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L'engagement dans les soins infirmiers - Université de Rouen

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ÉCOLE DOCTORALE<br />

Laboratoire CIVIIC – EA 2657<br />

Centre interdisciplinaire <strong>de</strong> recherche sur <strong>les</strong> valeurs, <strong>les</strong> idées,<br />

<strong>les</strong> i<strong>de</strong>ntités et <strong>les</strong> compétences en éducation et formation.<br />

L’engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> : un enjeu <strong>de</strong> formation<br />

entre éthique et sens<br />

Thèse présentée par<br />

Véronique HABEREY-KNUSSI<br />

Pour l’obtention du gra<strong>de</strong> <strong>de</strong> docteur ès Sciences <strong>de</strong> l’Éducation<br />

Thèse dirigée par :<br />

Monsieur Jean HOUSSAYE,<br />

Professeur <strong>de</strong>s <strong>Université</strong>s, <strong>Rouen</strong>, Directeur<br />

Madame France JUTRAS,<br />

Professeur, <strong>Université</strong> <strong>de</strong> Sherbrooke, Co-directrice<br />

Soutenue en 2013<br />

1


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

2


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

VIVRE, C’EST S’ENGAGER<br />

3<br />

Albert Camus<br />

À Noémie et Samuel,


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

4


REMERCIEMENTS<br />

INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

Mes premiers remerciements s’adressent à mon directeur <strong>de</strong> thèse, le Professeur Jean<br />

HOUSSAYE, pour la confiance et la liberté qu’il m’a accordées durant ce long voyage<br />

<strong>de</strong> recherche et d’écriture. Ses remarques toujours à propos, ainsi que ses corrections<br />

très précises m’ont été d’une gran<strong>de</strong> ai<strong>de</strong>.<br />

Un très grand merci également à ma co-directrice <strong>de</strong> thèse, Madame France JUTRAS,<br />

pour ses encouragements bienfaisants, <strong>les</strong> orientations et <strong>les</strong> conseils avisés qu’elle a<br />

pu me donner à <strong>de</strong>s moments clé.<br />

Mes remerciements vont également :<br />

Aux chercheurs du laboratoire CIVIIC pour <strong>les</strong> multip<strong>les</strong> échanges fructueux qui ont<br />

contribué à étoffer cette réflexion.<br />

À l’ensemble <strong>de</strong>s personnes, étudiants, enseignants et praticiens, qui m’ont accordé<br />

leur confiance en acceptant <strong>de</strong> participer à un entretien. Je leur suis tout<br />

particulièrement reconnaissante pour leur franchise et leur implication.<br />

À mon collègue et ami, Jean-Luc Heeb, pour sa relecture critique et ses conseils<br />

toujours très précieux, ainsi que pour toutes <strong>les</strong> discussions que nous avons pu avoir<br />

et qui ont contribué à alimenter bon nombre <strong>de</strong> pensées développées <strong>dans</strong> ce travail.<br />

À mes collègues <strong>de</strong> travail qui ont supporté mes absences et ont su m’encourager<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> moments plus diffici<strong>les</strong>.<br />

À Delphine Vantieghem pour sa rigueur et son professionnalisme <strong>dans</strong> la mise en<br />

page <strong>de</strong> ce document.<br />

J’exprime également ma gratitu<strong>de</strong> aux différentes personnes qui ont accepté <strong>de</strong> faire<br />

partie <strong>de</strong> mon jury <strong>de</strong> thèse.<br />

Un grand merci enfin à toute ma famille, en particulier à mon mari pour sa patience<br />

et son investissement <strong>dans</strong> l’ombre, à ma maman et mes enfants pour leur<br />

compréhension et leur soutien.<br />

Cette liste n’ayant pas <strong>de</strong> prétention à l’exhaustivité, je tiens à saluer toutes <strong>les</strong><br />

personnes qui ont contribué, <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin, à la concrétisation <strong>de</strong> cette entreprise.<br />

Qu’ils en soient ici très chaleureusement remerciés !<br />

5


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

6


SIGLES ET ABRÉVIATIONS<br />

HES Haute École Spécialisée<br />

HEP Haute École Pédagogique<br />

INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

HES-SO Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées <strong>de</strong> Suisse Occi<strong>de</strong>ntale<br />

ASSC Assistant en <strong>soins</strong> et santé communautaire<br />

PF Praticien formateur<br />

ASI Association Suisse <strong>de</strong>s Infirmières<br />

PEC Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor (PEC : Plan d’étu<strong>de</strong> cadres), 2012.<br />

TB Travail <strong>de</strong> Bachelor (travail <strong>de</strong> fin d’étu<strong>de</strong>s)<br />

KFH Konferenz <strong>de</strong>r Fachhochschulen<br />

(conférence <strong>de</strong>s recteurs <strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées)<br />

ICUS Infirmière cheffe d’unité <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />

ICS Infirmière cheffe <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

Dans la partie <strong>de</strong>s résultats d’entretiens <strong>les</strong> lettres sont à comprendre comme suit :<br />

E : Étudiant-e<br />

T : Enseignant-e (teacher)<br />

P : Praticien-ne formateur-trice<br />

7


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

8


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

SOMMAIRE<br />

SIGLES ET ABRÉVIATIONS .............................................................................................. 6<br />

INTRODUCTION GÉNÉRALE ........................................................................................ 10<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE ...................................................... 15<br />

CHAPITRE 1 – LES SOINS INFIRMIERS : D’HIER À AUJOURD’HUI .................. 17<br />

CHAPITRE 2 - ÊTRE SOIGNANT, UN DÉFI AU QUOTIDIEN ................................ 43<br />

CHAPITRE 3 – DE L’ÉTHIQUE À L’ÉTHIQUE DES SOINS INFIRMIERS............ 55<br />

CHAPITRE 4 - IDENTITÉ DU SOIGNANT ................................................................. 105<br />

CHAPITRE 5 - LA FORMATION EN SOINS INFIRMIERS .................................... 125<br />

DEUXIÈME PARTIE : CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE ............... 153<br />

CHAPITRE 6 : UN CONCEPT FAÇONNÉ PAR L’ÉVOLUTION SOCIÉTALE .... 157<br />

CHAPITRE 7 : L’ÉTHIQUE DE L’ENGAGEMENT : ENTRE LES SOINS ET LE<br />

MANAGEMENT ................................................................................................................ 169<br />

CHAPITRE 8 : LES CONCEPTS COROLLAIRES DE L’ENGAGEMENT ............. 179<br />

CHAPITRE 9 : VERS UN ENGAGEMENT RÉFLÉCHI.............................................. 199<br />

CHAPITRE 10 : DU PROBLÈME À LA THÈSE ........................................................... 211<br />

TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE .................................................................. 227<br />

CHAPITRE 11 : DU MODÈLE AUX HYPOTHÈSES ................................................... 229<br />

CHAPITRE 12 : CADRE DE RÉFÉRENCE ET MÉTHODOLOGIQUE ................... 243<br />

CHAPITRE 13 : OPÉRATIONNALISATION ............................................................... 253<br />

CHAPITRE 14 : INSTRUMENTS UTILISÉS POUR LE RECUEIL DE DONNÉES261<br />

CHAPITRE 15 : TRAITEMENT DES INFORMATIONS ........................................... 269<br />

CHAPITRE 16 : ANALYSE DU CONTENU ................................................................. 275<br />

CHAPITRE 17 : VALIDITÉ DE LA RECHERCHE ...................................................... 289<br />

QUATRIÈME PARTIE : RÉSULTATS ET ANALYSES ................................. 293<br />

CHAPITRE 18 : RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE .............................................. 295<br />

CHAPITRE 19 : RÉSULTATS ET ANALYSE DU CORPUS D’ENTRETIENS ...... 305<br />

CHAPITRE 20 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE LINÉAIRE ....................................... 425<br />

CHAPITRE 21 : SYNTHÈSE DES RÉSULTATS .......................................................... 461<br />

CHAPITRE 22 : DISCUSSION ........................................................................................ 487<br />

CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................ 525<br />

CINQUIÈME PARTIE : ANNEXES ........................................................................ 553<br />

9


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

ANNEXE A : LISTE RÉCAPITULATIVE DES ANNEXES ........................................ 555<br />

ANNEXE B : BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 781<br />

ANNEXE B 1 : OUVRAGES GÉNÉRAUX ..................................................................... 827<br />

ANNEXE B 2 : ARTICLES ................................................................................................ 850<br />

ANNEXE B 3 : RESSOURCES INTERNET ................................................................... 859<br />

ANNEXE B 4 : TRAVAUX DE FORMATION ET DE RECHERCHES .................... 860<br />

ANNEXE B 5 : DOCUMENTS DE RÉFÉRENCES ....................................................... 861<br />

ANNEXE B 6 : CONFÉRENCES ...................................................................................... 862<br />

ANNEXE B 7 : PROGRAMMES INFORMATIQUES UTILISÉS ............................. 863<br />

ANNEXE C : TABLE DES MATIÈRES ........................................................................... 865<br />

10


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

« L’engagement infirmier… c’est ce don <strong>de</strong><br />

toute notre personne » (Étudiante).<br />

« Embrasser la profession infirmière, c’est déjà s’engager<br />

et quand on s’engage, on fait don <strong>de</strong> sa personne » (Infirmier).<br />

Dans le Référentiel européen <strong>de</strong>s compétences infirmières on se contentera<br />

d’évoquer la première compétence qui s’intitule : gérer <strong>de</strong>s ressources et<br />

connaissances professionnelle en vue <strong>de</strong> s’engager <strong>dans</strong> un développement<br />

professionnel… (Annexe 6, p.7).<br />

Le nouveau programme d’étu<strong>de</strong>s cadres <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s infirmières en Suisse<br />

mentionne, quant à lui, à propos <strong>de</strong>s infirmières : el<strong>les</strong>/ils démontrent un<br />

engagement envers <strong>les</strong> individus, la société et l'environnement par une pratique<br />

respectueuse <strong>de</strong> l’éthique (Annexe 4, p.19).<br />

Qu’en est-il <strong>de</strong> la nature <strong>de</strong> cet engagement qui semble quasi consubstantiel aux<br />

<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, si l’on en croit ces citations ? S’agit-il d’une réminiscence d’une<br />

longue tradition religieuse <strong>dans</strong> laquelle la profession soignante est inscrite, ou bien<br />

cet engagement revêt-il <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes d’expression, résultats <strong>de</strong> multip<strong>les</strong><br />

évolutions socia<strong>les</strong>, politiques et économiques ?<br />

Au niveau <strong>de</strong>s formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, on attend <strong>de</strong> l’étudiante 1 , surtout<br />

en fin <strong>de</strong> formation, qu’elle se soit développée selon <strong>les</strong> critères imposés par le<br />

référentiel <strong>de</strong> compétences, c’est-à-dire qu’elle sache se positionner comme<br />

professionnelle, réfléchir et agir comme telle. Ainsi, on sous-entend que l’étudiante<br />

puisse s’engager pleinement <strong>dans</strong> la profession ayant acquis <strong>de</strong>s compétences, <strong>de</strong>s<br />

capacités et une certaine i<strong>de</strong>ntité professionnelle. L’expression <strong>de</strong> ces acquis se<br />

manifestant <strong>dans</strong> le prendre soin du patient.<br />

Actuellement, <strong>de</strong> nombreux écrits scientifiques retracent <strong>les</strong> difficultés <strong>de</strong>s<br />

soignants <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong> leur profession. Face à la charge <strong>de</strong> travail croissante,<br />

1 Étant donné la prédominance du sexe féminin <strong>dans</strong> la profession infirmière, nous parlerons au genre féminin,<br />

tout en incluant la gente masculine.<br />

11


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

aux contraintes administratives grandissantes et aux nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion,<br />

l’infirmière doit toujours davantage limiter ce qui fon<strong>de</strong> en gran<strong>de</strong> partie son i<strong>de</strong>ntité,<br />

c’est-à-dire son rôle propre. Son engagement se limite <strong>de</strong> plus en plus à l’exécution<br />

d’un rôle prescrit, ce qui remet parfois en cause son éthique personnelle et<br />

professionnelle, et, par là même occasion le sens même <strong>de</strong> son activité, comme<br />

fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> son engagement.<br />

L’objet <strong>de</strong> cette thèse se veut délibérément pluriel. Il s’agit d’abord <strong>de</strong> mieux<br />

cerner <strong>les</strong> différentes facettes <strong>de</strong> ce phénomène d’engagement, en particulier <strong>dans</strong> sa<br />

dimension éthique, mais également <strong>de</strong> comprendre son rôle <strong>dans</strong> la profession<br />

infirmière et d’i<strong>de</strong>ntifier <strong>les</strong> conditions favorab<strong>les</strong> à un accompagnement <strong>de</strong>s<br />

étudiants et étudiantes <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> leur engagement professionnel durant<br />

leur formation.<br />

Dans le but <strong>de</strong> réfléchir aux différentes possibilités permettant le<br />

développement <strong>de</strong> l’engagement durant la formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, il nous a<br />

paru essentiel d’examiner, <strong>dans</strong> un premier temps, <strong>les</strong> différentes dimensions du<br />

contexte général <strong>dans</strong> lequel s’incarne cette réflexion, avant d’abor<strong>de</strong>r plus<br />

spécifiquement la notion d’engagement elle-même. La première partie <strong>de</strong> la thèse a<br />

donc comme objectif <strong>de</strong> cerner l’histoire et la nature du champ <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>,<br />

<strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments éthiques, moraux et déontologiques sur <strong>les</strong>quels se fon<strong>de</strong><br />

l’engagement infirmier, ainsi que le cadre pédagogique, social et institutionnel <strong>dans</strong><br />

lequel il s’inscrit, avec la mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> son impact au niveau i<strong>de</strong>ntitaire. La<br />

secon<strong>de</strong> partie, <strong>de</strong> nature conceptuelle, cible plus précisément la notion<br />

d’engagement cherchant, au travers <strong>de</strong> son inscription épistémologique, historique et<br />

sociale, à mieux appréhen<strong>de</strong>r cette notion pour la mettre en dialogue avec <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> et la dimension d’engagement qui habite cette profession. Le<br />

développement <strong>de</strong> ces fon<strong>de</strong>ments théoriques et contextuels nous a permis <strong>de</strong><br />

développer une problématique cohérente, construite autour <strong>de</strong> la compréhension <strong>de</strong><br />

l’engagement professionnel et <strong>de</strong>s modalités d’accompagnement pédagogique que ce<br />

<strong>de</strong>rnier requiert en vue <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> la profession soignante.<br />

Prenant appui sur ces <strong>de</strong>ux premières parties plus théoriques, nous avons<br />

élaboré un modèle en vue <strong>de</strong> l’accompagnement à la construction <strong>de</strong> l’engagement<br />

12


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

professionnel en formation, à la lumière <strong>de</strong>s éléments qui l’influencent. Cela nous a<br />

conduite à poser <strong>les</strong> objectifs <strong>de</strong> recherche suivants :<br />

Mettre en évi<strong>de</strong>nce le rôle central <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’infirmière en<br />

formation et sa dimension éthique <strong>dans</strong> la relation à l’Autre, tout<br />

particulièrement <strong>dans</strong> la relation à cet Autre vulnérable qui est le<br />

bénéficiaire <strong>de</strong> soin ;<br />

Examiner <strong>les</strong> concepts voisins qui permettent <strong>de</strong> mieux cerner la notion et<br />

qui pourraient être mobilisés <strong>dans</strong> la construction d’un enseignement sur le<br />

sujet ;<br />

Mettre en relief le bien-fondé d’un enseignement spécifique et structuré sur<br />

le sujet <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> une perspective <strong>de</strong><br />

développement professionnel et personnel alliant construction <strong>de</strong> soi,<br />

rapport à autrui et à la profession, construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />

Dans le but d’atteindre ces objectifs, nous avons réalisé une petite enquête<br />

quantitative, sous la forme <strong>de</strong> questionnaires anonymes avec comme objectif<br />

d’obtenir une première vue d’ensemble du phénomène. Cette phase a été suivie<br />

d’une recherche qualitative constituée, quant à elle, <strong>de</strong> quarante-quatre entretiens<br />

menés sur le mo<strong>de</strong> semi-directif avec une visée herméneutique. Par cette secon<strong>de</strong><br />

phase nous avions le souhait <strong>de</strong> pouvoir appréhen<strong>de</strong>r le sujet <strong>de</strong> façon la plus<br />

exhaustive possible en approfondissant la compréhension du phénomène. Les<br />

entretiens ont été analysés <strong>dans</strong> leur globalité <strong>de</strong> manière transversale selon la<br />

métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’analyse thématique, et pour six d’entre eux, <strong>de</strong> manière linéaire<br />

également. Le dispositif <strong>de</strong> recherche élaboré a permis <strong>de</strong> cerner la pertinence d’une<br />

réflexion et d’un accompagnement à la construction <strong>de</strong> l’engagement. Les éléments<br />

appropriés, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> imperfections et <strong>les</strong> manques présents <strong>dans</strong> le modèle<br />

proposé ont ainsi pu être mis en évi<strong>de</strong>nce et la réflexion sur ce schéma approfondie.<br />

Les résultats obtenus sont à la base <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> propositions <strong>de</strong><br />

cheminements pédagogiques possib<strong>les</strong>, offrant la possibilité d’accompagner<br />

l’étudiante vers l’apprivoisement <strong>de</strong> cette notion complexe mais essentielle à sa<br />

future pratique professionnelle.<br />

13


INTRODUCTION GÉNÉRALE<br />

14


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

PREMIÈRE PARTIE :<br />

CADRE THÉORIQUE<br />

15


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

16


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

CHAPITRE 1 – LES SOINS INFIRMIERS : D’HIER À<br />

AUJOURD’HUI<br />

1.1 La profession infirmière ou le résultat d’une longue<br />

histoire<br />

Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont reconnus aujourd’hui comme profession. Ils ont gagné<br />

cette reconnaissance sociale au terme d’une longue évolution, marquée par <strong>de</strong>s<br />

influences importantes <strong>de</strong> l’histoire.<br />

Le terme infirmier, <strong>dans</strong> son origine première se réfère à l’enfer, le lieu d’en bas,<br />

puis prend la connotation <strong>de</strong> mauvais, malsain avant <strong>de</strong> caractériser ceux qui<br />

s’occupent <strong>de</strong>s exclus, <strong>de</strong>s « enfermés », puis <strong>de</strong>s « infirmes » (Nadot, 2002).<br />

Les infirmières sont le point <strong>de</strong> rencontre entre la charité, la mé<strong>de</strong>cine et l’Etat-<br />

Provi<strong>de</strong>nce. Jusqu’au XVI e siècle, <strong>les</strong> infirmières ne sont pas seulement dévouées aux<br />

mala<strong>de</strong>s mais aussi à tous ceux qui sont <strong>dans</strong> la pauvreté et la misère. C’est <strong>dans</strong> ce<br />

contexte que Foucault décrit le grand enfermement (Foucault, 1972). Ce n’est<br />

qu’après la révolution que la mé<strong>de</strong>cine entre enfin véritablement à l’hôpital, créant<br />

par le même coup une vision différente : celle <strong>de</strong> guérir une maladie organique<br />

précise alors que <strong>les</strong> infirmières, présentes jusque-là <strong>dans</strong> l’institution, avaient<br />

davantage comme objectif <strong>de</strong> soutenir et ai<strong>de</strong>r un mala<strong>de</strong> <strong>dans</strong> sa déchéance (Dubet,<br />

2002).<br />

Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont interdépendants <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine dont ils<br />

commencent seulement à s’émanciper un tant soit peu.<br />

Pendant très longtemps, l’infirmière a occupé un rôle d’exécutante auprès du<br />

mé<strong>de</strong>cin. Celui-ci était chargé <strong>de</strong> diagnostiquer <strong>les</strong> pathologies, <strong>de</strong> dicter <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

appropriés et ceux-ci étaient ensuite appliqués par <strong>les</strong> infirmières.<br />

Florence Nightingale joua incontestablement un rôle essentiel <strong>dans</strong> le développement<br />

<strong>de</strong> la profession telle que nous la connaissons aujourd’hui. Grâce à elle, <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

transitent peu à peu du paradigme confessionnel vers le paradigme professionnel.<br />

17


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Investie aux côtés <strong>de</strong>s soldats <strong>dans</strong> la guerre <strong>de</strong> Crimée, elle reste marquée par son<br />

service au chevet <strong>de</strong>s soldats b<strong>les</strong>sés, elle a pris conscience <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong><br />

structurer la profession infirmière. Son haut niveau d’éducation (avant <strong>de</strong> se former<br />

comme infirmière, son père lui impose une première formation <strong>de</strong> mathématicienne<br />

et statisticienne), lui confère une reconnaissance et un respect particulier. Convaincue<br />

que l’éducation forme le caractère, elle enclenche alors <strong>de</strong> nombreuses réformes et<br />

restructurations. Dès le départ, elle affirme la nécessité pour <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong> se doter<br />

d’un fon<strong>de</strong>ment théorique soli<strong>de</strong>. Elle mit un terme à la vision très réductrice <strong>de</strong><br />

l’infirmière dévouée corps et âme, mais sans réelle capacité <strong>de</strong> réflexion propre et<br />

concentra au contraire son énergie à faire valoir une vision <strong>de</strong> l’infirmière qui soit<br />

effectivement entraînée à donner <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, mais qui soit également, fait totalement<br />

nouveau, impliquée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> réformes au niveau politique.<br />

Au même moment que Nightingale met en place la structure nécessaire pour<br />

éduquer <strong>les</strong> infirmières en Angleterre, Valérie <strong>de</strong> Gasparin œuvre en Suisse. Elle<br />

considère le mouvement religieux comme une forme d’infantilisation <strong>de</strong>s soignantes<br />

et créé, avec son époux, une école laïque le 20 juillet 1859 à Lausanne : l’école La<br />

Source, la première école <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> laïque au mon<strong>de</strong>. De par ses relations<br />

proches avec Henry Dunant, son école sera très inspirée du service <strong>de</strong> santé <strong>de</strong>s<br />

armées, la Croix-Rouge. (Nadot, 2002).<br />

Après Nightingale et De Gasparin, il faudra encore <strong>de</strong> nombreuses années pour<br />

que l’infirmière puisse parler ouvertement <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Néanmoins la brèche est<br />

ouverte et son influence a ouvert la porte au développement du concept <strong>de</strong> santé<br />

publique tel que nous le connaissons actuellement. Il y eut encore <strong>de</strong> nombreux<br />

évènements qui modifièrent ce schème <strong>de</strong> la profession. Notons l’influence <strong>de</strong>s<br />

différentes guerres, puis <strong>dans</strong> la secon<strong>de</strong> moitié du XX e siècle, <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s avancées<br />

médica<strong>les</strong>, en termes <strong>de</strong> possibilités chirurgica<strong>les</strong>, techniques, médicamenteuses,<br />

mais également l’impact <strong>de</strong>s mouvements <strong>de</strong> libération féministes… autant <strong>de</strong><br />

facteurs indépendants mais qui ont chacun contribué à modifier <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>dans</strong> une<br />

certaine mesure. Le début du XX e siècle a marqué le début <strong>de</strong> la professionnalisation<br />

mais aussi <strong>de</strong> l’enseignement infirmier. Jusqu’au début du XX e siècle, on avait<br />

coutume <strong>de</strong> penser que <strong>les</strong> compétences nécessaires aux soignants étaient plutôt<br />

d’ordre moral : charitable, bon, dévoué, obéissant… Léonie Chaptal insistait sur la<br />

18


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

nécessaire instruction technique <strong>de</strong>s infirmières mais surtout sur leur formation<br />

morale comme le démontrent <strong>les</strong> ouvrages <strong>de</strong> référence <strong>de</strong> cette époque.<br />

Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la première guerre mondiale, l’état du pays appauvri,<br />

exsangue, aux prises avec <strong>de</strong> graves difficultés publiques tel<strong>les</strong> que la tuberculose, <strong>les</strong><br />

nombreux b<strong>les</strong>sés, la misère… contribue à encourager la formation <strong>de</strong> cette nouvelle<br />

fonction sociale qui s’incarne <strong>dans</strong> un véritable métier <strong>de</strong> soin et d’ai<strong>de</strong> aux<br />

nécessiteux : celui <strong>de</strong> l’infirmière. À cette époque encore<br />

« le rôle <strong>de</strong> l’infirmière hospital ière est <strong>de</strong> servir le mala<strong>de</strong> en veillant<br />

constamment sur tout ce qui l’entoure, et principalement en secondant<br />

assidûment et docilement le mé<strong>de</strong>cin… Son rôle est celui d’une mère et<br />

d’une sœur » (Duboys-Fresney & Perrin, 1996, p.19).<br />

Jusque-là <strong>les</strong> infirmières n’ont pas <strong>de</strong> reconnaissance statutaire. Le titre<br />

d’« Infirmière diplômée d’État » apparaît en 1923. Le chemin vers la<br />

professionnalisation est entamé mais la route est difficile pour se libérer du modèle<br />

charitable et religieux, même si la secon<strong>de</strong> guerre mondiale ai<strong>de</strong> <strong>les</strong> infirmières en<br />

montrant d’une part leur capacité à prendre <strong>de</strong>s responsabilités et à assumer leur<br />

<strong>de</strong>voir et d’autre part, le caractère profondément utile <strong>de</strong> la profession (Dubet, 2002).<br />

Les infirmières <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s ambassadrices <strong>de</strong> l’hygiène publique et sociale.<br />

Le 7 juin 1925, l’Association nationale <strong>de</strong>s infirmières <strong>de</strong> l’État français (ANIDEF)<br />

voit le jour.<br />

Après la secon<strong>de</strong> guerre mondiale, le processus <strong>de</strong> professionnalisation se met<br />

en place petit à petit pour aboutir à la fin du même siècle à l’émergence <strong>de</strong> la<br />

discipline <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ainsi que d’un corps professionnel. Le 15 juillet 1943<br />

une loi est promulguée qui réglemente la profession infirmière.<br />

Le Conseil international <strong>de</strong>s Infirmières propose dès 1953 un Co<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

déontologie international.<br />

En Angleterre et en Amérique où cet héritage religieux est nettement moins fort,<br />

<strong>de</strong>s avancées décisives se font par l’intermédiaire d’infirmières théoriciennes<br />

inspirées : Hen<strong>de</strong>rson, Peplau, Orem… On ne comprend plus le soin comme une<br />

simple réponse à la maladie mais comme un ensemble <strong>de</strong> mesures à mettre en œuvre<br />

<strong>dans</strong> une situation concrète. Il faut soigner le mala<strong>de</strong> en tenant compte, avant tout,<br />

19


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

<strong>de</strong> son environnement et non pas seulement <strong>de</strong> sa maladie. Le concept <strong>de</strong> relation<br />

d’ai<strong>de</strong> commence à être pris au sérieux, soutenu par Virginia Hen<strong>de</strong>rson qui<br />

démontre l’intérêt <strong>de</strong> prendre en compte cet aspect pour l’équilibre et le processus <strong>de</strong><br />

santé du patient. Hil<strong>de</strong>gar<strong>de</strong> Peplau mettra un peu plus tard en évi<strong>de</strong>nce, le fait que<br />

la relation thérapeutique constitue un processus qui permet au patient <strong>de</strong> se<br />

développer et <strong>de</strong> guérir s’il est mené avec compétence. Pour Dorothea Orem, il est<br />

indispensable au développement <strong>de</strong> l’autonomie du patient, tandis que pour Roy, la<br />

relation d’ai<strong>de</strong> permet l’adaptation du patient à sa situation. Selon Martha Rogers,<br />

l’être humain est en <strong>de</strong>venir, il se construit peu à peu et l’infirmière joue un rôle<br />

essentiel pour l’ai<strong>de</strong>r à mobiliser <strong>de</strong>s ressources qu’il n’envisage peut-être pas encore<br />

mais qui vont l’ai<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> ce mouvement d’évolution.<br />

L’infirmière a encore un rôle d’exécutante mais ces nouvel<strong>les</strong> conceptions<br />

théoriques commencent à l’influencer et elle gagne en responsabilité. Elle se dote <strong>de</strong><br />

connaissances plus étoffées qu’elle doit pouvoir mobiliser (Magnon, 2006).<br />

Le rôle psychologique et moral <strong>de</strong>s infirmières auprès <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s commence à<br />

être mieux pris en considération.<br />

Avec l’adoption, en 1978, par l’Organisation Mondiale <strong>de</strong> la Santé <strong>de</strong> la<br />

définition d’Hen<strong>de</strong>rson sur le rôle propre, la profession infirmière connaît un<br />

renouveau.<br />

Ce rôle propre fait l’objet <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> discussions, recherches et controverses.<br />

Son unité est relativement difficile <strong>dans</strong> la mesure où il prend en compte le double<br />

héritage <strong>de</strong> la profession (le modèle charitable et le modèle médico-technique). Il<br />

tente <strong>de</strong> concilier ce double héritage pour en faire un terrain spécifique.<br />

« L’art vocationnel <strong>de</strong> la compassion et <strong>de</strong> l’amour <strong>de</strong> l’autre doit être<br />

transformé en activité rationnelle par la démarche <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

et par la gestion <strong>de</strong> relations <strong>de</strong> travail complexes » (Dubet, 2002, p.201).<br />

Les infirmières ne veulent être ni <strong>de</strong>s sœurs <strong>de</strong> charité affublées d’une image<br />

d’Épinal pesante, ni <strong>de</strong>s expertes scientifiques et encore moins <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> auxiliaires<br />

20


du mon<strong>de</strong> médical.<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Cette évolution met un terme aux <strong>soins</strong> parcellisés et exécutés, jusque-là, plus<br />

ou moins en série. Cette nouvelle conception <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> place le patient au cœur <strong>de</strong><br />

l’acte soignant et justifie la mise en place <strong>de</strong> la démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, métho<strong>de</strong><br />

« scientifique » <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> problèmes qui ai<strong>de</strong> l’infirmière à analyser,<br />

comprendre, évaluer <strong>les</strong> problèmes du patient et à mettre en place <strong>les</strong> actions<br />

adéquates, en s’engageant car « pour pouvoir résoudre efficacement un pr oblème,<br />

il faut s’impliquer et croire à ce que l’on fait » (Benner, 1995, p.189). À ce<br />

moment-là, l’importance <strong>de</strong> l’écrit prend aussi une autre dimension et <strong>les</strong> soignants<br />

sont appelés à rédiger <strong>de</strong>s dossiers comportant <strong>les</strong> indications nécessaires au bon<br />

suivi thérapeutique du patient.<br />

L’Amérique du nord a été un pas plus loin, en confiant <strong>de</strong>s responsabilités<br />

importantes aux infirmières, légitimées par plusieurs étu<strong>de</strong>s menées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années<br />

1960-1975. Ces étu<strong>de</strong>s démontraient la capacité <strong>de</strong>s infirmières à prendre en charge<br />

certains domaines <strong>de</strong> manière autonome et el<strong>les</strong> obtinrent en conséquence certaines<br />

responsabilités en termes <strong>de</strong> pose <strong>de</strong> diagnostics et <strong>de</strong> certaines autorisations <strong>de</strong><br />

prescription, ce qui reste chez nous l’apanage <strong>de</strong>s seu<strong>les</strong> sages-femmes.<br />

Le mouvement <strong>de</strong>s réformes infirmières donne naissance, en France, à <strong>de</strong>ux<br />

mouvements qui semblent contradictoires. L’un conduit à la spécialisation, poussé<br />

par le progrès <strong>dans</strong> <strong>les</strong> techniques médica<strong>les</strong>, alors que l’autre s’intéresse davantage<br />

au processus <strong>de</strong> santé.<br />

Les spécialisations en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> domaines <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> intensifs, <strong>de</strong><br />

l’anesthésie ou <strong>de</strong> la clinique, ont eu <strong>de</strong>s impacts importants tant sur le versant<br />

éducatif <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, que sur le versant <strong>de</strong> la pratique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> systèmes <strong>de</strong> santé.<br />

L’accent mis sur le processus <strong>de</strong> santé permet <strong>de</strong> faire valoir une nouvelle<br />

autonomie <strong>de</strong> l’infirmière.<br />

En effet, avant <strong>les</strong> années 70, <strong>les</strong> manuels utilisés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> instituts <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong>, comportent <strong>de</strong>s cours <strong>de</strong> morale sur <strong>les</strong> qualités humaines que <strong>les</strong><br />

soignantes doivent possé<strong>de</strong>r et l’obligation d’agir selon ses principes moraux.<br />

Cependant le mouvement <strong>de</strong> mai 1968 va avoir <strong>de</strong>s effets bénéfiques sur la<br />

profession qui en profitera pour s’émanciper <strong>de</strong> ce carcan <strong>de</strong> religiosité qui va <strong>de</strong> pair<br />

avec la charité et la dévotion.<br />

21


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Les infirmières reçoivent un rôle plus gratifiant <strong>de</strong> délégué du mé<strong>de</strong>cin et<br />

obtiennent l’accès à la réalisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> techniques. En 1972, l’infirmière n’est plus<br />

auxiliaire médicale mais <strong>de</strong>vient éducatrice <strong>de</strong> santé, restant cependant au service du<br />

mé<strong>de</strong>cin.<br />

C’est en 1978 qu’apparaît enfin ce que l’on nomme aujourd’hui le « rôle<br />

propre » ou « rôle autonome » <strong>de</strong> l’infirmière et qui constitue le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> son<br />

i<strong>de</strong>ntité professionnelle propre. Cette zone d’autonomie joue en effet un rôle crucial<br />

<strong>dans</strong> le développement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />

Les soignants partent à la recherche <strong>de</strong> leur vocation originelle, celle <strong>de</strong> soigner<br />

et prendre soin. Ce n’est qu’en 1983 que l’adjectif « infirmier » sera accepté <strong>dans</strong> la<br />

langue française par le grand dictionnaire encyclopédique Larousse (Magnon, 2006,<br />

p.45).<br />

Le poids <strong>de</strong> cette longue histoire est perceptible encore aujourd’hui <strong>dans</strong> la<br />

manière peu convaincante qu’ont <strong>les</strong> infirmières <strong>de</strong> s’affirmer.<br />

1.2 Nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

Depuis plus d’un siècle, <strong>les</strong> infirmières tentent <strong>de</strong> définir qui el<strong>les</strong> sont, en<br />

délimitant leur discipline et en décrivant leurs activités.<br />

La discipline infirmière, bien que professionnelle par vocation, dispose aussi<br />

d’une volonté <strong>de</strong> conceptualiser ce qui la caractérise, en élaborant <strong>les</strong> connaissances<br />

et en explicitant <strong>les</strong> compétences nécessaires.<br />

Pour comprendre la nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, il est nécessaire <strong>de</strong> s’arrêter sur<br />

quatre concepts <strong>de</strong> base (Fawcett, 1984) qui prévalent <strong>dans</strong> la discipline infirmière et<br />

qui sont : l’environnement, la santé, la personne et <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Ces quatre concepts<br />

étaient déjà sous-jacents <strong>dans</strong> <strong>les</strong> écrits laissés par Florence Nightingale (Kérouac et<br />

al., 2003, p.2).<br />

Par l’environnement, on entend tout ce qui gravite autour <strong>de</strong> nous, éléments<br />

physiques, psychologiques, sociaux ou spirituels qui nous influencent <strong>de</strong> façon<br />

directe ou indirecte, <strong>dans</strong> notre développement, nos relations, nos comportements et<br />

peuvent, parfois, être source <strong>de</strong> déséquilibre.<br />

22


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

En ce qui concerne la santé, la définition posée par l’OMS est très exigeante et se<br />

veut le reflet <strong>de</strong> la pensée sociétale qui la fon<strong>de</strong>. Définie comme un « état <strong>de</strong><br />

complet bien-être », la santé est donc en opposition totale avec la maladie qui lui<br />

porte atteinte et la trahit. La maladie représente ce fléau à combattre qui nous<br />

empêche <strong>de</strong> grandir, <strong>de</strong> nous développer et <strong>de</strong> nous épanouir. Pour la combattre, il<br />

faut l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> la personne.<br />

Au cœur du soin, la personne est conçue comme un être bio-psychosocial et<br />

spirituel en interaction constante avec son environnement, dotée d’une conscience,<br />

<strong>de</strong> certaines facultés mais nécessitant l’ai<strong>de</strong> d’autres personnes <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations<br />

précises.<br />

Cette ai<strong>de</strong> peut être apportée par <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, centrés sur la santé et<br />

visant à rétablir l’équilibre perdu avec celle-ci. On distinguera <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong> nursing,<br />

<strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong> prévention, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> dits aigus, c’est-à-dire curatifs, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> palliatifs et<br />

<strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong> réhabilitation.<br />

Différents modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, enseignés aujourd’hui encore, ont vu le<br />

jour <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années soixante-dix, proposant <strong>de</strong>s approches très diverses pour<br />

abor<strong>de</strong>r <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Ce sont <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> très riches qui ont permis <strong>de</strong> développer<br />

gran<strong>de</strong>ment le rôle propre et <strong>de</strong> faire émerger une conception du soin qui influence<br />

encore aujourd’hui notre compréhension <strong>de</strong> la profession. Ils restent néanmoins<br />

relativement complexes et intensifs <strong>dans</strong> leur utilisation.<br />

Ces quatre concepts <strong>de</strong> personne, santé, <strong>soins</strong> et environnement sont restés<br />

inchangés <strong>dans</strong> leur définition, mais leur compréhension a évolué avec la<br />

compréhension <strong>de</strong>s phénomènes au niveau sociétal, et s’est modifiée au rythme <strong>de</strong><br />

différents paradigmes qui ont marqué la profession infirmière durant plus d’un<br />

siècle.<br />

En effet, <strong>de</strong>s théoriciennes <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, parmi <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> Collière,<br />

Hen<strong>de</strong>rson, Orem, Watson, Peplau et Parse pour n’en citer que quelques-unes, ont<br />

mis en évi<strong>de</strong>nce différentes philosophies, et avec el<strong>les</strong> aussi différents paradigmes<br />

qui ont eu, et continuent d’avoir une influence notable sur la pratique infirmière<br />

(Kérouac et al., 2003). Ces paradigmes influencent l’activité soignante sans même que<br />

nous en soyons forcément toujours conscients. Ils évoluent avec le temps et<br />

23


l’interaction d’autres disciplines.<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Ainsi <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ont tout d’abord été marqués par le paradigme <strong>de</strong> la<br />

catégorisation, selon lequel il est possible <strong>de</strong> différencier <strong>de</strong>s éléments, <strong>de</strong> <strong>les</strong> classer<br />

et <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s causes (à certaines pathologies). La santé publique, avec son<br />

orientation sur la prévention ainsi que <strong>les</strong> pratiques médica<strong>les</strong> sont largement basées<br />

sur ce paradigme.<br />

Dans ce contexte <strong>de</strong> catégorisation, nous retrouvons <strong>les</strong> quatre concepts clé avec<br />

une compréhension qui lui est liée. La personne est alors un ensemble que l’on peut<br />

diviser en entités distinctes. L’environnement est extérieur à la personne et on lui<br />

accor<strong>de</strong> surtout une influence négative, la santé est extrêmement prisée et <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

sont orientés vers la résolution <strong>de</strong> problèmes. L’infirmière tente <strong>de</strong> résoudre <strong>les</strong><br />

particularités qui génèrent la pathologie et le manque d’autonomie du patient.<br />

Le paradigme qui suit est celui <strong>de</strong> l’intégration qui, quant à lui, se centre sur la<br />

personne. Selon cette conception, la personne n’est plus considérée pour ses parties<br />

mais comme formant un Tout, égal à la somme <strong>de</strong> ses parties, avec <strong>de</strong>s composantes<br />

biologiques, psychologiques, socia<strong>les</strong> et spirituel<strong>les</strong>. L’environnement n’est plus<br />

seulement le contexte familial ou naturel, mais l’ensemble <strong>de</strong>s évènements qui<br />

influent sur le patient (contexte politique, historique, culturel…) et son impact n’est<br />

plus forcément négatif ni uniquement orienté vers la personne, mais s’exprime<br />

davantage <strong>dans</strong> la réciprocité. La santé n’est plus un absolu mais un but idéal vers<br />

lequel on doit tendre sans pour autant occulter la maladie avec laquelle on doit<br />

trouver un équilibre. Les <strong>soins</strong> visent alors à maintenir cet équilibre, ils offrent à la<br />

personne ce dont elle a besoin pour tendre vers l’idéal en exerçant un rôle <strong>de</strong><br />

prévention, <strong>de</strong> conseil et accor<strong>de</strong>nt également une attention toute particulière aux<br />

be<strong>soins</strong> relationnels et psychologiques.<br />

Les modè<strong>les</strong> conceptuels sont largement inspirés <strong>de</strong> cette orientation centrée sur<br />

la personne plutôt que sur la pathologie.<br />

Kérouac (2003, p.15), citant Gortner rappelle que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années cinquante, la<br />

vocation première <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> relève encore <strong>de</strong> la charité et <strong>de</strong><br />

l’accompagnement.<br />

Après 1960, on s’éloigne <strong>de</strong> cette pensée encore très empreinte du passé<br />

24


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

religieux <strong>de</strong> la profession, pour s’engager <strong>dans</strong> une évolution et une amélioration <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong>, en développant le savoir spécifique aux <strong>soins</strong> (Gortner, 2000). Les conditions<br />

<strong>de</strong> travail évoluent <strong>dans</strong> le même temps et le personnel <strong>de</strong>s hôpitaux est <strong>de</strong> mieux en<br />

mieux formé, ce qui permet la mise en place d’un véritable travail en équipe, qui<br />

<strong>de</strong>meure certes encore orienté vers la tâche plus que vers la personne (Petitat, 1989).<br />

Il faudra attendre la fin <strong>de</strong>s années soixante-dix pour que le paradigme d’intégration<br />

influence largement la pratique et que <strong>les</strong> <strong>soins</strong> se centrent davantage sur la personne.<br />

Cependant avec l’évolution <strong>de</strong> la société, <strong>les</strong> progrès <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine et le<br />

vieillissement <strong>de</strong> la population, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> évoluent également et ouvrent la porte au<br />

troisième paradigme, celui <strong>de</strong> la transformation. Vers la fin <strong>de</strong>s années soixante-dix<br />

et le début <strong>de</strong>s années quatre-vingt la configuration mondiale change. Les frontières<br />

s’ouvrent entraînant <strong>de</strong>s changements très importants <strong>dans</strong> le domaine socio-culturel.<br />

C’est alors la théorie <strong>de</strong>s systèmes qui prévaut, le mon<strong>de</strong> étant considéré comme un<br />

vaste système dont <strong>les</strong> éléments sont en interaction constante (Morin, 1990).<br />

« Dans le paradigme <strong>de</strong> la transformation, le changement est perçu<br />

comme perpétuel : l’interaction <strong>de</strong> phénomènes complexes est perçue<br />

comme le point <strong>de</strong> départ d’une nouvelle dynamique encore plus<br />

complexe. Il s’agit d’un proces sus réciproque et simultané<br />

d’interaction » (Kérouac et al., 2003, p.20).<br />

Introduit par Rogers en 1970, ce paradigme inspire <strong>les</strong> théoriciennes <strong>les</strong> plus<br />

récentes et modifie à nouveau la compréhension <strong>de</strong>s quatre concepts clé.<br />

La personne n’est plus un Tout égal à la somme <strong>de</strong> ses parties, mais supérieur à<br />

celle-ci et unique <strong>dans</strong> sa manière d’être au mon<strong>de</strong> et en relation avec celui-ci. Elle<br />

<strong>de</strong>vient presque en symbiose avec l’environnement qui, pour le coup, cesse d’être un<br />

élément fondamentalement extérieur, mais <strong>de</strong>vient l’univers <strong>dans</strong> son ensemble avec<br />

lequel la personne est en constante interaction. La santé englobe à présent la<br />

personne mais aussi l’environnement qui l’influence largement. On cherche la<br />

promotion du bien-être, tout en essayant, lorsque la maladie survient, d’y trouver un<br />

sens et <strong>de</strong> grandir au travers d’elle. L’infirmière cherche à promouvoir cet état<br />

25


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

d’équilibre par le soin, en se centrant sur la personne, son rythme et ses be<strong>soins</strong><br />

propres <strong>dans</strong> une relation marquée par l’éthique et la sollicitu<strong>de</strong>.<br />

Or ce <strong>de</strong>rnier paradigme est aussi marqué par la perspective holiste qui veut<br />

que soient pris en compte, le corps, l’âme et l’esprit. C’est <strong>dans</strong> cette vision que<br />

<strong>de</strong>vraient s’exercer <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> aujourd’hui.<br />

Dans leur pratique, <strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong> et infirmières sont toujours influencés par l’un<br />

<strong>de</strong> ces paradigmes. Toutefois <strong>les</strong> relations entre <strong>les</strong> différents concepts ainsi que la<br />

compréhension <strong>de</strong> ceux-ci divergent selon le paradigme retenu. Si nous ne prenons<br />

pas le temps <strong>de</strong> nous arrêter pour réfléchir à ce qui nous influence, nous ne pouvons<br />

pas non plus prétendre exercer <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> réfléchis et cohérents (Dallaire, 2008).<br />

Selon Kérouac et al. (2003), il est possible <strong>de</strong> regrouper <strong>les</strong> conceptions <strong>de</strong> la<br />

discipline infirmière en six éco<strong>les</strong>, en vertu <strong>de</strong> leurs bases philosophiques,<br />

scientifiques et leurs concepts clés. Il s’agit <strong>de</strong>s six éco<strong>les</strong> suivantes : l’école <strong>de</strong>s<br />

be<strong>soins</strong>, <strong>de</strong> l’interaction, <strong>de</strong>s effets souhaités, <strong>de</strong> la promotion <strong>de</strong> la santé, <strong>de</strong>s<br />

« patterns » et du « caring ».<br />

À noter que la notion <strong>de</strong> conception ne réfère pas forcément à un modèle<br />

conceptuel mais<br />

« elle est considérée ainsi pour la profession infirmière lorsqu’elle est<br />

complète et explicite. Une conception est complète et explicite quand la<br />

théoricienne a formulé <strong>de</strong>s énoncés pour chacun <strong>de</strong>s éléments suivants :<br />

