut gar<strong>de</strong>r l a tête haute… (T11) ».<br />
459
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Et une autre enseignante rappelle l’immense responsabilité que nous avons <strong>de</strong><br />
nous mobiliser pour faire en sorte que notre profession ne meure pas, malgré la<br />
configuration actuelle et <strong>les</strong> changements qui viennent bouleverser le paysage du<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé (T1).<br />
Cette conclusion se veut le résumé d’un appel à mener un combat engagé.<br />
Même si ce combat n’a pas toujours exactement la même visée selon que l’on se<br />
réfère aux étudiantes, aux praticiens ou aux enseignants, il marque néanmoins<br />
l’ensemble <strong>de</strong> notre analyse et souligne la nécessité d’une action collective pour<br />
défendre une profession et, avec elle, toute la pleine mesure d’un amour pour<br />
l’humanité qui lui donne sa vraie raison d’être et donne tout son sens à l’engagement<br />
<strong>de</strong>s professionnels du soin. Ce sont ces aspects que nous allons reprendre sous la<br />
forme d’une synthèse qui nous permettra d’abor<strong>de</strong>r la discussion en repartant <strong>de</strong>s<br />
points <strong>les</strong> plus saillants <strong>de</strong> cette analyse.<br />
460
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
CHAPITRE 21 : SYNTHÈSE DES RÉSULTATS<br />
Pour la synthèse <strong>de</strong> nos résultats, nous avons choisi <strong>de</strong> reprendre le modèle <strong>de</strong><br />
l’engagement, à la fois pour essayer d’en déterminer la pertinence, mais également<br />
pour organiser nos résultats <strong>de</strong> façon plus structurée.<br />
Cette synthèse est donc organisée selon notre modèle explicité <strong>dans</strong> la partie<br />
méthodologie (cf. schéma ci-<strong>de</strong>ssous). Dans un premier temps nous souhaitons<br />
mettre en évi<strong>de</strong>nce le fait que l’engagement, en tant que notion conceptuelle, ne fait<br />
pas l’objet d’un enseignement spécifique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> éco<strong>les</strong> en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> auprès<br />
<strong>de</strong>squel<strong>les</strong> nous avons enquêté.<br />
Cette constatation nous conduit à nous questionner sur la dimension<br />
véritablement éthique <strong>de</strong> l’engagement, en examinant <strong>les</strong> liens aux valeurs<br />
personnel<strong>les</strong>, ainsi qu’à une connaissance <strong>de</strong> soi qui s’inscrive autour <strong>de</strong> ces valeurs.<br />
Prenant alors appui sur cette réflexion autour <strong>de</strong>s valeurs et <strong>de</strong> la connaissance<br />
<strong>de</strong> soi, nous nous attardons sur l’équilibre entre le <strong>de</strong>voir professionnel, inséré <strong>dans</strong><br />
le cadre d’exercice <strong>de</strong> la profession d’un côté, et <strong>les</strong> motivations ou convictions<br />
personnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’autre, afin <strong>de</strong> pouvoir observer, plus précisément, le sens que le<br />
professionnel peut donner ou non à son activité, en fonction <strong>de</strong> cet équilibre.<br />
Ce développement nous conduit alors à i<strong>de</strong>ntifier ce que pourrait être un<br />
engagement réellement professionnel et la manière dont celui-ci s’incarne <strong>dans</strong> un<br />
agir professionnel, mais aussi et surtout façonne l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et, par ce<br />
biais également, l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession elle-même.<br />
Enfin, <strong>dans</strong> un <strong>de</strong>rnier temps, nous mettons en lumière <strong>les</strong> éléments<br />
pédagogiques valorisés par <strong>les</strong> différents répondants et qui pourraient favoriser une<br />
réflexion structurée sur le sujet.<br />
461
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
FIGURE 2 : SCHÉMA DE L’ENGAGEMENT<br />
462
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
21.1 L’engagement, une attitu<strong>de</strong> qui va <strong>de</strong> soi ?<br />
Les étudiantes relèvent la volonté légitime, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ceux qui dispensent la<br />
formation, <strong>de</strong> vouloir transmettre une conception « idéale » <strong>de</strong> la prise en charge <strong>de</strong>s<br />
patients et <strong>de</strong> l’implication attendue <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> cette prise en charge. La<br />
dimension d’engagement paraît inhérente à cette conception et il ne semble pas<br />
nécessaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir s’y attar<strong>de</strong>r ou d’en faire l’objet <strong>de</strong> préoccupations plus<br />
spécifiques. De fait, c’est sans doute surtout sa mise en œuvre difficile qui constitue<br />
le principal frein. D’ailleurs le passage <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> la réflexion à la logique <strong>de</strong><br />
l’action, <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> la pratique, constitue, <strong>dans</strong> une certaine mesure, une forme<br />
<strong>de</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> cet engagement implicite.<br />
Durant la formation, l’engagement n’est pas nommément abordé en tant que<br />
concept, pas plus qu’il ne fait l’objet d’une attention singulière <strong>dans</strong> sa dimension<br />
personnelle. Il est indirectement abordé lorsqu’il est question <strong>de</strong> responsabilité ou<br />
d’autonomie, ou alors <strong>dans</strong> une mise en tension avec la notion <strong>de</strong> distance<br />
thérapeutique, tout spécifiquement lorsque sont évoquées <strong>les</strong> pathologies liées à <strong>de</strong>s<br />
addictions ou <strong>de</strong>s prises en charge impliquant <strong>de</strong>s populations spécifiques : enfants<br />
et personnes âgées, par exemple. Si l’enseignement autour <strong>de</strong> cette notion fait défaut,<br />
en revanche, l’engagement est bien présent comme posture vis-à-vis <strong>de</strong> la profession.<br />
On peut d’autant moins faire l’économie d’une réflexion approfondie sur le<br />
sujet que le domaine <strong>de</strong> la pratique est soumis à <strong>de</strong>s pressions très fortes <strong>de</strong><br />
performance et <strong>de</strong> rentabilité qui ne manqueront pas <strong>de</strong> façonner, voire d’anéantir,<br />
cette dimension d’implication. Le risque est alors <strong>de</strong> voir la préoccupation cognitive<br />
autour <strong>de</strong> l’engagement « nivelée par le bas (T3) », victime <strong>de</strong> la logique<br />
opérationnelle qui prévaut actuellement <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du travail.<br />
Cette logique <strong>de</strong> l’action et <strong>de</strong> l’objet quantifiable semble bien, à présent,<br />
pénétrer aussi le domaine <strong>de</strong> la formation, en imposant <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d’apprentissage<br />
basés sur <strong>les</strong> preuves, en valorisant l’intégration <strong>de</strong> procédures et l’utilisation d’outils<br />
techniques, au détriment d’apports davantage orientés vers la réflexion et le savoir-<br />
être. Cette réalité émerge à différentes reprises et sous plusieurs aspects. En lien avec<br />
cela, nous relevons, par exemple, la caractéristique, récurrente chez <strong>les</strong> étudiantes,<br />
463
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
d’un fon<strong>de</strong>ment argumentatif très peu étoffé. À cet égard <strong>les</strong> considérations relevées<br />
sur le thème du positionnement sont significatives. Si <strong>les</strong> avis sur ce sujet sont<br />
généralement assez prompts à être évoqués et <strong>les</strong> affirmations assez péremptoires, on<br />
ne peut néanmoins que constater la maigre teneur <strong>de</strong> l’argumentaire qui <strong>les</strong> justifie.<br />
Or <strong>les</strong> enseignements sur ce sujet restent également très lacunaires, orientés à<br />
nouveau, très largement, sur l’action. Sachant que le positionnement constitue le<br />
fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’engagement, vouloir le considérer comme un allant <strong>de</strong> soi, en<br />
faisant l’économie d’examiner ce qui le constitue, revient, pour une enseignante, à<br />
vouloir faire <strong>de</strong> la peinture sans avoir, au préalable, apposé une couche d’accroche<br />
(T9). La peinture, comme ici l’engagement, n’auront alors aucune chance d’être<br />
viab<strong>les</strong> sur la durée.<br />
On pourrait prétexter le jeune âge et le manque <strong>de</strong> maturité pour dispenser <strong>les</strong><br />
étudiantes d’une réflexion approfondie. Néanmoins, même s’ils sont jeunes, ils<br />
seront confrontés aux difficultés <strong>de</strong> la pratique : à la maladie, à la mort, à la violence<br />
etc… Eux-mêmes expriment d’ailleurs le besoin d’être davantage préparés à la réalité<br />
du mon<strong>de</strong> du travail, en acquérant, pour ce faire, une meilleure connaissance <strong>de</strong> soi.<br />
Certes, jusqu’à un certain point, le praticien formateur chargé d’encadrer<br />
l’étudiante sur son lieu <strong>de</strong> stage, peut ai<strong>de</strong>r cette <strong>de</strong>rnière <strong>dans</strong> ce cheminement <strong>de</strong><br />
manière ponctuelle. Toutefois sa position d’évaluateur en fin <strong>de</strong> stage, ainsi que sa<br />
présence très limitée <strong>dans</strong> un espace-temps <strong>de</strong> six semaines maximum, ne permettent<br />
pas <strong>de</strong> réunir <strong>les</strong> conditions favorab<strong>les</strong> à un cheminement qui peut s’avérer long et<br />
sinueux. C’est pourquoi plusieurs enseignants et étudiants souhaiteraient voir un<br />
accompagnement instauré spécifiquement <strong>dans</strong> ce sens dès l’entrée en formation, et<br />
sur toute la durée <strong>de</strong> celle-ci.<br />
Les entretiens révèlent aussi qu’en l’absence <strong>de</strong> réflexion sur l’engagement<br />
personnel, c’est aussi la réflexion sur ses propres valeurs qui fait défaut. Les valeurs<br />
ne sont abordées que sous l’aspect fortement conflictuel du dilemme éthique, et non<br />
sous l’angle d’une connaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses limites, <strong>de</strong>venu souci <strong>de</strong> soi au sens<br />
foucaldien du terme. Pourtant, enseignants tout comme étudiantes, reconnaissent le<br />
464
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
besoin d’une réflexion sur ce qui est à la base <strong>de</strong> leurs motivations profon<strong>de</strong>s. Dans<br />
une société où règne une confusion certaine parmi <strong>les</strong> valeurs qui étaient à l’origine<br />
transmises en fonction <strong>de</strong> certains critères sociaux ou d’appartenances<br />
communautaires, <strong>les</strong> jeunes, souvent décontenancés, sont soucieux <strong>de</strong> placer <strong>les</strong><br />
bonnes priorités <strong>dans</strong> cette profusion qui pose l’embarras du choix. L’exercice est<br />
d’autant plus ardu qu’ils semblent peu habitués à une réflexion approfondie sur ces<br />
sujets. Ce flou axiologique <strong>dans</strong> lequel ils sont immergés est sans doute en partie<br />
responsable d’une difficulté à s’engager que relèvent <strong>de</strong>ux professionnels. Pourtant<br />
l’ensemble <strong>de</strong>s autres professionnels, tout comme <strong>les</strong> enseignants et <strong>les</strong> étudiantes,<br />
s’accor<strong>de</strong>nt à penser que l’engagement <strong>de</strong>s jeunes n’est pas moindre. En revanche, il<br />
peut parfois paraître plus réservé, <strong>les</strong> jeunes subissant <strong>les</strong> pressions qui s’exercent <strong>de</strong><br />
part et d’autre sur eux. Plusieurs jeunes relèvent l’importance d’un cadre pour<br />
baliser une route semée d’embûches et dont l’horizon incertain génère <strong>de</strong>s craintes<br />
ouvertement avouées.<br />
Le jeune, qui n’est pas au clair avec ses propres valeurs et cherche à y mettre <strong>de</strong><br />
l’ordre, attache alors une importance d’autant plus gran<strong>de</strong> aux modè<strong>les</strong><br />
d’engagement que <strong>les</strong> enseignants et professionnels peuvent incarner ou non, avec<br />
<strong>les</strong> risques inhérents à la présence <strong>de</strong> « contre-modè<strong>les</strong> », c’est-à-dire <strong>de</strong><br />
professionnels et d’enseignants peu engagés. L’impact <strong>de</strong>s enseignants semble<br />
effectivement jouer un rôle crucial <strong>dans</strong> la manière dont le jeune va construire, ou<br />
pas, sa motivation et son engagement professionnels. Une étudiante parle <strong>de</strong>s profs<br />
motivés et désireux <strong>de</strong> transmettre leur « amour du métier », en disant : « ils nous<br />
engagent, ils nous poussent à nous engager (E25) », et son avis est conforté par<br />
celui d’une enseignante pour qui il est évi<strong>de</strong>nt que « la meilleure façon <strong>de</strong> former<br />
à l’engagement, c’est d’être engagé soi-même (T1) ». L’influence <strong>de</strong>s enseignants<br />
et professionnels est telle qu’elle peut même avoir un impact sur le choix ultérieur du<br />
domaine <strong>dans</strong> lequel le soignant va opter <strong>de</strong> travailler.<br />
465
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
21.2 La dimension éthique <strong>de</strong> l’engagement<br />
On pourrait se poser la question <strong>de</strong> la pertinence du lien entre engagement et<br />
éthique. Si le lien n’est pas donné d’emblée, il découle très clairement <strong>de</strong> l’association<br />
<strong>de</strong> différentes questions. Selon <strong>les</strong> entretiens réalisés, plus <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s personnes<br />
considèrent que la motivation et l’adéquation avec <strong>les</strong> valeurs sont <strong>les</strong> raisons<br />
premières <strong>de</strong> l’engagement. Or la motivation n’est-elle pas, elle aussi, le fruit <strong>de</strong> nos<br />
valeurs profon<strong>de</strong>s ?<br />
Pour huit personnes sur dix, l’engagement est directement lié à un exercice<br />
professionnel éthique, c’est-à-dire dont l’agir se fon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong>. Ces données sont corroborées par <strong>les</strong> affirmations très claires tant<br />
<strong>de</strong> la part d’étudiantes que <strong>de</strong> professionnels ou d’enseignants, expliquant qu’il n’y a<br />
« pas d’engagement sans valeurs (T11) ». Cette affirmation fait écho aux données<br />
récoltées <strong>dans</strong> le questionnaire, et en particulier à la question ouverte qui posait la<br />
question d’un engagement qui puisse ne pas être éthique.<br />
Cette référence aux valeurs est extrêmement présente lorsque <strong>les</strong> soignants<br />
s’expriment sur ce qui a motivé leur choix professionnel. Que ce choix soit le fruit<br />
d’un « appel » reçu dès le plus jeune âge, d’un choix mûrement réfléchi ou même<br />
d’un choix par défaut, tous reconnaissent l’impact <strong>de</strong>s valeurs du milieu social et<br />
éducatif <strong>dans</strong> lequel ils ont grandi, avec parfois l’influence <strong>de</strong> personnes plus ou<br />
moins proches qui ont su leur transmettre ce goût du métier. Toutes aussi crucia<strong>les</strong><br />
sont <strong>les</strong> expériences personnel<strong>les</strong> ou professionnel<strong>les</strong> réalisées et l’impact qu’el<strong>les</strong> ont<br />
pu avoir sur le développement <strong>de</strong> l’individu. Même si l’engagement professionnel<br />
résulte alors davantage d’un besoin <strong>de</strong> « réparation », il n’en <strong>de</strong>meure pas moins que<br />
<strong>de</strong>s valeurs très fortes orientées vers la considération <strong>de</strong> la personne humaine sont<br />
pléthore <strong>dans</strong> la façon dont <strong>les</strong> soignants expriment leur attachement à la profession.<br />
Et le langage, par moment émotionnellement très chargé, se fait l’écho <strong>de</strong> cet<br />
attachement profond, comme on peut l’entendre chez cette professionnelle<br />
expliquant que, pour elle, la profession soignante relève <strong>de</strong> la vocation, c’est-à-dire<br />
qu’elle représente l’acte <strong>de</strong> « se donner pour quelqu’un et puis d’apporter<br />
quelque chose <strong>de</strong> soi à l’autre (P8) ». La mise en acte <strong>de</strong> ces valeurs <strong>dans</strong> la<br />
466
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
situation n’est autre que la dimension éthique <strong>de</strong> la profession.<br />
Même si l’on trouve, parmi <strong>les</strong> étudiantes interrogées, un attrait certain pour la<br />
dimension technique, dimension nettement moins présente <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux autres<br />
populations interviewées, <strong>de</strong>s valeurs communes sont néanmoins très fortes. En effet,<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> valeurs qui orientent <strong>les</strong> motivations <strong>de</strong>s soignants toutes catégories<br />
confondues, l’altruisme et la dimension relationnelle occupent très nettement le<br />
<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène. Et c’est tout particulièrement <strong>dans</strong> cette relation au patient que<br />
l’engagement trouve sa principale source <strong>de</strong> satisfaction exprimée plus haut.<br />
Lorsque nous avons <strong>de</strong>mandé aux différentes personnes <strong>de</strong> nous citer <strong>les</strong><br />
valeurs <strong>les</strong> plus importantes, selon el<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> leur exercice professionnel, seu<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux sur <strong>les</strong> dix-sept valeurs (sécurité et qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>) n’étaient pas en lien direct<br />
avec le patient, la plupart étant orientées vers la relation elle-même, et <strong>les</strong> autres vers<br />
l’attention portée à la personne soignée <strong>dans</strong> sa qualité d’être humain mala<strong>de</strong> et<br />
vulnérable. Ces valeurs ne sont pas pensées <strong>dans</strong> une relation exclusive du soignant<br />
envers son patient, mais sont incorporées <strong>dans</strong> un collectif qui en permet la pleine<br />
expression. L’équipe joue en effet un rôle primordial <strong>dans</strong> le bien-être du soignant et<br />
sa capacité à être disponible pour une relation <strong>de</strong> <strong>soins</strong> qui implique autant ses<br />
valeurs que ses émotions.<br />
Vu <strong>de</strong> l’extérieur, il est sans doute difficile <strong>de</strong> réaliser à quel point la profession<br />
peut confronter le soignant à ses propres limites, à ses faib<strong>les</strong>ses et à ses craintes. Le<br />
côtoiement quotidien avec la mort, la souffrance, la violence verbale et parfois<br />
physique, <strong>de</strong>s sentiments d’injustice, <strong>de</strong> tristesse… nous renvoient à notre simple<br />
condition d’humain, dépourvue <strong>de</strong> toute mascara<strong>de</strong>. Or justement, cette<br />
confrontation, en tant qu’elle vient renverser <strong>les</strong> murail<strong>les</strong> <strong>de</strong> nos certitu<strong>de</strong>s<br />
protectrices, se veut l’élément essentiel justifiant la nécessité d’une connaissance <strong>de</strong><br />
soi et <strong>de</strong> ses limites. L’engagement <strong>dans</strong> la relation <strong>de</strong> soin implique le soignant et <strong>les</strong><br />
limites <strong>de</strong> cet engagement doivent être réfléchies, car el<strong>les</strong> ne sont pas données<br />
d’emblée. On pensera aux limites <strong>de</strong> la charge physique, mais il faut aussi considérer<br />
tout autant <strong>les</strong> limites sur le plan du vécu émotionnel, <strong>les</strong> limites entre vie<br />
professionnelle et privée, <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> la relation à autrui…<br />
Et si, pour certains, le soin <strong>de</strong> l’Autre se conjugue avec l’oubli et le don <strong>de</strong> soi,<br />
467
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
comme le veut l’héritage d’un passé fortement ancré <strong>dans</strong> la profession, la plupart<br />
<strong>de</strong>s personnes interrogées défen<strong>de</strong>nt l’idée d’une connaissance <strong>de</strong> soi édifiante qui,<br />
loin d’être le reflet d’un égoïsme abusif, se veut la condition préalable à une<br />
préservation <strong>de</strong> soi nécessaire à une rencontre saine et distancée avec l’humain<br />
vulnérable, et donc à l’exercice d’un soin <strong>de</strong> qualité ancré sur une posture<br />
professionnelle raisonnée. La pensée <strong>de</strong> Lévinas et la responsabilité imposée par le<br />
visage <strong>de</strong> l’Autre n’est donc pas reniée mais transcendée, comme le souligne une<br />
enseignante en s’appuyant sur Ricœur, selon qui pour être avec l’Autre, il faut<br />
d’abord être avec soi. Une autre enseignante établit d’ailleurs, avec amertume, un<br />
lien entre l’absence <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> ses valeurs au début <strong>de</strong> sa carrière et son<br />
incapacité à entrer en empathie avec <strong>les</strong> patients, induisant l’incapacité <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />
accompagner vraiment. Et la même enseignante explique que l’intrusion <strong>de</strong> la raison<br />
<strong>dans</strong> le processus d’engagement ne dévalue pas celui-ci, mais lui ouvre, au contraire,<br />
<strong>de</strong>s chemins mieux balisés et donc un plus grand potentiel.<br />
21.3 Le sens, une question d’équilibre<br />
Si la notion d’engagement est peu considérée sous l’angle <strong>de</strong> l’enseignement, en<br />
revanche l’engagement en tant que posture vis-à-vis <strong>de</strong> la profession est, lui, bien<br />
présent. Ce sont, au total, en moyenne huit personnes sur dix qui se disent fortement<br />
à très fortement engagées.<br />
L’énergie, la persévérance, <strong>de</strong> même que le sentiment d’efficacité et<br />
l’enthousiasme forment un très large consensus (neuf personnes sur dix) pour<br />
caractériser <strong>les</strong> effets produits par l’engagement, qui semble alors possé<strong>de</strong>r <strong>les</strong><br />
caractéristiques propres à un carburant, en termes <strong>de</strong> potentiel énergétique. Mais<br />
l’engagement a aussi <strong>de</strong>s conséquences très spécifiques chez <strong>les</strong> soignants qui y<br />
voient un sens à leur existence, notion proche du sentiment d’utilité également très<br />
souvent cité. Si l’engagement constitue une prise <strong>de</strong> risque, pour pratiquement neuf<br />
personnes sur dix, <strong>dans</strong> la mesure où il implique <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix, induisant par là-<br />
même l’éventualité <strong>de</strong> l’erreur, il n’en <strong>de</strong>meure pas moins source <strong>de</strong> satisfaction et<br />
d’épanouissement personnel pour un grand nombre.<br />
468
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Le déséquilibre entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>, celui <strong>de</strong>s motivations personnel<strong>les</strong> d’un<br />
côté, et celui <strong>de</strong>s contingences <strong>de</strong> la pratique <strong>de</strong> l’autre, a <strong>de</strong>s conséquences en termes<br />
d’insatisfaction et <strong>de</strong> frustration qui peuvent, à terme, mener soit à un<br />
développement pathologique, soit à un abandon <strong>de</strong> la profession. Cela explique sans<br />
doute, en gran<strong>de</strong> partie, la faible durée d’exercice <strong>de</strong>s infirmières, happées par un<br />
système trop nocif. Les éléments sont nombreux, tant sur le plan <strong>de</strong> la sémantique<br />
utilisée que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> narrations mêmes <strong>de</strong>s personnes, qui accusent ouvertement une<br />
tendance croissante à la déshumanisation <strong>de</strong> l’univers hospitalier et tout<br />
particulièrement <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. La nouvelle gestion du système <strong>de</strong> santé et son mo<strong>de</strong><br />
d’organisation calqué toujours davantage sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’entreprise font <strong>de</strong> ce<br />
domaine un reflet du modèle entrepreneurial, substituant la rentabilité à la charité et<br />
la mécanisation à la relation. Le soignant n’est alors plus qu’un exécutant, une sorte<br />
<strong>de</strong> marionnette, dont le seul objectif doit être <strong>de</strong> répondre aux attentes <strong>de</strong> ceux qui en<br />
tiennent <strong>les</strong> fils et dont <strong>les</strong> logiques sont souvent peu compatib<strong>les</strong> avec <strong>les</strong> valeurs<br />
humanistes. Plusieurs <strong>de</strong>s enseignants que nous avons interrogés ont reconnu s’être<br />
« réfugiés » <strong>dans</strong> l’enseignement pour cette raison. L’inadéquation avec leurs propres<br />
valeurs était <strong>de</strong>venue telle que cette opportunité vers l’enseignement, dénoncée<br />
comme une « fuite » par certains, s’est trouvée comme une issue vitale. Une<br />
enseignante explique que c’était pour elle une question <strong>de</strong> survie et elle l’exprime<br />
sans ambages : « c’est vrai que là (en partant), j’ai peut -être joué ma peau<br />
(T4) ». Cette expression, qui peut paraître d’emblée quelque peu exagérée, trouve<br />
malheureusement écho <strong>dans</strong> <strong>de</strong> très nombreux témoignages d’enseignants et<br />
professionnels ayant effleuré ou dépassé ce seuil à partir duquel l’engagement est<br />
<strong>de</strong>venu source <strong>de</strong> tensions internes, sur une cor<strong>de</strong> vitale menaçant peu à peu <strong>de</strong> se<br />
rompre. Si <strong>de</strong>s ressources propres ne sont pas développées, la mise en sourdine <strong>de</strong>s<br />
motivations personnel<strong>les</strong> génère un malaise grandissant et la distance protectrice<br />
n’est plus suffisante pour endiguer la menace <strong>de</strong> l’effondrement <strong>de</strong>s ressources<br />
internes. Une enseignante explique être <strong>de</strong>venue la proie du burnout pour avoir<br />
étouffé en elle, sur une longue pério<strong>de</strong>, ses motivations profon<strong>de</strong>s et accepté <strong>de</strong> se<br />
soumettre à <strong>de</strong>s injonctions auxquel<strong>les</strong> elle ne pouvait adhérer. On voit ce danger<br />
poindre à l’horizon chez certains étudiants interrogés dont on perçoit déjà<br />
469
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
l’isolement social lié à la surcharge <strong>de</strong> travail et <strong>les</strong> prémisses d’un mal-être profond.<br />
À ces phénomènes extrêmes <strong>de</strong> stress s’ajoutent tout l’éventail <strong>de</strong>s troub<strong>les</strong><br />
psychosomatiques plus diffus et plus délicats à attribuer directement au stress. Ils<br />
nous sont pourtant fréquemment mentionnés et, pour ceux qui en sont victimes, le<br />
lien <strong>de</strong> causalité à la tension vécue sur le plan professionnel ne fait aucun doute. Ce<br />
sont pratiquement tous <strong>les</strong> systèmes physiologiques qui nous ont été cités comme<br />
subissant <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> ces tensions : troub<strong>les</strong> musculo-squelettiques,<br />
céphalées, irritabilité et instabilité émotionnelle, angoisses, problèmes gastro-<br />
intestinaux, troub<strong>les</strong> du sommeil… Une étudiante résume ces faits en parlant <strong>de</strong>s<br />
infirmières qui « se tuent à la tâche (E18) ». Si le travail <strong>de</strong>s soignants n’a jamais<br />
eu la prétention d’être une sinecure ; confrontation à la déchéance, à la maladie et à<br />
la souffrance oblige, il connaît <strong>de</strong>puis quelques années une dégradation inquiétante.<br />
À la pénibilité physique et psychique déjà importante au quotidien, viennent<br />
s’ajouter <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> contraintes administratives, une augmentation <strong>de</strong>s<br />
responsabilités, <strong>de</strong>s injonctions à la flexibilité, à la rapidité et, le tout, en offrant une<br />
qualité toujours supérieure avec <strong>de</strong>s dotations toujours plus restreintes. Dans<br />
certaines institutions, <strong>les</strong> primes au mérite ont été introduites avec <strong>de</strong>s critères<br />
d’obtention qui ne sont d’ailleurs pas toujours très clairs. À travers cela, c’est le<br />
collectif qui est visé. Si l’idéologie consensuelle du « management participatif » est<br />
plébiscitée, il n’en est pas moins reproché aux professionnels <strong>de</strong> manquer à leur tâche<br />
personnelle et d’usurper un temps précieux pour <strong>de</strong>s échanges secondaires ; le<br />
collectif est invité à se concentrer sur l’action et à l’exercer avec un maximum <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>xtérité et <strong>de</strong> rapidité. Certains semblent soumettre leur engagement à ces<br />
injonctions, peut-être <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong> faire taire <strong>les</strong> dissonances cognitives auxquel<strong>les</strong><br />
ils doivent faire face (Nuttin, 2000). Ce faisant, c’est toute la richesse <strong>de</strong> la relation,<br />
tant entre collègues qu’avec le patient, qui est minée, voire parfois littéralement<br />
engloutie. Certains professionnels expriment, avec désarroi et découragement, la<br />
solitu<strong>de</strong> à laquelle ils font face toujours plus souvent. Par l’intensité <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong><br />
travail, ainsi que par la réduction <strong>de</strong> l’espace accordé au collectif, <strong>les</strong> gestionnaires<br />
endiguent <strong>les</strong> velléités <strong>de</strong>s soignants <strong>de</strong> s’unir pour s’organiser <strong>dans</strong> leurs<br />
470
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
revendications. Le passage du rapport oral au rapport informatisé marque bien la<br />
volonté <strong>de</strong> séparer <strong>les</strong> individus, en leur laissant croire que cette communication<br />
virtuelle va pouvoir remplacer une communication réelle.<br />
Bien souvent, lorsque l’épuisement est trop intense, <strong>les</strong> professionnels<br />
choisissent alors <strong>de</strong> quitter le bateau. C’est une conséquence qui amène aussi son lot<br />
<strong>de</strong> problèmes <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s services où le roulement <strong>de</strong> personnel est parfois considérable.<br />
Il implique l’introduction <strong>de</strong> nouveaux collaborateurs à <strong>de</strong>s rythmes très soutenus,<br />
occasionnant par là-même une surcharge <strong>de</strong> travail. Le personnel <strong>de</strong> ces unités,<br />
souvent très jeune et peu expérimenté, vit alors une gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> et parfois une<br />
véritable angoisse à l’idée <strong>de</strong> l’erreur possible face à ce manque <strong>de</strong> soutien.<br />
Même si la hiérarchie directe s’avère compréhensive, elle ne peut apporter<br />
qu’un soutien très limité, <strong>dans</strong> la mesure où elle subit, elle aussi, <strong>de</strong>s pressions<br />
importantes <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ses supérieurs. De ce fait, elle est parfois perçue comme<br />
instrumentée par sa direction, alors qu’elle tente <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r l’équilibre <strong>dans</strong> sa<br />
position scabreuse, entre <strong>de</strong>s supérieurs aux exigences importantes et une équipe<br />
soumise à une souffrance lancinante. Du plus important au plus insignifiant, chacun,<br />
<strong>dans</strong> l’institution, est invité à donner le meilleur <strong>de</strong> lui-même pour améliorer la<br />
productivité. Mais ce processus se développe en faisant fi <strong>de</strong> la personne humaine<br />
qui est à la fois le donneur et le receveur du soin. Et divers témoignages choquants<br />
démontrent l’importance majeure accordée à la rentabilité au détriment <strong>de</strong> l’humain.<br />
Les personnes que nous avons interrogées se déclarent bien engagées et le plus<br />
souvent engagées avec leur motivation, tout en reconnaissant que le système permet<br />
<strong>de</strong> moins en moins d’agir selon leurs valeurs. Certains sont conscients d’être<br />
directement menacés par la perte <strong>de</strong> sens évoquée <strong>dans</strong> notre schéma. En revanche,<br />
chaque personne a également pu citer une ou plusieurs collègues moins engagées,<br />
cherchant parfois à faire le minimum. Il s’agissait <strong>de</strong> personnes stigmatisées pour<br />
leur indifférence et leur manque d’empathie à l’égard <strong>de</strong>s patients.<br />
Il est intéressant <strong>de</strong> noter que <strong>les</strong> avis concernant la question sur l’opposition<br />
entre indifférence et engagement sont partagés, certaines personnes se refusant à voir<br />
471
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>dans</strong> l’indifférence une notion contraire à l’engagement, mais bien davantage un<br />
autre <strong>de</strong>gré d’engagement. Cela peut nous inviter à imaginer une posture plus ou<br />
moins conscientisée d’indifférence, comme signe non pas d’un désintérêt, mais plutôt<br />
comme attitu<strong>de</strong> d’auto-protection à l’égard d’un univers <strong>de</strong> travail difficile, marqué<br />
<strong>de</strong> plus en plus par la peur <strong>de</strong> l’erreur. Il s’agirait alors d’un refuge <strong>de</strong>rrière un<br />
masque pour se défendre d’un engagement qui tend à <strong>de</strong>venir nocif, voire pathogène.<br />
Et c’est ce qu’affirment plusieurs enseignants, en expliquant l’indifférence comme<br />
une forme d’emmurement <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> défense inconscients, mais<br />
salvateurs pour le soignant. Ces mécanismes peuvent toutefois s’avérer<br />
dommageab<strong>les</strong> pour le patient et plusieurs professionnels nous ont rendue attentive<br />
aux dérives très proches <strong>de</strong> la maltraitance, dès lors que la distanciation opérée ne<br />
permet plus <strong>de</strong> voir <strong>dans</strong> l’autrui une personne humaine à respecter. Ce phénomène<br />
correspond parfaitement aux phases <strong>de</strong> cynisme et <strong>de</strong> dépersonnalisation mises en<br />
évi<strong>de</strong>nce par Freu<strong>de</strong>nberger, puis développées par Maslach lors <strong>de</strong> ses étu<strong>de</strong>s sur le<br />
burnout.<br />
Outre l’enjeu personnel d’un équilibre entre <strong>de</strong>voir et convictions, en termes <strong>de</strong><br />
satisfaction ou d’épuisement, l’enjeu se révèle donc aussi crucial au niveau du soin.<br />
D’ailleurs certains étudiants le lient très directement au fait <strong>de</strong> pouvoir être<br />
réellement professionnel et le rester sur la durée.<br />
21.4 De la posture professionnelle à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la<br />
profession<br />
Au travers du professionnel, c’est l’individu qui va être touché par ce qu’il vit,<br />
<strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité même. Celui-ci n’est pas, en effet, l’objet d’une dichotomie entre<br />
une partie professionnelle et une partie personnelle. C’est bien l’entier <strong>de</strong> la personne<br />
qui est impliquée et « l’épanouissement professionnel… va entraîner un<br />
épanouissement… personnel (P6) ».<br />
La personne peut d’autant mieux s’épanouir qu’elle se sent reconnue. En faisant<br />
valoir la profession, c’est aussi à sa reconnaissance que l’on œuvre, ainsi qu’à la<br />
472
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
reconnaissance <strong>de</strong> ceux qui la mettent en pratique. Là où le management laisse <strong>de</strong><br />
moins en moins <strong>de</strong> place à la reconnaissance, il est d’autant plus important que <strong>les</strong><br />
professionnels puissent en bénéficier autrement. La satisfaction <strong>de</strong>s patients et la<br />
conscience <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> leurs compétences au service <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s constituent<br />
une forme <strong>de</strong> reconnaissance certaine, mais qui ne sauraient être pleinement<br />
suffisantes. Sentiment d’utilité et désir <strong>de</strong> reconnaissance sont intimement liés et, si la<br />
reconnaissance vient à manquer, l’impact sur l’estime <strong>de</strong> soi en subit <strong>les</strong><br />
conséquences. Là où la reconnaissance est présente, nous avons pu noter que<br />
l’engagement est aussi largement favorisé.<br />
De même l’absence <strong>de</strong> sens a un impact direct sur l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s soignants, à en<br />
croire cette professionnelle qui nous explique, en parlant <strong>de</strong>s infirmières, qu’el<strong>les</strong> ne<br />
« peuvent plus donner du sens à ce qu’il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire… » et qu’il<br />
y a, <strong>de</strong> ce fait, « une perte <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité professionnelle à laquelle el<strong>les</strong><br />
croyaient et qu’el<strong>les</strong> souhaitaient… (P2) ». L’exercice d’un jugement clinique et<br />
la mise en œuvre <strong>de</strong>s savoirs scientifiques sont <strong>de</strong>s moyens privilégiés pour <strong>les</strong><br />
soignants <strong>de</strong> démontrer leurs compétences et <strong>de</strong> se positionner. Cette démarche<br />
appartient à chacun.<br />
Ce positionnement raisonné permet non seulement à la profession d’être mieux<br />
reconnue, mais il permet également au soignant <strong>de</strong> gagner en satisfaction, pouvant<br />
ainsi développer son rôle propre qui, comme cela nous a été exprimé plusieurs fois,<br />
constitue l’élément réellement source <strong>de</strong> motivation et d’engagement <strong>dans</strong> le travail<br />
quotidien. Ce rôle, qualifié <strong>de</strong> rôle propre ou autonome, constitue une source<br />
importante <strong>de</strong> valorisation pour <strong>les</strong> soignants. Cette posture professionnelle, qui<br />
invite <strong>les</strong> soignants à faire reconnaître leur profession, en démontrant toute sa<br />
complexité et son ancrage nécessairement théorique, constitue un tournant historique<br />
<strong>dans</strong> l’évolution d’une profession encore très marquée du sceau <strong>de</strong> la soumission au<br />
corps médical et peu encline à s’affirmer ouvertement. Pourtant, l’évolution du<br />
système <strong>de</strong> santé et cet écart grandissant, entre le soin considéré comme étant <strong>de</strong><br />
qualité et celui qui peut être fourni réellement, constituent <strong>de</strong>s raisons suffisantes<br />
pour obliger à une prise <strong>de</strong> position publique. C’est donc ici toute la dimension<br />
i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> la profession qui est en ligne <strong>de</strong> mire.<br />
473
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
21.5 Développer l’engagement durant la formation<br />
Les avis sont unanimes quant à l’intérêt <strong>de</strong> développer un enseignement sur le<br />
concept d’engagement. Même si la notion est abstraite, l’abor<strong>de</strong>r sous la forme d’un<br />
cheminement personnel accompagné paraît très pertinent pour ai<strong>de</strong>r l’étudiante à se<br />
construire <strong>dans</strong> sa posture professionnelle.<br />
Au travers <strong>de</strong> la référence faite aux valeurs, mais aussi <strong>de</strong> la nécessité d’une<br />
verbalisation et d’un regard sur son propre fonctionnement, nous serions tentée <strong>de</strong><br />
retenir surtout l’intérêt d’une réflexion sur soi qui permette <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix<br />
raisonnés, selon le principe <strong>de</strong> la Zweckrationalität <strong>de</strong> Weber (Lallement, 1993), en<br />
favorisant un engagement réfléchi avec une finalité instrumentale d’efficacité.<br />
Comme le signifie une enseignante, « on ne s’engage pas moins quand on<br />
introduit une dose <strong>de</strong> raison <strong>dans</strong> ses choix, on s’engage tout autant, on va<br />
simplement être plus clairvoyant par rapport au chemin qui nous attend et<br />
aux obstac<strong>les</strong> qui sont sur ce chemin… on est plus engagé quand on est<br />
conscient <strong>de</strong> ce pour quoi on fait <strong>les</strong> choses (T14) ». Nous ne saurions cependant<br />
mettre <strong>de</strong> côté la dimension <strong>de</strong> cohérence et d’engagement par rapport aux valeurs,<br />
incarnée <strong>dans</strong> la Wertrationalität. Les résultats l’ont largement montré, <strong>les</strong> valeurs<br />
jouent un rôle extrêmement important <strong>dans</strong> l’exercice professionnel <strong>de</strong>s soignants et<br />
font la part belle à cette rationalité axiologique. La mise en réflexion <strong>de</strong>s valeurs,<br />
durant la formation, doit se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> n’obéir qu’à <strong>de</strong>s critères d’instrumentalité. Elle<br />
doit pouvoir ouvrir la porte à la connaissance <strong>de</strong> soi au sens où Platon la conçoit.<br />
Ce n’est sans doute pas par hasard que la réflexivité ou la pratique réflexive<br />
reviennent comme <strong>de</strong>s leitmotivs parmi <strong>les</strong> moyens pédagogiques qu’étudiantes,<br />
mais aussi praticiens et enseignants souhaitent voir se développer. Si elle ne se<br />
contente pas d’une focalisation sur l’agir en situation et la recherche <strong>de</strong> réponses<br />
toutes faites ou <strong>de</strong> ressources purement fonctionnel<strong>les</strong>, mais au contraire mobilise<br />
une introspection et une connaissance <strong>de</strong> soi, elle <strong>de</strong>vient alors particulièrement<br />
bénéfique pour le développement <strong>de</strong> l’individu. La pratique réflexive peut entre<br />
autres permettre l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> séquel<strong>les</strong> d’une souffrance antérieure fragilisante<br />
et la transformation <strong>de</strong> celle-ci en une réelle force intérieure. En effet, si nous nous<br />
474
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
rappelons qu’un certain nombre <strong>de</strong> soignants ont choisi cette profession en lien avec<br />
une expérience <strong>de</strong> vie difficile <strong>dans</strong> le passé et la confrontation à la maladie ou à la<br />
mort <strong>de</strong> proches, on peut aisément comprendre que cela puisse donner lieu ensuite à<br />
<strong>de</strong>s phénomènes psychologiques <strong>de</strong> projection, <strong>de</strong> transfert. À plusieurs reprises,<br />
nous avons pu noter ce besoin <strong>de</strong>s soignants <strong>de</strong> comprendre et <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s<br />
ressources pour mieux faire face à l’avenir, comme l’exprime cette enseignante<br />
touchée par la mort <strong>de</strong> sa grand-mère et marquée d’une gran<strong>de</strong> culpabilité d’avoir<br />
été impuissante à l’accompagner <strong>dans</strong> cette <strong>de</strong>rnière phase <strong>de</strong> vie : « c’est comme si<br />
on avait besoin <strong>de</strong> comprendre pourquoi on a pas su faire, peut -être trouver<br />
<strong>de</strong>s ressources pour pouvoir le faire (T14) ». En favorisant une prise <strong>de</strong> distance<br />
et en questionnant la personne, la pratique réflexive est aussi l’endroit où peut se<br />
construire le sens, un sens ou une direction qui n’est parfois pas aussi évi<strong>de</strong>nt à<br />
trouver d’emblée. On se rend compte, à partir <strong>de</strong>s affirmations posées, que <strong>les</strong> jeunes<br />
considèrent cet aspect du sens comme un primat essentiel. Il est réellement le moteur<br />
<strong>de</strong> leurs convictions. En partant <strong>de</strong> ce sens, il est alors possible <strong>de</strong> contribuer au<br />
développement <strong>de</strong> la motivation nécessaire à l’engagement. S’engager <strong>dans</strong> la voie<br />
<strong>de</strong> cette réflexion mûrie, c’est aussi marquer son opposition à la tendance actuelle qui<br />
privilégie l’action au détriment <strong>de</strong> la réflexion. Elle permet également <strong>de</strong> répondre à<br />
un besoin évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> formation par la transmission <strong>de</strong> savoirs théoriques, mais<br />
également <strong>de</strong> savoirs expérientiels transmis par <strong>les</strong> pairs. Enfin, par son caractère<br />
incarné à la pratique et à <strong>de</strong>s situations concrètes, la pratique réflexive est un moyen<br />
privilégié <strong>de</strong> pouvoir agir sur ces contextes qui ren<strong>de</strong>nt la pratique si difficile.<br />
L’appréhension <strong>de</strong> ces différents contextes permet <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s stratégies pour<br />
<strong>les</strong> contourner ou, si ce n’est pas possible, en subir le moins <strong>de</strong> conséquences<br />
possib<strong>les</strong>. La réflexion ne doit cependant pas se borner à une simple analyse <strong>de</strong>s<br />
pratiques, mais interroger plus largement la dimension axiologique et le sens <strong>de</strong><br />
l’expérience située <strong>dans</strong> son contexte. Ainsi <strong>les</strong> actions mises en place, qu’el<strong>les</strong> soient<br />
entreprises sous la forme <strong>de</strong> projets, <strong>de</strong> propositions ou autres, peuvent ainsi, en<br />
étant ancrées sur <strong>de</strong>s connaissances avérées, permettre <strong>de</strong>s choix éclairés qui donnent<br />
sens à l’engagement, ainsi qu’à l’argumenter et le défendre.<br />
475
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Certes on ne peut concevoir la réflexion sur son agir et sur soi comme une<br />
démarche à circonscrire <strong>de</strong> manière linéaire et exhaustive. Il s’agit bien davantage<br />
d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à amorcer un processus qui va se poursuivre durant toute leur<br />
carrière. Mais <strong>les</strong> graines <strong>de</strong> conscientisation semées pourront alors germer au fur et<br />
à mesure <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> l’individu. Le défi est <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r l’étudiante pour qu’elle<br />
puisse elle-même trouver la bonne clé qui lui ouvrira <strong>les</strong> portes d’une connaissance<br />
<strong>de</strong> soi au service <strong>de</strong>s autres, <strong>dans</strong> un contexte qui fasse sens pour elle.<br />
Cette démarche peut s’inscrire <strong>dans</strong> une perspective théorique et se doter <strong>de</strong>s<br />
outils <strong>de</strong> la science pour fon<strong>de</strong>r son assise réellement professionnelle. Le jugement<br />
clinique en constitue un fon<strong>de</strong>ment par excellence. Et, comme le souligne un<br />
enseignant, ce genre d’accompagnement relève d’un « enseignement <strong>de</strong> haut<br />
niveau, nécessitant <strong>de</strong>s connaissances très vastes… (T13) » <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s<br />
enseignants qui œuvrent <strong>dans</strong> ce sens auprès <strong>de</strong>s apprenantes.<br />
La pratique réflexive, en permettant d’exposer, en tout confiance, <strong>de</strong>s situations<br />
ayant généré <strong>de</strong>s questionnements ou un vécu difficile, constitue un moyen<br />
privilégié pour ai<strong>de</strong>r l’étudiante à la découverte d’elle-même, comme l’explique cette<br />
étudiante : « grâce à ces séminaires, j’ai compris où pouvaient être mes<br />
faib<strong>les</strong>ses et où pouvaient être mes forces (E19) ». L’individu est aussi interpellé<br />
<strong>dans</strong> ses valeurs personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong>. Par ailleurs l’analyse permet d’aller<br />
au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette simple réflexion personnelle et <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>s pairs,<br />
ainsi que <strong>de</strong> la présence du tuteur, pour développer <strong>de</strong>s ressources et <strong>de</strong>s stratégies<br />
qui lui permettront, lorsqu’une situation similaire se produira ou même <strong>dans</strong><br />
d’autres situations, d’être beaucoup mieux préparé pour pouvoir <strong>les</strong> gérer. Pour une<br />
enseignante, il est clair que la formation a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> donner ainsi <strong>de</strong>s ressources et<br />
<strong>de</strong>s outils aux étudiantes, pour qu’el<strong>les</strong> soient à même d’abor<strong>de</strong>r plus sereinement<br />
leur profession et <strong>les</strong> situations diffici<strong>les</strong> que celle-ci leur réserve. La pratique<br />
réflexive permet <strong>de</strong> fédérer, autour d’un objectif précis, <strong>de</strong>s ressources (verbalisation,<br />
expression <strong>de</strong> ses limites, auto-évaluations…) dont il est parfois question <strong>dans</strong><br />
certains cours, mais <strong>de</strong> manière relativement aléatoire et peu différenciée, à en croire<br />
certains enseignants et étudiantes.<br />
476
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Des moyens pédagogiques doivent être pensés pour rendre accessible cet<br />
accompagnement en mo<strong>de</strong> individuel ou par petits groupes, et ce, malgré le nombre<br />
important d’étudiantes et <strong>les</strong> promotions toujours plus <strong>de</strong>nses. L’analyse réflexive<br />
peut-être aussi l’occasion pour un enseignant <strong>de</strong> témoigner <strong>de</strong> son propre<br />
engagement, en entrant <strong>dans</strong> une relation <strong>de</strong> partenariat avec <strong>les</strong> personnes qu’il a<br />
pour mission d’accompagner durant leur formation. Il y a lieu d’institutionnaliser<br />
cette démarche et <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r la reconnaissance méritée.<br />
Les professionnels du soin se trouvent à un moment charnière <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong><br />
leur profession. Ils sont <strong>de</strong> plus en plus sollicités et leur champ <strong>de</strong> compétences<br />
s’accroît régulièrement. La pénurie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins entraîne une modification <strong>de</strong><br />
certaines activités infirmières, qui se voient à présent beaucoup plus actives <strong>dans</strong><br />
l’éducation au patient, <strong>dans</strong> la pose <strong>de</strong> certains diagnostics, la réalisation <strong>de</strong> certains<br />
examens ou encore la mise en œuvre <strong>de</strong> politiques <strong>de</strong> prévention.<br />
On comprend dès lors qu’il soit essentiel, pour <strong>les</strong> infirmières, <strong>de</strong> bien définir<br />
<strong>les</strong> contours <strong>de</strong> leur profession et d’affirmer leurs compétences par un<br />
positionnement clair et argumenté. Face aux multiplications <strong>de</strong>s responsabilités et<br />
<strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s diverses, l’infirmière doit pouvoir justifier ses priorités, tant au niveau<br />
du patient qu’au niveau <strong>de</strong> son activité propre. Elle va <strong>de</strong>voir surmonter un obstacle<br />
fréquent, à savoir oser verbaliser ses limites. En ce sens, la formation peut être une<br />
ai<strong>de</strong> non négligeable pour développer une argumentation, exprimer son<br />
positionnement à l’oral comme à l’écrit, et trouver sa légitimité <strong>dans</strong> ce<br />
positionnement. Mais elle est aussi une ai<strong>de</strong> à penser le positionnement collectif.<br />
L’infirmière ne peut porter l’entière responsabilité d’une évolution <strong>de</strong> la profession<br />
qu’elle subit. L’action collective doit se concrétiser <strong>dans</strong> l’institution pour préciser le<br />
rôle <strong>de</strong> l’infirmière et réduire le décalage entre rôle perçu, rôle hérité et rôle actuel.<br />
L’enjeu est finalement l’i<strong>de</strong>ntité du professionnel, <strong>dans</strong> la mesure où celui-ci,<br />
mieux équipé pour faire face aux difficultés, pourra aussi mieux se développer <strong>dans</strong><br />
sa profession et ainsi, par là-même, contribuer plus activement au développement <strong>de</strong><br />
la profession elle-même. En ce sens la réflexivité est un atout majeur, <strong>dans</strong> la mesure<br />
où elle permet aux infirmières <strong>de</strong> développer, en utilisant <strong>les</strong> synergies possib<strong>les</strong>,<br />
477
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
leur expertise au moyen d’un jugement clinique clairement établi sur <strong>de</strong>s concepts<br />
étayés et en référence à <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> concrètes. Par là-même, elle est un<br />
moyen pour la profession <strong>de</strong> se faire reconnaître <strong>dans</strong> sa dimension réellement<br />
scientifique.<br />
Les professionnels sont <strong>les</strong> premiers à reconnaître <strong>les</strong> vertus évi<strong>de</strong>ntes <strong>de</strong> la<br />
pratique réflexive, puisqu’ils sont pratiquement unanimes sur l’intérêt à voir <strong>de</strong>s<br />
analyses <strong>de</strong> pratiques régulières, menées en partenariat entre praticiens sur <strong>les</strong> lieux<br />
<strong>de</strong> stage, enseignants et étudiants. Que ce soit <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong>s contrats tripartites<br />
ou d’autres moments clés, ces temps <strong>de</strong> co-construction du savoir infirmier ne<br />
pourraient être que bénéfiques, tant pour <strong>les</strong> individus que pour la construction d’un<br />
savoir infirmier et d’une i<strong>de</strong>ntité commune. Ce moyen pédagogique présente <strong>de</strong><br />
multip<strong>les</strong> atouts. Il convient néanmoins <strong>de</strong> souligner l’importance <strong>de</strong> ne pas le penser<br />
<strong>dans</strong> une visée d’amélioration uniquement, comme conformité d’un professionnel<br />
toujours plus adapté au système. La question fondamentale du sens, du rapport à soi,<br />
à la maladie et au patient, nécessite une réflexion en profon<strong>de</strong>ur sans visée<br />
d’application. Inscrire cette réflexion <strong>dans</strong> le collectif permet ensuite <strong>de</strong> mener <strong>de</strong>s<br />
actions à un niveau institutionnel pour faire valoir le rôle et l’i<strong>de</strong>ntité infirmière.<br />
Alors que la pratique offre <strong>de</strong> moins en moins d’espace pour promouvoir une<br />
communauté <strong>de</strong> pensée, <strong>de</strong>s objectifs communs et une vision partagée <strong>de</strong> la<br />
profession, c’est aux lieux <strong>de</strong> formation qu’appartient cet immense défi. Mais, pour<br />
promouvoir l’engagement professionnel durant la formation, il faut d’abord en<br />
démontrer le sens. Or, nous l’avons vu, le sens se trouve <strong>dans</strong> la mise en œuvre <strong>de</strong><br />
ses valeurs propres. La formation constitue un moment privilégié où l’étudiante peut<br />
prendre le temps <strong>de</strong> réfléchir à ses valeurs, à ses limites et au professionnel qu’il<br />
souhaite <strong>de</strong>venir ou non. Cependant cette démarche doit être guidée et il faut donc<br />
pouvoir mettre en œuvre <strong>les</strong> modalités pédagogiques qui la rendront possible. Très<br />
nombreux sont <strong>les</strong> étudiants à souhaiter un accompagnement beaucoup plus<br />
individualisé qu’il ne l’est actuellement, avec un enseignant qui sache <strong>les</strong> entendre,<br />
<strong>les</strong> gui<strong>de</strong>r, <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à surmonter le choc <strong>de</strong> la réalité professionnelle. Idéalement, ce<br />
serait un accompagnement qui encadre mais ne juge ou n’évalue pas, réalisé selon <strong>les</strong><br />
478
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
principes éthiques et permettant <strong>de</strong> discuter <strong>les</strong> valeurs et limites <strong>de</strong> l’étudiante.<br />
Dans différents lieux <strong>de</strong> formation, <strong>les</strong> ressentis <strong>de</strong>s étudiants se font l’écho <strong>de</strong>s<br />
ressentis <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Le sentiment d’être un pion<br />
parmi d’autres, happé par un système impersonnel et froid où n’ont <strong>de</strong> place que<br />
ceux qui réussissent et rentrent parfaitement <strong>dans</strong> le moule.<br />
Par ailleurs, <strong>les</strong> cours sur <strong>les</strong> concepts qui sont liés, <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin à<br />
l’engagement, comme l’épuisement professionnel, la motivation, la responsabilité,<br />
ainsi que <strong>les</strong> valeurs, par exemple, <strong>de</strong>vraient se soustraire à <strong>de</strong>s formes<br />
d’enseignement théoriques pour privilégier la rencontre dynamique avec <strong>de</strong>s<br />
situations réel<strong>les</strong>. Les sketches, <strong>les</strong> rencontres avec <strong>de</strong>s personnes partageant leurs<br />
expériences <strong>de</strong> vie, <strong>les</strong> mises en situation sont citées par <strong>les</strong> étudiants comme étant <strong>les</strong><br />
moyens pédagogiques <strong>de</strong> prédilection.<br />
Le bénéfice <strong>de</strong> la formation est tel que plusieurs étudiants souhaiteraient<br />
pouvoir prolonger certains moments privilégiés au départ <strong>de</strong> leur pério<strong>de</strong> d’insertion<br />
professionnelle, par exemple, sous forme <strong>de</strong> groupe d’analyse réflexive. La<br />
possibilité <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> la distance, <strong>de</strong> partager leur vécu et <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong>s<br />
expériences <strong>de</strong> leurs pairs constituerait pour eux un bénéfice certain.<br />
21.6 Comparaison <strong>de</strong>s résultats<br />
De gran<strong>de</strong>s similitu<strong>de</strong>s sont à souligner entre <strong>les</strong> trois formes <strong>de</strong> données<br />
récoltées. L’altruisme, le souhait <strong>de</strong> venir en ai<strong>de</strong>, le sentiment d’utilité et la<br />
satisfaction qu’il génère, la motivation, l’importance du sens… autant d’éléments<br />
intimement liés à la dynamique <strong>de</strong> l’engagement et que l’on retrouve indifféremment<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois variantes.<br />
Il est intéressant <strong>de</strong> noter que si l’engagement est reconnu comme nécessitant<br />
beaucoup d’énergie, il n’est pas pour autant synonyme d’une prise <strong>de</strong> risque. Ces<br />
données corroborent <strong>les</strong> entretiens. Les interviewés reconnaissent en effet s’investir<br />
beaucoup, certains mêmes « se donnant à fond ». Néanmoins ils considèrent que leur<br />
engagement <strong>de</strong>vient réellement préjudiciable seulement au moment où il est mal<br />
investi ou ne correspond pas à leurs valeurs fondamenta<strong>les</strong>.<br />
479
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
On retrouve ici très largement le lien, présent <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> formes <strong>de</strong><br />
données, entre l’engagement et <strong>les</strong> valeurs. Dans l’analyse quantitative, la figure 11<br />
(Engagement et éthique) est sans équivoque sur ce point.<br />
Les valeurs orientées vers le souci <strong>de</strong> l’Autre, la relation humaine et la sollicitu<strong>de</strong><br />
sont très présentes <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> données, tandis que <strong>les</strong> valeurs plus matérialistes<br />
en sont quasi absentes. Face à la question <strong>de</strong> l’intérêt salarial, <strong>de</strong> prime abord plus<br />
difficile à abor<strong>de</strong>r en entretien, <strong>les</strong> répondants auraient pu profiter <strong>de</strong> l’anonymat du<br />
questionnaire pour faire valoir cet aspect. Il semble néanmoins que cet intérêt ne<br />
fasse pas partie <strong>de</strong>s motivations à l’engagement. L’une <strong>de</strong>s personnes explique<br />
d’ailleurs, durant l’entretien, que <strong>les</strong> exigences matériel<strong>les</strong> constituent même un frein<br />
à l’engagement, à nouveau parce que ces exigences prennent alors le pas sur <strong>les</strong><br />
valeurs initia<strong>les</strong>.<br />
On notera une différence significative entre le peu d’importance accordée à<br />
la notion <strong>de</strong> reconnaissance sociale comme facteur d’engagement <strong>dans</strong> le<br />
questionnaire, alors que cette même notion est mise en avant à maintes reprises<br />
durant <strong>les</strong> entretiens. Le sentiment d’utilité et la reconnaissance qui en découle sont<br />
gage d’une satisfaction qui génère une motivation importante pour la mise en œuvre<br />
<strong>de</strong> l’engagement. Nous posons l’hypothèse d’une difficulté à appréhen<strong>de</strong>r la<br />
catégorie « reconnaissance » <strong>dans</strong> le caractère anonyme du questionnaire. L’intérêt<br />
<strong>de</strong> l’entretien qui favorise l’explicitation prend ici tout son sens. Les questions <strong>de</strong><br />
relance favorisent l’obtention <strong>de</strong> réponses beaucoup plus complètes et précises.<br />
Les émotions sont aussi naturellement davantage verbalisées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> entretiens qui<br />
offrent un espace privilégié à leur expression. Par ailleurs, <strong>les</strong> questions <strong>de</strong><br />
dynamique <strong>de</strong> groupe sont absentes du questionnaire, ce qui constitue un manque<br />
certain au vu <strong>de</strong> l’importance accordée, à l’oral, à cette question. Il semble que cet<br />
aspect soit pour beaucoup un moteur essentiel à l’engagement.<br />
De façon générale, on note très peu <strong>de</strong> différence entre <strong>les</strong> populations. Des<br />
traits caractéristiques peuvent être retenus et qui sont aussi caractéristiques <strong>de</strong>s<br />
analyses linéaires réalisées : <strong>les</strong> étudiants sont avant tout soucieux <strong>de</strong> la prise en soin<br />
et du bien-être du patient. Néanmoins ils sont nombreux à se faire du souci pour leur<br />
480
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
avenir, et beaucoup perçoivent déjà <strong>les</strong> paradoxes et difficultés auxquels la pratique<br />
va immanquablement <strong>les</strong> confronter. Les praticiens, quant à eux, sont très influencés<br />
par le contexte d’exercice <strong>dans</strong> leur rapport à l’engagement ainsi que <strong>dans</strong> leurs<br />
réflexions sur cette notion. Les difficultés rencontrées au quotidien teintent leur<br />
discours même si, pour le plus grand nombre, l’engagement reste incontestable. On<br />
est frappé par l’ampleur <strong>de</strong>s émotions qui transparaissent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> entretiens, allant<br />
<strong>de</strong>s larmes au rire, en passant par la révolte, la colère ou le découragement. Cette<br />
souffrance est clairement perceptible et laisse entrevoir la douleur du déchirement à<br />
<strong>de</strong>voir, comme plusieurs l’expliquent, renier l’humain <strong>dans</strong> la prise en soin.<br />
Enfin <strong>les</strong> enseignants ont un discours plus structuré, faisant preuve d’une<br />
gran<strong>de</strong> décentration, convoquant <strong>de</strong>s concepts divers et élaborant <strong>de</strong>s mises en lien<br />
complexes. Plusieurs ont reconnu avoir choisi cette voie d’enseignement en raison<br />
d’une inadéquation majeure <strong>de</strong> leurs valeurs avec l’exercice actuel <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Il est<br />
intéressant <strong>de</strong> voir que l’on retrouve également ce souci <strong>de</strong> l’Autre auprès du corps<br />
enseignant, mais <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> transposition du patient à l’étudiante.<br />
Enfin nous conclurons avec le fait qu’il ne nous a pas été possible <strong>de</strong> mettre<br />
en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s différences fondamenta<strong>les</strong> selon que <strong>les</strong> personnes s’étaient<br />
d’emblée portées volontaires pour cette recherche, ou qu’el<strong>les</strong> avaient été plus<br />
directement interpellées. À l’exception d’une étudiante qui n’a pas été très loquace<br />
durant l’entretien et n’a que partiellement répondu aux questions, l’ensemble <strong>de</strong>s<br />
autres personnes interrogées ont fait preuve d’un enthousiasme certain à abor<strong>de</strong>r ce<br />
sujet.<br />
21.7 Critique du modèle : pertinence et améliorations<br />
Au terme <strong>de</strong> l’analyse, nous pouvons affirmer que l’engagement relève d’un<br />
intérêt tout particulier pour la profession soignante. Étudiantes tout comme<br />
enseignants sont unanimes à penser que le processus d’engagement, avec tous <strong>les</strong><br />
paramètres qu’il convoque, doit faire l’objet d’une attention et d’un accompagnement<br />
particuliers, afin <strong>de</strong> favoriser une construction professionnelle soli<strong>de</strong> et pérenne.<br />
Pour reprendre <strong>de</strong> manière très résumée notre modèle, nous dirons donc que la<br />
réflexion sur soi, son origine culturelle, sociale, éducative, mais aussi la mise en<br />
481
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
réflexion <strong>de</strong> ses expériences <strong>de</strong> vie, constituent <strong>de</strong>s préalab<strong>les</strong> indispensab<strong>les</strong> pour<br />
une connaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses valeurs. Il s’agit en effet <strong>de</strong> montrer à l’étudiante<br />
l’impact conscient mais surtout inconscient que ces valeurs vont avoir sur sa vie<br />
professionnelle. En effet, que <strong>les</strong> valeurs trouvent leur place <strong>dans</strong> notre exercice<br />
professionnel ne relève pas d’un idéal optionnel, mais d’une nécessité<br />
inconditionnelle, car ces valeurs sont la terre nourricière indispensable à un<br />
engagement soli<strong>de</strong>ment enraciné.<br />
Or, lorsque l’on se réfère aux valeurs nommées comme valeurs centra<strong>les</strong> pour le<br />
choix professionnel par ceux qui l’exercent, à savoir pour la quasi-totalité, <strong>de</strong>s<br />
valeurs orientées autour <strong>de</strong> la relation au patient impliquant le soignant jusqu’à<br />
l’expression d’un « don complet <strong>de</strong> sa personne (E25) », on prend conscience <strong>de</strong> la<br />
place centrale que l’humain y occupe. On peut, dès lors, comprendre que le non-<br />
respect <strong>de</strong> ces valeurs engendre un conflit majeur chez bon nombre <strong>de</strong> professionnels.<br />
Des témoignages multip<strong>les</strong> démontrent l’intensité <strong>de</strong> la relation au patient et le <strong>de</strong>gré<br />
d’empathie à son égard. Nier cette relation, c’est nier la nature même du soin et <strong>les</strong><br />
valeurs qui la fon<strong>de</strong>nt.<br />
Ce modèle s’avère d’autant plus pertinent que l’engagement ne saurait se<br />
résumer, en fin <strong>de</strong> compte, à la relation du soignant à son patient. Certes, c’est là sans<br />
doute la dimension centrale. Mais nous ne saurions passer sous silence <strong>les</strong> autres<br />
formes d’engagement, explicites ou plus implicites, qui lient également le soignant<br />
<strong>dans</strong> son activité. En effet, dès lors qu’il exerce sa profession, le soignant s’engage<br />
envers ce corps professionnel, mais il s’engage également envers son institution,<br />
envers ses collègues plus proches ou plus lointains, ainsi que, sur un plan plus macro,<br />
au niveau sociétal également. De par sa nature fortement orientée vers le collectif,<br />
l’engagement <strong>dans</strong> l’équipe revêt une importance toute spéciale. Ce sont<br />
pratiquement tous <strong>les</strong> soignants et une gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s étudiantes qui ont mis<br />
l’accent sur cette dimension fondamentale <strong>de</strong> la solidarité entre pairs. Une solidarité<br />
qui peut, à son tour, conduire l’engagement à un dépassement néfaste <strong>de</strong> ses limites.<br />
Accompagner l’étudiante à penser l’engagement doit donc s’inscrire <strong>dans</strong> cette<br />
multidimensionnalité pour réellement rendre compte du phénomène <strong>dans</strong> toute sa<br />
complexité.<br />
482
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
L’enjeu semble bien être <strong>dans</strong> l’équilibre entre le pôle <strong>de</strong> la conviction, <strong>de</strong> l’idéal<br />
d’un côté, et celui <strong>de</strong>s obligations et du travail prescrit <strong>de</strong> l’autre, comme l’exprime<br />
une étudiante pour laquelle « si on respecte ses valeurs, on se respecte soi, et<br />
puis si on arrive à trouver l’équilibre entre finalement ce qu’on nous <strong>de</strong>mand e<br />
d’un point <strong>de</strong> vue déontologique et puis ce que nous on a comme<br />
convictions… on est moins sujet, sans doute, à l’épuisement (E5) ».<br />
La formation ne doit pas s’enfermer <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> idéal qui ne ferait que<br />
bercer l’étudiante d’illusions éphémères. Ce <strong>de</strong>rnier doit être mis au courant <strong>de</strong>s<br />
conditions climatiques <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> la profession qui prévalent <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
la santé et <strong>de</strong>s tempêtes qui font rage. Mais il doit aussi être préparé en conséquence,<br />
c’est-à-dire recevoir la formation et <strong>les</strong> outils lui permettant d’être à même d’ai<strong>de</strong>r à<br />
redresser le navire et à gar<strong>de</strong>r le cap, en étant conscient <strong>de</strong> sa responsabilité pour cela.<br />
Si nous reprenons notre modèle, nous pouvons donc dire que <strong>les</strong> résultats<br />
obtenus par le biais <strong>de</strong> ces différentes analyses confirment sa pertinence. Le seul<br />
point sur lequel nous avons amené <strong>de</strong>s modifications concerne l’équilibre entre <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux plateaux <strong>de</strong> la balance. Nous avions initialement prévu <strong>de</strong> placer, d’un côté, <strong>les</strong><br />
motivations et, <strong>de</strong> l’autre, <strong>les</strong> <strong>de</strong>voirs. Les motivations étaient privilégiées en tant<br />
qu’el<strong>les</strong> représentent l’étape précé<strong>de</strong>nt l’engagement, cette forme <strong>de</strong> dynamisme ou<br />
ce potentiel d’énergie capable <strong>de</strong> mettre en mouvement l’engagement. Mais <strong>les</strong><br />
données recueillies nous ont conduite à prendre conscience <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong>s<br />
autres notions que nous avons associées, <strong>de</strong> part et d’autre <strong>de</strong> cette balance. Sans ces<br />
éléments également très influents, notre balance serait incomplète et la notion <strong>de</strong> sens<br />
qui en constitue le but ne pourrait être réellement mise en valeur.<br />
Même si nous avions connaissance <strong>de</strong>s difficultés liées aux conditions <strong>de</strong> travail<br />
<strong>de</strong>s soignants, nous avons néanmoins été frappée par la récurrence <strong>de</strong>s propos<br />
relatant ce combat au quotidien, et choquée <strong>de</strong> mesurer le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> souffrance<br />
enduré. Devant l’ampleur du phénomène, il <strong>de</strong>venait alors essentiel <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r<br />
une part plus importante <strong>dans</strong> notre réflexion, et surtout <strong>de</strong> l’inclure sous la mention<br />
483
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
du contexte d’exercice pour le mettre en tension avec la notion d’engagement qui, <strong>de</strong><br />
par son incarnation <strong>dans</strong> l’agir en situation, en subit une forte influence.<br />
De même, la notion <strong>de</strong> sens a également pris une place beaucoup plus<br />
importante que nous ne l’avions envisagé. Nous nous sommes rendue compte que<br />
penser un engagement professionnel, sans qu’auparavant la question du sens ne soit<br />
élucidée, relevait d’un construit bancal dont l’équilibre ne serait que <strong>de</strong> courte durée.<br />
Le sens constitue à la fois l’explication et la direction <strong>de</strong> l’activité. Il est en quelque<br />
sorte l’épicentre <strong>de</strong> cette activité, comme par ricochet avec la question du sens telle<br />
qu’elle se pose au soignant au contact d’un patient qui exprime son incompréhension,<br />
sa colère ou son anxiété face à une situation <strong>de</strong> vie dont le sens lui échappe. Comme<br />
l’exprime un soignant, pour que l’engagement se déploie, « il faut qu’il y ait un<br />
sens… qu’on puisse donner un sens et qu’on soit vraiment convaincu du sens<br />
qu’on donne (P11) ». La négation du sens implique, à un moment donné, une<br />
négation <strong>de</strong> soi avec le risque encouru, propre à l’engagement, <strong>de</strong> voir ses ressources<br />
épuisées et son estime personnelle anéantie.<br />
La notion <strong>de</strong> responsabilité a pris également un rôle plus conséquent, car nous<br />
avons réalisé que si cette responsabilité est en soi bénéfique <strong>dans</strong> la mesure où elle<br />
permet l’exercice <strong>de</strong>s compétences acquises, elle <strong>de</strong>vient délétère dès lors que la<br />
pression externe dépasse <strong>les</strong> ressources <strong>de</strong> l’individu. Et nous avons pu noter, aux<br />
dires <strong>de</strong>s différentes personnes, <strong>les</strong> velléités du système à donner toujours plus <strong>de</strong><br />
responsabilités aux soignants, sans considération <strong>de</strong> leurs ressources effectives et<br />
<strong>dans</strong> un contexte où la liberté d’action est <strong>de</strong> plus en plus restreinte. Alors même que<br />
la liberté <strong>de</strong>vrait constituer une condition indispensable à l’exercice d’une<br />
responsabilité réellement possible à assumer.<br />
On a pu remarquer, à différentes reprises, l’impact essentiel <strong>de</strong> cette liberté<br />
<strong>dans</strong> la confrontation au stress. En effet, <strong>les</strong> soignants qui <strong>de</strong>meurent le plus positif,<br />
malgré une charge <strong>de</strong> travail très conséquente et <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> gestion très aigus,<br />
sont ceux qui exercent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s secteurs encore un peu « protégés », tels que <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />
à domicile ou l’enseignement hospitalier, par exemple. À côté <strong>de</strong> la dynamique<br />
d’équipe qui constitue également une pièce maîtresse <strong>dans</strong> ces rapports <strong>de</strong> force, la<br />
484
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
liberté relative mais réelle, <strong>de</strong> pouvoir accor<strong>de</strong>r à la relation au patient la place qui lui<br />
revient, reste la raison majeure d’un certain « bien-être » <strong>de</strong> ces soignants <strong>dans</strong> leur<br />
exercice professionnel. La dimension relationnelle, orientée vers le patient, tout<br />
comme vers <strong>les</strong> autres membres <strong>de</strong> l’équipe, semble prendre une place grandissante<br />
à mesure que la hiérarchie faillit à son rôle. Plusieurs soignants mettent bien en<br />
évi<strong>de</strong>nce la désorganisation et le manque <strong>de</strong> clarté qui prévalent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />
institutions où <strong>les</strong> responsabilités <strong>de</strong>s supérieurs ont été réparties <strong>de</strong> manière peu<br />
spécifique, <strong>de</strong> sorte que « personne n’est jamais responsable <strong>de</strong> rien (P7) » et<br />
que l’encadrement <strong>de</strong>s équipes est <strong>de</strong> plus en plus déficient, ne laissant pratiquement<br />
plus d’espace à l’expression d’une quelconque reconnaissance, pourtant nécessaire à<br />
chaque individu.<br />
485
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
486
CHAPITRE 22 : DISCUSSION<br />
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Pour gui<strong>de</strong>r la discussion, nous reprendrons <strong>les</strong> hypothèses en <strong>les</strong> éclairant à la<br />
lumière <strong>de</strong>s résultats que nous avons pu obtenir au moyen <strong>de</strong> nos différentes récoltes<br />
<strong>de</strong> données. Nous serons alors en mesure <strong>de</strong> dire si ces hypothèses peuvent être ou<br />
non confirmées, ou tout au moins si el<strong>les</strong> peuvent l’être partiellement, tout en<br />
explicitant <strong>les</strong> écueils éventuels ainsi que <strong>les</strong> perspectives <strong>de</strong> recherche qui<br />
permettraient <strong>de</strong> compléter nos analyses. Un recours à notre cadre théorique et à la<br />
littérature sur le sujet permettra ensuite d’approfondir ces hypothèses et <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />
mettre réellement en discussion.<br />
22.1 L’engagement : <strong>de</strong> l’absence théorique à l’évi<strong>de</strong>nce<br />
pratique<br />
Le mon<strong>de</strong> du travail est marqué par une invitation forte à s’engager <strong>dans</strong> un<br />
objectif <strong>de</strong> performance et <strong>de</strong> rentabilité. Clot (2005, p.22) va jusqu’à évoquer la<br />
survenue d’une « démesure <strong>de</strong> l’engagement ». Notre première hypothèse intitulée :<br />
« L’engagement, tant professionnel que personnel, n’est pas abordé explicitement<br />
durant la formation, ni sous l’angle théorique ni sous l’angle éthique », s’est<br />
trouvée néanmoins totalement confirmée par <strong>les</strong> trois populations auprès <strong>de</strong>squel<strong>les</strong><br />
<strong>les</strong> entretiens ont été menés. Si <strong>de</strong>s notions proches, tel<strong>les</strong> que la responsabilité ou la<br />
morale sont abordées sous un angle déontologique, en revanche la dimension<br />
psychologique et individuelle <strong>de</strong> l’engagement ne fait pas l’objet d’un enseignement,<br />
ni même d’une approche pédagogique qui approcherait un développement<br />
théorique ou éthique.<br />
Les personnes interrogées sont néanmoins unanimes pour reconnaître que<br />
l’engagement ne se laisse pas subsumer sous <strong>de</strong>s concepts, mais qu’il implique la<br />
personne <strong>dans</strong> son entier. De diverses manières et à <strong>de</strong> très nombreuses reprises,<br />
487
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
l’intensité <strong>de</strong> l’engagement apparaît en faisant référence à la notion <strong>de</strong> lien, <strong>de</strong>s<br />
praticiens allant jusqu’à évoquer le lien marital à la profession. Cette idée rejoint la<br />
conception <strong>de</strong> Bobineau lorsqu’il décrit l’engagement comme le fait <strong>de</strong> « se donner<br />
en gage, se lier » en se mettant au service <strong>de</strong> quelqu’un ou quelque chose<br />
(Bobineau, 2010a, p.12). Les soignants se sentent, pour une large part, appelés à la<br />
responsabilité par la seule présence du patient qui leur fait face et, même si aucun n’y<br />
fait explicitement référence, on entrevoit très clairement la figure hyperbolique du<br />
Visage qu’Emmanuel Lévinas développe en parlant <strong>de</strong> l’altérité (Lévinas, 1982).<br />
Cette dimension du lien revient <strong>de</strong> manière récurrente et ostentatoire <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />
questions sur le choix professionnel. L’intensité <strong>de</strong> l’engagement, ainsi que son<br />
implication sur la personnalité même <strong>de</strong> l’intéressé, sur ses émotions et son être<br />
intérieur, est particulièrement frappante. Pour plusieurs personnes, la nature très<br />
personnelle <strong>de</strong> l’engagement est ce qui rend d’autant plus nécessaire la connaissance<br />
<strong>de</strong> soi, car, « si le soignant n’est pas bien <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité », il ne pourra pas<br />
« s’engager efficacement auprès d’autrui (T14) ». Dans l’enseignement sur<br />
l’engagement, c’est tout particulièrement cet aspect <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi qui fait<br />
défaut, or <strong>les</strong> valeurs sont le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’engagement (E11). Selon Gros<br />
(2007), nous avons opéré un glissement d’une « éthique <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> soi<br />
à une morale du <strong>de</strong>voir », délaissant ainsi l’exigence socratique d’une éthique du<br />
souci <strong>de</strong> soi, vue comme soin <strong>de</strong> son âme et indissociable du soin <strong>de</strong> l’Autre (Gros,<br />
2007, p.16). Cette déviation vers une conception du <strong>de</strong>voir <strong>dans</strong> la relation s’exprime<br />
tout particulièrement au travers <strong>de</strong> la récurrence frappante <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> respect<br />
que nous avons pu relever chez une très gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong> nos interlocuteurs. Le<br />
respect, contrairement à l’empathie ou à la sollicitu<strong>de</strong>, se présente comme une<br />
exigence rationnelle liée à la conception kantienne <strong>de</strong> la dignité et du <strong>de</strong>voir qui lui<br />
est afférent (Gros, 2007), mais elle n’interroge pas la personne <strong>dans</strong> son for intérieur.<br />
Néanmoins, <strong>dans</strong> le rapport à l’Autre, l’exigence déontologique ne saurait s’avérer<br />
suffisante. Jollien (2006), philosophe polyhandicapé, familier <strong>de</strong> l’univers <strong>de</strong>s<br />
soignants, explique comment une attitu<strong>de</strong> soignante empreinte <strong>de</strong> respect peut<br />
<strong>de</strong>venir une forme-limite <strong>de</strong> la maltraitance <strong>dans</strong> la non-reconnaissance <strong>de</strong> la<br />
singularité du soigné que ce respect stérile véhicule. Là où le respect correspond à<br />
488
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
une exigence rationnelle et normative, un <strong>de</strong>voir moral impératif, la compassion et la<br />
sollicitu<strong>de</strong> sont <strong>les</strong> résultats d’une altérité vécue au cœur <strong>de</strong> l’humanité. Cependant<br />
ce soin <strong>de</strong> l’Autre, induit par la compassion désignant le fait <strong>de</strong> « souffrir avec »,<br />
implique un préalable, à savoir le soin <strong>de</strong> soi. Foucault insiste fortement, en se<br />
référant principalement à Platon, mais également aux différents courants<br />
philosophiques qui se sont succédé <strong>dans</strong> la Grèce Antique, sur l’importance du souci<br />
<strong>de</strong> soi, dont la connaissance <strong>de</strong> soi constitue une règle subordonnée essentielle<br />
(Foucault, 2001). En effet, l’épiméleia heautou (le souci <strong>de</strong> soi) désigne l’ensemble<br />
<strong>de</strong>s introspections et transformations <strong>de</strong> soi qui permettent l’accès à la vérité,<br />
condition indispensable à la prise d’autorité <strong>dans</strong> la vie publique (et, pour nous, <strong>dans</strong><br />
l’hôpital).<br />
Cette connaissance <strong>de</strong> soi <strong>de</strong>vient essentielle, tout particulièrement à cette<br />
pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la vie où l’étudiante quitte le cocon douillet <strong>de</strong> l’école et « sort <strong>de</strong> la<br />
main <strong>de</strong>s pédagogues » pour s’orienter vers le milieu professionnel (Foucault, 2001,<br />
p.38). À ce moment critique, surtout si elle est jeune, l’étudiante est encore très<br />
influençable, « ouverte à tous <strong>les</strong> vents » et toutes <strong>les</strong> représentations du mon<strong>de</strong><br />
extérieur qu’elle accepte souvent sans <strong>les</strong> examiner ni <strong>les</strong> analyser. La connaissance<br />
<strong>de</strong> soi doit lui permettre d’être capable d’opérer une « discriminatio », c’est-à-dire<br />
d’avoir un regard critique sur ce que le mon<strong>de</strong> extérieur lui propose. Si déjà <strong>les</strong><br />
Anciens évoquaient ce cheminement introspectif comme un passage nécessaire, à<br />
combien plus forte raison <strong>de</strong>vons-nous le prendre en considération à notre époque et<br />
au cœur <strong>de</strong> « l’effervescence axiologique » qui caractérise notre société mo<strong>de</strong>rne<br />
(Bobineau, 2010a, p.50). Selon Bobineau, la « prolifération <strong>de</strong>s valeurs,<br />
l’ébullition <strong>de</strong>s références » placent <strong>les</strong> jeunes, tout comme <strong>les</strong> professionnels <strong>dans</strong><br />
l’embarras et ceux-ci reconnaissent que « quand y a trop on sait plus quoi choisir<br />
(P5) ». Une professionnelle plus âgée souligne la différence fondamentale qui<br />
marque l’entrée <strong>de</strong>s étudiantes aujourd’hui <strong>dans</strong> la profession infirmière en<br />
comparaison avec ses débuts à elle, en précisant que ce sont à présent <strong>les</strong> jeunes qui<br />
doivent, eux-mêmes, remplir leur propre panier <strong>de</strong> valeurs. Celui-ci ne leur est plus<br />
livré en l’état <strong>de</strong> par la seule appartenance à la communauté (P9). Le risque <strong>de</strong> ce<br />
foisonnement <strong>de</strong> références non hiérarchisées est alors que le jeune en formation<br />
489
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
construise un système <strong>de</strong> valeur amoral, c’est-à-dire sans connaissance et sans<br />
conscience <strong>de</strong>s tenants et aboutissants <strong>de</strong> ses choix (Bobineau, 2010a, p.50). C’est ce<br />
que Fabre (2011, p.23) assimile à « la question <strong>de</strong>s repères <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> sans<br />
repères, la dialectique entre certitu<strong>de</strong> et incertitu<strong>de</strong> quand menacent le<br />
relativisme et l’intégrisme, la question <strong>de</strong> la valeur au temps <strong>de</strong> la<br />
sécularisation… ». Il y a donc réelle nécessité d’un accompagnement à cette<br />
hiérarchisation et à la mise en lumière <strong>de</strong>s motivations personnel<strong>les</strong> pouvant être<br />
liées à <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> vie, ainsi que <strong>de</strong> leur influence sur l’individu. La<br />
pédagogie trouve ici toute son importance au sens <strong>de</strong> la pai<strong>de</strong>ia grecque combinée<br />
avec l’éthos et qui permet d’ai<strong>de</strong>r l’individu à grandir <strong>dans</strong> une connaissance vaste.<br />
Le processus nécessite néanmoins l’intervention d’un tiers qui va jouer le rôle <strong>de</strong><br />
gui<strong>de</strong> et ai<strong>de</strong>r à la prise <strong>de</strong> conscience du but souhaité et <strong>de</strong>s objectifs à poursuivre,<br />
ainsi que <strong>de</strong>s valeurs qui sous-ten<strong>de</strong>nt ce but et ces objectifs (Foucault, 2001). Nous<br />
trouvons alors particulièrement pertinente la vision du pédagogue développée par<br />
Fabre. Pour cet auteur, le pédagogue a un rôle <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> et peut donc ai<strong>de</strong>r « <strong>dans</strong> la<br />
découverte <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi » et l’émergence <strong>de</strong>s ressources<br />
personnel<strong>les</strong> (T14) ». Il met à disposition <strong>de</strong>s jeunes gens la boussole et la carte,<br />
afin que ceux-ci puissent ensuite s’orienter sur <strong>les</strong> chemins <strong>de</strong> leur existence<br />
personnelle et professionnelle (Fabre, 2011). Le pédagogue joue le rôle d’un capitaine<br />
qui apprend à ses élèves à utiliser la carte et la boussole.<br />
Ce souci <strong>de</strong> soi répond donc aux exigences <strong>de</strong> l’éthos professionnel, « entendu<br />
comme engagement socio-psychologique et axiologique du sujet <strong>dans</strong> l’activit é<br />
professionnelle » (Jorro, 2010, p.3). Selon cette auteure, il y a la nécessité <strong>de</strong><br />
confronter <strong>les</strong> étudiants à la fois à une approche i<strong>de</strong>ntitaire, explorant le vécu et <strong>les</strong><br />
expériences <strong>de</strong>s sujets, ainsi qu’à une approche axiologique qui vient questionner <strong>les</strong><br />
valeurs sous-tendant le rapport à l’action <strong>de</strong> même que l’orientation <strong>de</strong> celle-ci<br />
(Houssaye, 1997). L’approche axiologique porte à la fois sur <strong>les</strong> valeurs et <strong>les</strong> normes,<br />
aussi bien personnel<strong>les</strong> que professionnel<strong>les</strong>. Grâce à cette approche, <strong>les</strong> valeurs<br />
peuvent se muer en une véritable éthique qui, elle, constitue un puissant antidote à<br />
un formalisme et à un conventionnalisme, tous <strong>de</strong>ux « drapés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> plis <strong>de</strong> la<br />
490
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
morale et <strong>les</strong> replis <strong>de</strong> la bonne conscience » (Misrahi, 1995, p.76).<br />
En ce qui concerne la notion même d’engagement, nos résultats confirment qu’il<br />
s’agit d’une notion fortement polysémique, avec <strong>de</strong>s acceptions fort différentes selon<br />
que l’on se réfère au paradigme philosophique (Savadogo, 2008), psychologique<br />
(Joule & Beauvois, 1998, 2002) ou économique (Schaufeli et al, 2004). L’enjeu pour <strong>les</strong><br />
étudiants n’est alors pas tant <strong>dans</strong> une compréhension fine et conceptuelle <strong>de</strong> la<br />
notion, que <strong>dans</strong> la réflexion sur leur propre engagement et ce qui le dynamise ou au<br />
contraire le freine.<br />
Nous insisterons donc sur la connaissance <strong>de</strong> soi comme processus <strong>de</strong> création<br />
<strong>de</strong> soi par la prise <strong>de</strong> conscience et l’adhésion à <strong>de</strong>s principes, <strong>de</strong>s valeurs et <strong>de</strong>s<br />
règ<strong>les</strong> qui vont donner une direction à notre existence et à notre engagement au cœur<br />
<strong>de</strong> cette existence (Savadogo, 2008). L’importance <strong>de</strong> cette connaissance <strong>de</strong> soi, si elle<br />
est d’après Platon (2002) un détour obligé pour toute personne entrant <strong>dans</strong> la vie<br />
adulte, l’est sans doute encore davantage pour celui qui se <strong>de</strong>stine à une profession<br />
qui n’engage pas que sa personne, mais implique d’autres être humains sur <strong>les</strong>quels<br />
il exercera, consciemment ou malgré lui, un certain pouvoir, ne serait-ce que par la<br />
dissymétrie inhérente à la relation soignante.<br />
Toutefois il ne suffit pas d’être convaincu <strong>de</strong> la pertinence du concept et <strong>de</strong>s<br />
richesses qu’il recèle en son sein. Encore faut-il le connaître réellement. Notre<br />
<strong>de</strong>uxième hypothèse tente d’en examiner un aspect fondamental, à savoir celui du<br />
sens.<br />
22.2 Les éléments qui contribuent à favoriser l’engagement :<br />
l’enjeu du sens<br />
La <strong>de</strong>uxième hypothèse : « L’engagement professionnel ne peut se développer<br />
et se maintenir sur la durée que si l’étudiante, puis la professionnelle, trouve un<br />
sens à sa pratique » a fait l’objet d’un traitement <strong>de</strong> données relativement <strong>de</strong>nse.<br />
Nous n’avons pu discriminer ce que certains considèrent comme <strong>de</strong>s tendances<br />
régressives, à savoir la déliquescence d’un engagement au sein <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières<br />
491
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
générations. Les jeunes semblent tout aussi engagés que leurs aînés, mais le focus a<br />
peut-être changé. Le moteur <strong>de</strong> l’engagement n’est plus l’institution mais la relation<br />
au patient. Dans <strong>les</strong> motivations à l’engagement, cette relation du soignant au soigné,<br />
c’est–à-dire du soignant à celui qui est en position <strong>de</strong> vulnérabilité et qui a besoin<br />
d’ai<strong>de</strong>, occupe une place absolument prépondérante. On ne peut qu’être frappés <strong>de</strong>s<br />
efforts consentis à la dimension relationnelle. Les étudiantes sont souvent prêtes à<br />
tout donner au détriment <strong>de</strong> leur propre personne (T9). La compassion et la<br />
sollicitu<strong>de</strong>, qui émanent particulièrement <strong>de</strong>s propos <strong>de</strong>s apprenantes, interpellent<br />
par leur récurrence. L’engagement s’exprime chez ces jeunes gens <strong>de</strong> manière<br />
préférentielle <strong>dans</strong> une action autonome et <strong>dans</strong> le rapport confinitaire d’une relation<br />
duale, aux dépens <strong>de</strong> la dimension communautaire d’adhésion à la profession. En<br />
cela, nos observations rejoignent très précisément l’analyse <strong>de</strong> Bobineau (2010a) pour<br />
qui l’engagement a effectivement évolué vers un espace relationnel plus restreint, et<br />
où chacun y trouve un possible intérêt ou en tire quelque bénéfice, par exemple en<br />
termes <strong>de</strong> reconnaissance. Cette tendance explique également le développement très<br />
prégnant du concept <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong>, que Ricœur considère comme une forme <strong>de</strong> trait<br />
d’union entre alter et ego, une forme <strong>de</strong> pont entre celui qui est à la fois i<strong>de</strong>ntique et<br />
différent (Ricœur, 1990). Svandra (2009a) met en évi<strong>de</strong>nce une étymologie i<strong>de</strong>ntique<br />
<strong>de</strong> ce terme avec celle du mot soin, le mot latin sollicitudo signifiant « souci, trouble<br />
moral, inquiétu<strong>de</strong> ». La particularité <strong>de</strong> ce concept, à la différence <strong>de</strong> la compassion,<br />
est <strong>de</strong> caractériser une empathie envers le soigné qui n’exclut pas d’emblée une<br />
forme <strong>de</strong> réciprocité, mais au contraire l’encourage (Gros, 2007). Et on note<br />
effectivement l’importance <strong>de</strong> la reconnaissance comme forme <strong>de</strong> gain, accessible au<br />
soignant <strong>dans</strong> sa relation au soigné. Comme l’explique une étudiante, « c’est tout le<br />
côté relationnel… qui apporte vraiment énormément… (E3) », et cela confirme<br />
la thèse <strong>de</strong> Nuttin (2000, p.182) lorsqu’il affirme qu’en s’occupant <strong>de</strong> son prochain,<br />
l’individu « contribue le plus souvent à son propre épanouissement ». La<br />
reconnaissance joue un rôle que nous avions sous-estimé en examinant la<br />
problématique <strong>de</strong> l’engagement. Force dynamisante extrêmement puissante, son<br />
absence est en revanche vectrice d’une démotivation importante (Schaufeli &<br />
Salanova, 2012).<br />
492
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Cette reconnaissance est certainement d’autant plus gran<strong>de</strong> que l’évolution<br />
sociale <strong>dans</strong> la mouvance néolibérale conduit <strong>les</strong> rapports <strong>de</strong> travail à être toujours<br />
plus aseptisés et l’univers <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> plus en plus impersonnel, victime lui aussi <strong>de</strong><br />
la désagrégation du lien sociétal (Ehrenberg, 2010) avec le climat d’incertitu<strong>de</strong> et<br />
l’inquiétu<strong>de</strong> qui en découlent. Cette peur engendre d’ailleurs <strong>de</strong>s réticences à<br />
l’engagement, voire parfois une attitu<strong>de</strong> qui peut s’apparenter à <strong>de</strong> la nonchalance.<br />
Une étudiante explique cependant qu’il s’agit d’une protection pour éviter <strong>de</strong><br />
réfléchir à un « avenir qui déprime (E16) ». Or la motivation qui fon<strong>de</strong><br />
l’engagement prend non seulement sa source <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s cognitions, mais également<br />
<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s affects que l’individu éprouve et qui vont orienter ses éventuel<strong>les</strong> actions<br />
(Nuttin, 1985). Ce <strong>de</strong>rnier a donc besoin d’un cadre qui lui permette <strong>de</strong> pouvoir<br />
exprimer oralement <strong>les</strong> émotions ainsi que <strong>les</strong> valeurs qui leur sont liées, car comme<br />
le dit une étudiante : « nos valeurs et nos émotions, el<strong>les</strong> sont toujours là, mais<br />
parfois implicites et ça ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>les</strong> exprimer (E22) ». Dans ce sens nous avons pu<br />
mettre en évi<strong>de</strong>nce l’impact particulièrement favorable <strong>de</strong> la verbalisation sur la<br />
motivation et l’engagement. En effet, <strong>les</strong> personnes, et tout spécifiquement <strong>les</strong><br />
professionnels, qui nous ont fait part d’un engagement important, ont toutes, sans<br />
exception, relié ce <strong>de</strong>rnier à la possibilité <strong>de</strong> vivre un réel partage <strong>de</strong> leur vie<br />
professionnelle avec leurs collègues. C’est <strong>dans</strong> la communauté et le partage que « le<br />
vécu prend sens (T14) ». La notion <strong>de</strong> pairs revêt ici une importance sans<br />
précé<strong>de</strong>nt, qui confirme également le glissement évoqué par Bobineau (2010a) d’une<br />
« morale <strong>de</strong>s Pères à une morale <strong>de</strong>s pairs », comme lieu d’échange et <strong>de</strong> co-<br />
construction professionnelle. Et, par ailleurs, le soignant doit également pouvoir<br />
vivre son activité selon ses valeurs et ses émotions car il ne saurait s’apparenter à une<br />
machine.<br />
L’engagement se veut réellement à la conjonction <strong>de</strong> la source axiologique et <strong>de</strong><br />
la source relationnelle. En tant que dynamique comportementale orientée vers une<br />
altérité elle-même regardée à travers le prisme <strong>de</strong> valeurs soli<strong>de</strong>ment ancrées,<br />
l’engagement va pouvoir s’épanouir pour autant qu’il y ait une adéquation avec ses<br />
valeurs. C’est à ce prix que peut se construire un sens <strong>de</strong> la vie professionnelle qui,<br />
elle, pourra se développer au point <strong>de</strong> d’influencer l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et<br />
493
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
personnelle (Jorro & De Ketele, 2011). Et une praticienne <strong>de</strong> confirmer que, lorsque<br />
<strong>les</strong> infirmières « ne peuvent plus donner du sens à ce qu’il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong><br />
faire… il y a une perte d’i<strong>de</strong>ntité professi onnelle… (P2) ».<br />
Or, pour que le sens advienne pleinement, la responsabilité professionnelle,<br />
même si elle est « la juste contrepartie <strong>de</strong> la liberté comme principe d’action »<br />
(Svandra, 2009b, p.11), doit pouvoir se développer en laissant à l’individu une marge<br />
<strong>de</strong> liberté minimale <strong>dans</strong> laquelle il puisse exprimer sa singularité. La<br />
standardisation et l’hypernormalisation <strong>de</strong>s pratiques imposées aux soignants sont<br />
<strong>de</strong>s limites à la liberté et à l’éthique du soignant. La parcellarisation <strong>de</strong>s tâches qui<br />
fait obstacle à la vision holistique <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> soin est un facteur certain <strong>de</strong><br />
démotivation (E22). Au mépris <strong>de</strong> cette liberté s’adosse alors une obéissance servile<br />
rendue quasi incontournable par <strong>les</strong> ca<strong>de</strong>nces imposées, la fatigue générée par<br />
l’usure quotidienne. Mais celle-ci a <strong>de</strong>s conséquences néfastes à la fois pour <strong>les</strong><br />
patients, car « l’erreur est vite arrivée et elle peut avoir <strong>de</strong>s conséquences<br />
dramatiques… (E19) », mais également pour le soignant qui n’y voit plus <strong>de</strong> sens.<br />
Il y a lieu <strong>de</strong> mettre en parallèle ces considérations avec le triangle éthique <strong>de</strong> Paul<br />
Ricœur. Selon ce modèle, l’auteur conçoit un acteur, le pôle « je » tout en haut du<br />
triangle, disposant d’une liberté et d’une volonté propre, liberté et volonté qui vont<br />
servir <strong>de</strong> cadre à sa relation au pôle « tu », à cet Autre avec qui le « je » entre en<br />
contact. Cependant ce contact s’inscrit <strong>dans</strong> un contexte spécifique, le pôle « il ».<br />
Celui-ci est le référent commun, comme ici l’institution. Si ce <strong>de</strong>rnier pôle est<br />
défaillant, c’est l’équilibre entre <strong>les</strong> pô<strong>les</strong> « je » et « tu » qui va en subir <strong>de</strong>s<br />
conséquences, et avec eux l’intention éthique en elle-même (Svandra, 2009a). Et nous<br />
pouvons effectivement remarquer l’inci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s problèmes institutionnels sur la<br />
prise en charge <strong>de</strong>s patients et sur la relation <strong>de</strong> soin que le professionnel aimerait<br />
pouvoir instaurer, alors même qu’il déplore et souffre <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir y renoncer.<br />
494
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
22.3 Les entraves à la construction <strong>de</strong> l’engagement<br />
professionnel<br />
Notre troisième hypothèse, selon laquelle «le sens <strong>de</strong> l’engagement est<br />
prétérité : par l’inadéquation <strong>de</strong> la pratique avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong>, par<br />
l’écart entre l’idéal <strong>de</strong> la prise en soin et la prise en soin réelle, ainsi que par <strong>les</strong><br />
conditions d’exercice » se trouve largement corroborée par <strong>les</strong> données récoltées.<br />
Dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé <strong>les</strong> métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion ont changé et celui-ci<br />
se voit soumis aux mêmes règ<strong>les</strong> que toute autre entreprise. Alors qu’il recevait<br />
jusqu’à présent une enveloppe avec pour mission d’offrir la meilleure qualité <strong>de</strong><br />
<strong>soins</strong> possible <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> cette enveloppe, il est aujourd’hui assigné à<br />
rentabilité. L’hôpital doit accomplir <strong>de</strong>s actes médicaux au meilleur rapport<br />
qualité et coût, selon une tarification toujours plus précise et rigi<strong>de</strong>. Le patient<br />
est à présent considéré comme un client, tandis que le soignant représente une<br />
force <strong>de</strong> travail. La singularité apparaît laminée et déterminée par <strong>les</strong><br />
apparences. Nos interlocuteurs sont très peu enclins à juger positive cette<br />
évolution du secteur hospitalier et s’accor<strong>de</strong>nt avec Dubreuil pour affirmer que<br />
« le statut <strong>de</strong> client relève <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> marché, alors que le secteur<br />
social et médico-social relève d’une logique <strong>de</strong> solidarité, ce qui est en soi<br />
incompatible avec la recherche d’un profit financier, sauf à dégra<strong>de</strong>r l a<br />
qualité <strong>de</strong> la prestation en réduisant <strong>les</strong> moyens… » (Dubreuil, 2009, p.3).<br />
L’univers médical est effectivement marqué par la réduction <strong>de</strong>s coûts, la<br />
multiplication <strong>de</strong>s documents, ce que De Gaulejac (2011) nomme l’avènement<br />
<strong>de</strong> la procédurite et <strong>de</strong> la prescriptophrénie, la gestion <strong>de</strong>s lits à flux tendus,<br />
l’organisation du travail sur le modèle taylorien et l’hyperspécialisation <strong>de</strong> tous<br />
<strong>les</strong> secteurs. Il s’ensuit une diminution <strong>de</strong> la vue d’ensemble qui engendre un<br />
risque d’erreurs potentialisé ainsi qu’une perte <strong>de</strong> sens. Cette perte <strong>de</strong> sens<br />
ayant, comme nous l’avons vu, <strong>de</strong>s conséquences très négatives sur<br />
l’engagement, dès lors que le professionnel ne peut plus entrer <strong>dans</strong> une<br />
495
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
relation empathique avec <strong>les</strong> patients dont il a la charge et mettre en œuvre ce<br />
que Kant nomme « l’exercice <strong>de</strong> sa mentalité élargie » (Fiat, 2006, p.57). Les<br />
infirmières voient s’opposer toujours davantage la logique <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> et la<br />
logique comptable (Dubet, 2002) et c’est ici la responsabilité imposée par le<br />
visage <strong>de</strong> l’Autre qui est mise en danger. Le diktat économique et l’idéologie<br />
managériale incarnée <strong>dans</strong> le New Public Management, dont <strong>les</strong><br />
conséquences polymorphes sont omniprésentes, génèrent une désorganisation<br />
générale et constituent un obstacle à la réalisation d’un travail <strong>de</strong> qualité. De<br />
plus en plus, <strong>les</strong> soignants se trouvent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> désaffection et <strong>de</strong><br />
travail empêché (Clot, 2010), voire sont parfois victimes d’un sentiment<br />
d’imposture face à l’impossibilité <strong>de</strong> faire du « bon travail » (Sennett, 2010). La<br />
frustration <strong>de</strong> ne pas « faire du bon boulot (E2) » génère un « tiraillement<br />
<strong>de</strong> la conscience (T10) », une forme <strong>de</strong> « détresse morale (T10) » qui<br />
engendre « la frustration et l’épuisement (E13) ». Un abandon fréquent <strong>de</strong><br />
la profession (Estryn-Béhar, 2004), confirmé par plusieurs <strong>de</strong>s enseignants<br />
interrogés qui reconnaissent avoir fui l’univers <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, principalement en<br />
milieu hospitalier, précisément pour cette raison d’une inadéquation<br />
insupportable avec leurs propres valeurs, <strong>de</strong> même que <strong>de</strong> nombreux troub<strong>les</strong><br />
psychopathologiques liés au stress, nous ont été relatés qui confirment <strong>les</strong> écrits<br />
foisonnant sur le sujet (De Bouvet & Sauvaige, 2005 ; Canouï & Mauranges,<br />
2008). Alors que Foucault (1975) accusait déjà le capitalisme <strong>de</strong> vouloir<br />
« rendre <strong>les</strong> corps uti<strong>les</strong>, doci<strong>les</strong> et productifs » et <strong>de</strong> vouloir accroître la<br />
force <strong>de</strong> travail au détriment <strong>de</strong> la santé physique, on ne peut qu’être atterré<br />
aujourd’hui en observant <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> cette mainmise <strong>de</strong> l’économie sur<br />
l’humain. Les répercussions ne sont plus seulement physiques, mais<br />
engendrent <strong>de</strong>s dommages considérab<strong>les</strong> sur le plan psychique également.<br />
Comme l’explique Dubet (2002), l’infirmière intervient <strong>dans</strong> trois mon<strong>de</strong>s<br />
simultanés : celui <strong>de</strong> la compétence professionnelle, celui <strong>de</strong> la relation et celui<br />
<strong>de</strong> l’organisation. Or cette tridimensionalité abrite <strong>de</strong>s logiques différentes qui<br />
conduisent la soignante à <strong>de</strong>s grands-écarts permanents. Pour Samaniego (2003,<br />
p.56), le soi psychologique subit <strong>de</strong>s pressions intenses en raison <strong>de</strong>s<br />
496
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
nombreuses sollicitations auxquel<strong>les</strong> il est exposé, doublées <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> sociaux<br />
multip<strong>les</strong> auxquels il est assigné et qui provoquent une « fragmentation du<br />
soi ». Cette fragmentation, à son tour, génère <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> troub<strong>les</strong><br />
psychologiques. Nous avons pu lire moult écrits concernant l’épuisement<br />
professionnel <strong>dans</strong> <strong>les</strong> milieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> (Belorgey, 2010 ; Danet, 2008 ; De<br />
Gaulejac, 2011), mais nous sommes néanmoins très préoccupée par <strong>les</strong> récits <strong>de</strong><br />
nos interlocuteurs, certains ayant vécu eux-mêmes un burnout, ou se<br />
considérant comme jouxtant <strong>les</strong> limites pathologiques <strong>de</strong> l’épuisement, avec<br />
toute la panoplie <strong>de</strong>s symptômes qui lui sont liés. Le mal-être, voire parfois la<br />
souffrance émanant <strong>de</strong> ces discussions nous ont interpellée. Au travers <strong>de</strong> leurs<br />
discours, <strong>les</strong> professionnels nous ont ouvert une porte sur la vision inquiétante<br />
<strong>de</strong>s ravages causés par un épuisement <strong>de</strong> plus en plus fréquent <strong>dans</strong> l’univers<br />
hospitalier, tandis que certains n’hésitent pas à parler d’une « explosivité <strong>de</strong><br />
burnouts (E5) ».<br />
Alors que <strong>les</strong> responsabilités ne cessent d’augmenter, <strong>les</strong> professionnels se<br />
trouvent aux prises avec un mouvement paradoxal d’une autonomie toujours plus<br />
instrumentalisée et qui se veut presque une contre-rhétorique <strong>de</strong> l’autonomie. La<br />
faible marge <strong>de</strong> manœuvre, cumulée aux contingences institutionnel<strong>les</strong> et à la<br />
difficulté <strong>de</strong> l’exercice professionnel évoquées précé<strong>de</strong>mment, conduit <strong>les</strong> soignants<br />
<strong>dans</strong> une situation d’impasse qui ne saurait manquer d’avoir <strong>de</strong>s répercussions sur<br />
l’engagement.<br />
Pour contrevenir à cette problématique, certains professionnels avouent<br />