<strong>les</strong> postulats et <strong>les</strong> valeurs à la base <strong>de</strong> la discipline ; le but du service<br />

infirmier ; le rôle <strong>de</strong> l’infirmière professionnelle ; la façon <strong>de</strong> considérer<br />

le bénéficiaire du service; la source <strong>de</strong>s difficultés que peut rencontrer<br />

le bénéficiaire ; la façon dont sont menées <strong>les</strong> interventions infirmières<br />

et <strong>les</strong> effets recherchés » (Kérouac et al., 2003, p.30).<br />

Ces modè<strong>les</strong> conceptuels offrent une perspective <strong>dans</strong> laquelle peuvent se<br />

développer et s’inscrire <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> connaissances uti<strong>les</strong> à la pratique.<br />

L’école <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> a comme vocation <strong>de</strong> défendre <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> <strong>de</strong> la personne et<br />

26


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

<strong>de</strong> décrire le rôle infirmier en fonction <strong>de</strong> ceux-ci. Le but est l’indépendance <strong>de</strong> la<br />

personne et pour se faire, l’infirmière essaie <strong>de</strong> donner satisfaction aux be<strong>soins</strong> que la<br />

personne ne peut remplir par elle-même. L’indépendance souhaitée par Virginia<br />

Hen<strong>de</strong>rson au travers <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> fondamentaux se trouve également en ligne <strong>de</strong><br />

mire avec le principe <strong>de</strong>s auto-<strong>soins</strong> compensés <strong>de</strong> Dorothea Orem.<br />

« Selon l’école <strong>de</strong> l’interaction, le soin est un processus interactif entre<br />

une personne ayant besoin d’ai<strong>de</strong> et une autre capable <strong>de</strong> la lui offrir.<br />

Afin d’être en mesure d’ai<strong>de</strong>r, l’infirmière doit clarifier ses propres<br />

valeurs, s’impliquer <strong>de</strong> façon thérapeutique et s’engager <strong>dans</strong> le soin »<br />

(Kérouac et al., 2003, p.37).<br />

On retiendra l’école <strong>de</strong>s effets souhaités qui recherche à combler <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> <strong>de</strong>s<br />

patients par <strong>de</strong>s effets ciblés <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Callista Roy a, par exemple,<br />

conceptualisé ces effets autour <strong>de</strong> la notion d’adaptation <strong>de</strong> la personne en<br />

interaction avec <strong>de</strong>s impacts extérieurs : <strong>les</strong> stimuli. Dans cette lignée se développe<br />

un courant <strong>de</strong> pensée qui met en exergue l’idée <strong>de</strong> promotion <strong>de</strong> la santé.<br />

« Les théoriciennes <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> la promotion <strong>de</strong> la santé mettent<br />

l’accent sur l’apprentissage <strong>de</strong> la santé, qui <strong>de</strong>vient une nouvelle façon<br />

<strong>de</strong> vivre, d’apprendre, <strong>de</strong> se développer et d’assumer <strong>de</strong>s<br />

responsabilités » (Kérouac et al., 2003, p.43).<br />

Mais, l’évolution continue et si la conception holistique du soin a gagné toutes<br />

ses lettres <strong>de</strong> nob<strong>les</strong>se, c’est en gran<strong>de</strong> partie grâce aux théoriciennes <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong>s<br />

patterns. Cette école a vu le jour sous le paradigme <strong>de</strong> la transformation et l’influence<br />

<strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong>s systèmes est notable.<br />

« Inspirée par l’idée <strong>de</strong> Martha Rogers (1970) selon laquelle la santé et<br />

la maladie sont <strong>de</strong>s expressions du processus <strong>de</strong> vie et ne sont ni<br />

opposées ni divisées, Newman (1992, 1994) propose une théorie <strong>de</strong> la<br />

santé qui serait l’expansion <strong>de</strong> sa conscience. » (Kérouac et al., 2003, p.47).<br />

27


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Selon cette perspective, l’homme se réalise et se développe en santé. La maladie<br />

n’est pas opposée à la santé mais constitue un cheminement qui a pour but <strong>de</strong><br />

l’amener plus loin. Parse (1998) a repris cette idée du développement humain sur un<br />

continuum santé-maladie en parlant <strong>de</strong> « l’humain en <strong>de</strong>venir », en relation<br />

dialogique avec le mon<strong>de</strong>.<br />

Une autre école, proche <strong>de</strong> nous également <strong>dans</strong> le temps, s’intitule l’école du<br />

caring. Cette école fon<strong>de</strong> sa pensée sur l’idée que tout être humain dispose lui-même<br />

d’un potentiel. El<strong>les</strong> mettent l’accent sur la spiritualité (Watson, 1997) et la culture<br />

(Leininger & Mc Farland, 2002).<br />

Selon la philosophie empreinte d’humanité (Human Caring) <strong>de</strong> Jean Watson, le<br />

soin est l’expression <strong>de</strong> l’amour inconditionnel <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong>s autres nécessaire au<br />

développement <strong>de</strong> l’humanité. Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont développés sur cette base <strong>de</strong><br />

la relation entre <strong>les</strong> hommes et entre l’homme et Dieu.<br />

Par <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s approfondies <strong>de</strong> ces concepts, certains auteurs ont relevé <strong>de</strong>s<br />

notions très similaires <strong>dans</strong> <strong>les</strong> différentes conceptions <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. De cette lecture<br />

multiple, Kérouac propose d’extraire <strong>les</strong> traits principaux regroupés sous ce qu’elle<br />

nomme le « centre d’intérêt <strong>de</strong> la discipline infirmière » (Kérouac et al., 2003,<br />

p.75). Le soin ne se limite pas à la seule géographie du corps mala<strong>de</strong> mais englobe<br />

tout l’univers social, psychologique et spirituel du patient. Le soignant est avant tout<br />

<strong>dans</strong> une posture d’accompagnement, d’où l’intérêt <strong>de</strong>s quatre concepts <strong>de</strong> base :<br />

personne, santé, soin, environnement. Déjà <strong>dans</strong> le terme <strong>de</strong> personne, il ne saurait<br />

être uniquement fait référence à l’individu mala<strong>de</strong> mais bien davantage à l’individu<br />

comme part constitutive d’un ensemble ; qu’il s’agisse <strong>de</strong> la famille, du groupe ou<br />

encore <strong>de</strong> la communauté. De la même manière, l’environnement comprend un<br />

champ personnel (psychologique, génétique…), ainsi qu’un champ extérieur<br />

constitué du contexte social, politique, économique, éducationnel… L’expérience <strong>de</strong><br />

santé s’inscrit <strong>dans</strong> ces différents univers et part du simple problème pathologique<br />

pour s’ouvrir <strong>de</strong> manière beaucoup plus large aux expériences <strong>de</strong> développement et<br />

<strong>de</strong> croissance personnelle (Fawcett, 1995).<br />

28


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

L’épistémologie du savoir infirmier fait l’objet <strong>de</strong> nombreuses publications<br />

durant ces <strong>de</strong>rnières années. Le savoir, en tant que processus <strong>de</strong> construction sociale<br />

<strong>de</strong> la connaissance <strong>dans</strong> un domaine particulier, ici celui <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, nécessite un<br />

approfondissement pour connaître la véritable nature du soin. Exprimé par <strong>de</strong>s<br />

actions professionnel<strong>les</strong>, il tente <strong>de</strong> répondre à la complexité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>de</strong> notre<br />

société.<br />

Carper (1978) considérée comme l’une <strong>de</strong>s personnes phare <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

a distingué quatre domaines <strong>dans</strong> le savoir infirmier : le savoir personnel, c’est-à-dire<br />

la connaissance <strong>de</strong> la personne, <strong>de</strong> soi comme <strong>de</strong>s autres, le savoir esthétique ou l’art<br />

<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> avec la précision du geste, le savoir éthique, c’est-à-dire la dimension <strong>de</strong><br />

jugement d’ordre moral du savoir ainsi que le savoir empirique avec sa dimension<br />

scientifique d’exploration et d’explication du mon<strong>de</strong>.<br />

« La pratique se centre sur le soin prodigué à la personne qui, en<br />

interaction continue avec son environnement, vit <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong><br />

santé. Les caractéristiques inhérentes au soin, quant à el<strong>les</strong>, décrivent<br />

<strong>de</strong> manière succincte le « comment » <strong>de</strong> la pratique infirmière ».<br />

« Les caractéristiques sont <strong>de</strong>s notions importantes qui décrivent la<br />

nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et qui sont liées à leur caractère<br />

fondamental » (Carper, 1978, p.88).<br />

Le tableau qui suit présente ces caractéristiques <strong>de</strong> manière plus détaillée.<br />

TABLEAU 01 : LES CARACTÉRISTIQUES DU SOIN (KÉROUAC ET AL. 2003)<br />

Caractéristique<br />

du soin<br />

Action infirmière<br />

Caract. 1 l’infirmière fait preuve d’un<br />

engagement personnel et<br />

professionnel à l’égard du patient<br />

29<br />

Place et rôle du<br />

patient<br />

Le caractère<br />

profondément humain<br />

<strong>de</strong> la personne soignée<br />

est reconnu, quel que soit<br />

son état


Caractéristique<br />

du soin<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Action infirmière<br />

Caract. 2 L’infirmière rencontre le patient en<br />

toute authenticité, en respectant sa<br />

dignité et donc ses valeurs<br />

Caract. 3 L’infirmière soutient et valorise <strong>les</strong><br />

capacités et ressources propres à la<br />

personne<br />

Caract. 4 L’infirmière développe un savoir et<br />

<strong>de</strong>s connaissances spécifiques à la<br />

discipline infirmière. Elle s’appuie<br />

sur la vision holistique et humaniste<br />

du soin et <strong>de</strong> la personne<br />

Caract. 5 L’infirmière a recourt à d’autres<br />

disciplines et d’autres savoirs<br />

orientent son action qui enrichissent<br />

<strong>les</strong> <strong>soins</strong> : physique, statistique,<br />

psychologie. Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> se<br />

trouvent à l’intersection <strong>de</strong> très<br />

nombreuses disciplines dont ils<br />

s’inspirent et se nourrissent<br />

Caract. 6 L’infirmière dispose d’un savoir<br />

pratique sur <strong>les</strong> possibilités d’action<br />

et d’intervention <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s contextes<br />

<strong>de</strong> <strong>soins</strong> multip<strong>les</strong><br />

Caract. 7 L’infirmière se laisse interpeller par<br />

la situation particulière du patient<br />

qu’elle soigne avec authenticité<br />

Caract. 8 L’infirmière assure le développement<br />

<strong>de</strong> ses compétences en ayant un<br />

esprit d’innovation tant <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

techniques <strong>de</strong> soin que <strong>dans</strong> la prise<br />

en charge en général<br />

Caract. 9 L’infirmière développe la pensée sur<br />

sa discipline <strong>de</strong> façon continue car<br />

celle-ci va orienter sa manière<br />

d’envisager le soin au travers <strong>de</strong>s<br />

valeurs et <strong>de</strong>s convictions qu’elle<br />

véhicule<br />

30<br />

Place et rôle du<br />

patient<br />

La personne est reconnue<br />

<strong>dans</strong> son autonomie <strong>de</strong><br />

pensée<br />

Le développement<br />

personnel du patient est<br />

favorisé au travers <strong>de</strong><br />

son expérience face à la<br />

maladie<br />

la personne se sent<br />

soutenue et peut donc<br />

mieux s’impliquer <strong>dans</strong><br />

un choix thérapeutique


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Les différents modè<strong>les</strong> qui ont été proposés par <strong>les</strong> théoriciennes mettent tous<br />

l’accent sur l’importance <strong>de</strong> considérer la personne soignée comme un tout <strong>dans</strong> son<br />

environnement bio-psycho-social et spirituel et cette conception se retrouve bien<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> caractéristiques <strong>de</strong> la pratique infirmière présentées ci-<strong>de</strong>ssus.<br />

Le recueil <strong>de</strong> données soutient le projet thérapeutique et doit donc pouvoir<br />

s’appuyer sur cette même conception holiste, en faisant référence à <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong><br />

conceptuels, permettant ainsi d’apporter <strong>de</strong>s réponses à la complexité <strong>de</strong>s situations<br />

<strong>de</strong> <strong>soins</strong>.<br />

Idéalement, le plan <strong>de</strong> soin est ensuite élaboré avec le patient lui-même et<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> à être constamment revisité, réévalué et réajusté pour que <strong>les</strong> actions<br />

infirmières qui en découle soient adéquates.<br />

Ces actions sont structurées à partir d’une démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong> concrète et<br />

spécifique, organisée à partir d’un processus réfléchi qui s’oriente à la fois sur <strong>les</strong><br />

fon<strong>de</strong>ments conceptuels précités et sur le principe <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> problème<br />

permettant <strong>de</strong> proposer <strong>les</strong> interventions appropriées.<br />

L’activité infirmière n’est pas innée, elle nécessite savoir et réflexion et son<br />

impact sur la vie <strong>de</strong>s personnes peut être extrêmement grand. Les différents modè<strong>les</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> qui ont été proposés mettent tous l’accent sur la globalité <strong>de</strong> la prise en<br />

charge. Cela vient du constat, fait à maintes reprises, <strong>de</strong> la négation <strong>de</strong> dimensions<br />

essentiel<strong>les</strong> qui échappaient aux soignants. À l’ère <strong>de</strong> la technicité, c’est avant tout la<br />

dimension compassionnelle qui a été négligée.<br />

Le processus <strong>de</strong> réflexion et d’analyse permet à l’infirmière <strong>de</strong> mieux prendre<br />

conscience <strong>de</strong> ces dimensions plus discrètes, <strong>de</strong> se perfectionner et d’avancer pas<br />

après pas <strong>dans</strong> l’expertise <strong>de</strong> sa profession. L’analyse critique et le jugement clinique<br />

sont très fortement liés et font appel à la dimension cognitive du soin et aux capacités<br />

réflexives <strong>de</strong>s infirmières (Marchal & Psiuk, 2002). Engagée <strong>dans</strong> un processus<br />

réflexif, la démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong> exige du soignant d’avoir <strong>de</strong>s connaissances diverses<br />

importantes ; <strong>de</strong>s compétences techniques, relationnel<strong>les</strong>, <strong>de</strong> réflexion et d’analyse.<br />

Etre capable d’accompagner une personne <strong>dans</strong> son cheminement suppose une<br />

faculté <strong>de</strong> jugement et d’analyse qui permet <strong>de</strong> repérer <strong>dans</strong> quelle phase se situe<br />

cette personne et d’i<strong>de</strong>ntifier ses be<strong>soins</strong>. Mettre en œuvre une capacité d’analyse,<br />

31


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

c’est mettre en œuvre un jugement qui permet <strong>de</strong> faire le chemin entre le<br />

« pourquoi » et le « comment » d’une situation. Cette action <strong>de</strong> jugement que l’on<br />

porte sur une situation et <strong>les</strong> personnes qui la composent, met en scène notre propre<br />

rapport au mon<strong>de</strong> et interpelle nos valeurs.<br />

L’une <strong>de</strong>s étapes importantes <strong>dans</strong> ce processus a été l’élaboration du diagnostic<br />

infirmier, officialisé <strong>dans</strong> la législation française en 1993 et qui constitue<br />

« (…) l’énoncé d’un jugement clinique porté sur la réponse d’un<br />

individu, d’une famille ou d’un groupe face à l’attention réelle ou<br />

potentielle d’un état <strong>de</strong> santé ou d’une situation <strong>de</strong> vie. Il sert <strong>de</strong> base<br />

aux prescriptions dont l’infirmière est responsable » (Jouteau-Neves,<br />

2005, p.34).<br />

Il s’agit d’un « processus <strong>de</strong> pensée basé sur une approche systématique<br />

qui conduit au geste, aux actions infirmières. C’est un réel concept<br />

organisateur qui influence l’ensemble <strong>de</strong> notre pratique infirmière. La<br />

démarche <strong>de</strong> soin <strong>de</strong>vient alors la toile <strong>de</strong> fond du processus diagnostique<br />

inscrit au cœur même <strong>de</strong> notre fonction indépendante » (Jouteau-Neves, 2005,<br />

p.35).<br />

Pourtant <strong>dans</strong> le contexte <strong>de</strong> crise économique actuel, « l’action est souvent<br />

privilégiée au dépens <strong>de</strong> la réflexion » (Jouteau-Neves et al. 2005, p.11) et<br />

l’importance est souvent accordée en premier lieu aux interventions infirmières<br />

visib<strong>les</strong> et évaluab<strong>les</strong>, tant en France qu’en Suisse. Le risque que l’on voit poindre est<br />

<strong>de</strong> rejeter ces théories <strong>de</strong> soin souvent considérées comme chronophages ou <strong>de</strong> se <strong>les</strong><br />

approprier <strong>de</strong> façon parcellaire et restrictive, sans prendre le temps <strong>de</strong> comprendre le<br />

contexte même <strong>de</strong> la théorie. Un exemple <strong>de</strong> cette extraction parcellaire rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />

l’emploi <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> Virginia Hen<strong>de</strong>rson. Alors que cette théorie est pensée <strong>dans</strong><br />

une approche holistique et globale <strong>de</strong> la personne, elle est bien souvent réduite à la<br />

simple expression d’une grille selon laquelle sont déclinés <strong>les</strong> quatorze be<strong>soins</strong> <strong>de</strong> la<br />

personne. À la frustration <strong>de</strong>s professionnels succè<strong>de</strong> alors parfois le sentiment <strong>de</strong><br />

culpabilité.<br />

32


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

1.3 Une profession en mutation<br />

Les caractéristiques nommées ci-<strong>de</strong>ssus démontrent le haut niveau d’exigences,<br />

vastes et diversifiées, requises pour l’exercice infirmier. Outre ses compétences<br />

techniques, on attend <strong>de</strong> l’infirmière qu’elle sache rencontrer le patient avec<br />

authenticité et compassion. Non pas une compassion <strong>de</strong> style, mais cette compassion<br />

qui naît <strong>de</strong> la pleine considération <strong>de</strong> l’autre personne, digne <strong>de</strong> cette considération<br />

par le seul fait qu’elle est une personne humaine (Lévinas, 1998).<br />

En le reconnaissant comme sujet <strong>de</strong> droit, la société a permis au patient <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir aussi acteur du soin. Le soignant n’est plus là pour exécuter à sa place, mais<br />

se doit <strong>de</strong> l’intégrer <strong>dans</strong> une démarche <strong>de</strong> prise en charge <strong>de</strong> sa pathologie. Les rô<strong>les</strong><br />

changent et l’infirmière <strong>de</strong>vient la personne qui accompagne le patient <strong>dans</strong> ce<br />

développement face à la maladie. C’est pourquoi elle revendique un rôle propre qui<br />

n’est plus sous contrôle du mé<strong>de</strong>cin, mais qui lui appartient en vertu <strong>de</strong> la relation<br />

qu’elle peut établir avec son patient. En faisant ce choix, l’infirmière va se trouver<br />

confrontée à <strong>de</strong> nouveaux champs <strong>de</strong> tension éthiques <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels elle va <strong>de</strong>voir se<br />

positionner.<br />

Les <strong>soins</strong> techniques et <strong>de</strong> nursing sont le vecteur d’une relation entre<br />

l’infirmière et son patient. Ce sont eux qui vont lui conférer une dimension toute<br />

particulière, teintée d’humanité.<br />

L’infirmière ne peut se contenter <strong>de</strong> <strong>les</strong> exécuter à la manière d’un automate. Ils<br />

engagent à la fois sa responsabilité mais <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt également la mise en œuvre <strong>de</strong><br />

capacités et <strong>de</strong> compétences complexes, tel<strong>les</strong> la créativité, la capacité <strong>de</strong> négociation,<br />

<strong>de</strong> défenseur <strong>de</strong>s droits du patient et autre capacités relationnel<strong>les</strong>… qui sont <strong>les</strong><br />

éléments mêmes constituant le rôle propre.<br />

La soignante doit être pertinente <strong>dans</strong> sa pratique, maîtriser ses techniques mais<br />

être adéquate aussi sur le plan relationnel. Tout en faisant preuve d’empathie, elle<br />

n’en doit pas moins maîtriser toutes <strong>les</strong> connaissances, très exhaustives, qui gravitent<br />

autour <strong>de</strong> sa profession pour pouvoir repérer <strong>de</strong>s symptômes anormaux ou une<br />

anomalie, donner <strong>les</strong> explications nécessaires aux patients et prendre <strong>de</strong>s décisions<br />

avec rapidité et efficacité. Ce ne sont là que quelques exemp<strong>les</strong> <strong>de</strong> cette prise en soin<br />

33


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

globale transmise aux étudiants. Toutes <strong>les</strong> dimensions <strong>de</strong> la personne soignée<br />

doivent être prises en compte : <strong>les</strong> dimensions biologiques, psychologiques, socia<strong>les</strong><br />

et culturel<strong>les</strong>. L’ambition est gran<strong>de</strong> mais la pratique rappelle à l’ordre avec ses<br />

contingences. La profession infirmière se développe, par ailleurs, <strong>de</strong> manière<br />

conjointe à d’autres métiers du paramédical avec <strong>les</strong>quels elle doit apprendre à<br />

composer pour travailler selon ce terme fort présent d’interdisciplinarité ou, tout du<br />

moins, <strong>de</strong> pluridisciplinarité.<br />

Dans le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> complexité <strong>de</strong>s connaissances en ne peut<br />

être appréhendée que si l’on reconnaît un lien intrinsèque aux aspects théoriques et<br />

pratiques, aux aspects techniques et relationnels. Établir une dichotomie entre <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux revient à enlever une partie <strong>de</strong> la substance vitale <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

Si l’on se réjouit <strong>de</strong>s évolutions qu’a connues la profession infirmière au fil du<br />

temps, on ne peut pour autant nier l’influence <strong>de</strong> cet héritage du passé qu’elle porte<br />

avec elle et qui l’imprègne encore largement.<br />

Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières décennies, le rôle infirmier a beaucoup changé. Les<br />

infirmières bénéficient <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong> connaissances, notamment en anthropologie,<br />

sociologie, économie… et ten<strong>de</strong>nt à <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s éducatrices <strong>de</strong> santé, <strong>de</strong>s prestataires<br />

<strong>de</strong> service, non plus <strong>de</strong> « patients » mais <strong>de</strong> « clients » comme <strong>les</strong> nomme la nouvelle<br />

terminologie, <strong>dans</strong> le but d’ai<strong>de</strong>r ces <strong>de</strong>rniers à retrouver rapi<strong>de</strong>ment, la plus gran<strong>de</strong><br />

autonomie possible.<br />

Le décret <strong>de</strong> compétences <strong>de</strong> 2002 en France est le résultat <strong>de</strong> toutes ces<br />

évolutions.<br />

La finalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> est reconnue à travers cinq missions essentiel<strong>les</strong> à l’article 2<br />

du « Décret <strong>de</strong> compétences relatif à l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> » (Annexe 2).<br />

protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et<br />

mentale <strong>de</strong>s personnes ou l’autonomie <strong>de</strong> leurs fonctions vita<strong>les</strong><br />

physiques et psychiques, en vue <strong>de</strong> favoriser leur maintien, leur insertion<br />

ou leur réinsertion <strong>dans</strong> leur cadre <strong>de</strong> vie familial ou social ;<br />

concourir à la mise en place <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s et au recueil <strong>de</strong>s informations<br />

uti<strong>les</strong> aux autres professionnels, et notamment aux mé<strong>de</strong>cins pour poser<br />

leur diagnostic et évaluer l’effet <strong>de</strong> leur prescription ;<br />

34


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

participer à l’évaluation du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> dépendance <strong>de</strong>s personnes ;<br />

contribuer à la mise en œuvre <strong>de</strong>s traitements en participant à la<br />

surveillance clinique et à l’application <strong>de</strong>s prescriptions médica<strong>les</strong><br />

contenues, le cas échéant, <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s protoco<strong>les</strong> établis à l’initiative du ou<br />

<strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins prescripteurs ;<br />

participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement <strong>de</strong> la douleur<br />

et <strong>de</strong> la détresse physique et psychique <strong>de</strong>s personnes, particulièrement<br />

en fin <strong>de</strong> vie et au moyen <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> palliatifs, et d’accompagner en tant<br />

que <strong>de</strong> besoin, leur entourage.<br />

Dans une visée d’amélioration <strong>de</strong> la pratique soignante, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

tentent <strong>de</strong> se structurer <strong>de</strong> façon méthodique. La France et la Suisse s’orientent<br />

beaucoup, en la matière, sur <strong>les</strong> avancées <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> d’Outre-Atlantique qui<br />

affichent déjà un savoir et une pratique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> beaucoup plus structurés.<br />

Le développement du rôle propre infirmier ai<strong>de</strong> la profession à sortir <strong>de</strong> cet<br />

héritage passéiste en démontrant l’importance et le bien-fondé d’une action<br />

strictement infirmière et non plus inféodée à une discipline quelconque et en<br />

particulier à la mé<strong>de</strong>cine. Ainsi, <strong>de</strong>puis quelques années <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> se<br />

développent <strong>dans</strong> diverses dimensions toutes très exigeantes, tels que l’exercice<br />

d’une relation thérapeutique, l’enseignement au patient et à ses proches, la médiation<br />

psychologique et spirituelle, le conseil et l’information ciblée, ainsi que la dimension<br />

plus maternelle du care mise en tension avec le professionnalisme (Apesoa-Varano,<br />

2007). Le care représente cette forme <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong> qui exprime l’acte <strong>de</strong> prendre<br />

soin, mais <strong>dans</strong> le but d’ai<strong>de</strong>r l’autre à grandir, à optimiser son potentiel <strong>de</strong> réussite<br />

face à la maladie <strong>dans</strong> une forme d’empowerment, à donner un sens à son<br />

expérience… Cela suppose d’appréhen<strong>de</strong>r l’histoire <strong>de</strong> la personne qui nous est<br />

confiée, pour la conseiller et l’accompagner <strong>dans</strong> la réalisation <strong>de</strong> ses objectifs.<br />

Dallaire souligne que l’infirmière doit s’engager <strong>de</strong> manière intense, cet engagement<br />

étant « facteur <strong>de</strong> croissance à la fois pour elle et la personne avec q ui elle<br />

interagit » (Dallaire, 2008, p.89). Il s’agit d’une attente très louable qui s’appuie sur<br />

une conception humaniste et holiste <strong>de</strong> la personne, <strong>de</strong> l’environnement et du soin,<br />

35


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

mais qui fait également peser une importante responsabilité sur <strong>les</strong> épau<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />

étudiantes, puis <strong>de</strong>s soignantes. Certes, sous certains ang<strong>les</strong>, l’infirmière ne<br />

parviendra à satisfaire ces exigences qu’après plusieurs années d’exercice fondant<br />

son expertise (Benner, 1995), mais l’étudiante doit déjà être capable d’en comprendre<br />

le sens et <strong>de</strong> poser <strong>les</strong> prémisses d’une telle prise en charge. La hausse <strong>de</strong>s exigences<br />

en termes <strong>de</strong> réflexion et d’analyse entraîne <strong>de</strong>s répercussions sur <strong>les</strong> étudiantes. Elle<br />

est liée à une responsabilité toujours plus importante <strong>dans</strong> la pratique<br />

professionnelle. Mais, cette responsabilité à son tour ne saurait être actualisée comme<br />

un programme moral, même <strong>dans</strong> la dimension libératrice que défend Kant. La<br />

responsabilité doit trouver corps <strong>dans</strong> l’expression que le sujet fait <strong>de</strong> ses choix.<br />

« Au niveau <strong>de</strong> l’éthique professionnelle, cela signifie que quel<strong>les</strong> que<br />

soient ses conceptions et représentations professionnel<strong>les</strong>, l’infirmière<br />

digne <strong>de</strong> ce nom sera celle et seulement celle dont la posture, l’action,<br />

la qualité relationnelle, <strong>les</strong> gestes quotidiens corrobore nt ces<br />

représentations et ces conceptions » (Schin<strong>de</strong>lholz, 2006, p.59).<br />

Pourtant, <strong>dans</strong> la réalité l’infirmière est fréquemment soumise à <strong>de</strong>s tensions<br />

entre son idéal professionnel, ses convictions <strong>de</strong> ce que <strong>de</strong>vrait être le soin, et <strong>les</strong><br />

exigences qui lui incombent en termes <strong>de</strong> charge <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong> responsabilité.<br />

Un autre phénomène va engager une plus gran<strong>de</strong> responsabilité <strong>de</strong>s infirmières<br />

et jouer un rôle sur le développement <strong>de</strong> la profession : il s’agit <strong>de</strong> la modification en<br />

profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la société avec toutes ses répercussions. De même que <strong>les</strong><br />

professionnels du secteur social reconnaissent qu’ils doivent toujours davantage être<br />

<strong>dans</strong> le registre du soin (Dubreuil, 2009), <strong>de</strong> même <strong>les</strong> infirmières doivent <strong>de</strong> plus en<br />

plus fréquemment jouer un rôle social. L’exclusion sociale et la marginalisation sont<br />

<strong>de</strong>s phénomènes toujours plus courants. En rappelant que la santé considérée par<br />

rapport à la norme est un état « inéluctablement précaire », Canguilhem nous<br />

rappelle que la maladie est avant tout une épreuve existentielle vécue <strong>dans</strong> une<br />

vulnérabilité individuelle, qui n’est autre que l’expression ontologique <strong>de</strong> la précarité<br />

humaine (Canguilhem, 2005, p.155). Chaque patient doit être soigné et rencontré<br />

36


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

comme personne humaine bien entendu, mais également comme individu ayant part<br />

<strong>dans</strong> la société. Il ne suffit pas <strong>de</strong> sauver <strong>les</strong> personnes au bord du gouffre. Il faut<br />

confronter la cause <strong>de</strong> cet état. Cela fait partie du traitement avec le reste (Tschudin,<br />

1999, p.32). Cela sous-entend que le champ d’intervention <strong>de</strong> l’infirmière s’est<br />

largement agrandi. Elle n’est plus confinée aux seuls murs <strong>de</strong> l’institution<br />

hospitalière mais il lui est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> jouer un rôle pivot avec <strong>les</strong> services sociaux,<br />

avec <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>s à la prise en charge extra-hospitalière et plus largement à être actrice<br />

<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s domaines comme la prévention et la protection sociale.<br />

La <strong>de</strong>rnière décennie a contribué à solidifier le processus <strong>de</strong><br />

professionnalisation déjà amorcé à la fin du siècle précé<strong>de</strong>nt. Les infirmières<br />

commencent à prendre conscience <strong>de</strong> leurs limites, <strong>de</strong> leurs droits, du droit<br />

d’exprimer leurs limites, du danger <strong>de</strong> <strong>les</strong> outrepasser (agressivité verbale ou<br />

physique, dépression, burnout), <strong>de</strong> leur responsabilité, du pouvoir et <strong>de</strong> l’autorité<br />

qu’el<strong>les</strong> exercent sur le patient…<br />

Cependant il y a chez bon nombre <strong>de</strong> ces infirmières un sentiment d’infériorité<br />

encore marqué. El<strong>les</strong> se dévalorisent facilement au lieu <strong>de</strong> s’affirmer, ce qui contribue<br />

à nourrir leur frustration (Magnon, 2006). De fait, el<strong>les</strong> ont <strong>de</strong> la peine à se défaire <strong>de</strong><br />

cette soumission sécurisante que procurait le corps médical et à assumer leur<br />

autonomie, essentielle à l’exercice <strong>de</strong> leur rôle propre, phénomène renforcé encore<br />

par <strong>les</strong> politiques <strong>de</strong> restriction budgétaire accompagnées <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong><br />

management davantage centrées sur l’acte. C’est l’entier d’un défi qui s’ouvre <strong>de</strong>vant<br />

el<strong>les</strong>… celui d’un engagement soucieux du patient sans pour autant être<br />

renoncement <strong>de</strong> soi.<br />

Or, comment pouvoir, <strong>dans</strong> un même temps, affirmer cette autonomie et ce<br />

champ d’activité propre, quand la logique <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> pratique se veut une logique<br />

<strong>de</strong> l’action et du ren<strong>de</strong>ment ?<br />

1.4 État <strong>de</strong>s lieux aujourd’hui<br />

Ce défi s’inscrit aussi <strong>dans</strong> une évolution <strong>de</strong> la formation qui continue son<br />

développement et prend <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> tournures. En effet, en Suisse, à l’instar <strong>de</strong> nos<br />

37


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

voisins européens, la formation <strong>de</strong>s infirmières s’est vue autorisée l’entrée au <strong>de</strong>gré<br />

tertiaire universitaire. Les HES (Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées) ont pris le relais <strong>de</strong>s<br />

éco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> traditionnel<strong>les</strong>.<br />

La profession s’en trouve ainsi valorisée. Elle est davantage présente sur la<br />

scène politique et <strong>dans</strong> <strong>les</strong> débats sociétaux. Néanmoins, corrélativement à cette<br />

nouvelle position, <strong>les</strong> exigences à son endroit ont été revues à la hausse. Les attentes<br />

en termes <strong>de</strong> responsabilité, d’engagement, <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> répondant à <strong>de</strong>s<br />

normes précises, <strong>de</strong> capacité d’analyse et <strong>de</strong> positionnement sont maintenant plus<br />

élevées que jamais. Ces exigences ne sont pas sans répercussions sur <strong>les</strong> étudiantes et<br />

sur la manière dont leur i<strong>de</strong>ntité professionnelle va se construire. Selon le référentiel<br />

<strong>de</strong>s compétences HES version 2004 (Annexe 3), <strong>les</strong> soignants compétents sont ceux<br />

qui, face à <strong>de</strong>s situations complexes, font preuve <strong>de</strong> réflexivité, <strong>dans</strong> la conscience <strong>de</strong><br />

leurs intentions et <strong>de</strong> leur pouvoir sur l’Autre. Ici la compétence s’ancre par<br />

conséquent sur le jugement clinique, l’analyse critique, la réflexion sur ses actes ou<br />

encore la prise <strong>de</strong> responsabilité qui sont, comme nous l’avons vu, <strong>de</strong>s éléments<br />

fondamentaux <strong>de</strong> la profession infirmière. Ceux-ci néanmoins ne sauraient se<br />

soustraire à un questionnement et une réflexion éthique puisque, nous l’avons vu<br />

plus haut, <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt notre conception du mon<strong>de</strong>, notre regard sur nos<br />

semblab<strong>les</strong> et notre compréhension du soin, sont <strong>de</strong>s déterminants majeurs <strong>dans</strong> la<br />

manière dont nous allons trouver un sens <strong>dans</strong> notre activité.<br />

Si la profession comporte donc <strong>de</strong>s aspects complexes <strong>de</strong> par sa nature même, la<br />

difficulté se trouve encore majorée par la situation actuelle et le peu <strong>de</strong> valorisation<br />

<strong>de</strong>s infirmières. L’actuelle profession soignante est fortement mise à l’épreuve. La<br />

situation économique difficile qui s’accompagne, <strong>de</strong>puis quelques années, <strong>de</strong><br />

mesures <strong>de</strong> restrictions budgétaires et <strong>de</strong> réduction <strong>de</strong> personnel, ren<strong>de</strong>nt l’exercice<br />

<strong>de</strong> la profession plus ardu que par le passé. Bien souvent, ce sont <strong>de</strong>s éléments<br />

relevant <strong>de</strong> l’humain et <strong>de</strong> sa dignité qui sont montrés du doigt comme étant mis à<br />

mal par <strong>les</strong> contraintes institutionnel<strong>les</strong> et économiques. L’infirmière doit faire<br />

preuve <strong>de</strong> beaucoup d’adaptation pour parvenir à exercer sa profession au plus<br />

proche <strong>de</strong> ses convictions et <strong>de</strong>s standards <strong>de</strong> bonnes pratiques, tout en tenant<br />

compte <strong>de</strong>s contraintes qui lui sont imposées. Le terme <strong>de</strong> care n’est pas arrivé par<br />

38


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

hasard <strong>dans</strong> la profession, mais représente bien la conscience d’un manque.<br />

Les professionnels du caring ou du « prendre soin » souffrent d’un manque <strong>de</strong><br />

reconnaissance en regard <strong>de</strong> la pénibilité <strong>de</strong> leurs tâches, qu’el<strong>les</strong> soient physiques<br />

et/ou psychologiques. Ces professions sont caractérisées par <strong>de</strong>s activités peu<br />

valorisées et un travail peu visible, qui se doivent d’être doublés d’empathie, <strong>de</strong><br />

gentil<strong>les</strong>se et conduisent, très souvent à l’usure, à l’impatience, voire au dégoût. Il<br />

s’agit là <strong>de</strong> manifestations qui peuvent avoir <strong>de</strong>s répercussions sur l’équilibre<br />

psychologique <strong>de</strong>s personnes actrices. Au début <strong>de</strong>s années soixante-dix,<br />

Freu<strong>de</strong>nberger puis d’autres chercheurs après lui, démontre que <strong>les</strong> professions à fort<br />

engagement personnel <strong>dans</strong> la relation et le soin <strong>de</strong> l’autre, sont particulièrement<br />

susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong> conduire à <strong>de</strong>s états pathologiques tel que le burnout ou la<br />

dépression (Freu<strong>de</strong>nberger, 1987; Maslach, 1982).<br />

Le quotidien du soignant est parfois frustrant. Que ce soit par le défaut <strong>de</strong><br />

reconnaissance, accentué encore par la frustration d’une valorisation sociale quasi<br />

inexistante dont elle fait l’objet, par le regard <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins parfois encore empreint<br />

d’une supériorité toute patriarcale, ou encore par <strong>les</strong> attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s patients eux-<br />

mêmes, fréquemment frustrés <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir se confronter à <strong>de</strong> longues fi<strong>les</strong> d’attente, à<br />

<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> rapi<strong>de</strong>s, à <strong>de</strong>s erreurs et autres inconvénients, l’infirmière se retrouve<br />

fréquemment <strong>dans</strong> une position peu enviable.<br />

Or, en considérant le vieillissement <strong>de</strong> nos populations et <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> toujours<br />

plus importants en personnel soignant, le phénomène ne risque guère d’aller en<br />

s’amenuisant.<br />

L’expérience montre que <strong>les</strong> soignants peuvent accomplir une tâche importante<br />

et conserver un équilibre, dès lors qu’ils bénéficient d’espaces d’échanges, <strong>de</strong> lieux où<br />

ils se rencontrent entre eux et libèrent leurs émotions, leur vécu, leur agressivité sous<br />

forme <strong>de</strong> discours cyniques par exemple… Le plus souvent, <strong>les</strong> soignants arrivent,<br />

par le collectif, à retrouver un sens à tel ou tel soin et reconstruisent ensemble la<br />

sympathie parfois évaporée envers un patient. Ceux qui ne sont pas autant impliqués<br />

<strong>dans</strong> la situation ai<strong>de</strong>nt <strong>les</strong> autres à prendre du recul. Or ces moments ten<strong>de</strong>nt à<br />

disparaitre avec la surcharge <strong>de</strong> travail, alors que c’est justement <strong>dans</strong> cette situation<br />

qu’ils seraient le plus nécessaires.<br />

Le manque <strong>de</strong> temps freine <strong>les</strong> lieux d’expression mais il freine également la<br />

39


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

prise en charge selon <strong>les</strong> idéaux que l’on peut se forger durant la formation en école.<br />

En effet, que l’on examine <strong>de</strong> près l’une ou l’autre <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, force est <strong>de</strong><br />

constater bien vite qu’el<strong>les</strong> sont très exhaustives, mais par là-même aussi exigeantes<br />

en terme <strong>de</strong> temps.<br />

Hesbeen (2002) met en gar<strong>de</strong> contre la tendance, déjà présente <strong>dans</strong> bien <strong>de</strong>s<br />

secteurs, <strong>de</strong> faire du métier <strong>de</strong> soignant un métier <strong>de</strong> technicien spécialisé, au service<br />

<strong>de</strong> la technique et d’un patient <strong>de</strong>venu pour un temps « objet » <strong>de</strong> soin. Les théories<br />

<strong>de</strong> <strong>soins</strong> ne sauraient se résumer à une forme <strong>de</strong> modèle « prêt-à-penser » que l’on<br />

réchaufferait en quelques minutes pour une utilisation immédiate. La dynamique<br />

relationnelle n’entre pas <strong>dans</strong> ce genre <strong>de</strong> schéma. L’établissement d’une relation <strong>de</strong><br />

confiance ne se réalise pas toujours <strong>de</strong> manière très rapi<strong>de</strong> ni très spontanée, mais<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> du temps et un investissement personnel parfois conséquent.<br />

Est-ce bien en cohérence avec la réalité du mon<strong>de</strong> infirmier d’aujourd’hui ?<br />

Comment permettre l’adéquation entre <strong>les</strong> contraintes du terrain et <strong>les</strong> éléments<br />

nécessaire à la prise en charge « idéale » ?<br />

Comment l’engagement <strong>de</strong>s soignants, tel qu’il est sollicité aujourd’hui par <strong>de</strong>s<br />

théories comme cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> Marchal et Psiuk (2002), est-il rendu possible en regard <strong>de</strong>s<br />

ressources dont ces professionnels disposent réellement ?<br />

Si on doit aux théories <strong>de</strong> <strong>soins</strong> une reconnaissance particulière pour l’accent<br />

qu’el<strong>les</strong> ont su mettre sur la notion <strong>de</strong> jugement clinique et la mise en valeur du rôle<br />

propre, il faut néanmoins souligner que leur utilisation <strong>dans</strong> la réalité du quotidien<br />

ne peut se faire que <strong>de</strong> façon très ciblée. En effet, le diagnostic infirmier émanant <strong>de</strong><br />

ce jugement clinique, <strong>de</strong>vrait donner lieu à une évaluation continue <strong>de</strong>s problèmes<br />

prioritaires, effectifs ou possib<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s patients. Les opérations menta<strong>les</strong> mises en<br />

œuvre pour réaliser cette évaluation, sont complexes et chronophages. Depuis<br />

l’observation, jusqu’à l’organisation <strong>de</strong>s solutions à apporter, en passant par la<br />

conceptualisation et la mise en œuvre, l’infirmière doit démontrer sa capacité <strong>de</strong><br />

décentration, d’organisation <strong>de</strong>s connaissances et <strong>de</strong> leur application, ainsi qu’un bon<br />

processus <strong>de</strong> réflexion. Le tout est assumé par sa responsabilité (Kérouac, 2010).<br />

Une application uniforme et généralisée <strong>de</strong> ces modè<strong>les</strong> paraîtrait dangereuse<br />

car incompatible avec la réalité soignante. En revanche, la référence à ces concepts<br />

<strong>dans</strong> la démarche d’analyse constante <strong>de</strong> l’infirmière et l’utilisation <strong>de</strong>s théories<br />

40


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

comme socle conceptuel à sa réflexion, ne peuvent qu’être bénéfiques à la mise en<br />

œuvre <strong>de</strong> ses multip<strong>les</strong> responsabilités.<br />

Ces responsabilités sont d’autant plus gran<strong>de</strong>s et plus lour<strong>de</strong>s à porter qu’el<strong>les</strong><br />

s’expriment <strong>dans</strong> un contexte hospitalier lui aussi en pleine mutation. L’hôpital doit<br />

faire face à <strong>de</strong>s phénomènes nouveaux tels que le vieillissement <strong>de</strong> la population, le<br />

nombre croissant <strong>de</strong>s maladies chroniques, la marginalisation moins cachée et plus<br />

présente <strong>dans</strong> <strong>les</strong> structures socia<strong>les</strong>, une définition <strong>de</strong> la santé extrêmement large,<br />

l’explosion <strong>de</strong>s coûts en lien avec <strong>les</strong> progrès <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine et <strong>de</strong>s moyens<br />

diagnostiques et prédictifs… La profession soignante est, en outre, caractérisée par<br />

un travail fortement pluridisciplinaire. Cette profession se trouve à l’intersection <strong>de</strong><br />

plusieurs autres champs disciplinaires. Elle-même se veut transdisciplinaire, <strong>dans</strong> le<br />

sens où elle est aux prises avec <strong>de</strong>s problèmes émanant tout aussi bien <strong>de</strong> la société,<br />

<strong>de</strong> l’environnement que <strong>de</strong> l’économie…, pour n’en citer que quelques-uns. Pour<br />

autant la profession infirmière ne doit pas renoncer à son i<strong>de</strong>ntité professionnelle,<br />

bien au contraire<br />

« une conception claire <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité disciplinaire et professionnelle est<br />

incontournable pour tracer clairement <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> son champ <strong>de</strong><br />

compétence, <strong>de</strong> même que pour occuper tout l’espace professionnel<br />

possible <strong>dans</strong> un esprit <strong>de</strong> collaboration . » (Dallaire, 2008, p.12).<br />

Bousculée par le cours <strong>de</strong> l’histoire, l’i<strong>de</strong>ntité infirmière peine à s’affirmer et le<br />

contexte professionnel actuel n’est pas pour favoriser sa structuration et sa stabilité.<br />

41


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

42


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

CHAPITRE 2 - ÊTRE SOIGNANT, UN DÉFI AU QUOTIDIEN<br />

2.1 La réalité d’un contexte difficile<br />

Le contexte actuel <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> rend difficile la prise en charge holistique telle<br />

que prônée par <strong>les</strong> différents modè<strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong>. Que ce soit <strong>dans</strong> <strong>les</strong> centre<br />

hospitaliers, <strong>les</strong> institutions pour personnes âgées, handicapées, ou encore <strong>les</strong> centres<br />

<strong>de</strong> <strong>soins</strong> à domicile, une démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong> individuelle exhaustive est parfois<br />

compromise par une dotation en personnel insuffisante (De Bouvet & Sauvaige,<br />

2005). Pourtant c’est la conception humaniste qui est présentée et entraînée à l’école<br />

et durant la formation pratique. On comprend dès lors que la frustration puisse<br />

surgir chez <strong>les</strong> soignants convaincus <strong>de</strong> cette approche dont ils ont sans doute pu<br />

constater l’efficacité et qu’ils ne peuvent mettre en œuvre en raison <strong>de</strong>s contingences<br />

institutionnel<strong>les</strong>.<br />

Un problème majeur rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le manque <strong>de</strong> personnel pour le nombre <strong>de</strong><br />

patients. Les soignants déplorent <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir réaliser <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> à la chaîne sans avoir<br />

<strong>de</strong> temps pour une prise en charge holistique. Les infirmières doivent toujours être<br />

<strong>dans</strong> une dimension <strong>de</strong> partage : <strong>de</strong> leurs compétences, <strong>de</strong> leur savoir… El<strong>les</strong><br />

partagent <strong>les</strong> moments <strong>les</strong> plus intimes (naissance et mort). Le métier d’infirmière<br />

peut s’avérer très prenant sur le plan émotionnel et nécessite <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s espaces<br />

pour échanger entre pairs : « Si l’on n’a pas le temps <strong>de</strong> ventiler ses émotions,<br />

alors on préfère ne plus s’investir émotionnellement » (Dubet, 2002, p.223). Le<br />

risque <strong>de</strong> la démotivation et du désengagement est grand.<br />

Par ailleurs, l’impossibilité <strong>de</strong> l’infirmière <strong>de</strong> s’occuper du patient <strong>de</strong> manière<br />

optimale n’est pas seulement liée à sa charge <strong>de</strong> travail, mais également à l’évolution<br />

<strong>de</strong> la prise en charge hospitalière. Les séjours étant beaucoup plus courts,<br />

l’établissement <strong>de</strong> la relation au patient s’en trouve considérablement modifié. Le<br />

caractère « hospitalier » <strong>de</strong>s hôpitaux tend à se transformer au profit d’une logique<br />

43


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

économique, ce qui entretient le système à l’origine déjà fort pyramidal <strong>de</strong><br />

l’institution.<br />

De même, le travail rendu difficile induit une rotation <strong>de</strong> personnel importante<br />

avec <strong>de</strong>s équipes qui comptent <strong>de</strong> nombreuses personnes à temps partiel et se<br />

connaissent peu. Cela rend non seulement <strong>les</strong> échanges et le partage du vécu ardus,<br />

mais cela complique également la définition d’un idéal commun et sa mise en œuvre,<br />

et ce, d’autant plus que <strong>les</strong> exigences <strong>de</strong> flexibilité favorisent la rotation <strong>de</strong>s équipes<br />

et nuisent à la construction d’une i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> secteur.<br />

Les nouvel<strong>les</strong> exigences <strong>de</strong> traçabilité, en lien avec <strong>les</strong> exigences qualité, sont un<br />

facteur nouvellement très chronophage que certains soignants acceptent difficilement<br />

parce qu’il empiète sur le temps passé au chevet du mala<strong>de</strong>. Ces exigences revêtent<br />

néanmoins un intérêt évi<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> la gestion <strong>de</strong>s risques (Estryn-Béhar, 2008).<br />

Que ce soit <strong>dans</strong> une volonté <strong>de</strong> mieux répartir <strong>les</strong> moyens accordés au secteur<br />

hospitalier, <strong>de</strong> mieux maîtriser <strong>les</strong> coûts en <strong>les</strong> rationalisant ou encore <strong>de</strong> répondre<br />

aux préoccupations individuel<strong>les</strong> et collectives en matière <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>…<br />

toujours est-il que l’exigence <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong>vient un moteur <strong>de</strong> concurrence entre <strong>les</strong><br />

établissements, qui ne laisse pas in<strong>de</strong>mne le personnel soignant. En effet <strong>les</strong><br />

démarches d’évaluation <strong>de</strong> la qualité se basent sur <strong>de</strong>s indicateurs concrets et<br />

quantifiab<strong>les</strong>, qui ne permettent pas, le plus souvent, <strong>de</strong> mettre en valeur l’aspect<br />

plus discret mais non moins important du soin : l’attention portée, au travers du<br />

dialogue, à la singularité d’une personne et <strong>de</strong> sa situation. Et Hesbeen <strong>de</strong><br />

déclarer que<br />

« l’accueil, l’écoute, la disponibilité et la créativité <strong>de</strong>s soignants,<br />

combinés à leurs connaissances <strong>de</strong> nature scientifique et habiletés<br />

techniques, apparaissent comme <strong>les</strong> déterminants essentiels <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong><br />

qualité » (Hesbeen, 2002).<br />

Il existe un décalage entre l’idéal éthique qui voudrait favoriser au maximum la<br />

dignité du patient ainsi que son autonomie, et <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> conditions d’accueil à<br />

l’hôpital, le contexte actuel <strong>de</strong> prise en charge avec <strong>de</strong>s dotations réduites, et une<br />

réalité inapte à la réalisation <strong>de</strong> cet idéal.<br />

44


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Pour certains auteurs, une raison supplémentaire à ce décalage serait la<br />

mauvaise compréhension <strong>de</strong> la prise en charge globale. Si on la comprend <strong>de</strong><br />

manière exhaustive comme étant le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> prise en charge d’une infirmière envers<br />

chaque patient, alors force est <strong>de</strong> constater que la tâche est insurmontable, au vu du<br />

nombre <strong>de</strong> patients et du contexte déjà évoqué. Il y aurait une distinction à faire, à<br />

savoir que l’on ne parlerait plus d’une prise en charge globale d’un patient, mais <strong>de</strong><br />

prise en charge « selon une approche globale… ». Ainsi <strong>les</strong> termes <strong>de</strong> « prise en<br />

charge globale » <strong>de</strong>viennent l’image d’un idéal à avoir en arrière-plan et non plus<br />

un modèle à appliquer intégralement pour chaque patient (De Bouvet & Sauvaige,<br />

2005).<br />

2.2 La souffrance du paradoxe<br />

Quelle que soit la portée <strong>de</strong> la prise en charge, il n’en reste pas moins une<br />

souffrance chez <strong>les</strong> infirmières qui correspond à un décalage entre <strong>les</strong> <strong>soins</strong> qu’el<strong>les</strong><br />

aimeraient apporter à leurs patients et <strong>les</strong> conditions <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels el<strong>les</strong> doivent<br />

exercer leur profession. Il y a un<br />

« écart considérable entre l’idéal éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et la possibilité <strong>de</strong> le<br />

mettre en pratique. Il est probablement l’une <strong>de</strong>s causes du fameux<br />

burnout <strong>de</strong>s infirmières… » (De Bouvet & Sauvaige , introduction).<br />

C’est un désarroi que <strong>les</strong> étudiantes renvoient très souvent, surtout durant <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières années <strong>de</strong> leur formation. Lors d’un examen oral, une étudiante<br />

<strong>de</strong>vait présenter la situation d’un patient qu’elle avait pris en charge avec, pour son<br />

analyse, l’utilisation d’une <strong>de</strong>s théories <strong>de</strong> <strong>soins</strong> exhaustive enseignée à l’école. Cette<br />

étudiante a présenté la situation d’une patiente psychotique hospitalisée en<br />

psychiatrie et chez laquelle elle avait pu mettre en évi<strong>de</strong>nce, après avoir étudié<br />

l’entier <strong>de</strong> la situation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> moindres détails, <strong>de</strong>s éléments qui avaient ensuite<br />

permis <strong>de</strong> poser un diagnostic tout à fait différent du premier. Cela avait permis <strong>de</strong><br />

réorienter la prise en charge et d’accompagner la patiente <strong>de</strong> manière beaucoup plus<br />

ciblée avec, au bout du compte, <strong>de</strong>s résultats et une amélioration considérab<strong>les</strong>.<br />

Cette étudiante était très décontenancée à l’idée que l’équipe aurait sans doute<br />

45


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

persisté <strong>dans</strong> l’ancien schéma et méconnu ce problème, orientant ainsi la prise en<br />

charge sur <strong>de</strong> fausses bases, si son travail pour l’école ne l’avait obligé l’équipe à<br />

réinterroger sa prise en charge. Elle était bien consciente que le travail très intensif<br />

qu’elle avait investi pour cette patiente n’était possible qu’en regard <strong>de</strong> son statut<br />

d’étudiante. Après avoir évoqué ce malaise auprès <strong>de</strong> son infirmière <strong>de</strong> référence,<br />

elle s’était retrouvée seule face à son désarroi. L’infirmière lui avait répondu qu’elle<br />

ne <strong>de</strong>vait plus réfléchir autant mais suivre <strong>les</strong> ordres médicaux, sous peine d’être<br />

régulièrement insatisfaite et en révolte contre <strong>les</strong> <strong>soins</strong> offerts aux patients.<br />

D’emblée, cet exemple choque par le fait qu’il va totalement à l’encontre du<br />

mouvement d’autonomisation et <strong>de</strong> construction i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> l’infirmière tel<br />

qu’ébauché ci-<strong>de</strong>ssus, mais il choque encore davantage, par la conception sous-<br />

jacente <strong>de</strong> la prise en charge qui en émerge.<br />

Il va <strong>de</strong> soi que si le soin se limite au traitement <strong>de</strong>s symptômes et à<br />

l’application <strong>de</strong> protoco<strong>les</strong>, sans tenir compte <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> cet univers qui fait<br />

corps avec le mala<strong>de</strong> et donne un sens à sa vie, <strong>de</strong>s éléments essentiels sont évincés,<br />

éléments qui pourraient orienter la prise en charge <strong>dans</strong> un sens très différent.<br />

L’étudiante a dû faire face à un grand paradoxe : celui <strong>de</strong> soigner un humain<br />

atteint <strong>dans</strong> son corps et <strong>dans</strong> son esprit, et celui <strong>de</strong> la confrontation à une routine<br />

protocolaire centrée davantage sur <strong>les</strong> prescriptions que sur la personne.<br />

La formation confère à l’infirmière bon nombre <strong>de</strong> connaissances théoriques.<br />

Cel<strong>les</strong>-ci lui permettent d’être capable <strong>de</strong> juger <strong>de</strong>s prescriptions faites par le<br />

mé<strong>de</strong>cin, capable <strong>de</strong> réagir lorsqu’elle remarque une anomalie, lorsque le patient<br />

présente certains symptômes… De ses observations et <strong>de</strong> sa manière d’appréhen<strong>de</strong>r<br />

le patient, va dépendre en gran<strong>de</strong> partie la poursuite du traitement. Néanmoins il est<br />

évi<strong>de</strong>nt que <strong>les</strong> connaissances à mobiliser et à mettre en œuvre sont différentes <strong>dans</strong><br />

toutes <strong>les</strong> situations et le travail le plus délicat, mais qui constitue le cœur <strong>de</strong> la<br />

pratique infirmière, consiste à mobiliser <strong>les</strong> connaissances théoriques dont elle<br />

dispose pour <strong>les</strong> contextualiser et <strong>les</strong> mettre en œuvre <strong>dans</strong> une situation bien<br />

particulière.<br />

C’est ce qui justifie d’ailleurs l’emploi <strong>de</strong>s termes : « compétences infirmières ».<br />

Pour répondre à une situation <strong>de</strong> soin, l’infirmière utilise à chaque fois ses<br />

compétences et sa créativité <strong>dans</strong> leur mobilisation (Le Boterf, 1998). C’est sur cette<br />

46


ase qu’elle engage sa responsabilité.<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Cependant ce travail <strong>de</strong> réflexion cognitive n’est pas <strong>de</strong> tout repos. Il suppose<br />

au préalable d’avoir pris du temps avec le patient et sollicite donc à la fois la<br />

motivation et l’investissement personnel. Il s’avère d’autant plus contraignant s’il<br />

n’est pas porté par le collectif. Dans la réalité, <strong>les</strong> soignants ont souvent l’impression<br />

<strong>de</strong> négliger cette compétence par manque <strong>de</strong> temps. Comment vivre alors cet<br />

écart entre l’idéal et la réalité ? Comment gérer <strong>les</strong> sentiments d’insatisfaction et <strong>de</strong><br />

culpabilité qui découlent <strong>de</strong> n’avoir pas répondu idéalement à toutes <strong>les</strong> situations ?<br />

Le malaise n’est pas qu’une impression. Témoins <strong>de</strong> différentes réalités qui<br />

dévoilent toujours à nouveau <strong>de</strong>s situations dont <strong>les</strong> conséquences dramatiques sont<br />

dues à <strong>de</strong>s négligences professionnel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> soignants vivent le malaise comme une<br />

réalité bien présente sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> pratique où, si l’on s’en réfère à Bouvet et<br />

Sauvaige (2005) :<br />

L’i<strong>de</strong>ntité infirmière est mise en danger par l’écart existant entre l’idéal<br />

éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et la possibilité <strong>de</strong> le mettre en pratique ;<br />

Les conditions du contexte hospitalier, <strong>les</strong> difficultés inhérentes à toute<br />

relation et une interprétation erronée du <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> « prise en charge<br />

globale » <strong>de</strong> la personne soignée vont à l’encontre <strong>de</strong> l’idéal éthique <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> qui place le sujet mala<strong>de</strong> et le respect <strong>de</strong> sa dignité et <strong>de</strong> son<br />

autonomie au centre <strong>de</strong>s préoccupations infirmières ;<br />

Le poids institutionnel et <strong>les</strong> exigences budgétaires interviennent <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

difficultés relationnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s infirmières, tant avec <strong>les</strong> patients qu’avec <strong>les</strong><br />

équipes <strong>de</strong> <strong>soins</strong>…<br />

Il n’est point besoin <strong>de</strong> rallonger la liste <strong>de</strong>s difficultés rencontrées aujourd’hui<br />

par <strong>les</strong> infirmières. La lecture <strong>de</strong>s quotidiens suffit à nous informer <strong>de</strong> leurs<br />

conditions <strong>de</strong> travail. Un quotidien neuchâtelois affichait, en 2010, <strong>dans</strong> un gros titre,<br />

qu’une infirmière doit faire 25 prises <strong>de</strong> sang en 45 minutes <strong>dans</strong> un foyer <strong>de</strong><br />

personnes âgées. Lorsque l’on sait à quel point ces personnes âgées sont diffici<strong>les</strong> à<br />

piquer, <strong>de</strong> par un capital veineux appauvri et vieilli, et que l’on est conscient du<br />

besoin très fort <strong>de</strong> ces personnes <strong>de</strong> parler et d’être écouté, comment ne pas ressentir<br />

la frustration <strong>de</strong>s infirmières à <strong>de</strong>voir « exécuter une tâche à la chaîne », en se<br />

47


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

contentant, le plus souvent, d’un « bonjour » laconique !<br />

Selon notre compréhension <strong>de</strong> la profession, une « qualité fondamentale <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong> <strong>de</strong>vrait permettre <strong>de</strong> reconnaître, <strong>de</strong> confirmer et <strong>de</strong> favoriser la vie<br />

humaine <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s circonstances où elle l’est moins » (Goulet & Dallaire, 2002,<br />

p.82).<br />

« Les soignants reçoivent une formation initiale et continue qui <strong>les</strong><br />

sensibilise <strong>de</strong> plus en plus à l’importance <strong>de</strong> la dimension relationnelle<br />

du soin, en même temps qu’ils sont l’objet <strong>de</strong> pressions visant à<br />

améliorer la productivité <strong>de</strong> leur pratique » (Sirven, 1999, p.40).<br />

Les discours <strong>de</strong>s soignants laissent <strong>de</strong> plus en plus transparaître la frustration<br />

<strong>de</strong> ne pas parvenir à exercer cette relation <strong>de</strong> soin <strong>dans</strong> la profon<strong>de</strong>ur qui lui<br />

appartient. Cette frustration n’est sans doute pas nouvelle, mais sa verbalisation<br />

nettement plus explicite <strong>de</strong>puis quelques années, pousse à croire que le phénomène<br />

s’aggrave <strong>de</strong> manière significative.<br />

Dans le même ordre d’idées, <strong>de</strong>s pratiques actuel<strong>les</strong> consistent à « trier » <strong>les</strong><br />

patients <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services d’urgence. Les <strong>de</strong>grés d’urgence ainsi i<strong>de</strong>ntifiés, <strong>les</strong><br />

patients sont pris en charge plus ou moins rapi<strong>de</strong>ment. Compréhensible sur un plan<br />

d’organisation et d’efficacité, ce procédé n’en est pas moins questionnant sur le plan<br />

humain. En effet, <strong>les</strong> personnes se sentent, pour beaucoup, peu entendues <strong>dans</strong> leur<br />

souffrance, qui si elle ne présente effectivement pas forcément <strong>de</strong> danger vital, n’en<br />

<strong>de</strong>meure pas moins suffisamment gênante ou douloureuse pour justifier leur<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’ai<strong>de</strong>. Les soignants ressentent ces métho<strong>de</strong>s comme une chosification <strong>de</strong><br />

l’humain. En parallèle à cette frustration, c’est également la responsabilité qui pèse<br />

lour<strong>de</strong>ment sur <strong>les</strong> infirmières. Responsabilité <strong>de</strong> prendre <strong>les</strong> bonnes décisions, <strong>de</strong><br />

faire le « tri » adéquat <strong>dans</strong> <strong>les</strong> personnes qui se présentent aux urgences (Schachtel,<br />

2010).<br />

À la charge globale <strong>de</strong> travail s’ajoute également une augmentation <strong>de</strong> la tâche<br />

administrative. La mise en place <strong>de</strong>s procédures a pour objectif d’automatiser le<br />

48


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

déroulement <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et d’en assurer le bon fonctionnement. Mais avec<br />

l’administration, c’est également la charge <strong>de</strong> l’écrit qui a nettement augmenté.<br />

« Une gran<strong>de</strong> partie du travail <strong>de</strong>s infirmières est dévolue à l’organisation, à<br />

la coordination et la gestion <strong>de</strong>s dossiers » (Dubet, 2002, p.208). Ces nouvel<strong>les</strong><br />

tâches, relativement chronophages, prennent sur le temps que l’infirmière consacrait<br />

auparavant à son patient. Les infirmières déplorent <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir se détourner peu à peu<br />

du patient pour accor<strong>de</strong>r leur attention à <strong>de</strong>s aspects administratifs secondaires qui<br />

peuvent absorber leur temps et leur énergie (Sainsaulieu, 2003).<br />

Les infirmières dépen<strong>de</strong>nt plus largement du système économique et <strong>de</strong>s<br />

nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong> management qui émanent, <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> secteurs, <strong>de</strong> la nouvelle<br />

gouvernance.<br />

« Les contraintes financières externes <strong>de</strong> contrôle <strong>de</strong>s dépenses <strong>de</strong> santé<br />

se font <strong>de</strong> plus en plus pesantes et <strong>les</strong> acteurs ont tendanc e à opposer<br />

une logique <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong>, centrée sur la définition <strong>de</strong>s protoco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong>,<br />

à une logique « comptable » d’autant plus présente que l’État intervient<br />

<strong>de</strong> plus en plus directement » (Dubet, 2002, p.209).<br />

Des mécanismes <strong>de</strong> marché sont introduits <strong>dans</strong> <strong>les</strong> dispositifs publics. Cela se<br />

traduit par un rationnement, une privatisation marginale <strong>de</strong> certaines activités, et<br />

<strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas par une décentralisation <strong>de</strong>s décisions. Pour comprendre cette<br />

réalité institutionnelle, il est important <strong>de</strong> rappeler certaines caractéristiques<br />

particulières à ces formes <strong>de</strong> management ainsi que leurs impacts sur <strong>les</strong><br />

professionnels, en particulier en termes <strong>de</strong> stress.<br />

2.3 Soins, management et nécessité éthique<br />

Les différents paramètres qui pèsent sur le travail <strong>de</strong>s soignants (nouvel<strong>les</strong><br />

formes d’organisation du travail, injonction à la rapidité et à la flexibilité, écarts<br />

grandissants entre travail prescrit et travail réel, encouragement à la performance…)<br />

sont autant <strong>de</strong> résultats <strong>de</strong> modifications plus profon<strong>de</strong>s opérées sur le système<br />

49


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

sociétal lui-même. Le stress, très fréquent chez <strong>les</strong> soignants, est <strong>de</strong>venu une forme<br />

<strong>de</strong> langage par lequel <strong>les</strong> personnes expriment leur malaise (Buscatto et al., 2008).<br />

L’approche sociologique permet d’observer l’inci<strong>de</strong>nce sur la santé psychique<br />

d’une évolution <strong>de</strong> la normativité contemporaine d’une part, ainsi que <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong><br />

formes <strong>de</strong> domination et <strong>de</strong> l’organisation du travail qui en découlent d’autre part<br />

(Erbes-Seguin, 2004).<br />

Le mon<strong>de</strong> du travail est soumis, <strong>de</strong>puis quelques années, à <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong><br />

exigences normatives. La mise en exergue <strong>de</strong> l’individualité s’accompagne d’une<br />

valorisation <strong>de</strong> concepts tels l’autonomie, la responsabilité et l’engagement<br />

individuel (Otero, 2005). Les règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> conduite, formel<strong>les</strong> et informel<strong>les</strong>, qui<br />

émanent <strong>de</strong> ces phénomènes, et qui sont autant <strong>de</strong> dispositifs exerçant un réel<br />

pouvoir sur <strong>les</strong> individus, constituent une norme sociale incontournable. Pour autant,<br />

l’adaptation est loin d’être simple car l’individu est placé face à <strong>de</strong>s objectifs<br />

hétérogènes, voire parfois antinomiques. Les soignants interviennent <strong>dans</strong> trois<br />

mon<strong>de</strong>s simultanés que sont le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la compétence et <strong>de</strong>s techniques<br />

professionnel<strong>les</strong> ; le mon<strong>de</strong> subjectif, c’est-à-dire celui <strong>de</strong> la relation (en équipe et<br />

avec <strong>les</strong> patients) ; ainsi que le mon<strong>de</strong> social <strong>de</strong> l’organisation et <strong>de</strong> l’administration<br />

(avec la gestion du travail, <strong>de</strong>s stocks…). Cette tridimensionnalité permanente, <strong>dans</strong><br />

une double hiérarchie à la fois verticale et horizontale, et dont <strong>les</strong> composantes<br />

obéissent à <strong>de</strong>s critères spécifiques, conduit <strong>les</strong> infirmières à <strong>de</strong>s postures<br />

acrobatiques scabreuses (Dubet, 2002).<br />

La valorisation <strong>de</strong> l’autonomie <strong>dans</strong> le processus normatif contemporain<br />

s’accompagne d’une injonction à l’implication en vue d’une rentabilité maximale.<br />

Selon Boltanski et Chiappelo (1999), un changement majeur s’est opéré <strong>de</strong>puis la fin<br />

<strong>de</strong>s années soixante-dix puisque cet objectif <strong>de</strong> rentabilité est dorénavant présenté<br />

comme corrélé à l’épanouissement personnel. De fait, la décollectivisation du travail<br />

et l’individualisation a vu le jour à la fin <strong>de</strong>s années soixante-dix et poursuit à présent<br />

<strong>de</strong>ux objectifs : celui d’une « tentative d’inféodation <strong>de</strong> la subjectivité <strong>de</strong>s travailleurs<br />

à la seule cause <strong>de</strong> l’entreprise » (Clot & Lhuilier, 2010, p.120), et l’utilisation <strong>de</strong> la<br />

pression narcissique qui pousse <strong>les</strong> individus à vouloir se dépasser et dépasser leurs<br />

50


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

collègues (Clot & Lhuilier, 2010). Ce sont là <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong> domination qui<br />

sont apparues au fil du temps.<br />

La performance, poussée par l’ambition professionnelle, <strong>de</strong>vient une part<br />

constitutive fondamentale <strong>de</strong> l’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire. L’affect et <strong>les</strong> émotions sont<br />

mises en jeu pour atteindre un épanouissement personnel qui doit lier du mieux<br />

possible le besoin <strong>de</strong> reconnaissance avec <strong>les</strong> contraintes <strong>de</strong> la pratique, sous la<br />

menace constante <strong>de</strong> la souffrance (Ehrenberg, 2010). L’individu qui ne réussit pas à<br />

entrer <strong>dans</strong> le moule prescrit <strong>de</strong> la performance et <strong>de</strong> l’atteinte <strong>de</strong>s objectifs se perçoit<br />

comme incompétent et perd confiance en lui (Modak & Messant, 2005). Il se trouve<br />

fragilisé et sa vulnérabilité est d’autant plus gran<strong>de</strong> que, par cette même<br />

émancipation vers l’autonomie, il s’est coupé <strong>de</strong> ses référents i<strong>de</strong>ntitaires fiab<strong>les</strong><br />

(Ehrenberg, 1991), et ne dispose pas d’indicateurs tiers témoignant <strong>de</strong> sa performance<br />

réelle (Loriol, 2000).<br />

Par ailleurs, le mon<strong>de</strong> du travail est également marqué par un autre<br />

phénomène : le processus <strong>de</strong> psychologisation <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> socialisation (Otero,<br />

2003). Dans une visée d’implication maximale, le pouvoir managérial tente d’investir<br />

<strong>les</strong> désirs <strong>de</strong>s individus, tout autant que leur capacité physique en faisant <strong>de</strong>s<br />

objectifs <strong>de</strong> l’entreprise <strong>de</strong>s objectifs personnels, franchissant ainsi la frontière du<br />

public au privé. La flexibilité maximale est attendue <strong>de</strong>s infirmières, flexibilité<br />

doublée d’une capacité d’adaptation à toutes <strong>les</strong> exigences requises digne du<br />

caméléon. On attend d’elle un esprit d’initiative et d’imagination, une prise<br />

d’autonomie… L’incitation grandissante à la prise <strong>de</strong> responsabilité, enserrée <strong>dans</strong><br />

un carcan plus ou moins visible d’obligations informel<strong>les</strong>, est légitimée par le cadre<br />

légal du contrat <strong>de</strong> travail, sans pour autant que soient présents <strong>les</strong> « repères<br />

externes » permettant <strong>de</strong> l’assumer pleinement (Modak & Messant, 2005, p.19).<br />

Les compétences attendues <strong>de</strong>s individus sont donc multip<strong>les</strong> et ne renvoient<br />

plus uniquement à la sphère technique mais aux compétences personnel<strong>les</strong> et<br />

psychologiques qui mettent en jeu la personnalité, et obligent l’individu à effectuer<br />

un travail introspectif considérable. La réflexivité <strong>de</strong>vient un mot clé mais qui<br />

enferme la personne sur elle-même. Par le biais <strong>de</strong> la responsabilisation, <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong><br />

formes <strong>de</strong> domination mises en place par <strong>les</strong> structures managéria<strong>les</strong> permettent <strong>de</strong><br />

51


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

maintenir pleinement l’investissement personnel (Martucelli, 2005) sous couvert<br />

d’une gestion prétendument participative. Cette domination ne joue pas sur<br />

l’assujettissement mais sur le principe <strong>de</strong> responsabilisation qui engage l’implication<br />

<strong>de</strong> l’individu, <strong>de</strong>venu acteur responsable <strong>de</strong> tout ce qu’il entreprend, et également <strong>de</strong><br />

la manière dont il vit cela. La domination utilise différents outils tels que l’injonction,<br />

par exemple. Celle-ci s’appuie sur <strong>de</strong>s prescriptions et invite l’individu à une<br />

obéissance doublée d’un esprit critique et réflexif, en vue <strong>de</strong> sa propre amélioration<br />

(Martucelli, 2004). L’autonomie, la responsabilisation, la flexibilité… ne sont alors<br />

que <strong>de</strong>s moyens pour répondre à cette injonction constante <strong>de</strong> dépassement <strong>de</strong> soi et<br />

<strong>de</strong> performance dont <strong>les</strong> limites ne sont jamais clairement définies, si ce n’est <strong>dans</strong> le<br />

lieu même <strong>de</strong> la subjectivité. Cette absence <strong>de</strong> limites contribue à nourrir un idéal,<br />

mais un idéal flou d’une performance toujours supérieure et qui conduit à ce que<br />

Loriol nomme « l’idéalisation <strong>de</strong>s résultats escomptés <strong>de</strong> son travail » (2000),<br />

idéal dont l’inaccessibilité est parfois lour<strong>de</strong> <strong>de</strong> conséquences en termes <strong>de</strong> santé<br />

mentale.<br />

Martucelli (2004) cite ensuite la dévolution au même titre que l’injonction<br />

comme mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> domination. Celle-ci reposerait sur une « implosion du sujet »<br />

<strong>de</strong>vant l’écart impossible à franchir entre <strong>les</strong> contraintes imposées et l’injonction à<br />

<strong>de</strong>venir sujet pleinement responsable. De type conséquentialiste, la dévolution place<br />

l’individu face aux conséquences <strong>de</strong> ses actes dont il est entièrement responsable et<br />

qui constitue le seul critère retenu pour juger <strong>de</strong> l’efficacité <strong>de</strong> son action. Selon ce<br />

postulat, on <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à l’acteur <strong>de</strong> trouver <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> s’adapter aux contraintes et<br />

aux exigences du mon<strong>de</strong> du travail, ce qui génère une individualisation <strong>de</strong>s<br />

problèmes <strong>de</strong> santé mentale. Ce faisant, l’organisation et ses possib<strong>les</strong> défaillances,<br />

<strong>de</strong> même que <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail éventuellement pathogènes ne sont pas<br />

remises en cause (Loriol, 2003). Le stress <strong>de</strong>s soignants est ainsi considéré comme un<br />

problème individuel et non institutionnel (Chanlat, 2003). Cette psychologisation du<br />

stress tend à masquer <strong>de</strong>s causes plus collectives, liées aux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> management et<br />

d’organisation par exemple (Clot, 2010), et n’interpelle pas la construction sociale <strong>de</strong>s<br />

formes <strong>de</strong> domination.<br />

52


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Le stress reste un sujet relativement tabou au sein <strong>de</strong> l’entreprise comme <strong>de</strong>s<br />

hôpitaux. D’un côté par la culpabilisation nourrie, engendrée par le sentiment <strong>de</strong><br />

défaillance personnelle, et d’un autre côté parce que le stress est présenté comme la<br />

conséquence logique <strong>de</strong> l’implication personnelle et <strong>de</strong> l’investissement total. De ce<br />

fait, il semble le gage nécessaire <strong>de</strong> la réussite. Un cadre infirmier qui ne s’avouerait<br />

pas régulièrement stressé, serait sans doute regardé avec suspicion.<br />

Des étu<strong>de</strong>s récentes, menées <strong>dans</strong> d’autres secteurs d’activités, démontrent que<br />

<strong>les</strong> pathologies découlant du stress sont très largement liées aux nouveaux<br />

mécanismes <strong>de</strong> gestion <strong>de</strong>s organisations mis en place (De Gaulejac, 2005; Dejours,<br />

2008; Pfeffer & Sutton, 2007) et que le secteur public est très fortement touché par ces<br />

phénomènes <strong>de</strong> dégradation <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong> ses collaboratrices et collaborateurs. Selon<br />

certaines statistiques, 30% <strong>de</strong>s soignants seraient atteints <strong>de</strong> pathologies menta<strong>les</strong><br />

graves liées au stress. Cette réalité interpelle.<br />

La responsabilité que doivent endosser <strong>les</strong> soignants, mais aussi déjà <strong>les</strong><br />

étudiants, est toujours plus importante, alors même que <strong>les</strong> aspects <strong>les</strong> plus<br />

gratifiants <strong>de</strong> la profession, <strong>les</strong> échanges avec le patient, sont réduits à une peau <strong>de</strong><br />

chagrin par manque <strong>de</strong> temps.<br />

Leurs idéaux sont souvent sacrifiés sur l’autel <strong>de</strong>s restrictions budgétaires et <strong>les</strong><br />

soignants ont le sentiment d’exercer leur métier en parant toujours au plus pressé. Ils<br />

déplorent le peu d’attention portée aux patients. Mais on peut alors poser la question<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières : le temps est-il vraiment totalement insuffisant ? Ou bien <strong>les</strong><br />

idéaux sont-ils trop élevés ? L’éthique ne permettrait-elle pas, en tant qu’elle est<br />

inhérente à toute relation humaine, <strong>de</strong> poser un cadre à la relation, <strong>de</strong> lui garantir un<br />

minimum d’humanité, en même temps qu’elle confèrerait au soignant une assurance<br />

sur ses <strong>soins</strong>, pour autant qu’ils soient inscrits à l’intérieur d’un « espace éthique »<br />

clairement défini ? Toute action éthique trouve son fon<strong>de</strong>ment <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong><br />

reconnaître l’importance <strong>de</strong> l’individu <strong>dans</strong> son humanité, quel qu’il soit, aussi bien<br />

le patient que le soignant. Dès lors, comment l’éthique peut-elle gui<strong>de</strong>r le soignant et<br />

le soutenir <strong>dans</strong> sa prise en soin ?<br />

Face aux réalités économiques et socia<strong>les</strong>, il est bien sûr <strong>de</strong>s domaines où nous<br />

53


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

n’aurons pas ou très peu d’influence. Les questions budgétaires resteront le plus<br />

souvent en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> notre champ <strong>de</strong> compétences. Néanmoins il nous est<br />

certainement possible d’envisager <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fonctionnement, <strong>de</strong> regard sur la<br />

réalité qui nous permettraient <strong>de</strong> mieux vivre, en étant en adéquation avec nos<br />

valeurs et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> nos contemporains.<br />

C’est chaque professionnel qui se voit interpellé en son âme et conscience sur<br />

ses valeurs et la manière dont il veut s’engager ou non <strong>dans</strong> sa profession. En ce sens<br />

nous pouvons rejoindre le postulat <strong>de</strong> Bouvet & Sauvaige (2005) selon lequel<br />

l’éthique, comme espace <strong>de</strong> réflexion et d’introspection pourrait constituer un<br />

élément <strong>de</strong> réponse au malaise <strong>de</strong> la profession infirmière.<br />

L’éthique confère à la rencontre soignante toute son humanité et c’est sur elle<br />

que s’appuie la conscience du professionnel. Elle constitue donc un élément à la fois<br />

central <strong>de</strong> par son importance, mais également un aspect transversal car présent <strong>dans</strong><br />

tous <strong>les</strong> domaines du soin, au travers <strong>de</strong> ses composantes axiologiques.<br />

Pour examiner cette question <strong>de</strong> manière plus précise, il est nécessaire <strong>de</strong><br />

s’arrêter quelques instants sur cette notion d’éthique, une notion complexe, souvent<br />

difficile à définir.<br />

54


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la relation du patient au soignant, mais aussi du soignant à son rôle<br />

professionnel. Pas un seul domaine <strong>de</strong> ces relations ne saurait lui échapper. Il s’agira<br />

d’avoir conscience <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux niveaux lorsque l’on parle d’éthique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>.<br />

Mais comment comprendre réellement le contenu sémantique qui se cache sous<br />

ce terme, longuement façonné par l’histoire et l’évolution <strong>de</strong> la société ?<br />

Pour ce faire, il paraît indispensable <strong>de</strong> faire un détour par l’histoire qui éclaire<br />

en partie cette notion et l’évolution qu’elle a connue <strong>dans</strong> <strong>les</strong> courants <strong>de</strong> pensée.<br />

3.1 Éthique et histoire<br />

Tout comme l’histoire <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, l’histoire <strong>de</strong> l’éthique n’est pas récente.<br />

Des écrits tels que L’Éthique à Nicomaque d’Aristote attestent que cette<br />

notion est présente déjà <strong>dans</strong> l’Antiquité. Par la suite cette notion a été mo<strong>de</strong>lée, au fil<br />

du temps, par différents mouvements philosophiques et religieux. Cette influence<br />

multifactorielle explique aussi la relation étroite, parfois confondue, avec la notion <strong>de</strong><br />

morale. L’histoire nous donne un éclairage diachronique essentiel pour savoir ce que<br />

l’homme contemporain entend aujourd’hui par le terme « éthique ».<br />

D’un point <strong>de</strong> vue purement étymologique, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux termes « morale » et<br />

« éthique » ont une signification i<strong>de</strong>ntique. L’un trouve ses origines <strong>dans</strong> la langue<br />

latine : morale : <strong>de</strong> l’adjectif latin moralis, lui-même dérivé <strong>de</strong> mores, « <strong>les</strong> mœurs »,<br />

tandis que le second est d’origine grecque, éthos et recouvre à peu près le même<br />

sens : « coutume, mœurs, habitu<strong>de</strong> ». Aristote a mis en évi<strong>de</strong>nce l’importance <strong>de</strong><br />

l’habitu<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong>s qualités éthiques <strong>de</strong> la personne. On trouve<br />

cependant en grec l’homonyme êthos qui signifie « séjour habituel, habitat,<br />

<strong>de</strong>meure <strong>de</strong>s animaux » (Blon<strong>de</strong>au, 1986, p.5).<br />

Si donc <strong>les</strong> termes grecs et latins ont au départ une signification i<strong>de</strong>ntique, leur<br />

usage et leur portée sémantique vont prendre une dimension différente au cours <strong>de</strong><br />

l’histoire. Pour Hegel, par exemple, l’éthique se rapporte à l’organisation objective<br />

<strong>de</strong>s rapports sociaux, alors que la morale énonce <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> l’agir individuel et<br />

concerne donc l’intention subjective (Hegel, 1941, p.43).<br />

56


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Parler d’éthique, c’est parler <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> vivre et d’agir, <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

conduite qui forgent et forment le caractère d’une personne. L’éthique ne renvoie pas<br />

en premier lieu à <strong>de</strong>s co<strong>de</strong>s abstraits, à <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> théoriques, mais à du concret<br />

tangible, donc au caractère visible, digne d’éloge et <strong>de</strong> blâme, d’une personne en<br />

chair et en os. Elle émane <strong>de</strong> ce que <strong>les</strong> premiers philosophes ont appelé « la vertu »,<br />

considérée comme la manière « bonne » d’agir. En parlant du caractère, nous<br />

n’entendons pas celui donné par la nature, mais le caractère comme produit d’une<br />

certaine habitu<strong>de</strong> pratiquée <strong>dans</strong> le vécu <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> jours.<br />

L’éthique, tout comme la morale, est à la base une façon <strong>de</strong> voir et <strong>de</strong> penser le<br />

mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> scruter la vie, <strong>de</strong> réfléchir sur ses pensées et ses actes. Dans la mesure où<br />

elle nécessite effectivement une réflexion, il est impossible <strong>de</strong> la dissocier <strong>de</strong> la<br />

philosophie sans la priver <strong>de</strong> sa substantifique moelle. Depuis <strong>de</strong> nombreux sièc<strong>les</strong>,<br />

<strong>les</strong> philosophes cherchent à son<strong>de</strong>r <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> l’action humaine, le fon<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong>s valeurs, conscients que rien ne peut dispenser <strong>de</strong> rechercher l’absolu, c’est-à-dire<br />

ce qui existe universellement pour tout homme et non pas seulement pour un sujet<br />

particulier, ni même pour sa collectivité ou sa société.<br />

Déjà Socrate, mis en scène par Platon, se pose la question avec Ménon <strong>de</strong> savoir<br />

si la vertu, l’objet premier du dialogue, s’enseigne, donc si elle est réellement le<br />

produit <strong>de</strong> la connaissance. Les thèses fina<strong>les</strong> ne nous disent pas que la vertu est<br />

connaissance, même si cette connaissance est reconnue nécessaire. À la fin du<br />

discours, nous nous trouvons simplement face à une double conclusion : « la vertu<br />

ne saurait ni venir par nature ni s’enseigner, mais elle serait présente comme<br />

une faveur divine » (Platon, 1993, 99e).<br />

Platon insiste néanmoins sur le rôle <strong>de</strong> l’éducation <strong>dans</strong> le développement <strong>de</strong> la<br />

vertu :<br />

« Ce que <strong>les</strong> enfants connaissent tout d’abord <strong>de</strong> la vertu relève donc,<br />

selon moi, <strong>de</strong> l’éducation ; si le plaisir, l’amitié, la peine et la haine<br />

surgissent correctement <strong>dans</strong> leur âme, alors q u’ils sont encore<br />

incapab<strong>les</strong> d’en avoir la notion, et si, une fois la notion acquise, <strong>les</strong><br />

sensations s’accor<strong>de</strong>nt avec elle pour reconnaître qu’el<strong>les</strong> ont été<br />

57


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

correctement habituées à suivre <strong>les</strong> habitu<strong>de</strong>s qui conviennent, cet<br />

accord, <strong>dans</strong> son ensemble, est la vertu ; mais la partie <strong>de</strong> cet accord qui<br />

fait l’objet d’une discipline correcte <strong>de</strong>s plaisirs et <strong>de</strong>s peines <strong>de</strong>stinée à<br />

faire haïr ce qu’il faut haïr <strong>de</strong>puis le tout début jusqu’à la fin <strong>de</strong><br />

l’existence, et chérir ce qu’il faut chérir, voilà justement l’élément<br />

auquel j’applique le terme d’éducation après en avoir isolé la notion, -<br />

et ce serait, à mon avis, une définition correcte » (Platon : Les Lois,<br />

653b-c).<br />

Platon nous conduit à réfléchir sur le rôle <strong>de</strong> l’éducation comme révélateur <strong>de</strong>s<br />

notions <strong>de</strong> bien et <strong>de</strong> mal. Cependant le philosophe souligne également l’importance<br />

<strong>de</strong> la formation initiale, avant même l’âge <strong>de</strong> raison. La pensée morale est donc aussi<br />

l’affaire <strong>de</strong>s parents et <strong>de</strong> la société <strong>dans</strong> son ensemble. Cette sagesse qui est le but<br />

ultime ne saurait être uniquement le fruit d’un enseignement.<br />

Pour Aristote, le but ultime <strong>de</strong> l’éthique, c’est le bonheur. Mais un bonheur qui<br />

se réalise <strong>dans</strong> l’œuvre et <strong>dans</strong> l’œuvre bonne, donc vertueuse.<br />

C’est surtout <strong>dans</strong> l’acte que l’on trouve la vertu. C’est en commettant <strong>de</strong>s actes<br />

justes que l’on <strong>de</strong>vient juste. Or si nous nous rappelons <strong>les</strong> origines du mot<br />

« morale », l’un <strong>de</strong>s premiers sens est effectivement « l’habitu<strong>de</strong> ». C’est par le moyen<br />

<strong>de</strong> l’habitu<strong>de</strong> que la personne bénéficie d’une formation morale. Ainsi, pour Aristote,<br />

cela signifierait que la vertu ne s’enseigne pas réellement, mais que l’on s’y habitue<br />

(Fuchs, 1996).<br />

La vertu par excellence, c’est pour Aristote la pru<strong>de</strong>nce (phronésis) que l’on<br />

traduit souvent par « sagacité » pour éviter <strong>de</strong> confondre le terme avec la connotation<br />

sémantique mo<strong>de</strong>rne du mot « pru<strong>de</strong>nce ».<br />

Chez Aristote, on pourrait résumer la notion <strong>de</strong> vertu éthique comme étant l’art<br />

<strong>de</strong> « trouver le juste milieu », d’après le terme grec difficile à traduire mésotès :<br />

« [5] Ainsi, quiconque s’y connaît fuit alors l’excès et le défaut. Il<br />

cherche au contraire le milieu et c’est lui qu’il prend pour objectif. E t<br />

ce milieu n’est pas celui <strong>de</strong> la chose, mais celui qui se détermine<br />

58


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

relativement à nous. Dès lors, si c’est ainsi que toute connaissance<br />

réussit à remplir son office en gardant en vue le milieu et en œuvrant<br />

<strong>dans</strong> sa direction (…) et si <strong>de</strong> leur côté, <strong>les</strong> bons artisans, comme nous<br />

le disons, l’ont en point <strong>de</strong> mire lorsqu’ils travaillent, mais que la vertu,<br />

comme la nature, surclasse toute forme d’art en rigueur et en valeur,<br />

[15] alors la vertu est propre à faire viser le milieu » (Aristote, 2004, 1140<br />

a 25, note n°2 <strong>de</strong> l’auteur du commentaire).<br />

De cette conception aristotélicienne, nous retiendrons une définition possible <strong>de</strong><br />

la vertu. Ce pourrait être une disposition à agir d’une façon délibérée, par rapport à<br />

un juste milieu relatif à nous, lequel est déterminé par la raison.<br />

Les réflexions éthiques autour <strong>de</strong> grands dilemmes, que l’on trouve à pléthore<br />

<strong>dans</strong> notre société occi<strong>de</strong>ntale marquée par <strong>les</strong> progrès technologiques, médicaux et<br />

l’évolution <strong>de</strong>s rapports sociétaux, nous confrontent très directement à cette dualité<br />

entre <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> bien et <strong>de</strong> mal. C’est à mi-chemin entre ces <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> que<br />

l’équilibre du juste milieu doit trouver sa place. Il est sans cesse à redéfinir, cherchant<br />

à découvrir la moins mauvaise solution.<br />

L’éthique telle qu’elle est pensée par Aristote a ceci <strong>de</strong> très révolutionnaire<br />

qu’elle se soucie <strong>de</strong> partir d’une réalité concrète, basée sur l’expérience, pour essayer<br />

<strong>de</strong> comprendre l’homme <strong>dans</strong> sa nature et son <strong>de</strong>venir. Avec lui, on s’éloigne <strong>de</strong> la<br />

seule visée contemplative <strong>de</strong> la sagesse pour vivre la vertu <strong>dans</strong> la réalité citoyenne,<br />

vertu cultivée par l’éducation et la persévérance.<br />

Nous opérons donc un déplacement <strong>de</strong> ce qui est un idéal contemplatif à une<br />

éthique beaucoup plus proche <strong>de</strong> la nôtre qui comporte une dimension tout à fait<br />

pratique. La vertu n’est plus seulement une qualité <strong>de</strong> l’âme mais s’inscrit <strong>dans</strong> un<br />

comportement <strong>de</strong> citoyen. En ce sens, elle rejoint notre conception <strong>de</strong> l’éthique<br />

organisée autour <strong>de</strong>s différents principes (bienfaisance, responsabilité…).<br />

Nous cherchons le « juste milieu » à l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> notre raison, étant disposés par<br />

l’habitu<strong>de</strong>. Or <strong>dans</strong> cette notion d’habitu<strong>de</strong> nous constatons que la formation a un<br />

rôle important à jouer. En effet, l’habitu<strong>de</strong> est favorisée par une formation morale qui<br />

est à même <strong>de</strong> nous ai<strong>de</strong>r à faire <strong>les</strong> bons choix.<br />

59


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

D’autres auteurs <strong>de</strong> la pensée grecque ont en commun avec Aristote <strong>de</strong><br />

s’intéresser avant tout à l’idée du bien suprême en tant qu’idéal digne d’être<br />

poursuivi. La quête du « vrai bonheur » se fait par la raison et se révèle donc<br />

potentiellement accessible par la formation.<br />

Nous constatons que <strong>de</strong>s fondations importantes <strong>de</strong> la pensée éthique actuelle<br />

sont déjà posées à ce sta<strong>de</strong>. Ce souci <strong>de</strong> bien faire est présent <strong>de</strong>puis <strong>les</strong> origines <strong>de</strong><br />

l’homme.<br />

La pensée éthique a ensuite été largement influencée par la pensée chrétienne et<br />

la culture latine dont elle va se nourrir. On parle alors davantage <strong>de</strong> morale que<br />

d’éthique. Ce terme employé <strong>dans</strong> sa version latine, en raison <strong>de</strong> la domination<br />

romaine, prendra assez rapi<strong>de</strong>ment une connotation liée à l’origine qu’on lui donne.<br />