ouvertement <strong>de</strong>voir frau<strong>de</strong>r. La frau<strong>de</strong> représente, pour le psychanalyste Dejours<br />
(2008), un principe <strong>de</strong> défense ou un moyen <strong>de</strong> survie pour l’individu. Elle est<br />
considérée par Malherbe comme une « transgression par sagacité » (2007, p.92),<br />
cherchant à se dérober à un mal plus grand après une évaluation <strong>de</strong>s risques, en<br />
particulier sous un angle éthique. Ainsi certains soignants avouent mentir sur le<br />
<strong>de</strong>gré d’autonomie d’un patient pour ne pas voir la dotation en personnel diminuée<br />
<strong>les</strong> jours suivants, d’autres s’accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> temps en temps un jour <strong>de</strong> repos sous<br />
forme d’absence, quand d’autres encore s’octroient <strong>de</strong>s droits qui ne leur<br />
appartiennent pas mais qui leur permettent <strong>de</strong> continuer à faire un travail <strong>de</strong> qualité,<br />
497
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
comme cette praticienne qui a pris l’initiative <strong>de</strong> recenser l’ensemble <strong>de</strong> ses collègues<br />
praticiennes formatrices <strong>dans</strong> l’institution, afin d’organiser leurs rencontres, <strong>de</strong><br />
rédiger un cahier <strong>de</strong>s charges ou encore <strong>de</strong> structurer leur mission. Ces tâches<br />
appartiennent clairement aux ressources humaines mais, <strong>de</strong>vant l’inertie du système,<br />
la prise en main du domaine par cette professionnelle a permis <strong>de</strong> conserver la<br />
cohérence <strong>de</strong> la mission (P11).<br />
En quoi ces problèmes <strong>de</strong> management sont-ils importants lorsque l’on évoque<br />
le phénomène <strong>de</strong> l’engagement ? La problématique est à considérer sous <strong>de</strong>ux ang<strong>les</strong>.<br />
Il y a, d’une part, l’engouement <strong>de</strong> la psychologie organisationnelle pour cette notion<br />
d’engagement. Cet enthousiasme relativement récent n’est pas fortuit. En effet le<br />
nouveau management a trouvé <strong>de</strong>s cib<strong>les</strong> privilégiées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> personnes engagées.<br />
Ce sont <strong>de</strong>s personnes reconnues comme étant rentab<strong>les</strong> parce qu’investies <strong>dans</strong> leur<br />
activité et leur institution, soucieuses d’effectuer un travail <strong>de</strong> haute qualité.<br />
Cependant ce sont aussi cel<strong>les</strong> qui sont le plus passib<strong>les</strong> <strong>de</strong> tomber <strong>dans</strong> le piège <strong>de</strong><br />
l’épuisement professionnel, <strong>dans</strong> la mesure où el<strong>les</strong> s’investissent sans respecter leurs<br />
limites, en donnant tout <strong>de</strong> leur personne (E25) et en payant parfois un prix très élevé<br />
(T9). Il convient donc <strong>de</strong> mettre en gar<strong>de</strong> ces soignants engagés, afin qu’ils ne<br />
s’égarent pas <strong>dans</strong> <strong>les</strong> méandres d’un idéal inatteignable mais sachent conserver un<br />
esprit clair et luci<strong>de</strong> face aux réalités. D’autre part, l’engagement est frappé <strong>de</strong> plein<br />
fouet par la mise en œuvre <strong>de</strong>s nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion qui placent l’économie<br />
au centre <strong>de</strong> l’activité infirmière et réduisent la relation <strong>de</strong> soin à une simple<br />
transaction marchan<strong>de</strong>.<br />
Mues par ce souci du prendre soin, cet élan passionné comparé par une<br />
personne à un souffle vital, <strong>les</strong> infirmières s’investissent avec leurs valeurs profon<strong>de</strong>s<br />
et, lorsque cel<strong>les</strong>-ci sont mises à mal par un système dont <strong>les</strong> objectifs sont purement<br />
comptab<strong>les</strong>, une souffrance liée à la perte <strong>de</strong> sens et au désaveu se fait jour. Nuttin<br />
(1985) rappelle que le décalage, entre le projet personnel porté par <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la<br />
personne et le travail réel que celle-ci doit exécuter, constitue le facteur essentiel du<br />
conflit motivation-travail, conflit débouchant sur la perte <strong>de</strong> sens lorsque la<br />
discrépance ne peut être comblée. Le soignant vit alors un phénomène <strong>de</strong> déliaison<br />
entre son idéal et son <strong>de</strong>voir (Clot, 2008). C’est aussi la pierre d’achoppement décrite<br />
498
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
par Dejours (2008), lorsqu’il évoque le grand-écart entre le travail prescrit et le travail<br />
réel. L’histoire <strong>de</strong> la profession favorise encore le schéma d’un engagement<br />
inconditionné, l’infirmière continuant à incarner, pour certains, la figure<br />
vocationnelle qui se donne entièrement pour son prochain. On trouve ainsi une<br />
récurrence marquée <strong>de</strong> personnes engagées parmi <strong>les</strong> soignants. Plusieurs <strong>de</strong> nos<br />
interlocuteurs ont évoqué <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> culpabilité, ainsi que le<br />
désappointement face à la conscience <strong>de</strong> réaliser un travail dont la dimension <strong>de</strong><br />
perfectibilité <strong>de</strong>meure toujours inassouvie. Car la volonté est là <strong>de</strong> « vouloir<br />
toujours faire au mieux et pas seulement au bien (P10) ».<br />
Derrière ces mots se cache une véritable souffrance. Cette <strong>de</strong>rnière ne saurait,<br />
selon Ricœur, se limiter seulement à la douleur physique ou mentale, mais elle est<br />
également générée « par la diminution voire la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la capacité<br />
d’agir, du pouvoir-faire, ressenties comme atteinte à l’intégrité <strong>de</strong> soi »<br />
(Ricœur, 1990, p.223). Selon cette définition, la souffrance est alors une impuissance à<br />
dire, à faire. Il en résulte un véritable empêchement (Clot, 2008).<br />
On pourrait alors se poser la question d’une problématique <strong>de</strong> l’engagement<br />
excessif comme résultant <strong>de</strong> postures et <strong>de</strong> caractéristiques individuel<strong>les</strong>. Mais ce<br />
serait faire la part belle à un système <strong>de</strong> gestion qui contribue largement au malaise<br />
<strong>de</strong>s soignants. Nous nous sommes posée la question <strong>de</strong> savoir si <strong>les</strong> propos critiques<br />
<strong>de</strong> nos interlocuteurs à l’égard du système <strong>de</strong> santé ne sont pas quelque peu<br />
outranciers. N’est-ce pas excessif d’évoquer une dictature <strong>de</strong> l’économie <strong>de</strong> marché ?<br />
Il suffit <strong>de</strong> lire <strong>les</strong> <strong>de</strong>rnières revues <strong>de</strong> <strong>soins</strong> pour se convaincre du contraire. Ne<br />
peut-on pas parler d’économicisation du système <strong>de</strong> santé lorsqu’une maison <strong>de</strong><br />
personnes âgées du canton <strong>de</strong> Berne reçoit un prix pour sa qualité <strong>de</strong> « discounter »,<br />
prix remporté grâce à l’engagement <strong>de</strong> bénévo<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> ? Ce titre prestigieux<br />
n’entraîne pas <strong>de</strong> baisse <strong>de</strong>s prix <strong>de</strong> séjour pour <strong>les</strong> rési<strong>de</strong>nts, mais génère par contre<br />
une hausse <strong>de</strong>s intérêts pour <strong>les</strong> actionnaires (Camenzind, 2012). De son côté, Föhn<br />
dénonce <strong>dans</strong> le magazine alémanique Der Beobachter (Föhn, 20/11) l’embauche <strong>de</strong><br />
personnel étranger <strong>dans</strong> certaines maisons <strong>de</strong> retraite, personnel ne parlant parfois<br />
que très mal la langue mais nettement moins rémunéré que le personnel suisse. Enfin,<br />
que dire <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong> solutions proposées aux personnes âgées ayant <strong>de</strong> faib<strong>les</strong><br />
499
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
revenus, <strong>de</strong> vivre leur <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie <strong>dans</strong> une maison <strong>de</strong> retraite en Croatie,<br />
sans en connaître même la langue ? Il y aurait presque quelque chose d’ubuesque à<br />
cette proposition, si elle ne nous plaçait pas face à l’évi<strong>de</strong>nce même <strong>de</strong> la<br />
déshumanisation, lorsqu’une personne se voit ainsi implicitement accusée d’être une<br />
trop lour<strong>de</strong> charge pour la société, ce qui justifie qu’on l’exporte vers l’étranger<br />
comme une marchandise <strong>de</strong> moindre valeur, voire sans valeur. Et une économiste <strong>de</strong><br />
clamer son inquiétu<strong>de</strong> face à cette forme <strong>de</strong> « pensée utilitariste <strong>de</strong> l’économie », à<br />
savoir « l’absence <strong>de</strong> la souffrance humaine, <strong>de</strong> la vulnérabilité <strong>de</strong> chaque être<br />
humain et <strong>de</strong> la question <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme <strong>dans</strong> le discours sur<br />
l’économie <strong>de</strong> la santé » (Madörin citée par Camenzind, 2012, p.51). Nous <strong>de</strong>vons<br />
nous défendre contre l’impérialisme d’un mon<strong>de</strong> économique pour lequel l’homme<br />
n’a plus qu’une valeur marchan<strong>de</strong>, selon la réduction béhavioriste dont l’accuse Le<br />
Goff (2000) en évoquant la conception instrumentaliste <strong>de</strong> l’être humain. Les données<br />
récoltées ne font que confirmer largement cette tendance à une réification <strong>de</strong><br />
l’humain, entrevu sous un angle unifocal <strong>de</strong> productivité. La souffrance exprimée<br />
par cette négation <strong>de</strong> soi comme soignant, <strong>de</strong>venu « soi-nié » par le système, n’a pour<br />
écho que le désarroi <strong>de</strong>vant un système <strong>de</strong> santé qui réduit le soin à un acte<br />
marchand, décontextualisé <strong>de</strong> toute consistance relationnelle. C’est même la<br />
dimension simplement humaine qui est bafouée, comme l’exprime cette praticienne<br />
expliquant qu’elle a quitté l’hôpital révoltée car « un patient n’est pas un bout <strong>de</strong><br />
vian<strong>de</strong> que l’on balance sur un lit et qu’on retourne <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> sens sans<br />
veiller à son confort (P11) ». La tension aura été trop difficile à supporter pour<br />
cette professionnelle frappée par « l’antagonisme entre logiques managéria<strong>les</strong> et<br />
professionnalisme » (Belorgey, 2010, p.215).<br />
Si cette professionnelle est partie vers le secteur extra hospitalier, c’est parce<br />
qu’elle ne pouvait plus trouver <strong>de</strong> sens à sa pratique. Le sens, suivi <strong>de</strong> la motivation<br />
et <strong>de</strong> l’engagement qui en résulte, sont tous trois intimement liés aux valeurs du<br />
soignant (P2, P7). Dès lors que ces valeurs sont bafouées, le sens est discrédité et, au-<br />
<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’activité du professionnel, c’est son i<strong>de</strong>ntité qui est également remise en<br />
question. Il s’agit donc à présent <strong>de</strong> se poser la question du rôle que peut jouer la<br />
formation sur cette construction <strong>de</strong> sens. Cette question est d’autant plus importante<br />
500
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
que le sens joue un rôle déterminant <strong>dans</strong> <strong>les</strong> générations actuel<strong>les</strong>. Les personnes<br />
interrogées rejoignent Bobineau (2010a), lorsqu’el<strong>les</strong> affirment que <strong>les</strong> générations<br />
actuel<strong>les</strong> s’engagent dès lors qu’el<strong>les</strong> peuvent y trouver du sens (P2). Les étudiantes<br />
confirment <strong>les</strong> affirmations <strong>de</strong> l’auteur, lorsque celui-ci explique que l’appartenance à<br />
une communauté n’est plus le motif <strong>de</strong> l’engagement, mais que « c’est le sens<br />
qu’on donne aux choses et pourquoi on a choisi <strong>de</strong> faire ce métier qui fait<br />
qu’on est engagé (E11) ». L’i<strong>de</strong>ntité du futur soignant n’est donc plus tant une<br />
i<strong>de</strong>ntité héritée, qu’une i<strong>de</strong>ntité qui va se construire au fur et à mesure <strong>de</strong>s<br />
expériences du sujet et du sens qu’il attribuera à cel<strong>les</strong>-ci. Dès lors on peut se poser la<br />
question du rôle que peut jouer la formation <strong>dans</strong> cette construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />
22.4 La formation, construction du sens et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle<br />
Cette quatrième hypothèse, selon laquelle « La formation peut ai<strong>de</strong>r<br />
l’étudiante à construire le sens <strong>de</strong> sa pratique et son i<strong>de</strong>ntité professionnelle<br />
malgré <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail diffici<strong>les</strong> » a pu trouver <strong>de</strong>s pistes <strong>de</strong> réponse <strong>dans</strong><br />
cette recherche. Certes cela reste parcellaire, car la notion même d’i<strong>de</strong>ntité est un<br />
construit social complexe dont il faudrait investiguer <strong>les</strong> dimensions<br />
épistémologiques pluriel<strong>les</strong> pour pouvoir en rendre réellement compte. Il est<br />
néanmoins possible d’en faire émerger quelques éléments significatifs.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité pour soi se forme à partir <strong>de</strong> la reconnaissance d’autrui et Osty (2003)<br />
élargit cette idée à une dimension plus vaste, en expliquant que la reconnaissance<br />
symbolique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> relations quotidiennes <strong>de</strong> travail et la reconnaissance<br />
institutionnelle constituent « <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux modalités <strong>de</strong> développement d’une i<strong>de</strong>ntité<br />
collective <strong>de</strong> métier » (p.97). Une enseignante résume cela parfaitement en<br />
expliquant comment l’absence <strong>de</strong> retours, et en particulier <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong> la<br />
part <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> son équipe lors d’un stage, l’ont conduite à douter <strong>de</strong> son choix<br />
professionnel et <strong>de</strong> ses capacités, la plongeant <strong>dans</strong> une situation <strong>de</strong> perte <strong>de</strong><br />
confiance dont elle a eu, par la suite, beaucoup <strong>de</strong> peine à se relever (T9). De façon<br />
très marquée, la reconnaissance <strong>de</strong>s patients est relevée par <strong>les</strong> étudiantes et<br />
501
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
praticiens comme étant l’un <strong>de</strong>s facteurs essentiels à leur bien-être professionnel (E18,<br />
E13, P8).<br />
Selon Dubar (2000), il y a <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> logiques i<strong>de</strong>ntitaires qui coexistent :<br />
une logique diachronique (i<strong>de</strong>ntité pour soi) qui permet à l’individu <strong>de</strong> cerner<br />
l’i<strong>de</strong>ntité qu’il a pour lui par un processus d’i<strong>de</strong>ntification. Et une logique<br />
synchronique (i<strong>de</strong>ntité pour autrui) qui permet <strong>de</strong> cerner la construction i<strong>de</strong>ntitaire<br />
<strong>de</strong> l’individu <strong>dans</strong> son rapport aux institutions et aux autres par le processus <strong>de</strong><br />
différenciation. La formation permet d’entrer <strong>dans</strong> ces <strong>de</strong>ux logiques et l’on voit <strong>les</strong><br />
étudiantes évoluer d’une logique plus fortement orientée vers l’i<strong>de</strong>ntification aux<br />
pairs en début <strong>de</strong> formation, à une logique <strong>de</strong> différenciation vers la fin <strong>de</strong> la<br />
<strong>de</strong>uxième année et la troisième année. C’est <strong>dans</strong> cette <strong>de</strong>uxième pério<strong>de</strong> aussi que<br />
<strong>les</strong> étudiantes parviennent à être plus critiques et à concevoir leur propre pratique.<br />
Sans doute est-ce la raison pour laquelle certaines reconnaissent n’avoir compris<br />
l’intérêt d’un cheminement réflexif que vers la fin, ou même à l’issue <strong>de</strong> la formation<br />
(E18, P2). Ce cheminement n’en est pas moins important et <strong>les</strong> personnes interrogées<br />
souhaiteraient qu’il soit mieux expliqué et fasse l’objet d’un accompagnement plus<br />
spécifique, afin d’être une réelle ai<strong>de</strong> à la construction professionnelle. Dubar (2000)<br />
se réfère à Sainsaulieu (1996) qui, <strong>de</strong> son côté, considère l’institution ou l’organisation<br />
<strong>de</strong> travail comme un système social influençant le <strong>de</strong>venir i<strong>de</strong>ntitaire du<br />
professionnel. On relèvera ici l’impact très important <strong>de</strong>s enseignants qui constituent<br />
<strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> et influencent l’engagement par leur seule manière d’être et <strong>de</strong> vivre<br />
leur propre engagement professionnel. Et <strong>les</strong> différents niveaux <strong>de</strong> prise en compte<br />
<strong>de</strong>s individus mais aussi <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> <strong>soins</strong> nous permettent d’acquiescer<br />
pleinement, au vu <strong>de</strong> nos résultats, à la définition <strong>de</strong> Dubar, selon qui l’i<strong>de</strong>ntité est<br />
définie comme « le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif,<br />
subjectif et objectif, biographique et structurel, <strong>de</strong>s divers processus <strong>de</strong><br />
socialisation qui, conjointement, construisent <strong>de</strong>s individus et définissent <strong>de</strong>s<br />
institutions » (Dubar, 1961, p.113). Durant la formation l’étudiante se trouve au<br />
cœur <strong>de</strong> ces différents processus <strong>de</strong> socialisation qui vont façonner son i<strong>de</strong>ntité à la<br />
fois personnelle et professionnelle (T13), <strong>de</strong> manière différente selon ses expériences<br />
<strong>de</strong> stage, par exemple (E15). Et face à la perte d’i<strong>de</strong>ntité que peut parfois générer la<br />
502
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
difficulté <strong>de</strong> l’exercice professionnel (P2), le rôle <strong>de</strong>s enseignants <strong>de</strong>vient encore plus<br />
capital. Nombreux sont en effet <strong>les</strong> étudiantes à avoir cité <strong>de</strong>s enseignants comme <strong>de</strong>s<br />
modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> motivation et d’engagement (E25), <strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong> <strong>de</strong> gens dont la passion<br />
pour la profession est communicative (E5, E17) même si le sujet est, <strong>de</strong> prime abord,<br />
peu intéressant (E7). Plusieurs ont relevé l’importance <strong>de</strong> la co-construction <strong>de</strong> sens à<br />
une pratique difficile avec ces enseignants leur permettant <strong>de</strong> prendre du recul et <strong>de</strong><br />
s’affirmer <strong>dans</strong> leur i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> professionnels (E7). L’école est aussi le lieu où se<br />
transmet en gran<strong>de</strong> partie le rôle propre, essentiel à l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et où il<br />
est défendu face à <strong>de</strong>s structures <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il « <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus<br />
maigre… par manque <strong>de</strong> temps (P10) ».<br />
Cette construction i<strong>de</strong>ntitaire sera toutefois d’autant plus facilitée que<br />
l’étudiante y trouvera du sens, et nous avons pu mesurer l’importance <strong>de</strong> cette<br />
notion <strong>de</strong> sens lors <strong>de</strong> ces entretiens, un sens qui permet <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r « le moteur<br />
motivationnel en éveil (T14) » et au-<strong>de</strong>là, donne sens à l’existence elle-même (E<br />
15). Les différents éléments que le sujet va travailler en formation doivent s’inscrire<br />
<strong>dans</strong> une perspective <strong>de</strong> sens, c’est-à-dire pouvoir s’intégrer à un schéma <strong>de</strong> pensées,<br />
à <strong>de</strong>s valeurs, à un développement professionnel ou personnel.<br />
La formation est importante <strong>dans</strong> la mesure où elle peut offrir une double<br />
perspective, à la fois <strong>de</strong> sens comme direction, c’est-à-dire d’orientation vers la<br />
finalité <strong>de</strong> la formation, mais également <strong>de</strong> sens comme signification, comme<br />
intelligibilité <strong>de</strong> concepts, d’expériences et <strong>de</strong> situations en regard d’une pratique<br />
plus vaste (T13). C’est ce sens comme porteur d’intérêt qui suscite l’engagement car<br />
« c’est vrai que si j’y vois pas <strong>de</strong> sens, ben je vais pas m’engager . Donc c’est<br />
vrai que s’il y a du sens, il y a aussi un intérêt personnel (T3) ». Et le sens est<br />
relié à l’i<strong>de</strong>ntité comme l’explique une professionnelle en parlant <strong>de</strong> ses collègues<br />
désabusées, qui perdant le sens <strong>de</strong> leur action, perdaient également l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle qui avait suscité leur motivation et leur choix professionnel (P10).<br />
En réponse à notre quatrième hypothèse, nous pouvons donc affirmer que la<br />
formation a bien la possibilité d’ai<strong>de</strong>r l’étudiante à construire du sens à sa pratique et<br />
<strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à construire son i<strong>de</strong>ntité professionnelle, dès lors qu’elle permet d’explorer<br />
<strong>les</strong> différentes sphères énoncées ci-<strong>de</strong>ssus par Dubar.<br />
503
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
22.5 La contribution <strong>de</strong> la formation au développement <strong>de</strong><br />
l’engagement<br />
Enfin, notre cinquième et <strong>de</strong>rnière hypothèse, qui résume en gran<strong>de</strong> partie <strong>les</strong><br />
quatre autres : « La formation peut contribuer, par le biais d’un travail sur <strong>les</strong><br />
valeurs, <strong>les</strong> ressources et <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong>, à ai<strong>de</strong>r l’étudiante à développer<br />
un engagement sain et durable » a également trouvé <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> réponse<br />
importants.<br />
En effet, parce qu’elle offre aux étudiants la possibilité <strong>de</strong> trouver du sens à leur<br />
pratique par le biais <strong>de</strong> la réflexion sur <strong>les</strong> valeurs, et <strong>de</strong> la motivation à leurs<br />
activités <strong>de</strong> soignants, la formation contribue très clairement au développement <strong>de</strong><br />
l’engagement professionnel.<br />
La formation est le moment propice pour examiner <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la<br />
profession, ses origines ainsi que ses spécificités. C’est en ayant considéré ce champ<br />
<strong>de</strong> connaissances que l’étudiante va réellement pouvoir appréhen<strong>de</strong>r quel<strong>les</strong> peuvent<br />
être ses limites et, par conséquent, <strong>de</strong> quel<strong>les</strong> ressources il aura besoin pour exercer<br />
sa profession. Ainsi, pour certains, la formation a été l’occasion <strong>de</strong> s’engager <strong>dans</strong><br />
l’Association Suisse <strong>de</strong>s Infirmières (E15), <strong>de</strong> plai<strong>de</strong>r pour la mise sur pied d’un<br />
Ordre Infirmier (T7), ou encore <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s ressources plus concrètes, en<br />
termes <strong>de</strong> tissu relationnel, <strong>de</strong> loisirs (E15) ou d’aménagement <strong>de</strong> ses horaires (P9).<br />
La construction <strong>de</strong>s connaissances, rendue possible par la formation, représente pour<br />
une gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s personnes une ressource absolument essentielle qui permet<br />
<strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> la distance (E25), <strong>de</strong> comprendre <strong>les</strong> phénomènes (E22), <strong>de</strong> mieux<br />
comprendre l’Autre (T13), <strong>de</strong> se positionner clairement et <strong>de</strong> manière argumentée<br />
(T15), en apportant <strong>de</strong>s idées novatrices (E1, P3).<br />
La connaissance <strong>de</strong>s limites personnel<strong>les</strong>, qui passe par une connaissance <strong>de</strong> soi<br />
approfondie, s’avère également indispensable si l’on pense aux situations délicates<br />
auxquel<strong>les</strong> <strong>les</strong> soignants vont être confrontés et face auxquel<strong>les</strong> il est important « <strong>de</strong><br />
prendre soin <strong>de</strong> soi pour éviter <strong>de</strong> s’exposer trop (E5) ». Sans ce regard réflexif<br />
sur sa pratique et ses limites, <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> culpabilité (T9), d’imposture (P3) ou<br />
504
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
encore d’incompétence (P10) peuvent rapi<strong>de</strong>ment surgir, parfois couplés à <strong>de</strong>s<br />
phénomènes psychologiques <strong>de</strong> projection, d’i<strong>de</strong>ntification ou <strong>de</strong> transfert et contre-<br />
transfert (E2, E17), qui vont porter atteinte à l’engagement du futur soignant. Or,<br />
comme nous l’avons vu, <strong>les</strong> conditions d’exercice et <strong>les</strong> mesures <strong>de</strong> restriction<br />
budgétaire qui se généralisent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services <strong>de</strong> soin, frappent l’engagement <strong>de</strong><br />
plein fouet également, en s’opposant parfois <strong>de</strong> manière violente aux idéaux<br />
professionnels <strong>de</strong>s soignants (P3). La réflexion sur <strong>les</strong> limites à cet engagement ne<br />
peut alors s’émanciper d’une réflexion sur <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s individus. Comprendre l’univers <strong>dans</strong> lequel il évolue, la place<br />
<strong>de</strong> sa profession (T5), le rôle qu’il peut y jouer (E1, E21, E18) et l’importance qu’il<br />
souhaite donner à certaines <strong>de</strong> ses valeurs (T4), permet à l’étudiante <strong>de</strong> mieux cerner<br />
ses limites (E5, E3) et <strong>de</strong> défendre ce qui motive son engagement, un engagement<br />
raisonné et raisonnable (T14). Quand Socrate, mis en scène par Platon s’adresse à<br />
Xénophon (Platon, trad. Chambry), il évoque la connaissance <strong>de</strong> soi comme une<br />
connaissance <strong>de</strong> ses capacités, mais aussi <strong>de</strong> son ignorance et donc, par là-même <strong>de</strong><br />
ses limites, ainsi qu’une connaissance procédant comme un examen critique <strong>de</strong> ses<br />
idées propres et <strong>de</strong> leur adéquation avec <strong>les</strong> actes. La connaissance <strong>de</strong> soi est, comme<br />
l’exprimait Platon, un détour incontournable avant <strong>de</strong> se préoccuper <strong>de</strong>s autres.<br />
Ainsi, différentes personnes interrogées le reconnaissent également : « pour prendre<br />
soin <strong>de</strong> l’Autre… il faut quand même se soucier <strong>de</strong> soi (E2) » car « pour être<br />
avec l’Autre, il faut d’abord être avec soi (T1) » et faillir à cette rencontre<br />
préalable <strong>de</strong> soi-même, c’est faillir à l’authenticité (T1). Une enseignante abon<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />
ce sens en expliquant son regret <strong>de</strong> n’avoir pas pu investir complètement sa<br />
profession en raison <strong>de</strong> cette absence <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong> travail sur ses valeurs<br />
propres (T14).<br />
Il convient, dès lors, <strong>de</strong> réfléchir avant tout aux moyens pédagogiques qui vont<br />
permettre la mise en œuvre <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> socialisation en interrogeant la sphère<br />
<strong>de</strong>s valeurs ainsi que son inscription <strong>dans</strong> la motivation et le sens donné à la pratique,<br />
qui eux, à leur tour, vont donner corps à l’engagement professionnel.<br />
Or la réponse nous a été très fortement suggérée par nos différents<br />
interlocuteurs. Qu’ils soient étudiants, enseignants ou praticiens formateurs, tous<br />
505
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
affirment la nécessité d’œuvrer à construire une cohérence <strong>dans</strong> la pratique<br />
infirmière et à réduire ainsi aussi le clivage persistant entre la théorie et la pratique. Il<br />
n’y a pas un groupe d’interlocuteurs qui n’ait évoqué la pratique réflexive comme<br />
étant un moyen <strong>de</strong> prédilection pour travailler ces aspects. Les références qui s’y<br />
rapportent sont extrêmement nombreuses.<br />
Il faut effectivement reconnaître que cet outil pédagogique, qui comme tout<br />
outil conserve ses limites, ouvre néanmoins <strong>de</strong>s horizons très vastes pour travailler<br />
<strong>les</strong> différents niveaux individuels et collectifs du développement professionnel.<br />
Selon Boutet et Pharand (2009), la pratique réflexive comporte trois grands<br />
enjeux qui sont : <strong>de</strong> faire face à <strong>de</strong>s situations professionnel<strong>les</strong> toujours plus<br />
complexes, <strong>de</strong> pouvoir y développer son i<strong>de</strong>ntité professionnelle en fonction <strong>de</strong>s<br />
contextes, et <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> l’idiosyncrasie d’une pratique précise pour s’ouvrir à une<br />
communauté <strong>de</strong> pratiques. Il y a, <strong>dans</strong> l’analyse réflexive, convocation et<br />
interpénétration <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, celui très concret et cher à Aristote <strong>de</strong>s<br />
expériences et du sens, et celui plus abstrait <strong>de</strong> la théorie, plus proche du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />
la pensée et <strong>de</strong> la raison chez Platon.<br />
Lorsqu’il développe sa réflexion autour <strong>de</strong> la pratique réflexive en s’appuyant<br />
sur <strong>les</strong> travaux <strong>de</strong> Dewey et sa conviction que l’on ne peut pas connaître sans agir,<br />
Schön (1994) propose <strong>de</strong> s’appuyer sur la pratique pour voir comment se fon<strong>de</strong> l’agir<br />
professionnel. Il part <strong>de</strong> l’expérience comme un construit qui, loin d’être évanescent,<br />
s’inspire <strong>de</strong>s expériences passées et se transforme à la fois par l’action et la réflexion,<br />
donc par la conceptualisation abstraite. La posture épistémologique <strong>de</strong> Schön permet<br />
<strong>de</strong> valoriser le savoir professionnel <strong>dans</strong> l’action, ainsi que la modification <strong>de</strong> ces<br />
savoirs pratiques par l’expérience et la conceptualisation, afin <strong>de</strong> maintenir leur<br />
expertise. C’est ce processus que Schön a souhaité mettre en œuvre par le concept <strong>de</strong><br />
pratique réflexive.<br />
Si nous nous référons à Perrenoud (2001, p.46), la pratique réflexive, i<strong>de</strong>ntifiée<br />
au métier d’enseignant, permet <strong>de</strong> :<br />
506
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
1. Compenser la légèreté <strong>de</strong> la formation professionnelle,<br />
2. Favoriser l’accumulation <strong>de</strong> savoirs d’expérience,<br />
3. Accréditer une évolution vers la professionnalisation,<br />
4. Préparer à assumer une responsabilité politique et éthique,<br />
5. Permettre <strong>de</strong> faire face à la complexité croissante <strong>de</strong>s tâches,<br />
6. Ai<strong>de</strong>r à vivre un métier impossible,<br />
7. Donner <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> travailler sur soi,<br />
8. Encourager à affronter l’irréductible altérité <strong>de</strong> l’apprenant,<br />
9. Ouvrir à la coopération avec <strong>les</strong> collègues,<br />
10. Accroître <strong>les</strong> capacités d’innovation.<br />
Dans <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s lignes, il est possible d’effectuer un parallèle assez fidèle avec la<br />
profession infirmière qui présente <strong>de</strong>s caractéristiques fort similaires. Si nous<br />
reprenons ces différents points un à un, en nous permettant <strong>de</strong> <strong>les</strong> regrouper au<br />
besoin, voire <strong>de</strong> <strong>les</strong> renommer, nous pouvons montrer comment la pratique réflexive<br />
peut ai<strong>de</strong>r au développement <strong>de</strong> la profession soignante, en corrélation avec <strong>les</strong><br />
résultats <strong>de</strong> nos entretiens. Nous nous sommes également autorisée à introduire ces<br />
différents points <strong>dans</strong> un ordre qui nous paraît plus approprié à notre objet, avec un<br />
développement posant, en premier, le cadre : la formation et la complexité <strong>de</strong> la<br />
pratique, pour ensuite abor<strong>de</strong>r la sphère individuelle et le rapport à l’autre avec la<br />
dimension éthique et la collaboration, pour enfin atteindre l’aspect réellement<br />
professionnel avec la professionnalisation et l’innovation.<br />
Compléter la formation professionnelle et favoriser l’accumulation <strong>de</strong><br />
savoirs d’expérience<br />
Évoquer la légèreté <strong>de</strong> la formation comme le fait Perrenoud nous semble<br />
quelque peu péjoratif, raison pour laquelle nous avons préféré employer le terme<br />
compléter, sachant, bien évi<strong>de</strong>mment, que la formation en école n’est jamais<br />
suffisante. Le souhait est réitéré par <strong>les</strong> étudiantes mais aussi par <strong>les</strong> professionnels<br />
<strong>de</strong> pouvoir étoffer leurs connaissances à partir <strong>de</strong> situations pratiques, en ayant<br />
l’opportunité et le temps <strong>de</strong> pouvoir examiner ces <strong>de</strong>rnières à la lumière d’un<br />
507
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
éclairage théorique spécifique. Plusieurs professionnels déplorent le fait <strong>de</strong> voir leurs<br />
connaissances théoriques s’amenuiser drastiquement au fur et à mesure <strong>de</strong> leur<br />
activité professionnelle, alors qu’el<strong>les</strong> leur seraient <strong>de</strong> plus en plus nécessaires au vu<br />
<strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong>s situations. Or <strong>les</strong> enseignants, <strong>de</strong> leur côté, regrettent <strong>de</strong> voir<br />
leurs connaissances pratiques s’étioler et se sentent souvent peu pertinents <strong>dans</strong> ce<br />
domaine, en particulier en regard <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong>s pratiques et <strong>de</strong>s techniques. Les<br />
étudiantes se trouvent, quant à el<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> l’interstice entre le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la pratique<br />
soignante et le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la théorie qui entoure <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. El<strong>les</strong> vivent mal ce clivage<br />
qui <strong>les</strong> place parfois <strong>dans</strong> une posture très inconfortable et qui, <strong>de</strong> plus, contribue à<br />
renforcer leur difficulté <strong>de</strong> concevoir le soin comme un tout. El<strong>les</strong> ont bien davantage<br />
une vision faite <strong>de</strong> concepts morcelés, propre à notre système sociétal et à la<br />
défragmentation <strong>de</strong>s différents espaces qui le composent (Chauvière, 2011), et <strong>de</strong><br />
représentations parfois divergentes qui empêchent la construction <strong>de</strong> la cohérence.<br />
La pratique réflexive, en reliant <strong>les</strong> différents savoirs, constitue aussi le moyen <strong>de</strong><br />
réduire leur niveau d’abstraction par la mise en relation avec la pratique. Elle<br />
favorise l’articulation entre <strong>les</strong> apports théoriques et l’application pratique (Barbier,<br />
2004), et permet à l’étudiante <strong>de</strong> favoriser cette construction complexe utile à sa<br />
profession.<br />
Il y a donc lieu <strong>de</strong> revaloriser l’expérience et l’apprentissage expérientiel comme le<br />
souhaitent enseignants et praticiens, mais il est également nécessaire <strong>de</strong> nourrir cette<br />
expérience avec la substance théorique qui permet son émancipation et <strong>de</strong> l’inscrire<br />
<strong>dans</strong> un réseau conceptuel plus global. Les praticiens ont, à plusieurs reprises,<br />
évoqué la souffrance <strong>de</strong> ne pas avoir le temps <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> la distance, en<br />
particulier <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations complexes (P3, P10). Cette distanciation critique aurait<br />
comme grand avantage d’ai<strong>de</strong>r le soignant à pouvoir profiter <strong>de</strong>s expériences<br />
passées, aussi ardues soient-el<strong>les</strong>, pour affronter cel<strong>les</strong> à venir avec davantage <strong>de</strong><br />
sérénité.<br />
Permettre <strong>de</strong> faire face à la complexité croissante <strong>de</strong>s tâches<br />
La pratique réflexive constitue aussi une réponse, comme nous le voyons au point<br />
cinq <strong>de</strong> la liste exposée par Perrenoud (2001), à la complexité croissante <strong>de</strong>s<br />
508
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
situations <strong>de</strong> travail. D’entrée <strong>de</strong> jeu, la profession infirmière suppose l’interaction <strong>de</strong><br />
dimensions cognitives, affectives, socia<strong>les</strong> et éthiques chez <strong>les</strong> soignants. Mais,<br />
parallèlement à ces exigences premières, se sont greffées <strong>de</strong>s problématiques<br />
nouvel<strong>les</strong> qui accentuent encore cette complexité. Ainsi le mon<strong>de</strong> du travail a<br />
passablement évolué durant <strong>les</strong> <strong>de</strong>rnières décennies. Celui <strong>de</strong> la santé n’est pas<br />
épargné, loin s’en faut ! Les évolutions majeures sont liées, d’une part, aux nouveaux<br />
mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion qui imposent <strong>de</strong>s structures différentes et <strong>de</strong>s formes<br />
d’organisation inédites impliquant <strong>de</strong>s comportements en adéquation : flexibilité,<br />
rapidité, rentabilité… Les nouvel<strong>les</strong> tarifications et le raccourcissement <strong>de</strong>s durées <strong>de</strong><br />
séjour ont pour conséquence une intensification du travail lors <strong>de</strong>s hospitalisations,<br />
puisque <strong>de</strong>s patients dépendants <strong>de</strong> <strong>soins</strong> complexes s’y trouvent pris en charge<br />
simultanément (Sainsaulieu, 2003). Le secteur hospitalier est loin d’être le seul<br />
concerné, l’ensemble <strong>de</strong>s secteurs médicaux est atteint. D’autre part, <strong>les</strong> évolutions<br />
sont également dues à l’aspect démographique du vieillissement <strong>de</strong> la population et<br />
au fait que la population soignée, vieillissante, présente <strong>de</strong> plus en plus fréquemment<br />
<strong>de</strong>s polypathologies. Les patients cumulent souvent pathologies physiques et<br />
psychiques qui nécessitent <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> invasifs et intensifs. La complexité est donc<br />
double et c’est là la gran<strong>de</strong> difficulté qu’expriment <strong>les</strong> soignants. Ils sont d’une part<br />
astreints à une pratique toujours plus complexe <strong>de</strong> par <strong>les</strong> caractéristiques médica<strong>les</strong><br />
<strong>de</strong> leurs patients. Et, d’autre part, <strong>les</strong> injonctions d’efficience et <strong>les</strong> mesures qui <strong>les</strong><br />
accompagnent sont également génératrices <strong>de</strong> complexité pour le travail <strong>de</strong>s<br />
soignants. Cette complexité n’a <strong>de</strong> cesse d’augmenter à mesure que <strong>les</strong> réformes se<br />
succè<strong>de</strong>nt ; que <strong>les</strong> structures fusionnent, <strong>de</strong>viennent beaucoup plus gran<strong>de</strong>s et<br />
s’opacifient, que <strong>les</strong> outils et techniques se complexifient…<br />
La pratique réflexive peut permettre <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> la distance vis-à-vis <strong>de</strong> tous ces<br />
fonctionnements pour essayer <strong>de</strong> déjouer, en partie au moins, la complexité et <strong>de</strong><br />
l’apprivoiser. Mais, parce qu’elle ne saurait avoir la prétention <strong>de</strong> pouvoir changer<br />
réellement <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fonctionnement d’une institution, elle est aussi et surtout<br />
une ai<strong>de</strong> personnelle. En effet, au travers <strong>de</strong> cette pratique, le soignant a la possibilité<br />
<strong>de</strong> s’observer lui-même, en tant que sujet, au sein <strong>de</strong> cet univers professionnel (Vinje<br />
& Mittelmark, 2006).<br />
509
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Donner <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> travailler sur soi<br />
Et en regard <strong>de</strong> nos résultats et <strong>de</strong> l’importance que nous avons pu mettre en<br />
évi<strong>de</strong>nce du « souci <strong>de</strong> soi » au sens foucaldien du terme, la pratique réflexive nous<br />
semble effectivement détenir <strong>de</strong>s qualités particulièrement propices et précieuses. Il<br />
ne s’agit pas d’une connaissance <strong>de</strong> soi qui aurait comme seul objectif <strong>de</strong> favoriser<br />
une adaptation à tout prix à un contexte <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce assez toxique. Il s’agit<br />
davantage d’une ouverture à soi-même et à ses propres limites (E5), afin <strong>de</strong> pouvoir<br />
s’ouvrir ensuite à l’Autre (Arendt, 2005). La pratique réflexive permet en effet<br />
d’apprendre à se connaître, à mettre un nom sur <strong>les</strong> valeurs essentiel<strong>les</strong> qui fon<strong>de</strong>nt<br />
nos pensées et nos actions (Houssaye, 1999), et à poser <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-fous pour éviter <strong>de</strong><br />
<strong>les</strong> bafouer et d’en subir <strong>les</strong> conséquences. Pour Fabre (2011), le polythéisme <strong>de</strong>s<br />
valeurs, caractéristique <strong>de</strong> notre sécularisation, nous invite à faire l’apologie d’un<br />
esprit <strong>de</strong> discernement sur notre mon<strong>de</strong>, et ce regard introspectif sur soi a pour<br />
objectif <strong>de</strong> questionner le sens <strong>de</strong> notre expérience, <strong>de</strong> notre action au cœur <strong>de</strong> cette<br />
expérience, et <strong>de</strong>s perspectives futures qu’elle laisse entrevoir (E5, T5). Le prendre<br />
soin <strong>de</strong> soi constitue, pour Honoré (2003), une dimension <strong>de</strong> l’activité formative qui<br />
éloigne du discours déjà construit pour rapprocher du discours critique, capable<br />
d’aller à la rencontre <strong>de</strong> la différence. Ce discours critique est aussi celui qui permet<br />
au sujet <strong>de</strong> s’auto-constituer <strong>dans</strong> un processus d’autopoièse, qui lui permet <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>venir un agent responsable (Honoré, 2003) et d’exprimer cette responsabilité<br />
éthique <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s actes (Gohier, 2007), mais dont la responsabilité est à la mesure <strong>de</strong><br />
ses possibilités et <strong>de</strong> ses limites. La pratique réflexive a donc également comme<br />
objectif central d’apprendre à connaître ses limites, à <strong>les</strong> argumenter et à <strong>les</strong><br />
verbaliser en reconnaissant leur légitimité (T14). La perspective dialogisante peut<br />
constituer une amorce pour permettre <strong>de</strong> <strong>de</strong>sserrer l’étau déontologique <strong>dans</strong> lequel<br />
le soignant est enfermé et d’alléger la chape <strong>de</strong> responsabilités qui pèse sur ses<br />
épau<strong>les</strong> (E11, E9).<br />
Encourager à affronter l’irréductible altérité du patient (<strong>de</strong> l’étudiante)<br />
Ce regard introspectif est d’autant plus essentiel que <strong>les</strong> responsabilités du soignant<br />
ne cessent d’augmenter. Or, au cœur <strong>de</strong> ces responsabilités, c’est la question <strong>de</strong><br />
510
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
l’altérité qui occupe la place d’honneur. Face à l’exigence du Visage d’Autrui tel que<br />
l’entend Lévinas, et qui le convoque par sa seule présence (Honoré, 2003), se trouve<br />
le soignant avec son caractère, ses sentiments, son vécu, ses difficultés… Ces<br />
différents paramètres vont largement influencer, souvent à son insu, la relation au<br />
patient. Il suffit alors parfois <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> choses pour que soit mise aux oubliettes la si<br />
fondamentale dignité humaine. Différents témoignages nous ont confirmé qu’au<br />
cœur <strong>de</strong> l’activité quotidienne et <strong>de</strong> l’usure qui accompagne souvent la routine, <strong>les</strong><br />
limites professionnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin peuvent vite être franchies et la<br />
maltraitance peut survenir subrepticement et beaucoup plus insidieusement qu’on<br />
ne le penserait (P3). La situation est peut-être plus complexe encore <strong>dans</strong> le domaine<br />
<strong>de</strong> la psychiatrie, où <strong>de</strong>s schémas pathologiques confrontent encore plus <strong>les</strong><br />
soignants en <strong>les</strong> amenant parfois <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations très inconfortab<strong>les</strong>. On pensera<br />
à l’agressivité verbale, mais aussi physique, évoquée par <strong>les</strong> professionnels ainsi que<br />
par <strong>les</strong> étudiants durant leurs stages, que ce soit en psychiatrie, aux urgences ou <strong>dans</strong><br />
d’autres services (P8). On peut également évoquer <strong>de</strong>s situations moins dramatiques,<br />
mais où le soignant se trouve pris au piège, malgré lui, <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong><br />
transfert et contre-transfert, <strong>de</strong> projections et autres mécanismes psychiques<br />
influençant très fortement la relation <strong>de</strong> soin.<br />
La pratique réflexive, grâce à la prise <strong>de</strong> recul qui l’accompagne et à la<br />
possibilité <strong>de</strong> profiter du regard <strong>de</strong>s pairs sur son propre fonctionnement, permet <strong>de</strong><br />
dévoiler ce genre <strong>de</strong> processus et <strong>de</strong> pouvoir <strong>les</strong> dépasser. Elle est le moyen d’ai<strong>de</strong>r à<br />
une prise <strong>de</strong> conscience qui constitue le passage obligé vers une possibilité <strong>de</strong><br />
transformation <strong>de</strong> ses propres schèmes d’action (E5). Travailler la distance<br />
thérapeutique, comme cela nous a été maintes fois signalé (T9), est certes une bonne<br />
chose. Mais cela ne saurait se substituer à une réflexion sur soi au préalable. Pour<br />
bien comprendre l’importance <strong>de</strong> la distance thérapeutique, mais aussi pouvoir<br />
l’établir <strong>de</strong> manière juste et pertinente, encore faut-il savoir à quoi elle se réfère<br />
exactement en regard <strong>de</strong> son propre fonctionnement, afin qu’elle ne soit pas l’image<br />
d’un protocole qui n’aurait d’autre vertu que celle d’un traitement symptomatique<br />
pour un mal dont on ignorerait la cause.<br />
511
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la dimension relationnelle et singulière du soignant au soigné, il en va,<br />
<strong>dans</strong> cette appréhension <strong>de</strong> l’altérité, d’une dimension beaucoup plus générale <strong>de</strong>s<br />
valeurs éthiques introduites <strong>dans</strong> un comportement professionnel (Jutras, 2007b).<br />
Préparer à assumer une responsabilité éthique<br />
L’interrogation éthique a pour but <strong>de</strong> susciter l’inquiétu<strong>de</strong> fondamentale du rapport<br />
à l’Autre qui permet <strong>de</strong> ne pas oublier que cet Autre est unique et qu’il convient <strong>de</strong><br />
considérer, au travers <strong>de</strong> l’altérité, la dignité d’un être singulier. C’est pour cette<br />
raison que Sirven (1999) insiste sur l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> se soumettre au questionnement<br />
éthique, comme moyen « d’éviter cette éclipse <strong>de</strong> la conscience que l’on nomme<br />
bonne conscience et qui peut tout justifie r » (p.120). Le questionnement n’attend<br />
pas <strong>de</strong> réponse, mais relève d’une mise en gar<strong>de</strong> et d’une inquiétu<strong>de</strong> au sens<br />
aristotélicien du terme. Il s’agit d’une pru<strong>de</strong>nce faite d’un esprit sur le qui-vive, sans<br />
repos, attentif aux évènements. C’est le doute évoqué par Svandra (2004) comme<br />
étant une forme d’obligation à une remise en question constante du soignant sur le<br />
sens et <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> son action, remise en question émanant du souci éthique<br />
<strong>de</strong> la relation (P8).<br />
La responsabilité éthique s’exprime, bien entendu, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations <strong>de</strong><br />
dilemmes éthiques dont la pratique hospitalière foisonne. Différentes situations qui<br />
heurtent <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong>s soignants comme <strong>de</strong>s situations d’euthanasie, <strong>de</strong> sédation<br />
terminale, <strong>de</strong> contention, d’injustices <strong>dans</strong> <strong>les</strong> traitements, nous ont été relatées. La<br />
responsabilité éthique <strong>dans</strong> ces situations est évi<strong>de</strong>nte. Néanmoins, la responsabilité<br />
qui jouxte la pratique quotidienne, qui l’encadre et la justifie, n’en est pas moins<br />
importante. Or, la dimension éthique, présente <strong>dans</strong> la quotidienneté <strong>de</strong> la pratique<br />
plus routinière, semble parfois peu consciente, tout particulièrement chez <strong>les</strong><br />
soignants. Elle n’est en tout cas pas, ou très peu, verbalisée. C’est comme si elle<br />
n’avait pas vraiment <strong>de</strong> place, une sorte <strong>de</strong> remise en question indésirable <strong>dans</strong> cette<br />
pratique dominée par <strong>les</strong> consensus complices <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> rentabilité. La<br />
pratique réflexive permettrait <strong>de</strong> lui redonner la place centrale qui lui revient <strong>dans</strong> le<br />
questionnement <strong>de</strong> l’activité au quotidien (P8).<br />
Contrairement à Perrenoud (2001), nous séparons ici la dimension éthique et<br />
512
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
politique, puisque cette <strong>de</strong>rnière est, selon nous, davantage en lien avec le processus<br />
relativement récent <strong>de</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
Ouvrir à la coopération avec <strong>les</strong> collègues<br />
En revanche, nous mettrons un accent tout particulier à ce point <strong>de</strong> la coopération<br />
qui, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, relève à notre avis encore davantage d’une co-<br />
construction que d’une coopération. C’est une profession qui est à construire<br />
collectivement. Cette « délibérative collective », qui constitue selon Savadogo<br />
(2008, p.78), « la démarche la plus adéquate pour apprécier <strong>les</strong> principes <strong>de</strong><br />
l’action humaine », revêt une importance particulière à plusieurs niveaux. D’une<br />
part, la pratique soignante se caractérise par une diversité <strong>de</strong> pratiques et <strong>de</strong><br />
spécialités très vaste. Le lien est donc d’autant plus important à consoli<strong>de</strong>r et à<br />
intensifier entre <strong>les</strong> différents secteurs. D’autre part, la pratique, avec <strong>les</strong> innovations<br />
technologiques d’un côté et <strong>les</strong> modifications structurel<strong>les</strong> et économiques <strong>de</strong> l’autre,<br />
poursuit <strong>de</strong>s objectifs souvent différents <strong>de</strong> la dimension scientifique plus présente<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> milieux <strong>de</strong> la formation. Il s’ensuit un écart grandissant entre <strong>les</strong> actes <strong>de</strong> la<br />
pratique et <strong>les</strong> contenus <strong>de</strong> la formation qui porte préjudice à la profession <strong>dans</strong> son<br />
ensemble. Il est donc essentiel d’engager le collectif <strong>dans</strong> une démarche commune et<br />
une co-construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité, par <strong>de</strong>là <strong>les</strong> frontières qui séparent <strong>les</strong> mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la<br />
formation et <strong>de</strong> la pratique (P8, P10, T9, T15). C’est ce qui permet d’empêcher que ce<br />
collectif ne soit réduit à une somme d’individus exposés à l’isolement, mais privés,<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> faits, du réel collectif <strong>de</strong> travail (Clot, 2008). Il est essentiel pour <strong>de</strong>s<br />
collègues <strong>de</strong> pouvoir prendre du temps pour avoir <strong>de</strong>s dialogues véritab<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s<br />
mises en commun et <strong>de</strong>s débats qui ne soient pas <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> temps d’échanges<br />
d’informations, comme peuvent l’être <strong>les</strong> rapports <strong>de</strong>s soignants lors <strong>de</strong>s<br />
changements d’équipes. Ces échanges reconnus comme essentiels ten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus en<br />
plus à être réduits au strict minimum, alors que le soignant tout comme le soigné<br />
<strong>de</strong>meurent <strong>de</strong>s sujets dotés d’une parole consciente et constructrice. Les soignants<br />
ont besoin d’expérimenter une solidarité qui peut « servir d’exutoire au caractère<br />
anxiogène <strong>de</strong> l’activité ou du moins à sa charge mentale… en arrachant<br />
l’individu à une épreuve solitaire » (Osty, 2003, p.219).<br />
513
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Les échanges construits au sein du collectif sont autant <strong>de</strong> débats riches<br />
d’idées et une recherche commune <strong>de</strong> formes élaborées <strong>de</strong> conceptualisation<br />
permettant <strong>de</strong> mutualiser <strong>les</strong> ressources <strong>dans</strong> la transformation du travail (Clot, 2005).<br />
Par ailleurs, ces moments <strong>de</strong> regroupements entre <strong>les</strong> professionnels sont aussi <strong>de</strong>s<br />
occasions uniques <strong>de</strong> favoriser la mise en synergie <strong>de</strong>s ressources et l’apprentissage<br />
entre pairs, tel que cela <strong>de</strong>vrait se vivre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> terrains (Bakker & Demerouti, 2007).<br />
Le souhait <strong>de</strong> travailler <strong>dans</strong> une perspective comme celle-ci nous a été réitéré à <strong>de</strong><br />
multip<strong>les</strong> reprises et par <strong>de</strong>s individus issus <strong>de</strong> nos trois populations. Par ces<br />
rencontres, ils souhaitent permettre, en premier lieu, <strong>de</strong> répondre à <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong><br />
pragmatiques <strong>dans</strong> une démarche herméneutique développée à partir <strong>de</strong>s situations<br />
vécues, pour ensuite ouvrir <strong>les</strong> écluses d’une réflexion qui s’appuie sur un savoir<br />
scientifique reconnu et non pas sur <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> « recettes » plus ou moins obsolètes et<br />
transmises avec plus ou moins d’exactitu<strong>de</strong>. Avec Houssaye et Cosnefroy, nous<br />
affirmons que « penser le mon<strong>de</strong> (tout comme panser <strong>dans</strong> un univers <strong>de</strong><br />
soignants) nécessite à la fois <strong>de</strong>s ressources conceptuel<strong>les</strong> et cognitives,<br />
indissolublement liées comme le recto et le verso <strong>de</strong> la feuille » (2010, p.259), or<br />
ces ressources peuvent être développées au sein du collectif.<br />
Par la mutualisation <strong>de</strong>s ressources, il est possible <strong>de</strong> potentialiser <strong>les</strong><br />
résultats (P2), car la synergie permet d’obtenir un résultat nettement supérieur à la<br />
somme <strong>de</strong>s parties. L’analyse réflexive permet <strong>de</strong> rendre possible la mise en œuvre<br />
<strong>de</strong>s dispositions cognitives qui vont donner naissance aux formes <strong>de</strong> réflexion <strong>les</strong><br />
plus sophistiquées.<br />
Par ailleurs, elle est aussi un moyen <strong>de</strong> s’exercer à la réalité, <strong>de</strong> vivre <strong>dans</strong> un<br />
espace réduit ce qui se vit <strong>dans</strong> le réel <strong>de</strong> l’activité professionnelle. En effet, tout<br />
comme <strong>dans</strong> son équipe, le praticien réflexif doit trouver sa place <strong>dans</strong> un collectif et<br />
contribuer à sa consolidation, au renforcement <strong>de</strong> liens <strong>de</strong> solidarité que le système<br />
tend à affaiblir. Cette co-construction et cette élaboration d’un sens qui fait consensus<br />
<strong>de</strong>vient une force sans pareille pour <strong>les</strong> professionnels qui, par ce biais, mettent en<br />
œuvre le principe <strong>de</strong> « l’union qui fait la force ».<br />
Cette co-construction ne saurait pour autant servir uniquement à développer <strong>de</strong>s<br />
ressources <strong>dans</strong> le seul but d’améliorer l’adaptation individuelle au contexte. Elle<br />
514
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
doit davantage être le lieu d’une construction <strong>de</strong> sens, et l’espace <strong>dans</strong> lequel<br />
s’élabore et s’affermit l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />
Accréditer une évolution vers la professionnalisation<br />
La co-construction d’une i<strong>de</strong>ntité autour d’objectifs communs et d’une vision à la fois<br />
expérientielle et scientifique <strong>de</strong> la profession sont <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments importants pour le<br />
processus <strong>de</strong> professionnalisation. Cette i<strong>de</strong>ntité est constituée <strong>de</strong>s pratiques,<br />
comportements et valeurs du professionnel. L’analyse <strong>de</strong> pratique permet <strong>de</strong><br />
mobiliser tout un savoir scientifique et d’exercer un jugement clinique basé sur ce<br />
savoir pour argumenter <strong>de</strong>s priorités, <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong> position et justifier le passage du<br />
statut <strong>de</strong> métier à celui <strong>de</strong> profession (Dallaire, 2008). Consciente <strong>de</strong>s limites du<br />
savoir scientifique, la pratique réflexive puise néanmoins à sa source pour éclairer <strong>les</strong><br />
pratiques. En faisant valoir le savoir issu <strong>de</strong> leur expérience, en se dotant d’outils<br />
scientifiques vali<strong>de</strong>s et en se référant à <strong>de</strong>s concepts reconnus pour analyser <strong>les</strong><br />
situations <strong>de</strong> travail, <strong>les</strong> infirmières sont à même <strong>de</strong> démontrer leurs compétences<br />
réel<strong>les</strong> (P8). Il s’agit <strong>de</strong> sortir d’un sens commun limité et pétri <strong>de</strong> préjugés. En cela, la<br />
problématisation <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> travail peut être aidante, mais pour autant qu’elle<br />
convoque <strong>les</strong> savoirs <strong>de</strong> l’expérience ainsi que la mise en œuvre <strong>de</strong> savoirs<br />
disciplinaires et <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s spécifiques et vali<strong>de</strong>s pour leur résolution.<br />
Pour reprendre la métaphore <strong>de</strong> la boussole et <strong>de</strong> la carte, la carte<br />
représenterait l’ensemble <strong>de</strong>s chemins déjà tracés par <strong>les</strong> professionnels nous ayant<br />
précédés. Alors que la boussole cognitive, la démarche scientifique ainsi que <strong>les</strong><br />
connaissances théoriques, auraient comme objectif d’ai<strong>de</strong>r à prendre la bonne<br />
direction, <strong>de</strong> s’orienter correctement <strong>dans</strong> une visée <strong>de</strong> développement professionnel.<br />
Dans ce tableau, il ne faut néanmoins pas oublier le sujet lui-même qui, porteur<br />
d’une expérience <strong>de</strong> vie, voire d’une expérience professionnelle, <strong>de</strong> valeurs et <strong>de</strong><br />
ressources personnel<strong>les</strong>, met également en œuvre un savoir qui lui est propre. Il sera<br />
peut-être lui-même créateur <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> routes.<br />
À une pério<strong>de</strong> où <strong>de</strong>s bouleversements majeurs secouent le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé, et<br />
tout particulièrement l’univers <strong>de</strong>s soignants, ceux-ci doivent d’autant plus se référer<br />
à leur boussole pour déterminer quel<strong>les</strong> peuvent être <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> routes à<br />
515
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
emprunter pour un développement <strong>de</strong> leur profession qui répon<strong>de</strong> à leurs attentes et<br />
à leurs valeurs. Leurs compétences sont aussi <strong>les</strong> instruments uti<strong>les</strong> pour ouvrir <strong>de</strong>s<br />
horizons vers une pratique novatrice, adaptée aux changements sociétaux qui<br />
marquent notre époque, mais el<strong>les</strong> doivent s’inscrire <strong>dans</strong> un univers <strong>de</strong> sens qui<br />
s’enracine au plus profond <strong>de</strong>s valeurs et normes <strong>de</strong> la profession.<br />
Accroître <strong>les</strong> capacités d’innovation<br />
Si, selon le principe holistique, le tout est supérieur à la somme <strong>de</strong>s parties, alors, <strong>de</strong><br />
la même manière, la symphonie sera toujours plus riche que ne peuvent l’être <strong>les</strong><br />
interprétations <strong>de</strong>s solistes prises séparément. Aussi virtuoses soient ces <strong>de</strong>rniers,<br />
leur contribution sera toujours parcellaire et, selon Savadogo, « il est (…)<br />
impossible qu’un individu soit capable <strong>de</strong> s’assurer seul, à travers une théorie<br />
arbitrairement élaborée, <strong>de</strong> la vérité <strong>de</strong> ses choix éthiques . » (2008, p.78). Si le<br />
collectif ne peut non plus se prévaloir <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r la vérité, en revanche il favorise,<br />
par le dialogue, un ajustement et un consensus. Grâce à <strong>de</strong>s temps concrets <strong>de</strong><br />
pratique réflexive, <strong>les</strong> professionnels peuvent construire ensemble, à partir <strong>de</strong>s<br />
partitions <strong>de</strong> solistes, une motivation et un engagement commun, basés sur <strong>de</strong>s choix<br />
éthiques, d’un côté en développant ensemble <strong>de</strong>s solutions inédites, en élaborant <strong>de</strong>s<br />
projets, en étant <strong>dans</strong> une dynamique d’amélioration <strong>de</strong> la qualité et <strong>de</strong><br />
renouvellement <strong>de</strong>s pratiques, et, <strong>de</strong> l’autre, en construisant du sens <strong>dans</strong> la<br />
discussion <strong>de</strong>s valeurs fondamenta<strong>les</strong>.<br />
Alors que <strong>les</strong> pratiques ten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus en plus à l’hyperspécialisation, il<br />
s’agit <strong>de</strong> réintroduire une cohérence générale en replaçant la complexité <strong>dans</strong> son<br />
contexte et la pratique <strong>dans</strong> son univers <strong>de</strong> sens. Ce n’est que par ce biais d’une<br />
réflexion qui n’adopte pas un angle <strong>de</strong> vue parcellaire, mais au contraire offre un<br />
horizon couvrant l’étendue <strong>de</strong> la matière formelle et informelle, que <strong>les</strong><br />
professionnels pourront retrouver le sens <strong>de</strong> l’ensemble, la cohérence du tout, et, par<br />
là-même redonner à la motivation et à l’engagement leur substantifique moelle. Le<br />
développement <strong>de</strong>s connaissances et la réflexion sur <strong>les</strong> normes et valeurs <strong>de</strong> la<br />
profession doivent permettre <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> l’ineptie d’un système <strong>de</strong> gestion<br />
qui veut calquer sur l’hôpital le modèle entrepreneurial, omettant l’exposition<br />
516
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
permanente à l’aléas qui est propre au travail avec l’humain, et négligeant par la<br />
même occasion le fait que cet humain est un sujet doué <strong>de</strong> parole, et non un sujet<br />
muet (Malherbe, 2001, 2007).<br />
Le risque clairement exprimé, et pour certains déjà <strong>de</strong>venu une réalité, d’une<br />
négation <strong>de</strong> l’humain et d’une réification <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> acteurs du système hospitalier,<br />
convoque <strong>les</strong> professionnels à prendre une responsabilité sans précé<strong>de</strong>nt, à savoir à<br />
défendre leur i<strong>de</strong>ntité, mais aussi l’i<strong>de</strong>ntité et la place <strong>de</strong> l’humain <strong>dans</strong> le système.<br />
Et, là où la tâche semble parfois se rapprocher d’une mission sans espoir, la pratique<br />
réflexive pensée <strong>dans</strong> ces <strong>de</strong>ux dimensions aristotéliciennes <strong>de</strong> la praxis et <strong>de</strong> la<br />
poiesis peut encore fournir <strong>de</strong>s ressources pour faire reculer <strong>les</strong> limites <strong>de</strong><br />
l’impossible, en replaçant le patient au centre du projet non pas ici éducatif, comme<br />
l’évoque Jutras (2010) pour le domaine <strong>de</strong> l’éducation, mais du projet <strong>de</strong> soin. Le soin<br />
est alors conçu comme anthropocentré, et non comme une activité mécanique et<br />
procédurale. La dimension productive <strong>de</strong> la poiesis incarnée <strong>dans</strong> l’acte technique<br />
du soin est contrebalancée et relativisée par rapport à la praxis représentant l’agir<br />
éthique et une action avec une fin en soi.<br />
Ai<strong>de</strong>r à vivre un métier impossible<br />
Ce titre est certes attribué par Perrenoud à la profession enseignante. On peut<br />
néanmoins aisément l’attribuer à la profession soignante, au vu <strong>de</strong>s récriminations<br />
actuel<strong>les</strong> qui la caractérisent. Si, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, et nous ne saurions nous bercer<br />
d’illusions, notre impact sur le contexte économique et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> <strong>soins</strong> présente un empan extrêmement limité, il est en revanche possible <strong>de</strong><br />
penser ce contexte en se plaçant du côté <strong>de</strong>s soignants. Il faut songer à afficher ses<br />
valeurs et affirmer un rôle, mais aussi à développer <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> défense et<br />
prendre en considération toutes <strong>les</strong> modifications qui peuvent être apportées à la<br />
pratique hospitalière, si petites soient-el<strong>les</strong>. La pratique réflexive constitue un espace<br />
privilégié pour une réflexion qui doit être sans cesse renouvelée, car sans cesse<br />
confrontée aux limites du possible et sans cesse en quête <strong>de</strong> sens. Dans cet espace, la<br />
théorie et la pratique s’entrelacent pour se co-construire et générer un sens essentiel à<br />
la motivation (P2).<br />
517
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
À présent, la formation ne peut plus s’engager sur un chemin tout tracé. Il ne<br />
suffit plus <strong>de</strong> transmettre <strong>de</strong>s savoirs que l’on appliquera une fois pour toutes. Ce<br />
mon<strong>de</strong> « problématique » qui est le nôtre brouille <strong>les</strong> pistes et nous place face à une<br />
multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> choix et <strong>de</strong> situations complexes, parfois inextricab<strong>les</strong>. Au cœur <strong>de</strong> ces<br />
situations, le rôle <strong>de</strong> formateur <strong>de</strong>vient davantage celui du gui<strong>de</strong> qui conduit la<br />
réflexion et qui remet à l’étudiante carte et boussole pour qu’il sache, à son tour, faire<br />
face à ce contexte peu avenant et prendre le chemin le plus cohérent pour lui, le<br />
moment venu.<br />
Avec Fabre (2011), nous dirons que tout l’enjeu rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong> « contrer la<br />
figure du <strong>de</strong>stin en ouvrant <strong>les</strong> possib<strong>les</strong> » et <strong>de</strong> conduire <strong>les</strong> étudiants à <strong>de</strong>venir<br />
véritablement <strong>les</strong> architectes du changement. Un changement <strong>de</strong> perception du rôle,<br />
avant tout.<br />
Des avantages et limites <strong>de</strong> l’analyse réflexive<br />
L’analyse réflexive, outre son utilité <strong>dans</strong> la prise en charge <strong>de</strong>s patients et le<br />
développement professionnel personnel, peut donc s’avérer un moment très utile<br />
pour réfléchir, au sein du groupe, aux difficultés <strong>de</strong> la pratique et aux contingences<br />
institutionnel<strong>les</strong>. Sur la base <strong>de</strong> ces réflexions, il est ensuite possible <strong>de</strong> dénoncer ce<br />
qui ne peut plus être considéré comme relevant d’un soin digne <strong>de</strong> ce nom, en<br />
regardant la pratique au travers du prisme <strong>de</strong> la théorie et <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong><br />
et professionnel<strong>les</strong>.<br />
Il faut toutefois être vigilant à ce que la pensée réflexive ne <strong>de</strong>vienne pas une<br />
injonction, comme certains <strong>de</strong> nos interlocuteurs, en particulier <strong>les</strong> enseignants, le<br />
craignent. Avec Demailly (2008), ils craignent que cette obligation à la réflexivité ne<br />
répon<strong>de</strong> à nouveau aux exigences managéria<strong>les</strong> d’efficience et d’efficacité, la<br />
réflexivité jouant alors le rôle d’une évaluation sur une action pouvant être réajustée<br />
et continuellement améliorée. C’est cette tendance que nous trouvons énoncée <strong>dans</strong><br />
l’Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’Infirmier (cf. Annexe 5). Cet<br />
arrêté, qui introduit <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> formations <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré universitaire, présente la<br />
pratique réflexive comme un instrument permettant à l’étudiante d’« évaluer sa<br />
progression ». Dans cette perspective, le formateur doit se centrer sur <strong>de</strong>s exercices<br />
518
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
permettant l’acquisition d’une démarche dont le but est <strong>de</strong> résoudre <strong>les</strong> problèmes <strong>de</strong><br />
<strong>soins</strong> et <strong>de</strong> développer <strong>les</strong> interventions avec une mobilisation <strong>de</strong> compétences<br />
toujours plus rapi<strong>de</strong> et efficace.<br />
Nous sommes là face à une conception très procédurale <strong>de</strong> la formation,<br />
perçue comme un lieu d’entraînement en vue <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong> capacités et <strong>de</strong><br />
comportements adéquats en regard d’attentes externes spécifiques. Il faut être<br />
vigilant à ne pas laisser la formation tomber <strong>dans</strong> un enfermement <strong>de</strong> la pensée,<br />
entièrement soumise à <strong>de</strong>s logiques techno-économiques. La rationalité pratique ne<br />
doit pas obérer la rationalité morale et la nature <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong>, la source <strong>de</strong> ceux-ci.<br />
C’est la question du sens <strong>de</strong> l’activité, en regard d’une compréhension <strong>de</strong> l’humain<br />
qui est en jeu, et la question du comment, c’est-à-dire <strong>de</strong>s moyens pour la réaliser<br />
doit lui rester subordonnée.<br />
Cependant, conscients <strong>de</strong> la nécessité d’une réflexion à plusieurs niveaux,<br />
l’analyse réflexive comporte trop d’avantages pour être délaissée sous prétexte d’une<br />
possible utilisation déviante.<br />
Les entretiens que nous avons menés auprès d’une école qui a introduit cet<br />
outil pédagogique <strong>de</strong>puis plusieurs années, dès le départ <strong>de</strong> la formation et sur toute<br />
sa durée, ont clairement mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> fruits <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong>. En effet, nous<br />
avons pu relever <strong>de</strong>s signes i<strong>de</strong>ntiques chez l’ensemble <strong>de</strong>s étudiantes interrogées<br />
<strong>dans</strong> cette institution ; à savoir une verbalisation <strong>de</strong> leurs valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong> qui témoigne d’une réflexion approfondie, une argumentation<br />
aboutie sur leurs choix en cohérence avec <strong>les</strong> valeurs citées, une capacité <strong>de</strong><br />
distanciation critique, étant capable d’assumer un positionnement argumenté. Il est<br />
évi<strong>de</strong>mment difficile <strong>de</strong> juger <strong>de</strong> la pratique <strong>de</strong> ces étudiants, mais leur engagement,<br />
durant l’entretien, était sans conteste clairement perceptible.<br />
Face au règne <strong>de</strong> la compétence, notion très largement issue <strong>de</strong> ce<br />
mouvement <strong>de</strong> promotion d’une économie <strong>de</strong> marché (Wittorski, 2007), nous faisons<br />
comme nôtres <strong>les</strong> craintes d’Astolfi <strong>de</strong> voir celle-ci se substituer aux savoirs<br />
(Houssaye et Cosnefroy, 2010) <strong>dans</strong> un raccourci fonctionnel mais totalement<br />
réducteur. La pratique réflexive constitue une possibilité extrêmement riche <strong>de</strong><br />
519
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
pouvoir redonner leur place à ces savoirs, pour autant qu’elle s’ouvre aux gran<strong>de</strong>s<br />
questions <strong>de</strong> l’Être.<br />
Cette métho<strong>de</strong> pédagogique répond aux exigences exposées par Jorro (2010),<br />
lorsqu’elle développe l’idée d’un éthos nécessaire au développement professionnel et<br />
mentionne la présence <strong>de</strong> grands processus simultanés qui ren<strong>de</strong>nt ce<br />
développement possible. La pratique réflexive permet en effet <strong>de</strong> répondre à trois<br />
processus essentiels : elle favorise d’abord le processus d’anticipation vers l’univers<br />
professionnel, puis le processus d’engagement qui se doit, toujours selon Jorro, d’être<br />
effectivement initié dès le début <strong>de</strong> la formation, et enfin elle permet au processus<br />
d’incorporation d’être mis en œuvre par l’intégration et la mobilisation <strong>de</strong>s différents<br />
savoirs scientifiques. Très complète puisqu’englobant ces trois dimensions, la<br />
pratique réflexive permet donc la transformation <strong>de</strong> l’acteur en lien avec l’action, la<br />
construction <strong>de</strong> sens et l’ancrage sur la conceptualisation.<br />
Et Clot (2008, p.100) insiste sur l’importance <strong>de</strong>s échanges collectifs aussi<br />
comme moyen <strong>de</strong> lutte pour que <strong>les</strong> soignants puissent conserver leur santé. Selon<br />
lui, « en cherchant à faire parler le métier grâce à la restauration <strong>de</strong> débats<br />
d’école, <strong>de</strong> controverses, et <strong>de</strong> dialogues entre professionnels, nous<br />
réussissons parfois à transformer l’expérience mal vécue en moyen <strong>de</strong> vivre<br />
d’autres expériences ». Il s’agit <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s expériences passées, <strong>de</strong>s leviers<br />
permettant <strong>de</strong> transformer le futur.<br />
Le principal risque est finalement <strong>de</strong> tomber <strong>dans</strong> le piège d’une valorisation<br />
excessive <strong>de</strong> l’activité au détriment <strong>de</strong> la pensée. Et nous reprendrons là l’opposition<br />
wébérienne pour souligner la nécessité <strong>de</strong> partir d’une réflexion et <strong>de</strong><br />
comportements qui soient, certes, orientés vers une finalité, un but concret<br />
(Zweckrationalität), mais également orientés vers la dimension plus globale <strong>de</strong><br />
l’humanité et <strong>de</strong>s valeurs qui s’y rapportent et donnent sens à son existence et à son<br />
<strong>de</strong>venir (Wertrationalität) (Boudon, 1999).<br />
Sans cette réflexion plus générale et une remise en question s’exerçant par le<br />
jugement au sens philosophique du terme, la « paresse <strong>de</strong> l’esprit » peut conduire<br />
à oublier que la pratique s’ancre <strong>dans</strong> un univers plus large <strong>de</strong> la relation humaine<br />
qui porte en elle le sens <strong>de</strong> toute action. Il ne s’agit pas d’opposer la connaissance<br />
520
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
spécifique à la connaissance universelle, mais d’être bien conscients que la première<br />
est totalement assujettie à la secon<strong>de</strong>. Et même si Platon <strong>dans</strong> l’Apologie <strong>de</strong> Socrate<br />
reconnaît aux artisans une sagesse pratique que lui-même ignore, faisant <strong>de</strong> cet « agir<br />
en compétence » une source <strong>de</strong> savoir réel, il s’empresse néanmoins d’en montrer <strong>les</strong><br />
limites. Et, surtout, Platon entrevoit le danger <strong>de</strong> voir cette connaissance se prévaloir<br />
d’exhaustivité et porter atteinte à la vraie sagesse, <strong>de</strong> la recherche du Bien pour<br />
l’humanité (Apologie, 22 d).<br />
Par le biais <strong>de</strong> la réflexion sur la pratique durant la formation, c’est la<br />
construction d’une assertivité qui est rendue possible et par laquelle l’individu va<br />
être capable <strong>de</strong> s’engager et <strong>de</strong> s’affirmer tout en respectant <strong>les</strong> autres autour <strong>de</strong> lui,<br />
<strong>de</strong> défendre son point <strong>de</strong> vue et ses valeurs sans renier ceux <strong>de</strong> ses interlocuteurs.<br />
Si l’enseignement se base sur <strong>de</strong>s outils qui tiennent compte <strong>de</strong> la complexité du<br />
mon<strong>de</strong> professionnel et <strong>de</strong> son embourbement <strong>dans</strong> la logique <strong>de</strong> l’efficience, en<br />
démontrant la nécessité d’une posture réfléchie, argumentée et affirmée, il ne pourra<br />
pas être reproché aux futurs professionnels <strong>de</strong> se prévaloir uniquement <strong>de</strong> pures<br />
théories scientifiques déconnectées du réel, pas plus que l’on ne pourra <strong>les</strong> accuser <strong>de</strong><br />
se baser uniquement sur un savoir expérientiel sans substance. L’alliance <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux,<br />
nourrie par un enracinement <strong>dans</strong> un socle <strong>de</strong> valeurs communes à la profession et<br />
une éthique <strong>de</strong> l’Être, est ce qui permettra <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> réel<strong>les</strong><br />
compétences <strong>de</strong>s infirmières et <strong>de</strong> <strong>les</strong> affirmer publiquement.<br />
La formation constitue donc le terreau par excellence d’un engagement qui<br />
est capable <strong>de</strong> s’incarner <strong>dans</strong> une prise <strong>de</strong> position publique, une action politique et<br />
médiatique, et une contribution à la sensibilisation <strong>de</strong> la population (Dallaire, 2008).<br />
En tout premier lieu, elle doit contribuer à faire prendre connaissance <strong>de</strong> principes<br />
ou <strong>de</strong> lois souvent ignorés, comme le fait d’oser être objecteur <strong>de</strong> conscience dont<br />
nous avons entendu parler pour la première fois lors <strong>de</strong> nos entretiens. Après la prise<br />
<strong>de</strong> conscience, c’est la communication vers l’extérieur qui doit être au centre <strong>de</strong>s<br />
préoccupations. L’importance <strong>de</strong> la recherche, s’appuyant parfois sur la preuve<br />
scientifique mais aussi et surtout sur la praxis <strong>de</strong> la profession, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong><br />
vertus <strong>de</strong> l’écriture et le poids <strong>de</strong> la narration <strong>de</strong> l’activité, sont autant d’éléments qui<br />
521
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
peuvent ai<strong>de</strong>r la profession à être mieux reconnue (Kérouac et al., 2010), et le vécu<br />
<strong>de</strong>s soignants à être mieux pris en considération. Il nous appartient donc <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r<br />
nos étudiants vers le développement <strong>de</strong> ces ressources essentiel<strong>les</strong>. Pour l’exprimer<br />
<strong>de</strong> manière plus prosaïque, <strong>de</strong> formateurs que nous étions, nous <strong>de</strong>venons <strong>de</strong> plus en<br />
plus <strong>de</strong>s accompagnateurs sur le chemin d’un <strong>de</strong>venir professionnel dont l’étudiante<br />
reste seule le maître. Il appartient à l’enseignant d’accompagner l’étudiante vers une<br />
connaissance plus large, celle <strong>de</strong> la carte <strong>dans</strong> laquelle ce chemin se trouve situé. Le<br />
chemin ne prend sens qu’en rapport avec ce qui l’entoure, <strong>de</strong> même que le <strong>de</strong>venir<br />
professionnel d’un individu ne prend sens qu’en regard du mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> lequel il<br />
s’inscrit.<br />
Le souci <strong>de</strong> soi est donc bien l’étape à considérer en premier <strong>dans</strong> la<br />
construction d’un engagement sain. S’il est une forme <strong>de</strong> maïeutique visant à faire<br />
émerger nos valeurs <strong>les</strong> plus profon<strong>de</strong>s, le souci <strong>de</strong> soi est loin d’inciter l’individu à<br />
s’éloigner du mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> un cheminement introspectif répondant à une exigence <strong>de</strong><br />
solitu<strong>de</strong>. Il constitue au contraire un « intensificateur <strong>de</strong>s relations socia<strong>les</strong> »<br />
(Foucault, 2001, p.517) et un « principe régulateur <strong>de</strong> l’activité, <strong>de</strong> notre rapport<br />
au mon<strong>de</strong> et aux autres » (Foucault, 2001, p.519). Cette introspection permet <strong>de</strong><br />
construire son édifice professionnel sur le roc <strong>de</strong>s valeurs profon<strong>de</strong>s, et non sur le<br />
sable mouvant d’un fonctionnalisme dépourvu <strong>de</strong> sens. Mais elle est également, et<br />
peut être avant tout, une ai<strong>de</strong> à la connaissance <strong>de</strong> soi comme légitimation à sortir du<br />
« soi niant » hérité du passé vocationnel <strong>de</strong>s sœurs <strong>de</strong> charité, et du « soi nié »<br />
favorisé par le contexte d’exercice, pour <strong>de</strong>venir un soignant réfléchi, capable <strong>de</strong><br />
s’adapter à un mon<strong>de</strong> complexe, conscient <strong>de</strong> ses limites et apte à soutenir un<br />
dialogue intérieur <strong>de</strong> type axiologique. Cette prise en considération <strong>de</strong>s valeurs n’est<br />
pas une option, elle <strong>de</strong>vient un phénomène incontournable à un moment <strong>de</strong><br />
l’évolution sociétale où <strong>les</strong> valeurs, enserrées <strong>dans</strong> le relativisme, per<strong>de</strong>nt leur valeur.<br />
Le caractère anxiogène du mon<strong>de</strong> du travail, <strong>les</strong> questions sans réponses et <strong>les</strong><br />
gran<strong>de</strong>s interrogations quant à l’avenir, placent <strong>les</strong> jeunes face à un <strong>de</strong>stin très<br />
inconfortable, <strong>dans</strong> lequel ils doivent pouvoir se projeter en y trouvant du sens.<br />
La quête <strong>de</strong> sens prend <strong>de</strong>s proportions considérab<strong>les</strong> comme le montrent nos<br />
522
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
résultats, aussi bien quantitatifs que qualitatifs. Cette réalité est à souligner et<br />
constitue aussi pour nous une chance <strong>de</strong> pouvoir rejoindre <strong>les</strong> étudiants, au travers<br />
<strong>de</strong> leurs valeurs, qui fon<strong>de</strong>nt le projet humain. Comme le montre Bobineau (2010a),<br />
<strong>les</strong> jeunes s’éloignent <strong>de</strong> la logique d’appartenance qui induisait un engagement <strong>de</strong><br />
facto, pour s’orienter vers une recherche personnelle <strong>de</strong> sens. Si celui-ci leur apparaît<br />
clairement, ils sont alors prêts à investir beaucoup. Travailler durant la formation sur<br />
cette notion <strong>de</strong> sens, permet <strong>de</strong> travailler l’engagement par la même occasion. C’est<br />
aussi le moyen <strong>de</strong> contrecarrer <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> retrait et d’indifférence, résultant non<br />
d’un désintérêt mais représentant un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> réponse à <strong>de</strong>s risques encourus<br />
(Gauchet, 2002), ainsi qu’un mécanisme d’autoprotection (Giraud, 2003).<br />
Même si la perte <strong>de</strong> sens est perçue par <strong>de</strong> nombreuses personnes, <strong>les</strong><br />
éléments argumentés pour tenter <strong>de</strong> le retrouver s’inscrivent pour une très large<br />
majorité <strong>dans</strong> la logique <strong>de</strong> l’action et <strong>dans</strong> le registre du faire. La réflexion plus<br />
générale sur le sens comme explication <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong>s rapports à l’humanité reste<br />
largement absente.<br />
Il faut éviter que l’on puisse retrouver <strong>de</strong>s soignants qui sembleraient agir en<br />
analogie avec le système, c’est-à-dire <strong>de</strong>s personnes désengagées, happées par le<br />
processus <strong>de</strong> déshumanisation, au même titre que le système <strong>dans</strong> lequel el<strong>les</strong> sont<br />
immergées.<br />
L’engagement, s’il est un puissant catalyseur pour la qualité <strong>de</strong> la prise en<br />
charge, est également une source puissante <strong>de</strong> motivation et <strong>de</strong> satisfaction<br />
personnelle qui puise <strong>dans</strong> le sens <strong>de</strong> l’existence. Il a donc un double effet, vers<br />
l’extérieur <strong>dans</strong> le travail accompli, et vers soi, <strong>dans</strong> l’affirmation d’une i<strong>de</strong>ntité<br />
personnelle et professionnelle.<br />
523
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
524
CONCLUSION GÉNÉRALE<br />
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Cette recherche visait à montrer la pertinence <strong>de</strong> développer un<br />
accompagnement pédagogique spécifique à la construction <strong>de</strong> l’engagement<br />
professionnel <strong>de</strong>s étudiants et étudiantes en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, sous un angle éthique et<br />
comme facteur favorisant <strong>de</strong> la construction i<strong>de</strong>ntitaire professionnelle. Bien<br />
évi<strong>de</strong>mment ce travail n’a pas la prétention <strong>de</strong> constituer une réponse définitive,<br />
mais il représente, selon nous, une <strong>de</strong>s pistes d’exploration possib<strong>les</strong> <strong>de</strong> la<br />
problématique.<br />
Étudier l’engagement relève d’une entreprise délicate tant le concept est<br />
complexe et s’inscrit <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s paradigmes différents. Penser l’engagement, qui plus<br />
est <strong>dans</strong> sa dimension éthique, au cœur <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, rajoute encore à la<br />
complexité. Nous avons donc choisi <strong>de</strong> réaliser cette étu<strong>de</strong> en commençant par un<br />
double approfondissement théorique. La première partie théorique nous a permis <strong>de</strong><br />
bien situer <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, leur histoire, <strong>les</strong> différentes philosophies qui <strong>les</strong><br />
animent, le contexte actuel <strong>de</strong> leur mise en pratique, ainsi que <strong>les</strong> aspects éthiques<br />
étroitement liés à la profession, tant <strong>dans</strong> la dimension du soin, que <strong>dans</strong> la<br />
dimension relationnelle ou <strong>de</strong> rencontre avec <strong>les</strong> étapes diffici<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’existence. Ces<br />
réflexions sur <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et l’éthique ont ensuite été considérées <strong>dans</strong> le<br />
cadre <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s infirmières et <strong>infirmiers</strong>. L’impact <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et <strong>de</strong> la<br />
formation sur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle et professionnelle <strong>de</strong>s futurs soignants a été<br />
souligné. La secon<strong>de</strong> partie, quant à elle, a servi avant tout à mieux cerner la notion-<br />
même d’engagement, ainsi que tous <strong>les</strong> concepts qui lui sont proches et qui occupent<br />
une position d’influence par rapport à cette notion.<br />
Notre souhait d’examiner <strong>les</strong> possibilités d’un accompagnement à la<br />
construction <strong>de</strong> l’engagement durant la formation s’est trouvé confronté à cette<br />
complexité du phénomène et nous a encouragée à esquisser un modèle convoquant<br />
<strong>les</strong> différents paramètres qu’il nous semble indispensable <strong>de</strong> prendre en compte en<br />
vue <strong>de</strong> cet accompagnement. Notre recherche aura permis <strong>de</strong> mieux cerner la notion<br />
d’engagement, mais également <strong>de</strong> savoir si ce modèle est pertinent et si, le cas<br />
échéant, il doit faire l’objet <strong>de</strong> modifications.<br />
525
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Forte <strong>de</strong>s différents bagages conceptuels rassemblés ainsi que d’une phase<br />
exploratoire <strong>de</strong> sept entretiens, nous avons mis sur pied une méthodologie <strong>de</strong> recueil<br />
et d’analyse <strong>de</strong> données, <strong>dans</strong> une approche à la fois compréhensive et<br />
herméneutique, pour tenter d’apporter <strong>de</strong>s réponses à nos hypothèses ci-<strong>de</strong>ssous et<br />
juger <strong>de</strong> la pertinence du modèle esquissé.<br />
Hypothèses :<br />
L’engagement, tant professionnel que personnel, n’est pas abordé<br />
explicitement durant la formation, ni sous l’angle théorique ni sous<br />
l’angle éthique.<br />
L’engagement professionnel ne peut se développer et se maintenir<br />
sur la durée que si l’étudiante, puis le professionnel, trouvent un sens<br />
à sa pratique.<br />
Le sens <strong>de</strong> l’engagement est prétérité : par l’inadéquation <strong>de</strong> la<br />
pratique avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong>, par l’écart entre l’idéal <strong>de</strong> la<br />
prise en soin et la prise en soin réelle, ainsi que par <strong>les</strong> conditions<br />
d’exercice.<br />
La formation peut ai<strong>de</strong>r l’étudiante à construire le sens <strong>de</strong> sa pratique<br />
et son i<strong>de</strong>ntité professionnelle malgré <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail<br />
diffici<strong>les</strong>.<br />
La formation peut contribuer, par le biais d’un travail sur <strong>les</strong> valeurs,<br />
<strong>les</strong> ressources et <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong>, à ai<strong>de</strong>r l’étudiante à<br />
développer un engagement sain et durable.<br />
Par un dispositif d’enquête utilisant trois métho<strong>de</strong>s distinctes, nous avons<br />
tenté <strong>de</strong> cerner la problématique <strong>de</strong> la manière la plus exhaustive possible. Une<br />
première étape quantitative nous a permis d’obtenir <strong>de</strong>s données généra<strong>les</strong>, pour la<br />
plupart factuel<strong>les</strong>, mais pour certaines aussi personnel<strong>les</strong>, voire presque intimes,<br />
permettant d’établir <strong>de</strong>s comparaisons et <strong>de</strong> dresser un tableau, une sorte <strong>de</strong><br />
photographie du phénomène.<br />
La <strong>de</strong>uxième étape, constituée d’entretiens semi-directifs réalisés auprès <strong>de</strong> 44<br />
526
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
étudiants, enseignants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et praticiens formateurs (infirmières et<br />
<strong>infirmiers</strong> encadrant <strong>les</strong> étudiantes en stage), nous a permis d’appréhen<strong>de</strong>r la<br />
compréhension qu’ont <strong>les</strong> différentes personnes <strong>de</strong> leur engagement et <strong>de</strong> ce qui le<br />
stimule ou au contraire le freine. Dans une troisième phase, nous avons choisi <strong>de</strong><br />
compléter cette palette <strong>de</strong> résultats très large et diversifiée par une <strong>de</strong>rnière étape<br />
d’analyse linéaire effectuée en profon<strong>de</strong>ur pour six entretiens, soit <strong>de</strong>ux entretiens<br />
<strong>dans</strong> chacune <strong>de</strong>s trois populations.<br />
Limites et pertinence <strong>de</strong> la recherche<br />
De façon générale, la recherche menée a permis d’atteindre <strong>les</strong> objectifs fixés au<br />
départ et qui étaient <strong>les</strong> suivants :<br />
Mettre en évi<strong>de</strong>nce le rôle central <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’infirmière en<br />
formation et sa dimension éthique <strong>dans</strong> la relation à l’Autre, tout<br />
particulièrement <strong>dans</strong> la relation à cet Autre vulnérable qui est le<br />
bénéficiaire <strong>de</strong> soin ;<br />
Examiner <strong>les</strong> concepts voisins qui permettent <strong>de</strong> mieux cerner la notion et<br />
qui pourraient être mobilisés <strong>dans</strong> la construction d’un enseignement sur le<br />
sujet ;<br />
Mettre en relief le bien-fondé d’un enseignement spécifique et structuré sur<br />
le sujet <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> une perspective d’amélioration<br />
<strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, <strong>de</strong> satisfaction au travail, <strong>de</strong> motivation, mais également <strong>de</strong><br />
construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />
Les limites <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nt néanmoins <strong>dans</strong> la complexité du phénomène<br />
<strong>de</strong> l’engagement, en particulier lorsqu’il est associé à la profession infirmière et à<br />
l’histoire qu’elle véhicule, mais également <strong>dans</strong> la pluralité <strong>de</strong>s concepts qu’il<br />
convoque et <strong>de</strong>s paradigmes qu’il interpelle. Nous avons tenté <strong>de</strong> <strong>les</strong> prendre en<br />
considération, sans toutefois oser prétendre à l’exhaustivité. Par ailleurs, l’approche<br />
du phénomène <strong>de</strong> l’engagement s’est trouvée influencée par <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail<br />
<strong>de</strong>s infirmières. Ces conditions constituent un terreau particulier dont <strong>les</strong> inci<strong>de</strong>nces<br />
sont parfois très importantes. En effet, comme nous avons pu le constater,<br />
527
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
l’engagement <strong>dans</strong> le contexte professionnel actuel comporte <strong>de</strong>s certains risques, et<br />
nous avons pu relever maintes conséquences négatives, tel<strong>les</strong> <strong>les</strong> situations<br />
d’épuisement qui nous ont été relatées. Si certains traits <strong>de</strong> personnalité ainsi qu’une<br />
fragilité psychologique ou <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> vie diffici<strong>les</strong> sont <strong>de</strong>s éléments<br />
susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong> favoriser l’épuisement, ce <strong>de</strong>rnier ne saurait être attribué uniquement<br />
à <strong>de</strong>s facteurs individuels. Les paramètres contextuels accentuent largement la<br />
problématique, jusqu’à la rendre préoccupante. L’engagement en subit <strong>les</strong><br />
répercussions, soit en termes <strong>de</strong> conséquences négatives, soit <strong>dans</strong> l’hésitation <strong>de</strong>s<br />
professionnels à habiter <strong>de</strong>s postures d’engagement qui pourraient se révéler<br />
préjudiciab<strong>les</strong>. Cette recherche a permis <strong>de</strong> rendre visib<strong>les</strong> <strong>de</strong>s facteurs pluriels ayant<br />
un impact sur l’engagement ou non <strong>de</strong>s personnes et ses effets. Le bien-fondé d’une<br />
réflexion approfondie sur le sujet a donc été largement démontré, un sujet dont la<br />
pertinence n’a eu cesse <strong>de</strong> transparaître au travers <strong>de</strong>s entretiens et <strong>de</strong>s rencontres,<br />
tant avec <strong>les</strong> étudiants qu’avec <strong>les</strong> enseignants et <strong>les</strong> praticiens. Parce qu’il préoccupe<br />
l’ensemble <strong>de</strong>s acteurs du soin et <strong>de</strong> la formation aux <strong>soins</strong>, et parce qu’il constitue<br />
l’un <strong>de</strong>s ciments unificateurs principaux <strong>de</strong> la profession, une attention toute<br />
particulière doit être apportée à l’engagement, en particulier <strong>dans</strong> sa dimension<br />
éthique.<br />
Et si <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> ce travail ont pu démontrer que cette notion n’est quasiment<br />
pas abordée, en tout cas pas directement, durant la formation, mais bien davantage<br />
considérée comme un « allant <strong>de</strong> soi », nous pouvons affirmer, à l’instar <strong>de</strong> Bobineau<br />
(2010a), que l’engagement mérite d’être étudié et développé sous la double<br />
configuration, théorique et éthique. Au terme <strong>de</strong> cette recherche, nous pensons avoir<br />
mis en évi<strong>de</strong>nce le caractère essentiel <strong>de</strong> cette notion pour la profession infirmière, et<br />
au-<strong>de</strong>là pour la société <strong>dans</strong> son ensemble.<br />
D’un côté, l’apport théorique, à la fois <strong>de</strong> large spectre mais également<br />
approfondi que procure cette analyse, offre la possibilité <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong><br />
dimensions conceptuel<strong>les</strong> et pragmatiques <strong>de</strong> cette notion ainsi que <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong><br />
sa mise en œuvre en situation. De l’autre, <strong>les</strong> résultats obtenus et <strong>les</strong> réflexions qu’ils<br />
ont suscitées sur la nature profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> cet engagement ancré <strong>dans</strong> un tissu <strong>de</strong><br />
références axiologiques, el<strong>les</strong>-mêmes enracinées <strong>dans</strong> une humanité, ont rendu<br />
528
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
possible la perspective idiosyncrasique <strong>de</strong> cette notion, en particulier <strong>dans</strong> un<br />
cheminement réflexif sur soi et son histoire, tout autant qu’ils ont rendu visible le<br />
contexte social <strong>dans</strong> lequel l’engagement s’incarne avec ses limites et ses dangers. Un<br />
bref survol <strong>de</strong>s principaux résultats, organisés par thèmes ci-après, permet <strong>de</strong> rendre<br />
compte <strong>de</strong>s éléments centraux mis en exergue <strong>dans</strong> cette recherche.<br />
Engagement et sens, un lien d’apparence évi<strong>de</strong>nt<br />
Si la quasi-totalité <strong>de</strong>s participants à la recherche, voire la totalité s’accor<strong>de</strong> à<br />
reconnaître que l’essence même <strong>de</strong> la profession, c’est le rapport à l’humain, en<br />
particulier à celui qui est en souffrance, nécessitant qu’on lui accor<strong>de</strong> un soin<br />
réparateur ou en tout cas bienfaisant, <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> l’altérité sont alors à privilégier.<br />
C’est <strong>dans</strong> cette altérité et cette prise en considération <strong>de</strong> la souffrance du prochain<br />
que la majorité <strong>de</strong>s soignants explique trouver le sens profond <strong>de</strong> leur activité. Or<br />
l’engagement est tributaire du sens, nous dit Bobineau (2010a). Il en constitue le<br />
principe fondateur essentiel sans lequel s’engager <strong>de</strong>vient un non-sens. Il y a donc<br />
lieu <strong>de</strong> souligner l’importance du sens, même si elle relève d’une évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s plus<br />
bana<strong>les</strong>, et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r à l’esprit que l’altruisme constitue le principal sens et donc le<br />
principal moteur d’engagement pour <strong>les</strong> soignants. Ils sont unanimes à dire que,<br />
lorsque le sens est là, il se mue en une gran<strong>de</strong> source d’épanouissement qui s’incarne<br />
souvent <strong>dans</strong> un agir <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’engagement. Alors que, a contrario, si l’intérêt<br />
d’une activité n’est pas perceptible, la démotivation et le désengagement guettent.<br />
Le sens revêt un caractère d’autant plus essentiel qu’il est aussi le grand laissé<br />
pour compte d’une société en manque <strong>de</strong> repères (Taylor, 2002). Différents auteurs<br />
affirment que <strong>les</strong> jeunes sont en quête <strong>de</strong> sens, ce que confirment professionnels et<br />
enseignants. La perte <strong>de</strong>s repères (<strong>de</strong> Gaulejac, 2011), la dialectique entre certitu<strong>de</strong>s<br />
et incertitu<strong>de</strong>s (Morin, 2000) et <strong>les</strong> angoisses face à un len<strong>de</strong>main précaire (Castel,<br />
2009) sont autant <strong>de</strong> facteurs qui conduisent <strong>les</strong> jeunes à s’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> moins à<br />
moins à une corporation ou à une institution, mais davantage à chercher le sens <strong>dans</strong><br />
l’activité elle-même et le rapport aux autres, au sein d’un espace confiné (Bobineau,<br />
2010a).<br />
529
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Or ce sens entrevu au travers du prisme <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong> se trouve <strong>de</strong> plus en plus mis en déroute par la nature <strong>de</strong> l’activité<br />
elle-même et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> son émergence. Ces champs <strong>de</strong> tension entre l’idéal et<br />
le réel <strong>de</strong>viennent fréquemment <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong> frustration qui occasionnent une<br />
perte <strong>de</strong> sens. Un sens qui réunit <strong>les</strong> enjeux individuel et collectif.<br />
Le sens, inscription d’une singularité <strong>dans</strong> un collectif<br />
Penser le sens et le promouvoir s’avère aussi avoir un double enjeu sur le plan<br />
éthique. On relèvera tout d’abord l’enjeu inhérent à une profession dont l’autrui<br />
représente le cœur <strong>de</strong> l’activité, mais on évoquera également l’enjeu afférent à<br />
l’équilibre précaire <strong>de</strong> l’activité soignante qui assiste à un face à face toujours plus<br />
acerbe entre <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la personne et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> son exercice professionnel.<br />
Comme nous l’avons vu, l’engagement est très intimement lié à la notion <strong>de</strong><br />
sens qui en constitue la source et lui offre <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> son épanouissement.<br />
Dans <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, nous avions mis en évi<strong>de</strong>nce le nécessaire équilibre entre,<br />
d’un côté, <strong>les</strong> motivations et intérêts personnels investis <strong>dans</strong> l’activité et, <strong>de</strong> l’autre,<br />
la nature <strong>de</strong>s tâches à effectuer, le rôle prescrit et <strong>les</strong> conditions <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il<br />
s’exerce. Or la confrontation <strong>de</strong> nos résultats avec la littérature nous a amenée à<br />
constater une proximité entre ce binôme constituant <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> <strong>de</strong> la balance<br />
<strong>dans</strong> notre modèle, et le binôme déjà évoqué par Aristote lorsque celui-ci examine la<br />
notion <strong>de</strong> travail (Imbert, 2000). En effet, le pôle <strong>de</strong> la tâche prescrite, <strong>de</strong> l’activité<br />
technicisée, instrumentée, orientée vers la finalité, n’est autre que celui <strong>de</strong> la poiesis<br />
chez Aristote. Il s’agit <strong>de</strong> l’action <strong>dans</strong> sa visée productive. En revanche, le pôle <strong>de</strong> la<br />
motivation correspond davantage à la praxis aristotélicienne, c’est-à-dire à une<br />
action ayant pour fin l’accomplissement du bien, dont l’homme est le principe avec<br />
sa pensée. C’est une action qui s’inscrit <strong>dans</strong> l’histoire singulière d’un individu<br />
appartenant à un collectif, et plus globalement encore à l’humanité. La praxis<br />
représente l’action humaine comme agir moral (Blon<strong>de</strong>au, 1999). En ce sens la praxis<br />
est une valeur avec un ancrage fondamental <strong>de</strong> la visée <strong>de</strong> la « vie bonne », alors que<br />
la poiesis est activité et « là où l’activité est elle-même sa propre fin, ce qui<br />
prévaut, c’est l’activité » (Imbert, 2000). Dans la poiesis, le but est externe à<br />
530
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
l’individu, tandis que, <strong>dans</strong> la praxis, il est interne à la personne. Pour Sainsaulieu<br />
(2003, p.33), la centration sur la poiesis est dangereuse, car « en plus <strong>de</strong> risquer <strong>de</strong><br />
décourager le personnel hospitalier, la rationalité purement instrumentale<br />
risque <strong>de</strong> faire mentir l’hôpital sur ses missi ons et <strong>les</strong> hospitaliers risquent <strong>de</strong><br />
trahir le patient ». Dans la logique <strong>de</strong> rentabilité et <strong>de</strong> performance qui prévaut<br />
actuellement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, le pôle <strong>de</strong> la praxis se voit <strong>de</strong> plus en plus délaissé au<br />
profit d’une action productive, quantifiable et efficace. La technique prend le pas sur<br />
la relation et le rôle prescrit sur le rôle autonome. Il y a donc un enjeu d’éthique<br />
professionnelle <strong>dans</strong> <strong>les</strong> difficultés contextuel<strong>les</strong> que rencontrent <strong>les</strong> soignants, la<br />
rationalisation <strong>de</strong>venant source <strong>de</strong> tensions téléologiques divergentes, selon que l’on<br />
se place du côté <strong>de</strong>s gestionnaires ou <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s soignants. Car contrairement à une<br />
focalisation sur l’activité technique, l’ouverture à la praxis permet à la personne<br />
d’évoluer, <strong>de</strong> se développer, en lien avec ses aspirations, vers un accomplissement<br />
personnel qui à son tour va stimuler l’engagement.<br />
La dimension téléologique <strong>de</strong> l’activité, parce qu’elle interpelle le sujet au plus<br />
profond <strong>de</strong> ce qu’il est, rend nécessaire le souci <strong>de</strong> soi associé au précepte <strong>de</strong>lphique<br />
<strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi qui permettent d’être au clair avec ses aspirations et ses<br />
valeurs, condition préalable, pour Platon, à l’ouverture et à la connaissance <strong>de</strong>s<br />
autres. L’incompréhension <strong>de</strong> soi entraînant souvent une incompréhension d’autrui<br />
(Morin, 2000).<br />
Cette introspection, le retour sur soi <strong>dans</strong> le sens <strong>de</strong> la metanoia grecque avec<br />
la mise en réflexion <strong>de</strong> sa posture et <strong>de</strong> son inscription <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> professionnel,<br />
est d’autant plus importante chez l’étudiante qui entre <strong>dans</strong> un univers encore<br />
inconnu pour elle, et qui va solliciter tout son être intérieur. Le souci <strong>de</strong> soi n’est pas<br />
mise à l’écart du mon<strong>de</strong> mais bien au contraire préparation au mon<strong>de</strong> et à la place<br />
que l’on est appelé à y jouer. Il constitue donc un principe régulateur <strong>de</strong> l’activité<br />
<strong>dans</strong> notre rapport au mon<strong>de</strong> et aux autres. Il constitue l’activité, lui donne sa mesure<br />
et sa forme, et même l’intensifie. (Foucault, 2001, p.519).<br />