C’est-à-dire qu’il ne s’agit plus d’une notion indépendante. Elle dépend à présent<br />

directement <strong>de</strong> Dieu qui seul est en mesure <strong>de</strong> dire ce qui est « bon ». Ce qui est<br />

désormais au cœur <strong>de</strong> la recherche et <strong>de</strong> la pensée, ce n’est plus le bien suprême en<br />

lui-même, mais c’est le bien au travers <strong>de</strong> Dieu, un Dieu éminemment personnel qui<br />

appelle l’être humain à trouver en lui son accomplissement et son bonheur.<br />

L’aspiration <strong>de</strong> la vie humaine n’a d’autre intérêt que cette relation juste avec Dieu,<br />

<strong>dans</strong> laquelle l’homme accomplit sa vocation. L’homme dispose <strong>de</strong> la raison et<br />

d’autres ressources, mais el<strong>les</strong> ne sont pas aptes à le faire accé<strong>de</strong>r à la totale vérité.<br />

Dans la conception chrétienne apparaît la notion du péché, qui est inconnue <strong>de</strong> la<br />

philosophie antique. Ce péché sépare l’homme <strong>de</strong> Dieu et <strong>de</strong> la connaissance<br />

suprême, seul Dieu peut l’effacer pour rétablir la relation avec sa créature. Ce péché<br />

est aussi l’obstacle qui empêche la morale <strong>de</strong> pouvoir conduire réellement au<br />

bonheur. La soumission à la foi domine : c’est l’intention qui rend l’acte bon, mais<br />

c’est la foi qui rend droite l’intention.<br />

Aux yeux d’Augustin, affirmer que la morale puisse à elle seule conduire au<br />

bonheur est une illusion <strong>de</strong>s stoïciens et penseurs antiques (Marrou, 2003).<br />

La fin du Moyen Âge est marquée par la renaissance intellectuelle avec<br />

plusieurs philosophes dont le platonicien Abélard. Il réhabilite l’idée <strong>de</strong> la<br />

dialectique, <strong>de</strong> la discussion et reprend <strong>de</strong>s thèses platoniciennes. Deux générations<br />

60


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

plus tard. Saint-Thomas d’Aquin profite <strong>de</strong> l’apport <strong>de</strong>s arabes comme Averroès, et<br />

entre autres du travail <strong>de</strong> traduction <strong>de</strong> l’œuvre d’Aristote. Il substitue Aristote à<br />

Platon comme référence autour <strong>de</strong> laquelle va s’organiser la philosophie. Il réhabilite<br />

le rôle <strong>de</strong> la raison, laissée <strong>de</strong> côté <strong>de</strong>puis quelques temps déjà. La philosophie <strong>de</strong><br />

Thomas d’Aquin a ceci <strong>de</strong> novateur qu’elle fait la synthèse entre christianisme et<br />

aristotélisme. En réintégrant avec lui la raison (par opposition à la sole fi<strong>de</strong>), le<br />

christianisme se dote <strong>de</strong>s outils <strong>de</strong> la philosophie pour opérer sur le réel.<br />

réhabilite.<br />

Avec la réhabilitation <strong>de</strong> l’aristotélisme, c’est la raison que Thomas d’Aquin<br />

Thomas d’Aquin a réussi à mettre au service <strong>de</strong> l’Église la force analytique<br />

d’une pensée construite sur le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> cette raison.<br />

La Réforme influence à son tour la notion d’éthique. La morale, considérée alors<br />

comme l’interprétation rigi<strong>de</strong> et légaliste d’une parole divine parfois déformée, est<br />

dénoncée par <strong>les</strong> réformateurs comme étant instrumentalisée par l’église romaine.<br />

Elle est assez rapi<strong>de</strong>ment remplacée à nouveau par le terme d’éthique. Si Luther a<br />

plutôt cherché à distinguer, voire à séparer <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux règnes : spirituel et temporel,<br />

Calvin va tenter <strong>de</strong> <strong>les</strong> réunir et <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’éthique le point <strong>de</strong> jonction. Là où<br />

Luther insiste sur la foi qui est première et ensuite sur l’action qui <strong>de</strong>vrait en<br />

découler, Calvin, lui, met l’accent sur l’action qui découle immanquablement <strong>de</strong> la foi<br />

(Fuchs, 1990).<br />

Le second caractère <strong>de</strong> l’éthique calviniste rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la notion <strong>de</strong><br />

sanctification. Jusqu’alors le croyant <strong>de</strong>vait fournir un effort personnel pour rendre<br />

sa vie semblable à l’idéal du Christ. À l’inverse <strong>de</strong> la morale, l’éthique que prône<br />

Calvin est alors libérée <strong>de</strong> sa vocation <strong>de</strong> perfection, car celle-ci appartient au<br />

domaine <strong>de</strong> la grâce.<br />

Enfin le troisième caractère <strong>de</strong> cette éthique est d’être une éthique <strong>de</strong><br />

responsabilité. La méfiance luthérienne envers <strong>les</strong> bonnes œuvres et son insistance<br />

sur la foi première font qu’il peut exister une sorte d’indifférence face aux<br />

engagements éthiques. Calvin ne considère pas que le croyant doit vivre en ascèse<br />

<strong>dans</strong> un lieu reculé à l’instar <strong>de</strong> nombreuses communautés, mais au contraire être<br />

partie prenante du mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> lequel il évolue et y assumer pleinement son rôle.<br />

61


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

On a donc découvert ici une nouvelle dimension <strong>de</strong> la réflexion : à savoir que le<br />

comportement vertueux n’est pas considéré comme synonyme d’obéissance pure à la<br />

loi divine, mais comme étant le fruit naturel d’une foi qui transforme l’homme.<br />

Parmi <strong>les</strong> philosophes mo<strong>de</strong>rnes nous citerons Emmanuel Kant qui a proposé<br />

l’un <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> <strong>les</strong> plus rigoureux d’une morale rationaliste.<br />

Il ne fon<strong>de</strong> plus la morale sur <strong>de</strong>s principes objectifs naturels, ni sur une<br />

conception métaphysique particulière <strong>de</strong> la finalité humaine à la manière d’Aristote,<br />

mais il ne tombe pas non plus <strong>dans</strong> le subjectivisme et le relativisme, car il se focalise<br />

sur ce qui oblige absolument l’homme. Il ne s’agit pas <strong>de</strong> savoir ce qu’il faut faire,<br />

mais selon quel principe il faut le faire.<br />

En cherchant un principe universalisable <strong>de</strong> la moralité <strong>de</strong>s actions humaines,<br />

Kant acquit la conviction qu’on ne pouvait le trouver <strong>dans</strong> <strong>les</strong> actions el<strong>les</strong>-mêmes,<br />

mais uniquement <strong>dans</strong> la volonté ou l’intention <strong>de</strong> la personne.<br />

Ainsi, par opposition à Aristote et cette vision <strong>de</strong> la morale comme la<br />

« vie bonne» en tant que vécu, Kant défend plus tard la thèse d’une morale qui serait<br />

« vie bonne » en tant que pensée. Nous sommes en présence d’une opposition<br />

flagrante dont nous retrouverons immanquablement <strong>de</strong>s traces <strong>dans</strong> notre<br />

conception actuelle <strong>de</strong> l’éthique. La pensée augustinienne accepte l’idée d’une<br />

prédisposition <strong>de</strong> l’homme à faire le bien. Cette prédisposition ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong> qu’à être<br />

développée et mise en valeur par une éducation adéquate qui relève <strong>de</strong><br />

l’entraînement. C’est l’importance <strong>de</strong> l’habitu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l’agir qui prédomine. En<br />

revanche, pour Kant, la vision du bien n’est pas un acquis inné <strong>de</strong> l’homme. Cette<br />

aptitu<strong>de</strong> au bien doit aussi être le fruit d’une éducation, non pas sous forme d’un<br />

entraînement à l’action, mais être le fruit d’une soumission totale à la raison. Seule<br />

cette même raison sera capable <strong>de</strong> dicter à l’homme ce qui est juste. Il met en avant la<br />

notion <strong>de</strong> l’autonomie <strong>de</strong> la volonté, son pouvoir d’être à elle-même sa propre loi,<br />

d’instituer une législation qui vaille pour tout être raisonnable. Par conséquent, la<br />

formation morale se réalise <strong>dans</strong> l’habitu<strong>de</strong> à user du raisonnement et <strong>dans</strong> la<br />

volonté <strong>de</strong> vouloir agir par <strong>de</strong>voir.<br />

62


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

« Le <strong>de</strong>voir est la nécessité d’agir par respect pour la loi morale.»<br />

(Kant, 1994, p.69).<br />

L’exigence morale se présente à la conscience sous la forme impérative du<br />

<strong>de</strong>voir. C’est le « Tu ne tueras point » <strong>de</strong> la loi mosaïque.<br />

Kant parlera du «sentiment d’un tribunal intérieur, inscrit en l’homme,<br />

<strong>de</strong>vant lequel ses pensées s’accusent ou se disculpent l’une l’autre,<br />

correspond à la conscience morale » (Kant, Métaphysique <strong>de</strong>s mœurs,<br />

Tome 2. Trad. et présenté par A. Renaut, p.243).<br />

Conformément à la notion <strong>de</strong> « désir », l’homme aspire naturellement à<br />

certaines choses plus qu’à d’autres, mais en lui rési<strong>de</strong> une part raisonnable qui lui<br />

permet <strong>de</strong> distinguer ce qui est bien et mal et <strong>de</strong> porter <strong>de</strong>s jugements <strong>de</strong> valeur.<br />

Avec Kant, l’homme est capable <strong>de</strong> réconcilier l’exigence <strong>de</strong> la raison avec ses<br />

convictions personnel<strong>les</strong>, car <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> l’action humaine peuvent être<br />

déterminés <strong>de</strong> façon rationnelle et objective. Cela rend ces principes universels.<br />

Selon Aristote, il y avait une disposition qui <strong>de</strong>mandait une habitu<strong>de</strong>. Pour<br />

Kant, c’est la raison qui est le passage obligé. Il s’appuie sur le « je pense » <strong>de</strong><br />

Descartes pour souligner le libre-arbitre et l’autonomie <strong>de</strong> la personne en matière <strong>de</strong><br />

morale. L’homme doit se donner à lui-même sa propre loi, édictée par sa raison<br />

propre.<br />

L’action est alors considérée comme morale lorsqu’elle entre <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong><br />

cette obéissance à la loi <strong>de</strong> la raison. La loi morale nous comman<strong>de</strong> sans condition,<br />

elle s’impose à la conscience sous la forme impérative du <strong>de</strong>voir. C’est le « tu<br />

dois… » <strong>de</strong> l’impératif catégorique par opposition au « si tu veux …, alors tu<br />

dois… » <strong>de</strong> l’impératif hypothétique. Cet impératif est unique parce qu’il ne se<br />

définit pas par un contenu, une fin particulière, mais par la forme même <strong>de</strong> la loi qui<br />

<strong>de</strong>vient le principe déterminant <strong>de</strong> la volonté : cette forme c’est l’universalité. Si je<br />

peux universaliser la maxime <strong>de</strong> mon action sans me contredire ou contredire la<br />

conception d’une nature humaine où tous <strong>les</strong> hommes feraient comme moi, alors<br />

j’agis par <strong>de</strong>voir (Kant, ibi<strong>de</strong>m).<br />

63


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

La seule fin en soi susceptible <strong>de</strong> déterminer universellement la volonté est la<br />

personne humaine, considérée comme une fin et jamais simplement comme un<br />

moyen. Elle mérite dignité et respect. Ces aspects <strong>de</strong> la morale telle que la définit<br />

Kant sont très présents <strong>dans</strong> <strong>les</strong> débats actuels sur <strong>les</strong> grands sujets éthiques touchant<br />

à notre profession. Cette notion <strong>de</strong> dignité <strong>de</strong> la vie intervient fréquemment <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

décisions qui touchent à la cessation <strong>de</strong> traitements thérapeutiques, parfois<br />

considérés comme abusifs, à l’euthanasie et le droit <strong>de</strong> mourir « <strong>dans</strong> la dignité »,<br />

aux techniques très invasives <strong>de</strong> procréation médicalement assistée et aux limites <strong>de</strong><br />

la réanimation…<br />

Kant désire avant tout conforter la place <strong>de</strong> la raison <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> son<br />

expérience sensible, car c’est elle qui permet à l’homme d’avoir un regard et une<br />

action pertinents sur le mon<strong>de</strong>.<br />

Selon Aristote la raison est présente, au moins <strong>dans</strong> ses prémices, dès le plus<br />

jeune âge, et octroie ainsi la faculté à l’homme <strong>de</strong> rechercher le « juste milieu ». Chez<br />

Kant, l’être humain doit se soumettre entièrement et volontairement à la raison<br />

acquise par l’éducation. Dans la conception kantienne, l’éducation sert à développer<br />

l’obéissance à la raison, alors que, <strong>dans</strong> la conception aristotélicienne, l’éducation ne<br />

vise que le développement <strong>de</strong>s dispositions à faire ce qui est juste, en usant<br />

d’habitu<strong>de</strong>s, c’est-à-dire <strong>de</strong> « disposition acquise par <strong>de</strong>s actes répétés »<br />

(Blon<strong>de</strong>au, 1986).<br />

La formation que propose Kant est davantage <strong>de</strong> nature intellectuelle, tandis<br />

que celle d’Aristote est davantage pratique. Cette différence <strong>dans</strong> la conception<br />

morale a donc <strong>de</strong>s répercussions sur la façon d’envisager l’éthique aujourd’hui, ainsi<br />

que sur la façon dont nous allons envisager son enseignement et son application aux<br />

choses.<br />

Un peu plus tard, Bentham, contemporain <strong>de</strong> Kant, et plus tard Stuart Mill vont<br />

donner une autre orientation au concept d’éthique en faisant du bonheur du plus<br />

grand nombre et <strong>de</strong> l’intérêt commun le principe <strong>de</strong> la moralité. Le calcul <strong>de</strong> la<br />

quantité et <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s plaisirs et l’harmonie entre <strong>les</strong> intérêts individuels et le<br />

bonheur commun constituent <strong>les</strong> seuls critères d’évaluation. À nouveau, nous ne<br />

pouvons manquer <strong>de</strong> souligner cette opposition <strong>dans</strong> la façon d’envisager l’éthique.<br />

64


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Nous sommes passés <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong> responsabilité, telle que Kant la définissait en la<br />

soumettant impérativement au <strong>de</strong>voir, but même <strong>de</strong> l’action, à une éthique<br />

utilitariste qui ne considère l’action que du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> son aboutissement et <strong>de</strong><br />

ses résultats.<br />

C’est l’avancée à grands pas vers l’individualisme qui caractérise notre société<br />

postmo<strong>de</strong>rne et dont nous ne pouvons faire abstraction <strong>dans</strong> notre réflexion sur<br />

l’éthique. Aux tensions inhérentes à la compréhension <strong>de</strong> l’éthique, tensions que<br />

nous avons abordées tout au long <strong>de</strong> ce chapitre, vient à présent se greffer un<br />

élément supplémentaire à savoir la tension entre <strong>les</strong> valeurs et intérêts individuels<br />

<strong>de</strong>s personnes face à l’intérêt du groupe social.<br />

Vers la fin du XIX e et le début du XX e siècle, <strong>les</strong> progrès <strong>de</strong> la science vont avoir<br />

une influence considérable sur la pensée, la société et donc immanquablement aussi<br />

sur l’éthique. Le positivisme d’Auguste Comte a pour but d’opérer une<br />

institutionnalisation radicale <strong>de</strong> la vérité dite scientifique.<br />

Avec Husserl, Hei<strong>de</strong>gger puis Sartre, la personne humaine <strong>de</strong>vient réellement<br />

le sujet qui dit « je » en pensant être pure raison. Elle est donc située en rapport à<br />

quelqu’un qui existe comme individu. Sa tâche est <strong>de</strong> s’élever à cette universalité<br />

pour que tout le mon<strong>de</strong> se reconnaisse <strong>dans</strong> ce « je ». Cette théorie va avoir un impact<br />

important sur la réflexion éthique actuelle, comme nous pouvons le comprendre à<br />

partir <strong>de</strong> cet écrit <strong>de</strong> Sartre :<br />

[35] « si je considère que tel acte est bon, c’est moi qui choisirai <strong>de</strong> dire<br />

que cet acte est bon plutôt que mauvais. […] et pourtant je suis obligé à<br />

chaque instant <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s actes [36] exemplaires. Tout se passe comme<br />

si, pour tout homme, toute l’humanité avait <strong>les</strong> yeux fixés sur ce qu’il<br />

fait et se réglait sur ce qu’il fait. Et chaque homme doit se dire : suis-je<br />

bien celui qui a le droit d’agir <strong>de</strong> telle sorte que l’humanité se règle sur<br />

mes actes ? Et s’il ne se dit pas cela c’est qu’il se masque l’angoisse.<br />

[…]<br />

[37] Et cette sorte d’angoisse qui est celle q ue décrit l’existentialisme,<br />

nous verrons qu’elle s’explique en outre par une responsabilité directe<br />

65


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

vis-à-vis <strong>de</strong>s autres hommes qu’elle engage. Elle n’est pas un ri<strong>de</strong>au qui<br />

nous séparerait <strong>de</strong> l’action, mais elle fait partie <strong>de</strong> l’action même »<br />

(Sartre, 1996, p.35-37).<br />

On entend ici l’écho à Kant qui <strong>de</strong>mandait à l’homme d’agir <strong>dans</strong> l’optique que<br />

ses agissements puissent servir <strong>de</strong> maxime pour toute l’humanité.<br />

Dans cet extrait nous reconnaissons certains traits caractéristiques <strong>de</strong> la pensée<br />

éthique telle que nous la vivons actuellement. L’acte est « bon » si je choisis <strong>de</strong> dire<br />

qu’il est bon <strong>dans</strong> cette situation donnée et avec <strong>les</strong> paramètres dont je dispose. Cela<br />

ne correspond pas à un absolu mais à un jugement effectué par un acte <strong>de</strong> la raison.<br />

Or <strong>les</strong> décisions qui sont prises en conseil d’éthique, par exemple, nous engagent vis-<br />

à-vis <strong>de</strong> l’individu concerné par la situation, mais aussi vis-à-vis <strong>de</strong> l’humanité<br />

entière, étant donné la fonction représentative qui en découle.<br />

Dans <strong>les</strong> pensées influentes, notons cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> Weber avec l’éthique <strong>de</strong> conviction<br />

et l’éthique <strong>de</strong> responsabilité, ainsi que celle d’Habermas avec l’éthique <strong>de</strong> la<br />

discussion. Alors que la conviction ne connaît pas <strong>de</strong> compromis et ne soucie pas<br />

premièrement du résultat <strong>de</strong> ses actes mais <strong>de</strong> ce qui apparaît comme foncièrement<br />

juste selon l’idéal considéré dès le départ, la responsabilité en revanche se centre tout<br />

spécifiquement sur <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> l’action. Il s’ensuit que le sujet doit opérer<br />

<strong>de</strong>s choix et hiérarchiser ses responsabilités par ordre <strong>de</strong> priorité, ce qui peut, <strong>dans</strong><br />

bien <strong>de</strong>s cas, susciter <strong>de</strong>s conflits éthiques internes ou non. L’éthique <strong>de</strong> la discussion<br />

tente, quant à elle, <strong>de</strong> réconcilier <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux autres formes en prêtant à la discussion et<br />

au dialogue une force régulatrice. Les êtres humains étant considérés comme doués<br />

<strong>de</strong> raison, la discussion doit permettre la mise en compétition pacifique <strong>de</strong>s différents<br />

arguments rationnels pour qu’un compromis soit trouvé qui soit acceptable pour<br />

tous. Elle permet donc, <strong>dans</strong> une certaine mesure, <strong>de</strong> respecter <strong>les</strong> convictions <strong>de</strong><br />

chacun, tout en se préoccupant <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong>s actions. Sa difficulté vient du<br />

fait qu’elle affirme la nécessité <strong>de</strong> réfléchir l’argumentation en évinçant toute<br />

composante émotionnelle, ce qui semble très difficilement réalisable, surtout en<br />

matière d’éthique. Ce faisant, elle nie une partie essentielle <strong>de</strong> l’être humain, celle qui<br />

fait <strong>de</strong> lui un être mu par <strong>de</strong>s sentiments (Fortin & Parent, 2004).<br />

66


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Il ne s’agit là que d’un survol <strong>de</strong> la pensée éthique <strong>dans</strong> l’histoire. On pourrait<br />

affirmer sans trop <strong>de</strong> hardiesse que chaque philosophe a eu une influence, plus ou<br />

moins directe, plus ou moins importante, sur la notion <strong>de</strong> morale qui est, par son<br />

essence, au cœur même <strong>de</strong> la vie humaine en ce qu’elle a, comme principale fonction,<br />

la cohésion <strong>de</strong> toute une société (Fortin & Parent, 2004). Ce bref historique permet<br />

toutefois <strong>de</strong> mettre certains aspects en lumière, dont nous retrouvons <strong>de</strong>s influences<br />

directes <strong>dans</strong> la compréhension mo<strong>de</strong>rne <strong>de</strong> l’éthique.<br />

Ainsi l’idée du Bien, qui est d’abord une idée abstraite chez Platon (2002), reliée<br />

à un ordre supérieur, va peu à peu <strong>de</strong>venir une idée concrète avec <strong>de</strong>s répercussions<br />

possib<strong>les</strong> et même souhaitab<strong>les</strong> <strong>dans</strong> la vie quotidienne. Pour une bonne partie <strong>de</strong>s<br />

philosophes, l’éthique nécessite une intervention <strong>de</strong> la raison. C’est l’homme, avec sa<br />

faculté <strong>de</strong> jugement proprement humaine, qui intervient <strong>dans</strong> sa vie personnelle<br />

pour lui donner un sens. La raison est cet outil qui va lui permettre <strong>de</strong> définir ce qui<br />

est bien ou mal. Fort <strong>de</strong> ce jugement, l’homme va adopter la notion <strong>de</strong> responsabilité<br />

et ainsi pouvoir organiser <strong>les</strong> rapports humains en leur donnant un certain équilibre.<br />

Que la vertu soit une recherche du bonheur comme chez Aristote ou un <strong>de</strong>voir<br />

catégorique comme chez Kant, toujours est-il que c’est une valeur centrale <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

relations qui tissent le mon<strong>de</strong> et caractérisent l’humain ! Ainsi nous pouvons<br />

reconnaître avec Aristote que l’être humain est un être politique, c’est-à-dire un<br />

citoyen qui ne peut réaliser pleinement sa capacité humaine que <strong>dans</strong>, et travers la<br />

société.<br />

Cependant nous <strong>de</strong>vons également souligner <strong>les</strong> tensions qui sont apparues<br />

tout au long <strong>de</strong> cette généalogie et sous-ten<strong>de</strong>nt la pensée éthique. Les différentes<br />

conceptions, si el<strong>les</strong> sont compréhensib<strong>les</strong>, n’en comportent pas moins <strong>de</strong>s éléments<br />

constitutifs qui sont inévitablement source <strong>de</strong> conflit. Si l’on considère la vertu<br />

comme une disposition innée ou bien comme une acquisition qui sera le dur labeur<br />

<strong>de</strong> l’obéissance à la raison, et si l’on considère la vertu comme le souverain Bien ou si<br />

l’on ne prend en considération que sa forme utilitaire, il y a <strong>dans</strong> ces conceptions qui<br />

ne sont pas exhaustives presque nécessairement matière à conflit. Ces tensions, voire<br />

parfois ces conflits entre <strong>les</strong> différentes visions <strong>de</strong> la pensée éthique, sont loin d’être<br />

résolues. Il en <strong>de</strong>meure une conflictualité interne inhérente à la notion même<br />

67


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

d’éthique. C’est un constat qui doit donc être pris en compte <strong>dans</strong> la manière dont on<br />

va appréhen<strong>de</strong>r cette notion et, qui plus est, <strong>dans</strong> la manière dont on va la<br />

transmettre.<br />

Il n’en reste pas moins que l’éthique est à la fois une exigence et une valeur très<br />

forte <strong>de</strong> notre condition humaine, puisqu’elle répond à cette vocation première <strong>de</strong><br />

l’être humain, qui est <strong>de</strong> construire et d’entretenir la relation avec ses semblab<strong>les</strong>.<br />

C’est elle qui constitue le terreau <strong>dans</strong> lequel viennent s’épanouir <strong>les</strong> racines d’un<br />

engagement qui se développera <strong>de</strong> manière plus ou moins manifeste <strong>dans</strong> différents<br />

domaines <strong>de</strong> notre vie.<br />

C’est sans doute une raison majeure <strong>de</strong> la place prédominante <strong>de</strong> la notion<br />

d’éthique <strong>dans</strong> notre société mo<strong>de</strong>rne. À la lumière <strong>de</strong> cet historique, il paraît à<br />

présent utile <strong>de</strong> porter nos regards sur la façon dont nos contemporains la perçoivent<br />

et la mettent en pratique.<br />

3.2 I<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’éthique<br />

Nous sommes imprégnés d’une culture qui a vu disparaître <strong>les</strong> grands repères<br />

partagés qui balisaient le chemin <strong>de</strong> la réflexion morale. Nous nous trouvons<br />

confrontés à une pluralité <strong>de</strong> valeurs qui, <strong>dans</strong> l’absolu, sont toutes entendab<strong>les</strong>. Face<br />

à cette somme <strong>de</strong> repères individuels, la responsabilité <strong>de</strong>vient l’affaire où « chacun<br />

est renvoyé à Soi. Et chacun sait que Soi c’est peu » (Lyotard, 1979, p.30). Cette<br />

responsabilité individuelle est source d’incertitu<strong>de</strong> et peut, à juste titre, générer <strong>de</strong>s<br />

angoisses d’autant plus importantes que la profession infirmière met en jeu,<br />

rappelons-le, <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> mort. Pour Samaniego (2003) le relativisme<br />

postmo<strong>de</strong>rne constitue une chance en ce qu’il suscite inévitablement une<br />

revalorisation <strong>de</strong> la réflexion éthique. En effet, le relativisme voudrait que toutes <strong>les</strong><br />

valeurs soient éga<strong>les</strong>, mais ce serait ouvrir la porte à <strong>de</strong>s aberrations qui pourraient<br />

nous faire dire au pire, avec Voltaire, qu’à force <strong>de</strong> tolérance, on finit par tolérer<br />

l’intolérable ou au mieux reconnaître que :<br />

« dire que l’on respecte toutes <strong>les</strong> valeurs, veut bien souvent signifier<br />

que toutes <strong>les</strong> valeurs se valent puisqu’aucune valeur ne vaut rien. De<br />

68


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

là à penser que <strong>les</strong> valeurs ne valent rien, il n’y a qu’un pas » (Gruat,<br />

2009, p.6).<br />

Par sa récurrence <strong>dans</strong> <strong>les</strong> tous <strong>les</strong> secteurs <strong>de</strong> la vie courante, le concept<br />

d’éthique en vient à souffrir d’inflation. L’intérêt <strong>de</strong>s domaines <strong>les</strong> plus différents<br />

pour cette notion, donne souvent lieu à pléthore et aboutit à une compréhension aux<br />

contours plus que flous. À en croire Canto-Sperber, c’est le contenu sémantique du<br />

mot qui s’évapore <strong>de</strong>vant l’utilisation galvaudée <strong>de</strong> ce terme :<br />

« Le terme éthique s’est vu progressivement privé <strong>de</strong> son contenu à<br />

force d’être utilisé <strong>de</strong> façon indifférenciée. La nature du référent,<br />

le contenu <strong>de</strong> sens que recouvre le terme éthique, est <strong>de</strong>venu<br />

secondaire, l’essentiel est ce qu’on fait en disant éthique »<br />

(Canto-Sperber, 2002, p.85).<br />

Il est donc nécessaire <strong>de</strong> réfléchir aux différents aspects qui gravitent autour du<br />

concept d’éthique et lui donnent finalement son sens réel. Ce point nécessiterait un<br />

développement bien plus vaste, à la mesure <strong>de</strong> la complexité d’une notion peu<br />

saisissable, sans cesse remo<strong>de</strong>lée et redéfinie à la lumière du contexte <strong>dans</strong> lequel elle<br />

s’insère.<br />

Bien que fort intéressant, cela semble difficilement réalisable ici. Comme je l’ai<br />

déjà mentionné, il faut voir <strong>dans</strong> l’éthique une remise en question <strong>de</strong> nos actes et une<br />

interrogation <strong>de</strong> leurs buts, par-<strong>de</strong>là nos valeurs. Interrogation qui s’accompagne<br />

d’une mise en réflexion sur notre rapport à l’Autre. Nous tenterons donc une brève<br />

définition, avec <strong>les</strong> limites que nous venons d’évoquer.<br />

3.2.1 Définition <strong>de</strong> l’éthique<br />

L’éthique c’est avant tout un choix individuel, entre nos propres conceptions du<br />

bien et du mal. C’est ce qui est estimé comme bon, <strong>dans</strong> l’héritage aristotélicien <strong>de</strong> la<br />

visée téléologique <strong>de</strong> la « vie bonne », mais c’est en même temps, <strong>de</strong> façon plus<br />

pratique, une forme <strong>de</strong> penser la globalité pour arriver à <strong>de</strong>s réponses <strong>les</strong> plus justes<br />

69


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

possib<strong>les</strong>. Dans ce sens, l’éthique se voit conférée une forme procédurale.<br />

P. Ricœur abor<strong>de</strong> à maintes reprises ces <strong>de</strong>ux aspects qu’il voit en tension<br />

constante, entre d’un côté le désir <strong>de</strong> la « vie bonne » au sens d’Aristote, et <strong>de</strong> l’autre<br />

la déontologie d’une morale kantienne qui interdit le mal et prône le juste. Cette<br />

tension est à la fois vivante et productive.<br />

« La sagesse pratique consiste à inventer <strong>les</strong> conduites qui<br />

satisferont au mieux à l’exception que <strong>de</strong>man<strong>de</strong> la sollicitu<strong>de</strong> en<br />

trahissant le moins possible la règle (…). Elle (la sagesse pratique)<br />

consiste (…) à inventer <strong>les</strong> comportements justes appropriés à la<br />

singularité <strong>de</strong>s cas. Mais elle n’est pas pour autant livr ée à<br />

l’arbitraire, (…). Jamais la sagesse pratique ne saurait consentir à<br />

transformer en règle l’exception à la règle » (Ricœur, 1990, p.312-<br />

313).<br />

Ricœur prend ici comme exemple la souffrance du mala<strong>de</strong> en fin <strong>de</strong> vie,<br />

souffrance au nom <strong>de</strong> laquelle on refuserait <strong>de</strong> lui dire la vérité sur sa fin prochaine.<br />

Cet état <strong>de</strong> souffrance ne saurait cependant légitimer la constitution d’une règle à<br />

partir <strong>de</strong> cette exception. Taire la vérité, sous peine <strong>de</strong> faire souffrir, doit rester un<br />

acte singulier <strong>dans</strong> une situation singulière.<br />

Le comportement éthique n’est pas l’obéissance première à une morale,<br />

aujourd’hui fort discréditée par notre société sécularisée. « La vraie morale se<br />

moque <strong>de</strong> la morale » écrivait Pascal. L’éthique est bien plus que la morale, car elle<br />

correspond à cette exigence intérieure qui critique <strong>les</strong> mœurs actuel<strong>les</strong> et tente <strong>de</strong><br />

suivre ce qui est le « bien » à ses yeux.<br />

En tant que réflexion sur la signification d’un agir humain à un moment donné<br />

<strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la société, il n’est pas possible <strong>de</strong> faire une éthique abstraite ni <strong>de</strong> la<br />

décontextualiser. Elle s’inscrit forcément <strong>dans</strong> la situation socio-historique spécifique<br />

qui est la sienne. En cela, elle constitue un moteur <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> l’humanité.<br />

70


3.2.2 Éthique et la responsabilité<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

La responsabilité est étymologiquement issue du latin respon<strong>de</strong>re, « répondre<br />

<strong>de</strong> ». On y retrouve l’idée d’obligation.<br />

« La responsabilité est la juste contrepartie <strong>de</strong> la liberté comme<br />

principe d’action, l’homme n’étant libre que pour autant qu’il assume<br />

<strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> ses actes » (Svandra, 2009b, p.11).<br />

L’éthique constitue la mise en réflexion sur ce qui est à la base <strong>de</strong> l’action,<br />

ce qui la constitue, son but, sa raison d’être et sa responsabilité. Raison et<br />

responsabilité en sont donc <strong>de</strong>s tuteurs indispensab<strong>les</strong> (Misrahi, 1995).<br />

La notion <strong>de</strong> responsabilité peut comporter <strong>de</strong>s nuances <strong>de</strong> compréhension<br />

diverses selon la perspective philosophique que l’on adopte.<br />

Ainsi pour Lévinas, la responsabilité n’est pas issue d’une quelconque<br />

conscience morale en nous, mais s’impose à nous. Elle prend sa source <strong>dans</strong> une<br />

obligation d’ordre éthique. C’est la vulnérabilité <strong>de</strong> l’autre qui m’oblige. Je partage<br />

mon humanité avec tout homme. Et c’est cette humanité qui fon<strong>de</strong> sa dignité et le<br />

respect que je lui dois.<br />

L’être humain est caractérisé par sa capacité relationnelle à l’Autre et la<br />

responsabilité qui lui en incombe.<br />

« Cette assignation à responsabilité déchire <strong>les</strong> formes <strong>de</strong> la généralité<br />

<strong>dans</strong> laquelle mon savoir, ma "connaissance" <strong>de</strong> l’autre homme, "me le<br />

représente" comme semblable, pour me découvrir <strong>dans</strong> le visage du<br />

prochain comme "responsable" <strong>de</strong> lui et, ainsi, comme unique - et élu »<br />

(Lévinas, 1998, p.101).<br />

Les limites <strong>de</strong> la conception kantienne rési<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> le peu <strong>de</strong> prise en<br />

considération <strong>de</strong> la responsabilité individuelle sur le plan <strong>de</strong>s conséquences. Seule<br />

l’intention est prise en compte au détriment <strong>de</strong>s résultats.<br />

71


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Dans le comportement <strong>de</strong> tout homme, il n’y a que <strong>de</strong>s différences <strong>de</strong> <strong>de</strong>grés<br />

<strong>dans</strong> la méchanceté et non <strong>de</strong> nature en soi.<br />

L’homme est libre <strong>de</strong> suivre la loi morale qui s’impose à lui comme un<br />

« tribunal intérieur ». C’est <strong>dans</strong> cette liberté que s’exerce sa responsabilité.<br />

Étant donné que nous ne savons pas si une action et réellement faite par <strong>de</strong>voir,<br />

nous ne pouvons prendre en considération que l’observation <strong>de</strong>s normes mora<strong>les</strong>.<br />

L’une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s interrogations <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne, c’est la question <strong>de</strong><br />

savoir comment agir, <strong>dans</strong> sa vie personnelle et collective. Comment faire le meilleur<br />

choix, le choix réellement éthique ? Notre société vit <strong>dans</strong> le paradoxe du rejet <strong>de</strong>s<br />

repères traditionnels et, <strong>de</strong> l’autre, d’un besoin <strong>de</strong> références. L’éthique prend toute<br />

son envergure à la fois <strong>dans</strong> ce paradoxe et <strong>dans</strong> la conscientisation accrue <strong>de</strong><br />

l’importance <strong>de</strong>s questions publiques, <strong>de</strong> l’importance et <strong>de</strong>s conséquences <strong>de</strong>s<br />

activités humaines.<br />

L’éthique engage à la fois la raison, la liberté et la volonté <strong>de</strong> l’homme. Elle en<br />

appelle à sa responsabilité <strong>dans</strong> ses réflexions comme <strong>dans</strong> ses actes. C’est là que<br />

s’exprime pleinement l’autonomie <strong>de</strong> l’homme, lorsqu’il déci<strong>de</strong> en lui-même, selon<br />

ses propres critères :<br />

« Etre Moi signifie, dès lors, ne pas pouvoir se dérober à sa<br />

responsabilité (…) cette saillie <strong>de</strong> l’ipséité <strong>dans</strong> l’être s’accomplit<br />

comme une turgescence <strong>de</strong> la responsabilité (…). Au lieu d’anéantir le<br />

Moi, la mise en question le rend solidaire d’Autrui d’une façon<br />

incomparable et unique. » (Lévinas, 1994, p.80).<br />

Pour Ricœur la sollicitu<strong>de</strong> implique toujours la responsabilité, ne serait-ce que<br />

par l’intermédiaire du dialogue.<br />

L’éthique est partie prenante <strong>de</strong> l’action. Elle est concrète et correspond à la<br />

conduite à avoir <strong>dans</strong> un cas particulier, une situation singulière. Elle s’apparente par<br />

différents aspects à la casuistique catholique mise au point par <strong>les</strong> jésuites.<br />

Contrairement à la morale, ces réflexions ne sont cependant pas statiques, mais<br />

appelées à une constante évolution, au rythme même <strong>de</strong> la société.<br />

72


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Si l’éthique a aujourd’hui beaucoup plus <strong>de</strong> succès que la morale, c’est qu’elle<br />

répond mieux à une exigence légitime <strong>de</strong> l’homme mo<strong>de</strong>rne qui est <strong>de</strong> conserver sa<br />

liberté et son esprit critique <strong>dans</strong> le choix <strong>de</strong> ses valeurs. Les valeurs, <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />

on retrouve le mot « évaluer », sont, pour l’Éthique d’Aristote, <strong>les</strong> vertus avec le<br />

sens d’excellence <strong>dans</strong> l’agir. Il y a surtout implicitement la notion <strong>de</strong> préférence, ce<br />

qui suppose la liberté et la volonté <strong>de</strong> l’être humain capable <strong>de</strong> mettre un ordre <strong>dans</strong><br />

ses choix et capable aussi d’exercer un jugement moral.<br />

Ricœur considère que la volonté <strong>de</strong> Kant a pris le pas sur le « désir<br />

raisonnable » d’Aristote et se rapproche ainsi plus <strong>de</strong> la loi par la notion du <strong>de</strong>voir,<br />

du « ce qu’il faut faire » (Ricœur, 1990, p.240).<br />

Pour être éthique, l’homme ne peut se contenter <strong>de</strong> sa faculté <strong>de</strong> raisonner. Il<br />

doit y avoir une répercussion <strong>dans</strong> ses actes qui donne à la notion <strong>de</strong> responsabilité<br />

toute sa dimension. La responsabilité commence là où l’homme <strong>de</strong>vient conscient <strong>de</strong><br />

sa prise <strong>de</strong> position et <strong>de</strong>s conséquences éventuel<strong>les</strong>. Ainsi, selon Mueller, il y a<br />

interdépendance entre <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> responsabilité et <strong>de</strong> culpabilité :<br />

« Il importe <strong>de</strong> désimbriquer responsabilité et culpabilité, afin d’établir<br />

la dimension éthique <strong>de</strong> la responsabilité ; mais il faut réfléchir aussi à<br />

leur interdépendance, si l’on ne veut pas réduire la responsabilité à une<br />

simple activité du sujet, alors qu’elle signifie toujours aussi<br />

l’imputation éthique d’une faute possible . » (Mueller, 1999, p.308).<br />

C’est <strong>dans</strong> cette notion même <strong>de</strong> la responsabilité que se joue la réalité<br />

infirmière au quotidien. Pourtant, <strong>de</strong> par <strong>les</strong> contingences liées à la pratique <strong>dans</strong> le<br />

contexte actuel, le spectre menaçant <strong>de</strong> la culpabilité jette une ombre toujours plus<br />

gran<strong>de</strong> sur la responsabilité.<br />

« Seule une éthique peut proposer <strong>de</strong>s contenus et <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments à une<br />

responsabilité professionnelle qui, livrée à elle -même, risquerait <strong>de</strong><br />

favoriser le retour du formalisme et du conventionnalisme, drapés <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> plis <strong>de</strong> "la morale" et <strong>les</strong> replis <strong>de</strong> la bonne conscience . » (Misrahi,<br />

1995, p.76).<br />

73


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Si l’on en croit Jonas, le sentiment <strong>de</strong> culpabilité ne doit pas désinvestir le<br />

soignant <strong>de</strong> sa responsabilité mais au contraire jouer un rôle <strong>de</strong> sentinelle <strong>dans</strong> le<br />

souci <strong>de</strong> l’Autre. Dans ce qu’il nomme « heuristique <strong>de</strong> la peur », Jonas fon<strong>de</strong> la<br />

responsabilité active sur une inquiétu<strong>de</strong> qui se préoccupe du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l’Autre et<br />

sur une « sollicitu<strong>de</strong> reconnue comme un <strong>de</strong>voir, d’un autre être qui, lorsque<br />

sa vulnérabilité est menacée <strong>de</strong>vient un "se faire du souci". » (Jonas, 1990,<br />

p.421).<br />

De la responsabilité qui s’exprime face à une autorité, divine par exemple, on<br />

est passé à une responsabilité induite par le souci <strong>de</strong> l’Autre et sa vulnérabilité<br />

(Svandra, 2008).<br />

Mais cette responsabilité trouve aussi <strong>de</strong>s réponses <strong>dans</strong> le cadre souvent<br />

rassurant du droit et <strong>de</strong> la déontologie.<br />

3.2.3 Éthique, droit et déontologie<br />

Comme nous le rappelle Sirven, l’acte soignant ne naît pas ex nihilo mais<br />

« chaque soin donné s’inscrit <strong>dans</strong> une pluralité <strong>de</strong> cadres qui assurent sa légitimité<br />

et le régulent <strong>dans</strong> le champ social :<br />

« Cadre thérapeutique, spécifique et pluridimensionnel (dimension<br />

technique et relationnelle),<br />

Cadre déontologique, fixant <strong>les</strong> <strong>de</strong>voirs du soignant et garantissant <strong>les</strong><br />

droits du soigné,<br />

Cadre juridique du recours en cas <strong>de</strong> difficulté entre soignant et soigné,<br />

relevant <strong>de</strong> la faute ou <strong>de</strong> l’aléa, susceptible <strong>de</strong> donner lieu à réparation<br />

Cadre, <strong>de</strong> plus en plus évoqué, <strong>de</strong> l’éthique, gar <strong>de</strong>-fou marquant <strong>les</strong><br />

limites. » (Sirven, 1999, p.24).<br />

L’éthique évolue au cœur <strong>de</strong> ces différents cadres mais avec <strong>de</strong>s contours flous<br />

qu’il est parfois difficile <strong>de</strong> distinguer <strong>de</strong>s autres sphères qui gravitent autour d’elle.<br />

Bien souvent, <strong>de</strong>s problèmes que l’on croit être d’ordre éthique relèvent plus<br />

spécifiquement du droit ou <strong>de</strong> la déontologie.<br />

74


3.2.3.1 Éthique et droit<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

La règle <strong>de</strong> droit est une règle <strong>de</strong> conduite <strong>dans</strong> <strong>les</strong> rapports sociaux et toute<br />

règle juridique a pour objet une conduite. Pour Ricœur, la loi ne représente que le<br />

tout <strong>de</strong>rnier niveau du dialogue social.<br />

L’éthique n’a rien d’obligatoire contrairement au droit, même si elle se réfère<br />

aussi à <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> normativité pour éclairer sa réflexion. Les lois sont le produit du<br />

pouvoir d’un état souverain qui rend obligatoire un comportement sous menace <strong>de</strong><br />

sanctions. Ces lois, qui sont normalement le produit <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> la majorité <strong>de</strong>s<br />

citoyens, cherchent à être mora<strong>les</strong> et justes, mais ne le sont jamais totalement et sont<br />

complétées continuellement par la jurispru<strong>de</strong>nce. Celui qui dit que « tout ce qui n’est<br />

pas défendu est permis » nie l’idée <strong>de</strong> morale ou d’éthique.<br />

Le droit fixe <strong>de</strong>s balises nécessaires pour assurer une cohérence aux décisions<br />

médica<strong>les</strong> et une continuité <strong>de</strong>s comportements. L’équité <strong>dans</strong> <strong>les</strong> décisions prises<br />

pour <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s successifs en dépend. Ces repères juridiques ai<strong>de</strong>nt également <strong>les</strong><br />

soignants à apprécier <strong>les</strong> risques qu’ils pourraient être amenés à prendre, comme<br />

membres d’un groupe social qui a défini ses règ<strong>les</strong>, lorsque, sciemment, mais <strong>dans</strong><br />

l’intérêt du mala<strong>de</strong> tel qu’il est alors perçu en conscience, ces règ<strong>les</strong> sont violées.<br />

L’exercice <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine montre quotidiennement que l’éthique ne peut être réduite<br />

à la seule loi.<br />

La loi est nécessaire pour donner <strong>de</strong>s repères mais elle ne peut aucunement se<br />

substituer à la pensée éthique ni à la déontologie.<br />

3.2.3.2 Éthique et déontologie<br />

La déontologie, quant à elle, consiste en un ensemble <strong>de</strong> règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> pratique<br />

professionnelle, proposées par <strong>de</strong>s représentants <strong>de</strong> la profession, qui peuvent être<br />

imposées lorsque l’état a délégué une partie <strong>de</strong> ses pouvoirs à « un ordre<br />

professionnel », tel que l’Ordre <strong>de</strong>s Mé<strong>de</strong>cins par exemple.<br />

La déontologie est élaborée pour une profession pour en déterminer un idéal en<br />

termes <strong>de</strong> compétences et d’éthique. Elle permet <strong>de</strong> placer <strong>de</strong>s balises pour contrôler<br />

le pouvoir parfois très important <strong>de</strong>s soignants vis-à-vis du mala<strong>de</strong>, qui se trouve en<br />

situation <strong>de</strong> vulnérabilité. Elle protège à la fois <strong>les</strong> intérêts individuels et collectifs. Il<br />

75


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

s’agit d’objectifs à atteindre et le questionnement éthique apparaît particulièrement<br />

important <strong>dans</strong> <strong>les</strong> aspects qui échappent à cette obligation déontologique.<br />

La déontologie est largement influencée par la pensée <strong>de</strong> Kant, le défenseur du<br />

« <strong>de</strong>voir » pour qui l’intention est première, au détriment parfois <strong>de</strong> l’acte lui-même.<br />

L’accent est alors mis sur le projet <strong>de</strong> soin et non sur le patient avec sa souffrance.<br />

Le but <strong>de</strong> la déontologie c’est, d’une part, d’obtenir une certaine cohérence à<br />

l’intérieur <strong>de</strong> la même profession pour en garantir l’unité et, d’autre part, <strong>de</strong> forger<br />

une reconnaissance par l’extérieur <strong>de</strong> cette profession pour qu’elle soit reconnue et<br />

valorisée.<br />

Le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> déontologie s’adresse à la conscience et à la bonne volonté du<br />

professionnel, en stipulant ses <strong>de</strong>voirs par rapport à l’exercice <strong>de</strong> son métier. Il<br />

nécessite une connaissance <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong> son langage.<br />

La déontologie est au service d’une corporation, alors que l’éthique est au<br />

service du bien général, même si l’on parle <strong>de</strong> plus en plus « d’éthiques sectoriel<strong>les</strong> »,<br />

comme l’éthique <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine, du travail…<br />

La déontologie se veut être un ensemble <strong>de</strong> normes, <strong>de</strong> principes, <strong>de</strong> règ<strong>les</strong><br />

reconnus par une même profession et lui assurant sa reconnaissance sociétale et sa<br />

crédibilité. Les valeurs et principes que la déontologie a fait siens lient <strong>les</strong> individus<br />

d’une même profession sur un plan moral et <strong>les</strong> appelle à servir <strong>de</strong> modè<strong>les</strong>.<br />

S’il y a <strong>de</strong>s points où éthique et déontologie se rejoignent, il en est d’autres où<br />

el<strong>les</strong> sont en tension, voire même en opposition.<br />

Par exemple, l’infirmière rencontre fréquemment la situation <strong>dans</strong> laquelle un<br />

patient en phase terminale est en proie à d’intenses douleurs. Le principe éthique <strong>de</strong><br />

bénéficience voudrait que l’on injecte <strong>de</strong> la morphine pour soulager ses douleurs. Par<br />

ailleurs, cette injection provoquera très certainement un arrêt respiratoire étant<br />

donné son état présent, ce qui est contraire à la déontologie professionnelle qui<br />

voudrait que le soignant n’abrège en aucun cas <strong>les</strong> jours <strong>de</strong> son patient. Ces pratiques,<br />

dites <strong>de</strong> « sédation terminale » sont fréquentes et génèrent parfois <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong><br />

loyauté chez <strong>les</strong> soignants car ce sont <strong>de</strong>s actes qui pèsent lourd sur la conscience.<br />

Parfois le soignant se retrouve face à une situation où ce qui lui paraît légitime n’est<br />

pas légal.<br />

76


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

C’est <strong>de</strong>vant la complexité grandissante <strong>de</strong> notre société, <strong>de</strong>vant l’avancement<br />

du progrès et la perte <strong>de</strong> l’autorité normative, que l’éthique trouve aujourd’hui toute<br />

sa raison d’être. Cela explique également son omniprésence <strong>dans</strong> <strong>les</strong> domaines <strong>les</strong><br />

plus divers. Elle permet <strong>de</strong> redéfinir <strong>de</strong>s valeurs qui sont mises sur la sellette par<br />

l’évolution actuelle.<br />

Mais avoir un comportement éthique, c’est aussi et surtout avoir l’esprit<br />

critique sur le présent et le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> notre société, c’est exercer son libre-arbitre<br />

avec responsabilité et souci <strong>de</strong> l’Autre.<br />

La gran<strong>de</strong> difficulté <strong>de</strong> l’éthique rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la diversité. La diversité <strong>de</strong>s<br />

raisonnements, <strong>de</strong>s façons <strong>de</strong> penser, <strong>de</strong>s valeurs, qui font que nous sommes<br />

continuellement soumis à l’antinomie <strong>de</strong> la vérité. Devant <strong>les</strong> avis pluriels <strong>de</strong> nos<br />

contemporains, nous trouvons sans cesse <strong>de</strong>s contradictions <strong>dans</strong> une même<br />

proposition que l’on peut croire juste.<br />

L’éthique doit donc prendre en compte cette pluralité <strong>de</strong> pensée qui caractérise<br />

la pensée contemporaine pour redéfinir toujours à nouveau ses principes<br />

axiologiques.<br />

Elle a la très vaste ambition, <strong>de</strong> vouloir :<br />

« Reconstruire tous <strong>les</strong> intermédiaires entre la liberté, qui est le point<br />

<strong>de</strong> départ, et la loi, qui est le point d’arrivée . » (Ricœur, 2000).<br />

L’éthique est en quelque sorte comme une route enneigée. La voie n’est pas<br />

tracée d’avance, on se fraye un chemin petit à petit que l’on redéfinit sans cesse, en se<br />

confrontant aux obstac<strong>les</strong> <strong>dans</strong> un espace plus vaste que ce que l’on pouvait<br />

s’imaginer, avec <strong>de</strong>s vérités moins sûres qu’il n’y paraît et une direction<br />

continuellement à redéfinir.<br />

L’éthique est avant tout questionnement et point d’interrogation.<br />

« La déontologie participe <strong>de</strong> l’éthique. Seulement, l’éthique ne se<br />

réduit pas à la déontologie. » (Savadogo, 2008, p.120).<br />

77


3.3 L’éthique à l’hôpital<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

L’éthique ne saurait rester étrangère au domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. La question <strong>de</strong><br />

l’éthique hospitalière connaît une importance accrue <strong>dans</strong> notre mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne,<br />

<strong>dans</strong> la mesure où elle progresse à la rapidité <strong>de</strong>s progrès scientifiques et techniques.<br />

On peut parler d’éthique sur <strong>de</strong>ux registres différents qui se rejoignent pour ne<br />

former qu’un tout. D’un côté l’éthique est présente jusque <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations <strong>les</strong> plus<br />

bana<strong>les</strong> dès le moment où <strong>de</strong>s êtres humains sont en interaction. Elle se vit au<br />

quotidien, <strong>dans</strong> la manière dont s’incarnent <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> chacun au cœur <strong>de</strong> la<br />

relation <strong>de</strong> soin. L’éthique impose <strong>de</strong> se poser pour réfléchir et exercer un jugement<br />

constant sur ce qui est souhaitable <strong>dans</strong> la situation habituelle.<br />

Mais <strong>de</strong> l’autre côté, l’éthique est aussi invoquée <strong>de</strong> manière plus ciblée lorsque<br />

<strong>les</strong> professionnels du soin se trouvent confrontés à <strong>de</strong>s dilemmes éthiques, c’est-à-<br />

dire à <strong>de</strong>s situations précises <strong>de</strong>vant <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> une prise <strong>de</strong> décision s’impose dont le<br />

résultat n’est pas connu d’avance. On parle alors <strong>de</strong> questionnement éthique, un<br />

terme qui va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la simple question.<br />

« À la différence <strong>de</strong> la question énoncée, élaborée, qui contient <strong>les</strong><br />

référents <strong>de</strong>s réponses possib<strong>les</strong> <strong>dans</strong> son énoncé même, le<br />

questionnement est tout entier <strong>dans</strong> l’acte d’énonciation qui le soutient<br />

et le maintient ouvert. » (Sirven, 1999, p.115).<br />

Le questionnement, à la différence <strong>de</strong> la question, n’attend pas forcément une<br />

réponse mais interroge <strong>les</strong> différents paramètres d’une situation <strong>dans</strong> une visée<br />

réflexive. Tout comme l’éthique, et c’est pourquoi il lui sied si bien, il ne prétend pas<br />

détenir <strong>de</strong> savoir propre, et encore moins le pouvoir qui lui est lié. Le<br />

questionnement prend sa source <strong>dans</strong> la condition humaine et se veut donc l’affaire<br />

<strong>de</strong> tous, dès lors que l’homme est doté d’une conscience qui lui permet cette réflexion<br />

sur ses actes. Il naît en l’homme pour ensuite être enrichi et mo<strong>de</strong>lé par <strong>les</strong><br />

questionnements <strong>de</strong> ces semblab<strong>les</strong>. Il dépasse le simple cadre professionnel pour<br />

faire passer certains éléments au crible du doute. Dans cette réflexion, il est<br />

indispensable que le soigné soit considéré comme également doté <strong>de</strong> cette conscience<br />

réflexive, ce qui permet alors un partage éthique qui enrichit et nourrit la relation.<br />

78


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Au travers du questionnement apparaissent <strong>les</strong> choix possib<strong>les</strong> ainsi que leurs<br />

implications pour <strong>les</strong> personnes concernées. La décision thérapeutique émane<br />

toujours d’une réflexion partagée entre différents acteurs du soin. Elle est rarement<br />

donnée d’emblée mais est consécutive à un questionnement. Il s’agit <strong>de</strong> se déplacer<br />

du protocole ou <strong>de</strong> la « bonne conscience donnée par une conformité bien proche<br />

du conformisme vers une conscience inquiète, au sens d’éveillée, sans repos »<br />

(Sirven, 1999, p.111) pour faire émerger ce qui sera considéré comme la meilleure, ou<br />

en tout cas la moins mauvaise solution <strong>dans</strong> la situation donnée.<br />

Dans son activité, le soignant ne rencontre pas uniquement <strong>de</strong>s situations<br />

problématiques mais c’est le patient qui est au cœur <strong>de</strong> la problématique avec toute<br />

la dimension subjective qui lui est propre. L’éthique interroge le soignant et sa<br />

position, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> toute compétence professionnelle, sociale, humaine et au-<strong>de</strong>là<br />

<strong>de</strong>s règlementations et <strong>de</strong> la déontologie.<br />

Il ne peut se contenter d’examiner cette problématique mais doit l’inclure <strong>dans</strong><br />

un questionnement qui la dépasse et qui pose avant tout la question du sujet. Des<br />

textes normatifs, essentiels bien que figés, peuvent donner <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> réponse<br />

mais ne sauraient éclairer le questionnement <strong>dans</strong> son ensemble.<br />

La réflexion a posteriori sur <strong>les</strong> choix permet ensuite <strong>de</strong> rapprocher le discours<br />

et la pratique ainsi que la difficulté <strong>de</strong> leur harmonisation.<br />

Le questionnement est tout particulièrement important pour entretenir la<br />

réflexion, nous gar<strong>de</strong>r en éveil et « éviter cette éclipse <strong>de</strong> la conscience que l’on<br />

nomme bonne conscience et qui peut tout justifier » (Sirven, 1999, p.120).<br />

3.3.1 L’éthique au service <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine<br />

Dans un premier temps, l’éthique se préoccupe <strong>de</strong>s questions qui ne manquent<br />

pas d’émerger au fur et à mesure que <strong>les</strong> progrès techniques nous placent <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s<br />

limites encore inconnues. Ces avancées technologiques permettent, par exemple, <strong>de</strong><br />

déceler <strong>de</strong>s anomalies génétiques sur le fœtus, déjà au sta<strong>de</strong> embryonnaire, posant<br />

ainsi la question <strong>de</strong> l’avortement et <strong>de</strong>s limites que chacun <strong>de</strong> nous peut lui attribuer.<br />

Ce sont <strong>de</strong>s progrès qui remettent en question <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> l’acceptable : un bec <strong>de</strong><br />

lièvre, par exemple, sera considéré comme un simple défaut pour certains, comme un<br />

79


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

avilissement insurmontable pour d’autres. On pourrait multiplier à l’envi <strong>les</strong><br />

exemp<strong>les</strong> <strong>de</strong> ce genre <strong>de</strong> problèmes et <strong>de</strong> questionnements qui finalement pointent<br />

tous vers une même notion : celle <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> sa dignité… Ce sont <strong>de</strong>s<br />

mots chargés <strong>de</strong> contenus sémantiques très différents selon qui <strong>les</strong> emploie.<br />

Or ces notions ne sauraient bien sûr rester cloisonnées autour <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s<br />

questions éthiques, certes très présentes <strong>dans</strong> le domaine hospitalier. Mais <strong>les</strong><br />

questions <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> relation à l’Autre et <strong>de</strong> sa dignité s’expriment au jour<br />

le jour, en continu. C’est une éthique quotidienne très concrète qui sous-tend la<br />

rencontre du patient avec le soignant.<br />

La profession soignante met un point d’honneur à une prise en charge<br />

holistique du patient, incluant <strong>les</strong> dimensions biologiques, psychologiques et socia<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. La confrontation n’est pas rare avec une mé<strong>de</strong>cine orientée avant tout<br />

sur la pathologie.<br />

« Les infirmières vivent mal cette espèce <strong>de</strong> distance qu’el<strong>les</strong> ressentent<br />

entre un discours humaniste médical <strong>de</strong> type hippocratique : faire le<br />

bien du patient, et une réalité où la qualité <strong>de</strong> cette vie ne leur para ît<br />

pas préservée. » (Coudray, 1994, p.67).<br />

Est-ce que nous ne nous trouvons pas ici face au conflit qui opposait, <strong>dans</strong> notre<br />

historique sur la pensée éthique, <strong>les</strong> philosophes soucieux avant tout <strong>de</strong> l’intérêt et<br />

du droit individuel et ceux qui défendaient l’intérêt collectif ? N’y a-t-il pas un conflit<br />

entre une éthique <strong>de</strong> responsabilité et une éthique utilitaire ?<br />

Dans le <strong>de</strong>rnier tiers du XX e siècle, le réexamen critique <strong>de</strong> l’éthique médicale,<br />

et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong>s sciences et technologies du vivant, s’est fait sous l’égi<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

la bioéthique. Celle-ci a systématisé et corrigé <strong>les</strong> principes déontologiques classiques<br />

par l’application d’une entreprise nouvelle d’analyse philosophique et par<br />

l’introduction d’un principe relativement hétérogène au cadre déontologique<br />

traditionnel : le principe d’autonomie. La notion d’autonomie n’est pas foncièrement<br />

absente <strong>de</strong> la conception traditionnelle <strong>de</strong> la relation mé<strong>de</strong>cin-patient. Mais le<br />

paternalisme est inhérent à cette conception, renforcé par <strong>les</strong> triomphes <strong>de</strong> la<br />

80


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

mé<strong>de</strong>cine scientifique qui semblait avoir creusé un fossé infranchissable. Le patient<br />

semblait alors réduit à être le terrain sur lequel se livre le combat héroïque du<br />

mé<strong>de</strong>cin contre la maladie (Dallaire, 2008).<br />

C’est essentiellement contre ce paternalisme que la bioéthique a systématisé<br />

l’exigence d’autonomie du patient, d’abord sous la forme d’une défense plus ferme<br />

<strong>de</strong> l’exigence du consentement volontaire <strong>de</strong>s sujets face à la recherche, puis face aux<br />

interventions chirurgica<strong>les</strong> et puis, enfin, face à tout traitement médical. Telle qu’elle<br />

est opératoire en bioéthique, la notion d’autonomie recouvre <strong>de</strong>ux famil<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

notions relativement distinctes, même si toutes <strong>de</strong>ux trouvent leur origine commune<br />

<strong>dans</strong> la philosophie <strong>de</strong> Kant.<br />

La mé<strong>de</strong>cine a parfois tendance à mettre <strong>de</strong> côté l’autonomie du patient.<br />

Comme son étymologie l’indique, cette autonomie représente la capacité <strong>de</strong> l’homme<br />

à se donner lui-même <strong>les</strong> normes <strong>de</strong> son comportement, à effectuer <strong>de</strong>s choix selon sa<br />

nature la plus profon<strong>de</strong>. Ainsi le patient reste libre d’accepter ou non le traitement<br />

proposé.<br />

Le <strong>de</strong>uxième volet <strong>de</strong> la notion d’autonomie est sa fonction <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la<br />

dignité spécifique <strong>de</strong> l’humain. Même largement diminuée par la maladie ou le<br />

handicap, le fait <strong>de</strong> conserver l’empreinte d’une autonomie est la marque <strong>de</strong> la<br />

dignité <strong>de</strong> la personne humaine et le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> ses droits essentiels.<br />

À noter que nous retrouverons souvent <strong>dans</strong> ce cadre la tension entre <strong>les</strong><br />

principes <strong>de</strong> bienfaisance et <strong>de</strong> non-maléficience issus <strong>de</strong> la déontologie<br />

traditionnelle avec le principe d’autonomie. Ce couple <strong>de</strong> contraires tendanciels<br />

reflète bien la tension que nous avons relevée <strong>dans</strong> notre historique sur l’évolution <strong>de</strong><br />

la pensée éthique. C’est la tension entre <strong>de</strong>ux positions philosophiques souvent<br />

considérées comme antinomiques : l’utilitarisme et la morale du <strong>de</strong>voir.<br />

C’est la tension quasi constante qui marque notre politique <strong>de</strong> santé entre le<br />

bien public et <strong>les</strong> véritab<strong>les</strong> intérêts <strong>de</strong>s personnes (Besanceney, 1991, p.20).<br />

Le progrès médical est parfois érigé en héros et fait <strong>de</strong> l’ombre à la dimension<br />

du soin et à la menace qui pèse sur sa dimension éthique. Mais c’est oublier quel est<br />

son objet premier, car en fin <strong>de</strong> compte, sans l’éthique, la mé<strong>de</strong>cine scientifique est<br />

vi<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa substance que constitue purement et simplement l’humain.<br />

81


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Il est nécessaire d’envisager <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux niveaux <strong>de</strong> la notion d’éthique que sont,<br />

d’un côté l’éthique fondamentale et <strong>de</strong> l’autre côté, l’éthique appliquée. Si la<br />

première part <strong>de</strong> la réflexion générale pour encadrer la pensée et la connaissance<br />

humaine et baliser le chemin sur lequel l’action va se mettre en place, la secon<strong>de</strong> en<br />

revanche, a comme origine l’action, qu’elle interroge et son<strong>de</strong> au moyen d’une<br />

réflexion qui examine <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments axiologiques <strong>de</strong> cette action (Desaulniers &<br />

Jutras, 2006).<br />

3.3.2 L’éthique au chevet du patient<br />

On distingue l’éthique du sujet, <strong>dans</strong> son individualité, ses spécificités, son<br />

appartenance socioculturelle et l’éthique du soin en tant qu’acte envers une personne.<br />

Mais <strong>dans</strong> ces <strong>de</strong>ux dimensions, la responsabilité et l’implication du soignant<br />

apparaissent très clairement. « C’est ce qu’il fait et dit qui fait effet <strong>de</strong> sens et<br />

<strong>de</strong> vérité pour le patient. » (Sirven, 1999, p.118). Il est donc le premier à <strong>de</strong>voir<br />

soumettre sa conscience au questionnement sur son activité.<br />

L’éthique, a contrario d’une potion magique qui apporterait <strong>de</strong>s solutions<br />

toutes prêtes, constitue une mise en question <strong>de</strong> nos actions et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cel<strong>les</strong>-ci,<br />

elle questionne leur sens et leur but.<br />

« L’éthique appliquée s’intéresse aux situations vécues sur le terrain et<br />

à la prise <strong>de</strong> décision en vue <strong>de</strong> résoudre <strong>de</strong>s problèmes concrets <strong>dans</strong><br />

<strong>de</strong>s contextes spécifiques. L’accent est mis sur la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong><br />

la situation qui pose problème, sur son contexte, sur l’analyse <strong>de</strong>s<br />

conséquences et sur la prise <strong>de</strong> décision . » (Desaulniers & Jutras, 2006,<br />

p.34).<br />

Mais l’éthique est déjà présente <strong>dans</strong> la mise en jeu <strong>de</strong> nos valeurs qui sont le<br />

fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> notre agir en tant que personne, en tant que professionnels et<br />

<strong>dans</strong> notre relation aux autres. L’éthique met en question le soignant en tant que<br />

personne et pas seulement pour ses actes ou ses paro<strong>les</strong>. Le questionnement éthique<br />

interpelle ce qui en l’homme est irréductible à toute objectivation. Pour autant il ne<br />

82


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

s’agit pas non plus d’un renoncement à soi mais peut-être d’une évolution du soi.<br />

En tant que l’éthique se préoccupe, comme nous l’avons vu <strong>dans</strong> le chapitre<br />

précé<strong>de</strong>nt, <strong>de</strong> notre relation à l’Autre avec la responsabilité qui en incombe, on peut<br />

dire qu’elle est au centre <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Elle sous-tend <strong>les</strong> rapports entre <strong>les</strong><br />

professionnels et <strong>les</strong> patients en se basant sur <strong>les</strong> grands principes que nous avons<br />

cités précé<strong>de</strong>mment.<br />

Le mala<strong>de</strong> est au cœur <strong>de</strong> l’action infirmière et <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin. Au-<strong>de</strong>là<br />

du cadre déterminé <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin, l’éthique interroge le champ <strong>dans</strong> lequel<br />

cette relation prend sens. Loin d’être anodine, cette relation est à présent reconnue<br />

comme élément central du projet thérapeutique (Sirven, 1999, p.27). Dans la<br />

compréhension <strong>de</strong> la relation d’ai<strong>de</strong> selon Carl Rogers, le soignant est là pour ai<strong>de</strong>r le<br />

patient à grandir au travers <strong>de</strong>s épreuves traversées. Il l’accompagne <strong>dans</strong> son<br />

processus <strong>de</strong> réadaptation, la maladie étant comprise comme un processus <strong>de</strong> mise<br />

en échec <strong>de</strong> la capacité adaptative <strong>de</strong> l’individu.<br />

« Les notions d’empathie, <strong>de</strong> congruence et d’authenticité sont référées<br />

à l’efficacité recherchée, mais, également, <strong>de</strong> manière explicite, à une<br />

exigence éthique d’absence <strong>de</strong> savoir et <strong>de</strong> jugement sur l’Autre,<br />

accueilli et respecté. » (Sirven, 1999, p.102).<br />

La relation se distingue par <strong>de</strong>s caractéristiques qui la ren<strong>de</strong>nt complexe. Nous<br />

en examinerons ici quatre qui nous semblent essentiel<strong>les</strong> :<br />

1. L’asymétrie <strong>de</strong> la relation entre le patient et le soignant. Le premier est<br />

dépendant du second dont il ne possè<strong>de</strong> ni le savoir, ni le pouvoir. De plus, le patient<br />

se trouve généralement <strong>dans</strong> une situation <strong>de</strong> crise. La crise, par excellence facteur <strong>de</strong><br />

déséquilibre, peut être particulièrement perturbante, angoissante, génératrice <strong>de</strong><br />

peurs diverses. Elle met en jeu <strong>les</strong> repères habituels <strong>de</strong> la personne, engendrant la<br />

rupture et la perte <strong>de</strong> maîtrise. Le soignant <strong>de</strong>vient alors souvent l’écran sur lequel se<br />

projette le désir <strong>de</strong> repères du patient. Il en <strong>de</strong>vient le garant. Il se doit d’accueillir le<br />

patient et <strong>de</strong> le rassurer.<br />

83


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

2. Les <strong>de</strong>ux partenaires ont <strong>de</strong>s attentes réciproques qui peuvent être source <strong>de</strong><br />

pression, entraînant même parfois la culpabilité <strong>de</strong> ne pouvoir y répondre. Qui plus<br />

est, la relation <strong>de</strong> soin s’inscrit <strong>dans</strong> une dimension sociale et le soin, loin d’être<br />

uniquement mo<strong>de</strong>lé par le développement <strong>de</strong>s connaissances et techniques<br />

spécifiques, est aussi façonné par la compréhension sociale <strong>de</strong> la santé ainsi que<br />

l’idéologie hédoniste <strong>dans</strong> laquelle nous sommes immergés, qui veut que le corps<br />

soit parfait, gardé <strong>de</strong> toute trace impure et conservé <strong>dans</strong> la plus gran<strong>de</strong> jeunesse<br />

possible.<br />

3. Le phénomène fréquent <strong>de</strong> projection <strong>dans</strong> la relation à la souffrance. Le<br />

soignant est aux prises avec <strong>de</strong>s mécanismes psychiques inconscients qui l’ai<strong>de</strong>nt à<br />

gérer <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> soin diffici<strong>les</strong> et parfois confrontantes. Le refuge <strong>dans</strong> <strong>les</strong> actes<br />

techniques et une relation courtoise mais minimale sont <strong>de</strong>s stratégies fréquemment<br />

employées. Supposé exercer son rôle <strong>dans</strong> une neutralité affective et porté par<br />

l’altruisme, le soignant n’en <strong>de</strong>meure pas moins un être humain avec son vécu, sa<br />

personnalité et ses limites.<br />

4. La routine constitue l’un <strong>de</strong>s dangers qui guettent la relation <strong>de</strong> soin. Il est<br />

aisé <strong>de</strong> comprendre qu’un soignant qui voit le <strong>de</strong>ux centième patient se faire opérer<br />

<strong>de</strong> la hanche puisse le préparer à cette opération avec une certaine routine. Pourtant<br />

la routine <strong>dans</strong> <strong>les</strong> actes professionnels ne doit pas occulter la réalité du patient qui<br />

vit, pour sa part, certainement pour la première fois cette opération importante. Son<br />

angoisse risque vite d’être étouffée par le déroulement opérationnel <strong>de</strong>s activités<br />

préopératoires du soignant. Le soignant risque <strong>de</strong> négliger, voire d’occulter <strong>les</strong><br />

inquiétu<strong>de</strong>s préopératoires du patient. Ce faisant, il passe alors à côté d’une<br />

dimension essentielle <strong>dans</strong> le projet thérapeutique.<br />

La relation du soignant au soigné <strong>de</strong>vient d’autant plus essentielle, que la prise<br />

en soin se transforme, incluant toujours plus d’acteurs au chevet d’un même patient<br />

et complexifiant ainsi la relation à celui-ci. La relation duelle est mise <strong>de</strong> côté au<br />

profit d’une relation pluri-professionnelle, mais <strong>les</strong> attentes <strong>de</strong> ces différents acteurs<br />

sont parfois en tension, ne partageant pas forcément une même vision du soin et<br />

poursuivant <strong>de</strong>s objectifs qui peuvent être radicalement différents.<br />

84


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

C’est en particulier en lien avec la gestion que cette nouvelle incursion paraît la<br />

plus questionnante. L’intrusion toujours plus forte du mon<strong>de</strong> administratif et<br />

comptable <strong>dans</strong> l’univers hospitalier rend celui-ci impersonnel, réduisant le soin à<br />

une prestation chiffrée en termes <strong>de</strong> coût, et le soignant à un prestataire assigné à<br />

rentabilité et performance.<br />

La pluralité <strong>de</strong>s acteurs fait entrer le soin <strong>dans</strong> un champ d’intérêts qui peuvent<br />

parfois même être contradictoires. En effet, l’hôpital n’est plus le lieu d’accueil <strong>de</strong> la<br />

maladie et <strong>de</strong> l’exclusion sociale mais <strong>de</strong>vient un lieu <strong>de</strong> service <strong>dans</strong> lequel sont mis<br />

en pratique <strong>les</strong> savoirs et technologies développés. La mission <strong>de</strong> l’hôpital a donc<br />

fondamentalement changé et certains soignants ont <strong>de</strong> la peine à s’y retrouver.<br />

Le soin au mala<strong>de</strong> est marqué du sceau <strong>de</strong> l’histoire passée <strong>de</strong> la profession<br />

ainsi que du sceau, bien souvent, <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s soignants.<br />

Si soigner n’exige plus <strong>de</strong> renoncer à soi-même pour s’investir totalement, corps<br />

et âme, envers l’Autre comme c’était le cas lors <strong>de</strong>s première confréries, et si la<br />

logique professionnelle a remplacé la logique vocationnelle, force est <strong>de</strong> constater<br />

que <strong>les</strong> personnes qui s’engagent, le font le plus souvent avec beaucoup d’émotions<br />

caractérisées, pour une gran<strong>de</strong> partie, par ce souci <strong>de</strong> l’Autre, particulièrement<br />

chargé d’affect et <strong>de</strong> sensibilité. La dimension relationnelle peut aussi être<br />

bouleversante pour le soigné. C’est peut-être elle qui le gui<strong>de</strong> vers un<br />

questionnement existentiel et vers la réflexion <strong>de</strong> son « être », <strong>de</strong> ses limites, <strong>de</strong> la<br />

nécessité <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-fous d’une implication trop importante,<br />

<strong>de</strong>s valeurs qu’il veut mettre en jeu…<br />

C’est d’autant plus souhaitable que ce sont nos valeurs qui fon<strong>de</strong>nt notre<br />

engagement. Un engagement basé sur la technique, mais sans implication <strong>de</strong> l’être<br />

vers ses semblab<strong>les</strong>, resterait très questionnant, voire dangereux.<br />

Le patient est vulnérable, démuni, ramené à un état <strong>de</strong> dépendance proche<br />

parfois <strong>de</strong> la plus petite enfance, dépourvu d’un savoir que le soignant pourrait<br />

exploiter. L’éthique permet <strong>de</strong> rappeler <strong>les</strong> frontières <strong>de</strong> ce droit et <strong>de</strong> l’exercice d’un<br />

certain pouvoir car « L’éthique tire sa valeur <strong>de</strong> l’attention qu’elle confère aux<br />

figures <strong>de</strong> la vulnérabilité. » (Le Blanc, 2006, p.250). L’éthique est là, en tant que<br />

85


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

réflexion, pour rappeler au soignant l’impact que peuvent avoir ses actes mais aussi<br />

son attitu<strong>de</strong> sur le soigné, le rabaissant ou le valorisant, lui permettant <strong>de</strong> guérir ou<br />

au contraire <strong>de</strong> dépérir… L’enjeu est grand ! (Desaulniers & Jutras, 2006).<br />

3.3.2.1 Le « Prendre soin »<br />

Le soin lui-même est à la source <strong>de</strong> l’exigence éthique. À l’heure actuelle, on<br />

emploie, <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, l’anglicisme caring pour expliciter la relation au<br />

patient. Sans doute ce mot est-il plus fort et plus riche sémantiquement pour<br />

exprimer ce qu’est cette relation que la traduction française du « prendre soin ».<br />

Tschudin en citant Meyerhoff explique que le mot <strong>de</strong> caring renferme l’idée <strong>de</strong> la<br />

relation mère-enfant. C’est prendre soin <strong>dans</strong> le sens d’ai<strong>de</strong>r l’autre à grandir. Pour le<br />

patient, ce terme aura le sens d’ai<strong>de</strong>r à franchir <strong>les</strong> étapes, à « grandir » <strong>dans</strong> sa<br />

situation, c’est-à-dire d’apprendre à la gérer et à en tirer aussi un profit, autant que<br />

possible. (Tschudin, 2002, p.5).<br />

Confiance et respect sont <strong>de</strong>s éléments absolument indispensab<strong>les</strong> pour que<br />

cette dimension du caring puisse vraiment prendre toute sa place et tout son sens.<br />

En ce qui nous concerne, nous parlerons plus volontiers <strong>de</strong> l’expression<br />

« prendre soin » en lieu et place <strong>de</strong> l’habituelle « prise en charge » qui véhicule la<br />

connotation très péjorative du patient considéré comme une charge à porter.<br />

L’expression <strong>de</strong> « prise en soin » est intéressante parce qu’elle porte en son sein <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux interprétations : le soin au sens premier <strong>de</strong> la profession infirmière, comme acte<br />

précis. Mais aussi le soin plus maternel et plus global.<br />

Prendre soin du mala<strong>de</strong> requiert <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> sa maladie, mais aussi <strong>de</strong><br />

sa personne en favorisant son autonomie, son implication <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, en faisant<br />

preuve d’empathie face à <strong>de</strong>s situations personnel<strong>les</strong> parfois diffici<strong>les</strong>.<br />

Le prendre soin <strong>dans</strong> la fonction soignante est extrêmement vaste. Il s’agit tout<br />

autant du prendre soin face à la maladie que du soin corporel, <strong>de</strong> la toilette, <strong>de</strong> la<br />

coiffure… Il est fréquent <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s patients âgés et dépendants être bien soignés,<br />

mais n’être ni peignés, ni rasés. Le prendre soin, c’est aussi consacrer quelques<br />

minutes à un massage bienfaisant sur une peau sèche et flétrie. La notion <strong>de</strong> dignité<br />

est très vive <strong>dans</strong> le soin à la personne âgée et <strong>les</strong> débats que celui-ci occasionne.<br />

86


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Cependant prendre soin ne se résume pas à cette fonction purement corporelle.<br />

C’est aussi prendre soin <strong>de</strong> l’esprit et <strong>de</strong> l’âme. Cela peut être l’action d’accompagner<br />

l’Autre <strong>dans</strong> le processus d’acceptation d’une maladie, <strong>dans</strong> le <strong>de</strong>uil d’une partie <strong>de</strong><br />

son corps… Comment nier l’importance <strong>de</strong> la relation entre le soignant et la<br />

personne qui va être amputée ? Lorsque <strong>les</strong> proches sont partis, <strong>dans</strong> le calme du soir<br />

et la profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la nuit, le soignant n’est-il pas celui qui reste l’interlocuteur <strong>de</strong><br />

référence pour recueillir <strong>les</strong> craintes et <strong>les</strong> angoisses <strong>de</strong> la personne ? L’empathie<br />

s’exprime <strong>dans</strong> l’acte <strong>de</strong> compréhension que le soignant met en place pour percevoir<br />

la souffrance <strong>de</strong> l’Autre. Or, comprendre c’est :<br />

« (…) se libérer, soit d’un préjugé, soit d’une ignorance, soit d’un<br />

malentendu. Et comprendre l’autre, c’est se libérer encore plus : <strong>de</strong> la<br />

peur, du mépris, <strong>de</strong> la haine ; c’est déjà aimer. » (Reboul, 1999, p.46).<br />

Prendre soin, c’est réagir à la douleur et au mal-être du patient. L’infirmière est<br />

la médiatrice qui va intervenir auprès du mé<strong>de</strong>cin pour que son patient soit soulagé.<br />

C’est elle qui va expliquer, avec un souci d’objectivité, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> termes <strong>les</strong> plus précis<br />

possib<strong>les</strong> ce que le patient ressent, ce qu’elle observe, <strong>les</strong> données techniques et, <strong>de</strong><br />

cette explication, vont dépendre souvent la réponse et l’action du mé<strong>de</strong>cin. Sa<br />

responsabilité est gran<strong>de</strong> vis-à-vis du patient :<br />

« Rejoindre et soutenir celui qui est isolé par la souffrance ultime…<br />

c’est se refuser à la solitu<strong>de</strong> absolue <strong>de</strong> la douleur humaine, en<br />

rappelant et en exprimant la fraternité toujours possible <strong>de</strong> notre<br />

communauté. » (Hirsch, Ferlen<strong>de</strong>r, 1998, p.3).<br />

Évi<strong>de</strong>mment, prendre soin c’est aussi accompagner le patient <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong><br />

phases qui précè<strong>de</strong>nt la mort pour l’amener jusqu’au bout vers l’ultime départ. La<br />

crainte <strong>de</strong> la souffrance au seuil <strong>de</strong> la mort peut paralyser littéralement le patient.<br />

Pouvoir lui assurer qu’on lui tiendra la main jusqu’au bout et qu’on ne lui tournera<br />

pas le dos le moment venu peut être extrêmement rassurant.<br />

Offrir une présence attentive au patient en acceptant <strong>les</strong> sentiments qu’il<br />

exprime, améliorer ses capacités <strong>de</strong> résolution <strong>de</strong> problèmes après avoir<br />

87


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

éventuellement i<strong>de</strong>ntifié <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> culpabilité et <strong>les</strong> avoir nommés. Prendre<br />

soin, c’est aussi ai<strong>de</strong>r le patient à assurer <strong>les</strong> décisions qu’il a prises en favorisant et<br />

en encourageant sa réassurance, en l’aidant <strong>dans</strong> la gestion d’une anxiété, <strong>dans</strong> la<br />

perte <strong>de</strong> sens, la dévalorisation <strong>de</strong> l’image <strong>de</strong> soi… nombreux sont ces éléments qui<br />

peuvent être encouragés par l’intervention soignante et qui seront <strong>de</strong>s ressources<br />

pour contourner ou diminuer <strong>les</strong> difficultés.<br />

Comme nous l’avons déjà précisé, la communication est partie intégrante <strong>de</strong> la<br />

relation à l’Autre. Elle en est même le soubassement si l’on admet l’affirmation<br />

connue qui dit qu’il est « impossible <strong>de</strong> ne pas communiquer. »<br />

L’acte <strong>de</strong> communiquer revêt en lui-même le caractère éthique <strong>de</strong> la<br />

reconnaissance <strong>de</strong> l’interlocuteur. Parler avec le patient c’est lui témoigner notre<br />

attention, le reconnaître en tant que notre semblable.<br />

Sans faire <strong>de</strong> véritable relation d’ai<strong>de</strong> qui requiert un savoir et une expertise<br />

particulière, le soignant peut favoriser, ou au contraire endommager beaucoup par<br />

l’acte <strong>de</strong> parole. Il a surtout une fonction d’écoute. En utilisant la reformulation et en<br />

prenant du temps pour son patient, il pourra parfois entrer <strong>dans</strong> la sphère<br />

mystérieuse <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> l’autre et <strong>de</strong> son regard sur sa situation. Le patient n’est<br />

pas toujours conscient <strong>de</strong>s sentiments qui l’habitent. Que ce soit la crainte, l’anxiété,<br />

la culpabilité ou autre…, le fait <strong>de</strong> mettre un nom <strong>de</strong>ssus peut être une ai<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la<br />

gestion <strong>de</strong> ces sentiments et leur influence sur l’état du mala<strong>de</strong>. Le soin, aussi<br />

complexe et technique soit-il, gar<strong>de</strong> un <strong>de</strong>voir d’humilité. En effet, sans cette part très<br />

naturelle <strong>de</strong> l’échange qui permet <strong>de</strong> mettre <strong>les</strong> maux en mots, d’exprimer ses<br />

craintes et ses appréhensions, d’envisager l’avenir, sans ce lieu <strong>de</strong> rencontre entre<br />

humains, la technique et la science, aussi puissantes soient-el<strong>les</strong>, ne sont rien ! Tout<br />

l’enjeu éthique prend vie <strong>dans</strong> cet échange.<br />

Le contact physique, le toucher <strong>de</strong> l’Autre apportent au soin une dimension très<br />

concrète. Le prendre soin du patient s’exprime peut-être le plus parfaitement <strong>dans</strong> le<br />

concept d’empathie. Ce concept va bien au-<strong>de</strong>là d’un savoir-faire, c’est un véritable<br />

savoir-être. Savoir être à un certain moment à la place du patient. Se mettre « <strong>dans</strong> sa<br />

peau » pour comprendre ce qu’il vit et pouvoir le rejoindre <strong>dans</strong> son niveau <strong>de</strong><br />

communication, <strong>dans</strong> sa solitu<strong>de</strong>, <strong>dans</strong> ses peurs… Être empathique, c’est réellement<br />

88


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

être capable d’aimer le patient au sens le plus noble du terme pour pouvoir le<br />

comprendre pleinement. Or cet amour restera parfois unilatéral :<br />

«(…) l’amour ne désigne pas d’emblée la réciprocité d’une rela tion <strong>de</strong><br />

moi à autrui et d’autrui à moi, mais l’éprouvante responsabilité<br />

(répondre à, répondre pour) à laquelle m’assigne le visage d’Autrui . »<br />

(Simon, 1993, p.158).<br />

Le caring couvre un ensemble très vaste <strong>de</strong> valeurs qui caractérisent la<br />

relation au patient. Or le choix entre ces valeurs n’est pas toujours très clair, car el<strong>les</strong><br />

sont relatives, leur relativité étant en lien avec le fait qu’el<strong>les</strong> sont<br />

« irréductiblement pluriel<strong>les</strong> et parfois, semble-t-il donc, incompatib<strong>les</strong> entre<br />

el<strong>les</strong> » (Reboul, 1999, p 45). Pour ne citer que quelques exemp<strong>les</strong>, prenons le concept<br />

d’autonomie. Lorsqu’un patient refuse un soin important, voire vital. Doit-on<br />

accepter cela au nom <strong>de</strong> l’autonomie, au risque <strong>de</strong> voir sa vie mise en péril, ou bien<br />

violer ce droit ? Que faire <strong>de</strong> l’autonomie, <strong>de</strong> la liberté du patient, lorsque celui-ci<br />

porte sur elle un autre regard que nous ? Comment le soignant doit-il réagir ? Il est<br />

évi<strong>de</strong>nt que <strong>de</strong>s interrogations comme celle-ci ne peuvent faire l’économie d’une<br />

réflexion éthique.<br />

Si l’on se base sur le co<strong>de</strong> d’éthique <strong>de</strong>s infirmières édicté en 1953 par le Conseil<br />

International <strong>de</strong>s Infirmières (ICN : International Council of Nurses), l’infirmière se<br />

doit <strong>de</strong> :<br />

« Promouvoir la santé du patient, éviter une aggravation <strong>de</strong> la maladie,<br />

restaurer la santé et soulager <strong>les</strong> souffrances ».<br />

Il s’agit d’un programme qui en dit long sur <strong>les</strong> aptitu<strong>de</strong>s et <strong>les</strong> qualités que<br />

requiert cette profession. Or force est <strong>de</strong> constater que peu d’infirmières se sentent<br />

réellement à la hauteur <strong>de</strong> ce niveau d’expertise attendu (Fry & Johnstone, 2002, p.22).<br />

89


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

3.3.2.2 Le soignant et sa position face au mala<strong>de</strong><br />

Le soignant est toujours en position dominante face au mala<strong>de</strong>. Sa<br />

responsabilité s’exprime envers une personne fragile, diminuée.<br />

« Nous touchons ici du doigt le <strong>de</strong>gré le plus élémentaire et le plus<br />

concret <strong>de</strong> la dissymétrie : c’est envers un autrui plus faible,<br />

désavantagé ou menacé, que le sujet éthique se constitue et se reconnaît<br />

responsable, et c’est à cause même <strong>de</strong> ce fondamental déséquilibre qu’il<br />

consent à s’autolimiter. » (Mueller, 1999, p.309).<br />

Le patient est d’abord celui qui s’expose au soignant, par exemple pour <strong>de</strong>s<br />

investigations plus ou moins douloureuses. Mais il s’expose aussi <strong>dans</strong> sa nudité. La<br />

relation est asymétrique et attribue d’emblée un pouvoir au soignant, que ce soit par<br />

son savoir, son statut, la vulnérabilité du patient ou l’influence du contexte. Le<br />

soignant est en position dominante parce qu’il dispose d’informations que le patient<br />

n’a pas. Il a une vue d’ensemble sur la situation et ses connaissances et expériences<br />

lui permettent <strong>de</strong> la comprendre et <strong>de</strong> l’appréhen<strong>de</strong>r. Volontairement ou non, le<br />

patient ne reçoit quasiment jamais l’exhaustivité <strong>de</strong> l’information et se voit, <strong>de</strong> ce fait,<br />

dépendant du corps médical, et plus particulièrement du soignant, pour accé<strong>de</strong>r à<br />

une compréhension <strong>de</strong>s choses.<br />

Fry et Johnstone (2002, p.38) soulignent l’importance <strong>de</strong> la fonction d’avocat <strong>de</strong><br />

l’infirmière. Cette fonction va être exercée au travers <strong>de</strong> différentes tâches :<br />

1. En défendant <strong>les</strong> droits du patient (<strong>de</strong>vant le mé<strong>de</strong>cin, <strong>les</strong> proches,<br />

l’administration…) ;<br />

2. En informant le patient et discutant avec lui <strong>de</strong> ses be<strong>soins</strong>, ses centres<br />

d’intérêts et ses choix ;<br />

3. En respectant <strong>les</strong> caractéristiques premières du patient, c’est-à-dire sa<br />

dignité, son bien-être, sa sphère privée.<br />

Favoriser l’autonomie du patient, tel est le but recherché, mais cela suppose <strong>de</strong><br />

prendre en compte ses ressources, ses choix et par conséquent <strong>de</strong> lui fournir <strong>les</strong><br />

90


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

informations nécessaires qui vont lui permettre <strong>de</strong> réaliser <strong>de</strong>s choix réellement<br />

éclairés.<br />

La question centrale est <strong>de</strong> savoir comment nous comporter avec le patient pour<br />

lui accor<strong>de</strong>r le respect absolu, sans enfreindre nos valeurs mora<strong>les</strong> ni nos règ<strong>les</strong><br />

déontologiques, et encore moins la loi. Bref, comment nous comporter <strong>de</strong> manière<br />

éthique ?<br />

Il ne faut pas oublier que <strong>les</strong> progrès scientifiques et la médiatisation ont<br />

également <strong>de</strong>s répercussions sur le patient. Il n’est plus l’individu « docile » et<br />

« patient » justement, restant muet <strong>de</strong>vant le « Dieu en blanc » qu’il ne serait pas<br />

permis <strong>de</strong> remettre en question. Bien heureusement, l’évolution a aussi eu lieu du<br />

côté du patient, mais parfois avec ses excès également. Ainsi, plus que jamais <strong>dans</strong><br />

notre société, <strong>les</strong> individus se réclament du droit d’être soignés, mais aussi du droit<br />

d’être guéris. En occultant toujours plus <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> mort, <strong>de</strong> souffrance et <strong>de</strong><br />

maladie, pour <strong>les</strong> remplacer par <strong>de</strong>s mythes <strong>de</strong> toute-puissance, <strong>de</strong> perfection et<br />

d’immortalité, notre société nous rend mal à l’aise avec ces notions et font que l’on<br />

cherche bien souvent à <strong>les</strong> évincer.<br />

Mais même si le patient a pris quelque autonomie et un peu d’assurance, il n’en<br />

<strong>de</strong>meure pas moins en position d’infériorité et <strong>de</strong> dépendance vis-à-vis <strong>de</strong>s soignants.<br />

Ceux-ci ont donc une responsabilité déjà d’emblée induite par ce phénomène.<br />

Dans <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, c’est en effet, comme nous l’avons vu précé<strong>de</strong>mment, toute<br />

notre responsabilité qui est engagée. Cependant, cette responsabilité comporte<br />

également <strong>de</strong>s limites, qui, si el<strong>les</strong> sont franchies, menacent l’Autre <strong>dans</strong> son intégrité.<br />