Cette démarche réflexive permet à l’étudiante <strong>de</strong> s’affranchir <strong>de</strong>s<br />
représentations et pensées toutes faites, <strong>de</strong> faire le partage, la discriminatio , c’est-à-<br />
dire <strong>de</strong> discerner ce qui a réellement <strong>de</strong> la valeur et justifie son engagement, <strong>de</strong> faire<br />
531
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>de</strong>s choix autonomes et réfléchis portés par un « horizon <strong>de</strong> sens nécessaire à tout<br />
acte qui se veut libre » (Moreau citant Renaut, 2012, p.252), en un mot <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir<br />
une citoyenne raisonnée et raisonnable, consciente du mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> lequel elle vit, <strong>de</strong><br />
ses pluralités, <strong>de</strong> ses antagonismes et <strong>de</strong> ses ressources, tout en sachant s’affirmer<br />
par une position assumée et engagée. Loin d’un narcissisme qui répondrait à une<br />
hypertrophie du Moi, cette démarche introspective constitue une philosophie <strong>de</strong> vie<br />
morale, nécessaire à l’acceptation <strong>de</strong> l’Autre <strong>dans</strong> sa différence et à l’appréhension <strong>de</strong><br />
la complexité humaine (Morin, 2000).<br />
Dans la formation, l’étudiante se trouve confrontée à <strong>de</strong>ux processus que l’on<br />
pourrait penser contradictoires <strong>de</strong> prime abord, mais qui, <strong>de</strong> fait, sont<br />
complémentaires ; le processus <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi d’un côté et le développement<br />
d’une posture scientifique pour défendre la profession <strong>de</strong> l’autre. Le développement<br />
d’un raisonnement théoriquement ancré et éthiquement fondé va lui permettre <strong>de</strong><br />
trouver à la fois une pertinence pragmatique, une efficacité pratique, un sens éthique<br />
et une crédibilité publique.<br />
Il s’agit d’une lecture à la fois synchronique et diachronique. Dans ce<br />
processus <strong>de</strong> réflexion sur soi, l’étudiante procè<strong>de</strong> à une méta-analyse <strong>de</strong> son agir<br />
personnel en situation, <strong>de</strong> même qu’à une observation <strong>de</strong> sa posture personnelle<br />
globale <strong>dans</strong> la profession, et du rôle qu’elle est appelé à y jouer. C’est donc son<br />
i<strong>de</strong>ntité même, qui va être interpellée au travers <strong>de</strong> ces réflexions.<br />
Le chemin introspectif est un moyen <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> sources <strong>de</strong><br />
tension rencontrées <strong>dans</strong> la pratique et parfois <strong>de</strong> <strong>les</strong> dépasser ou <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire évoluer.<br />
Comme l’explique Honneth (2007, p.24),<br />
« c’est un processus <strong>de</strong> formation <strong>dans</strong> lequel <strong>les</strong> sujets peuvent se<br />
reconnaître eux-mêmes individuellement et collectivement comme <strong>de</strong>s<br />
sujets <strong>de</strong> l’action, construisant l’histoire, grâce à l’expérience qu’ils<br />
font d’eux-mêmes <strong>dans</strong> le produit <strong>de</strong> leur travail ».<br />
C’est ici que le souci <strong>de</strong> soi, en ouvrant la porte à la composante éthique et à<br />
l’examen <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong>, constitue une approche extrêmement favorable à<br />
la quête <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> la pratique. Sans cette démarche d’introspection et <strong>de</strong> réflexion<br />
532
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
sur <strong>les</strong> valeurs, il y a le risque qu’un processus contreproductif s’installe et nuise au<br />
développement <strong>de</strong> l’engagement, en suscitant chez le professionnel un<br />
comportement réfractaire envers un contexte <strong>de</strong> travail difficile, <strong>dans</strong> lequel il lui<br />
parait inconcevable <strong>de</strong> voir s’épanouir ses motivations profon<strong>de</strong>s, donc d’y trouver<br />
un sens réel.<br />
Nous avons pris pleinement conscience <strong>de</strong> cette dimension du sens et <strong>de</strong> sa<br />
signification en confrontant nos résultats avec la littérature. Si nous avions bien perçu<br />
l’importance <strong>de</strong> cette catégorie pour notre objet, nous n’avions en revanche pas<br />
complètement discerné <strong>les</strong> différences sémantiques qui imprègnent cette notion <strong>de</strong><br />
« sens » selon la perspective que l’on adopte.<br />
En effet, nous avons pu constater que le terme « sens » peut certes être<br />
compris comme nous l’entendions précé<strong>de</strong>mment, c’est-à-dire comme signification,<br />
une signification qui convoque à un niveau d’abstraction important, qui est celui <strong>de</strong><br />
l’Être et <strong>de</strong> son vécu <strong>dans</strong> l’histoire humaine. Mais il peut être également compris<br />
comme direction, c’est-à-dire comme finalité. Et <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> nos entretiens ont<br />
clairement montré cette dichotomie entre une vision gestionnaire <strong>de</strong> l’activité basée<br />
avant tout sur le sens comme finalité, tandis que le sens entendu par le professionnel,<br />
vecteur <strong>de</strong> ses motivations et <strong>de</strong> son engagement, s’apparentait davantage à la<br />
signification <strong>dans</strong> sa portée humaine avec son inscription <strong>dans</strong> le collectif<br />
professionnel et son histoire.<br />
Et cette double dimension du « sens » nous ramène à l’opposition<br />
précé<strong>de</strong>mment relevée entre la praxis comme agir moral selon un idéal<br />
professionnel, et la poiesis comme action productive encouragée par une économie<br />
marchan<strong>de</strong> soucieuse <strong>de</strong>s résultats.<br />
En regard <strong>de</strong> ces logiques différentes que l’étudiante va être appelée à<br />
rencontrer <strong>dans</strong> sa pratique, la mise en réflexion s’avère d’autant plus indispensable.<br />
Ce cheminement ne saurait cependant s’inscrire uniquement <strong>dans</strong> un parcours<br />
individuel mais doit s’ouvrir à une réflexion éthique <strong>de</strong> nature plus fondamentale,<br />
comme valorisation <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> discernement historiquement ancrée et intégrée<br />
à un espace dialogique.<br />
Cet espace est le lieu permettant <strong>de</strong> réfléchir et <strong>de</strong> questionner <strong>les</strong> logiques<br />
533
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
managéria<strong>les</strong>, organisationnel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> enjeux <strong>de</strong> pouvoir, <strong>les</strong> représentations socia<strong>les</strong><br />
ainsi que ses propres références axiologiques et théoriques. Ici apparaît<br />
ostensiblement l’importance du collectif. Ce collectif joue <strong>de</strong>ux rô<strong>les</strong> majeurs que<br />
sont, d’une part, l’ai<strong>de</strong> à la décentration <strong>de</strong> situations vécues et à leur analyse, et <strong>de</strong><br />
l’autre, un rôle majeur <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong>venue un besoin d’estime essentiel <strong>dans</strong><br />
notre mon<strong>de</strong> professionnel occi<strong>de</strong>ntal.<br />
Nous avons pu remarquer, <strong>de</strong> par la diversité d’âge <strong>de</strong>s personnes interrogées<br />
(<strong>de</strong>ux générations), cette évolution <strong>de</strong> l’importance du travail pour l’individu que<br />
relatent <strong>les</strong> écrits sur le sujet. En effet, le travail revêt une valeur symbolique pour<br />
laquelle l’individu a besoin d’être reconnu. Aujourd’hui plus que par le passé,<br />
l’individu cherche à trouver du plaisir et à se réaliser <strong>dans</strong> son travail qui <strong>de</strong>vient<br />
lieu d’épanouissement. Il prend un plaisir certain à accomplir un travail <strong>de</strong> qualité<br />
pour sa propre satisfaction déjà. La frustration est donc d’autant plus importante<br />
lorsque cette réalisation est empêchée par <strong>les</strong> contingences institutionnel<strong>les</strong>.<br />
L’absence <strong>de</strong> reconnaissance constitue, selon Osty (2003), une véritable menace sur<br />
l’i<strong>de</strong>ntité. Or au vu <strong>de</strong> cette intrication entre le personnel et le professionnel, ce n’est<br />
plus seulement l’i<strong>de</strong>ntité au travail qui est en jeu (Sainsaulieu, 1977), mais le sujet<br />
<strong>dans</strong> son intégrité. Et plus la réification du contexte professionnel s’accroît, plus le<br />
besoin <strong>de</strong> reconnaissance augmente.<br />
Cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> reconnaissance est clairement perceptible <strong>dans</strong> <strong>les</strong> résultats<br />
<strong>de</strong> cette recherche. Les personnes interrogées admettent aisément l’importance <strong>de</strong>s<br />
remerciements et autres expressions <strong>de</strong> satisfaction <strong>de</strong>s patients, mais aussi et surtout<br />
la nécessité <strong>de</strong>s feed-backs positifs accordés par <strong>les</strong> pairs. Les interactions au sein <strong>de</strong><br />
l’équipe sont perçues comme l’un <strong>de</strong>s principaux moteurs motivationnels conduisant<br />
à l’engagement, à l’instar <strong>de</strong>s résultats obtenus par Bélair qui démontrent que la<br />
reconnaissance par <strong>les</strong> pairs est vécue comme « un <strong>de</strong>s éléments clés favorisant la<br />
persévérance <strong>dans</strong> la profession » (Bélair in A. Jorro, 2009, p.46).<br />
Le dialogue et le partage d’expériences sont à la fois réconfortants, en même<br />
temps qu’ils sont une ressource importante <strong>dans</strong> le développement <strong>de</strong> stratégies<br />
permettant <strong>de</strong> surmonter <strong>les</strong> champs <strong>de</strong> tension évoqués. La question est à présent <strong>de</strong><br />
savoir comment ces <strong>de</strong>rniers sont abordés durant la formation et quel engagement<br />
534
est attendu <strong>de</strong>s étudiantes.<br />
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
La question du sens et <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> la formation<br />
La formation est le lieu par excellence <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> distance, <strong>de</strong> questionnement<br />
et <strong>de</strong> mise en perspective. C’est <strong>dans</strong> cette dynamique <strong>de</strong> développement que <strong>les</strong><br />
représentations soli<strong>de</strong>ment ancrées qui collent à la profession pourront être mises en<br />
évi<strong>de</strong>nce et ainsi faire l’objet <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong> transformations parfois<br />
majeures. Parce qu’il s’agit d’une formation, ancrée sur <strong>de</strong>s savoirs, et non d’un<br />
apprentissage qui part avant tout <strong>de</strong> l’expérience, <strong>les</strong> connaissances constituent<br />
réellement un levier important pour mettre en mouvement la personne et la conduire<br />
à s’émanciper, malgré <strong>les</strong> contraintes actuel<strong>les</strong>.<br />
Le temps <strong>de</strong> formation aura donc, parmi ses objectifs, la constitution d’un<br />
corpus <strong>de</strong> connaissances étoffé, dont la richesse sera garante d’une capacité<br />
d’argumentation avérée. Comme le déclare Dallaire (2008), le savoir est un atout<br />
essentiel, puisque ce sont <strong>les</strong> infirmières qui le détiennent qui pourront réellement le<br />
faire valoir et <strong>de</strong>viendront, par là-même, <strong>les</strong> instigatrices du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> leur<br />
profession. El<strong>les</strong> auront la possibilité d’évoluer, du statut <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> exécutantes vers<br />
celui d’actrices professionnel<strong>les</strong> avisées (Jutras, 2007b).<br />
Néanmoins ce seul aspect scientifique et technique ne saurait constituer<br />
l’unique bastion <strong>dans</strong> l’édification d’une posture professionnelle. Il n’est à considérer<br />
que <strong>dans</strong> l’espace plus large d’un questionnement éthique et philosophique qui lui<br />
donne son crédit et sa portée. Car c’est aussi en se référant à <strong>de</strong>s principes<br />
axiologiques, en développant leur posture et <strong>de</strong>s choix assumés que <strong>les</strong><br />
professionnels vont pouvoir développer leur autonomie et habiter pleinement la<br />
dimension <strong>de</strong> la praxis.<br />
Or ici se pose à nouveau la question du sens, et tout particulièrement du sens<br />
donné à la formation. Nous avons été amenée à constater que le courant néo-libéral<br />
qui pénètre <strong>de</strong> plus en plus le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé, s’insère également <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> la formation. On assiste à une intrication complexe <strong>de</strong>s registres économiques,<br />
politiques et organisationnels qui ont <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces certaines sur <strong>les</strong> politiques <strong>de</strong><br />
535
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
formation choisies et <strong>les</strong> priorités retenues.<br />
L’activité étant ici, comme à l’hôpital, regardée <strong>dans</strong> sa dimension d’efficience<br />
et <strong>de</strong> rentabilité, elle se voit <strong>de</strong> plus en plus reléguée à <strong>de</strong>s aspects purement<br />
techniques et opérationnels. Elle est défragmentée en une multiplicité d’actions plus<br />
ou moins reliées. Cette disjonction <strong>de</strong> l’activité, qui induit <strong>dans</strong> la formation un mo<strong>de</strong><br />
<strong>de</strong> connaissance réducteur et unifocal, relève d’une atteinte puissante à la cohérence<br />
(Morin, 2000). L’accent est mis sur un savoir technique réifié qui nuit complètement<br />
au processus d’émancipation et <strong>de</strong> subjectivation que ce savoir <strong>de</strong>vrait permettre. Par<br />
ailleurs, ces savoirs sont morcelés et<br />
« l’intelligence parcellaire compartimentée, mécaniste, disjonctive,<br />
réductionniste, brise le complexe du mon<strong>de</strong> en fragments disjoints,<br />
fractionne <strong>les</strong> problèmes, sépare ce qui est relié, unidimensionnalise le<br />
multidimensionnel. C’est une intelligence myope qui finit le plus<br />
souvent par être aveugle. Elle détruit <strong>dans</strong> l’œuf <strong>les</strong> possibilités <strong>de</strong><br />
compréhension et <strong>de</strong> réflexion… » (Morin, 2000, p.44).<br />
Sévère jugement à l’égard d’une conception <strong>de</strong>s savoirs qui s’immisce toujours<br />
davantage <strong>dans</strong> <strong>les</strong> processus <strong>de</strong> formation et qui concourt à faire perdre le sens et la<br />
cohérence <strong>de</strong> la connaissance, et par là-même <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong>s futurs professionnels.<br />
Nous nous trouvons piégés par <strong>de</strong>s courants <strong>de</strong> pensées pragmatiques, dominés par<br />
un paradigme utilitariste (Chauvière, 2011) avec un coût humain en termes <strong>de</strong> santé<br />
psychique qui ne saurait se limiter à être un épiphénomène passager, mais qui au<br />
contraire prend constamment <strong>de</strong> l’ampleur.<br />
Le savoir se voit ainsi assujetti à l’économie <strong>dans</strong> un rapport <strong>de</strong> domination,<br />
<strong>de</strong>s critères économiques prévalant sur <strong>les</strong> critères scientifiques. Ce faisant c’est la<br />
vocation émancipatrice <strong>de</strong> la formation qui est prétéritée. Que ce soit par l’acquisition<br />
<strong>de</strong> compétences développées en vue <strong>de</strong> l’employabilité et en réponse au marché, par<br />
l’accentuation <strong>de</strong> la pensée technique au détriment <strong>de</strong> la pensée philosophique, par le<br />
développement d’une conception <strong>de</strong> la formation qui s’apparente toujours davantage<br />
à une prestation <strong>de</strong> service, <strong>les</strong> cursus répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus en plus à une rationalité<br />
instrumentale, procédurale, orientée vers un but productif final ; c’est la<br />
536
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Zweckrationalität dont parle Weber. Tandis que, lorsque l’auteur évoque la<br />
Wertrationalität, il s’agit d’une rationalité basée avant tout sur le sens <strong>dans</strong> sa<br />
dimension <strong>de</strong> signification, selon un questionnement et une approche<br />
philosophiques et éthiques <strong>de</strong> l’existence.<br />
Tout comme nous avons montré la plus-value accordée par la pratique à<br />
l’action productive, nous <strong>de</strong>vons reconnaître, au terme <strong>de</strong> cette recherche, que le<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la formation tend aussi à s’orienter, très ouvertement, vers le pôle du<br />
résultat.<br />
« Il faut produire <strong>de</strong>s élèves employab<strong>les</strong> en adaptant <strong>les</strong> cours aux<br />
exigences <strong>de</strong>s employeurs plutôt que <strong>de</strong>s citoyens capable <strong>de</strong> construire<br />
une société du bien-vivre » (De Gaulejac, 2011, p.259).<br />
Osty (2003) écrit, en citant Brangier et al., que la compétence « fabrique un<br />
nouveau modèle <strong>de</strong> l’individu productif », idée soutenue par Wittorski (2011)<br />
selon qui la compétence est une notion apparue avec le mouvement néo-libéral et<br />
s’est développée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années quatre-vingt parallèlement à la notion <strong>de</strong><br />
professionnalisation.<br />
Les compétences citées <strong>dans</strong> l’introduction du présent travail illustrent<br />
parfaitement cette visée technique et productive, Nous avions évoqué l’importance<br />
accordée à la notion d’engagement. Reste à présent à prendre en considération le<br />
contexte <strong>de</strong> cette inscription <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> référentiels examinés.<br />
Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor suisse (Annexe 4, p.31):<br />
En tant qu’apprenant-e-s et formateur-trice-s, <strong>les</strong> infirmier-ère-s démontrent,<br />
<strong>de</strong> manière continue, un engagement professionnel fondé sur une pratique<br />
réflexive, ainsi que sur l’utilisation, la création et la diffusion <strong>de</strong> données<br />
probantes.<br />
Référentiel européen <strong>de</strong>s compétences (Annexe 6, p.6):<br />
S’engager <strong>dans</strong> un développement personnel et professionnel. Être acteur <strong>de</strong><br />
sa formation, se construire en professionnel autonome, afin <strong>de</strong> promouvoir la<br />
qualité <strong>de</strong> la pratique professionnelle.<br />
537
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Certes la dimension humaniste est toujours présente, mais semble bien<br />
assujettie aux dimensions pratiques et techniques.<br />
Les données probantes ont en soi <strong>de</strong>s aspects tout à fait positifs. Néanmoins,<br />
dès lors qu’el<strong>les</strong> <strong>de</strong>viennent prépondérantes et que, par une procédure<br />
réductionniste, el<strong>les</strong> servent à définir la profession, cette <strong>de</strong>rnière perd sa substance<br />
vitale dont l’axe central reste la personne humaine. La normalisation <strong>de</strong>s<br />
comportements porte directement atteinte au sens <strong>de</strong> l’activité. La technique<br />
conjuguée à la charge administrative qualifiée <strong>de</strong> procédurite et <strong>de</strong> prescriptophrénie<br />
par De Gaulejac (2011), prend <strong>de</strong> plus en plus le pas sur l’activité soignante et<br />
l’important n’est plus tant la qualité du soin et <strong>de</strong> la relation établie que « la<br />
capacité à traduire son action en variab<strong>les</strong> et à <strong>les</strong> codifier…» (De Gaulejac,<br />
2011, p.177) pour <strong>les</strong> entrer <strong>dans</strong> <strong>les</strong> feuil<strong>les</strong> <strong>de</strong> suivi et d’évaluation <strong>de</strong> la dotation.<br />
L’ingérence <strong>de</strong> la pensée économique est omniprésente.<br />
Que ce soit <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la pratique, tout comme <strong>dans</strong> celui <strong>de</strong> la<br />
formation, on observe d’ailleurs <strong>de</strong>s glissements sémantiques intéressants. Ainsi la<br />
valeur au sens éthique du terme <strong>de</strong>vient valeur marchan<strong>de</strong>, le patient ou l’étudiante<br />
se transforment en clients, le soin s’apparente à une prestation et <strong>les</strong> soignants <strong>de</strong>s<br />
prestataires, le savoir se réduit à un produit et l’engagement n’est plus à considérer<br />
comme engagement par conviction, mais comme engagement par intérêt, en vue<br />
d’un résultat. Loin d’être anodins, ces détournements sémantiques appréhen<strong>de</strong>nt,<br />
selon Supiot (2010, p.142)<br />
« <strong>les</strong> personnes comme <strong>de</strong>s choses et substituent aux catégories<br />
juridiques <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> penser importées <strong>de</strong> la physique ou <strong>de</strong> la<br />
biologie ».<br />
Le champ <strong>de</strong> tension <strong>dans</strong> lequel évoluent professionnels et étudiants, entre<br />
leur idéal et <strong>les</strong> modalités d’exercice est donc bien présent et c’est déjà le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
formation qui doit être attentif à ne pas se laisser assujettir par la pensée mo<strong>de</strong>rne<br />
d’une société où l’économie règne en autorité suprême, et qui veut lui imposer ses<br />
lois et lui dicter ses attentes.<br />
538
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Le risque encouru par cette technicisation n’est autre que la désincarnation <strong>de</strong><br />
l’acte soignant, et la réification <strong>de</strong>s acteurs.<br />
L’accompagnement à l’engagement, une exigence éthique<br />
Face à ce risque, il convient donc <strong>de</strong> remettre l’humain à sa place et<br />
d’accompagner <strong>les</strong> étudiantes à cette posture <strong>de</strong> réflexion et à ce questionnement<br />
philosophique sur l’humanité, et plus précisément sur leur place <strong>dans</strong> cette humanité,<br />
en tant que personnes et en tant que professionnel<strong>les</strong>. La connaissance <strong>de</strong> soi doit<br />
ouvrir ces horizons <strong>de</strong> réflexion et se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> s’enfermer <strong>dans</strong> une connaissance à<br />
nouveau très instrumentale <strong>de</strong> ses propres fonctionnements, dont le but ne serait<br />
autre que leur modification pour répondre aux attentes du système.<br />
Le questionnement éthique est particulièrement adéquat, car il interroge <strong>les</strong><br />
valeurs et <strong>les</strong> normes. Mais, là encore, ce ne doit pas être une éthique palliative dont<br />
le manteau, réputé vertueux, servirait à couvrir un univers <strong>de</strong> soin <strong>de</strong> plus en plus<br />
déshumanisé. Les valeurs et normes sollicitées doivent être un éclairage sur la<br />
compréhension <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> sa place <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>.<br />
Ces valeurs et normes vont aussi être <strong>les</strong> pierres angulaires du sens attribué<br />
aux choses. Or, lorsqu’il y a prise <strong>de</strong> conscience du sens, il y a prise <strong>de</strong> responsabilité,<br />
car l’aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’étudiante à donner une direction l’enjoint à assumer sa<br />
responsabilité, mais une responsabilité dont elle saisit <strong>les</strong> enjeux, la portée et l’intérêt,<br />
à la fois pour elle mais également pour l’être vulnérable dont elle a à s’occuper. Une<br />
fois cette conscience ontologique et éthique éveillée, le positionnement est rendu<br />
possible, lequel s’appuie sur <strong>de</strong>s normes et <strong>de</strong>s valeurs d’une communauté face à son<br />
<strong>de</strong>venir et celui <strong>de</strong> ses semblab<strong>les</strong>.<br />
L’engagement, <strong>de</strong>s enjeux éthiques à trois niveaux<br />
L’enjeu éthique <strong>de</strong> l’engagement embrasse <strong>de</strong> fait trois niveaux différents. Le<br />
premier niveau <strong>de</strong> ces enjeux pointe en premier lieu l’acteur même du soin et tout<br />
particulièrement l’étudiante.<br />
La conception technique <strong>de</strong> la formation réduit terriblement <strong>les</strong> potentialités<br />
émancipatoires <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi. À l’inverse, une conception élargie, inscrite<br />
539
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
<strong>dans</strong> une pensée plus globale et <strong>dans</strong> une histoire, permet à l’individu <strong>de</strong> s’i<strong>de</strong>ntifier<br />
à <strong>de</strong>s valeurs, d’inscrire sa singularité <strong>dans</strong> cette histoire et <strong>de</strong> trouver un sens, à la<br />
fois comme direction, mais aussi comme signification à son <strong>de</strong>venir professionnel et<br />
personnel. En un mot, cette double logique lui permet <strong>de</strong> construire son i<strong>de</strong>ntité, en<br />
consolidant ce qu’il est déjà (dimension <strong>de</strong> mêmeté) et en lui donnant <strong>les</strong> repères<br />
pour évoluer et se développer (dimension d’ipséité) (Ricœur, 1990). La cohérence<br />
construite durant la formation entre <strong>les</strong> valeurs propres et le projet éthique constitue<br />
un socle essentiel à la recherche <strong>de</strong> cohérence <strong>dans</strong> la vie professionnelle. Elle a<br />
valeur <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-fou pour l’étudiante à l’encontre d’un conflit <strong>de</strong> loyauté envers <strong>les</strong><br />
<strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s qu’elle habite. Pour Moreau, ce déchirement entre la co-existence <strong>de</strong><br />
<strong>de</strong>ux cultures conduit à un dédoublement du soi qui tient d’une tendance schizoï<strong>de</strong> ;<br />
le jeune voit sa personnalité osciller entre ses valeurs personnel<strong>les</strong> et <strong>les</strong> modalités<br />
d’exercice <strong>de</strong> la profession, il est <strong>dans</strong> une posture <strong>de</strong> grand écart entre une volonté<br />
d’adhérer au système et un refus intérieur <strong>de</strong> trahir certains <strong>de</strong> ses référents<br />
axiologiques.<br />
Mais un <strong>de</strong>uxième enjeu éthique <strong>de</strong> l’engagement se situe également au<br />
niveau <strong>de</strong> la profession elle-même.<br />
Si la situation conjoncturelle actuelle n’est certes pas enviable pour ceux qui<br />
œuvrent <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la santé, nous restons convaincue qu’elle peut aussi<br />
constituer une chance pour la profession infirmière. En effet, <strong>les</strong> infirmières sont<br />
appelées à défendre la profession et à la faire valoir, aux yeux <strong>de</strong>s autorités, mais<br />
aussi vis-à-vis du grand public et, plus spécifiquement encore, vis-à-vis <strong>de</strong> leurs pairs<br />
du milieu médical et <strong>de</strong>s disciplines proches.<br />
Une part <strong>de</strong> cette apologie se fera en démontrant toute la difficulté <strong>de</strong> leurs<br />
tâches multip<strong>les</strong>, la pénibilité du travail quotidien, ainsi que la spécificité réellement<br />
complexe <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong>s infirmières, et le caractère scientifique <strong>de</strong>s interventions<br />
qu’el<strong>les</strong> ont à mener. Mais, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces activités spécifiques, la défense <strong>de</strong> la<br />
profession passe par la définition <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité. Les infirmières sont indispensab<strong>les</strong>,<br />
comme le dit si bien une professionnelle (P8), et, lorsqu’el<strong>les</strong> s’engagent, el<strong>les</strong> doivent<br />
oser faire valoir ce qu’el<strong>les</strong> sont, et non uniquement ce qu’el<strong>les</strong> font. On prend<br />
540
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
conscience ici du caractère multifocal <strong>de</strong> cette réflexion et du cheminement important<br />
qu’elle sous-entend. Elle doit, par conséquence, être amorcée dès le début <strong>de</strong> la<br />
formation et en constituer une trame centrale tout au long du cursus d’étu<strong>de</strong>s.<br />
Avec la disparition progressive <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong> la science médicale sur la<br />
profession soignante et l’amplification, chez cette <strong>de</strong>rnière, <strong>de</strong> ses rapports avec <strong>les</strong><br />
disciplines connexes, elle est appelée à clarifier sa propre définition ainsi que son<br />
i<strong>de</strong>ntité. Si elle est en mesure d’affirmer cette i<strong>de</strong>ntité, la profession soignante ne peut<br />
alors que tirer profit <strong>de</strong>s apports <strong>de</strong> ces disciplines voisines, <strong>de</strong>s apports qui,<br />
conjugués avec ceux <strong>de</strong>s sciences infirmières, contribuent à édifier cette profession en<br />
participant à son ossature conceptuelle et en lui conférant simultanément un système<br />
d’intelligibilité interne, mais également externe.<br />
Certes <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont une profession centrée sur une pratique, mais<br />
cette pratique ne naît pas <strong>de</strong> nulle part, elle est ancrée <strong>dans</strong> une conception <strong>de</strong><br />
l’humain qui lui donne vie, et elle s’inscrit <strong>dans</strong> une dimension résolument collective.<br />
C’est pourquoi il serait erroné <strong>de</strong> s’enliser <strong>dans</strong> le seul registre du savoir, qui plus est<br />
d’un savoir individuel. Si le consensus autour d’un corpus <strong>de</strong> connaissances<br />
spécifiques est nécessaire à la définition i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> la profession, <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong><br />
réflexion et d’échanges, entre <strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong> et infirmières <strong>de</strong> différents secteurs et <strong>de</strong><br />
différents horizons, en particulier <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la formation et <strong>de</strong> la pratique, sont<br />
comme autant <strong>de</strong> faisceaux <strong>de</strong> motivations dynamiques qui se potentialisent <strong>dans</strong> un<br />
processus itératif, pour finalement permettre le développement d’une i<strong>de</strong>ntité<br />
partagée, mo<strong>de</strong>lée par une élaboration commune <strong>de</strong> sens, comme signification <strong>de</strong><br />
l’action collective <strong>dans</strong> l’histoire.<br />
Il y a fort à parier que la difficulté actuelle <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> l’affirmation <strong>de</strong><br />
leur i<strong>de</strong>ntité provient d’un déséquilibre entre une conception du soin très largement<br />
imputée au registre <strong>de</strong> l’action et <strong>de</strong> la technique, conception renforcée par la<br />
rationalisation actuelle, et une conception comme expression du souci <strong>de</strong> l’Autre, <strong>de</strong><br />
l’humain et <strong>de</strong> sa place. Le système, froid et quelque peu machiavélique, voit<br />
l’individu transformé en simple « force <strong>de</strong> travail ». A l’entrai<strong>de</strong> et à la solidarité se<br />
substituent <strong>de</strong> plus en plus souvent la négociation entre <strong>les</strong> détenteurs <strong>de</strong> ressources<br />
stratégiques.<br />
541
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Lorsque nous observons <strong>les</strong> différentes mesures entreprises pour défendre<br />
l’i<strong>de</strong>ntité infirmières ainsi que <strong>les</strong> écrits qui <strong>les</strong> accompagnent, force est <strong>de</strong> constater<br />
que ceux-ci sont très souvent largement axés sur <strong>les</strong> compétences <strong>de</strong> l’infirmière, son<br />
savoir et son savoir-faire (technique et relationnel), ses aptitu<strong>de</strong>s<br />
communicationnel<strong>les</strong>. Mais il est peu fait référence à la dimension collective <strong>de</strong> la<br />
profession, à son inscription <strong>dans</strong> une histoire et à la posture à envisager en regard<br />
<strong>de</strong> cette histoire et du sens, ou <strong>de</strong> la signification, que l’on souhaite voir se<br />
développer au cœur même <strong>de</strong> cette profession. L’engagement se situerait, à notre<br />
sens, à ce niveau. Les personnes interrogées, quelle que soit leur fonction, ont en effet<br />
été quasi unanimes pour affirmer que leur i<strong>de</strong>ntité est à chercher avant tout <strong>dans</strong> leur<br />
rôle propre, c’est-à-dire <strong>dans</strong> la dimension d’autonomie, <strong>de</strong> savoir-être et <strong>de</strong> relation<br />
spécifique au patient. Si donc <strong>les</strong> infirmières revendiquent cette i<strong>de</strong>ntité, il y a alors<br />
lieu d’en faire l’objet d’un engagement ciblé, instillé dès le début <strong>de</strong> la formation. Les<br />
connaissances axiologiques, pratiques et scientifiques, sont <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> choix<br />
permettant <strong>de</strong> mener un combat victorieux vers l’émancipation et la reconnaissance<br />
<strong>de</strong> la profession.<br />
Fort d’un positionnement argumenté au plan <strong>de</strong>s actions, mais aussi <strong>de</strong> la<br />
conscience <strong>de</strong> la profession, <strong>les</strong> jeunes doivent être invités à s’avancer sur la scène<br />
politique et à <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s acteurs pour faire évoluer le système <strong>de</strong> santé. Dans cette<br />
optique, il y a tout un travail <strong>de</strong> sensibilisation et <strong>de</strong> légitimation à effectuer, pour<br />
ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à prendre part et à s’impliquer concrètement <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s débats.<br />
Citant Davies, Dallaire (2008) affirme que ce savoir n’est pas mis en valeur à sa<br />
juste mesure. Les <strong>soins</strong> ne font pas l’objet d’une analyse suffisante et sont<br />
insuffisamment représentés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> discours publics.<br />
Dès le départ, ces futures professionnel<strong>les</strong> doivent<br />
« travailler à une meilleure compréhension <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> par le public et,<br />
finalement, poursuivre l’analyse <strong>de</strong> ceux -ci afin <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s moyens<br />
<strong>de</strong> mieux <strong>les</strong> développer » (Dallaire, 2008, p.470).<br />
El<strong>les</strong> doivent cependant dépasser ce registre purement pragmatique et<br />
instrumental pour expliquer également leur rôle et leurs valeurs au grand public.<br />
542
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Les soignants sont appelés à être sujets <strong>de</strong> leur existence et non objets <strong>de</strong>s<br />
circonstances (Malherbe, 2001). En jetant un « pavé <strong>dans</strong> la mare », Nadot (2012)<br />
rappelle <strong>les</strong> infirmières à cette responsabilité qui est la leur. La responsabilité est<br />
quasi consubstantielle <strong>de</strong> l’humanité du soignant. Cette hésitation à défendre leur<br />
profession, à affirmer un rôle, et ce manque <strong>de</strong> courage pour développer <strong>de</strong>s<br />
connaissances en <strong>les</strong> ordonnant en un corpus qui fasse sens, nuisent à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s<br />
infirmières et à leur pouvoir d’action en faveur <strong>de</strong> cette humanité menacée, alors<br />
même qu’el<strong>les</strong> détiennent, et certaines en sont conscientes (T12), un véritable pouvoir<br />
au cœur même <strong>de</strong> la société.<br />
La crise hospitalière actuelle constitue le moment favorable, pour <strong>les</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> et infirmières, <strong>de</strong> s’unir et <strong>de</strong> favoriser un esprit <strong>de</strong> corps autour <strong>de</strong><br />
normes et <strong>de</strong> valeurs communes, <strong>de</strong> réflexions sur <strong>les</strong> leçons à tirer <strong>de</strong> l’héritage<br />
historique, <strong>de</strong> compréhensions du soin et <strong>de</strong> l’altérité, et <strong>de</strong> la revalorisation d’une<br />
dynamique collaborative autour <strong>de</strong> consensus vers une i<strong>de</strong>ntité partagée. Face aux<br />
tumultes qui agitent le secteur <strong>de</strong> la santé et la société <strong>dans</strong> son ensemble, <strong>les</strong><br />
infirmières sont appelées à s’unir et à faire valoir leur profession, en renforçant <strong>les</strong><br />
liens du collectif.<br />
Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la simple défense <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité professionnelle, <strong>les</strong> soignants<br />
jouent <strong>de</strong> plus en plus un rôle d’avocats auprès <strong>de</strong>s patients (Tschudin, 2003). Peut-<br />
être faut-il penser l’engagement plus précisément sous l’angle <strong>de</strong> la relation du<br />
soignant à la personne, plutôt que <strong>de</strong> sa relation au soin. Cela revient à mettre<br />
l’humain au centre.<br />
Et nous parvenons ici au troisième niveau <strong>de</strong> l’engagement éthique, un<br />
niveau macro qui concerne finalement la société <strong>dans</strong> son ensemble.<br />
La question <strong>de</strong> l’engagement n’est pas une option. Durant la formation, <strong>les</strong> étudiants<br />
doivent être sensibilisés à cette notion, pas seulement en tant qu’engagement <strong>dans</strong><br />
leur activité quotidienne, mais engagement d’une portée beaucoup plus vaste, à un<br />
niveau sociétal. Car l’enjeu <strong>de</strong> cet engagement, s’il se situe à plusieurs niveaux, n’est<br />
toutefois pas tant la défense d’une profession que <strong>dans</strong> la défense d’un humain qui<br />
tend, <strong>de</strong> plus en plus, à être réduit à sa version la plus fonctionnelle, par un système<br />
543
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
économique soucieux d‘atteindre l’efficience maximale. Après l’euphorie<br />
prométhéenne qui fit croire au mythe <strong>de</strong> la santé parfaite, l’enjeu est à présent <strong>de</strong><br />
rendre compatible l’évolution démographique et sociale, avec <strong>les</strong> ressources à<br />
disposition, sans pour autant oublier que l’être humain se trouve au cœur <strong>de</strong> ces<br />
échanges.<br />
Nous avons pu remarquer, à différentes reprises, combien la personne, que ce<br />
soit le soignant ou le patient, tend à perdre sa place <strong>dans</strong> le contexte <strong>de</strong> travail actuel.<br />
Or si le soignant ne peut pas agir sur <strong>de</strong>s facteurs comme la crise économique et <strong>les</strong><br />
mesures <strong>de</strong> restrictions qui l’accompagnent, il peut en revanche agir sur d’autres<br />
facteurs qui relèvent, quant à eux, directement ou non <strong>de</strong> politiques <strong>de</strong> gestion. Les<br />
soignants veulent agir et ils n’ont pas peur du défi, mais ils veulent l’affronter en<br />
pouvant s’engager avec l’assurance d’être soutenus et reconnus, et en y trouvant le<br />
sens adéquat, c’est-à-dire en s’engageant pour recentrer le débat sur l’essentiel : la<br />
personne humaine. Il doit donc y avoir un mouvement parallèle d’une humanisation<br />
<strong>de</strong>s pratiques soignantes avec une humanisation <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s<br />
soignants, rendant possible le souci <strong>de</strong> l’humain. L’assertion est d’apparence banale,<br />
mais elle renferme le secret d’un <strong>de</strong>venir véritablement viable et il s’agit pour cela <strong>de</strong><br />
déjouer <strong>les</strong> discours managériaux qui opacifient <strong>les</strong> difficultés réel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s soignants<br />
pour amener ceux-ci à prendre position sur la place publique, au nom <strong>de</strong> l’humanité.<br />
Il faut faire en sorte que <strong>les</strong> soignants engagés, caractérisés par une <strong>de</strong>s praticiennes<br />
interrogées <strong>de</strong> « gens vivants », restent réellement vivants. Car « le soin n’est autre<br />
que l’expression agissante <strong>de</strong> notre humanité », comme le confirme Svandra<br />
(2009b, p.11). Face à cette tendance sociétale <strong>de</strong> négation d’un être humain,<br />
subitement frappé d’ostracisme, le soin, loin <strong>de</strong> n’être qu’une finalité en soi, pourrait<br />
même avoir pour vocation <strong>de</strong> constituer un modèle relationnel et une éthique <strong>de</strong> la<br />
relation humaine (Svandra, 2009b).<br />
Dans cette forme d’engagement au niveau sociétal, l’éthique occupe une place<br />
privilégiée (Bolly, 2010). L’éthique permet d’accompagner l’engagement <strong>dans</strong> son<br />
mouvement dynamique à partir du sens et sa fonction créatrice d’avenir, tout en<br />
respectant à la fois la dimension déontologique et la dimension téléologique, comme<br />
le souligne Rameix (1996, p. 87) en expliquant qu’être<br />
544
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
« éthique, c’est accepter et vivre le conflit du bien à faire et du <strong>de</strong>voir<br />
à accomplir, comme si la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> l’homme était d’en sortir <strong>dans</strong><br />
un mon<strong>de</strong> meilleur qui n’est pas à atteindre, mais à construire ».<br />
Vivre ce conflit n’est pas du ressort <strong>de</strong> l’inné ou <strong>de</strong> l’évi<strong>de</strong>nce. Cela nécessite<br />
une préparation et un cheminement, tant sur le plan <strong>de</strong>s concepts qu’au niveau <strong>de</strong> la<br />
connaissance <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses valeurs et <strong>de</strong> ses motivations.<br />
En ce sens l’école a un rôle déterminant à jouer et se doit <strong>de</strong> prendre cette tâche au<br />
sérieux, tout particulièrement face au contexte actuel qui caractérise l’exercice <strong>de</strong>s<br />
<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, et pas uniquement ce contexte puisque pour Bobineau la<br />
problématique est nettement plus profon<strong>de</strong> (2010a, p.74) :<br />
« ce n’est plus tant la question <strong>de</strong> vivre ensemble, <strong>de</strong> co -exister et <strong>de</strong><br />
réguler la vie collective <strong>de</strong> manière stable, mais la question <strong>de</strong> la survie<br />
<strong>de</strong> l’humanité qui est en jeu ».<br />
Et l’engagement a ici un rôle déterminant à jouer pour stimuler <strong>de</strong>s actions<br />
individuel<strong>les</strong>, mais aussi et surtout collectives, qui vont permettre d’assurer cette<br />
survie et <strong>de</strong> lui donner un sens… humain. De Gaulejac (2003, p.148) citant Chanlat<br />
souligne<br />
« la pression idéologique qui impose à l’ensemble <strong>de</strong> la société <strong>de</strong>s<br />
principes utilitaristes et productifs », chaque individu <strong>de</strong>vant « faire la<br />
preuve <strong>de</strong> son utilité sociale en s’adaptant aux be<strong>soins</strong> du marché du<br />
travail… ».<br />
Le retour à une éthique anthropocentrée est nécessaire, une éthique qui a entre autres<br />
pour objectifs<br />
« l’humanisation <strong>de</strong> l’humanité, le respect en autrui <strong>de</strong> sa différence<br />
d’avec soi et son i<strong>de</strong>ntité d’avec soi, le développement <strong>de</strong> la solidarité et<br />
<strong>de</strong> la compréhension… » (Morin, 2000, p.120).<br />
Ainsi le modèle que nous avions élaboré pour permettre la réflexion<br />
545
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
autour d’un accompagnement à la construction <strong>de</strong> l’engagement professionnel a le<br />
mérite d’interpeller ces trois niveaux d’engagement <strong>dans</strong> leur dimension éthique. Il<br />
ne se veut pas un modèle linéaire, exhaustif et qui se déroulerait sur un continuum<br />
<strong>dans</strong> une chronologie précise, mais bien davantage une sorte <strong>de</strong> vue synoptique<br />
mettant en relief <strong>les</strong> différents paramètres influençant l’engagement, que ce soit au<br />
niveau du soignant lui-même, <strong>de</strong> sa profession ou encore au niveau général du<br />
contexte sociétal <strong>dans</strong> lequel s’inscrit l’acte <strong>de</strong> soin. Le modèle est alors compris<br />
comme outil <strong>de</strong> travail, servant <strong>de</strong> référence à <strong>de</strong>s réflexions philosophiques et<br />
éthiques plus approfondies à partir <strong>de</strong> la pratique, et permettant ensuite un retour<br />
vers cette même pratique avec <strong>les</strong> ressources puisées en amont <strong>dans</strong> le dialogue et la<br />
réflexion.<br />
L’impact i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> cette forme d’engagement n’étant pas à sous-<br />
estimer, mais bien au contraire à souligner.<br />
La confirmation <strong>de</strong>s réflexions réalisées autour <strong>de</strong> ce schéma et <strong>les</strong> aménagements<br />
apportés au terme <strong>de</strong> cette recherche, permettent d’envisager à présent <strong>de</strong>s<br />
perspectives plus concrètes, que ce soit en termes d’actions ou <strong>de</strong> recherches.<br />
Perspectives et recommandations<br />
En Suisse, il n’existe pas <strong>de</strong> loi qui dit ce que fait une infirmière, ni <strong>de</strong> quelle<br />
formation elle a besoin. Il n’est non plus nulle part fait mention <strong>de</strong> qui <strong>les</strong> protège et<br />
qui protège leur titre. Il s’agit <strong>de</strong> ne pas rester suspendu à un dolorisme peu<br />
constructif, mais d’œuvrer, en développant <strong>les</strong> atouts nécessaires, pour faire<br />
reconnaître cette place qui appartient <strong>de</strong> droit à ces professionnels dévoués à leurs<br />
semblab<strong>les</strong>.<br />
Une enseignante rappelle que nous avons une responsabilité si nous ne<br />
voulons pas que notre profession meure (T1). Il ne s’agit pas <strong>de</strong> vouloir s’émanciper<br />
pour <strong>de</strong>venir une profession totalement autonome, ce serait là un objectif qui ne<br />
serait ni viable ni raisonnable. Il s’agit bien davantage <strong>de</strong> penser l’émancipation <strong>dans</strong><br />
un contexte grandissant d’interdisciplinarité où chacun doit bien se connaître, afin <strong>de</strong><br />
faire valoir l’i<strong>de</strong>ntité propre à sa discipline, pour coopérer <strong>dans</strong> une complémentarité<br />
efficace.<br />
546
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
À l’encontre du défaitisme, <strong>les</strong> soignants sont donc appelés à faire reconnaître<br />
leur profession. Dans ce sens, nous retiendrons l’usage récurrent d’expressions en<br />
lien avec l’idée <strong>de</strong> confrontation qui invitent <strong>les</strong> infirmières au combat, mais avec <strong>de</strong>s<br />
armes bien réfléchies, <strong>de</strong>s savoirs argumentés et une posture axiologique intégrée à<br />
une vision éthique <strong>de</strong> l’humain. Et nous rappellerons le mot d’ordre <strong>de</strong> cet étudiant<br />
pour qui c’est une évi<strong>de</strong>nce : « c’est à nous <strong>de</strong> changer <strong>les</strong> choses (E18) », c’est la<br />
responsabilité <strong>de</strong> chacun (P10) <strong>de</strong> ne pas <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> exécutants, mais d’être<br />
<strong>de</strong>s locomotives qui « entraînent… <strong>dans</strong> leur sillage le reste <strong>de</strong> l’équipe (E4) »<br />
et qui défen<strong>de</strong>nt à la fois <strong>les</strong> intérêts <strong>de</strong> la profession, mais aussi ceux <strong>de</strong> la société en<br />
général. Cependant, pour jouer ce rôle <strong>de</strong> moteur, encore faut-il en voir le sens.<br />
On peut difficilement nier l’impact <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail actuel, en<br />
particulier en lien avec la crise économique et sociale que traverse le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />
santé, sur le processus personnel d’engagement et cette propension à jouer le rôle <strong>de</strong><br />
locomotive. Mais l’inscription <strong>de</strong> la profession <strong>dans</strong> une vision plus large permet<br />
d’entrevoir la crise actuelle comme l’opportunité d’une remise en question <strong>de</strong> la<br />
profession avec tout son héritage historique, ses i<strong>de</strong>ntités multip<strong>les</strong> et souvent<br />
inabouties, son image sociale peu valorisée, souvent à <strong>de</strong>s lieues <strong>de</strong> la réalité. La<br />
gageure que représente cette remise en question trouve écho <strong>dans</strong> l’affirmation d’un<br />
enseignant pour qui « c’est lorsque l’on a perdu le sens que l’on peut découvrir<br />
l’essence (T15)». Une perte <strong>de</strong> sens <strong>de</strong> l’activité soignante constitue, sans aucun<br />
doute, une opportunité <strong>de</strong> pouvoir réfléchir à ce qui doit en constituer sa réelle<br />
substance et son sens, en tant que finalité, mais surtout en tant que signification pour<br />
l’humain. Vaste défi lancé à la formation et aux formateurs.<br />
Perspectives au niveau <strong>de</strong> la formation<br />
Il s’agit donc <strong>de</strong> repenser l’engagement à la lumière <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux dimensions,<br />
en démontrant son utilité, sa pertinence et sa puissance, ce dès le début <strong>de</strong> la<br />
formation, en le pensant comme un processus complexe et progressif d’assimilation<br />
d’une i<strong>de</strong>ntité collectivement légitimée et encouragée.<br />
547
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
Nos recommandations vont <strong>dans</strong> le sens d’un accompagnement spécifique et<br />
organisé sur la durée <strong>de</strong> la formation, visant à ce que l’étudiante apprenne à se<br />
connaître, à connaître ses valeurs, à i<strong>de</strong>ntifier le rôle qu’elle veut jouer <strong>dans</strong> cet<br />
univers professionnel, et à savoir développer <strong>de</strong>s ressources à la fois personnel<strong>les</strong><br />
mais également mobilisab<strong>les</strong> à l’extérieur.<br />
Ce cheminement doit être accompagné <strong>de</strong> manière spécifique par <strong>de</strong>s<br />
enseignants formés qui la rendront capable <strong>de</strong> construire du sens autour <strong>de</strong> son<br />
activité et ainsi <strong>de</strong> mieux pouvoir affronter <strong>les</strong> aléas <strong>de</strong> la pratique, en se positionnant<br />
<strong>de</strong> façon argumentée pour défendre ses idéaux. Foucault se réfère à Sénèque pour<br />
souligner la nécessaire présence d’un gui<strong>de</strong>, le jeune n’étant pas capable <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong><br />
son état inculte (stultitia) tout seul : « il a besoin qu’on lui ten<strong>de</strong> la main et<br />
qu’on l’en tire ». (Foucault, 2001, p.477). L’accompagnant a le rôle <strong>de</strong> « passeur » au<br />
sens <strong>de</strong> Sénèque. Il a pour but <strong>de</strong> transmettre son savoir et <strong>de</strong> jouer le rôle d’exemple<br />
en indiquant la direction à suivre. La formation ne vise pas l’unité <strong>de</strong> doctrine, mais<br />
bien l’unité en direction d’une vie éthique cohérente.<br />
L’accompagnateur est donc celui qui donne la boussole et la carte (Fabre,<br />
2010), mais aussi celui qui intercè<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong> l’étudiante pour l’ai<strong>de</strong>r à se construire<br />
et à créer <strong>de</strong> la cohérence <strong>dans</strong> un contexte toujours plus disloqué et parcellarisé.<br />
L’accompagnateur reconnaît l’étudiante à la fois <strong>dans</strong> sa dimension <strong>de</strong><br />
mêmeté et l’ai<strong>de</strong> à se développer <strong>dans</strong> son ipséité (Ricœur, 2004) afin qu’elle<br />
parvienne au bout <strong>de</strong> sa reconnaissance <strong>de</strong> soignante en perpétuel développement.<br />
Et Jorro <strong>de</strong> préciser que<br />
« <strong>dans</strong> le contexte <strong>de</strong> la formation, c’est le maillage <strong>de</strong> la connaissance<br />
et <strong>de</strong> la reconnaissance qui interroge la manière dont le formateur<br />
s’enquiert <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> changement vécus par le stagiaire » (Jorro,<br />
2009, p.186).<br />
Foucault reprenant Sénèque insiste sur l’importance <strong>de</strong>s exercices personnels<br />
d’expression tels que <strong>les</strong> journaux <strong>de</strong> bord, <strong>les</strong> notes <strong>de</strong> lecture, la mise sur papier <strong>de</strong><br />
ses réflexions personnel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> écrits que nous nommerions aujourd’hui portfolios, le<br />
dialogue et <strong>les</strong> débats… Ces supports constituent, aujourd’hui encore, <strong>de</strong>s moyens<br />
548
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
privilégiés pour que le sujet puisse s’approprier à lui-même et comprendre son rôle<br />
<strong>dans</strong> sa profession.<br />
Nourrie <strong>de</strong> ces réflexions, l’étudiante sera alors à même <strong>de</strong> pouvoir s’engager<br />
pleinement et sainement, mais <strong>de</strong> manière raisonnée. Ces considérations nous<br />
conduisent à souligner la nécessité évoquée <strong>de</strong> promouvoir la connaissance <strong>de</strong> soi, en<br />
tant qu’elle ouvre la voie à ce questionnement plus large sur le soi au cœur <strong>de</strong><br />
l’existence.<br />
La pratique réflexive constitue, sans nul doute, une <strong>de</strong>s clefs <strong>de</strong> voûte vers la<br />
construction d’une i<strong>de</strong>ntité professionnelle affermie et orientée vers <strong>les</strong> valeurs<br />
humanistes qui fon<strong>de</strong>nt la profession. Elle permet <strong>de</strong> soustraire l’individu à une<br />
épreuve solitaire qui peut être particulièrement anxiogène et lui offrir <strong>de</strong>s pistes <strong>de</strong><br />
compréhension insoupçonnées, <strong>dans</strong> un espace privilégié <strong>de</strong> dialogue et <strong>de</strong> respect<br />
permettant l’expression <strong>de</strong>s émotions.<br />
Par la pratique réflexive il est possible <strong>de</strong> travailler sur <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux niveaux <strong>de</strong><br />
compréhension auxquels le sujet en formation <strong>de</strong>vrait pouvoir accé<strong>de</strong>r, selon Morin<br />
(2000) : le niveau intellectuel, celui du savoir intelligible, <strong>de</strong> l’explication et <strong>de</strong> la<br />
démonstration, ainsi que le niveau humain, celui <strong>de</strong> l’intersubjectivité et <strong>de</strong><br />
l’inscription <strong>de</strong> l’être <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le rapport avec ses semblab<strong>les</strong>, à la fois<br />
i<strong>de</strong>ntiques et différents. La pensée réflexive concourt à la reconnaissance <strong>de</strong> la<br />
professionnalité émergente <strong>de</strong> l’étudiante (Jorro & De Ketele, 2011).<br />
Mais penser <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du temps, dialoguer implique <strong>de</strong>s tiers, réfléchir<br />
suppose une remise en question permanente, conditions a priori peu compatib<strong>les</strong><br />
avec le rythme <strong>de</strong> <strong>soins</strong> actuel, basé sur un modèle <strong>de</strong> flux tendus. Et pourtant nous<br />
réalisons à quel point elle est primordiale ! L’utilisation constante <strong>de</strong> la réflexion sur<br />
soi, durant la formation, doit avoir comme objectif <strong>de</strong> sensibiliser <strong>les</strong> étudiantes à<br />
cette dimension <strong>de</strong> l’être et à son importance pour <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, afin qu’el<strong>les</strong> soient à<br />
même d’en défendre le développement <strong>dans</strong> leur champ d’activités.<br />
Les formateurs doivent être vigilants pour ne pas travailler uniquement sur<br />
l’objet, mais également sur l’Être. Les établissements <strong>de</strong> formation, quant à eux,<br />
doivent veiller à ne pas cé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s injonctions externes, visant l’adaptation au<br />
549
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
système, en promouvant <strong>de</strong> manière préférentielle un catalogue <strong>de</strong> techniques et <strong>de</strong><br />
procédures, avec <strong>les</strong> effets d’enfermement désastreux que l’on peut imaginer. Ils<br />
doivent, au contraire, veiller à réinsuffler du sens et <strong>de</strong>s valeurs, là où ceux-ci<br />
s’estompent ou disparaissent à l’arrière-plan.<br />
Par ailleurs, <strong>de</strong> par la difficulté <strong>de</strong> la profession à s’affirmer <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité,<br />
mais également en raison <strong>de</strong> l’écart grandissant entre l’idéal soignant professé à<br />
l’école et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> sa mise en pratique en institution, un travail <strong>de</strong> co-<br />
construction <strong>de</strong> sens, <strong>de</strong> connaissances et d’expériences entre lieux <strong>de</strong> formation,<br />
lieux <strong>de</strong> pratique et étudiants, prendrait ici tout son sens, constituant une dynamique<br />
extrêmement favorable à une co-élaboration <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité infirmière. L’objectif serait<br />
un construit commun auquel pourrait participer l’étudiante, plutôt que <strong>de</strong> se trouver<br />
aux prises entre <strong>de</strong>s logiques parfois très divergentes et déstabilisantes.<br />
Sur le plan <strong>de</strong> la recherche, le présent travail nécessiterait <strong>de</strong>s prolongements<br />
pour cerner plus précisément quels sont <strong>les</strong> éléments (moments pédagogiques,<br />
confrontations à la réalité pratique lors <strong>de</strong>s stages, rencontres, apprentissages…) qui<br />
concourent au développement professionnel <strong>de</strong> l’étudiante et quel lien unit, en fin <strong>de</strong><br />
compte, ce développement professionnel avec l’engagement <strong>dans</strong> la profession.<br />
Mieux comprendre ces différents facteurs d’influence et leur impact respectif<br />
permettrait <strong>de</strong> pouvoir <strong>les</strong> intégrer <strong>dans</strong> le cheminement <strong>de</strong> l’étudiante sur son<br />
engagement personnel.<br />
En amont il s’agirait <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce, par différentes recherches, le<br />
glissement <strong>de</strong> la formation vers un versant techniciste et instrumental et d’en<br />
montrer <strong>les</strong> limites, voire <strong>les</strong> dangers. Par opposition il serait également nécessaire <strong>de</strong><br />
montrer le caractère fondamental <strong>de</strong> la centration sur l’humain <strong>dans</strong> la pratique<br />
infirmière et <strong>dans</strong> la formation, ainsi que l’importance d’une réflexion sur sa place<br />
personnelle <strong>dans</strong> son univers professionnel, et au-<strong>de</strong>là <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> en général.<br />
C’est ici la dimension éthique qui est convoquée comme repère axiologique <strong>de</strong> tous<br />
ces processus mis en place <strong>dans</strong> notre société et clé d’intelligibilité quant aux valeurs<br />
qui gui<strong>de</strong>nt l’action humaine. L’éthique permet une remise en question constante,<br />
550
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
réfléchie et argumentée, <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> personnel, professionnel et<br />
social.<br />
Des recherches similaires pourraient sans nul doute être conduites <strong>dans</strong><br />
d’autres milieux, tels que l’enseignement, le travail social ou tout autre domaine<br />
organisé autour <strong>de</strong> la relation humaine. De nombreux auteurs mettent en évi<strong>de</strong>nce la<br />
présence <strong>de</strong> problématiques similaires (Chauvière, 2011).<br />
Pour conclure<br />
Certes, nos entretiens le soulignent largement, il y a réellement un combat qui<br />
fait rage <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé occi<strong>de</strong>ntal actuel, mais il convient <strong>de</strong> ne pas se<br />
tromper <strong>de</strong> combat. La réflexion sur l’engagement est centrale, car l’engagement qui<br />
est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> la part du soignant n’est plus seulement un engagement au chevet<br />
d’un patient. Il ne se résume pas à une finalité instrumentale mais il est un<br />
engagement pour redonner <strong>de</strong> la cohérence à une profession, du sens à une activité<br />
soignante, et surtout <strong>de</strong> l’humain au milieu <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P10) et <strong>de</strong> la cohésion à une<br />
société. Car, finalement, « l’engagement est l’ultime support qui procure un<br />
sens à l’existence <strong>dans</strong> son ensemble :"Exister est synonyme <strong>de</strong> s’engager ". »<br />
(Savadogo, 2008, p.60).<br />
Il ne s’agit pas <strong>de</strong> s’achopper à une vision purement manichéenne du système<br />
en gémissant sur notre propre impuissance, mais bien davantage d’agir, chacun <strong>dans</strong><br />
son champ <strong>de</strong> responsabilité et d’autonomie, à la mesure <strong>de</strong> ses capacités, pour<br />
promouvoir la réflexion <strong>dans</strong> une optique d’une prise <strong>de</strong> conscience partagée et une<br />
recherche <strong>de</strong> solution au sein du collectif, qui soit le fon<strong>de</strong>ment d’un engagement fort<br />
et pérenne.<br />
L’engagement est avant tout un engagement pour la cohésion sociale et <strong>dans</strong><br />
ce sens nous gardons fermement à l’esprit l’exigence kantienne qui veut que<br />
l’humain soit considéré toujours comme une fin et jamais comme un moyen. Une<br />
voie décisive pour l’avenir (Morin, 2011) et qui constitue un salutaire rappel en ces<br />
temps d’injonction à la compétitivité et à la rentabilité.<br />
551
QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />
552
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
CINQUIÈME<br />
PARTIE : ANNEXES<br />
553
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
554
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
ANNEXE A : LISTE RÉCAPITULATIVE DES ANNEXES<br />
Annexe 01 Catégorisation <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens sous forme <strong>de</strong> DVD<br />
(média joint à ce document).<br />
Annexe 02 Décret <strong>de</strong> compétences , Art. 1 &2).<br />
Annexe 03 Référentiel <strong>de</strong> compétence, HES.<br />
Annexe 04 Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor, 2012.<br />
Annexe 05 Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’Infirmier.<br />
Annexe 06 Référentiel européen <strong>de</strong> compétences en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, 2008.<br />
Annexe 07 Données <strong>de</strong> la phase exploratoire.<br />
Annexe 08 Grille du questionnaire.<br />
Annexe 09 Trame pour <strong>les</strong> entretiens semi-directifs.<br />
Annexe 10 L’ensemble <strong>de</strong>s questionnaires est disponible sous forme <strong>de</strong> DVD<br />
(média joint à ce document).<br />
Annexe 11 Traitement Excel <strong>de</strong>s questionnaires.<br />
Annexe 12 Analyse <strong>de</strong>s questions ouvertes.<br />
Annexe 13 Arbre thématique par catégories.<br />
Annexe 14 Catégorisation externe <strong>de</strong> trois entretiens.<br />
Annexe 14.1 Tableau d’entretien DPM 0039<br />
Annexe 14.2 Tableau d’entretien DPM 0044<br />
555
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
Annexe 14.3 Tableau d’entretien DPM 0062<br />
Annexe 15 Analyse linéaire <strong>de</strong>s six entretiens.<br />
Annexe 15.1 Analyse linéaire (E18 : étudiant)<br />
Annexe 15.2 Analyse linéaire (E26 : étudiant)<br />
Annexe 15.3 Analyse linéaire (P3 : praticien formateur)<br />
Annexe 15.4 Analyse linéaire (P11 : praticien formateur)<br />
Annexe 15.5 Analyse linéaire (T14 : enseignant)<br />
Annexe 15.6 Analyse linéaire (T15 : enseignant)<br />
Annexe 16 Liste récapitulative: in<strong>de</strong>x <strong>de</strong>s figures.<br />
Figure 01 « Santé Éthique et Liberté », 3.3.2.2, p.93.<br />
Figure 02 « Schéma <strong>de</strong> l’engagement », Chapitre 11, p.231 et Chapitre 21,<br />
p.466.<br />
Figure 03 « Dispositif <strong>de</strong> recherche », 17.4, p.296.<br />
Figure 04 « Degré d’engagement professionnel », 18.1, p.300.<br />
Figure 05 « Facteurs d’engagement », 18.2, p.302.<br />
Figure 06 « Engagement et énergie / persévérance », 18.3, p.303.<br />
Figure 07 « Sentiment d’efficacité », 18.3, p.303.<br />
Figure 08 « Sentiment d’absorption <strong>dans</strong> l’activité », 18.3, p.304.<br />
Figure 09 « Résultats <strong>de</strong> l’engagement », 18.4, p.305.<br />
Figure 10 « L’engagement comme prise <strong>de</strong> risque », 18.4.1, p.306.<br />
Figure 11 « Indifférence et engagement », 18.4.2, p.307.<br />
Figure 12 « Rôle professionnel, éthique et engagement », 18.4.3, p.307.<br />
Figure 13 « Déontologie et éthique selon Ricœur », p.197.<br />
Figure 14 « Triangle éthique revisité », p.222.<br />
Annexe 17 Liste récapitulative: in<strong>de</strong>x <strong>de</strong>s tableaux.<br />
Tableau 01 « Caractéristiques du soin », 1.2, p.29-30.<br />
Tableau 02 « Objectifs prioritaires <strong>de</strong> la recherche », 10.3, p. 223.<br />
Tableau 03 « Hypothèses <strong>de</strong> recherche »,11.2, 2345.<br />
Tableau 04 « Hypothèse 1 », 11.2, p.237.<br />
556
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
Tableau 05 « Hypothèse 2 » 11.2, p.238.<br />
Tableau 06 « Hypothèse 3 », 11,2, p.239.<br />
Tableau 07 « Hypothèse 4 »,1.2, p.240.<br />
Tableau 08 « Hypothèse 5 », 11.2, p. 241.<br />
Tableau 09 « Principaux concepts en lien avec <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> », 12.1, 247.<br />
Tableau 10 « Principaux concepts en lien avec l’éthique », 11.2, p.248.<br />
Tableau 11 « Principaux concepts en lien avec l’i<strong>de</strong>ntité », 11.2, 249.<br />
Tableau 12 « Principaux concepts en lien avec la formation », 11.2, p.250.<br />
Tableau 13 « Principaux concepts en lien avec l’engagement », 11.2, p.251.<br />
Tableau 14 « Modèle <strong>de</strong> traitement pour l’analyse linéaire », 16.4, p.283.<br />
Tableau 15 « Modèle <strong>de</strong> traitement pour l’analyse transversale ». Chapitre 19,<br />
p.309.<br />
Tableau 16 « Valeurs essentiel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> », 19.2.1,<br />
p.318.<br />
557
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
558
Annexe 2<br />
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
JORF n°40 du 16 février 2002<br />
Texte n°18<br />
DECRET<br />
Décret n° 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à<br />
l’exercice <strong>de</strong> la profession d’infirmier<br />
Le Premier ministre,<br />
NOR: MESP0220026D<br />
Sur le rapport <strong>de</strong> la ministre <strong>de</strong> l’emploi et <strong>de</strong> la solidarité et du ministre délégué à la<br />
santé,<br />
Vu le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé publique ;<br />
Vu le décret n° 90-1118 du 18 décembre 1990 modifiant le décret n° 47-1544 du 13<br />
août 1947 instituant un diplôme d’Etat <strong>de</strong> puériculture ;<br />
Vu le décret n° 91-1281 du 17 décembre 1991 modifiant le décret n° 88-903 du 30<br />
août 1988 créant un certificat d’aptitu<strong>de</strong> aux fonctions d’infirmier spécialisé en<br />
anesthésie-réanimation ;<br />
Vu le décret n° 92-48 du 13 janvier 1992 modifiant le décret n° 71-388 du 21 mai<br />
1971 portant création d’un certificat d’aptitu<strong>de</strong> aux fonctions d’infirmier <strong>de</strong> salle<br />
d’opération ;<br />
Vu le décret n° 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règ<strong>les</strong> professionnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />
<strong>infirmiers</strong> et <strong>de</strong>s infirmières ;<br />
Vu l’avis <strong>de</strong> la commission <strong>de</strong>s <strong>infirmiers</strong> du Conseil supérieur <strong>de</strong>s professions<br />
paramédica<strong>les</strong> en date du 23 février 2001 ;<br />
Vu l’avis <strong>de</strong> l’Académie nationale <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine en date du 26 juin 2001 ;<br />
Le Conseil d’Etat (section sociale) entendu,<br />
Décrète :<br />
Article 1<br />
559
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
L’exercice <strong>de</strong> la profession d’infirmier comporte l’analyse, l’organisation, la réalisation<br />
<strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et leur évaluation, la contribution au recueil <strong>de</strong> données cliniques<br />
et épidémiologiques et la participation à <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> prévention, <strong>de</strong> dépistage, <strong>de</strong><br />
formation et d’éducation à la santé. Dans l’ensemble <strong>de</strong> ces activités, <strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
sont soumis au respect <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> professionnel<strong>les</strong> et notamment du secret<br />
professionnel. Ils exercent leur activité en relation avec <strong>les</strong> autres professionnels du<br />
secteur <strong>de</strong> la santé, du secteur social et médico-social et du secteur éducatif.<br />
Article 2<br />
Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité technique et<br />
qualité <strong>de</strong>s relations avec le mala<strong>de</strong>. Ils sont réalisés en tenant compte <strong>de</strong> l’évolution<br />
<strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s techniques. Ils ont pour objet, <strong>dans</strong> le respect <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la<br />
personne, <strong>dans</strong> le souci <strong>de</strong> son éducation à la santé et en tenant compte <strong>de</strong> la<br />
personnalité <strong>de</strong> celle-ci <strong>dans</strong> ses composantes physiologique, psychologique,<br />
économique, sociale et culturelle :<br />
1° De protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et mentale <strong>de</strong>s<br />
personnes ou l’autonomie <strong>de</strong> leurs fonctions vita<strong>les</strong> physiques et psychiques en vue<br />
<strong>de</strong> favoriser leur maintien, leur insertion ou leur réinsertion <strong>dans</strong> leur cadre <strong>de</strong> vie<br />
familial ou social ;<br />
2° De concourir à la mise en place <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s et au recueil <strong>de</strong>s informations uti<strong>les</strong><br />
aux autres professionnels, et notamment aux mé<strong>de</strong>cins pour poser leur diagnostic et<br />
évaluer l’effet <strong>de</strong> leurs prescriptions ;<br />
3° De participer à l’évaluation du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> dépendance <strong>de</strong>s personnes ;<br />
4° De contribuer à la mise en oeuvre <strong>de</strong>s traitements en participant à la surveillance<br />
clinique et à l’application <strong>de</strong>s prescriptions médica<strong>les</strong> contenues, le cas échéant,<br />
<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s protoco<strong>les</strong> établis à l’initiative du ou <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins prescripteurs ;<br />
5° De participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement <strong>de</strong> la douleur et <strong>de</strong><br />
la détresse physique et psychique <strong>de</strong>s personnes, particulièrement en fin <strong>de</strong> vie au<br />
moyen <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> palliatifs, et d’accompagner, en tant que <strong>de</strong> besoin, leur entourage.<br />
560
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
Annexe 3 : Référentiel <strong>de</strong> compétences en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
561
CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
Annexe 4 : Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor, 2012.<br />
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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Annexe 5 : Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’Infirmier.<br />
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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Annexe 6 : Référentiel européen <strong>de</strong> compétences en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />
630
Annexes 7<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
DONNÉES DE LA PHASE EXPLORATOIRE<br />
Cette phase a été menée <strong>dans</strong> un IFSI français afin <strong>de</strong> ne pas empiéter sur la<br />
population susceptible <strong>de</strong> participer à la recherche ultérieure. Même si certains<br />
éléments sont certes différents, <strong>les</strong> problématiques centra<strong>les</strong>, en particulier liées à<br />
l’engagement et à sa dimension éthique, conservent un caractère suffisamment<br />
semblable pour que cette phase ait pu constituer une amorce pertinente au<br />
développement <strong>de</strong>s entretiens qui ont suivi en Suisse.<br />
Les entretiens n’ont pas été retranscrits intégralement, mais ont fait l’objet<br />
d’une prise <strong>de</strong> notes pendant chaque entretien, complétée immédiatement après. Ces<br />
notes ont ensuite été reprises et classées par thèmes pour l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens.<br />
D’une manière générale, <strong>les</strong> neuf personnes interrogées démontrent toutes une<br />
volonté certaine d’exercer cette profession.<br />
Pour <strong>de</strong>ux personnes plus âgées, il s’agit d’une véritable réorientation<br />
professionnelle. L’un est agriculteur et l’autre ven<strong>de</strong>use. Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux cas, c’est une<br />
recherche profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> sens à l’existence qui <strong>les</strong> a motivés à faire ce changement <strong>de</strong><br />
cap important.<br />
Une troisième personne plus âgée également travaillait en entreprise, à<br />
EDF/GDF. Elle a fait cette formation sur un congé mais sans donner sa démission.<br />
Persuadée <strong>dans</strong> un premier temps qu’elle quitterait l’entreprise pour rejoindre le<br />
mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, elle a été profondément découragée par <strong>les</strong> difficultés rencontrées<br />
et envisage à présent, au terme <strong>de</strong> cette formation, <strong>de</strong> repartir <strong>dans</strong> son entreprise.<br />
Les valeurs et le sens <strong>de</strong> la profession<br />
Toutes <strong>les</strong> personnes interrogées sont fondamentalement interpellées par le<br />
sens <strong>de</strong> leurs actes et la responsabilité qui leur incombe, une responsabilité qui pour<br />
certains est angoissante et difficile à gérer.<br />
Lorsque nous <strong>de</strong>mandons <strong>de</strong> citer <strong>les</strong> valeurs prédominantes pour eux en<br />
tant que futurs soignants, <strong>les</strong> valeurs récurrentes <strong>de</strong> respect, <strong>de</strong> dignité et <strong>de</strong><br />
631
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
disponibilité sont évoquées. On trouve ensuite <strong>de</strong>s valeurs soulignant l’importance<br />
<strong>de</strong> l’humain : humanité, relationnel, écoute, patience, accompagnement, non-<br />
jugement, réconfort, authenticité, congruence… tandis que d’autres sont plus liées à<br />
la compétence professionnelle : rigueur, désir <strong>de</strong> bien faire, conscience<br />
professionnelle, responsabilité, efficacité… et enfin d’autres s’apparentent davantage<br />
à un don <strong>de</strong> soi : se mettre au service, donner du positif, faire le bien.<br />
Au niveau <strong>de</strong> la formation, plusieurs regrettent que la thématique <strong>de</strong>s<br />
valeurs ne soit que très rapi<strong>de</strong>ment abordée, et ce en première année, sans<br />
approfondissement ni exploitation sur <strong>de</strong>s situations pratiques, sauf lorsque le cas se<br />
présente durant un stage et là « c’est souvent difficile <strong>de</strong> prendre le recul pour<br />
analyser <strong>de</strong> manière objective ».<br />
Les étudiants et la réalité professionnelle<br />
Ce qui d’emblée nous a frappée à la réalisation <strong>de</strong> ces entretiens individuels,<br />
fut le cri <strong>de</strong> révolte unanime <strong>de</strong> ces personnes, pour dénoncer le système <strong>dans</strong> lequel<br />
el<strong>les</strong> ont effectué leurs stages.<br />
S’ils se plaignent aussi <strong>de</strong> manière récurrente <strong>de</strong> n’être « que » <strong>de</strong> la « main<br />
d’œuvre » à moindre coût, <strong>les</strong> stages ne constituant pas une réelle préparation à la<br />
pratique professionnelle, il est surtout frappant <strong>de</strong> noter à quel point <strong>les</strong> étudiants<br />
sont choqués par <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail rencontrées. Et <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> qu’ils donnent,<br />
multip<strong>les</strong> et divers, sont diffici<strong>les</strong> à imaginer. Ils se réfèrent pour la plupart au Centre<br />
Hospitalier <strong>de</strong> la région qui est non seulement le seul hôpital aux alentours mais qui,<br />
par ailleurs, représente également le plus gros pourvoyeur d’emplois <strong>de</strong> la région.<br />
Fort <strong>de</strong> cet atout, cet établissement offre <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail extrêmement<br />
pénib<strong>les</strong>. Les étudiants relatent <strong>de</strong>s états <strong>de</strong> fatigue extrêmes qui ont <strong>de</strong>s<br />
répercussions sur <strong>les</strong> équipes qui se désolidarisent, mais au-<strong>de</strong>là même sur <strong>les</strong><br />
patients qui subissent <strong>de</strong> réel<strong>les</strong> maltraitances, en particulier psychologiques (pas <strong>de</strong><br />
réponses aux sonnettes, lits salis non changés, repas insuffisants…). De plus, la<br />
menace n’avoir plus qu’une semaine <strong>de</strong> vacances en été, <strong>de</strong> ne plus avoir <strong>de</strong> primes<br />
ou <strong>de</strong> possibilité d’avancement etc… sape la motivation restante du personnel, tandis<br />
que <strong>les</strong> évaluations annuel<strong>les</strong> renforcent un esprit <strong>de</strong> compétition entre <strong>les</strong> soignants<br />
632
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
qui souhaitent gagner <strong>les</strong> faveurs <strong>de</strong> leurs cadres pour bénéficier <strong>de</strong>s seuls avantages<br />
encore accessib<strong>les</strong>.<br />
Ces dynamiques particulièrement diffici<strong>les</strong> à supporter pour <strong>les</strong> soignants<br />
ont bien entendu aussi <strong>de</strong>s répercussions sur <strong>les</strong> étudiants et plusieurs se sont vus<br />
encouragés à changer <strong>de</strong> voie par <strong>de</strong>s soignants qui <strong>les</strong> encadraient.<br />
Les personnes modè<strong>les</strong> sont cel<strong>les</strong> qui prennent le temps <strong>de</strong> discuter avec le<br />
patient, mais ce sont aussi cel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> étudiants voient décompenser physiquement<br />
et psychiquement.<br />
Sept étudiants sur <strong>les</strong> neuf relèvent le problème moral que représente pour<br />
eux le fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir exercer <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> qui vont profondément à l’encontre <strong>de</strong> leurs<br />
valeurs. Un huitième en éprouve même un sentiment <strong>de</strong> colère : « c’est terriblement<br />
frustrant <strong>de</strong> ne pas pouvoir répondre lorsque le patient dit cela ne va pas, mais on<br />
n’a pas le temps ! ». « Je me sens coupable <strong>de</strong> voir toutes ces vieil<strong>les</strong> personnes<br />
attachées, couvertes d’escarres, déshydratées, simplement parce qu’on n’a pas le<br />
temps <strong>de</strong> passer plus <strong>de</strong> cinq minutes <strong>dans</strong> la matinée ». Les étudiants relèvent la<br />
difficulté <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s patients renvoyés chez eux alors même que le contexte ne<br />
permettra pas qu’ils soient pris en charge correctement.<br />
l’acte ».<br />
« Ils sont simplement <strong>de</strong>venus trop coûteux <strong>dans</strong> le système <strong>de</strong> tarification à<br />
La frustration est d’autant plus gran<strong>de</strong> qu’il est difficile d’entreprendre <strong>de</strong>s<br />
démarches pour dénoncer ces abus <strong>dans</strong> la mesure où la Haute Autorité <strong>de</strong> Santé a<br />
cédé son autorité à <strong>de</strong>s tutel<strong>les</strong> multip<strong>les</strong> qui exercent <strong>de</strong>s pressions différentes et<br />
parfois contradictoires sur <strong>les</strong> pô<strong>les</strong> hospitaliers.<br />
Principes éthiques<br />
Les étudiants regrettent <strong>de</strong> n’avoir travaillé le thème <strong>de</strong>s valeurs que <strong>de</strong><br />
manière très conceptuelle, <strong>de</strong> même qu’ils n’ont pas abordé l’éthique en lien avec la<br />
profession. Pourtant, leur vécu démontre l’importance <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments éthiques qui<br />
sous-ten<strong>de</strong>nt leur exercice professionnel. Si nous reprenons <strong>les</strong> principes éthiques tels<br />
qu’édictés pour la profession par l’Association Suisse <strong>de</strong>s Infirmières, nous réalisons<br />
633
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
que chacun <strong>de</strong> ces principes est mis à mal par <strong>les</strong> situations qu’ils ont vécues. On<br />
peut dès lors aisément comprendre le malaise rencontré par ces étudiants.<br />
1.- Principe d’équité : <strong>les</strong> patients ne sont pas traités <strong>de</strong> la même manière. Un patient<br />
qui est bien entouré par sa famille et dont on sait que celle-ci sera attentive à la<br />
manière dont il est pris en charge, reçoit plus d’attention que ceux dont personne ne<br />
se préoccupe. « Le matin on a <strong>de</strong>ux paires <strong>de</strong> draps propres pour 36 lits (service <strong>de</strong><br />
mé<strong>de</strong>cine aigue) donc on discute au colloque pour savoir qui aura <strong>de</strong> la visite. C’est<br />
ceux-là qui reçoivent <strong>les</strong> draps ».<br />
2.- Principe <strong>de</strong> véracité : <strong>les</strong> mensonges quant aux diagnostics sont courants. « Si<br />
t’annonces à quelqu’un qu’il a un cancer, il faut prendre du temps, prendre <strong>de</strong>s gants<br />
et lancer tout un arsenal pour l’accompagner psychologiquement, c’est trop<br />
coûteux ».<br />
3.- Principe <strong>de</strong> bienfaisance : <strong>les</strong> soignants ne sont pas en mesure <strong>de</strong> faire le bien<br />
qu’ils jugent bon. Ils doivent fonctionner <strong>dans</strong> l’urgence et toujours au coup par coup.<br />
Par exemple si un patient décè<strong>de</strong>, il est remplacé <strong>dans</strong> l’heure qui suit par un autre.<br />
Aucune possibilité <strong>de</strong> faire le <strong>de</strong>uil, la chambre doit être rentabilisée.<br />
La charge administrative absorbe <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> temps au détriment du temps<br />
passé auprès du patient.<br />
Certains étudiants culpabilisent car, disent-ils, lors que la journée est déjà<br />
tellement remplie et que cinq minutes sont enfin libres, « on a plus qu’une envie,<br />
c’est <strong>de</strong> s’asseoir sur une chaise au calme et non pas près d’un patient ».<br />
Certains étudiants affirment ne pas avoir <strong>de</strong> pause, le plus souvent, avant 17<br />
heures. Actif sur le service <strong>de</strong>puis 7 heures le matin, ils n’ont pas le temps <strong>de</strong> manger<br />
jusqu’à ce qu’arrive la relève du soir.<br />
4.- Principe <strong>de</strong> non-malfaisance : <strong>les</strong> étudiants sont conscients d’être partiellement<br />
responsab<strong>les</strong> d’escarres par exemple, simplement par manque <strong>de</strong> temps pour la<br />
mobilisation. Pour certains ce sont <strong>de</strong>s conflits intérieurs lourds à supporter. Selon<br />
eux, diverses complications pourraient être évitées avec d’autres conditions <strong>de</strong><br />
634
travail : infections à répétition, phlébites…<br />
Fonctionnement organisationnel<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Au plan organisationnel, <strong>les</strong> personnes regrettent l’absence <strong>de</strong> budgets pour<br />
<strong>les</strong> formations ainsi que pour <strong>les</strong> projets institutionnels. Ainsi par exemple, un<br />
étudiant explique qu’en psychiatrie toutes <strong>les</strong> subventions pour <strong>les</strong> projets, <strong>les</strong> sorties<br />
et <strong>les</strong> ateliers ont été coupées. De ce fait, <strong>les</strong> patients chroniques hospitalisés parfois à<br />
vie <strong>dans</strong> ces lieux se retrouvent sans activités. Le désœuvrement conduit aux<br />
querel<strong>les</strong>, puis aux violences entre patients mais également à l’égard du personnel.<br />
Actuellement une <strong>de</strong> ses collègues est arrêtée <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux mois pour burnout après<br />
la violente agression d’un patient. Elle n’est pas remplacée et le surcroît <strong>de</strong> travail se<br />
répartit sur l’équipe qui s’épuise à son tour, et dont certains membres menacent à<br />
présent aussi <strong>de</strong> tomber mala<strong>de</strong>.<br />
Formation<br />
Au niveau <strong>de</strong> la formation, <strong>les</strong> étudiants sont unanimes pour en reconnaître<br />
la qualité. Certains regrettent que l’accent soit encore un peu trop mis sur <strong>les</strong><br />
capacités techniques plus que sur <strong>les</strong> capacités relationnel<strong>les</strong> mais reconnaissent<br />
néanmoins un effort consenti <strong>dans</strong> ce sens.<br />
L’école prend <strong>les</strong> étudiants au sérieux et se soucie d’eux, <strong>de</strong> leur vécu en<br />
stage et <strong>de</strong> leur bien-être. Les enseignants sont très présents et à l’écoute. Néanmoins<br />
plusieurs se font du souci du fait <strong>de</strong> l’absence <strong>de</strong> ce pôle d’écoute et <strong>de</strong> conseil après<br />
la formation. « L’école c’est notre soupape, je peux pas m’imaginer comment ça sera<br />
après ». Une étudiante exprime le souhait <strong>de</strong> pouvoir continuer à venir, au moins<br />
<strong>de</strong>ux fois par mois, pour discuter si possible avec ses pairs, mais aussi avec <strong>de</strong>s<br />
enseignants afin <strong>de</strong> pouvoir obtenir <strong>de</strong>s conseils sur sa pratique.<br />
L’i<strong>de</strong>ntité infirmière est abordée sur le plan conceptuel mais ne fait pas<br />
l’objet d’une exploration en profon<strong>de</strong>ur, <strong>dans</strong> une perspective <strong>de</strong> développement <strong>de</strong><br />
la profession. Cela reste très abstrait car <strong>dans</strong> la réalité <strong>de</strong> la pratique il n’y a que très<br />
peu <strong>de</strong> place pour le rôle autonome.<br />
L’engagement n’est pas du tout un concept thématisé durant la formation.<br />
635
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Quant à l’épuisement professionnel, il semble que ce soit la première année qu’un<br />
cours <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures ait été dispensé sur le sujet. Il a consisté en la présentation <strong>de</strong><br />
symptômes et a permis <strong>de</strong> comprendre le lien avec le stress.<br />
Les mesures <strong>de</strong> prévention et le lien avec l’engagement n’ont pas été abordés.<br />
Les ressources actuel<strong>les</strong> ou possib<strong>les</strong><br />
Les ressources personnel<strong>les</strong> apparaissent pour beaucoup comme un élément<br />
essentiel <strong>dans</strong> la gestion <strong>de</strong> cette vie professionnelle difficile. C’est souvent au travers<br />
<strong>de</strong> la verbalisation que ces ressources jouent un rôle clé. Que ce soit <strong>dans</strong> la famille,<br />
<strong>dans</strong> <strong>les</strong> échanges avec un proche, avec <strong>de</strong>s amis, <strong>de</strong>s collègues ou encore <strong>de</strong>s<br />
enseignants, cette mise en mots du vécu permet <strong>de</strong> s’en distancer et <strong>de</strong> mieux<br />
pouvoir le gérer.<br />
Ils sont convaincus <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> s’écouter et <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> soi, tout<br />
en regrettant <strong>de</strong> n’avoir pas beaucoup d’outils pour le faire.<br />
Les étudiants n’ont pas envie <strong>de</strong> baisser <strong>les</strong> bras mais souhaitent contribuer à<br />
un changement <strong>dans</strong> cette situation. « Il faut travailler avec <strong>les</strong> cadres, ce sont eux qui<br />
peuvent faire bouger <strong>les</strong> choses ». La motivation et l’engagement jouent <strong>dans</strong> ce sens<br />
un rôle essentiel : « Il faut nourrir la motivation, ne pas se résigner ». Cette<br />
motivation passe par une offre plus importante <strong>de</strong> formations complémentaires,<br />
l’accessibilité au travail à temps partiel.<br />
Pour ces étudiants, il est temps que la situation change et cela peut se faire à<br />
condition <strong>de</strong> démarrer cela dès la formation, lorsque la motivation et l’énergie sont<br />
encore pleinement disponib<strong>les</strong>. Dans ce sens on pourrait travailler <strong>de</strong>s stratégies<br />
défensives : « Il faut créer <strong>de</strong>s mouvements à l’école pour nous défendre, défendre<br />
nos idées, faire valoir notre i<strong>de</strong>ntité » mais également élaborer <strong>de</strong>s stratégies<br />
permettant d’asseoir l’i<strong>de</strong>ntité infirmière en prenant l’initiative <strong>de</strong> ce combat : « Il<br />
faudrait apprendre à se positionner et à mettre en place <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> réflexion<br />
avec le ministère <strong>de</strong> la santé ».<br />
636
Conclusion<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
On ne peut être qu’admiratif <strong>de</strong>vant la détermination <strong>de</strong> ces personnes, qui<br />
malgré ce contexte professionnel extrêmement difficile, continuent d’être<br />
passionnées par leur profession et souhaitent l’exercer du mieux possible. Loin <strong>de</strong><br />
baisser <strong>les</strong> bras, el<strong>les</strong> souhaitent s’engager, pour le patient mais également pour la<br />
profession elle-même, tout en étant clairvoyantes sur <strong>les</strong> risques <strong>de</strong> cet engagement.<br />
Il est donc nécessaire que l’école soit un lieu <strong>de</strong> préparation à cela, et accentue encore<br />
ses apports sur <strong>les</strong> valeurs qui sous-ten<strong>de</strong>nt cet engagement et <strong>les</strong> gui<strong>de</strong>nt et <strong>les</strong><br />
outillent pour leur permettre d’y faire face sans y laisser leur santé.<br />
637
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
638
Annexe 8 : Grille du questionnaire.<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
QUESTIONNAIRE ENGAGEMENT ET ÉTHIQUE<br />
Comment qualifieriez-vous votre engagement professionnel ?<br />
Cochez la case qui vous semble le mieux correspondre à votre niveau d’engagement<br />
professionnel ?<br />
Pas engagé<br />
Très peu<br />
engagé<br />
Assez<br />
engagé<br />
639<br />
Engagé<br />
Fortement<br />
engagé<br />
Quels sont <strong>les</strong> facteurs d’engagement pour vous, <strong>dans</strong> un ordre <strong>de</strong> priorité ?<br />
Très<br />
fortement<br />
engagé<br />
Classer ces facteurs par ordre d’importance (1 étant l’aspect le plus important pour<br />
vous).<br />
Motivation, intérêt pour ce que je fais<br />
Adéquation avec mes convictions, mes valeurs<br />
Responsabilité, <strong>de</strong>voir<br />
Sens, cohérence avec mes objectifs, intérêt<br />
Intérêt du patient, bienveillance<br />
Gain salarial, rémunération<br />
Reconnaissance sociale<br />
Autre, précisez………………………………………………….
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> manifestations <strong>de</strong> l’engagement ? (Répondre par oui ou non)<br />
Je suis plein d’énergie, <strong>de</strong> persévérance oui non<br />
Je me sens efficace, enthousiaste oui non<br />
Je suis absorbé <strong>dans</strong> mon activité, je ne vois pas le temps<br />
passer oui non<br />
Quels sont <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> l’engagement pour la personne qui s’engage ?<br />
(Donner un chiffre par ordre d’importance, 1 étant l’aspect qui vous semble le plus<br />
important.)<br />
Reconnaissance sociale<br />
Sens à son existence<br />
Valorisation<br />
Sentiment d’utilité<br />
Satisfaction<br />
Perte <strong>de</strong> liberté<br />
Épanouissement<br />
Efficacité<br />
Êtes-vous d’accord avec <strong>les</strong> affirmations suivantes ? (Quel que soit votre choix,<br />
explicitez en quelques mots-clés votre réponse.)<br />
640
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
L’engagement constitue une prise <strong>de</strong> risque ?<br />
oui non Pourquoi ?<br />
L’indifférence est le contraire <strong>de</strong> l’engagement ?<br />
oui non Pourquoi ?<br />
On peut exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique sans être engagé ?<br />
oui non Pourquoi ?<br />
641
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
642
Annexe 9<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
TRAME SERVANT DE BASE AUX ENTRETIENS SEMI-DIRIGÉS<br />
CHOIX PROFESSIONNEL<br />
Motivation au choix <strong>de</strong> la profession.<br />
Motivation actuelle sur le plan professionnel.<br />
ÉTHIQUE, PROFESSION ET ENGAGEMENT<br />
Valeurs considérées comme essentiel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>.<br />
Importance <strong>de</strong> l'adéquation entre valeurs personnel<strong>les</strong> et/ou professionnel<strong>les</strong><br />
avec l'engagement.<br />
ENGAGEMENT ET VÉCU PERSONNEL<br />
Définition et compréhension <strong>de</strong> l'engagement.<br />
Expériences personnel<strong>les</strong> et interpersonnel<strong>les</strong> avec la notion d'engagement.<br />
Lien entre engagement et responsabilité, <strong>de</strong>voir, valeurs propres,<br />
sens/cohérence, motivation.<br />
ENGAGEMENT ET FORMATION PRATIQUE OU THÉORIQUE<br />
Moteurs et freins à l'engagement, durant la formation et <strong>dans</strong> la pratique.<br />
Dimension communicationnelle et relationnelle <strong>de</strong> l'engagement.<br />
Cours ou moments pédagogiques ayant un impact sur la dimension éthique<br />
<strong>de</strong> l'engagement.<br />
Éléments qui pourraient être uti<strong>les</strong> durant la formation pour favoriser la<br />
construction d'un engagement sain.<br />
643
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
644
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Annexe 11 Traitement Excel <strong>de</strong>s questionnaires<br />
645
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
646
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
647
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
648
Annexe 12<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
ANALYSE DES QUESTIONS OUVERTES<br />
QUESTION : L’ENGAGEMENT CONSTITUE UNE PRISE DE RISQUE ?<br />
Mots-clés justifiant la réponse oui :<br />
- « mise en danger <strong>de</strong> soi »<br />
- « on s’expose »<br />
- « engagement = exposition <strong>de</strong> soi »<br />
- « il faut argumenter sa position et l’affirmer »<br />
- « cela implique une prise <strong>de</strong> position on s’expose à un jugement »<br />
- Prise <strong>de</strong> risque nécessaire <strong>dans</strong> le sens qu’elle fait partie <strong>de</strong> l’engagement<br />
- Du moment « que l’on s’engage, il y a prise <strong>de</strong> risque »<br />
- « sans prise <strong>de</strong> risque, il n’y a pas d’évolution »<br />
- « il faut faire le choix <strong>de</strong> s’engager ou pas et il y a un risque <strong>de</strong>s 2 côtés »<br />
- « la prise <strong>de</strong> risque peut être calculée. Sans risque on ne fait rien »<br />
- « l’engagement (…) implique une prise <strong>de</strong> risque »<br />
- « Risque d’être déçu »<br />
- Risque d’ « être déçu, touché »<br />
- « on peut être déçu » soit parce que <strong>dans</strong> l’erreur, soit par manque <strong>de</strong><br />
confiance d’autrui<br />
- « attentes » par rapport à l’autre « risque que l’autre ne veuille pas <strong>de</strong> cet<br />
engagement »<br />
- « Risque à s’engager », « risque du résultat »<br />
- « prise <strong>de</strong> risque car pas sûr du résultat »<br />
- « pas la garantie que notre engagement soit reconnu et valorisé »<br />
- « on ne sait pas (…) si l’engagement (…) aura <strong>de</strong>s conséquences »<br />
649
- « Risque d’épuisement »<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
- «Risque d’ « épuisement », <strong>de</strong> « frustration »<br />
- « risque <strong>de</strong> ne pas arriver au bout <strong>de</strong> l’engagement frustration »<br />
- « risque d’épuisement » « si pas <strong>de</strong> recul ou si contrainte »<br />
- « engagement nécessite investissement important » donc « risque <strong>de</strong> conduire<br />
à l’épuisement et finalement provoque désengagement »<br />
- « risque pour la santé »<br />
- « si trop d’engagement », risque <strong>de</strong> « perturber la personne en <strong>de</strong>hors du<br />
travail »<br />
- « une prise <strong>de</strong> risque <strong>de</strong> s’oublier soi-même et son réseau social »<br />
- « engagement comme prise <strong>de</strong> « temps » et d’ « énergie »<br />
- Nécessite « beaucoup d’énergie, investissement personnel »<br />
- Engagement excessif : trop pour <strong>les</strong> autres, pas assez pour soi »<br />
- « il faut savoir ses limites »<br />
- « prise <strong>de</strong> responsabilité »<br />
Mots-clés justifiant la réponse non :<br />
- « l’engagement est un positionnement » « mais sans prendre <strong>de</strong> risque » par<br />
rapport à « la fonction ni face au patient »<br />
- « prise <strong>de</strong> risque calculée en fonction <strong>de</strong> ma motivation, sens du<br />
professionnalisme »<br />
- Pas <strong>de</strong> risque si on est « authentique », si on fonctionne <strong>dans</strong> « l’authenticité »<br />
- « on choisit on désire s’engager »<br />
650
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
QUESTION : L’INDIFFÉRENCE EST LE CONTRAIRE DE L’ENGAGEMENT ?<br />
Mots-clés justifiant la réponse oui :<br />
- « l’engagement signifie un investissement qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s convictions »<br />
- « l’indifférence » = « quand on ne s’investit pas », « l’engagement » = « un<br />
investissement <strong>de</strong> sa personne »<br />
- « engagement = attention envers l’autre », l’engagement peut dépendre <strong>de</strong> la<br />
situation<br />
- « indifférence = désintérêt »<br />
- « indifférence = passivité »<br />
- « Pour moi l’engagement signifie qu’il y a au bout un épanouissement et une<br />
reconnaissance, si au moins ces 2 valeurs ne sont pas respectées cela veut dire<br />
[que] le groupe auquel on appartient est indifférent à notre participation »<br />
- « Car l’absence d’avis implique une non-motivation »<br />
- « Engagement en rapport avec : nos valeurs, croyances, sens qu’on donne,<br />
donc on y est pas indifférent, on éprouve un intérêt »<br />
- « intérêt à l’autre/négation <strong>de</strong> l’autre »<br />
- « indifférent = non-motivé »<br />
- « peut pas être indifférent si engagé ni l’inverse »<br />
- « On ne peut être indifférent quand on est engagé »<br />
- « Quelqu’un d’indifférent à une situation ne va pas s’engager pour celle-ci »<br />
Mots-clés justifiant la réponse non :<br />
- Car le contraire d’engagement = « désengagement » (« action active »).<br />
« Indifférence pas <strong>de</strong> positionnement actif »<br />
- Le contraire d’ « engagement = désengagement » et non pas indifférence<br />
- « pas forcément le contraire, mais un autre <strong>de</strong>gré d’engagement »<br />
- « <strong>de</strong>ux concepts qui ne sont pas sur le même échelon »<br />
- « <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sont sur un même continuum »<br />
651
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
- « pas possible d’être indifférent pour pratiquer ce métier »<br />
- « Je pense qu’on peut fonctionner sans être engagé, mais pas en étant<br />
indifférent »<br />
- « Car ce n’est pas parce que on ne s’engage pas qu’on est forcément<br />
indifférent »<br />
- L’indifférence peut être une « attitu<strong>de</strong> défensive contre un engagement sans<br />
limite »<br />
- « pas forcément, car il y a <strong>de</strong>s situations on fait l’indifférent pour mieux<br />
réfléchir », prendre du recul<br />
- « on peut être indifférent mais pour avoir pris du recul, pas forcément qu’une<br />
situation ne nous touche pas »<br />
- « on peut être engagé <strong>dans</strong> son activité tout en étant indifférent sur certains<br />
aspects »<br />
- « on peut être indifférent à certains aspects <strong>de</strong> quelque chose pour lequel on<br />
s’engage »<br />
- « c’est un choix <strong>de</strong> s’engager, mais quelqu’un d’indifférent va peut-être avoir<br />
d’autres satisfactions »<br />
- « L’indifférence est une forme d’engagement »<br />
- « on ne peut pas souhaiter s’engager par choix sans être indifférent à la<br />
thématique/ au problème »<br />
QUESTION : ON PEUT EXERCER UN RÔLE PROFESSIONNEL DE FAÇON ÉTHIQUE SANS ÊTRE<br />
ENGAGÉ ?<br />
Mots-clés justifiant la réponse oui :<br />
- « est-il possible <strong>de</strong> ne pas faire <strong>de</strong> compromis entre » « éthique<br />
professionnel[le] <strong>de</strong> responsabilité » et « éthique <strong>de</strong> conviction »<br />
652
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
- « on peut exercer son rôle professionnel <strong>de</strong> façon « minimal[e] » sans le petit<br />
« plus » qui nous caractérise »<br />
- « on peut faire ce qu’il faut <strong>de</strong> manière professionnelle. » Mais « <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>,<br />
on est « obligé » d’avoir un certain engagement envers le patient »<br />
- « On peut faire du travail efficace sans pour autant s’y donn[er] corps et âme »<br />
- « Exercer le travail, <strong>de</strong> façon « machinale » en étant prise par nos pensées »<br />
- « Mais on perd en efficacité et en efficience »<br />
- « Si c’est une notion <strong>de</strong> venir travailler pour la rémunération sans avoir la<br />
motivation <strong>de</strong> ce que l’on en fait »<br />
- « en fonction <strong>de</strong> notre éducation, <strong>de</strong> nos valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />
professionnel<strong>les</strong> »<br />
Mots-clés justifiant la réponse non :<br />
- « l’engagement amène la réflexion éthique »<br />
- « éthique = valeurs = fon<strong>de</strong>ment »<br />
- « on s’engage avec nos valeurs »<br />
- « l’éthique appelle nos valeurs. Et <strong>les</strong> valeurs nous engagent. »<br />
- « dépend <strong>de</strong> ses valeurs éthiques, mais (…) on ne peut être professionnel sans<br />
s’engager pour ce que l’on fait »<br />
- « si on s’engage, on le fait avec ses valeurs propre[s]. Sans engagement (…) on<br />
perd <strong>de</strong> vue ces valeurs »<br />
- « l’éthique signifie aussi <strong>les</strong> valeurs personnel[le]s ce qui correspond aussi à<br />
l’engagement personnel »<br />
- « s’engager est donner <strong>de</strong> sa personne donc se donner avec ses valeurs »<br />
- « L’éthique nous engage automatiquement puisqu’elle implique la mise en jeu<br />
<strong>de</strong> nos valeurs »<br />
- « nos convictions personnel<strong>les</strong> motivent forcément notre engagement »<br />
- « l’éthique mobilise aussi <strong>de</strong>s valeurs sur ce qui est bon ou mauvais (…). Si<br />
nos valeurs n’y correspon<strong>de</strong>nt pas (comme l’intérêt <strong>de</strong> la vie humaine) il est<br />
difficile d’avoir un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique. »<br />
653
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
- « la gran<strong>de</strong> partie du rôle professionnel est l’engagement personnel, être<br />
éthique sans être engagé ne mènera à rien <strong>de</strong> satisfaisant »<br />
- « dépend du niveau d’engagement du professionnel »<br />
- « <strong>dans</strong> l’éthique il y a déjà une notion d’engagement <strong>dans</strong> le sens où je fais<br />
l’effort d’avoir un comportement relatif à l’éthique <strong>de</strong> la formation. En<br />
respectant <strong>les</strong> normes éthique[s] c’est comme si j’en prenais l’engagement »<br />
- « être éthique convoque l’entier <strong>de</strong> la personne. Le professionnel se doit d’être<br />
engagé. »<br />
- « un rôle professionnel engage un point <strong>de</strong> vue éthique. »<br />
- « l’éthique nécessite un minimum d’engagement. Les conditions d’éthique,<br />
tel<strong>les</strong> que l’écoute, l’empathie,… suggèrent que le pro[fessionnel] doit se sentir<br />
investi par son rôle (…)<br />
- « on ne peut pas avoir une attitu<strong>de</strong> éthique sans s’engager pour le bien-être <strong>de</strong><br />
l’autre »<br />
- « pas possible <strong>dans</strong> la relation à l’autre. Entre « humains » la relation signifie<br />
engagement à l’autre, sous diverses formes certes mais engagement »<br />
- « exercer sont rôle <strong>de</strong> manière éthique c’est être bienveillant avec l’autre, ne<br />
pas faire <strong>de</strong> mal… ». épanouissement et reconnaissance <strong>de</strong> son engagement<br />
permettent d’exercer son métier <strong>de</strong> « manière éthique ».<br />
- « s’engager c’est faire un choix, prendre position »<br />
- « l’exercice d’un rôle professionnel <strong>de</strong> manière éthique implique une prise <strong>de</strong><br />
position ainsi qu’un avis »<br />
- « engagement = responsabilité = <strong>de</strong>voir éthique »<br />
- « si on n’est pas engagé, <strong>les</strong> aspects éthiques ne seront pas respectés <strong>de</strong> la<br />
même manière que si l’on est engagé. »<br />
- « risque d’oublier son rôle professionnel, <strong>de</strong> ne pas pouvoir rester « neutre »,<br />
<strong>de</strong> vouloir persua<strong>de</strong>r l’autre [ce] qui n’est pas notre rôle<br />
- « engagement multiforme intégrant <strong>de</strong>s notions d’éthique, <strong>de</strong> respect, etc… »<br />
- « on est forcément impliqué <strong>dans</strong> son rôle <strong>dans</strong> la mesure où on le joue avec<br />
qui on est »<br />
654
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Pour ce qui est <strong>de</strong>s réponses venant justifiées le non, j’ai trouvé intéressant <strong>de</strong><br />
mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> différentes associations, surtout concernant <strong>les</strong> notions<br />
d’éthique, d’engagement, <strong>de</strong> valeur.<br />
655
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
656
Annexe 13 : Arbre thématique<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
657
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
658
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
659
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
660
Annexe 14.1<br />
Thèmes<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
TABLEAU ENTRETIEN DPM 0039<br />
principaux<br />
Choix<br />
professionnels<br />
Motivation<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Choix <strong>de</strong> la profession lié au « hasard » 1 et au « système<br />
scolaire » 1 :<br />
D’abord volonté <strong>de</strong> s’engager <strong>dans</strong> l’éducation puis changement<br />
d’orientation du fait du « système scolaire » 1 et recherche d’une<br />
profession <strong>dans</strong> <strong>les</strong> « mêmes cor<strong>de</strong>s » 1, soit une formation en<br />
<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : du fait du travail « sur le terrain » durant la<br />
formation, pour le « contact avec <strong>les</strong> personnes » 1, pour le « côté<br />
relationnel » 1 (signalé également <strong>dans</strong> le domaine éducatif) ,<br />
comme éventuelle « occasion <strong>de</strong> travailler avec <strong>les</strong> enfants » 1<br />
Choix <strong>de</strong> la profession lié à la socialisation :<br />
La sœur <strong>de</strong> l’interlocutrice a déjà fait <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s en <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> 2.<br />
Des connaissances : selon <strong>les</strong> « dires <strong>de</strong>s gens que je connaissais<br />
qui étaient <strong>infirmiers</strong> ça me paraissait une profession qui<br />
m’attirait » 1<br />
« Je sais plus qui disait, notamment en psychiatrie, qu’on ne<br />
faisait pas <strong>de</strong> la psychiatrie pour rien, j’en suis persuadé et même<br />
<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> généraux » 9<br />
Motivation liée au sens donné à l’activité :<br />
Exercice <strong>de</strong> la profession avec « toujours la même foi » 1,<br />
« motivation pour ce que je faisais et pour qui je le faisais » 2<br />
Changement du lieu <strong>de</strong> travail quand désaccord avec <strong>les</strong><br />