Il s’agit <strong>de</strong> rechercher le meilleur compromis, ou le moins mauvais possible, entre <strong>les</strong><br />

valeurs <strong>de</strong>s parties en présence, <strong>dans</strong> le contexte socio-historique donné.<br />

Pour répondre à cette nécessité <strong>de</strong> réflexion, <strong>les</strong> institutions s’organisent afin<br />

d’avoir <strong>de</strong> plus en plus une démarche éthique inhérente à leur fonctionnement.<br />

Réfléchir, discerner et délibérer sur <strong>de</strong>s situations complexes avec <strong>de</strong>s enjeux parfois<br />

très divergents, voire opposés, s’avère un exercice difficile.<br />

C’est pourquoi <strong>de</strong> plus en plus d’institutions hospitalières mettent en place <strong>de</strong>s<br />

conseils ou commissions d’éthique composés <strong>de</strong> différents acteurs (patient si possible,<br />

famille proche, psychologue, juriste, mé<strong>de</strong>cin, personnel soignant, philosophe,<br />

91


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

éthicien…) pour tenter une réflexion commune autour <strong>de</strong> situations <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />

<strong>les</strong> enjeux sont parfois extrêmement divergents et délicats.<br />

Dans notre pratique d’enseignement auprès <strong>de</strong>s personnes en cours postgra<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>soins</strong> palliatifs, nous nous heurtons à un problème récurrent : la difficulté <strong>de</strong> ces<br />

soignants à entrer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s réflexions éthiques argumentées. Leurs argumentations<br />

émanent le plus souvent d’un discours assez superficiel <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’opinion,<br />

chargé d’émotions et d’affirmations a priori. Il ne s’agit pas d’un argumentaire<br />

approfondi et structuré. Poletti (1978) fait remarquer que l’évolution <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong><br />

métier à celle <strong>de</strong> profession, pour le corps soignant, nécessite immanquablement<br />

l’élaboration <strong>de</strong> cadres conceptuels et d’une théorie soli<strong>de</strong>ment fondée. Or il en est <strong>de</strong><br />

même en ce qui concerne la multiplication <strong>de</strong>s sujets <strong>de</strong> discussions éthiques et leur<br />

prise <strong>de</strong> conscience. La diversité <strong>de</strong>s sources et la multiplication <strong>de</strong>s écrits nécessitent<br />

un entraînement à la recherche d’informations ciblées, ainsi qu’une formation toute<br />

particulière à l’argumentaire construit et au débat. La décision qui sera prise en fin<br />

<strong>de</strong> course doit faire référence à un ensemble <strong>de</strong> savoirs, savoir-faire et savoir-être,<br />

élaborés <strong>dans</strong> une réponse plurielle, concrète, unique, puisque chaque cas éthique est<br />

singulier. La démarche <strong>de</strong> réflexion éthique est plurifactorielle et la décision<br />

consensuelle est donc une synthèse fragile, toujours réinterrogeable et souvent<br />

attaquable, qui peut être une véritable mise en danger, d’où la nécessité absolue d’un<br />

argumentaire fondé.<br />

Par ailleurs, une délibération passée au crible est nécessaire pour permettre ce<br />

que Blon<strong>de</strong>au appelle la « paix <strong>de</strong> la conscience », en opposition aux remords et à<br />

la culpabilité (1999, p.56). Les comités d’éthique et leur réflexion pluridisciplinaire<br />

dont l’origine est à rechercher vers l’éthique <strong>de</strong> Jürgen Habermas, ont pour objectif<br />

d’examiner <strong>les</strong> différentes dimensions d’un dilemme éthique afin d’obtenir un<br />

consensus sur la solution la moins mauvaise possible <strong>dans</strong> le cas présenté. Ces<br />

comités se multiplient <strong>dans</strong> <strong>les</strong> grands centres hospitaliers et leur avis, certes<br />

consultatif, revêt néanmoins une importance grandissante.<br />

Les procédures utilisées pour élaborer le questionnement éthique sont<br />

relativement i<strong>de</strong>ntiques d’un comité à un autre. Coudray nous présente, à la Figure 1,<br />

celui <strong>de</strong> l’association SEL « Santé Éthique et Libertés », dirigée par le Professeur<br />

Léry à Lyon (Coudray, 1994) :<br />

92


Figure 1 : Santé Éthique et Libertés<br />

Source : Coudray, 1994, p.108.<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Le corps <strong>de</strong>s soignants est en charge d’une médiation sociale qui la confronte<br />

aux dimensions parfois très larges d’un soin global, <strong>dans</strong> lequel la singularité du<br />

patient est partiellement passée sous silence. Lorsque le soignant se tait, alors qu’il<br />

est <strong>dans</strong> un champ <strong>de</strong> décision où il est en droit d’être, ce silence revient à donner<br />

une approbation tacite à un acte qu’il n’approuve peut-être pas. Il ne joue alors pas<br />

son rôle d’avocat pour le patient. Pour assumer son rôle, le soignant doit pouvoir<br />

avoir une certaine assurance. Celle-ci lui sera, entre autres, conférée par la formation.<br />

Les domaines <strong>de</strong> l’éthique sont aujourd’hui si divers et si complexes que le soignant<br />

doit être formé <strong>dans</strong> cette optique.<br />

93


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

« La profession <strong>de</strong>s soignants, le groupe <strong>de</strong>s acteurs <strong>de</strong> la santé le plus<br />

important en Europe, aura un rôle critique à jouer pour permettre à la<br />

voix du patient d’être pleinement entendue .» (Tope et Koskinen, 2003,<br />

p.163).<br />

3.4 La relation soignante<br />

Dubet (2002), <strong>dans</strong> son ouvrage Le déclin <strong>de</strong> l’institution, s’interroge quant aux<br />

professions qui ont pour objectif le travail « sur autrui » et impliquent donc <strong>de</strong><br />

définir plus précisément ce qu’est cet « autrui ». Il démontre <strong>les</strong> tensions qui peuvent<br />

exister entre <strong>les</strong> différentes positions éthiques que le terme peut prendre et <strong>les</strong><br />

divergences <strong>de</strong> compréhension dont il peut faire l’objet. Dans une profession qui a<br />

l’Autre pour objet, se pose d’emblée cette question <strong>de</strong> notre regard sur l’altérité et <strong>de</strong><br />

notre attitu<strong>de</strong> vis-à-vis d’elle, <strong>de</strong> notre engagement à son égard. Le soin s’incarne<br />

<strong>dans</strong> la relation entre <strong>de</strong>ux personnes et génère à son tour un lien social. C’est<br />

pourquoi Hesbeen (1998, p.25) le décrit comme le moment « d’une rencontre et<br />

d’un accompagnement ».<br />

Le soignant a la lour<strong>de</strong> tâche d’essayer <strong>de</strong> se glisser <strong>dans</strong> la peau <strong>de</strong> l’Autre afin<br />

<strong>de</strong> comprendre ce qu’il vit. Le soignant participe à la décision du soin et dispose ainsi<br />

d’une autorité. En même temps, il ne peut « qu’être avec » et non prendre une<br />

posture <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> qui connaîtrait par avance le chemin.<br />

Il vit parfois une distorsion entre son savoir et <strong>les</strong> exigences <strong>de</strong> sa pratique. Il a<br />

par exemple le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> véracité, selon <strong>les</strong> principes éthiques <strong>de</strong> sa profession (ASI,<br />

2000), alors qu’il se voit souvent contraint <strong>de</strong> taire <strong>de</strong>s informations, voire <strong>de</strong> faire<br />

semblant parfois.<br />

L’éthique existe principalement <strong>dans</strong> la relation à l’Autre. C’est cette rencontre<br />

avec l’Autre, cette confrontation avec le prochain, qui lui donne sa substance.<br />

Chez Ricœur comme chez Lévinas, l’éthique se noue face à l’altérité <strong>de</strong> l’autre<br />

homme. C’est la dimension horizontale <strong>de</strong> la responsabilité.<br />

Ainsi, pour Emmanuel Lévinas, il faut partir du seul visage d’autrui. « L’accès<br />

au visage est d’emblée éthique. » (1982, p.79). Autrui a son sens en soi,<br />

indépendamment <strong>de</strong>s relations qui existent entre lui et moi et qui font que nous nous<br />

94


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

inscrivons <strong>dans</strong> un même contexte. Cet Autre me requiert et me rend <strong>de</strong> ce fait<br />

capable d’agir en être responsable. Ce visage <strong>de</strong> l’Autre <strong>dans</strong> sa concrétu<strong>de</strong> proche<br />

est le point <strong>de</strong> départ du cheminement éthique. En évacuant la morale, nous avons<br />

oublié ce Visage d’Autrui comme le rappelle Lévinas :<br />

« Mais cet "en face du visage <strong>dans</strong> son expression" - <strong>dans</strong> sa mortalité<br />

m’assigne, me <strong>de</strong>man<strong>de</strong>, me réclame : comme si la mort invisible à qui<br />

fait face le visage d’autrui- pure altérité, séparée, en quelque façon, <strong>de</strong><br />

tout ensemble - était mon affaire. » (Lévinas, 1998, p.96).<br />

Quand Lévinas, <strong>dans</strong> sa compréhension hyperbolique, évoque la notion <strong>de</strong><br />

visage, il ne parle pas directement du visage tel que nos sens le perçoivent chez nos<br />

vis-à-vis, mais bien plus du visage que l’on ne saurait voir, celui qui nous engage au<br />

plus profond <strong>de</strong> nous-mêmes. Ce visage interpelle, indirectement notre conscience<br />

propre.<br />

La relation selon Lévinas est toujours inégale, sans réciprocité, car j’ai une<br />

responsabilité toujours plus importante que l’Autre dont je ne dois rien attendre et<br />

surtout pas <strong>de</strong> la reconnaissance.<br />

Le soin permet <strong>de</strong> jeter un pont entre moi et l’Autre <strong>dans</strong> le but d’être plus<br />

proche <strong>de</strong> lui, et l’éthique professionnelle ne peut s’incarner réellement que <strong>dans</strong><br />

cette référence à autrui (Boula, 2010).<br />

Depuis fort longtemps, le processus qui mène à l’individuation est amorcé. Il<br />

chemine tout doucement vers son apothéose. Ce phénomène conduit à considérer<br />

l’individu toujours plus comme une entité à part entière, digne <strong>de</strong> s’accaparer<br />

pleinement le « je » individuel. Et ce « je » ne reste « je » que <strong>dans</strong> la limite <strong>de</strong> la<br />

liberté <strong>de</strong> l’Autre. Ma liberté s’arrête là où celle <strong>de</strong> l’Autre commence. Ainsi l’éthique<br />

se propose d’organiser et promouvoir l’évolution <strong>de</strong>s rapports humains, en<br />

reconnaissant la valeur <strong>de</strong> l’Autre, selon un certain nombre <strong>de</strong> principes. À notre<br />

époque nous réalisons que cet Autre revêt une importance primordiale. Cette prise<br />

<strong>de</strong> conscience est peut-être parallèle à la prise <strong>de</strong> conscience d’un égocentrisme<br />

grandissant qui représenterait une réelle menace pour cette relation à l’Autre<br />

95


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

(Svandra, 2009b). L’hôpital n’est-il pas le lieu par excellence où peut se vivre cette<br />

relation <strong>dans</strong> sa forme la plus fondamentale ?<br />

Face à toutes <strong>les</strong> maladies et toutes <strong>les</strong> déchéances, il s’agit <strong>de</strong> reconnaître<br />

l’Autre comme un être humain singulier et digne d’être. La relation <strong>de</strong> soin nous<br />

permet d’établir avec l’autre une relation qui l’inclut <strong>dans</strong> un réel concret. Ricœur<br />

donne à cette tentative <strong>de</strong> relation établie, faite à la fois <strong>de</strong> raison et <strong>de</strong> sentiment, le<br />

nom <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong>. Or Svandra met en évi<strong>de</strong>nce le fait que <strong>les</strong> termes sollicitu<strong>de</strong> et<br />

soin ont une origine étymologique issue du latin et très proche signifiant : souci,<br />

trouble moral, inquiétu<strong>de</strong> (Svandra, 2009b). En ce sens « avoir <strong>de</strong> la sollicitu<strong>de</strong> »<br />

pour quelqu’un, « c’est prendre soin » <strong>de</strong> lui, se faire du souci pour lui, se sentir<br />

concerné par sa situation. La sollicitu<strong>de</strong> représente l’engagement incarné <strong>dans</strong><br />

l’éthique du care.<br />

Au travers <strong>de</strong> la sollicitu<strong>de</strong>, le soignant peut rechercher la proximité du patient<br />

nécessaire à la relation thérapeutique, tout en gardant la distance nécessaire et<br />

bénéfique. La sollicitu<strong>de</strong> va au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la compassion qui est certes nécessaire mais<br />

ne saurait circonscrire l’ensemble <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong>. Il en est <strong>de</strong> même <strong>de</strong> la pitié qui nous<br />

projette davantage sur notre propre difficulté à comprendre et envisager la<br />

souffrance <strong>de</strong> l’autre. Les vertus <strong>de</strong> respect et <strong>de</strong> dignité convoquent un certaine<br />

notion <strong>de</strong> distance, tandis que la notion <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong> comporte davantage l’idée<br />

d’un élan qui nous porte vers l’Autre et nous en rapproche. Il y a une dynamique<br />

d’échange et la communication n’est pas en sens unique (Ricœur, 1990).<br />

Le soin doit donc comporter <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> sympathie, <strong>de</strong> compassion, <strong>de</strong><br />

pitié mais ne saurait s’y référer uniquement sous peine <strong>de</strong> tomber <strong>dans</strong> une<br />

contingence toute humaine et subjective. La déontologie est là pour préserver un<br />

cadre distanciel indispensable et rappeler <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> la profession soignante, en<br />

<strong>de</strong>hors <strong>de</strong>s sentiments. Le risque serait <strong>de</strong> penser sa responsabilité personnelle en<br />

fonction <strong>de</strong> motifs subjectifs, tels que la sympathie ou l’intérêt. La déontologie est<br />

aussi là pour prévenir ce genre <strong>de</strong> dérive. Même avec <strong>les</strong> meilleures intentions du<br />

mon<strong>de</strong>, l’homme reste naturellement enclin à avoir plus <strong>de</strong> sympathie pour ceux qui<br />

lui sont proches. D’ailleurs étymologiquement, sympathie (sun-pathos) est<br />

l’équivalent du latin compassion (cum-patior). Ces <strong>de</strong>ux termes ont pris néanmoins<br />

une dimension sémantique différente (Svandra, 2009b).<br />

96


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Pour répondre à ce grand défi <strong>de</strong>s relations humaines, la pensée éthique va<br />

<strong>de</strong>voir se structurer et s’organiser autour <strong>de</strong> quelques piliers stab<strong>les</strong>. Ces <strong>de</strong>rniers<br />

vont être <strong>les</strong> principes éthiques. Ces principes dépen<strong>de</strong>nt très largement <strong>de</strong> la culture.<br />

C’est pourquoi la Convention <strong>de</strong>s Droits <strong>de</strong> l’Homme ne fait pas l’unanimité au<br />

niveau mondial. Néanmoins, chaque culture trouve un consensus quasi unanime sur<br />

un certain nombre <strong>de</strong> principes :<br />

« On observe au sein <strong>de</strong> nos cultures occi<strong>de</strong>nta<strong>les</strong>, une très gran<strong>de</strong><br />

unanimité sur un petit noyau <strong>de</strong> principes moraux. Ces principes<br />

forment le cadre stable par rapport auquel i l est possible <strong>de</strong> répondre à<br />

<strong>de</strong>s questions normatives. » (Canto-Sperber, 2002, p.88-89).<br />

L’une <strong>de</strong>s sources principa<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’éthique mo<strong>de</strong>rne se trouve <strong>dans</strong> la<br />

Déclaration <strong>de</strong>s Droits <strong>de</strong> l’Homme, qui affirme dès le début, explicitement, la<br />

dignité inhérente à tout être humain. Ce principe <strong>de</strong> dignité est l’un <strong>de</strong>s moteurs<br />

principaux <strong>de</strong> la réflexion éthique. La dignité place en avant le respect <strong>de</strong> la personne<br />

humaine comme entité individuelle et sociale. Elle fait écho à l’impératif <strong>de</strong> Kant <strong>de</strong><br />

traiter notre égal toujours comme fin et jamais comme moyen.<br />

En basant nos convictions et nos comportements sur ces notions <strong>de</strong> respect et <strong>de</strong><br />

dignité, nous mettons en avant une conception spécifique <strong>de</strong> l’humanité <strong>de</strong> l’homme.<br />

Les progrès et évolutions inédites <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières décennies font que bon nombre <strong>de</strong><br />

comportements privés et sociaux sont remis en question et nous incitent à revenir<br />

très clairement sur <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> respect et <strong>de</strong> dignité tel<strong>les</strong> que Kant <strong>les</strong><br />

définissaient. On pensera par exemple aux possibilités inédites <strong>de</strong> réanimation qui<br />

s’offrent actuellement à nous <strong>dans</strong> <strong>les</strong> grands centres hospitaliers. La mort recule,<br />

certes, mais avec ce progrès se pose la question <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> la vie ultérieure pour<br />

la personne réanimée. Doit-on privilégier <strong>les</strong> fonctions cardiaques et respiratoires en<br />

permettant la survie <strong>de</strong> la personne au risque <strong>de</strong> lésions cérébra<strong>les</strong> entraînant un état<br />

comateux pour le reste <strong>de</strong> l’existence ?<br />

Devant l’insuffisance <strong>de</strong>s données traditionnel<strong>les</strong>, l’incertitu<strong>de</strong> s’installe et<br />

l’éthique se propose humblement <strong>de</strong> tenter une redéfinition, <strong>dans</strong> ces circonstances<br />

97


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

particulières, <strong>de</strong> l’action la moins préjudiciable. C’est <strong>dans</strong> la complexité du<br />

développement <strong>de</strong> notre société que l’éthique trouve réellement tout son sens.<br />

Mais l’éthique c’est aussi la réponse à un processus <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s<br />

violations <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme <strong>les</strong> plus élémentaires et ce, pas seulement à l’autre<br />

bout <strong>de</strong> la planète ou <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations extrêmes <strong>de</strong> combat avec la vie. Les<br />

injustices et drames que nous pouvons découvrir jour après jour, tout près <strong>de</strong> nous,<br />

sont <strong>de</strong>s atteintes évi<strong>de</strong>ntes à la notion d’éthique, mais notre manière d’envisager <strong>les</strong><br />

<strong>soins</strong> quotidiens, <strong>les</strong> relations <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> jours avec nos patients, nos collègues, est<br />

tout autant empreinte <strong>de</strong> cette pensée éthique.<br />

L’éthique se fixe comme objectif <strong>de</strong> marquer <strong>les</strong> limites, pour nous impliquer<br />

<strong>dans</strong> la responsabilité directe face à notre société et à nos semblab<strong>les</strong>. En ce sens, elle<br />

implique une exigence <strong>de</strong> discernement et une prise <strong>de</strong> responsabilité <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

situations <strong>les</strong> plus anodines mais pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> la notion <strong>de</strong> respect reste centrale :<br />

« Respecter, c’est regar<strong>de</strong>r autrui, donc prendre attention à sa situation<br />

réelle. C’est tout le contraire <strong>de</strong> l’indifférence, même polie ! Pour que ce<br />

respect <strong>de</strong>vienne réel, pour que l’être humain accepte <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> soi<br />

pour considérer autrui quel qu’il soit comme une personne, il faut qu’il<br />

soit suscité et nourri par la conscien ce <strong>de</strong> partager un <strong>de</strong>stin commun<br />

qui exige la solidarité. Celle-ci naît en effet <strong>de</strong> la conscience <strong>de</strong><br />

l’appartenance à une commune humanité, où chacun est lié à<br />

l’autre… » (Fuchs, 1996, p.30).<br />

C’est à nouveau la dignité <strong>de</strong> l’être humain, telle que l’a définie Kant, qui prend<br />

sa pleine expression <strong>dans</strong> sa liberté <strong>de</strong> décision, son autonomie, face aux différentes<br />

forces et aux différents intérêts en jeu <strong>dans</strong> la relation thérapeutique. Or, si la dignité<br />

<strong>de</strong> l’humain est communément pensée en lien avec le patient, elle concerne tout<br />

autant le soignant qui est, lui aussi, sujet <strong>de</strong> droits et d’attention. Le soin <strong>de</strong>s autres<br />

ne saurait être déconnecté entièrement du soin <strong>de</strong> soi.<br />

98


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

3.5 L’éthique au service <strong>de</strong>s soignants<br />

En effet, comment être capable réellement <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong>s autres personnes<br />

si l’on ne prend pas soin <strong>de</strong> soi en sa qualité d’humain, conscient <strong>de</strong> son implication<br />

et <strong>de</strong> son action <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>. Cette recherche <strong>de</strong> l’être subjectif qui prend sa source<br />

chez Kierkegaard et évoque l’angoisse <strong>de</strong>vant la mort, implique aussi une réflexion<br />

sur soi.<br />

Lorsqu’il examine cette notion, Foucault (2001) se penche sur <strong>les</strong> écrits <strong>de</strong>s<br />

philosophes grecs et constate que la notion du souci <strong>de</strong> soi constitue le préalable<br />

indispensable à toute velléité <strong>de</strong> s’occuper d’autrui. En ce sens, le souci <strong>de</strong> soi est une<br />

ressource essentielle : prendre soin <strong>de</strong> soi, cela revient à la question <strong>de</strong> l’introspection.<br />

Le souci <strong>de</strong> soi doit s’incarner <strong>dans</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi. Il s’agit <strong>de</strong> se connaître<br />

personnellement, connaître et défendre ses valeurs. Les valeurs sont inscrites au plus<br />

profond <strong>de</strong> nous-mêmes et <strong>de</strong> notre conscience.<br />

C’est pourquoi « questionner la morale, ce n’est pas seulement étudier<br />

<strong>de</strong>s auteurs plus ou moins lointains, analyser <strong>de</strong>s théories plus ou<br />

moins séduisantes, c’est d’abord et avant tout s’observer soi -même, se<br />

questionner, son<strong>de</strong>r ses propres assises et parfois même ébranler ses<br />

sécurités. » (Fortin, 1995, p.4).<br />

Foucault développe la pensée grecque selon laquelle ce souci <strong>de</strong> soi est essentiel.<br />

Il ne s’agit pas d’un caprice narcissique, loin s’en faut. Chez Platon comme chez<br />

Aristote, on remarque cette insistance <strong>dans</strong> l’enseignement aux plus jeunes et cette<br />

injonction au souci <strong>de</strong> soi. Non <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong> satisfaire <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong>, mais <strong>dans</strong> le but<br />

d’accé<strong>de</strong>r à la vérité. Il s’agit, comme dit Foucault « d’une élaboration <strong>de</strong> soi sur<br />

soi, d’une transformation <strong>de</strong> soi sur soi » (p.17). Or, le but est tout à fait louable :<br />

il s’agit d’accé<strong>de</strong>r à un haut <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> vérité pour être à même d’exercer le pouvoir<br />

sur la Cité, c’est-à-dire sur <strong>les</strong> concitoyens. Etre soignant, c’est aussi exercer une<br />

forme <strong>de</strong> pouvoir sur <strong>les</strong> autres. Il ne s’agit pas d’un repli égoïste. S’il y a repli sur soi,<br />

ce n’est qu’un bref moment pour pouvoir ensuite s’ouvrir d’autant mieux vers <strong>les</strong><br />

autres.<br />

99


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Il y a certes <strong>dans</strong> cette expression une connotation quelque peu auto-centrée qui<br />

ne colle pas avec l’image <strong>de</strong> « dévotion » qui marque la profession infirmière. Il y a<br />

donc sans doute un travail <strong>de</strong> légitimation à réaliser.<br />

Le souci <strong>de</strong> soi est un moyen <strong>de</strong> connaissance, moyen essentiel au<br />

développement <strong>de</strong> l’argumentation qui permet <strong>de</strong> défendre un positionnement.<br />

Foucault relève ainsi <strong>dans</strong> un certain nombre <strong>de</strong> textes la présence conjointe du<br />

« connais-toi toi-même » (gnothi seauton) et du « souci <strong>de</strong> soi » (epimeleia<br />

heautou). Le premier, principe <strong>de</strong>lphique bien connu, ne saurait suffire mais prend<br />

plutôt un rôle <strong>de</strong> subordination par rapport au second (p.6). D’ailleurs <strong>dans</strong><br />

l’ouvrage Apologie <strong>de</strong> Socrate, ce <strong>de</strong>rnier se présente comme étant justement celui qui<br />

incite ses concitoyens à ne pas se négliger mais à se préoccuper <strong>de</strong> leur personne. Et<br />

Foucault balaie ensuite l’histoire philosophique pour montrer la récurrence <strong>de</strong> ce<br />

thème, <strong>de</strong>puis Epicure jusqu’aux Béatitu<strong>de</strong>s, en passant par Sénèque et Epictète chez<br />

<strong>les</strong> stoïciens, ou encore par Démétrius chez <strong>les</strong> cyniques.<br />

Si cette attitu<strong>de</strong>, aujourd’hui plutôt perçue comme relevant d’un certain<br />

égocentrisme n’est que très mo<strong>de</strong>stement valorisée, chez <strong>les</strong> Grecs en revanche, elle<br />

revêt un caractère essentiel. Pour <strong>les</strong> Grecs, il ne s’agit pas d’une forme <strong>de</strong><br />

complaisance que l’on s’accor<strong>de</strong>rait, mais bien d’un travail sur soi, d’une<br />

transformation progressive <strong>dans</strong> le but d’acquérir une plus gran<strong>de</strong> sagesse sur le<br />

mon<strong>de</strong>. Il ne s’agit pas uniquement <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi au sens cartésien du<br />

terme, mais bien plutôt d’une connaissance accompagnée d’une transformation <strong>de</strong><br />

soi (metanoia) et <strong>de</strong> sa relation au mon<strong>de</strong>, qui nécessite effectivement la<br />

connaissance profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> sa propre personne, chemin vers la connaissance <strong>de</strong> la<br />

vérité. Cette introspection est profondément éthique en ce sens qu’elle suppose une<br />

remise en question du système <strong>de</strong> valeurs inculqué par l’éducation et le contexte<br />

socio-culturel (p.93). L’individu doit pouvoir se constituer sa propre base axiologique<br />

et la défendre, car le souci <strong>de</strong> soi implique <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix et <strong>de</strong> ne pas se laisser<br />

bercer à tous <strong>les</strong> vents <strong>de</strong> doctrines, ni se laisser influencer par <strong>de</strong>s représentations<br />

extérieures diverses et multip<strong>les</strong>. Penser le rapport à soi permet <strong>de</strong> penser son<br />

rapport au mon<strong>de</strong> et d’utiliser son temps à bon escient, avec une visée téléologique<br />

précise. Avoir une conscience claire <strong>de</strong>s buts à atteindre, permet <strong>de</strong> réfléchir aux<br />

moyens d’y parvenir. C’est en quelque sorte une « conscience permanente <strong>de</strong> son<br />

100


effort » (Foucault, 2001, p.213).<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Mais ce chemin sur soi est également éthique parce qu’il suppose la présence<br />

d’un tiers. Chez <strong>les</strong> Grecs, ce tiers c’est le philosophe, celui que l’on admire et que<br />

l’on cherche à imiter, tandis que chez Sénèque, c’est le Maître, l’exemple et le gui<strong>de</strong><br />

(p.130). L’être humain ne saurait être pleinement indépendant, ni accé<strong>de</strong>r seul à la<br />

connaissance <strong>de</strong> soi. Il est traversé par la présence <strong>de</strong> l’Autre à qui l’on se mesure,<br />

que l’on suit, que l’on admire et conteste.<br />

Il ne s’agit pas d’un repli sur soi qui opèrerait une coupure du mon<strong>de</strong> mais<br />

d’une préparation à son action <strong>de</strong> sujet <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>.<br />

La nécessité du souci <strong>de</strong> soi est directement liée, chez <strong>les</strong> Grecs, à la volonté<br />

d’exercer le pouvoir. Or, le soignant n’exerce-t-il pas aussi un pouvoir, même si c’est<br />

parfois malgré lui, ou s’il n’en est pas toujours conscient ? Prendre soin <strong>de</strong> l’Autre,<br />

c’est aussi exercer une forme <strong>de</strong> pouvoir sur sa personne. Dans la dimension<br />

relationnelle, où s’entremêlent <strong>les</strong> émotions, <strong>les</strong> phénomènes psychologiques et<br />

psychiques, peut-on réellement venir en ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> manière efficace, lorsqu’on n’a pas<br />

au préalable effectué un cheminement personnel <strong>dans</strong> ce sens ? Comment ai<strong>de</strong>r le<br />

patient à se « retrouver » si l’on ne connaît pas le chemin déjà pour soi-même ?<br />

Interrogation que Ricœur éluci<strong>de</strong> <strong>dans</strong> soi-même comme un autre (1990). Le souci <strong>de</strong><br />

soi constitue donc une invitation à <strong>de</strong>venir pleinement sujet responsable <strong>de</strong> ses actes.<br />

Il apparaît comme « un principe constitutif <strong>de</strong> nos actions, et par là -même<br />

comme un principe limitatif » (Foucault, 2001, p.518).<br />

L’éthique va donc bien au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’application simple <strong>de</strong> principes, mais<br />

constitue réellement une mise en questionnement, une démarche inductive, <strong>dans</strong> le<br />

but d’ai<strong>de</strong>r à se penser, pour <strong>de</strong>venir ensuite capable <strong>de</strong> penser une situation et <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir un gui<strong>de</strong> pour d’autres. Dans sa pratique, le soignant va pouvoir gui<strong>de</strong>r <strong>les</strong><br />

différents partenaires <strong>dans</strong> leur façon <strong>de</strong> réfléchir le soin, <strong>dans</strong> la recherche<br />

d’alternatives, <strong>dans</strong> l’acquisition d’une plus gran<strong>de</strong> autonomie et l’expression<br />

renouvelée <strong>de</strong> leur humanité. Le soignant n’a pas le droit <strong>de</strong> juger, en revanche le<br />

questionnement lui appartient et, pour cela, il se réfère à une éthique. Cela se joue<br />

certes sur <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s questions <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il y a nécessité <strong>de</strong> prendre position,<br />

mais cela se joue également au quotidien, <strong>dans</strong> l’expression la plus élémentaire <strong>de</strong> la<br />

101


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

profession et jusque <strong>dans</strong> sa simple présence à ses semblab<strong>les</strong>. Tenir compte <strong>de</strong> ces<br />

différents niveaux constitue un réel défi. C’est lorsque ce souci <strong>de</strong> soi n’est plus<br />

possible, lorsque la personne est amenée à fonctionner à la manière d’un automate,<br />

que vont naître chez elle <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> frustration et <strong>de</strong> malaise.<br />

Après avoir examiné ces divers éléments <strong>de</strong> réflexion, il nous semble pertinent<br />

<strong>de</strong> dire, à l’instar <strong>de</strong> Bouvet & Sauvaige (2005), que le malaise vécu par <strong>les</strong> étudiants<br />

et <strong>les</strong> jeunes diplômés revêt bien une dimension essentiellement éthique.<br />

3.6 Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’éthique, la question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

Toutes <strong>les</strong> constatations sur <strong>les</strong> conditions d’exercice <strong>de</strong>s infirmières que nous<br />

avons relevées mettent en évi<strong>de</strong>nce l’enjeu éthique qui est au cœur <strong>de</strong> cette pratique<br />

infirmière quotidienne. Le soignant se trouve pris <strong>dans</strong> un champ <strong>de</strong> tensions entre<br />

<strong>de</strong>ux fon<strong>de</strong>ments éthiques qui orientent, aujourd’hui peut-être plus que jamais, notre<br />

société. D’un côté, <strong>les</strong> philosophies prônant le bonheur et la félicité mettent en avant<br />

le « bien <strong>de</strong> l’homme », tel Aristote <strong>dans</strong> l’Éthique à Nicomaque. De l’autre côté, <strong>les</strong><br />

philosophes axés sur le <strong>de</strong>voir et la raison, tel Kant, mettent davantage l’accent sur<br />

<strong>les</strong> exigences professionnel<strong>les</strong>. La notion d’autonomie, aujourd’hui très prisée, est<br />

d’ailleurs souvent comprise différemment selon ces <strong>de</strong>ux perspectives<br />

philosophiques. Très importante pour <strong>les</strong> kantiens, elle l’est beaucoup moins pour <strong>les</strong><br />

premiers. Il peut donc y avoir un réel conflit si <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux versants éthiques ne se<br />

rejoignent pas. Ces <strong>de</strong>ux positions ontologiques très différentes cristallisent <strong>les</strong><br />

débats actuels sur l’i<strong>de</strong>ntité infirmière. Alors que <strong>les</strong> infirmières désirent avant tout<br />

agir selon une philosophie du Bien, on attend <strong>de</strong> plus en plus d’el<strong>les</strong> qu’el<strong>les</strong> agissent<br />

selon une philosophie du <strong>de</strong>voir et <strong>de</strong> la responsabilité. Ici surgit l’opposition entre<br />

déontologie et téléologie.<br />

Et si Bouvet & Sauvaige (2005) concluent que l’écart entre l’idéal théorique <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong> et cette difficulté <strong>de</strong> prise en charge <strong>dans</strong> la réalité constituent une mise en<br />

danger <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité même <strong>de</strong> l’infirmière, il paraît évi<strong>de</strong>nt que cette i<strong>de</strong>ntité est<br />

essentielle. En effet, c’est elle qui permet au soignant d’exercer sa responsabilité et<br />

son jugement professionnel, même si cette prise d’autonomie qui l’accompagne est<br />

parfois génératrice d’angoisse. Face aux conditions <strong>de</strong> travail toujours plus diffici<strong>les</strong>,<br />

102


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

cette autonomie constitue quasiment un « impératif <strong>de</strong> survie » (Blon<strong>de</strong>au, 1999,<br />

p.165).<br />

C’est à la gestion <strong>de</strong> ces angoisses que nous pouvons contribuer en tant que<br />

formateurs.<br />

Nous ne voulons pas porter notre attention sur <strong>les</strong> décisions, certes importantes<br />

el<strong>les</strong>-aussi mais plus rares, auxquel<strong>les</strong> l’infirmière doit parfois faire face et qui<br />

nécessitent un positionnement explicite <strong>dans</strong> le cadre d’une réflexion éthique. Nous<br />

voulons davantage nous intéresser à ce qui <strong>de</strong>vrait constituer le but principal <strong>de</strong><br />

l’éducation éthique, à savoir la préparation <strong>de</strong>s étudiantes à faire face aux difficultés<br />

et tensions quotidiennes <strong>de</strong> la pratique et <strong>de</strong> la profession soignantes <strong>dans</strong> leur<br />

rencontre avec la souffrance, la corporalité, l’interaction, la vulnérabilité…(Van <strong>de</strong>r<br />

Arend, Smits, 2003, p.87).<br />

Nous souhaitons que nos étudiants, et <strong>les</strong> jeunes soignants, puissent sortir <strong>de</strong><br />

leur formation en exerçant avec une motivation pérenne la profession qu’ils ont<br />

choisie, le plus souvent, avec beaucoup d’amour et un grand esprit <strong>de</strong> service, faisant<br />

preuve d’une gran<strong>de</strong> compassion à l’égard <strong>de</strong> leurs semblab<strong>les</strong>. N’oublions pas que<br />

<strong>les</strong> étudiants qui choisissent cette voie le font souvent parce qu’ils ont ce désir <strong>de</strong><br />

s’investir, <strong>de</strong> vivre une altérité porteuse <strong>de</strong> sens, mais ils sont aussi sans doute plus<br />

sensib<strong>les</strong> que d’autres qui ne se laissent pas envahir si intensément par la souffrance<br />

<strong>de</strong> leur prochain. Il est donc indispensable <strong>de</strong> penser la formation sous l’angle<br />

éthique <strong>de</strong>s valeurs, tant pour le soignant lui-même que pour sa relation au patient, à<br />

ses collègues, à ses supérieurs… Si ces jeunes gens acquièrent la faculté d’analyser<br />

leurs émotions, <strong>les</strong> valeurs et <strong>les</strong> discours en jeu, ils seront aussi mieux à même <strong>de</strong><br />

prendre <strong>de</strong> la distance et <strong>de</strong> rechercher <strong>de</strong>s solutions adéquates à <strong>de</strong>s situations qui<br />

se complexifient <strong>de</strong> jour en jour.<br />

Leur donner la clé <strong>de</strong> cette faculté d’analyse est sans doute une <strong>de</strong>s meilleures<br />

armes contre le découragement qui guette beaucoup <strong>de</strong> personnes <strong>dans</strong> la profession.<br />

L’éthique en tant que travail personnel <strong>de</strong> réflexion et <strong>de</strong> positionnement sur<br />

<strong>de</strong>s valeurs joue immanquablement un rôle <strong>dans</strong> la manière dont l’étudiante va se<br />

percevoir et se construire en tant que professionnel. Elle paraît donc être une<br />

103


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

composante essentielle <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle. La dimension<br />

éthique est au cœur <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, comme élément fondamental <strong>de</strong> la relation à l’Autre,<br />

mais aussi comme fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> notre agir, <strong>de</strong> notre communication mais également<br />

<strong>de</strong> notre engagement au service du rôle professionnel. Par là-même, l’éthique<br />

façonne l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong>s infirmières et <strong>infirmiers</strong>.<br />

104


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

CHAPITRE 4 - IDENTITÉ DU SOIGNANT<br />

Chaque profession comporte un certain nombre <strong>de</strong> déterminants qui lui sont<br />

propres et qui créent une forme d’i<strong>de</strong>ntité commune chez ceux qui exercent cette<br />

profession. Toutefois cette i<strong>de</strong>ntité ne naît pas ex nihilo mais vient se greffer sur <strong>de</strong>s<br />

formes d’i<strong>de</strong>ntité déjà présentes. Il est important <strong>de</strong> comprendre comment se<br />

construit ce phénomène complexe <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité et selon quels processus itératifs<br />

s’articulent i<strong>de</strong>ntité personnelle, professionnelle et sociale. Un regard plus spécifique<br />

nous conduira à penser l’i<strong>de</strong>ntité en regard <strong>de</strong> l’évolution sociétale, en particulier à la<br />

lumière du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne, voire postmo<strong>de</strong>rne. C’est <strong>dans</strong> ce contexte que nous<br />

pourrons tenter d’appréhen<strong>de</strong>r la construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong><br />

l’étudiante, avant tout être humain avec son i<strong>de</strong>ntité propre, qui chemine vers le<br />

<strong>de</strong>venir d’une professionnelle <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>.<br />

4.1 Aux origines <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

L’importance du « soi » <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité personnelle paraît<br />

évi<strong>de</strong>nte. Pourtant elle ne l’est pas moins <strong>dans</strong> la perspective <strong>de</strong> la construction d’une<br />

i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Le concept d’i<strong>de</strong>ntité se trouve à l’intersection <strong>de</strong> plusieurs<br />

disciplines. Le terme est polysémique et mal circonscrit.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité joue sur une ambivalence, car elle est à la fois la caractéristique <strong>de</strong> ce<br />

qui est i<strong>de</strong>ntique <strong>dans</strong> la vision <strong>de</strong> la continuité, et également <strong>de</strong> ce qui est distinct.<br />

Héraclite d’Éphèse souligne cette ambivalence par la phrase que l’on connaît bien qui<br />

dit que l’« on ne se baigne jamais <strong>dans</strong> l’eau d’un même fleuve ». Il y a à la fois une<br />

permanence du fleuve mais aussi un renouvellement <strong>de</strong> l’eau qui niche en son lit par<br />

un phénomène dynamique continu. Si une personne conserve une continuité en<br />

termes <strong>de</strong> personne humaine, elle évolue au fur et à mesure <strong>de</strong> ses expériences mais<br />

aussi et surtout au fur et à mesure <strong>de</strong>s échanges qu’elle peut avoir avec son<br />

entourage.<br />

105


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

L’étudiante infirmière vit cette tension toute particulière entre ce qui est<br />

continuité, à savoir sa personne avec son vécu, ses valeurs, ses expériences qui ont<br />

forgé son caractère et sa compréhension du mon<strong>de</strong> et, d’un autre côté, ses<br />

interactions nouvel<strong>les</strong> avec un mon<strong>de</strong> méconnu, une profession elle-même marquée<br />

d’une i<strong>de</strong>ntité, <strong>de</strong>s patients avec leur histoire, et <strong>de</strong>s professionnels ayant chacun<br />

également leur trajectoire personnelle et professionnelle.<br />

Il importe donc <strong>de</strong> savoir comment se construit l’i<strong>de</strong>ntité personnelle pour<br />

pouvoir mieux cerner la dimension <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et la manière dont<br />

celle-ci se construit tout au long <strong>de</strong> la formation du futur infirmier.<br />

4.2 Compréhension du concept<br />

Le questionnement autour <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité n’est pas nouveau. Il fait l’objet <strong>de</strong> bien<br />

<strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong>puis fort longtemps déjà, tant au niveau <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité personnelle que<br />

sociale ou professionnelle. Déjà certains philosophes présocratiques, tels Parméni<strong>de</strong><br />

ou Héraclite, se sont interrogés sur le lien possible entre <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> changement et<br />

d’i<strong>de</strong>ntité, question encore pleinement d’actualité aujourd’hui. Certains auteurs<br />

actuels parlent même <strong>de</strong> crise d’i<strong>de</strong>ntité (Dubar, 2000). Le fait est que l’i<strong>de</strong>ntité<br />

interroge <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> facettes <strong>de</strong> la personnalité, <strong>de</strong> l’histoire du sujet, <strong>de</strong> son<br />

expérience, <strong>de</strong> ses schèmes cognitifs, <strong>de</strong> ses valeurs et interroge <strong>de</strong> façon plus globale<br />

la société et ses changements.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité trouve un ancrage <strong>dans</strong> différentes disciplines, et tous <strong>les</strong> auteurs<br />

ayant étudié ce thème s’enten<strong>de</strong>nt à souligner la complexité <strong>de</strong> cette notion.<br />

Complexe parce que dynamique, en constante évolution, du début jusqu’à la fin <strong>de</strong> la<br />

vie, et complexe également parce que soumise à l’influence du contexte au travers <strong>de</strong><br />

relations socia<strong>les</strong> et <strong>de</strong> trajectoires conditionnées socialement : elle est le « produit<br />

<strong>de</strong>s socialisations successives » (Dubar, 1999, p.5).<br />

Lipiansky insiste sur le caractère infini <strong>de</strong> la construction i<strong>de</strong>ntitaire, marquée<br />

par <strong>de</strong>s « ruptures et <strong>de</strong>s crises » jusqu’à la mort <strong>de</strong> l’individu (Lipiansky, 1992,<br />

p.37).<br />

L’i<strong>de</strong>ntité unit en son sein la continuité et le mouvement, marquée par <strong>de</strong>s<br />

phases régulières d’accommodation et <strong>de</strong> conflit. Elle unit ce qui reste permanent sur<br />

106


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

la durée : mêmeté (i<strong>de</strong>m) et ce qui évolue <strong>dans</strong> une logique d’ipséité (ipse). La<br />

mêmeté représente la persistance <strong>dans</strong> le temps du noyau i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> la personne,<br />

tandis que l’ipséité, en tant que démarche du soi vers le mon<strong>de</strong>, constitue la partie <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité qui se laisse façonner par ce contact avec le mon<strong>de</strong>. En cela elle définit le<br />

caractère spécifique du sujet (Dubar, 2000, p.2).<br />

Dans le phénomène i<strong>de</strong>ntitaire on distingue <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> que sont : l’i<strong>de</strong>ntité<br />

personnelle, i<strong>de</strong>ntité pour soi et l’i<strong>de</strong>ntité sociale, i<strong>de</strong>ntité pour l’Autre. La<br />

construction i<strong>de</strong>ntitaire joue donc sur <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux tableaux <strong>de</strong> façon permanente. Les<br />

représentations que l’individu a <strong>de</strong> lui-même et la manière dont il se perçoit<br />

interagissent en permanence avec la manière dont il est perçu par <strong>les</strong> autres. C’est ce<br />

qui fait dire à Dubar que « l’i<strong>de</strong>ntité pour soi est corrélative d’Autrui et <strong>de</strong> sa<br />

reconnaissance » (Dubar, 1999, p.110). Sans l’Autre qui me reconnaît, mon i<strong>de</strong>ntité<br />

n’est pas viable.<br />

Selon Tap (2004), l’i<strong>de</strong>ntité nous permet <strong>de</strong> rester nous-mêmes et <strong>de</strong>venir nous-<br />

mêmes avec <strong>les</strong> autres et à travers <strong>les</strong> autres. Il énonce 6 caractéristiques impliquées<br />

<strong>dans</strong> la construction et la dynamique <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité :<br />

La continuité : ce qui nous permet <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r notre stabilité intérieure,<br />

La représentation, que nous avons <strong>de</strong> nous et qui se confronte régulièrement<br />

avec celle que <strong>les</strong> autres ont <strong>de</strong> nous.<br />

L’unicité : notre conscience d’être <strong>de</strong>s êtres uniques, jamais semblab<strong>les</strong> en tous<br />

points,<br />

La diversité : la capacité à vivre plusieurs rô<strong>les</strong> <strong>dans</strong> notre quotidien, ce qui<br />

nous ai<strong>de</strong> à gérer nos différentes activités mais ne doit pas se muer en<br />

dispersion,<br />

L’action : une ai<strong>de</strong> à la réalisation <strong>de</strong> soi. Elle est le pendant du principe <strong>de</strong><br />

continuité mettant en valeur le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> l’être humain par son action,<br />

Estime <strong>de</strong> soi : nécessaire pour nous ai<strong>de</strong>r à construire une i<strong>de</strong>ntité stable.<br />

La prise en compte <strong>de</strong> ces dimensions <strong>dans</strong> la formation professionnelle<br />

infirmière revêt un caractère particulièrement important sur le plan <strong>de</strong> la<br />

construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité ne constitue pas une carapace attitrée à un rôle et qu’il suffirait<br />

d’endosser à un moment donné. Elle est un construit complexe. L’i<strong>de</strong>ntité<br />