« valeurs »2, avec une certaine « philosophie »2<br />
(responsabilisation <strong>de</strong>s patients, respect <strong>de</strong>s « choix » 2 et<br />
661
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
« désirs » 2 <strong>de</strong>s patients<br />
Motivation liée à la temporalité :<br />
« ici c’est le lieu où je suis resté le plus longtemps » 1<br />
Engagement Engagement lié au sens <strong>de</strong> l’activité :<br />
« fais <strong>de</strong>s choses avec <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> tu es au clair » 2, « en accord<br />
avec tes valeurs » 3,<br />
« on ne peut pas faire un métier comme ici sans s’engager, ça n’a<br />
pas <strong>de</strong> sens » 3<br />
« au niveau <strong>de</strong> l’engagement, on essaie <strong>de</strong> faire <strong>les</strong> choses, d’être<br />
au clair avec ce que l’on fait et pis d’essayer d’aller au bout et<br />
enfin […] ce que l’on fait doit avoir un sens sinon ça ne sert à<br />
rien » 3<br />
Engagement comme « prise <strong>de</strong> risque » 3<br />
Limites <strong>de</strong> l’engagement :<br />
- en termes <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> distance: « équilibre normal par <strong>les</strong><br />
relations »<br />
- en termes <strong>de</strong> responsabilité quant aux résultats: « <strong>les</strong><br />
progrès ou <strong>les</strong> régressions <strong>de</strong>s rési<strong>de</strong>nts ne sont pas <strong>de</strong><br />
notre fait » 3, le rôle est d’ « accompagner » 3) bien que la<br />
« distance thérapeutique » apparaît aux dires <strong>de</strong><br />
l’interlocutrice comme « quelque chose qui se travail tout<br />
au long d’une carrière » 3<br />
- par rapport aux tâches à effectuer : « On leur dit, vous<br />
faites, ils font, vous faites, ils font… il y a un moment<br />
donné, et pour soi et pour <strong>les</strong> personnes qui sont<br />
hospitalisées, il faut arrêter quoi. » 10<br />
662
Thèmes<br />
principaux<br />
Travail en<br />
équipe<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Diversité et complémentarité <strong>de</strong> différents points <strong>de</strong> vue :<br />
« ça nourrit », « ça permet d’avancer » 4 et « d’avoir la vision <strong>de</strong>s<br />
collègues » 4<br />
Dynamique <strong>de</strong> groupe en lien avec le respect et le dialogue :<br />
« on a la chance ici d’avoir <strong>de</strong> l’équipe avec <strong>de</strong>s caractères<br />
différents mais qui se respecte et s’entend bien donc, <strong>les</strong> gens<br />
peuvent ? généralement dire ce qui ne va pas, comment ils vivent<br />
<strong>les</strong> choses. » 5. Les « clivages » 5 au sein d’une équipe sont<br />
« compliqués » 5 en termes <strong>de</strong> dynamiques d’équipe.<br />
Représentation <strong>de</strong> « bonnes équipes » :<br />
Les « bonnes équipes » sont cel<strong>les</strong> où il y a « <strong>de</strong> la discussion » 6,<br />
pour « être au clair sur le terrain » 6, pour « gar<strong>de</strong>r du sens et<br />
aussi renvoyer du sens aux personnes » 6 et éviter qu’ « on<br />
tourne en rond » 6. Pourtant, « <strong>dans</strong> <strong>les</strong> équipes <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, y a pas<br />
le temps pour <strong>les</strong> discussions, ça manque <strong>de</strong> discussion, ça<br />
manque <strong>de</strong> réflexion c’est… » 10<br />
Burnout Les multip<strong>les</strong> facteurs du burnout :<br />
Selon l’interlocutrice, le burnout est « multifactoriel » 7 et est lié :<br />
- Au fait qu’il y a <strong>de</strong> « plus en plus <strong>de</strong> pressions » 4« on est<br />
<strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> où il y a <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> pression mais<br />
pas forcément au travail, ça peut être aussi <strong>de</strong>s pressions<br />
<strong>de</strong> l’extérieur » 4<br />
- À un surinvestissement et sentiment <strong>de</strong> responsabilité<br />
(<strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> professionnel)<br />
- Au manque <strong>de</strong> « parole » 4 <strong>dans</strong> certaines institutions (la<br />
parole, le dialogue permettant pourtant, selon<br />
l’interlocutrice, d’évacuer <strong>les</strong> pressions et éviter « stress » 5<br />
663
Thèmes<br />
principaux<br />
L’hôpital et sa<br />
gestion<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
et « tensions » 5, « le fait <strong>de</strong> pouvoir verbaliser c’est quand<br />
même, ça permet <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>r la marmite au fur et à mesure »<br />
5)<br />
- Aux « conditions <strong>de</strong> travail » 5<br />
- À une difficulté <strong>de</strong>s personnes présentant <strong>de</strong>s risques au<br />
burnout<br />
Désengagement et sur-engagement :<br />
Selon l’interlocutrice, il y a « <strong>de</strong>ux positions » face à<br />
l’épuisement : « Ou <strong>les</strong> gens sont au bord <strong>de</strong> l’épuisement ou ils<br />
lâchent l’affaire, ils viennent et la seule chose c’est prendre un<br />
salaire » 6<br />
Le désengagement / désinvestissement comme stratégie pour<br />
éviter le burnout : attitu<strong>de</strong> par laquelle <strong>les</strong> personnes, selon<br />
l’interlocutrice, ne trouvent pas <strong>de</strong> « satisfaction » 6 au travail.<br />
Surinvestissement : « ce sont <strong>de</strong>s gens qui se ren<strong>de</strong>nt<br />
indispensab<strong>les</strong> » 6 et qui présentent un « besoin <strong>de</strong><br />
reconnaissance » 7, un « manque <strong>de</strong> confiance » 7<br />
Conception <strong>de</strong> la gestion hospitalière :<br />
Conception <strong>de</strong> la gestion hospitalière, <strong>de</strong> la « logique<br />
économique » 10 : « c’est du délire » 10, « c’est un manque <strong>de</strong><br />
respect » 10, « C’est n’importe quoi, c’est inconcevable. »10<br />
Comparaison entre la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> en Suisse et en France :<br />
« Les <strong>soins</strong> en Suisse ce n’est quand même pas <strong>les</strong> <strong>soins</strong> en<br />
France. Quand on voit la différence, même si ça a tendance à se<br />
restreindre […] il faut juste espérer que ce pays n’aille pas en<br />
direction <strong>de</strong> la France. Parce qu’en France… c’est compliqué ».<br />
11.<br />
664
Thèmes<br />
principaux<br />
Formations et<br />
professions en<br />
<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Conception et particularité <strong>de</strong> l’institution hospitalière :<br />
« c’est <strong>de</strong> loin pas tout rose, on est quand même <strong>dans</strong> un milieu<br />
psychiatrique avec <strong>de</strong>s personnes en souffrance av <strong>de</strong>s personnes<br />
qui justement qui avec qui on vit entre guillemets <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong><br />
cas sept heures par jour à <strong>de</strong>s pourcentages différents. » 5.<br />
« Et pis on peut bien avoir peur <strong>de</strong> venir ici […]. Parce que c’est<br />
un mon<strong>de</strong> qu’on ne connaît pas, qu’on découvre avec <strong>de</strong>s gens<br />
qui sont pas bien, qui sont mala<strong>de</strong>s avec <strong>de</strong>s pathologies assez<br />
lour<strong>de</strong>s qui peuvent avoir <strong>de</strong>s comportements, on a pas <strong>de</strong><br />
maîtrise. » 8<br />
La formation au sein <strong>de</strong> ce milieu hospitalier :<br />
« on peut pas s’imaginer à quoi on va être confronté <strong>dans</strong> cette<br />
formation » 9, « ça peut remuer et pis ça remue à tout âge je veux<br />
dire » 9.<br />
L’interlocutrice évoque une « idée <strong>de</strong> supervision <strong>de</strong> retour» 9 <strong>de</strong><br />
stage pour permettre <strong>de</strong> « déposer un peu se qu’ils ressentent, ce<br />
qu’ils vivent par rapport aux situations. » 9. Pour l’interlocutrice<br />
il s’agit <strong>de</strong> faire par aux étudiants <strong>de</strong> la réalité du milieu<br />
professionnel : « Pour moi, il faut être honnête le plus possible et<br />
être au plus près possible <strong>de</strong> la réalité avec <strong>les</strong> gens que l’on<br />
forme. » 11<br />
Conceptions <strong>de</strong> la profession infirmière :<br />
- L’essentiel <strong>de</strong> la profession : « mais l’essentiel aussi <strong>dans</strong> je<br />
pense, <strong>dans</strong> le métier c’est d’essayer <strong>de</strong> faire au mieux et<br />
pis on peut aussi se tromper mais si on fait mieux et que<br />
on n’a pas grand-chose à se reprocher, si on fait au mieux<br />
pour l’intérêt <strong>de</strong>s personnes et l’intérêt en général » 2.<br />
665
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Cette conception introduit une limite <strong>de</strong> l’engagement en<br />
termes <strong>de</strong> responsabilité.<br />
- Conception <strong>de</strong> la profession infirmière comme un « métier<br />
<strong>dans</strong> lequel on évolue tout le temps » 4<br />
- Conception du caractère éducatif <strong>de</strong> la profession<br />
infirmière : « c’est du travail infirmier mais c’est du travail<br />
aussi éducatif » 4<br />
- Conception <strong>de</strong> la profession infirmière comme <strong>de</strong>vant « se<br />
positionner » 10 : « on est <strong>dans</strong> une profession qui <strong>de</strong>puis<br />
<strong>de</strong>s lustres et <strong>de</strong>s lustres le côté infirmier, infirmières<br />
c’était… et pis c’est toujours… ce côté […] être bon, brave<br />
et soumis et ça je me dis que eux [<strong>les</strong> jeunes], c’est eux, qui<br />
vont être amené à le faire changer parce qu’il y a un<br />
moment où il faut se positionner aussi. »10. « J’ai<br />
l’impression que c’est une profession où <strong>les</strong> gens ne savent<br />
pas défendre leurs droits » 10<br />
Jeunesse Évocation <strong>de</strong> la stigmatisation <strong>de</strong> la « jeunesse » 7.<br />
Évocation <strong>de</strong> sa « foi en cette génération <strong>de</strong>s jeunes » 10<br />
Selon l’interlocutrice, la formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> <strong>de</strong>vrait<br />
permettre <strong>de</strong> donner du sens, <strong>de</strong> se « responsabiliser » 7 et <strong>de</strong><br />
tenir compte <strong>de</strong>s « intentions » 8 <strong>de</strong>s étudiants (qui sont liées à la<br />
socialisation et qui permettent <strong>de</strong> donner sens, <strong>de</strong> se<br />
comprendre).<br />
666
Annexe 14.2<br />
Thèmes<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
TABLEAU ENTRETIEN DPM 0044<br />
principaux<br />
Choix<br />
professionnels<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Choix <strong>de</strong> la profession d’infirmière :<br />
choix lié à la situation familiale : « oui, alors après… quelques<br />
années, j’ai réalisé que j’avais choisi ce métier en lien avec une<br />
problématique familiale » 1, « à l’époque j’ai fait <strong>de</strong> la<br />
psychiatrie donc…, je me suis rendue compte, ouais après<br />
quelques années qu’en fait, j’avais un frère qui était, euh, on<br />
peut pas dire maladie mentale mais ?, oui, donc, euh, mais que<br />
ça avait pesé assez lourd <strong>dans</strong> le système familial que mon choix<br />
a quand même été assez clairement orienté par ça, ouais. » 1<br />
Choix <strong>de</strong> la profession d’enseignante :<br />
Choix lié à une décision <strong>de</strong> réorientation et à l’influence du<br />
conjoint : « j’ai décidé <strong>de</strong> m’orienter un peu différemment. Plus<br />
sur <strong>les</strong> conseils <strong>de</strong> mon mari qui lui avait très envie <strong>de</strong> faire <strong>de</strong><br />
l’enseignement, puis, je me suis dit après tout pourquoi pas.<br />
J’avais postulé à l’époque à l’école <strong>de</strong> psychiatrie <strong>de</strong> M., et puis<br />
j’ai été prise sans problème puis voilà, je suis restée. » 1<br />
Motivation Selon l’interlocutrice, sa motivation « a pas mal bougé » 2 au<br />
cours <strong>de</strong> sa carrière professionnelle et ceci est notamment lié à la<br />
difficulté <strong>de</strong> concilier vie professionnelle et vie privée :<br />
« j’ai trouvé compliqué, comme beaucoup <strong>de</strong> femmes,[…] mais<br />
moi j’ai trouvé compliqué toute la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la petite enfance,<br />
parce qu’il fallait conjuguer, j’avais un pourcentage <strong>de</strong> travail et<br />
il y a eu vraiment <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s où je me disais je ne fais rien <strong>de</strong><br />
bien […] donc il y a eu <strong>de</strong>s vagues comme ça, puis, je dirais que<br />
<strong>de</strong>puis une année j’ai pu reprendre avec un pourcentage plus<br />
667
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
important, mon fils est grand, il a dix-neuf ans. Moi j’ai plutôt<br />
l’impression d’avoir retrouvé <strong>de</strong> l’énergie, d’avoir envie <strong>de</strong><br />
creuser encore certaines choses, euh…, jusqu’à la fin <strong>de</strong> ma<br />
carrière quoi. » 1-2<br />
Engagement Engagement, écoute et volonté :<br />
L’interlocutrice fait le lien entre l’engagement et <strong>de</strong>s qualités<br />
comme l’écoute et la volonté :<br />
« je trouve qu’il y a un … <strong>de</strong>s fois une espèce <strong>de</strong> côte à côte avec<br />
le patient, une… volonté d’essayer <strong>de</strong> travailler avec l’autre <strong>de</strong><br />
considérer… <strong>de</strong> … ouais. » 5<br />
« Ouais et pis en psychiatrie, <strong>de</strong>s fois c’est piège, parce que c’est<br />
aussi <strong>de</strong>s fois pour dire non à quelqu’un, ce n’est pas que lui<br />
dire mais oui mais oui, c’est aussi <strong>de</strong>s fois dire non, écouter… je<br />
trouve qu’il y a <strong>de</strong>s gens-là on sent qu’il y a une force intérieure<br />
et qu’il y a ouais… une volonté, enfin je ne sais pas comment on<br />
dit cela. » 5<br />
Sens <strong>de</strong> l’engagement et sens <strong>de</strong> l’existence :<br />
« je trouve que ça <strong>de</strong>vient difficile d’en parler [du sens] aux<br />
étudiants. Et ça je le vois <strong>de</strong>s fois <strong>dans</strong>… quand vous travaillerez<br />
avec <strong>de</strong>s patients en oncologie en psychiatrie ou etc… vous<br />
serez confrontés à cette question du sens ou du non-sens <strong>de</strong><br />
l’existence et vous serez amenés à <strong>de</strong>voir abor<strong>de</strong>r ces questions-<br />
là. El<strong>les</strong> seront peut-être pas posées <strong>dans</strong> ces termes, n’empêche<br />
qu’il faudra entrer sur ce terrain-là, mais là, j’ai l’impression<br />
qu’il aurait lieu au moins… et je ne sais pas pourquoi, j’ai vu<br />
que cela allait, je ne sais pas comment on ? ouais, dites-nous ce<br />
que l’on doit faire, donnez-nous <strong>de</strong>s solutions. » 6<br />
668
Thèmes<br />
principaux<br />
Valeurs<br />
professionnel<strong>les</strong><br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Solidarité et humanité :<br />
« je continue <strong>de</strong> mettre en avant, euh, la solidarité, je je ouais,<br />
c’est quelque chose qui compte pour moi, euh […] euh,<br />
continuer <strong>de</strong> considérer que <strong>les</strong> gens sont d’abord <strong>de</strong>s humais<br />
donc, qu’il y a <strong>de</strong>s… fail<strong>les</strong>, qu’on n’est pas parfait, qu’on n’est<br />
pas euh… […] d’essayer toujours <strong>de</strong> continuer <strong>de</strong> voir la<br />
personne avant euh euh <strong>les</strong> résultats ou ce qui est produit<br />
finalement. » 2<br />
Valeurs et enseignement :<br />
« il y a un travail sur <strong>les</strong> valeurs, sur la clarification <strong>de</strong> leurs<br />
valeurs déjà personnel<strong>les</strong>, ensuite professionnel<strong>les</strong>, ensuite<br />
institutionnel<strong>les</strong>, ensuite montrer où sont <strong>les</strong> tensions enfin etc.<br />
qui se fait très peu, très peu… parce que j’ai eu un peu<br />
l’impression que… ben oui, <strong>dans</strong> une école d’infirmières, il y a<br />
beaucoup <strong>de</strong> choses qu’ils doivent apprendre et pi là aussi, ça<br />
grandit donc comment faire <strong>de</strong>s bons choix, <strong>de</strong>s choix pertinents<br />
euh… il me semble que là, il y a un problème. » 3<br />
« … moi, j’ai un ou <strong>de</strong>ux cours sur l’altérité <strong>de</strong> façon générale et<br />
là, je leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> par exemple, plutôt que <strong>de</strong> réciter mon<br />
cours, […] <strong>de</strong> travailler sur une question en lien avec l’altérité<br />
par exemple. […] c’est très basique hein, mais peu importe le<br />
type d’altérité mais je, j’ai été heurtée, enfin … et apparaissent<br />
là, parfois justement <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> valeurs ou <strong>de</strong>s<br />
cheminements qu’ils ont fait par rapport, par exemple au<br />
multiculturalisme ou euh, <strong>de</strong>s incompréhensions qui peu à peu<br />
heu, qui peu à peu ils comprennent mieux il me semble.<br />
Maintenant, oui, il y a quand même un certain nombre <strong>de</strong><br />
choses qui se font mais <strong>dans</strong> ce que j’ai recensé, j’ai l’impression<br />
669
Thèmes<br />
principaux<br />
Changements (au<br />
travers <strong>de</strong> son<br />
discours,<br />
l’interlocutrice fait<br />
allusion à<br />
différents<br />
changements en<br />
distinguant le<br />
passé du présent)<br />
Changements au<br />
niveau sociétal.<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
que c’est plutôt on leur balance plutôt un certain nombre <strong>de</strong><br />
contenus quoi, il faut qu’ils sachent à peu près ce que c’est la<br />
bioéthique, il faut qu’ils sachent qu’est-ce qu’on entend par…<br />
enfin <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s thématiques hein… l’assistance au suici<strong>de</strong>, le…<br />
ouais j’en passe hein, mais j’ai pas l’impression que <strong>les</strong> choses<br />
sont empoignées par le bon bout ça l’air vraiment <strong>de</strong> partir<br />
<strong>de</strong> … » 3-4<br />
Changements relatifs aux valeurs et aux références :<br />
« aujourd’hui le problème ce n’est pas qu’il n’y a plus <strong>de</strong> valeur<br />
c’est qu’il y en a tellement qu’il faut essayer, comme vous le<br />
dites, <strong>de</strong> se faire son propre système <strong>de</strong> références pi que… ben<br />
ça se construit pis c’est aussi un processus ça ne tombe pas du<br />
ciel quoi, donc euh, ouais ça complique un peu <strong>les</strong> affaires. » 3<br />
L’interlocutrice note une perte <strong>de</strong> référents, notamment pour ce<br />
qui est “<strong>de</strong>s églises, la théologie mais aussi parce qu’elle est mal<br />
comprise. Aujourd’hui, <strong>de</strong> dire qu’on est chrétien enfin, ça fait<br />
doucement sourire mais j’ai parfois l’impression que c’est<br />
dommage car il y a <strong>de</strong>s trésors <strong>de</strong> richesse bien entendu. Mais<br />
moi ce qui m’inquiète pas plus mais au même titre c’est que dès<br />
que l’on parle <strong>de</strong> philosophie j’ai l’impression très vite <strong>les</strong><br />
étudiants disent, « non on ne va pas se prendre la tête ». Alors<br />
<strong>de</strong>s fois moi j’interroge ça, je dis mais c’est quoi « pas se prendre<br />
la tête » ? » 7<br />
Changements <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> :<br />
« j’ai pas l’impression qu’ils [<strong>les</strong> étudiants] soient moins<br />
engagés, mais c’est différents, j’ai… le sentiment aussi que<br />
globalement on a changé hein… <strong>de</strong>puis quarante ans, forcément,<br />
et que euh, ils essaient, peut-être davantage respecter leur<br />
670
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
sphère privée, c’est, c’est très important pour eux cet aspect <strong>de</strong>s<br />
loisirs, cet aspect d’avoir <strong>de</strong>s… du temps pour eux, enfin <strong>de</strong>,<br />
<strong>de</strong>… moi, … moins engagés j’sais pas, moi je <strong>les</strong> sens un petit<br />
peu plus fragi<strong>les</strong>, c’est plutôt ça, c’est plutôt ça que je dirais, un<br />
peu plus fragile <strong>dans</strong> <strong>les</strong> confrontations. » 2<br />
[Par rapport au désengagement] « mais à mon sens c’est pas là<br />
que moi j’ai l’impression que que … <strong>les</strong> gens sont … cherchent<br />
encore à faire leur travail au mieux, vraiment. Mais, moi ce qui<br />
me pèse, disons le plus par rapport à cette thématique c’est le<br />
discours plutôt. Il y a quand même <strong>dans</strong> notre Institution, un<br />
discours parfois <strong>de</strong> personnes qui n’arrêtent pas <strong>de</strong> râler, qui<br />
n’arrêtent pas d’idéaliser le passé, qui n’arrêtent pas <strong>de</strong> penser<br />
qu’au fond c’était tellement mieux avant euh, etc… et puis pour<br />
finir j’en viens à me dire <strong>de</strong>s fois s’il n’y a pas une certaine<br />
complaisance aussi à cet abonnement au passé, au… bien sûr<br />
que le mon<strong>de</strong> change mais c’est aussi nous qui le faisons ce<br />
mon<strong>de</strong>. Donc j’ai envie <strong>de</strong> dire… mais peut-être que c’est mon<br />
combat, mais j’ai envie <strong>de</strong> dire mais ne vous laissez pas gagner<br />
par le désespoir, l’espérance est votre défi, surtout maintenant il<br />
faut gar<strong>de</strong>r la tête haute, j’ai envie <strong>de</strong> dire. » 5<br />
Changements relatifs à l’éducation et à la formation :<br />
« encore une fois le mon<strong>de</strong> a changé, je pense que moi, j’ai<br />
beaucoup été éduquée <strong>dans</strong> le sens du <strong>de</strong>voir, <strong>dans</strong> le sens <strong>de</strong><br />
heu… <strong>de</strong>s obligations, <strong>de</strong> rendre service <strong>de</strong> … etc…. J’ai<br />
l’impression qu’aujourd’hui, heu… l’éducation <strong>les</strong> a peut-être<br />
davantage baignés… quoique… mais enfin <strong>dans</strong> une<br />
atmosphère peut-être plus euh, ou il y a quand même un peu<br />
plus <strong>de</strong> plaisir, un peu plus <strong>de</strong> confort quand même <strong>dans</strong><br />
671
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
certains milieux, d’où la possibilité quand même d’avoir <strong>de</strong>s<br />
vacances, d’avoir <strong>de</strong>s plaisirs enfin <strong>dans</strong> la vie… qui peut-être<br />
font que… j’ai ma foi l’impression que, en même temps, si je<br />
peux m’exprimer comme cela que le réveil il est difficile parce<br />
que il y a peut-être un certain sens <strong>de</strong>s réalités qui… peut-être<br />
qu’ils ont été un petit peu protégés et que c’est peut-être quand<br />
même un peu plus difficile aujourd’hui <strong>de</strong> tout d’un coup<br />
tourner <strong>les</strong> yeux sur <strong>les</strong> réalités d’aujourd’hui quoi. » 2<br />
« C’est vrai que ça c’est une vraie question parce que je me dis<br />
au fond moi je fais partie maintenant <strong>de</strong>s anciens, il y a<br />
longtemps que je suis là, alors je trouve que c’est bien, il faut<br />
assurer la relève, il faut que <strong>les</strong> jeunes viennent, c’est évi<strong>de</strong>nt<br />
pour moi mais <strong>de</strong>s fois je me dis mais comment je fais pour<br />
suivre quand même le mouvement. Je me sens pas non plus<br />
complètement <strong>les</strong> pattes arrière, donc ce qui vient aujourd’hui,<br />
euh…. ? une philosophie <strong>de</strong> vie, j’ai pas envie <strong>de</strong> vieillir comme<br />
une vieille dame aigrie, pleine d’amertume, je trouve cela trop<br />
triste, quoi, donc j’essaie <strong>de</strong> me dire euh… il y a <strong>de</strong>s choses<br />
auxquel<strong>les</strong> je tiens, donc ça, je … en tout cas j’essaie <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />
incarner mais ma foi, par rapport aux supérieurs, par rapport<br />
à … voilà… j’attends pas non plus la lune, enfin je me dis ils<br />
font, ils font ce qu’ils peuvent. Mais, je trouve un petit peu<br />
inquiétant, euh, chez certains anciens l’impression d’un<br />
essoufflement avec <strong>de</strong>s gens qui effectivement voient le mon<strong>de</strong><br />
changer, voient que il y a beaucoup <strong>de</strong> valeurs qui, qui arrivent<br />
pas à se dire, finalement j’ai encore ma place, j’ai encore le droit<br />
d’être là, même si j’ai plus <strong>de</strong> cinquante ans. » 4<br />
672
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
« Ouais, encore une fois on a connu une école, qui était bien sûr<br />
très humaniste, très familiale, ce temps-là est fini. Donc, … il y a<br />
du mentorat <strong>dans</strong> l’école, donc euh, il y <strong>de</strong>s occasions <strong>de</strong> parler<br />
avec <strong>de</strong>s collègues par rapport à du coaching qui font par<br />
rapport au « bachelor thesis » à ce type d’accompagnement. Je<br />
trouve qu’on sent que certains professeurs sont … vraiment<br />
motivés, enfin ils font ça <strong>de</strong>, ils s’impliquent enfin alors que<br />
d’autres, sans jugement <strong>de</strong> valeurs, auraient tendance à dire il<br />
faut qu’ils se débrouillent, s’ils n’arrivent pas ben tant pis quoi.<br />
Je peux aussi comprendre ça parce que bon ben le nombre<br />
d’étudiants augmente et le ratio enseignants/étudiants va pas<br />
augmenter quoi. » 5<br />
« autrefois on avait presque une année <strong>de</strong> formation<br />
pédagogique tandis qu’aujourd’hui s’ils ont <strong>les</strong> contenus ben<br />
c’est bon mais en même temps vous voyez <strong>de</strong>s jeunes<br />
enseignants ils ont la trouille en salle <strong>de</strong> classe. On voit bien,<br />
alors tout ce qu’ils racontent c’est juste, ce n’est pas la question<br />
mais il y a un blocage par rapport à <strong>de</strong>s jeunes qui aujourd’hui<br />
euh ... <strong>de</strong>s fois percutent. Il y a <strong>de</strong>s questions qui ne sont pas<br />
faci<strong>les</strong> quoi. » 6<br />
« l’éducation morale à l’école, j’entends c’est périmé, c’est<br />
terminé, il n’y a plus rien alors que ça pourrait être extrêmement<br />
intéressant d’abor<strong>de</strong>r ces questions même <strong>dans</strong> <strong>les</strong> petites<br />
classes, c’est quoi qui prend sens, je ne sais pas moi, ce serait<br />
peut-être intéressant plutôt que dire ce sont <strong>de</strong>s d’histoires<br />
d’enfants et <strong>de</strong> <strong>les</strong> laisser se battre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cours <strong>de</strong> récréation, il<br />
673
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
y a <strong>de</strong>s souffrances terrib<strong>les</strong> qui sont complètement inexploitées,<br />
non. Mais je me suis rendue compte alors effectivement ça c’est<br />
complètement en perte <strong>de</strong> vitesse mais ça paraît complètement<br />
ringard <strong>dans</strong> l’éducation. » 7<br />
« C'est-à-dire que tout le mon<strong>de</strong> va vous dire oui, oui, oui, bien<br />
sûr <strong>les</strong> questions éthiques c’est important, c’est tout ce que vous<br />
voulez mais à côté <strong>de</strong> cela ben maintenant il faut <strong>les</strong> former à<br />
l’évaluation clinique, il faut faire du skills lab 4 , il faut faire du e-<br />
learning, il faut faire etc.. etc.. et tout ça c’est <strong>de</strong>s priorités. » 7<br />
« Le travail que je viens <strong>de</strong> faire m’a vraiment rendue attentive,<br />
je me suis dit, tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> choses sont faites aujourd’hui, c’est<br />
clairement insatisfaisant. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’au bout<br />
du compte l’étudiant ait <strong>de</strong> quoi affronter et se positionner <strong>dans</strong><br />
<strong>de</strong>s situations éthiques problématiques. » 8<br />
Changements relatifs au système <strong>de</strong> <strong>soins</strong> et à la profession<br />
infirmière :<br />
« avec <strong>les</strong> changements qui sont apparus <strong>dans</strong> la pratique, c’est<br />
vrai qu’ils sont aussi confrontés en année préparatoire à <strong>de</strong>s<br />
situations extrêmement diffici<strong>les</strong> et c’est pas parce qu’ils ont<br />
choisi ce métier là qu’au fond ils <strong>de</strong>vraient avoir la force <strong>de</strong><br />
supporter. » 2<br />
4 Apprentissage en laboratoire <strong>de</strong> simulation.<br />
« Alors, je pense… maintenant à … à l’interruption volontaire <strong>de</strong><br />
grossesse par l’alternative médicamenteuse qui se font<br />
674
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
désormais sur l’étage et, jusque-là au fond, <strong>les</strong> étudiants et <strong>les</strong><br />
infirmières, el<strong>les</strong> n’étaient pas confrontées à l’embryon, alors<br />
qu’aujourd’hui, en fait, el<strong>les</strong> doivent, ben ça sonne, et pis el<strong>les</strong><br />
doivent aller récolter. Il y a <strong>de</strong>s étudiantes qui disent ça el<strong>les</strong> ne<br />
savent pas comment nommer, ce qu’el<strong>les</strong> doivent aller heu et là<br />
j’ai vu qu’il y a <strong>de</strong>s étudiantes qui étaient profondément<br />
perturbées et qui étaient en désarroi enfin c’était vraiment<br />
difficile quoi. » 2<br />
« c’est peut-être quand même un peu plus difficile aujourd’hui<br />
<strong>de</strong> tout d’un coup tourner <strong>les</strong> yeux sur <strong>les</strong> réalités d’aujourd’hui<br />
quoi. Effectivement, ben à l’hôpital ils sont confrontés à <strong>de</strong>s<br />
vieux, à <strong>de</strong>s pauvres, à <strong>de</strong>s… inégalités, à <strong>de</strong>s… ouais enfin, ça<br />
ne doit pas être facile quoi. » 2-3<br />
« il y a une forme <strong>de</strong> rouleau compresseur du système actuel<br />
quoi, <strong>dans</strong> le fait que je ne sais pas, il y a une espèce <strong>de</strong><br />
banalisation et certaines interventions <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s<br />
prestations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> comme une autre et pis ma foi, il faut vous<br />
aligner quoi. » 4<br />
« aujourd’hui <strong>de</strong> plus en plus <strong>les</strong> infirmières seront appelées à<br />
être finalement à remplacer en partie <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> premier<br />
recours » 9<br />
675
Thèmes<br />
principaux<br />
Positionnement<br />
professionnel<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Formation et positionnement :<br />
« Et puis bon, c’est toujours la même chose, il y a quelques<br />
étudiants qui s’en sortent un peu mieux, alors ce que j’ai pu voir,<br />
c’est ou bien <strong>de</strong>s ASSC 5 qui ont déjà quatre ans <strong>de</strong>rrière el<strong>les</strong> et<br />
puis el<strong>les</strong> arrivent ici et pour certaines mais ça leur paraît un<br />
luxe d’être ici parce qu’el<strong>les</strong> sont mieux accompagnées en stage,<br />
il y a <strong>de</strong>s PF, parce que euh, el<strong>les</strong> ont envie, pour el<strong>les</strong>, je pense<br />
qu’il y a une espèce d’ascension sociale encore pour certaines<br />
donc, une valorisation, je crois qu’ils y a <strong>de</strong>s étudiantes, <strong>de</strong>s<br />
étudiants, <strong>de</strong>s gars extraordinaires vraiment, ils sont un peu<br />
plus âgés, certains ont bossés quelques années, alors après on a<br />
parfois <strong>de</strong>s échanges vraiment extrêmement intéressants et puis<br />
quelques débats et puis bien sûr quelques autres parcours pour,<br />
je voudrais pas, il y toujours <strong>dans</strong> une formation quelques-uns<br />
qui sortent un peu du lot et puis qui arrivent à se positionner en<br />
<strong>de</strong>rnière année <strong>de</strong> façon intéressante. » 8<br />
« mais oui, il y a quand même un apprentissage du<br />
positionnement professionnel qui se fait je dirais alors là, qui<br />
traverse un peu la formation » 8<br />
Évolution professionnelle et positionnement:<br />
« Là moi je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si on ne <strong>de</strong>vrait pas plus travailler aussi<br />
l’aspect du lea<strong>de</strong>rship quand même. Parce que je me dis bon<br />
sang <strong>de</strong> bonsoir, j’entends, aujourd’hui <strong>de</strong> plus en plus <strong>les</strong><br />
infirmières seront appelées à être finalement à remplacer en<br />
partie <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> premier recours. » 9<br />
« <strong>dans</strong> le territoire <strong>de</strong>s infirmières, c’est dommage, il faudra petit<br />
5 ASSC : Assistant en Soins Santé Communautaires.<br />
676
Thèmes<br />
principaux<br />
Détresse et<br />
souffrance<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
à peu qu’el<strong>les</strong> se fédèrent autrement, qu’el<strong>les</strong> … parce qu’en<br />
même temps, el<strong>les</strong> <strong>de</strong>vront répondre à un certain nombre <strong>de</strong><br />
choses. El<strong>les</strong> ne doivent pas dire non, non, moi j’ai exécuté <strong>les</strong><br />
ordres du mé<strong>de</strong>cin, petit à petit c’est fini. » 9<br />
Détresse, souffrance et enseignement :<br />
« il faudrait justement leur ai<strong>de</strong>r à différencier c’est quoi la<br />
souffrance psychique, je suis fatigué, j’ai plus d’énergie euh…<br />
ouais, je suis triste aussi peut-être parce qu’il m’arrive <strong>de</strong>s<br />
choses <strong>dans</strong> ma vie, parce que je dois faire le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> mon<br />
ado<strong>les</strong>cence, etc. et pis qu’est-ce que c’est une détresse morale.<br />
Et ça j’ai l’impression effectivement que c’est pas fait et que du<br />
coup <strong>les</strong> réponses cherchées ne sont pas toujours <strong>les</strong> bonnes. » 3<br />
Détresse, souffrance et réalité <strong>de</strong> l’hôpital :<br />
« Que la détresse morale c’est euh… pour moi c’est une<br />
souffrance qui est occasionnée justement à cause d’un<br />
tiraillement <strong>de</strong> conscience. C’est-à-dire, je crois que c’est bon ou<br />
que c’est bien <strong>de</strong> faire ceci ou cela et pi au fond, je me trouve<br />
<strong>dans</strong> une réalité ou on me dit, écoute aujourd’hui <strong>les</strong> dos tu<br />
laisses tomber parce que on n’est pas assez, y’a pas le temps<br />
donc tu fais vite fait et puis on verra pour une autre fois. Il y a<br />
<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> d’escarres qui sont laissés <strong>de</strong> côté, il y a un certain<br />
nombre <strong>de</strong> choses qui doivent / ça <strong>les</strong> met comme j’ai pu le voir<br />
<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s analyses <strong>de</strong> pratique, ça <strong>les</strong> met <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations<br />
diffici<strong>les</strong> et pis ça s’accumule hein désormais. » 3<br />
Burnout Les multip<strong>les</strong> facteurs du burnout :<br />
« Alors, moi j’ai <strong>de</strong> la peine à répondre que disons ma réponse<br />
au burnout elle est quand même que il y a <strong>de</strong>s facteurs qui sont<br />
677
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
liés, qui sont d’ailleurs probablement un peu minimisés, surtout<br />
en Suisse où la mé<strong>de</strong>cine du travail est très peu présente, active,<br />
si on pense à d’autres pays d’Europe, c’est un peu différent.<br />
Mais pour moi, il y a un ensemble <strong>de</strong> facteurs, il y a une<br />
synergie entre <strong>de</strong>s facteurs qui font que l’on aboutit à cela, j’ai <strong>de</strong><br />
la peine à vous dire que l’on pourrait invoquer seulement la<br />
cause <strong>de</strong> l’engagement qui ferait que quelqu’un s’effondre. À un<br />
moment donné, il y a d’autres facteurs qui, mais bon, c’est un<br />
peu ma théorie, je je… » 5-6<br />
Burnout et enseignement :<br />
« <strong>de</strong>s épreuves <strong>de</strong> vie aussi qui viennent affecter au fond l’élan<br />
ou le punch et pis qui font que là on entre <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s histoires <strong>de</strong><br />
résilience, enfin qu’est-ce qui fait que certains même si ils<br />
tombent arrivent à se relever et puis d’autres pas et pour moi là<br />
c’est une énigme. J’ai pas <strong>de</strong> réponse mais c’est clair, ouais, bien<br />
sûr le manque <strong>de</strong> reconnaissance, une certaine solitu<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />
l’enseignement parce qu’effectivement il faut beaucoup assumer<br />
<strong>de</strong> choses seule. » 6<br />
678
Annexe 14.3<br />
Thèmes<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
TABLEAU ENTRETIEN DPM 0062<br />
principaux<br />
Choix<br />
professionnels<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Choix <strong>de</strong> la profession :<br />
L’interlocutrice nous dit au sujet <strong>de</strong> choix <strong>de</strong> sa profession qu’<br />
« au début, c’est pas du tout ce que je voulais faire » 1.<br />
Désireuse <strong>de</strong> travailler <strong>dans</strong> l’enseignement, elle estime qu’elle<br />
n’avait « pas <strong>les</strong> capacités pour aller à la HEP ou ailleurs » 1.<br />
Suite à l’école <strong>de</strong> Numa-Droz, elle avait <strong>de</strong>ux possibilités, soit<br />
une école <strong>de</strong> physiothérapie, soit une école d’infirmière. Ayant<br />
échoué <strong>les</strong> examens d’admission <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> physiothérapie,<br />
elle n’a pas d’autres options que l’école d’infirmière : « il me<br />
restait l’école d’infirmière. Voilà, il n’y a pas <strong>de</strong> critère… » 1<br />
Toutefois, l’interlocutrice présente sa décision comme un choix<br />
et dit avoir trouvé sa voie : « c’est un choix que je ne regrette<br />
pas du tout, ça me plaît beaucoup pis je m’investis beaucoup là-<br />
<strong>de</strong><strong>dans</strong> » 1 , « le métier d’infirmière, j’ai trouvé ma voie, j’ai<br />
l’impression » 1.<br />
Orientation professionnelle future :<br />
Aux urgences : « c’est là-<strong>de</strong><strong>dans</strong> [aux urgences] que j’aimerais<br />
me diriger après » 1<br />
Raison <strong>de</strong> ce choix : il n’y a pas <strong>de</strong> routine, « il n’y a rien qui est<br />
vraiment programmé » 1<br />
679
Thèmes<br />
principaux<br />
Valeurs<br />
professionnel<strong>les</strong><br />
I<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
La « sécurité » et l’ « empathie » 2 :<br />
Si en tant qu’étudiante, l’interlocutrice pense respecter ces <strong>de</strong>ux<br />
valeurs, le non-respect <strong>de</strong> ces valeurs, notamment par manque<br />
<strong>de</strong> temps pour ce qui est <strong>de</strong> l’empathie, pourrait engendrer<br />
chez elle et selon ses dires une frustration. Une <strong>de</strong>s solutions<br />
avancées pour y remédier étant la délégation. Elle dit d’ailleurs<br />
apprécier son travail au home où « c’est chouette, on a vraiment<br />
le temps d’aller discuter avec <strong>les</strong> rési<strong>de</strong>nts » 2. Par contre, si l’<br />
« on vient parce qu’on est obligé pour avoir un salaire et puis…<br />
j’ai l’impression qu’on n’a pas d’empathie pour le patient. » 7<br />
Ces valeurs, et plus particulièrement l’empathie, semblent<br />
participer à la construction <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité professionnelle : « on<br />
est un peu plus que <strong>de</strong>s soignants » 2<br />
Le respect :<br />
Le « respect » est également indiqué comme valeur 7.<br />
Valeurs et i<strong>de</strong>ntité professionnelle :<br />
L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle est liée aux valeurs professionnel<strong>les</strong>.<br />
Lorsqu’il y a du temps à disposition pour faire preuve<br />
d’empathie envers <strong>les</strong> patients, « on est un peu plus que <strong>de</strong>s<br />
soignants » 2<br />
Pour l’interlocutrice, l’i<strong>de</strong>ntité infirmière « ça représente qui on<br />
est et puis nos valeurs. » 7, « c’est ça qu’on défend<br />
continuellement » 7<br />
Engagement Motivation, positionnement et engagement : <strong>dans</strong> son<br />
discours, l’interlocutrice fait le lien entre engagement,<br />
motivation et positionnement : « si on n’est pas engagée, on<br />
paraît démotivée, donc… ça nous fait déjà pas, on ne reflète pas<br />
680
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
quelque chose <strong>de</strong> positif » 4, « si on est engagé on a un avis, on<br />
se positionne, on aime que <strong>les</strong> choses oui, que <strong>les</strong> choses soient<br />
vues… je n’arrive pas à l’exprimer. Je pense qu’il y a un grand<br />
lien quand même. » 7<br />
Selon l’interlocutrice, l’engagement peut-être défini comme<br />
suit : « c’est tout donner <strong>dans</strong> son métier, c’est un peu fort ce<br />
que je dis, c’est donner son énergie, c’est mettre à contribution<br />
tout ce que l’on a pour mettre <strong>dans</strong> son métier. Quand on va<br />
faire notre journée <strong>de</strong> travail, on ressort, on est vidé, c’est ça<br />
pour moi être engagée <strong>dans</strong> quelque chose. » 2<br />
Sens <strong>de</strong> l’engagement :<br />
Ce qui semble donner sens à l’engagement c’est la<br />
« reconnaissance » <strong>de</strong>s collèges et <strong>de</strong>s patients et un « sentiment<br />
d’utilité » 3 : « le sens <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong> se sentir utile » 3<br />
Limites <strong>de</strong> l’engagement :<br />
Évocation du besoin et <strong>de</strong> la difficulté à se « donner » 2 <strong>de</strong>s<br />
limites. Selon l’interlocutrice, l’expérience permettrait <strong>de</strong> s’en<br />
donner : « avec l’expérience ça veut venir » 2, « quand j’aurai <strong>de</strong><br />
l’expérience, je serai plus à l’aise <strong>dans</strong> mon travail et puis ça me<br />
permettra d’être moins stressée et puis <strong>de</strong> prendre un peu <strong>de</strong><br />
recul ouais » 3,<br />
Si <strong>dans</strong> un <strong>de</strong>s stages, elle prétend avoir eu « <strong>de</strong> la chance<br />
d’avoir une infirmière référente » 4 qui « posait <strong>les</strong> limites » 4<br />
pour l’étudiante alors que <strong>dans</strong> certains autres elle « n’arrivai[t]<br />
pas à donner <strong>les</strong> limites et pis t’as pas envie <strong>de</strong> montrer que tu<br />
peux plus, alors étant étudiante, il faut faire un bon stage et pis<br />
y aller » 4<br />
681
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Pour « être autant engagée » qu’elle, autrement dit un tel<br />
engagement est possible pour elle, du fait qu’elle est « toute<br />
seule », qu’elle n’a « pas <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> famille », « pas d’enfants » 3<br />
Mise en gar<strong>de</strong> par rapport à ces limites en lien avec le risque <strong>de</strong><br />
burnout. Du fait <strong>de</strong> son engagement, <strong>de</strong>s collègues l’ « ont<br />
vraiment mis en gar<strong>de</strong> » 3<br />
Savoir se donner <strong>de</strong>s limites est mis en rapport avec la notion<br />
<strong>de</strong> motivation. Selon l’interlocutrice, il s’agit <strong>de</strong> « se donner <strong>de</strong>s<br />
limites puis à dire là stop, j’ai fini mon travail, j’y vais. Peut-être<br />
que ça permettrait qu’il y ait moins <strong>de</strong> gens qui soient<br />
démotivés oui. »4<br />
Pour poser <strong>de</strong>s limites, il s’agit, selon et pour l’interlocutrice d’<br />
« apprendre à dire non et puis quand c’est l’heure c’est l’heure<br />
malgré qu’il y ait beaucoup <strong>de</strong> travail et puis apprendre à<br />
déléguer, ça c’est un point qu’il faut que je travaille la<br />
délégation. » 6<br />
Désengagement et sur-engagement :<br />
- Désengagement expliqué par la temporalité : « il y en a<br />
une, qui était, ça faisait vingt ans qu’elle est là et puis<br />
voilà… Elle venait pour être au boulot ou pour gagner<br />
un salaire mais j’avais pas l’impression qu’elle se donnait<br />
à fond comme <strong>les</strong> gens motivés. » 4, « ce n’était pas la<br />
première à dire bon moi j’y vais ou bien elle n’avait pas<br />
d’avis sur <strong>les</strong> choses, elle ne s’intéressait pas forcément<br />
aux nouveautés » 4, « je pense que cela faisait trop<br />
682
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
longtemps qu’elle était <strong>dans</strong> le service et pis elle aurait<br />
peut-être besoin <strong>de</strong> voir autre chose » 4<br />
- Désengagement expliqué par la spécificité du milieu<br />
psychiatrique : concernant son engagement,<br />
l’interlocutrice dit qu’ « il a beaucoup augmenté durant<br />
<strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers stages sauf un, le stage en psychiatrie où là,<br />
je n’ai pas été engagée du tout parce que c’était un lieu<br />
où je ne me plaisais pas et puis la psychiatrie je n’arrivais<br />
pas, je n’avais pas le feeling pour être <strong>de</strong><strong>dans</strong>. Donc là,<br />
j’étais un peu désengagée » 6, « le contact ça passait pas<br />
et puis, j’avais l’impression d’être tout le temps<br />
manipulée […] d’être une marionnette » 6, « C’est pas ce<br />
qui me convient en tout cas » 6<br />
- Sur-engagement : l’interlocutrice dit que lors d’un<br />
précé<strong>de</strong>nt stage, elle était « un peut trop engagée oui,<br />
parce que je me plaisais, parce que c’était une bonne<br />
équipe et pis j’avais l’impression d’être <strong>dans</strong> ce que<br />
j’aime. » 6<br />
Engagement en tant qu’étudiant-e :<br />
En ce qui la concerne, l’étudiante interrogée évoque son propre<br />
engagement en tant qu’étudiante : « pis t’as pas envie <strong>de</strong><br />
montrer que tu peux plus, alors étant étudiante, il faut faire un<br />
bon stage et pis y aller » 4<br />
À la fin <strong>de</strong> ces étu<strong>de</strong>s elle dit que « moi j’aimerais faire plein <strong>de</strong><br />
choses » 8<br />
683
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
L’interlocutrice dit concernant le trajet du retour qu’en fin <strong>de</strong><br />
journée « pour rentrer à la maison, là j’en avais marre » 5, « j’en<br />
avais marre, j’en pouvais plus » 5.<br />
Elle dit que « <strong>les</strong> stages ça va, parce que c’est en même temps<br />
défini, on sait que jusqu’à cette date on se donne à fond mais<br />
après <strong>dans</strong> la vie professionnelle, il faut pouvoir se dire, mais<br />
non, je ne peux pas me donner à fond tout le temps. Le travail<br />
c’est tout le temps c’est pas pendant <strong>de</strong>ux mois. » 5<br />
En ce qui concerne <strong>les</strong> étudiants <strong>de</strong> manière plus générale, elle<br />
dit « une bonne moitié est engagée puis l’autre est… j’ai<br />
l’impression non. », « je sais pas si on fait quatre ans d’étu<strong>de</strong>s<br />
pour avoir un métier, il faut quand même être motivé et être<br />
intéressé mais il y a une certaine partie qui ne paraît pas<br />
intéressée à… » 8<br />
Équipe Représentation <strong>de</strong> l’équipe :<br />
La conception <strong>de</strong> l’équipe est mise en rapport avec le statut<br />
d’étudiante ainsi qu’avec <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> « responsabilités » 5 et<br />
d’engagement : « en tout cas en temps qu’étudiante, plus ils<br />
nous mettent <strong>de</strong>s responsabilités plus on a envie d’être<br />
engagée, on veut montrer qu’on peut, qu’on sait. Oui, je pense<br />
que plus ils nous donnent <strong>de</strong>s responsabilités plus ça montre<br />
qu’on est capable et plus on a envie <strong>de</strong> s’engager. » 5<br />
Travail en équipe, motivation et engagement :<br />
L’interlocutrice évoque également la division au sein d’équipes<br />
en fonction <strong>de</strong> la motivation : « il y avait un peu <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés,<br />
<strong>les</strong> gens motivés c’étaient un groupe et puis ceux qui étaient<br />
démotivés qui en avait ras-le-bol c’en était un autre.<br />
684
Thèmes<br />
principaux<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Sous-thèmes et extraits<br />
Elle dit aussi s’être plus engagée lorsque « que c’était un bonne<br />
équipe » 6 que lorsque que « l’équipe était un peu froi<strong>de</strong> » 6<br />
Burnout Mise en gar<strong>de</strong> par rapport au burnout :<br />
« il y en a un, je pense qu’il a dû faire un burnout ou quelque<br />
chose, parce que il m’a vraiment mis en gar<strong>de</strong> » 3<br />
Syndromes du burnout :<br />
« il ne peut pas s’empêcher <strong>de</strong> s’engager <strong>dans</strong> le service. Il est à<br />
fond <strong>de</strong><strong>dans</strong> » 3, « <strong>les</strong> heures supplémentaires, ils ne<br />
regardaient pas ils faisaient, ils aimaient finir ce qu’ils avaient<br />
commencé, ils délèguent peu et puis ils ont <strong>de</strong>s avis pour tout,<br />
ils s’impliquent <strong>dans</strong> tout ce qui touche au service. […] ils sont<br />
tout le temps disponib<strong>les</strong>, un peu trop. » 3<br />
Les multip<strong>les</strong> facteurs du burnout :<br />
Évocation <strong>de</strong> la pluralité <strong>de</strong> facteurs pouvant être à l’origine<br />
d’un burnout par la présentation d’un cas particulier 7.<br />
Connaissances théoriques au sujet du burnout :<br />
Évocation <strong>de</strong> connaissances théoriques sur le burnout 8<br />
Enseignement Lien entre la théorie et la pratique 5-6<br />
Conséquences<br />
potentiel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la<br />
gestion<br />
hospitalière<br />
Portfolio 8-9<br />
Elle dit espérer ne pas <strong>de</strong>venir « un robot » 7 notamment du fait<br />
d’une « perte <strong>de</strong> liberté, une perte <strong>de</strong> mouvements, <strong>de</strong> faire ce<br />
que je veux et mon rôle sera décrit, prescrit, je ne peux plus<br />
prendre du temps pour le patient ou d’avoir un champ <strong>de</strong><br />
liberté. » 7<br />
685
Annexe 15.1<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
686
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
687
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
688
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
689
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
690
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
691
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
692
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
693
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
694
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
695
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Introduction et traduction par A. Philonenko (1971). Paris: Vrin.<br />
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Lallement, M. (1993). Histoire <strong>de</strong>s idées sociologiques. Des origines à Weber. Tome 1.<br />
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Ricœur, P. (2005). Parcours <strong>de</strong> la reconnaissance. Paris: Seuil<br />
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Tap, P. (2004) Marquer sa différence. In C. Halpern et J.-Cl. Ruano-Borbalan,<br />
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Chroniques socia<strong>les</strong>.<br />
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Tschudin, V. (2002). Ethics in nursing. The caring relationship. 3 rd Ed. Oxford:<br />
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Tschudin, V. (2003). Ethics in nursing. The caring relationship. London: Butterworth<br />
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Vermersch, P. (1994). L’entretien d’explicitation, 5 e éd. Paris: ESF.<br />
Vermersch, P. (2010). L’entretien d’explicitation, 6 e éd. Paris: ESF.<br />
848
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Vlastos, G. (1994). Socrate, ironie et philosophie morale. Trad. <strong>de</strong> l’anglais par C.<br />
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Weber, M. (1965). Essais sur la théorie <strong>de</strong> la science. Recueil d’artic<strong>les</strong> écrits et publiés<br />
entre 1904 et 1917, trad. par Freund. Paris: Plon.<br />
Wenner, M. (2006). L’expérience infirmière. Paris: Seli Arslan.<br />
Williams, B. (1995). Ethics and the Limits of Philosophy. Cambridge: Harvard.<br />
Wittorski, R. (2005). Travail, formation et professionnalisation. Paris: L’Harmattan.<br />
Wittorski, R. (2007). Professionnalisation et développement professionnel. Paris:<br />
L’Harmattan.<br />
Wittorski, R. (2011). Regards croisés sur la professionnalisation et ses objets. Toulouse:<br />
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Wood, W. (1999). Autonomy as the Ground of Morality. O’Neil Memorial Lectures.<br />
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Worms, F. (2010). Le moment du soin: À quoi tenons-nous? Paris: PUF.<br />
Zarifian, P. (2009). Le travail et la compétence: entre puissance et contrôle. Paris: PUF.<br />
849
ANNEXE B 2 : ARTICLES<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Anadón, M. (1997-2). Les mots, <strong>les</strong> arguments: le discours officiel québécois sur le<br />
partenariat <strong>dans</strong> la formation <strong>de</strong>s enseignants. Le Partenariat: définition, enjeux,<br />
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Apesoa-Varano, E.C. (2007). Educated caring: the imergence of professionnal<br />
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Bakker, A.B., Demerouti, E., De Boer, E. & Schaufeli, W. (2003). Job <strong>de</strong>mands and<br />
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Bakker, A.B. & Demerouti, E. (2007). The job <strong>de</strong>mands-resources mo<strong>de</strong>l: state of the<br />
art. Journal of Managerial Psychology, 22, 309-328.<br />
Bakker, A.B. & Demerouti, E. (2008). Towards a mo<strong>de</strong>l of work engagement. Career<br />
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Baranes, M.-F. (2002). L’éthique mise en pratique. L’infirmière magazine, 174, 54-55.<br />
Barbier, J.-M. (1996). De l’usage <strong>de</strong> la notion d’i<strong>de</strong>ntité en recherche, notamment<br />
<strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la formation. Éducation Permanente, 128,3, 11-26.<br />
Barret, G. & Mougel, P. (1994). « Des approches constructivistes à l’évaluation<br />
axiologique, questionnement à propos <strong>de</strong> la formation au savoir-être <strong>de</strong>s travailleurs<br />
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Beagan, B. & Ells, C. (2007). Values that matter, barriers that interfere. the struggle to<br />
enact their values. Canadian Journal for Nursing Research (CJNR), 39,4, 37-57.<br />
Becker, H.S. (2006). Notes sur le concept d’engagement. Trad. par l’auteur à partir <strong>de</strong><br />
« Notes on the Concept of Commitment ». The American Journal of Sociology, 66,1, 32-<br />
40.<br />
Becouze, O., Chauchon, C. & Salomon, N. (1996). Des représentations du métier à la<br />
construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Revue <strong>de</strong> l’ARSI (Association <strong>de</strong> Recherche<br />
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Benhamou-Jantelet, G. & Echard, L. (2004). Comportement éthique <strong>de</strong>s infirmières<br />
<strong>dans</strong> leurs pratiques et <strong>dans</strong> la recherche clinique médicale. Recherche en Soins<br />
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Besanceney, J.-Cl. (1999). Former à la démarche éthique en IFSI. Soins Cadres, 32, 25-<br />
28.<br />
850
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Birkelund, R. (2000). Ethics and education. Nursing Ethics, 7,6, 473-480.<br />
Boitte, P. (2000). L’éthique en petits comités? Comités d’éthique hospitalier et<br />
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Boittin, I. (2002-3). Etudiants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième année crise i<strong>de</strong>ntitaire<br />
« la mise à l’épreuve <strong>de</strong>s motivations ». Recherche en Soins Infirmiers, 68, 66-92.<br />
Bourgeois, E. (1996). I<strong>de</strong>ntité et apprentissage. Éducation Permanente, 128, 3, 27-35.<br />
Boutelier, C. (1998). Une éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Revue <strong>de</strong> l’infirmière, 35, 67-74.<br />
Britt, T.W. (2003). Black hawk down at work: When your most motivated employees<br />
can’t do with their job, get ready for an exodus. Harvard Business Review, 81, 16-17.<br />
Brown, S.P. (1996). A meta-analysis and review of organizational research on job<br />
involvment. Psychological Bulletin, 2, 235-255.<br />
Camenzind, M. (2012). « Vous coûtez trop cher ! Economisez, bon sang ! Revue <strong>soins</strong><br />
<strong>infirmiers</strong> SBK/ASI, 10, 46-51.<br />
Carper B.A. (1978). Fundamental Patterns of Knowing in Nursing. Advances in<br />
Nursing Sciences, 1,1, 13-24.<br />
Chambers, G. (2006 janvier/février). Trois clés pour un double défi. Perspective<br />
infirmière, 3,3, 18-19.<br />
Clenet J. & Roquet, P. (2005). Conceptions et qualités <strong>de</strong> l'alternance. Modélisation<br />
d'une expérience régionale. Éducation Permanente, 163, 43 -58.<br />
Clot, Y. (2005). Entretien avec Yves Clot. Sciences Humaines, 165, .22.<br />
Codol, J.P. & Tap, P. (1988). Dynamique personnelle et i<strong>de</strong>ntités socia<strong>les</strong>. Revue<br />
internationale <strong>de</strong> psychologie sociale (RIPS), 2 (n° spécial), 167-172.<br />
Cohen-Scali, V. & Guichard, J. (2008). L’i<strong>de</strong>ntité: perspectives développementa<strong>les</strong>.<br />
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Collière, M.-F. (1986). Invisible Care and Invisible Women as Health Care-Provi<strong>de</strong>rs.<br />
International Journal of Nursing Studies, 23,2, 95-112.<br />
Comte, D. (2004-02). Des partenaires pour l’école. Vers l’Education Nouvelle, 513, 20-<br />
129.<br />
Cooper, C.L. (2005). Research note: the future of work: careers, stress and well-being.<br />
Career Development International, 10, 369-399.<br />
851
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Crochard, M. (2007). Contribution à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s liens entre engagement en formation<br />
et rapport au travail. Savoirs, Hors série, 47-60.<br />
Dekussche, C. (2005). Ethique et pratiques. Soins dossiers, 697, 31-54.<br />
Demarteau, M., Vandoorne C., Grignard S. & Lafontaine C. (2000). L’éthique, un<br />
questionnement perpétuel. Éducation Santé, 152, 5-7.<br />
Denoyel, N. (2005-2). L’alternance structurée comme un dialogue. Pour une<br />
alternance dialogique. Éducation Permanente, 163, 99-110.<br />
Duchesne, C., Savoie-Zajc, L. & St-Germain, M. (2005). La raison d’être <strong>de</strong><br />
l’engagement professionnel chez <strong>de</strong>s enseignantes du primaire selon une perspective<br />
existentielle. Revue <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> l’éducation, 31,3, 497-518.<br />
Estryn-Behar, M., Négri, J. F. & Le Nézet, O. (2007). Abandon prématuré <strong>de</strong> la<br />
profession infirmière, le respect <strong>de</strong>s valeurs professionnel<strong>les</strong> dépend <strong>de</strong>s conditions<br />
<strong>de</strong> travail. Droit, Déontologie et Soins, 7, 308-327.<br />
Estryn-Behar, M. (2004). Infirmières: êtes-vous satisfaites <strong>de</strong> vos conditions <strong>de</strong><br />
travail? Revue <strong>de</strong> l'infirmière, hors-série (juin 2004).<br />
Estryn-Behar, M. & Le Nezet, O. (2006). Insuffisance <strong>de</strong> travail en équipe et burn out,<br />
<strong>de</strong>ux prédicteurs majeurs <strong>dans</strong> l'intention <strong>de</strong> quitter la profession d'infirmière. Soins<br />
Cadres, hors-série 2, 2-17.<br />
Fawcett, J. (1984). The Metaparadigm of Nursing: Present Status and Future<br />
Refinements. Image: The Journal of Nursing Scholarschip, 16,3, 84-89.<br />
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Ferrand, J.-L. (1997-2). Partenariat et formation professionnelle continue: <strong>de</strong><br />
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Permanente, 131, 63-80.<br />
Fiat, E. (2006). Les enjeux éthiques <strong>de</strong> la décision. Revue Santé mentale, 113, 54-59.<br />
Föhn, M. (2011-20). Sparen auf Kosten <strong>de</strong>s Personals. Zeitschift Der Beobachter.<br />
Formarier, M. (1991-3). Relation entre i<strong>de</strong>ntité et savoir infirmier. Gestions<br />
Hospitalières, 304.<br />
Gabriel, G. (1999). Introduire une formation à la réflexion éthique <strong>dans</strong> la pratique<br />
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Gaillard, J.-P. (2007-4). Sur le façonnement psychosociétal en cours: enjeux<br />
psychothérapeutiques et éducatifs. Thérapie Familiale, 28, 349-367.<br />
852
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
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Gilioli, C. (2005). Pour une éthique du soin. Éthique et Pratiques. Soins dossier, 697.<br />
Gortner, S.R. (1983). The history and philosophy of nursing science and research.<br />
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Gruat, F. (2009-3). Les valeurs en crise. Recherche en Soins Infirmiers, 96, 5-7.<br />
Haberey-Knuessi, V. (2010-4). L’enseignement <strong>de</strong> l’éthique: un défi majeur pour <strong>les</strong><br />
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Hébrard, P. (2011). L’humanité comme compétence ? Une zone d’ombre <strong>dans</strong> la<br />
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Honneth A. & Gernet I. (2007/2) Travail et agir instrumental. À propos <strong>de</strong>s<br />
problèmes catégoriels d’une théorie critique <strong>de</strong> la société. Travailler,18, 17-58.<br />
Houssaye, J. & Cosnefroy, L. (2010). Hommage à Jean-Pierre Astolfi (1943-2009).<br />
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Jorro, A. (2009). La construction <strong>de</strong> l’éthos professionnel en formation alternée.<br />
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Jutras, F. (2007a). Le développement <strong>de</strong> l’éthique professionnelle en enseignement :<br />
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Kahn, W.A. (1990). Psychological conditions of personal engagement and<br />
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853
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
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Kuhse, H. (1998). A Nursing Ethics of Care? Why Caring is not enough in Applied<br />
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Le Blanc, G. (2006). Penser la fragilité. Revue Esprit, mars/avril 206 (La pensée Ricoeur)<br />
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Lecomte, M.-A. (2006). La formation à l’éthique <strong>de</strong>s étudiants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />
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Léry, N. (1999). Méthodologie d’ai<strong>de</strong> à la décision éthique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations<br />
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Lessard, C. (1986). La profession enseignante: multiplicité <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités<br />
professionnel<strong>les</strong> et culture commune. Repères, essais en éducation, 8.<br />
Lessard, C. & Bourdoncle, R. (2003). Qu'est-ce qu'une formation professionnelle<br />
universitaire? Les caractéristiques spécifiques: programmes, modalités et métho<strong>de</strong>s<br />
<strong>de</strong> formation (note <strong>de</strong> synthèse, 1 ère partie). Revue Française <strong>de</strong> Pédagogie, 142, 131-181.<br />
Longerich, B. (2010). Enfin <strong>de</strong> vraies perspectives <strong>de</strong> carrière ! Revue ASI (Association<br />
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Longneaux, J.-M. (2002). Inscrire <strong>les</strong> droits du patient à l’intérieur d’une éthique <strong>de</strong><br />
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Loriol, M. (2003). Faire exister une maladie controversée : <strong>les</strong> associations <strong>de</strong> mala<strong>de</strong>s<br />
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Luthans, F., Norman, S.M., Avolio, B.J. & Avey, J.B. (2008). The mediating role of<br />
psychological capital in the supportive organizational climate: employee<br />
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Maroy, J.-L. (1997-2). Partenariat et formation professionnelle continue: <strong>de</strong><br />
l’inexistence d’un concept. Le Partenariat, définition, enjeux, pratique. Éducation<br />
Permanente, 131, 63-80.<br />
Maslach, C., Schaufeli, W.B. & Leiter, M.P. (2001). Job Burnout. Annual Review of<br />
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854
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Mauno, S., Kinnunen, U. & Ruokolainen, M. (2007). Job <strong>de</strong>mands and Resources as<br />
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Meyer, J.P. & Allen, N.J. (1991). A three-component conceptualization of<br />
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Meyer, J.P. & Herscovitch, L. (2002). Commitment in the workplace: toward a<br />
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Molewijk B, Za<strong>de</strong>lhoff E, Len<strong>de</strong>meijer B & Wid<strong>de</strong>rshoven G. (2008). Implementing<br />
moral case <strong>de</strong>liberation in Dutch health care: improving moral competency of<br />
professionals and quality of care. Bioethica Forum, 1,1, 57-65.<br />
Mougel, P. (1995). Enseigner la vertu? Une exploration <strong>de</strong>s valeurs incertaines <strong>de</strong><br />
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Nadot, M. (2002). Médiologie <strong>de</strong> la santé. De la tradition soignante à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la<br />
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Newell, C. (2000). Biome<strong>de</strong>cine, Genetics and Disability: Reflections on Nursing and<br />
Philosophy of Holism. Nursing Ethics, an international Journal for Health Care<br />
professional, 7,3.<br />
Newman, M. A. (1992). Prevailing paradigms in nursing. Nursing Outlook, 40,1, 10-14.<br />
Newman, M.A. (1994). Theory for nursing practice. Nursing Science Quarterly, 7,4,<br />
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Otero, M. (2005). Santé mentale, adaptation sociale et individualité. Cahiers <strong>de</strong><br />
recherche sociologique, 41-42, 65-89.<br />
Otero, M. (dir.) (2006), Michel Foucault: sociologue? Sociologie et sociétés, 38,2.<br />
Paillé, P. (2008). Citoyenneté, engagement, satisfaction et implication en contexte<br />
organisationnel. Revue européenne <strong>de</strong> psychologie appliquée, 58, 145-153.<br />
Périneau, M. (1999). Réseaux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> et éthique. D’une éthique <strong>de</strong> conviction à une<br />
éthique <strong>de</strong> responsabilité. Ethica Clinica, 16.<br />
Perlemuter, L. (2003). Législation, éthique et déontologie, responsabilité,<br />
organisation du travail. Nouveaux cahiers <strong>de</strong> l’infirmière, 4.<br />
Perrenoud, P. (2001). Mettre la pratique réflexive au centre du projet <strong>de</strong> formation.<br />
Cahiers Pédagogiques, 390, 42-45.<br />
Perrenoud, P. (2001). De la pratique réflexive au travail sur l'habitus. Recherche et<br />
Formation, 35, 131-162.<br />
855
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Pescheux, M. (2008-2). Analyser sa pratique, entre « caché » et « visible ».Soins Cadres<br />
65, 39-40.<br />
Piot, T. (2009). Quels indicateurs pour mesurer le développement professionnel <strong>dans</strong><br />
<strong>les</strong> métiers adressés à autrui? Revues Questions vives, 5,11, 259-275.<br />
Postel-Ferry, B. (1999). L’éthique, entre Aristote et la chambre d’hôpital. L’infirmière<br />
magazine, 144.<br />
Prairat, E. (2007). Introduction à l’éthique et déontologie <strong>de</strong> l’enseignement. Les<br />
Sciences <strong>de</strong> l’Education, 40,2.<br />
Pronost, A.M. (2001). La prévention du burnout et ses inci<strong>de</strong>nces sur <strong>les</strong> stratégies <strong>de</strong><br />
coping. Revue <strong>de</strong> Recherche en Soins Infirmiers, 67, 121-130.<br />
Rawls, A. W. (2002-1). L'émergence <strong>de</strong> la socialité: une dialectique <strong>de</strong> l'engagement.<br />
Revue du Mauss, 19, 130-149.<br />
Rispali, D. (1999). Écrire l’éthique. Soins cadres, 32, 32-33.<br />
Rozenblatt, P. (2002) (Dir.). Le mirage <strong>de</strong> la compétence. Revue française <strong>de</strong> sociologie,<br />
43,3, 596-599.<br />
Samaniego, M. (05/2003). Postmo<strong>de</strong>rnisme, éthique et polythéisme. Revue Soins<br />
Cadres, 46, 54-58.<br />
Schaufeli, W.B. & Bakker, A.B. (2004). Job <strong>de</strong>mands, job resources and their<br />
relationship with burnout and engagement: a multi-sample study. Journal of<br />
Organizational Behavior, 25, 293-315.<br />
Schaufeli, W.B., Bakker, A.B. & Salanova, M. (2006). The measurement of work<br />
engagement with a short questionnaire: A cross-national study. Educational and<br />
Psychological Measurement, 66, 701–716.<br />
Schaufeli, W.B., Martinez, I., Marques Pinto, A., Salanova, M. & Bakker, A.B.<br />
(2002). Burnout and engagement in university stu<strong>de</strong>nts: A cross-national study.<br />
Journal of Cross-Cultural Psychology, 33, 464–481.<br />
Schaufeli, W.B. & Salanova, M. (2007). Efficacy or inefficacy, that’s the question:<br />
Burnout and work engagement and their relationship with efficacy beliefs. Anxiety,<br />
Stress and Coping, 20, 177-196.<br />
Schaufeli W.B., Salanova M., Gonza<strong>les</strong>-Romá V. & Bakker A., (2002), The<br />
Measurement of engagement and burnout : A two sample confirmatory factor<br />
analytic approach, Journal of Happiness Studies, 3,1, 71-92.<br />
Schaufeli, W.B. & Taris, T.W. (2005). The Conceptualization and measurement of<br />
Burnout: Common Ground and Worlds apart. Work & Stress, 19, 256-262.<br />
856
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Schaufeli, W.B. & Van Rhenen, W. (2006). About the role of positive and negative<br />
emotions in managers‘ well-being: A study using the Job-related Affective Well-<br />
Being Scale (JAWS). Gedrag & Organisatie, 19, 323-244.<br />
Schin<strong>de</strong>lholz, P. (2006). L'i<strong>de</strong>ntité infirmière existe-t-elle? Soins Cadres, 57, 58- 60.<br />
Severinsson, E. & Hummelvoll, J.K. (2001). Factors influencing job satisfaction and<br />
ethical dilemmas in acute psychiatric care. Nursing Health Sciences, 3, 81-90.<br />
Simpson, M.R. (2009). Engagement at work: A review of the literature. International<br />
Journal of Nursing Studies, 46, 1012-1024.<br />
Smadja, D. (2006). Engagement et responsabilité. Revue Santé mentale, 113, 24-27.<br />
Solignac, M. (2003). Quelle éthique pour l’hôpital du XXI e siècle. Soins Cadres, 46, 8-9.<br />
Svandra, P. (2006). Le temps et le corps <strong>dans</strong> la relation <strong>de</strong> soin. Perspective<br />
soignante, avril 2006. 6-15.<br />
Svandra, P. (2006). Le soin, un acte gratuit ? Soins cadres, 52, 43-46.<br />
Svandra, P. (2008). Un regard sur le soin. Revue ARSI, 95, 6-13.<br />
Sy, T., Côté, S. & Saavedra, R. (2005). The contagious lea<strong>de</strong>r: impact of lea<strong>de</strong>r’s<br />
mood on the mood of group members, group affective tone and group processes.<br />
Journal of Applied Psychology, 90, 295-305.<br />
Tap, P. (2003) I<strong>de</strong>ntité, reconnaissance et relation <strong>de</strong> travail. N° spécial « Une<br />
sociologie <strong>de</strong> l’action. L’engagement <strong>de</strong> Renaud Sainsaulieu ». Sociologie, Pratiques, 8,<br />
69-75.<br />
Vanhulle, S. (2005). Favoriser l’émergence du “je” professionnel en formation initiale:<br />
une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cas. Revue <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l’éducation, 31,1, 157-176.<br />
Vinje, H.F. & Mittelmark, M.B. (2006). Deflecting the path to burnout among<br />
community health nurses: How the effective practice of self-care renews job<br />
engagement. International Journal Mental Health Promot., 8, 36-47.<br />
Watson, J. (1997). The theory of human caring: Retrospective and prospective.<br />
Nursing Science Quarterly, 10, 49-52.<br />
Wenner, M. (2003). De l’intérêt d’une réflexion éthique sur <strong>les</strong> pratiques<br />
professionnel<strong>les</strong>. Soins Gérontologie, 42, 20-21.<br />
Willis, J. (1995). A recursive, Reflective Instructional Design Mo<strong>de</strong>l Based on<br />
Constructivist-Interpretivist Theory. Educational Technology, 35,6, 5-23.<br />
857
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Wintzer, P. (2004). Réflexions sur l’éthique à partir d’une évaluation <strong>de</strong><br />
l’appropriation <strong>de</strong> la dimension éthique <strong>dans</strong> le rôle professionnel. Recherche en Soins<br />
<strong>infirmiers</strong>, 77, 56-65.<br />
Wittorski, R. (2004). Les rapports théorie-pratique <strong>dans</strong> la conduite <strong>de</strong>s dispositifs<br />
d’analyse <strong>de</strong> pratiques. Éducation Permanente, 160, 61-70.<br />
Xanthopoulou, D., Bakker, A.B., Demerouti, E. & Schaufeli, W.B. (2007). The role of<br />
personal resources in the job <strong>de</strong>mands-resources mo<strong>de</strong>l. International Journal of Stress<br />
Management, 14, 121-41.<br />
Zaoui, E. (2008). Les groupes d’analyse <strong>de</strong>s pratiques cliniques. Une opportunité<br />
pour l’encadrement infirmier <strong>de</strong> renforcer le management <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Recherche en<br />
Soins Infirmiers, 93. 4-7.<br />
858
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
ANNEXE B 3 : RESSOURCES INTERNET<br />
Boula, J.-G. (2010). Le soi et Rôle professionnel. Fondation Genevoise pour la Formation<br />
et la Recherche Médica<strong>les</strong>. Accès:<br />
http://gfmer.ch/Présentations_Fr/Soi_role_professionnel.htm [page consultée le 4<br />
janvier 2010].<br />
Décret n° 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice <strong>de</strong> la<br />
profession d'infirmier. Accès:<br />
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000410355&<br />
dateTexte=&categorieLien=id [page consultée le 30 janvier 2013].<br />
Dubar, C. (2011, 4 juillet). Une critique sociale du temps au cœur <strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong><br />
Temporalités. Accès: http://temporalites.revues.org/1504 [page consultée le 22<br />
novembre 2012].<br />
Durckheim, E. (1922). Leçons <strong>de</strong> sociologie: physique <strong>de</strong>s mœurs et du droit (Cours<br />
dispensés entre 1892 et 1900). Accès:<br />
http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/lecons_<strong>de</strong>_sociologie/Lecon<br />
s_socio.doc [page consultée le 21 décembre 2012].<br />
Estryn-Béhar, M. et al. (2004, janvier). Étu<strong>de</strong> Presst-Next sur la santé au travail <strong>de</strong>s<br />
infirmières. Accès: http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/estrynbehar.pdf [page<br />
consultée le 10 décembre 2012].<br />
Ladrière, J., Lecarme, J. & Moatti, C. (2002). Engagement: 1 Problématique <strong>de</strong><br />
l’engagement. Encyclopédie Universalis [en ligne]. Accès:<br />
http://www.universalis.fr/encyclopedie/engagement/1-problematique-<strong>de</strong>-lengagement/<br />
[page consultée le 8 janvier 2013].<br />
Platon (s.d.). Apologie <strong>de</strong> Socrate [Livre électronique]. Trad. par É. Chambry. La<br />
Bibliothèque électronique du Québec. Garnier-Flammarion. Accès:<br />
http://beq.ebooksgratuits.com/Philosophie/Platon-apologie.pdf [page consultée le<br />
6 janvier 2013].<br />
859
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
ANNEXE B 4 : TRAVAUX DE FORMATION ET DE<br />
RECHERCHES<br />
Chatelain, B. (1997). De quelques repères pour évaluer la construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle <strong>dans</strong> le champ <strong>de</strong> la formation infirmière. Mémoire <strong>de</strong> licence, sciences <strong>de</strong><br />
l’éducation: <strong>Université</strong> <strong>de</strong> Genève.<br />
Douguet F. (dir.), Muñoz J. & Leboul D. (2005, juin). Les effets <strong>de</strong> l’accréditation et <strong>de</strong>s<br />
mesures d’amélioration <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> sur l’activité <strong>de</strong>s personnels soignants,<br />
Document <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> la DREES (Direction <strong>de</strong> la Recherche, <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong><br />
l’Evaluation et <strong>de</strong>s Statistiques), N°48.<br />
Engelbrecht, S. (2006). Motivation and burnout in human service work: the case of<br />
midwifery in Denmark. Doctoral dissertation. Rolskil<strong>de</strong>: Roskil<strong>de</strong> University.<br />
Garnier, M. (2002). Rupture et continuité: histoire <strong>de</strong> la construction d'une i<strong>de</strong>ntité<br />
professionnelle. Mémoire <strong>de</strong> maîtrise en sciences <strong>de</strong> l’éducation. <strong>Université</strong> Lyon II<br />
Lumières.<br />
Lanza, D. (1997). I<strong>de</strong>ntités au travail et socialisation professionnelle: le cas <strong>de</strong>s infirmières.<br />
Mémoire <strong>de</strong> maîtrise en sociologie. <strong>Université</strong> <strong>de</strong> Genève.<br />
Pattaroni, L. (1995). Politique <strong>de</strong> la responsabilité. Promesses et limites d’un mon<strong>de</strong> fondé<br />
sur l’autonomie. Thèse <strong>de</strong> doctorat en sciences économiques et socia<strong>les</strong> et en sociologie.<br />
Paris/EHESS; Genève/<strong>Université</strong> <strong>de</strong> Genève..<br />
860
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
ANNEXE B 5 : DOCUMENTS DE RÉFÉRENCES<br />
Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’Infirmier. Albi: IFSI.<br />
ASI/SBK (1990). Principes éthiques pour <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Berne: Association Suisse<br />
<strong>de</strong>s Infirmières.<br />
ASI/SBK (1999). Dossier éthique et <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Berne: Association Suisse <strong>de</strong>s<br />
Infirmières.<br />
DRASS Bourgogne (2009). Gui<strong>de</strong> pour <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong>s terrains <strong>de</strong> stage accueillant<br />
<strong>de</strong>s étudiants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Programme 2009.<br />
Niedleman J., Buerhaus P.I., Mattke S., Stewart M. & Zelevinsky K. (2001). Nurse<br />
staffing and patients outcome in hospitals, Final Report for Health Resources Service<br />
Administration. Harvard school of public health.<br />
Recueil <strong>de</strong>s principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’État et<br />
à l’exercice <strong>de</strong> la profession d’infirmier (2007). Référence 531 001. Uzès: SEDI<br />
861
ANNEXE B 6 : CONFÉRENCES<br />
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Dubar, C. (1999). « Evénements et repères <strong>dans</strong> <strong>les</strong> biographies » intervention <strong>dans</strong> le<br />
séminaire Dynamiques <strong>de</strong>s repères temporels. Paris: IRESCO.<br />
Gillen, E. & Geißner U. (Ed.) (2004). Ethik und Autonomie: Wissenschaftliches<br />
Symposium an <strong>de</strong>r Katholischen Fachhochschule Freiburg. Forum Religion & Sozialkultur,<br />
Vol. 14. Münster (D): LIT.<br />
Gohier, C. (2008, novembre). I<strong>de</strong>ntité enseignante: quels parallè<strong>les</strong> avec la profession<br />
soignante? De la relation pédagogique à la relation <strong>de</strong> soin. Actes <strong>de</strong> la journée scientifique:<br />
L’i<strong>de</strong>ntité infirmière: De la pratique aux sciences. Neuchâtel: Haute École <strong>de</strong> Santé<br />
ARC.<br />
Gohier, C., Jutras, F. & Desautels, L. (2007). La mise au jour <strong>de</strong>s enjeux éthiques <strong>de</strong> la<br />
profession enseignante: le focus group, une bonne métho<strong>de</strong>? Actes du Congrès<br />
International (Strasbourg): Actualité <strong>de</strong> la Recherche en Éducation et en Formation<br />
(AREF).<br />
Jorro, A. (2010, septembre). Instituer l’invisible <strong>dans</strong> le développement professionnel <strong>de</strong>s<br />
acteurs: la question <strong>de</strong> l’ethos professionnel. Actes du congrès <strong>de</strong> l’Actualité <strong>de</strong> la<br />
Recherche en Éducation et en Formation (AREF), <strong>Université</strong> <strong>de</strong> Genève.<br />
Lacroix, A. (16 avril 2008). Directeur du Centre d’Ethique Appliquée (CIREA) à<br />
l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> Sherbrooke. Autodétermination <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Conférence tenue à<br />
Lausanne, Haute École <strong>de</strong> Santé la Source.<br />
Pourtois, J-P. Desmet, H. & Lahaye, W. (1998) Les points charnières <strong>de</strong> la recherche<br />
scientifique. Cours édité par la Faculté <strong>de</strong> Psychologie et <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> l’Éducation,<br />
<strong>Université</strong> <strong>de</strong> Mons-Hainaut.<br />
Rey, B. (2000, janvier). Titulaire <strong>de</strong> la chaire internationale en éducation à<br />
l’<strong>Université</strong> libre <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>. Construction <strong>de</strong>s savoirs, alternance et formation<br />
professionnelle. Conférence tenue à Lausanne, École Supérieure d’Enseignement<br />
Infirmier <strong>de</strong> la Croix-Rouge.<br />
Rothmann, S. & Storm, K. (2003, 14-17 May). Work engagement in the South African<br />
Police Service. 11th European Congress of Work and Organizational Psychology.<br />
Lisbon..<br />
Sonon, A.-M. (2010, 6-9 octobre). Du manque d’indicateurs pour certaines compétences<br />
du référentiel européen. 8 e Congrès <strong>de</strong> la Fédération Européenne en Soins Infirmiers<br />
(FINE), Lisbonne.<br />
862
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
ANNEXE B 7 : PROGRAMMES INFORMATIQUES UTILISÉS<br />
Logiciel <strong>de</strong> traitement <strong>de</strong> texte : Microsoft Word, version 2007 et 2010.<br />
Logiciel <strong>de</strong> correction : Antidote HD, version 7.6.7000.<br />
Logiciel <strong>de</strong> conversion <strong>de</strong> documents: Foxit® Phantom PDF, version<br />
5.1.5.115.<br />
Logiciel d’analyse qualitative <strong>de</strong> données: NVivo, version 9.0.264.0.<br />
Logiciel <strong>de</strong> dictée: SpeechExec Dictate, version 5.0440.00.<br />
Logiciel <strong>de</strong> transcription: SpeechExec Transcribe, version 5.0440.00.<br />
Tableur Microsoft Excel, version 2007 et 2010.<br />
863
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
864
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
ANNEXE C : TABLE DES MATIÈRES<br />
SIGLES ET ABRÉVIATIONS .............................................................................................. 6<br />
INTRODUCTION GÉNÉRALE ........................................................................................ 10<br />
PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE ...................................................... 15<br />
CHAPITRE 1 – LES SOINS INFIRMIERS : D’HIER À AUJOURD’HUI .................. 17<br />
1.1 La profession infirmière ou le résultat d’une longue histoire ........................ 17<br />
1.2 Nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ................................................................................. 22<br />
1.3 Une profession en mutation ................................................................................ 33<br />
1.4 État <strong>de</strong>s lieux aujourd’hui.................................................................................... 37<br />
CHAPITRE 2 - ÊTRE SOIGNANT, UN DÉFI AU QUOTIDIEN ................................ 43<br />
2.1 La réalité d’un contexte difficile ......................................................................... 43<br />
2.2 La souffrance du paradoxe .................................................................................. 45<br />
2.3 Soins, management et nécessité éthique ............................................................ 49<br />
CHAPITRE 3 – DE L’ÉTHIQUE À L’ÉTHIQUE DES SOINS INFIRMIERS............ 55<br />
3.1 Éthique et histoire ................................................................................................. 56<br />
3.2 I<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’éthique ............................................................................................ 68<br />
3.2.1 Définition <strong>de</strong> l’éthique ......................................................................................... 69<br />
3.2.2 Éthique et la responsabilité ................................................................................. 71<br />
3.2.3 Éthique, droit et déontologie ............................................................................... 74<br />
3.2.3.1 Éthique et droit ....................................................................................................... 75<br />
3.2.3.2 Éthique et déontologie ........................................................................................... 75<br />
3.3 L’éthique à l’hôpital .............................................................................................. 78<br />
3.3.1 L’éthique au service <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine .................................................................. 79<br />
3.3.2 L’éthique au chevet du patient ........................................................................... 82<br />
3.3.2.1 Le « Prendre soin » ................................................................................................. 86<br />
3.3.2.2 Le soignant et sa position face au mala<strong>de</strong> .......................................................... 90<br />
3.4 La relation soignante ............................................................................................ 94<br />
3.5 L’éthique au service <strong>de</strong>s soignants ..................................................................... 99<br />
3.6 Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’éthique, la question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité ............................................... 102<br />
CHAPITRE 4 - IDENTITÉ DU SOIGNANT ................................................................. 105<br />
4.1 Aux origines <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité .................................................................................. 105<br />
865
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
4.2 Compréhension du concept .............................................................................. 106<br />
4.2.1 I<strong>de</strong>ntité personnelle ............................................................................................ 108<br />
4.2.2 I<strong>de</strong>ntité sociale ..................................................................................................... 111<br />
4.2.3 I<strong>de</strong>ntité professionnelle ...................................................................................... 114<br />
4.3 De la mo<strong>de</strong>rnité à la crise d’i<strong>de</strong>ntité plurielle................................................. 118<br />
4.4 I<strong>de</strong>ntité : <strong>de</strong> l’étudiante à la soignante ............................................................. 119<br />
CHAPITRE 5 - LA FORMATION EN SOINS INFIRMIERS .................................... 125<br />
5.1 La professionnalisation ...................................................................................... 127<br />
5.2 La formation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> HES et <strong>les</strong> compétences infirmières .......................... 134<br />
5.3 Une formation en alternance pour un engagement professionnel .............. 139<br />
5.4 L’éthique comme fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la pensée réflexive ..................................... 143<br />
DEUXIÈME PARTIE : CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE ............... 153<br />
CHAPITRE 6 : UN CONCEPT FAÇONNÉ PAR L’ÉVOLUTION SOCIÉTALE .... 157<br />
6.1 L’engagement, d’hier à aujourd’hui ................................................................. 157<br />
6.2 L’influence du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne ....................................................................... 161<br />
6.3 L’engagement et la psychologie du travail ..................................................... 163<br />
CHAPITRE 7 : L’ÉTHIQUE DE L’ENGAGEMENT : ENTRE LES SOINS ET LE<br />
MANAGEMENT ................................................................................................................ 169<br />
7.1 L’engagement au cœur d’un métier humain .................................................. 170<br />
7.2 L’engagement <strong>dans</strong> une société néolibérale.................................................... 172<br />
7.3 Engagement, entre satisfaction et performance ............................................. 173<br />
7.4 Les risques liés à l’engagement ......................................................................... 176<br />
CHAPITRE 8 : LES CONCEPTS COROLLAIRES DE L’ENGAGEMENT ............. 179<br />
8.1 Engagement et responsabilité ........................................................................... 179<br />
8.2 Engagement et autonomie ................................................................................. 184<br />
8.3 De la motivation à l’engagement ...................................................................... 188<br />
8.4 La question du sens et <strong>de</strong> la reconnaissance ................................................... 194<br />
CHAPITRE 9 : VERS UN ENGAGEMENT RÉFLÉCHI.............................................. 199<br />
9.1 Engagement et réflexivité .................................................................................. 200<br />
9.2 Du rôle moteur <strong>de</strong>s ressources .......................................................................... 206<br />
9.3 Défendre un positionnement ............................................................................ 208<br />
9.4 L’engagement, dynamique pour l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle.......................... 209<br />
866
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
CHAPITRE 10 : DU PROBLÈME À LA THÈSE ........................................................... 211<br />
10.1 L’éclairage apporté par le cadre <strong>de</strong> référence ................................................. 212<br />
10.2 Problématique actuelle et pertinence <strong>de</strong> la recherche ................................... 213<br />
10.3 Thèse et objectifs ................................................................................................. 222<br />
TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE .................................................................. 227<br />
CHAPITRE 11 : DU MODÈLE AUX HYPOTHÈSES ................................................... 229<br />
11.1 Explication du schéma ....................................................................................... 231<br />
11.2 Questionnements, hypothèses et indicateurs ................................................. 232<br />
CHAPITRE 12 : CADRE DE RÉFÉRENCE ET MÉTHODOLOGIQUE ................... 243<br />
12.1 Cadre épistémologique ...................................................................................... 243<br />
12.2 Choix <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d’enquête ......................................................................... 250<br />
12.3 Avantages et inconvénients <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s ..................................................... 252<br />
CHAPITRE 13 : OPÉRATIONNALISATION ............................................................... 253<br />
13.1 Contexte <strong>de</strong> la recherche .................................................................................... 253<br />
13.2 Choix <strong>de</strong>s populations ....................................................................................... 254<br />
13.3 Constitution <strong>de</strong>s échantillons ............................................................................ 256<br />
13.4 Les HES, une histoire récente ............................................................................ 257<br />
13.5 Des échantillons hétérogènes ............................................................................ 259<br />
CHAPITRE 14 : INSTRUMENTS UTILISÉS POUR LE RECUEIL DE DONNÉES261<br />
14.1 De l’intérêt <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s .................................................................................. 262<br />
14.2 Caractéristiques du questionnaire .................................................................... 263<br />
14.3 Caractéristiques <strong>de</strong>s entretiens ......................................................................... 265<br />
CHAPITRE 15 : TRAITEMENT DES INFORMATIONS ........................................... 269<br />
15.1 Posture éthique et méthodologie <strong>de</strong> recherche .............................................. 269<br />
15.2 Critique <strong>de</strong>s résultats .......................................................................................... 272<br />
CHAPITRE 16 : ANALYSE DU CONTENU ................................................................. 275<br />
16.1 Type d’information recherché ........................................................................... 275<br />
16.2 Méthodologie d’analyse <strong>de</strong>s données .............................................................. 277<br />
16.3 Analyse du questionnaire .................................................................................. 278<br />
16.4 Analyse <strong>de</strong>s entretiens ....................................................................................... 279<br />
CHAPITRE 17 : VALIDITÉ DE LA RECHERCHE ...................................................... 289<br />
17.1 Validité <strong>de</strong> signifiance ........................................................................................ 289<br />
867
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
17.2 Triangulations et validité ................................................................................... 291<br />
17.3 Triangulation <strong>de</strong>s sources .................................................................................. 291<br />
17.4 Dispositif <strong>de</strong> recherche ....................................................................................... 292<br />
QUATRIÈME PARTIE : RÉSULTATS ET ANALYSES ................................. 293<br />
CHAPITRE 18 : RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE .............................................. 295<br />
18.1 Des professionnels fortement engagés ............................................................ 296<br />
18.2 Un engagement porté par une motivation et <strong>de</strong>s convictions ..................... 297<br />
18.3 L’engagement, un potentiel d’énergie ............................................................. 298<br />
18.4 L’engagement : pour un sens à son existence ................................................. 300<br />
18.5 L’engagement constitue une prise <strong>de</strong> risque .................................................. 301<br />
18.6 L’indifférence est le contraire <strong>de</strong> l’engagement ............................................. 302<br />
18.7 Exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique sans être engagé ............... 304<br />
CHAPITRE 19 : RÉSULTATS ET ANALYSE DU CORPUS D’ENTRETIENS ...... 305<br />
19.1 Éléments du parcours <strong>de</strong> vie personnel et professionnel ............................. 306<br />
19.2 Dimension éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>............................................................................. 312<br />
19.2.1Valeurs <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, déontologie ................................................................. 312<br />
19.2.2Des valeurs personnel<strong>les</strong> à leur expression <strong>dans</strong> le milieu professionnel . 316<br />
19.2.3Éthique et souci <strong>de</strong> soi ........................................................................................ 320<br />
19.2.4Valeurs comme fon<strong>de</strong>ments et moteur <strong>de</strong> l’engagement ............................. 327<br />
19.3 L’engagement et ses corollaires ........................................................................ 330<br />
19.3.1Définitions et caractéristiques <strong>de</strong> l’engagement............................................. 332<br />
19.3.2De la responsabilité ............................................................................................ 338<br />
19.3.3La motivation comme source d’engagement .................................................. 339<br />
19.3.4Le sens <strong>de</strong> l’engagement .................................................................................... 344<br />
19.3.5Les connaissances, <strong>de</strong>s ressources pour un engagement raisonné .............. 350<br />
19.3.6Les limites <strong>de</strong> l’engagement .............................................................................. 355<br />
19.3.7L’engagement, élément fondateur <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle ................. 360<br />
19.3.8La dynamique d’équipe, élément contributif à l’engagement ..................... 367<br />
19.3.9Caractéristiques sociéta<strong>les</strong> sur l’engagement ................................................. 374<br />
19.3.10De la reconnaissance ........................................................................................ 379<br />
19.3.11Engagement comme prise <strong>de</strong> position ........................................................... 381<br />
19.4 L’engagement <strong>dans</strong> le cursus <strong>de</strong> formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> .................. 385<br />
868
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
19.4.1Spécificités <strong>de</strong> la formation duale .................................................................... 385<br />
19.4.2Travail sur <strong>les</strong> valeurs en formation et soin <strong>de</strong> soi ........................................ 388<br />
19.4.3L’engagement <strong>dans</strong> la formation ...................................................................... 392<br />
19.4.4Impact <strong>de</strong>s enseignants sur l’engagement ...................................................... 394<br />
19.4.5Les ressources contre l’épuisement .................................................................. 396<br />
19.4.6De l’enjeu <strong>de</strong> la réflexivité ................................................................................. 397<br />
19.4.7Le positionnement professionnel ..................................................................... 399<br />
19.5 Contexte hospitalier ............................................................................................ 401<br />
19.5.1L’exercice du soin <strong>dans</strong> le contexte sanitaire .................................................. 401<br />
19.5.2Qualité <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> ....................................................................... 410<br />
19.5.3De l’épuisement professionnel <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> ................................................ 411<br />
19.5.4De l’importance <strong>de</strong> la verbalisation ................................................................. 415<br />
19.6 Perspectives futures ............................................................................................ 417<br />
19.6.1Promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> la pratique ................................................... 417<br />
19.6.2Limiter l’épuisement par la formation ............................................................. 419<br />
19.6.3Promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> au cœur <strong>de</strong> la formation ............ 421<br />
CHAPITRE 20 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE LINÉAIRE ....................................... 425<br />
20.1 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s étudiants ............................................................. 425<br />
20.1.1Premier entretien : premier étudiant (E18) ..................................................... 426<br />
20.1.2Deuxième entretien : <strong>de</strong>uxième étudiant (E26) .............................................. 431<br />
20.2 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s praticiens ............................................................ 436<br />
20.2.1Troisième entretien : premier praticien (P3) ................................................... 436<br />
20.2.2Quatrième entretien : <strong>de</strong>uxième praticien (P11) ............................................ 443<br />
20.3 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s enseignants ......................................................... 448<br />
20.3.1Cinquième entretien : premier enseignant (T14) ............................................ 448<br />
20.3.2Sixième entretien : <strong>de</strong>uxième enseignant (T15) .............................................. 454<br />
20.4 Conclusion <strong>de</strong> l’analyse qualitative ................................................................. 459<br />
CHAPITRE 21 : SYNTHÈSE DES RÉSULTATS .......................................................... 461<br />
21.1 L’engagement, une attitu<strong>de</strong> qui va <strong>de</strong> soi ? .................................................... 463<br />
21.2 La dimension éthique <strong>de</strong> l’engagement ........................................................... 466<br />
21.3 Le sens, une question d’équilibre ..................................................................... 468<br />
21.4 De la posture professionnelle à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession ........................... 472<br />
869
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
21.5 Développer l’engagement durant la formation .............................................. 474<br />
21.6 Comparaison <strong>de</strong>s résultats ................................................................................ 479<br />
21.7 Critique du modèle : pertinence et améliorations .......................................... 481<br />
CHAPITRE 22 : DISCUSSION ........................................................................................ 487<br />
22.1 L’engagement : <strong>de</strong> l’absence théorique à l’évi<strong>de</strong>nce pratique ...................... 487<br />
22.2 Les éléments qui contribuent à favoriser l’engagement : l’enjeu du sens .. 491<br />
22.3 Les entraves à la construction <strong>de</strong> l’engagement professionnel .................... 495<br />
22.4 La formation, construction du sens et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle ........... 501<br />
22.5 La contribution <strong>de</strong> la formation au développement <strong>de</strong> l’engagement ....... 504<br />
CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................ 525<br />
CINQUIÈME PARTIE : ANNEXES ........................................................................ 553<br />
ANNEXE A : LISTE RÉCAPITULATIVE DES ANNEXES ........................................ 555<br />
ANNEXE B : BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 781<br />
ANNEXE B 1 : OUVRAGES GÉNÉRAUX ..................................................................... 827<br />
ANNEXE B 2 : ARTICLES ................................................................................................ 850<br />
ANNEXE B 3 : RESSOURCES INTERNET ................................................................... 859<br />
ANNEXE B 4 : TRAVAUX DE FORMATION ET DE RECHERCHES .................... 860<br />
ANNEXE B 5 : DOCUMENTS DE RÉFÉRENCES ....................................................... 861<br />
ANNEXE B 6 : CONFÉRENCES ...................................................................................... 862<br />
ANNEXE B 7 : PROGRAMMES INFORMATIQUES UTILISÉS ............................. 863<br />
ANNEXE C : TABLE DES MATIÈRES ........................................................................... 865<br />
870
CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />
Résumé<br />
L’exercice <strong>de</strong> la profession infirmière ne saurait se penser en <strong>de</strong>hors d’une dimension d’engagement<br />
qui en constitue l’un <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments essentiels (Dallaire, 2008). Cependant, l’engagement n’est pas<br />
une notion très valorisée <strong>dans</strong> notre société actuelle. Dans le mon<strong>de</strong> professionnel, elle l’est d’autant<br />
moins que <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail se détériorent et que la satisfaction du travail bien fait, laisse <strong>de</strong><br />
plus en plus place à la frustration <strong>de</strong> toujours <strong>de</strong>voir parer au plus pressé. Or cette dialectique entre le<br />
pôle déontologique, pôle du <strong>de</strong>voir prescrit, et le pôle téléologique visant, quant à lui, à la mise en<br />
œuvre <strong>de</strong> ce que le sujet considère comme bien et correspondant à ses principes axiologiques, doit<br />
pouvoir s’inscrire <strong>dans</strong> un équilibre, afin que le professionnel puisse trouver du sens à sa pratique.<br />
Dépourvu <strong>de</strong> sens, l’engagement perd sa raison d’être et engendre alors <strong>de</strong>s répercussions sur la<br />
motivation <strong>de</strong> l’individu, sur son i<strong>de</strong>ntité, voire sur sa santé. Face à cet enjeu <strong>de</strong> taille, une réflexion<br />
s’impose en amont, pour savoir quel rôle la formation pourrait jouer <strong>dans</strong> l’accompagnement <strong>de</strong><br />
l’étudiant afin qu’il soit à même <strong>de</strong> développer un engagement qui fasse sens pour lui, en regard <strong>de</strong><br />
son éthique, <strong>de</strong> son expérience et <strong>de</strong> ses objectifs. L’objectif principal étant <strong>de</strong> le préparer à faire face et<br />
à se positionner <strong>dans</strong> un milieu <strong>de</strong> travail difficile, pour défendre <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt son intérêt<br />
pour l’humain, nous avons esquissé un modèle d’accompagnement à la construction <strong>de</strong> l’engagement,<br />
<strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s infirmières et <strong>infirmiers</strong>. Pour le vali<strong>de</strong>r et bien cerner cette notion<br />
d’engagement, tout spécialement <strong>dans</strong> sa dimension éthique, ses principa<strong>les</strong> caractéristiques, ses<br />
fon<strong>de</strong>ments axiologiques, ses principes fondateurs, ses concepts explicatifs, ses freins et ses facteurs<br />
dynamisants, une recherche compréhensive et herméneutique a été menée. Nous avons procédé à<br />
plusieurs recueils <strong>de</strong> données auprès <strong>de</strong> 44 étudiants, enseignants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et praticiens<br />
formateurs (professionnels soignants encadrant <strong>les</strong> étudiants <strong>infirmiers</strong> en stage). Les résultats <strong>de</strong> cette<br />
démarche montrent que l’enjeu est triple : on relève un enjeu individuel, au niveau du soignant luimême<br />
; un enjeu collectif au niveau <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong> ses valeurs, ainsi qu’un enjeu<br />
sociétal en regard <strong>de</strong> la considération accordée à l’être humain.<br />
The nursing practice can not be imagined outsi<strong>de</strong> a dimension of engagement that constitutes one of<br />
its essential foundations (Dallaire, 2008). However, the commitment is not a notion highly valued in<br />
our society today. In the professional world, it is even <strong>les</strong>s valued than the working conditions are<br />
<strong>de</strong>teriorated and the satisfaction of a job well done is reduced, leaving more room for the frustration<br />
of always having to work to fill the gap. But this dialectic between the <strong>de</strong>ontological pole, the pole of<br />
prescribed duty and the teleological pole, the one that aims, the implementation of what the subject<br />
consi<strong>de</strong>rs good and which correspond to his axiological princip<strong>les</strong>, must be in a balance so that the<br />
professional can find meaning in his practice. Meaning<strong>les</strong>s, commitment loses its rationale and<br />
implications are then to be expected on the motivation of the individual, on his i<strong>de</strong>ntity or even on his<br />
health. Faced with this major challenge, a reflection is nee<strong>de</strong>d upstream: What role the education<br />
could play in supporting the stu<strong>de</strong>nt in or<strong>de</strong>r that they are able to <strong>de</strong>velop a commitment that makes<br />
sense to him, according to his ethics, his experience and goals. The main objective is to prepare them<br />
to cope with and position themselves in a challenging work environment, to <strong>de</strong>fend the values that<br />
un<strong>de</strong>rpin his interest in humans. A mo<strong>de</strong>l to support the construction of the commitment was<br />
<strong>de</strong>signed which required to be validated, to clearly <strong>de</strong>fine the concept, especially in its ethical<br />
dimension, and examine what are the main features, the foundations axiological founding princip<strong>les</strong>,<br />
explanatory concepts, brakes and energizing factors. This is what we tried to achieve through a<br />
comprehensive and hermeneutical research, combining several data collections with 44 stu<strong>de</strong>nts,<br />
teachers and practitioners instructors (professional caregivers supervising nursing stu<strong>de</strong>nts in<br />
trainingsperiod). This approach seemed even more essential that the challenge is threefold:<br />
individual-level the caregiver himself, collective-level because of the i<strong>de</strong>ntity of the profession and its<br />
values, but also societal-level because of the consi<strong>de</strong>ration given to humans.<br />
Mots-clés : Engagement – Sens – Ethique – Connaissance <strong>de</strong> soi – Soins <strong>infirmiers</strong> – Formation –<br />
Pratique réflexive<br />
Key words : Commitment – Meaning - Ethics – Self Knowledge – Nursing practice – Education –<br />
Reflective practice.<br />
871