107


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

professionnelle vient s’ancrer à une i<strong>de</strong>ntité personnelle déjà présente et qui<br />

constitue ce que nous avons <strong>de</strong> plus intime (Lipiansky, 1992). Dans cette i<strong>de</strong>ntité,<br />

nous percevons la continuité <strong>de</strong> notre être, avec une référence à <strong>de</strong>s connaissances,<br />

<strong>de</strong>s valeurs, un vécu, c’est-à-dire <strong>de</strong>s éléments qui font notre singularité. C’est au<br />

travers <strong>de</strong> notre i<strong>de</strong>ntité que nous affirmons ce que nous sommes et comment nous<br />

nous distinguons <strong>de</strong> nos semblab<strong>les</strong>. Mais c’est également cette i<strong>de</strong>ntité qui nous<br />

confère une position <strong>dans</strong> la société. En tant que la vie est un mouvement dynamique,<br />

l’i<strong>de</strong>ntité est également mue par un mouvement perpétuel au fur et à mesure <strong>de</strong> nos<br />

expériences, <strong>de</strong>s changements qui s’opèrent au cours <strong>de</strong> notre existence. L’i<strong>de</strong>ntité<br />

personnelle est ainsi une i<strong>de</strong>ntité qui nous affirme en tant que personne singulière,<br />

en tant que Moi. L’i<strong>de</strong>ntité sociale, en revanche, nous affirme et nous définit<br />

davantage par rapport à l’Autre. Il s’agit d’une i<strong>de</strong>ntité attribuée (Dubar, 2006). Elle<br />

se base sur notre appartenance à une profession, une position sociale, un rôle<br />

particulier. « L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle constitue une instance fondamentale <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité sociale. » (Dallaire, 2008, p.443). Elle comporte <strong>de</strong>s aspects gratifiants<br />

<strong>dans</strong> la mesure où elle nous donne une place socialement.<br />

4.2.1 I<strong>de</strong>ntité personnelle<br />

L’individu construit son i<strong>de</strong>ntité tout au long <strong>de</strong> son existence en suivant un<br />

certain nombre d’étapes relativement structurées. L’i<strong>de</strong>ntité personnelle nous affirme<br />

en tant que personne singulière, en tant que Moi. C’est ce qui fait que nous nous<br />

percevons comme i<strong>de</strong>ntique à nous-mêmes en regard <strong>de</strong> connaissances, <strong>de</strong> valeurs,<br />

<strong>de</strong> représentations… qui sont nôtres et nous permettent <strong>de</strong> nous percevoir <strong>dans</strong> notre<br />

singularité et notre unicité (Gohier et al., 2005).<br />

Tap (1998, p. 65) définit l’i<strong>de</strong>ntité personnelle comme étant<br />

« l’ensemble <strong>de</strong>s représentations et <strong>de</strong>s sentiments qu’une personne<br />

développe à propos d’elle-même. Une autre façon serait <strong>de</strong> dire que<br />

l’i<strong>de</strong>ntité personnelle c’est ce qui permet <strong>de</strong> rester le même, <strong>de</strong> se réaliser<br />

soi-même et <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir soi-même, <strong>dans</strong> une société et une culture<br />

données, et en relation avec <strong>les</strong> autres ».<br />

108


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Prenant racine <strong>dans</strong> le plus jeune âge, pour certains auteurs <strong>dans</strong> la phase <strong>de</strong><br />

gestation déjà, la construction que la personne fait d’elle-même, la manière dont elle<br />

se perçoit et perçoit le mon<strong>de</strong> constitue sa structure psychologique, <strong>dans</strong> laquelle elle<br />

va inscrire la suite <strong>de</strong> ses expériences et ses relations. Dans son sens restreint,<br />

l’i<strong>de</strong>ntité personnelle évoque l’i<strong>de</strong>ntité que l’individu a <strong>de</strong> lui, <strong>de</strong> sa singularité et <strong>de</strong><br />

sa vie entrevue comme un continuum sur l’échelle <strong>de</strong> l’existence. Il se voit <strong>dans</strong> son<br />

caractère i<strong>de</strong>ntique, malgré le temps qui passe.<br />

Ruano-Borbalan (2001), en reprenant <strong>de</strong>s écrits <strong>de</strong> Tap et d’autres auteurs.<br />

décline plusieurs dimensions <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité personnelle.<br />

Le désir <strong>de</strong> continuité du sujet qui s’exprime <strong>dans</strong> la volonté <strong>de</strong> s’inscrire <strong>dans</strong><br />

une lignée. L’individu s’inscrit <strong>dans</strong> l’histoire passée en se l’appropriant, il<br />

met en valeur le présent et <strong>les</strong> choix qu’il fait pour préparer le futur et son<br />

i<strong>de</strong>ntité à constituer. Dans le cas d’un fonctionnement normal, le mouvement<br />

constant du passé au futur permet à l’individu <strong>de</strong> donner sens à son présent ;<br />

Le sentiment d’unité ou <strong>de</strong> cohérence qui représente la concordance entre la<br />

manière dont l’individu se perçoit et ce que <strong>les</strong> autres pensent <strong>de</strong> lui. Plus<br />

cette cohérence est importante et plus la personne se sent stable <strong>dans</strong> son<br />

i<strong>de</strong>ntité ;<br />

Le processus <strong>de</strong> séparation et intégration qui permet <strong>de</strong> se distancer d’une<br />

i<strong>de</strong>ntité antérieure pour s’ouvrir à <strong>de</strong> nouveaux repères i<strong>de</strong>ntitaires, mais qui<br />

permet également <strong>de</strong> voir cohabiter plusieurs i<strong>de</strong>ntités en une même personne<br />

(professionnel, époux, père <strong>de</strong> famille…) et <strong>de</strong> voir évoluer ces i<strong>de</strong>ntités avec<br />

le cours <strong>de</strong> la vie ;<br />

L’incarnation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité en actes par <strong>les</strong>quels elle se réalise, s’affirme et se<br />

renforce, donnant à l’individu la capacité <strong>de</strong> gérer le changement tout en<br />

assurant une continuité ;<br />

L’i<strong>de</strong>ntité comme relevant d’une structure psychologique permettant à la<br />

personne <strong>de</strong> comprendre le mon<strong>de</strong>, d’effectuer <strong>de</strong>s choix sélectifs <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

informations et <strong>les</strong> options proposées.<br />

Ces trois <strong>de</strong>rniers points mettent clairement en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> différents domaines<br />

109


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels <strong>les</strong> étudiantes vont subir <strong>de</strong>s modifications <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité. Ces<br />

modifications ne sont pas toujours linéaires et évi<strong>de</strong>ntes. Nos valeurs éthiques et<br />

culturel<strong>les</strong> jouent un rôle essentiel <strong>dans</strong> notre i<strong>de</strong>ntité à laquelle el<strong>les</strong> donnent sens<br />

(Malewska-Peyre, 1999). À ce niveau, la réflexion éthique portant à la fois sur la<br />

compréhension et la cohérence, mais également sur la dimension <strong>de</strong> l’agir<br />

responsable prend tout son sens.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité ne saurait se référer uniquement à la perception <strong>de</strong> soi par l’individu.<br />

Elle constitue également un ensemble <strong>de</strong> représentations et <strong>de</strong> sentiments qui lui<br />

permettent <strong>de</strong> se reconnaître à la fois comme i<strong>de</strong>ntique et différent <strong>de</strong> ses semblab<strong>les</strong>.<br />

Elle est ce qui lui permet d’exister sur un plan social et d’assumer ses rô<strong>les</strong>, en se<br />

sachant reconnu par autrui (Tap, 2004). L’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’enfant se construit d’abord par<br />

rapport à ses parents, à son cadre familial, mais aussi par rapport à son milieu<br />

éducatif, son milieu social, ses fréquentations, ses activités sportives, son univers<br />

scolaire… ainsi que par la reconnaissance qu’on lui accor<strong>de</strong>. Dubar relève ce double<br />

mouvement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntification revendiquée par soi ou par <strong>les</strong> autres en parlant<br />

« d’i<strong>de</strong>ntité pour soi » et « d’i<strong>de</strong>ntité pour autrui » (Dubar, 2000, p.4). Nos<br />

semblab<strong>les</strong> jouent un rôle parfois essentiel <strong>dans</strong> notre construction i<strong>de</strong>ntitaire « Car<br />

l’autre, en incarnant <strong>dans</strong> sa vie une manière particulière d’être pleinement<br />

humain, peut me prêter <strong>de</strong>s repères pour édifier ma personne » (Jollien, 2006,<br />

p.15). Ce lien <strong>de</strong> soi à l’Autre dont le caractère est indispensable, peut aussi<br />

constituer une source d’inquiétu<strong>de</strong> ; le <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> sa propre i<strong>de</strong>ntité étant lié à la<br />

relation établie avec autrui et à sa « reconnaissance ». C’est ce qui conduit Dubar à<br />

définir l’i<strong>de</strong>ntité comme<br />

« le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif,<br />

subjectif et objectif, biographique et structurel, <strong>de</strong>s divers processus <strong>de</strong><br />

socialisation qui, conjointement, construisent <strong>les</strong> individus » (Dubar cité<br />

par Lanza, 1997, p.25).<br />

On relève donc <strong>les</strong> dimensions à la fois cognitives et affectives en lien avec ce<br />

concept. Il pointe vers trois dimensions importantes que sont : la représentation <strong>de</strong><br />

soi, la conscience <strong>de</strong> soi ainsi que l’image <strong>de</strong> soi. Trois éléments essentiels pour<br />

Mucchielli qui nous rappellent que pour « Erickson, l’i<strong>de</strong>ntité n’existe que par le<br />

110


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

sentiment d’i<strong>de</strong>ntité. » (Muchielli, 1999, p.24).<br />

Habiter un rôle <strong>de</strong> futur professionnel soignant exige <strong>de</strong> recourir à une<br />

introspection qui réfléchisse cette représentation <strong>de</strong> soi, cette conscience et cette<br />

image <strong>de</strong> soi afin <strong>de</strong> l’intégrer à une réalité concrète.<br />

4.2.2 I<strong>de</strong>ntité sociale<br />

Pour Lipiansky, l’i<strong>de</strong>ntité sociale<br />

« résulte <strong>de</strong> la position du sujet <strong>dans</strong> sa culture, <strong>dans</strong> sa société et <strong>de</strong><br />

son appartenance à différentes catégories socia<strong>les</strong> : rô<strong>les</strong> sociaux,<br />

profession, statut… et par sa situation <strong>de</strong> relation avec autrui »<br />

(Lipiansky, 1999, p.173).<br />

L’i<strong>de</strong>ntité sociale naît à l’intersection <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux mouvements que sont le<br />

mouvement interne <strong>de</strong> l’individu vers lui et le mouvement externe, <strong>de</strong> l’individu<br />

vers le mon<strong>de</strong> et <strong>les</strong> institutions avec <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il interagit (Dubar, 1999). Dès le plus<br />

jeune âge, l’enfant i<strong>de</strong>ntifie ses groupes d’appartenance <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels il s’inscrit et<br />

dont il tente <strong>de</strong> répondre aux attentes. Il cherche à s’i<strong>de</strong>ntifier également à <strong>de</strong>s<br />

groupes encore inaccessib<strong>les</strong> mais qui constituent <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> et que sont <strong>les</strong><br />

groupes <strong>de</strong> référence (Lipiansky, 1999). L’entrée à l’école représente un moment<br />

important pour le processus <strong>de</strong> socialisation <strong>de</strong> l’enfant. Dubar reprenant <strong>les</strong> écrits <strong>de</strong><br />

Mead explique l’importance <strong>de</strong> cette étape en précisant que le regard <strong>de</strong> l’Autre qui<br />

contribue à construire l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’enfant n’est plus uniquement un individu, mais<br />

une collectivité, ce que Mead nomme « l’autrui généralisé » (Dubar, 1998, p.136).<br />

Grâce à son i<strong>de</strong>ntité sociale, l’individu peut dire qui il est, ce qui le catégorise<br />

socialement et lui permet <strong>de</strong> se sentir reconnu. Pour cela, il a besoin du regard <strong>de</strong><br />

l’Autre qui lui renvoie son image, risquant toujours que cette <strong>de</strong>rnière ne<br />

correspon<strong>de</strong> pas à sa vision, ce qui fait dire à Dubar que « l’i<strong>de</strong>ntité n’est jamais<br />

donnée, elle est toujours construite et à (re)construire <strong>dans</strong> une incertitu<strong>de</strong><br />

plus ou moins gran<strong>de</strong> et plus ou moins durable » (Dubar, 1999, p.109).<br />

L’i<strong>de</strong>ntité sociale se construit donc à la croisée du Soi, <strong>de</strong> son appartenance<br />

sociale et <strong>de</strong> son implication sociale. Le Soi ne constitue en aucun cas une production<br />

111


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

individuelle, mais résulte <strong>de</strong>s interactions <strong>de</strong> l’individu avec <strong>les</strong> personnes autour <strong>de</strong><br />

lui (Cohen-Scali & Guichard, 2008). D’un côté il s’i<strong>de</strong>ntifie à ce groupe, et <strong>de</strong> l’autre,<br />

il s’en différencie. En cela il affronte <strong>de</strong>s tendances contradictoires d’assimilation et<br />

<strong>de</strong> différenciation, d’i<strong>de</strong>ntification et <strong>de</strong> distinction.<br />

Par le Soi on entend l’importance reconnue par l’individu d’exister pour <strong>les</strong><br />

autres, d’être reconnu. Ce Soi évolue avec l’évaluation <strong>de</strong>s autres et l’acceptation ou<br />

le refus qu’il en fait. Mais le Soi permet également l’i<strong>de</strong>ntification indispensable à<br />

l’acquisition <strong>de</strong> nouveaux rô<strong>les</strong> sociaux. L’image <strong>de</strong> soi est donc dépendante <strong>de</strong>s<br />

autres, ce qui pour autant ne la « réduit pas à la fonction d’adaptation aux<br />

autres et aux conditions extérieures » (Malewska-Peyre, 1999, p.141).<br />

L’appartenance sociale quant à elle revêt une gran<strong>de</strong> importance pour<br />

l’adhésion du sujet à un groupe, quel qu’il soit, avec lequel il partage certains<br />

attributs. Dans une première phase, avant son acceptation par le groupe, l’individu<br />

commence à en intérioriser <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> et <strong>les</strong> valeurs. Il intériorise également <strong>les</strong> rô<strong>les</strong><br />

ou <strong>les</strong> statuts en lien avec ce groupe et s’implique alors personnellement au sein <strong>de</strong><br />

celui-ci. Par ce processus, il est conduit à l’implication sociale.<br />

Le groupe revêt à la fois un caractère rassurant et un caractère inquiétant, voire<br />

dangereux. Tap (1998) met fort bien en évi<strong>de</strong>nce l’ambigüité <strong>dans</strong> laquelle le rapport<br />

au groupe nous plonge. En effet, d’un côté, l’i<strong>de</strong>ntification au groupe <strong>de</strong>s individus<br />

ou à un <strong>de</strong> ses membres signifie que je me rapproche d’eux et m’éloigne par là-même<br />

<strong>de</strong> ma propre i<strong>de</strong>ntité, ce qui pourrait être vécu comme un danger. Mais pourtant, la<br />

construction i<strong>de</strong>ntitaire nécessite, nous l’avons vu, ce processus d’i<strong>de</strong>ntification qui<br />

est également sécurisant. Les groupes d’appartenance constituent une « source<br />

essentielle d’i<strong>de</strong>ntités » (Dubar, 2000, p.5). Il faut alors simplement « savoir<br />

revenir chez soi, si l’on veut forger son i<strong>de</strong>ntité personn elle » (Tap, 1998, p.67),<br />

c’est-à-dire passer par le processus d’i<strong>de</strong>ntisation, qui permet au sujet <strong>de</strong> se<br />

différencier et <strong>de</strong> s’affirmer <strong>dans</strong> son individualité.<br />

L’assimilation <strong>de</strong> la profession infirmière à la corporation qui la représente, à<br />

l’histoire qui la porte, et aux mouvements inter et intra-professionnels, permet à<br />

l’étudiante <strong>de</strong> se créer une i<strong>de</strong>ntité sociale.<br />

La construction i<strong>de</strong>ntitaire, loin d’être un long fleuve tranquille, est un<br />

processus « marqué par <strong>de</strong>s ruptures et <strong>de</strong>s crises, inachevé et toujo urs<br />

112


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

repris » (Lipiansky, 1998, p.27). En ce sens, elle nécessite un accompagnement.<br />

Comment situer à présent l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle entre cette i<strong>de</strong>ntité<br />

personnelle et cette i<strong>de</strong>ntité sociale ?<br />

Dans la compréhension <strong>de</strong> Lipiansky,<br />

« l’i<strong>de</strong>ntité oppose et articule donc, <strong>dans</strong> une même dynamique, le<br />

personnel et le social, l’image que l’on a <strong>de</strong> soi et celle qu’on offre à<br />

autrui, le <strong>de</strong><strong>dans</strong> et le <strong>de</strong>hors. Une barrière, fondatrice <strong>de</strong><br />

l’individualité, sépare et fait communiquer en même temps l’intérieur<br />

et l’extérieur, la personne intime et le personnage social » (Lipiansky,<br />

1992, p.60).<br />

Sainsaulieu quant à lui se veut moins dichotomique. Il reconnaît volontiers <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité abordés par Lipiansky mais sans <strong>les</strong> diviser <strong>de</strong> façon si<br />

marquée. L’aspect personnel <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité qu’il nomme l’ipséité et qui représente la<br />

continuité du sujet, s’articule avec l’expérience du mon<strong>de</strong> extérieur. C’est alors le Soi<br />

qui assure cette articulation comme médiateur, chargé <strong>de</strong> garantir la cohérence<br />

(Sainsaulieu, 1996).<br />

Mais <strong>les</strong> chemins à parcourir entre <strong>les</strong> i<strong>de</strong>ntités attribuées, héritées, ou <strong>les</strong><br />

i<strong>de</strong>ntités visées ne sont pas sans embûches. Il y a régulièrement <strong>de</strong>s heurts et <strong>de</strong>s<br />

conflits pour <strong>les</strong>quels la personne doit pouvoir mettre en place <strong>de</strong>s stratégies<br />

i<strong>de</strong>ntitaires. Si l’individu parvient à percevoir la modification <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité comme<br />

inhérente à une continuité, alors il peut éviter la crise. Les stratégies i<strong>de</strong>ntitaires vont<br />

favoriser ce mécanisme.<br />

Viser une i<strong>de</strong>ntité professionnelle, qui plus est une i<strong>de</strong>ntité socialement chargée<br />

<strong>de</strong> nombreuses représentations, n’est pas sans conséquence sur l’équilibre <strong>de</strong>s<br />

i<strong>de</strong>ntités en place, et le Soi a fort à faire pour rétablir l’équilibre. Il est à présent<br />

important d’observer <strong>les</strong> caractéristiques <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité professionnelle pour<br />

observer la dynamique qui lui est liée.<br />

113


4.2.3 I<strong>de</strong>ntité professionnelle<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

La question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité se complexifie encore lorsque l’on parle <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle. Aux autres paramètres se rajoute encore celui <strong>de</strong> l’appartenance à un<br />

corps professionnel, chargé lui aussi d’histoire, jamais figé mais soumis à une<br />

évolution constante qui vient se greffer sur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle déjà formée et qui<br />

constitue ce que nous avons <strong>de</strong> plus intime (Dallaire, 2008). Sans passer sous silence<br />

l’importance du contexte socio-culturel et <strong>de</strong> l’héritage familial, Sainsaulieu insiste<br />

sur le rôle essentiel <strong>de</strong> l’univers <strong>de</strong> travail, en particulier <strong>de</strong>s dynamiques<br />

relationnel<strong>les</strong> professionnel<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> le façonnage <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s personnes.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle constitue une instance fondamentale <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

sociale puisqu’elle permet à l’individu d’obtenir une place et <strong>de</strong> jouer un rôle précis<br />

<strong>dans</strong> la société. Elle n’en <strong>de</strong>meure pas moins une notion complexe et la question se<br />

pose <strong>de</strong> savoir comment elle est travaillée et développée en école. Elle est supposée<br />

acquise en fin <strong>de</strong> formation, mais quel<strong>les</strong> en sont réellement <strong>les</strong> composantes, <strong>les</strong><br />

enjeux, <strong>les</strong> spécificités ?<br />

Pour Dubar, l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle se compose à la fois d’une partie interne,<br />

une i<strong>de</strong>ntité propre qui découle <strong>de</strong> notre histoire, et d’une partie externe, une i<strong>de</strong>ntité<br />

conférée par <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> formation et le milieu <strong>de</strong> travail <strong>dans</strong> lequel s’exerce<br />

la profession. Il distingue ces <strong>de</strong>ux logiques i<strong>de</strong>ntitaires par :<br />

Un volet d’analyse diachronique <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité pour soi par lequel l’individu<br />

se perçoit <strong>dans</strong> son cheminement personnel ;<br />

Un volet d’analyse synchronique par lequel l’individu se perçoit <strong>dans</strong> son<br />

i<strong>de</strong>ntité construite au cœur <strong>de</strong> son univers professionnel et <strong>de</strong>s rapports<br />

dynamiques qui sous-ten<strong>de</strong>nt ce « véritable système social » (Lanza,<br />

1997, p.72).<br />

Dubar souligne ainsi la responsabilité que nous avons en tant qu’acteurs <strong>dans</strong><br />

un établissement <strong>de</strong> formation <strong>dans</strong> la construction i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong>s étudiants.<br />

Cette responsabilité est d’autant plus gran<strong>de</strong> que notre société fait face à une<br />

crise d’i<strong>de</strong>ntité forte qui « atteint le sens <strong>de</strong>s professions et leur inscription<br />

sociale » (Legault, 2003, p.183). Face à cette crise i<strong>de</strong>ntitaire, l’espace dialogique que<br />

l’éthique rend fertile, <strong>de</strong>vient indispensable. Si elle est l’initiatrice du questionnement<br />

114


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

<strong>dans</strong> le dialogue, adoptant alors une fonction <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>, elle est également l’initiatrice<br />

d’une évolution personnelle et collective, par le biais <strong>de</strong> ce même questionnement sur<br />

le sens et sur la mesure <strong>de</strong> l’engagement du professionnel.<br />

En interrogeant notre i<strong>de</strong>ntité, l’éthique interroge ce que nous sommes au plus<br />

profond <strong>de</strong> nous-mêmes, c’est-à-dire <strong>de</strong> nos valeurs et <strong>de</strong> nos motivations. Elle nous<br />

engage et fon<strong>de</strong> à la fois notre pensée et notre action. Interroger cette notion<br />

d’i<strong>de</strong>ntité, c’est réfléchir aux valeurs qui nous animent pour en constater l’impact et<br />

la portée. La dimension éthique inhérente à la notion d’i<strong>de</strong>ntité est donc centrale. Il<br />

nous semble que cette dimension est peu explorée durant la formation, alors qu’elle<br />

constitue le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité infirmière. Ce sont <strong>de</strong> jeunes adultes,<br />

parfois à peine sortis <strong>de</strong> l’ado<strong>les</strong>cence, et qui sont souvent eux-mêmes encore aux<br />

prises avec l’affirmation <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité personnelle. Malgré cet état encore instable,<br />

ces jeunes doivent pouvoir se construire une i<strong>de</strong>ntité professionnelle forte, capable<br />

<strong>de</strong> faire face aux difficultés <strong>de</strong> leur pratique future.<br />

« Les i<strong>de</strong>ntités professionnel<strong>les</strong> sont <strong>de</strong>s manières socialement<br />

reconnues, pour <strong>les</strong> individus, <strong>de</strong> s’i<strong>de</strong>ntifier <strong>les</strong> uns <strong>les</strong> autres, <strong>dans</strong> le<br />

champ du travail et <strong>de</strong> l’emploi. » (Dubar, 2000, p.95).<br />

L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle est donc en soi une forme <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité sociale<br />

puisqu’elle se joue <strong>dans</strong> l’interaction avec l’environnement. Pour Cohen-Scali, ce qui<br />

distingue l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, ce n’est pas tant l’adhésion au groupe spécifique<br />

que la nécessité d’en acquérir le droit d’entrée (diplôme) (Cohen-Scali, 2000).<br />

L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle voit la dialectique « continuité-distinction » <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité personnelle contrebalancée par une autre dialectique, collective cette fois,<br />

l’« i<strong>de</strong>ntification-distinction ». Portée par <strong>de</strong>s représentations, l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle se transforme avec <strong>les</strong> étu<strong>de</strong>s et la confrontation avec la réalité. Elle<br />

est marquée par <strong>de</strong>s transactions subjectives entre l’i<strong>de</strong>ntité héritée et l’i<strong>de</strong>ntité visée,<br />

ainsi que par <strong>de</strong>s transactions objectives entre l’i<strong>de</strong>ntité attribuée et l’i<strong>de</strong>ntité<br />

assumée (Dubar, 1999).<br />

L’estime <strong>de</strong> soi est au centre <strong>de</strong> ce processus car la reconnaissance sociale ne<br />

saurait suffire. Elle doit se doubler <strong>de</strong> reconnaissance affective.<br />

115


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle a pour objet premier la profession elle-même et<br />

l’i<strong>de</strong>ntité au groupe <strong>dans</strong> lequel elle se vit. En effet, si<br />

« donc l’i<strong>de</strong>ntité personnelle s’appuie sur l’intériorisation du social,<br />

réciproquement le social s’élabore aussi par projection <strong>de</strong>s attributs <strong>de</strong><br />

l’individualité au groupe. » (Lipiansky, 1998, p.145).<br />

Et l’auteur <strong>de</strong> faire remarquer la tendance forte à la personnification d’une<br />

communauté. La profession infirmière <strong>de</strong>vient détentrice <strong>de</strong>s mêmes attributs qu’une<br />

personne, ce qui facilite l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> l’étudiante à son groupe d’appartenance<br />

professionnel mais permet également à la profession <strong>de</strong> prendre sa place parmi<br />

d’autres groupes, tel celui <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins par exemple, <strong>de</strong>s laborantins, <strong>de</strong>s<br />

kinésithérapeutes, <strong>de</strong>s sages-femmes… Elle dégage <strong>de</strong>s spécificités qui lui sont<br />

propres mais emprunte également à ces groupes et échange avec eux.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle est, tout comme l’i<strong>de</strong>ntité personnelle, un processus<br />

en continuelle évolution. Elle se construit au fil <strong>de</strong>s expériences professionnel<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s<br />

rencontres, <strong>de</strong>s situations et <strong>de</strong>s relations <strong>de</strong> travail mais aussi <strong>de</strong>s représentations et<br />

<strong>de</strong>s connaissances.<br />

Cette i<strong>de</strong>ntité continue <strong>de</strong> se transformer et <strong>de</strong> se construire tout au long du<br />

parcours professionnel, jusqu’au moment <strong>de</strong> l’abandon <strong>de</strong> la profession par <strong>de</strong>ux<br />

mécanismes distincts que sont l’i<strong>de</strong>ntisation (singularité) et l’i<strong>de</strong>ntification<br />

(appartenance) (Gohier, 2005). Une part importante prend déjà naissance durant la<br />

formation. Les étudiants ne choisissent généralement pas cette profession par hasard.<br />

Ils commencent leur formation avec <strong>de</strong>s représentations <strong>de</strong> la pratique<br />

professionnelle déjà fortement ancrées. Leur i<strong>de</strong>ntité va se construire ensuite au fur<br />

et à mesure <strong>de</strong> la formation. Dans la formation par alternance, la construction <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle ne saurait être le seul privilège <strong>de</strong>s stages pratiques même<br />

si le processus d’i<strong>de</strong>ntification à la communauté professionnelle y trouve une large<br />

part. La pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> formation théorique en école va également contribuer largement<br />

à son élaboration, en particulier lorsqu’il sera question du rôle professionnel, du<br />

positionnement et du statut <strong>de</strong> soignant. Le temps <strong>de</strong> la formation constitue par<br />

conséquent un terreau particulièrement fertile qui va façonner l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle <strong>de</strong> l’étudiante. Il reste à saisir notre part <strong>de</strong> responsabilité <strong>dans</strong> la<br />

116


fertilisation <strong>de</strong> ce terreau.<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

L’enjeu est important car, <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong> cette profession, le positionnement<br />

et l’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire sont non seulement essentiels <strong>de</strong> par la nature du travail<br />

en lui-même et <strong>les</strong> difficultés auxquel<strong>les</strong> celui-ci nous confronte, mais également du<br />

fait que l’enjeu <strong>de</strong> la prise en charge est un être humain, avec toute la dimension <strong>de</strong><br />

dignité que Kant a si bien soulignée. La question est dès lors <strong>de</strong> savoir quel rôle la<br />

formation doit jouer <strong>dans</strong> le processus <strong>de</strong> construction i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> l’individu, et<br />

comment <strong>les</strong> expériences <strong>de</strong> stages et <strong>les</strong> réflexions en formation peuvent être mises<br />

en lien.<br />

Cependant, cette question ne saurait faire fi <strong>de</strong>s spécificités qui marquent la<br />

profession. Concernant l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession infirmière, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sources qui<br />

font principalement obstacle à une construction i<strong>de</strong>ntitaire paisible et stable sont :<br />

Le fait que la profession est marquée du sceau <strong>de</strong> l’histoire et qu’elle a été<br />

comme nous l’avons vu, très longtemps réservée aux femmes, que l’on a<br />

confinées à <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> domestiques et <strong>de</strong> service très peu valorisés.<br />

S’il est vrai que <strong>de</strong>puis le milieu <strong>de</strong>s années 1960 la configuration a un peu<br />

changé avec l’accès <strong>de</strong>s femmes au marché du travail, puis à différentes<br />

carrières <strong>dans</strong> une mutation <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> qui débor<strong>de</strong> largement la sphère<br />

professionnelle, l’infirmière n’a toujours pas, à l’heure actuelle en Suisse, <strong>de</strong><br />

statut propre. Elle est encore considérée comme la personne qui secon<strong>de</strong> le<br />

mé<strong>de</strong>cin.<br />

L’autre point névralgique rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> l’évolution <strong>de</strong> notre société. En effet,<br />

celle-ci ne facilite pas le développement d’une i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />

L’exigeant <strong>de</strong>voir kantien cè<strong>de</strong> la place à une morale <strong>de</strong> l’autonomie et du<br />

libre choix <strong>de</strong>s décisions.<br />

C’est <strong>dans</strong> la pratique, au cœur <strong>de</strong>s échanges, <strong>de</strong>s conflits, <strong>de</strong>s représentations<br />

collectives, <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong> savoir, savoir-faire et savoir-être, <strong>dans</strong> un lieu<br />

d’échange permanent, que la future infirmière <strong>de</strong>vrait pouvoir auto-construire et co-<br />

construire peu à peu son i<strong>de</strong>ntité. Mais si ses « aspirations initia<strong>les</strong> et la<br />

117


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

confrontation à <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> i<strong>de</strong>ntitaires vont conduire l’étudiante à se forger<br />

une i<strong>de</strong>ntité professionnelle » (Boittin, 2002, p.67), celle-ci s’affirme <strong>de</strong> moins en<br />

moins en regard <strong>de</strong> grands systèmes <strong>de</strong> référence déontologiques professionnels ou<br />

corporatifs.<br />

De fait, l’étudiante se trouve parfois en perte <strong>de</strong> repères durant la formation,<br />

confrontée à <strong>de</strong>s logiques professionnel<strong>les</strong> relevant d’i<strong>de</strong>ntités parfois très variées<br />

selon <strong>les</strong> stages. Cette réalité correspond à un phénomène <strong>de</strong> société plus large et<br />

l’hôpital que l’on dit être une « micro-société » en est le reflet.<br />

4.3 De la mo<strong>de</strong>rnité à la crise d’i<strong>de</strong>ntité plurielle<br />

Notre société actuelle est traversée par une « crise du lien social » qui génère<br />

<strong>de</strong>s ruptures d’équilibre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> relations entre individus, mais également <strong>dans</strong> la<br />

construction i<strong>de</strong>ntitaire personnelle <strong>de</strong> chacun (Dubar, 2000, p.10).<br />

Après une analyse détaillée <strong>de</strong> la compréhension historique <strong>de</strong> la notion<br />

d’i<strong>de</strong>ntité et <strong>de</strong>s tribulations que celle-ci a connu, Dubar conclut que <strong>les</strong> modè<strong>les</strong><br />

d’i<strong>de</strong>ntité stab<strong>les</strong> que nous connaissions par le passé sont réellement en crise puisque<br />

leur légitimité ne va plus <strong>de</strong> soi (Dubar, 2000, p.53). L’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> l’individu<br />

avec un modèle semble s’être plus ou moins évincée pour laisser la place à<br />

l’affirmation du « Je » individualiste.<br />

Dans notre société contemporaine, nous vivons une multiplication <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> et<br />

ce sont particulièrement <strong>les</strong> femmes qui sont concernées, jonglant avec le rôle <strong>de</strong><br />

mère, celui d’épouse, <strong>de</strong> responsable du ménage, <strong>de</strong> femme active<br />

professionnellement, <strong>de</strong> femme sportive et j’en passe… La femme doit réunir un<br />

nombre important <strong>de</strong> capacités, tant cognitives, qu’affectives ou organisationnel<strong>les</strong>…<br />

Elle peut se trouver en proie à <strong>de</strong>s difficultés face à <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités multip<strong>les</strong> qui<br />

s’affrontent et ne parviennent pas toujours à organiser leurs transactions sans heurts.<br />

La profession infirmière n’est pas épargnée par la crise ces i<strong>de</strong>ntités multip<strong>les</strong>, elle<br />

connaît, comme bien d’autres, <strong>de</strong> profon<strong>de</strong>s mutations comme le montre Sainsaulieu<br />

<strong>dans</strong> ses travaux récents. Le quotidien a perdu <strong>de</strong> sa stabilité : <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> se<br />

118


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

désunissent, <strong>les</strong> grands repères idéologiques sont délaissés, le mon<strong>de</strong> du travail se<br />

précarise, le politique perd <strong>de</strong> son autorité et la socialisation s’en trouve affectée. En<br />

lien avec ces changements apparaissent <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes d’i<strong>de</strong>ntités multip<strong>les</strong>,<br />

qui cohabitent tant bien que mal au sein d’un même groupe professionnel (Dubar,<br />

1998, p.137).<br />

Il est bien entendu qu’avec l’évolution <strong>de</strong>s mentalités, c’est également le rapport<br />

au travail qui se modifie. Longtemps considéré comme l’activité principale, il est<br />

aujourd’hui mis en concurrence avec une foule d’autres activités. On observe alors<br />

<strong>de</strong>ux tendances qui veulent, l’une, que le travail ne revête plus, pour certains, qu’un<br />

intérêt pécuniaire et pour <strong>les</strong> autres, que la profession constitue une possibilité<br />

d’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire par la reconnaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses compétences. De là, la<br />

vague d’expansion <strong>de</strong> cette notion <strong>de</strong> compétence <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> milieux<br />

professionnels (Dubar, 2000, p.110).<br />

4.4 I<strong>de</strong>ntité : <strong>de</strong> l’étudiante à la soignante<br />

Les programmes <strong>de</strong> formation insistent aujourd’hui sur la nécessité <strong>de</strong>s<br />

étudiants <strong>de</strong> s’adapter à différents contextes <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Le terme <strong>de</strong> flexibilité est<br />

particulièrement plébiscité pour souligner cette nécessaire compétence d’adaptabilité.<br />

Les cours à vocation socioprofessionnelle participent à la construction <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Ce sont ceux qui mettent en avant le «rôle propre » <strong>de</strong><br />

l’infirmière, son i<strong>de</strong>ntité, <strong>les</strong> aspects légaux et déontologiques, <strong>les</strong> cours sur la<br />

professionnalisation et <strong>les</strong> politiques <strong>de</strong> santé, <strong>les</strong> apports sur la méthodologie face à<br />

<strong>de</strong>s dilemmes éthiques.<br />

Les cours à vocation méthodologique contribuent également à la construction<br />

i<strong>de</strong>ntitaire par la transmission <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s (jugement clinique, pose <strong>de</strong> diagnostic<br />

infirmier, éducation du patient, initiation à la recherche…). En quelque sorte, c’est<br />

chaque cours qui apporte sa contribution à l’i<strong>de</strong>ntité, en fonction <strong>de</strong> ce que<br />

l’étudiante est à même d’ingérer au moment où elle le reçoit.<br />

Les étudiantes arrivent <strong>dans</strong> une école <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> non pas comme une<br />

page blanche qui ne <strong>de</strong>man<strong>de</strong>rait qu’à être dûment remplie, mais comme <strong>de</strong>s édifices<br />

119


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

en cours <strong>de</strong> construction. Des pierres sont déjà posées qui orientent la manière dont<br />

ils vont appréhen<strong>de</strong>r, comprendre, assimiler <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> connaissances.<br />

« Tout individu qui arrive en formation dispose <strong>de</strong> représentations,<br />

conceptions et connaissances préalab<strong>les</strong> qui auront une influence<br />

importante sur <strong>les</strong> acquisitions ultérieures . » (Bourgeois, 1996).<br />

L’étudiante dispose déjà, comme nous l’avons vu précé<strong>de</strong>mment, d’une i<strong>de</strong>ntité<br />

personnelle et sociale. Elle s’inscrit alors <strong>dans</strong> une dialectique entre l’i<strong>de</strong>ntité héritée,<br />

l’i<strong>de</strong>ntité personnelle formée et la nouvelle i<strong>de</strong>ntité à laquelle elle va être initiée par<br />

la culture professionnelle. Comme toute formation, la formation soignante représente<br />

« une contradiction permanente entre la conformité et l’autonomie » (Tap,<br />

1998, p.68).<br />

Immergée <strong>dans</strong> cette culture, elle va voir son nouveau rôle se développer par<br />

un processus d’i<strong>de</strong>ntification qui la conduit à négocier en permanence <strong>les</strong> tensions<br />

entre son idéal <strong>de</strong> la profession et la réalité qu’elle rencontre. Ce processus, marqué<br />

d’anticipation, est abordé dès <strong>les</strong> premiers cours à l’entrée en formation. Il sera<br />

d’abord théorique, axé autour <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> propres et délégués <strong>de</strong>s soignants. Il<br />

<strong>de</strong>viendra ensuite plus concret lors <strong>de</strong> la confrontation au réel sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong><br />

pratique. Les premiers temps <strong>de</strong> la formation mettent en évi<strong>de</strong>nce une tendance<br />

logique <strong>de</strong>s étudiantes à se mo<strong>de</strong>ler sur ce que la pratique attend d’eux, suivant le<br />

modèle piagétien d’assimilation-accommodation. Tout au long <strong>de</strong> sa formation,<br />

l’étudiante va vivre non seulement le conflit entre ses représentations idéa<strong>les</strong> <strong>de</strong> la<br />

profession et la réalité rencontrée, mais elle va <strong>de</strong>voir encore vivre le conflit entre <strong>les</strong><br />

normes idéa<strong>les</strong> véhiculées par l’institution scolaire et <strong>les</strong> réalités ou pratiques<br />

informel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> hospitaliers ou extra-hospitaliers. Alors que l’école met<br />

l’accent sur <strong>les</strong> connaissances ainsi que sur la nécessité d’une démarche d’analyse<br />

approfondie et d’une réflexion multifocale englobant <strong>les</strong> différents enjeux d’une<br />

situation, la réalité confronte <strong>les</strong> étudiantes au manque <strong>de</strong> temps et <strong>de</strong> personnel, à<br />

une rentabilité et une routine résultant <strong>de</strong> conditions d’exercice souvent diffici<strong>les</strong>.<br />

Leur vision idéalisée d’une profession parfois choisie dès l’enfance, doit faire face à la<br />

vision assombrie <strong>de</strong> professionnels désabusés.<br />

120


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

L’étudiante vit donc à la fois un processus d’assimilation ou d’i<strong>de</strong>ntification,<br />

ainsi qu’un processus toujours plus actif au fur et à mesure <strong>de</strong> l’avancée <strong>de</strong> la<br />

formation qui consiste en une différentiation. Celle-ci le voit prendre son autonomie,<br />

s’inscrire <strong>dans</strong> une perspective singulière à la profession en questionnant sa pratique,<br />

ses actes pour leur conférer leur validité professionnelle.<br />

Pourtant différentes étu<strong>de</strong>s montrent que l’acquisition <strong>de</strong> cette phase<br />

d’autonomie et d’expression singulière d’une pratique, se vit différemment d’une<br />

étudiante à l’autre. Certains d’entre eux restent, jusqu’au terme <strong>de</strong> leur formation,<br />

<strong>dans</strong> une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> conformation, d’accommodation, tant vis-à-vis <strong>de</strong> l’école que<br />

<strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> stage (Haberey-Knuessi, 2010). D’autres étudiants, n’ayant pas réussi à<br />

gérer <strong>les</strong> conflits internes générés par l’i<strong>de</strong>ntification à la nouvelle i<strong>de</strong>ntité, ont senti<br />

leur i<strong>de</strong>ntité personnelle menacée et sont entrés <strong>dans</strong> une situation <strong>de</strong> crise qui, selon<br />

<strong>les</strong> ressources dont ils ont alors disposé, ont eu <strong>de</strong>s conséquences plus ou moins<br />

négatives sur la construction <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité professionnelle (Garnier, 2002).<br />

De ces lectures, nous retenons quatre dimensions pour cerner la difficulté<br />

actuelle <strong>de</strong> l’élaboration <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité sociale et professionnelle <strong>de</strong>s futurs soignants :<br />

tension croissante entre l’idéal enseigné et <strong>les</strong> limites imposées par <strong>les</strong> réalités<br />

<strong>de</strong> la pratique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> ;<br />

nécessité accrue <strong>de</strong> soutenir le développement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> et<br />

une société en perte <strong>de</strong> repères ;<br />

nécessité <strong>de</strong> s’extraire <strong>de</strong> la conception linéaire <strong>de</strong> l’apprentissage d’après un<br />

modèle, à un apprentissage individuel prenant racine <strong>dans</strong> un construit en<br />

constante élaboration ;<br />

nécessité <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> promouvoir l’évolution <strong>de</strong> la profession infirmière en<br />

lui permettant <strong>de</strong> s’extraire <strong>de</strong> son carcan d’humanisme inconditionnellement<br />

dévoué, pour s’ouvrir à un engagement réfléchi, actif et convaincu.<br />

Ces constats multip<strong>les</strong> et diversifiés nous conduisent à penser que la réponse ne<br />

saurait être linéaire et unifocale. Répondre à l’exigence d’une notion aussi complexe<br />

121


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

que l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle interroge nécessairement plusieurs dimensions.<br />

L’éthique, en tant que manière d’être au mon<strong>de</strong> influence notre rapport à nous-<br />

mêmes, à l’Autre, à la profession et au mon<strong>de</strong>. Elle est cet élément fédérateur entre<br />

<strong>les</strong> différentes formes d’i<strong>de</strong>ntités, entre « l’intérieur et l’extérieur, la personne<br />

intime et le personnage social » (Lipiansky, 1992, p.60).<br />

Mais cette éthique que l’on retrouve <strong>dans</strong> chacune <strong>de</strong>s six caractéristiques <strong>de</strong> la<br />

dynamique <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité décrite par Tap (2004), ne saurait rester lettre morte. Elle<br />

s’incarne au contraire <strong>dans</strong> une mise en acte qui, à son tour, vient favoriser la<br />

réalisation <strong>de</strong> soi. Elle contribue à la construction i<strong>de</strong>ntitaire en valorisant le<br />

développement <strong>de</strong> la personne par son action (Tap, 2004).<br />

Or, que cette i<strong>de</strong>ntité soit pensée <strong>dans</strong> le rapport au patient, à la profession ou à<br />

soi-même en tant que personne, la dimension éthique <strong>de</strong>meure centrale comme<br />

fon<strong>de</strong>ment. Cette éthique s’incarne <strong>dans</strong> un agir concret et une manière d’être soi,<br />

d’être à l’autre et d’être à son métier. C’est ici que la notion d’engagement prend tout<br />

son sens. L’engagement est à la fois le résultat d’un positionnement éthique mais<br />

également un moteur, au travers <strong>de</strong> la formation, <strong>de</strong> la relation au patient et <strong>de</strong><br />

l’investissement du rôle professionnel pour la construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />

La notion d’engagement, <strong>dans</strong> sa dimension éthique, réunit donc le Soi,<br />

l’appartenance sociale et professionnelle ainsi que l’implication également sociale et<br />

professionnelle d’une même personne, en créant pour elle le sens et la cohérence<br />

(Lipiansky, 1992).<br />

On comprend ici la centralité <strong>de</strong> ce concept d’engagement qui repose lui-même<br />

sur d’autres concepts et dimensions qui viennent façonner et enrichir ses différentes<br />

facettes.<br />

Ce sujet fera l’objet d’un développement théorique spécifique <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>uxième<br />

partie du présent travail. Il est néanmoins utile <strong>de</strong> convoquer ici quelques-uns <strong>de</strong>s<br />

concepts qui nous semblent jouer un rôle prépondérant <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong><br />

l’engagement professionnel.<br />

En effet, l’infirmière, quelle que soient son âge, sa provenance ou son<br />

expérience, exerce sa profession en étant imprégnée d’une culture institutionnelle et<br />

professionnelle, d’une expérience <strong>de</strong> vie et d’une personnalité propre. Ces<br />

122


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

paramètres influencent et façonnent son système <strong>de</strong> valeurs qui lui-même, à son tour,<br />

a un impact direct sur la manière dont cette infirmière va considérer ses semblab<strong>les</strong><br />

et en particulier <strong>les</strong> patients, ainsi que sa profession et ce qui constitue la nature<br />

profon<strong>de</strong> du soin. Ce système <strong>de</strong> référence éthique peut, à son tour, se scin<strong>de</strong>r entre<br />

une éthique <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et une éthique <strong>de</strong> responsabilité. On retrouve<br />

ici le champ <strong>de</strong> tension entre l’éthique d’Aristote et le désir <strong>de</strong> la vie bonne avec<br />

l’éthique <strong>de</strong> Kant et la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir et <strong>de</strong> responsabilité. Il semble impossible <strong>de</strong><br />

superposer pleinement l’éthique <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> avec l’éthique <strong>de</strong><br />

responsabilité, auquel cas nous aurions atteint l’harmonie parfaite, notre idéal<br />

rejoignant <strong>de</strong> manière absolue ce qui est <strong>de</strong> l’ordre du <strong>de</strong>voir. En revanche, la<br />

manière dont s’équilibrent ces <strong>de</strong>ux versants éthiques va jouer, selon nous, un rôle<br />

crucial <strong>dans</strong> le sens que l’infirmière va percevoir <strong>de</strong>rrière son activité. Il s’agit du<br />

sens porteur <strong>de</strong> cohérence, tel qu’Antonowsky (1997) l’entend. C’est un sens dont le<br />

bien-fondé permet <strong>de</strong> passer outre nos convictions ou <strong>de</strong> faire taire nos préférences.<br />

Cette notion <strong>de</strong> cohérence joue un rôle essentiel. En effet, c’est seulement à<br />

partir du moment où l’infirmière perçoit le sens <strong>de</strong> son activité et que sa<br />

responsabilité, mise en balance avec ses motivations et aspirations, trouve un chemin<br />

suffisamment cohérent, qu’elle peut réellement faire preuve d’authenticité <strong>dans</strong> la<br />

relation au patient et à ses collègues.<br />

On entend par authenticité, la manière d’être en adéquation entre notre être<br />

intérieur, nos sentiments, nos valeurs et ce que nous donnons à voir <strong>de</strong> nous-mêmes,<br />

notre implication <strong>dans</strong> une relation. Il s’agit d’être vrais et sincères, une attitu<strong>de</strong> que<br />

Rogers définit comme l’un <strong>de</strong>s trois concepts essentiels <strong>dans</strong> la relation au soigné<br />

(Rogers, 2010), à la fois pour être crédible auprès <strong>de</strong> la personne soignée, mais<br />

également pour son propre équilibre psychique.<br />

Or cette authenticité, à son tour, est l’ingrédient indispensable au<br />

professionnalisme, garantissant à la fois l’efficacité sur le plan professionnel, mais<br />

également le bien-être du soignant (Dallaire, 2008).<br />

De ce professionnalisme découle alors la volonté <strong>de</strong> l’infirmière <strong>de</strong> faire preuve<br />

d’implication et d’engagement <strong>dans</strong> sa prise en soin, <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong> son rôle<br />

professionnel et <strong>de</strong> son rôle <strong>de</strong> collaborateur au système sanitaire. Mais cet<br />

engagement peut également s’étendre à un niveau plus général, par exemple au<br />

123


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

niveau <strong>de</strong> l’action au sein <strong>de</strong> la corporation ou <strong>de</strong>s associations professionnel<strong>les</strong>…<br />

Si l’infirmière a jusque-là œuvré à construire principalement son i<strong>de</strong>ntité ou ses<br />

i<strong>de</strong>ntités : personnelle, sociale et professionnelle, à ce sta<strong>de</strong>, elle œuvre même<br />

directement à la construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> sa profession.<br />

C’est pourquoi, à notre sens, l’i<strong>de</strong>ntité infirmière n’est pas une simple<br />

juxtaposition <strong>de</strong> compétences, qu’el<strong>les</strong> soient techniques, relationnel<strong>les</strong> ou<br />

intellectuel<strong>les</strong>, mais relève d’un schéma beaucoup plus complexe qui interpelle la<br />

personne au plus profond d’elle-même. Le professionnel, c’est celui qui sait mobiliser<br />

sa subjectivité, son i<strong>de</strong>ntité personnelle pour l’investir <strong>dans</strong> son activité<br />

professionnelle. Il engage sa personne et on attend <strong>de</strong> lui qu’il respecte certes la<br />

déontologie mais également qu’il soit porteur d’une éthique en tant que réflexion<br />

approfondie et critique sur sa pratique et <strong>les</strong> valeurs qui la fon<strong>de</strong>nt.<br />

L’éthique, en tant qu’elle constitue un dénominateur commun et un fon<strong>de</strong>ment<br />

capital à la fois <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité et <strong>de</strong> l’engagement, <strong>de</strong>meure une notion centrale à<br />

explorer ici. Il s’agit <strong>de</strong> savoir quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> réponses que la formation permet<br />

d’apporter sur cette notion clé <strong>de</strong> l’éthique, <strong>dans</strong> sa relation à l’i<strong>de</strong>ntité et à<br />

l’engagement professionnels, ainsi que la manière dont ces thèmes sont structurés,<br />

réunis ou dissociés. Sont-ils ou non organisés et présentés aux étudiantes sous forme<br />

<strong>de</strong> système, un système qui fasse sens pour l’exercice professionnel du futur soignant<br />

et qui répon<strong>de</strong> à la logique hologrammatique, en sachant relever le défi <strong>de</strong> la<br />

complexité (Morin, 1982).<br />

La question se pose à présent <strong>de</strong> savoir comment sont conçus <strong>les</strong> systèmes <strong>de</strong><br />

formation <strong>de</strong>s infirmières et comment <strong>les</strong> différentes notions dont nous avons montré<br />

<strong>les</strong> liens étroits sont envisagés sur plan pédagogique pour être appréhendés <strong>dans</strong><br />

toute leur complexité.<br />

124


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

CHAPITRE 5 - LA FORMATION EN SOINS INFIRMIERS<br />

« La formation et le soin sont <strong>de</strong>ux modalités inséparab<strong>les</strong> <strong>de</strong> notre<br />

présence au mon<strong>de</strong>.» (Honoré, 2003, p.97). Dans le développement <strong>de</strong> l’existence<br />

humaine, la nécessité <strong>de</strong> la formation fait écho à l’obligation du soin. Reste à savoir<br />

comment <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sont articulées, en particulier <strong>dans</strong> la logique <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong>s<br />

compétences métier pour <strong>les</strong> futures infirmières.<br />

Dans la perspective socioconstructiviste <strong>de</strong> l’enseignement, la formation permet<br />

<strong>de</strong>s apprentissages qui ont pour but <strong>de</strong> transformer nos représentations et <strong>de</strong><br />

permettre à notre savoir, savoir-faire, et savoir-être, <strong>de</strong> se construire pour atteindre<br />

<strong>les</strong> objectifs visés.<br />

Il y a un travail à effectuer en amont pour l’implémentation <strong>de</strong> ces objectifs et,<br />

en aval, il s’agit <strong>de</strong> réfléchir aux modalités pédagogiques <strong>les</strong> plus appropriées pour<br />

atteindre réellement ces objectifs. L’analyse <strong>de</strong> pratique en constitue certainement<br />

l’un <strong>de</strong>s moyens privilégiés.<br />

Un <strong>de</strong>s buts <strong>de</strong> la formation, tant à l’école que sur le lieu <strong>de</strong> stage, rési<strong>de</strong> en effet<br />

<strong>dans</strong> la mise en mots <strong>de</strong>s opérations cognitives mobilisées au cours <strong>de</strong> la démarche<br />

clinique, en <strong>les</strong> introduisant comme éléments <strong>de</strong> compétence pour la pratique<br />

professionnelle. Il s’agit <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong> sa manière <strong>de</strong> raisonner et <strong>de</strong><br />

l’analyser. La tâche est ardue car cela implique <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong>s mots sur <strong>de</strong>s actions<br />

implicites, sur <strong>de</strong>s perceptions ou même sur <strong>de</strong>s intuitions. Il est néanmoins<br />

indispensable que l’étudiante parvienne à affiner son jugement clinique afin d’être<br />

capable <strong>de</strong> catégoriser <strong>les</strong> problèmes rencontrés et ainsi limiter l’espace <strong>de</strong> recherche<br />

<strong>de</strong>s solutions appropriées.<br />

C’est aussi un moyen <strong>de</strong> réduire le niveau d’abstraction <strong>de</strong>s savoirs en <strong>les</strong><br />

reliant à une pratique. Il est en effet nécessaire <strong>de</strong> travailler l’articulation entre <strong>les</strong><br />

apports théoriques et l’application pratique pour que <strong>les</strong> savoirs théoriques<br />

<strong>de</strong>viennent réellement <strong>de</strong>s savoirs d’action (Barbier, 2004).<br />

Les étudiants accumulent <strong>de</strong>s connaissances multip<strong>les</strong> mais dont la<br />

125


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

mobilisation au service du jugement clinique reste souvent bien ardue. Ces<br />

connaissances sont peu envisagées comme un fon<strong>de</strong>ment réflexif répondant aux<br />

be<strong>soins</strong> d’un exercice professionnel, en particulier sous l’angle éthique. En ce sens, la<br />

formation se révèle déjà soignante par elle-même. « La nécessité <strong>de</strong> la formation<br />

pour le soin conduit à le considérer lui -même comme formatif » (Honoré, 2003,<br />

p.125).<br />

Mais l’éthique exige une interrogation à un autre niveau <strong>de</strong> réflexion également.<br />

Dans la mesure où l’éthique engage <strong>les</strong> valeurs <strong>les</strong> plus intimes, on ne peut faire<br />

l’impasse d’une réflexion et d’un travail <strong>de</strong> fond autour <strong>de</strong> ces valeurs.<br />

Il faut savoir <strong>les</strong> repérer, <strong>les</strong> nommer et expliquer leur influence sur <strong>les</strong><br />

pratiques. Cela relève d’une tâche difficile (Jutras, 2007b, p.15-16).<br />

Et Gohier confirme cette difficulté <strong>de</strong> l’enseignement <strong>de</strong> l’éthique en précisant<br />

qu’il ne saurait être réduit à la simple application d’opérations menta<strong>les</strong>, mais<br />

nécessite réellement une dimension d’introspection et <strong>de</strong> mise en question <strong>de</strong> nos<br />

valeurs <strong>les</strong> plus ancrées, qui sont également la source <strong>de</strong> nos actions (Gohier, 2007,<br />

p.11-12).<br />

Dans la réflexion éthique, ce sont tout particulièrement <strong>les</strong> concepts : autonomie,<br />

liberté et responsabilité qui doivent être travaillés, mais en regard <strong>de</strong> toutes <strong>les</strong> autres<br />

valeurs qui vont <strong>les</strong> éclairer sous un angle plus spécifique et déterminant pour<br />

l’individu.<br />

Il va <strong>de</strong> soi que la notion <strong>de</strong> valeur est très intimement liée à celle <strong>de</strong> sentiment,<br />

puisqu’il s’agit <strong>de</strong> ce que nous avons <strong>de</strong> plus intime. Or, <strong>dans</strong> la profession infirmière,<br />

<strong>les</strong> valeurs sont largement mises à l’épreuve, mais <strong>les</strong> émotions également. C’est<br />

pourquoi il semble difficile <strong>de</strong> dissocier l’enseignement théorique <strong>de</strong> l’enseignement<br />

pratique. Les situations vécues sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> pratique, chargées d’affects et<br />

porteuses <strong>de</strong> nombreuses questions qui interrogent la personne <strong>dans</strong> ses dimensions<br />

<strong>les</strong> plus diverses, doivent pouvoir être reprises comme objet <strong>de</strong> questionnement et <strong>de</strong><br />

réflexion. En ce sens la formation par alternance constitue un processus<br />

véritablement dynamique et doit conduire l’étudiante à <strong>de</strong>venir une professionnelle<br />

capable d’agir son activité <strong>de</strong> manière réfléchie, appropriée et pertinente. Le<br />

126


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

processus <strong>de</strong> professionnalisation va permettre à l’étudiante <strong>de</strong> se construire, en tant<br />

que professionnelle, à partir <strong>de</strong> ce qu’elle est en tant que personne.<br />

5.1 La professionnalisation<br />

Accompagnée par le développement <strong>de</strong> la recherche au sein <strong>de</strong> la discipline <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, enrichie par <strong>de</strong>s connaissances nouvel<strong>les</strong>, la formation s’ancre à<br />

présent au plus haut niveau du système éducatif tandis que le processus <strong>de</strong><br />

professionnalisation concernant l’art <strong>de</strong> « prendre soin » s’opère et s’institutionnalise<br />

(Nadot, 2002).<br />

La professionnalisation représente le passage d’une activité au statut <strong>de</strong><br />

profession, c’est-à-dire l’institutionnalisation <strong>de</strong> cette activité (Bourdoncle, 2000) et<br />

comporte par là-même un enjeu social. La complexité grandissante <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong>s<br />

soignants permet <strong>de</strong> considérer la revendication au statut <strong>de</strong> profession comme une<br />

véritable nécessité et l’universitarisation <strong>de</strong> la formation infirmière a été rendue<br />

possible à <strong>de</strong>ssein, comme moyen privilégié d’accession à cette professionnalisation,<br />

permettant aux éléments pragmatiques <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s savoirs <strong>de</strong> référence<br />

scientifiquement validés (Lessard & Bourdoncle, 2003).<br />

Selon Dubar et Tripier (2005), la professionnalisation représente la velléité <strong>de</strong><br />

groupes professionnels <strong>de</strong> bénéficier d’une reconnaissance spécifique en passant du<br />

statut <strong>de</strong> métier à celui <strong>de</strong> profession. Lang (1999) note trois axes <strong>de</strong> la<br />

professionnalisation <strong>dans</strong> le débat public :<br />

celui qui fait référence au développement <strong>de</strong> compétences pratiques et<br />

intellectuel<strong>les</strong>, en vue d’un exercice professionnel,<br />

celui qui répond à la volonté <strong>de</strong> donner un statut <strong>de</strong> profession à un<br />

groupe,<br />

celui qui répond à une volonté <strong>de</strong> reconnaissance et <strong>de</strong> revalorisation<br />

d’une profession.<br />

Bourdoncle (2000) développera cinq pô<strong>les</strong> à partir <strong>de</strong> ces trois axes pour la<br />

professionnalisation <strong>de</strong> l’enseignement, pô<strong>les</strong> que nous retrouvons largement <strong>dans</strong> le<br />

domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : professionnalisation <strong>de</strong> l’activité, du groupe<br />

127


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

professionnel, <strong>de</strong>s savoirs professionnels, <strong>de</strong>s individus exerçant cette profession et<br />

<strong>de</strong> la formation.<br />

La professionnalisation recèle <strong>de</strong>s enjeux différents selon <strong>les</strong> groupes d’acteurs.<br />

Ainsi, pour <strong>les</strong> corps professionnels tel que le corps infirmier, l’enjeu <strong>de</strong> la<br />

professionnalisation se situe plus spécifiquement <strong>dans</strong> la reconnaissance sociale et<br />

économique <strong>de</strong> la profession, ainsi que la reconnaissance <strong>de</strong> son utilité, et au-<strong>de</strong>là<br />

encore <strong>dans</strong> la reconnaissance <strong>de</strong> soi au sein <strong>de</strong> cette société. Pour <strong>les</strong> organisations<br />

en revanche, l’enjeu n’est pas tant <strong>dans</strong> la reconnaissance <strong>de</strong> la profession que <strong>dans</strong> la<br />

reconnaissance <strong>de</strong>s professionnels mais au service <strong>de</strong>s organisations, en tant<br />

qu’acteurs et promoteurs <strong>de</strong> cel<strong>les</strong>-ci, contribuant à leur développement et à leur<br />

réussite par le biais <strong>de</strong> leurs compétences (Le Boterf, 2010). Au niveau individuel <strong>les</strong><br />

enjeux sont encore différents. Alors même que le travail <strong>de</strong>meure un moteur<br />

d’intégration sociale, l’enjeu d’être reconnu comme professionnel revêt une<br />

importance fondatrice <strong>de</strong> l’estime <strong>de</strong> soi, mais également d’une certaine forme<br />

d’i<strong>de</strong>ntité (Dubar, 2007).<br />

Le terme <strong>de</strong> professionnalisation est apparu <strong>dans</strong> le vocabulaire commun au<br />

cours <strong>de</strong>s années quatre-vingt, conjointement au terme <strong>de</strong> compétence issu <strong>de</strong><br />

l’entreprise, et s’inscrit <strong>dans</strong> <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong> management organisées autour<br />

<strong>de</strong> la libéralisation <strong>de</strong>s marchés, <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> décentralisation <strong>de</strong>s décisions et <strong>de</strong><br />

l’augmentation <strong>de</strong> la responsabilisation <strong>de</strong>s individus (Wittorski, 2007). Ceux-ci sont<br />

appelés à se prendre en charge et à faire évoluer leur carrière par ce processus <strong>de</strong><br />

professionnalisation, encouragés par une plus gran<strong>de</strong> autonomie et l’engagement<br />

<strong>dans</strong> le lifelong learning. Le lien avec l’évolution spécifique <strong>de</strong>s entreprises est<br />

tellement fort que certains auteurs préfèrent d’ailleurs parler <strong>de</strong><br />

« managérialisation » plutôt que <strong>de</strong> « professionnalisation », évoquant par-là <strong>les</strong><br />

pratiques <strong>de</strong> rationalisation, <strong>de</strong> standardisation et d’externalisation (Lefèvre &<br />

Ollitrault, 2007, p.97).<br />

Les processus <strong>de</strong> professionnalisation s’appuient, le plus souvent, sur la mise en<br />

œuvre d’un référentiel <strong>de</strong> compétences, considéré comme l’équipement « idéal »<br />

garantissant l’adéquation entre <strong>les</strong> compétences obtenues par une personne durant<br />

une formation, et son activité réelle à la sortie <strong>de</strong> la formation. Les compétences sont<br />

donc envisagées <strong>dans</strong> une perspective d’employabilité et <strong>de</strong> pertinence par rapport<br />

128


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

au marché du travail. Tous <strong>les</strong> auteurs ne s’accor<strong>de</strong>nt pas néanmoins à voir <strong>dans</strong> la<br />

compétence qu’un outil neutre permettant la professionnalisation <strong>de</strong> l’individu. Les<br />

référentiels <strong>de</strong> compétences sont effectivement issus d’une rationalisation <strong>de</strong><br />

l’activité induite par la conjoncture économique (Piot, 2009). Si Scallon met en gar<strong>de</strong><br />

contre le risque <strong>de</strong> confondre la compétence avec la notion <strong>de</strong> performance, qui est sa<br />

manifestation observable (Scallon, 2004), Astolfi exprime ses craintes <strong>de</strong> voir <strong>les</strong><br />

compétences se substituer aux savoirs (Houssaye et Cosnefroy, 2010). Boutin et Julien<br />

(2000), quant à eux, considèrent cette formalisation <strong>de</strong>s savoirs dangereuse, puisque<br />

ces <strong>de</strong>rniers seraient ainsi soumis aux logiques du marché économique. La<br />

compétence est appréhendée comme un potentiel générant une attente en termes <strong>de</strong><br />

résultats visib<strong>les</strong> et quantifiab<strong>les</strong> (Rozenblatt, 2002). Ceci est d’autant plus<br />

préjudiciable que <strong>les</strong> métiers adressés à l’humain, dont font partie <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>,<br />

ont la particularité <strong>de</strong> se trouver en tension entre une composante rationnelle,<br />

codifiée, pouvant être reflétée par un référentiel <strong>de</strong> compétences, et une composante<br />

interactionnelle, floue, par essence subjective. Les formations en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

doivent être pensées, certes en s’appuyant sur cette logique <strong>de</strong> compétences, mais<br />

cette <strong>de</strong>rnière ne doit pas occulter la part subjective et moins visible <strong>de</strong> l’action<br />

infirmière.<br />

Les compétences <strong>de</strong>s professionnels, tel<strong>les</strong> que décrites par Le Boterf (2010, p.23)<br />

peuvent tout à fait s’appliquer aux infirmières.<br />

On attend d’el<strong>les</strong> :<br />

qu’el<strong>les</strong> sachent ajuster leurs réactions face à <strong>de</strong>s changements ou prendre <strong>de</strong>s<br />

initiatives <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations complexes. Les infirmières ne doivent pas se<br />

limiter à leur rôle prescrit, mais savoir mettre en œuvre différentes stratégies<br />

<strong>dans</strong> l’exercice d’une profession qui fait face <strong>de</strong> façon régulière à l’instabilité<br />

<strong>de</strong>s patients <strong>dans</strong> l’évolution <strong>de</strong> leurs pathologies ;<br />

qu’el<strong>les</strong> sachent gérer <strong>les</strong> différentes situations rencontrées avec une<br />

intelligence pratique vive et utilisée à bon escient, sur la base <strong>de</strong> jugements<br />

juste et fondés ;<br />

qu’el<strong>les</strong> prennent en compte la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s patients et lui donnent une<br />

réponse adéquate ;<br />

129


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

qu’el<strong>les</strong> sachent allier leurs compétences professionnel<strong>les</strong>, leur savoir-faire et<br />

leurs ressources personnel<strong>les</strong> au service <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Les<br />

infirmières peuvent être amenées à combiner plusieurs pratiques, plusieurs<br />

expériences, diverses compétences ainsi que <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> caractères plus<br />

personnels pour répondre au mieux à ce qui est attendu d’el<strong>les</strong> ;<br />

qu’el<strong>les</strong> sachent aller chercher <strong>les</strong> ressources nécessaires au bon endroit pour<br />

répondre à une situation pour laquelle el<strong>les</strong> ne détiennent pas tous <strong>les</strong> atouts.<br />

Le travail en interdisciplinarité est un incontournable <strong>de</strong> la profession. La<br />

complexité <strong>de</strong>s situations et le savoir forcément partiel <strong>de</strong>s différents acteurs<br />

<strong>de</strong> <strong>soins</strong>, ren<strong>de</strong>nt la complémentarité indispensable. À ce sta<strong>de</strong>, la somme du<br />

tout constitue en termes <strong>de</strong> compétences une réelle plus-value par rapport à la<br />

somme <strong>de</strong>s compétences individuel<strong>les</strong> ;<br />

Les ressources ne sauraient être simplement combinées mais doivent parfois<br />

faire l’objet d’une métamorphose afin d’être organisées <strong>dans</strong> un tout construit<br />

différemment ;<br />

qu’el<strong>les</strong> sachent avoir une attitu<strong>de</strong> réflexive et soient capab<strong>les</strong>, par une<br />

introspection régulière, <strong>de</strong> progresser à partir <strong>de</strong> leurs expériences passées ;<br />

qu’el<strong>les</strong> agissent selon <strong>les</strong> critères éthiques et déontologiques inhérents à la<br />

profession et au service du soin.<br />

Concernant <strong>les</strong> ressources, el<strong>les</strong> peuvent être très diverses et Damasio (1995)<br />

relève à juste titre l’importance <strong>de</strong> l’intuition parmi <strong>les</strong> ressources personnel<strong>les</strong> que<br />

l’infirmière doit cultiver. En effet, s’ils ne sont pas i<strong>de</strong>ntifiab<strong>les</strong> et quantifiab<strong>les</strong> au<br />

même titre que d’autres capacités, <strong>les</strong> sentiments qui relèvent <strong>de</strong> l’émotion et <strong>de</strong><br />

l’intuition n’en constituent pas moins <strong>de</strong>s indicateurs extrêmement importants <strong>dans</strong><br />

la gestion du quotidien professionnel infirmier.<br />

D’autres ressources personnel<strong>les</strong> sont également fortement uti<strong>les</strong> qui relèvent<br />

davantage <strong>de</strong> l’expérience et du vécu.<br />

Mais que ces ressources soient internes ou externes, leur mobilisation dépend<br />

<strong>de</strong> la personne.<br />

À juste titre, Le Boterf précise que le processus <strong>de</strong> professionnalisation ne peut<br />

être engagé que par la personne elle-même, et si elle le désire vraiment et met tout en<br />

130


œuvre pour y parvenir.<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

En tant que formateurs il est donc illusoire <strong>de</strong> penser pouvoir professionnaliser<br />

une étudiante. En revanche, il est du ressort <strong>de</strong> l’organisme <strong>de</strong> formation <strong>de</strong> pourvoir<br />

au dispositif qui permettra à l’étudiante, selon son investissement, <strong>de</strong> réussir sa<br />

professionnalisation.<br />

Dans ce sens, Le Boterf nomme 10 principes directeurs d’une ingénierie <strong>de</strong> la<br />

professionnalisation (Le Boterf, 2010, p. 65).<br />

Préparer à « agir avec compétence » <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations professionnel<strong>les</strong> et<br />

non seulement faire acquérir <strong>de</strong>s ressources. Les ressources constituent certes<br />

un capital important, mais seule leur mobilisation et leur combinaison en un<br />

construit pertinent peut permettre <strong>de</strong> répondre aux exigences <strong>de</strong>s situations<br />

professionnel<strong>les</strong>.<br />

Concevoir <strong>les</strong> référentiels (<strong>de</strong> métier, d’emploi, d’activités) en termes<br />

prospectifs et comme <strong>de</strong>s espaces <strong>de</strong> progression professionnelle sur <strong>les</strong>quels<br />

peuvent s’inscrire <strong>de</strong>s cib<strong>les</strong> <strong>de</strong> professionnalisation. L’analyse <strong>de</strong>s activités<br />

permet d’évaluer et <strong>de</strong> promouvoir la professionnalisation. Pour cela il est<br />

nécessaire d’établir ces référentiels permettant <strong>de</strong> suivre <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés<br />

d’avancement <strong>dans</strong> la professionnalisation.<br />

Concevoir <strong>de</strong>s parcours <strong>de</strong> professionnalisation <strong>dans</strong> l’intérêt conjoint <strong>de</strong>s<br />

employeurs et <strong>de</strong>s salariés. Le futur professionnel doit être formé pour<br />

répondre aux exigences <strong>de</strong> l’institution hospitalière et <strong>de</strong> la profession<br />

infirmière, mais l’étudiante doit également pouvoir bénéficier d’une formation<br />

en adéquation avec ses valeurs et ce qu’elle est.<br />

Favoriser l’élaboration et la réalisation <strong>de</strong> projets personnalisés <strong>de</strong> parcours <strong>de</strong><br />

professionnalisation. L’étudiante doit pouvoir s’inscrire <strong>dans</strong> un projet qui lui<br />

appartient. Elle se présente à l’école d’infirmière avec, bien souvent, un projet<br />

déjà assez précis du domaine <strong>dans</strong> lequel elle souhaite exercer plus tard. La<br />

formation doit lui permettre <strong>de</strong> poursuivre ce projet ou <strong>de</strong> le quitter pour un<br />

autre qui lui conviendra mieux.<br />

Proposer une offre modulaire d’opportunités variées <strong>de</strong> professionnalisation<br />

et non seulement <strong>de</strong> formation. L’éventail <strong>de</strong>s différents lieux <strong>de</strong> stages<br />

permet à l’étudiante <strong>de</strong> découvrir différentes réalités <strong>de</strong> la pratique infirmière.<br />

131


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Mettre en œuvre une alternance ayant pour pivot central <strong>les</strong> situations <strong>de</strong><br />

travail. La formation par alternance constitue le terreau par excellence <strong>de</strong> la<br />

pratique infirmière. Celle-ci se vit <strong>dans</strong> le concret <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> stage mais<br />

s’appréhen<strong>de</strong> intellectuellement et émotionnellement sur <strong>les</strong> bancs <strong>de</strong> l’école,<br />

à la lumière <strong>de</strong>s concepts et <strong>dans</strong> le partage et la co-construction avec <strong>les</strong> pairs.<br />

Considérer l’apprenant comme acteur <strong>de</strong> sa professionnalisation. L’étudiante<br />

est celle qui agit sa formation et son <strong>de</strong>venir professionnel. Les outils doivent<br />

lui être mis à disposition mais elle est ensuite encouragée à prendre en main sa<br />

professionnalisation.<br />

Évaluer et reconnaître <strong>les</strong> progrès en professionnalisation. Les portfolios et <strong>les</strong><br />

relevés <strong>de</strong> stages constituent <strong>les</strong> moyens par excellence d’évaluation du<br />

développement <strong>dans</strong> la professionnalisation. Ils permettent d’évaluer<br />

conjointement différentes compétences illustrant ce domaine.<br />

Mettre en œuvre <strong>de</strong>s fonctions <strong>de</strong> tutorat et d’accompagnement <strong>de</strong> parcours,<br />

aussi bien pendant la formation en école que durant <strong>les</strong> pério<strong>de</strong>s <strong>de</strong> stage ;<br />

Assurer une coopération <strong>de</strong> qualité entre <strong>les</strong> acteurs intervenant sur un<br />

parcours <strong>de</strong> professionnalisation.<br />

Il s’agit donc <strong>de</strong> mettre tout en œuvre pour permettre à l’étudiante <strong>de</strong> se<br />

développer <strong>dans</strong> un contexte le plus proche possible du milieu professionnel <strong>dans</strong><br />

lequel elle sera immergée ultérieurement.<br />

Pour cela <strong>les</strong> éco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> utilisent <strong>les</strong> voies <strong>de</strong> professionnalisation<br />

tel<strong>les</strong> que décrites par Wittorski (2007, 2011) à <strong>de</strong>s moments différents <strong>de</strong> la<br />

formation. Et bien que ces différents mo<strong>de</strong>s ne soient pas complètement dissociab<strong>les</strong>,<br />

la formation en alternance permet néanmoins <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s accents plus ou moins<br />

marqués sur certains d’entre eux durant la pério<strong>de</strong> scolaire : réflexion sur l’action<br />

(analyses <strong>de</strong> pratique, étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> cas..), logique <strong>de</strong> la traduction culturelle par rapport<br />

à l’action (prise <strong>de</strong> distance et conceptualisation <strong>de</strong>s situations) et logique <strong>de</strong><br />

l’intégration assimilation (politique inépuisable <strong>de</strong>s projets, omniprésents à tous <strong>les</strong><br />

niveaux), tandis que d’autres sont plus communément abordés durant <strong>les</strong> stages :<br />

logique <strong>de</strong> l’action en situation <strong>de</strong> travail, <strong>de</strong> la réflexion et <strong>de</strong> l’action sous forme <strong>de</strong><br />

pratique réflexive, logique <strong>de</strong> la réflexion pour l’action (réflexion par anticipation).<br />

132


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Ai<strong>de</strong>r l’étudiante à se développer <strong>dans</strong> ce processus est une tâche complexe<br />

<strong>dans</strong> la mesure où elle entraîne une évolution <strong>de</strong>s compétences certes, mais a<br />

également <strong>de</strong>s répercussions sur le plan cognitif, affectif et i<strong>de</strong>ntitaire (Wittorski,<br />

2007, p.106). L’évolution <strong>de</strong> l’individu se réalise au travers <strong>de</strong> la confrontation à <strong>de</strong>s<br />

mon<strong>de</strong>s différents, porteurs <strong>de</strong> valeurs, d’intérêts et d’objectifs également différents.<br />

La formation en école mais aussi la confrontation à la réalité pratique vont avoir <strong>de</strong>s<br />

répercussions sur l’évolution <strong>de</strong> ses savoirs, <strong>de</strong> ses connaissances, mais également<br />

sur la manière dont il va se percevoir <strong>dans</strong> ses capacités professionnel<strong>les</strong> et <strong>dans</strong> ses<br />

aptitu<strong>de</strong>s personnel<strong>les</strong>. L’action éducative, qu’elle soit d’orientation plus théorique<br />

ou plus pratique, se distingue par une finalité profondément émancipatrice. L’impact<br />

sur l’image <strong>de</strong> soi, et au-<strong>de</strong>là sur l’estime <strong>de</strong> soi, n’est <strong>de</strong> loin pas négligeable. Et<br />

enfin, l’évolution se fera également sur le plan <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité, <strong>dans</strong> la manière dont<br />

l’étudiante perçoit son rôle professionnel avec <strong>de</strong>s répercussions sur son i<strong>de</strong>ntité<br />

personnelle et la place qu’elle s’accor<strong>de</strong> <strong>dans</strong> ce rôle.<br />

Sur un plan éthique, la professionnalisation a un impact non négligeable sur la<br />

manière dont la personne va considérer son rôle et l’engagement professionnel qui<br />

en découle, <strong>de</strong> même qu’une large influence sur la manière dont elle va déci<strong>de</strong>r <strong>de</strong><br />

l’investir ou non, <strong>de</strong> le développer ou pas. En même temps que se développe, chez<br />

l’étudiante, une construction progressive d’un positionnement professionnel, celle-ci<br />

vit <strong>de</strong>s tensions inhérentes aux évolutions qu’elle traverse <strong>dans</strong> son développement.<br />

Et Jorro (2010) souligne l’absence d’une approche praxéologique qui permettrait <strong>de</strong><br />

percevoir ces évolutions et d’en tenir compte <strong>dans</strong> l’accompagnement <strong>de</strong>s étudiantes.<br />

Une <strong>de</strong>s difficultés tient sans doute à l’organisation duale <strong>de</strong> la formation. En<br />

effet, la formation est organisée selon le principe <strong>de</strong> l’alternance, c’est-à-dire sur la<br />

base <strong>de</strong> l’interaction entre l’école et <strong>les</strong> différents lieux <strong>de</strong> stage du système sanitaire<br />

et social. Elle se situe à l’interface entre la logique d’action et la logique <strong>de</strong> formation<br />

et permet <strong>de</strong> trouver <strong>les</strong> « compromis pratique-théorie ». Elle va permettre à<br />

l’étudiante <strong>de</strong> s’approprier <strong>les</strong> différents éléments qui vont l’ai<strong>de</strong>r à construire<br />

progressivement sa compétence <strong>de</strong> futur soignante. Les connaissances<br />

méthodologiques ne prennent sens que <strong>dans</strong> une implémentation <strong>dans</strong> l’action,<br />

générant la prise <strong>de</strong> décisions adéquates, permettant l’anticipation d’éventuel<strong>les</strong><br />

133


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

complications et la définition <strong>de</strong> la marche à suivre.<br />

« La visée d’un savoir théorique est la connaissance <strong>de</strong>s choses pour<br />

elle-même ; celle d’un savoir d’action est leur modification. » (Barbier,<br />

2004).<br />

Le savoir théorique va donc se mo<strong>de</strong>ler en fonction du terrain qu’il va<br />

rencontrer.<br />

Piaget disait également que :<br />

« (… )l’expérience réconcilie la pensée formelle avec la réalité <strong>de</strong>s<br />

choses» (Piaget, 1964, p.99).<br />

Denoyel reprenant Piaget argumente qu’un sens doit être trouvé pour<br />

l’étudiante à cette expérience. Or ce sens ne pourrait se révéler qu’au travers du<br />

dialogue :<br />

« (…) dialogue entre <strong>les</strong> discontinuités <strong>de</strong>s activités vers une<br />

continuité formative, par la rencontre <strong>de</strong>s autres et <strong>de</strong>s choses »<br />

(Denoyel, 2005, p.81).<br />

C’est ce défi d’une continuité formative et formatrice que la Confédération<br />

Helvétique a choisi <strong>de</strong> relever en acceptant la création <strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées.<br />

Cel<strong>les</strong>-ci ont comme mission d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiants à intégrer <strong>de</strong>s connaissances <strong>de</strong><br />

niveau universitaire, pour <strong>les</strong> mettre au service d’une pratique professionnelle, sous<br />

la forme <strong>de</strong> compétences spécifiques liées à l’exercice d’une profession.<br />

5.2 La formation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> HES et <strong>les</strong> compétences infirmières<br />

La compétence n’est pas suffisante en elle-même, elle « n’a pas d’existence<br />

matérielle en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> la personne qui la met en œuvre » (Le Boterf, 2010, p.21).<br />

Cela veut dire qu’elle doit prendre corps chez un professionnel capable <strong>de</strong> mesurer la<br />

complexité d’une situation et d’y apporter une réponse adéquate. Ce sont <strong>les</strong><br />

exigences liées à la complexification <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> qui ont conduit à l’universitarisation<br />

134


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

<strong>de</strong> la formation infirmière, permettant ainsi à la future infirmière <strong>de</strong> se doter <strong>de</strong>s<br />

compétences qu’elle pourra ensuite mettre en œuvre <strong>dans</strong> sa pratique. Dans le<br />

système HES ce sont <strong>les</strong> référentiels <strong>de</strong> compétence qui vont être <strong>les</strong> supports du<br />

processus <strong>de</strong> professionnalisation, permettant <strong>de</strong> mettre en visibilité <strong>les</strong> acquis. En<br />

effet, la partie visible <strong>de</strong> la compétence correspond à la performance attestée <strong>dans</strong> la<br />

maîtrise d’une tâche (Zarifian, 2009). Il ne faut alors pas occulter, comme nous<br />

l’avons relevé plus haut, l’importance <strong>de</strong> prendre en compte la partie subjective,<br />

moins visible, <strong>de</strong> la compétence infirmière.<br />

La formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> a connu une modification profon<strong>de</strong> en 1999<br />

avec l’acceptation <strong>de</strong>s accords <strong>de</strong> Bologne visant à créer un espace <strong>de</strong> formation<br />

européen. Suite à ces accords, la Suisse prend <strong>les</strong> mesures suivantes :<br />

Elle crée <strong>les</strong> Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées <strong>dans</strong> différents domaines : <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> et toutes filières paramédica<strong>les</strong> (kinésithérapie, sage-femmes…),<br />

ingénierie, gestion, travail social, économie, arts appliqués, musique…<br />

Elle adopte le système <strong>de</strong>s crédits ECTS (European Credit Transfer System)<br />

commun à cet espace <strong>de</strong> formation européen et censé encourager la mobilité<br />

<strong>de</strong>s étudiantes par une reconnaissance <strong>de</strong> leurs titres et <strong>de</strong> leur niveau<br />

d’étu<strong>de</strong>s ;<br />

Elle adopte le cursus universitaire commun LMD avec un premier cycle <strong>de</strong><br />

trois ans menant au titre <strong>de</strong> Bachelor, un second cycle <strong>de</strong> Master en <strong>de</strong>ux ans<br />

et un troisième cycle doctoral.<br />

En 2002 est créée la HES-SO : Haute École Spécialisée <strong>de</strong> Suisse Occi<strong>de</strong>ntale qui<br />

rassemble toutes <strong>les</strong> différentes filières en son sein et constitue l’organe faîtier qui<br />

chapeaute l’ensemble <strong>de</strong>s Hautes École Spécialisées <strong>de</strong> Suisse Occi<strong>de</strong>ntale. La filière<br />

infirmière, quant à elle, voit le jour en 2006 et décerne aujourd’hui le titre <strong>de</strong><br />

« Bachelor of Sciences HES-SO en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ».<br />

La formation se structure en une partie théorique dispensée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> murs <strong>de</strong><br />

l’école, et une partie pratique organisée sous la forme <strong>de</strong> six stages <strong>de</strong> cinq à huit<br />

semaines <strong>dans</strong> différents milieux hospitaliers et extra-hospitaliers (<strong>soins</strong> à domicile,<br />

milieu du handicap…).<br />

135


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

Dès 2012 un programme commun à toutes <strong>les</strong> éco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> HES<br />

(Annexe 4) a vu le jour, défini autour <strong>de</strong> sept rô<strong>les</strong> déclinés par la Conférence <strong>de</strong>s<br />

recteurs <strong>de</strong>s hautes éco<strong>les</strong> spécialisées (CSHES). Ces rô<strong>les</strong> précisent et délimitent<br />

l’étendue <strong>de</strong> l’exercice infirmier.<br />

Rôle d’expert en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : expertise du contexte socio-sanitaire et du<br />

jugement professionnel.<br />

Rôle <strong>de</strong> communicateur : relations interpersonnel<strong>les</strong> avec <strong>les</strong> usagers tout<br />

comme avec <strong>les</strong> autres professionnels.<br />

Rôle <strong>de</strong> collaborateur : promotion <strong>de</strong>s activités caractérisées par<br />

l’interdisciplinarité.<br />

Rôle <strong>de</strong> manager : lea<strong>de</strong>rship professionnel permettant <strong>de</strong> contribuer au<br />

succès <strong>de</strong> l’organisation.<br />

Rôle <strong>de</strong> promoteur <strong>de</strong> la santé : perspective <strong>de</strong> prévention et <strong>de</strong> promotion <strong>de</strong><br />

la santé au niveau sociétal.<br />

Rôle d’apprenant et <strong>de</strong> formateur : engagement professionnel fondé sur la<br />

pratique réflexive et l’utilisation <strong>de</strong> données probantes.<br />

Rôle <strong>de</strong> professionnel : engagement au service <strong>de</strong> la santé et <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong><br />

vie <strong>de</strong>s usagers mais aussi <strong>de</strong>s concitoyens et <strong>de</strong> soi-même au travers d’une<br />

pratique respectueuse <strong>de</strong> l’éthique.<br />

La Suisse roman<strong>de</strong> suit ainsi la logique d’universitarisation adoptée <strong>de</strong>puis<br />

longtemps en Amérique du Nord, <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

Ce qui est valable pour la Suisse roman<strong>de</strong> ne l’est pas forcément pour le reste<br />

du pays. En effet, <strong>les</strong> tensions sont importantes entre la Suisse roman<strong>de</strong> et la Suisse<br />

alémanique qui continue, quant à elle, à maintenir en parallèle à la formation HES<br />

encore peu répandue, l’ancienne formation infirmière en École Supérieure.<br />

À cela s’ajoute la création en 2007 <strong>de</strong> la formation d’ASSC (assistant en <strong>soins</strong> et<br />

santé communautaire) qui a pour objet la formation <strong>de</strong> professionnels capab<strong>les</strong><br />

d’exécuter une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s gestes <strong>infirmiers</strong>.<br />

La superposition <strong>de</strong> ces formations crée parfois confusion et interrogations chez<br />

<strong>les</strong> employeurs qui ont quelques difficultés à comprendre la différence <strong>de</strong> statut, <strong>de</strong><br />

connaissances et par conséquent également <strong>de</strong> traitement entre ces différents<br />

136


diplômés.<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

La formation est évaluée selon un système <strong>de</strong> compétences, en adéquation avec<br />

la logique actuelle <strong>de</strong> professionnalisation. L’étudiante en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> est censée<br />

acquérir, durant la formation, à la fois <strong>de</strong>s compétences sous la forme <strong>de</strong><br />

connaissances et d’habiletés relationnel<strong>les</strong> mobilisab<strong>les</strong> en situation, ainsi qu’une<br />

i<strong>de</strong>ntité professionnelle affirmée.<br />

La notion <strong>de</strong> compétence a été largement étudiée et thématisée <strong>de</strong>puis <strong>les</strong><br />

années quatre-vingt. Wittorski (2007, 2011) met en évi<strong>de</strong>nce différentes façon <strong>de</strong><br />

comprendre leur construction, leur nature et leur spécificité. Nous retiendrons plus<br />

spécifiquement <strong>les</strong> thèses <strong>de</strong> Le Boterf (1998) et <strong>de</strong> Perrenoud qui font l’unanimité en<br />

Suisse. Le premier considère la compétence comme la combinaison <strong>de</strong> ressources<br />

mobilisées <strong>de</strong> manière pertinente pour répondre aux exigences d’une situation. Pour<br />

le second,<br />

« la compétence est une capacité d’action efficace face à une famille <strong>de</strong><br />

situations, qu’on arrive à maîtriser parce qu’on dispose à la fois <strong>de</strong>s<br />

connaissances nécessaires et <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> <strong>les</strong> mobiliser à bon escient,<br />

en temps opportun, pour i<strong>de</strong>ntifier et résoudre <strong>de</strong> vrais problèmes . »<br />

(Perrenoud, 1999, p.120).<br />

Dans tous <strong>les</strong> cas, la compétence conjugue le savoir ou la connaissance avec une<br />

mise en œuvre inscrite <strong>dans</strong> une action. C’est en tout cas <strong>dans</strong> ce sens que se<br />

comprend la compétence telle que déclinée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> référentiels <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

Les référentiels communs qui sont utilisés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> HES <strong>de</strong> « <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> »<br />

<strong>de</strong> Suisse Occi<strong>de</strong>ntale témoignent d’un haut niveau d’exigence (Annexe 3). Nous<br />

pouvons à cet effet nommer l’une ou l’autre <strong>de</strong>s sous-compétences issues du<br />

document d’évaluation pour en mesurer la portée : on notera, par exemple, <strong>les</strong><br />

attentes suivantes à l’égard <strong>de</strong> l’étudiante :<br />

compétence 1 : Concevoir une offre en <strong>soins</strong> en partenariat avec la clientèle,<br />

inscrite <strong>dans</strong> une démarche <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, en construisant et confrontant son<br />

jugement professionnel au sein <strong>de</strong> l’équipe et en développant <strong>de</strong>s conditions<br />

137


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

<strong>de</strong> prise en <strong>soins</strong> qui garantissent le respect <strong>de</strong>s dimensions léga<strong>les</strong>,<br />

déontologiques et éthiques ;<br />

compétence 2 : Réaliser l’offre en <strong>soins</strong> <strong>dans</strong> la perspective <strong>de</strong> projets <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />

interdisciplinaires en critiquant systématiquement son engagement personnel<br />

en regard du respect <strong>de</strong> l’altérité du client et en offrant l’espace et le temps qui<br />

permettent la construction du sens <strong>de</strong> l’expérience vécue par le client ;<br />

compétence 7 : Coopérer et coordonner son activité avec <strong>les</strong> acteurs du<br />

système socio-sanitaire en situant son activité <strong>dans</strong> le contexte sociopolitique<br />

et économique et en partageant ses valeurs professionnel<strong>les</strong> pour contribuer<br />

au respect <strong>de</strong>s droits et intérêts <strong>de</strong> la clientèle ;<br />

compétence 8 : Participer aux démarches qualité en faisant preuve d’esprit<br />

critique à l’égard <strong>de</strong>s outils et <strong>de</strong>s résultats ;<br />

compétence 9 : Exercer sa profession <strong>de</strong> manière responsable et autonome en :<br />

Appréciant l’évolution <strong>de</strong>s politiques socio-sanitaires et en<br />

relève <strong>les</strong> enjeux pour sa profession<br />

En se formant et s’informant sur <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> connaissances<br />

et technologies <strong>dans</strong> sa pratique<br />

En prenant <strong>de</strong>s initiatives et <strong>de</strong>s décisions <strong>dans</strong> sa pratique<br />

professionnelle<br />

En proposant <strong>de</strong>s actions contribuant au développement et à<br />

la visibilité <strong>de</strong> la profession infirmière<br />

En soutenant <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail favorab<strong>les</strong> à un<br />

exercice professionnel <strong>de</strong> qualité<br />

En utilisant <strong>de</strong>s moyens visant à préserver sa santé au travail<br />

et en <strong>les</strong> justifiant<br />

En prenant en compte <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> son auto-évaluation en<br />

vue d’améliorer son positionnement professionnel.<br />

La liste <strong>de</strong> ces compétences n’est pas exhaustive mais cet extrait démontre déjà<br />

l’envergure du savoir, savoir-être et savoir-faire exigé <strong>de</strong> l’étudiante.<br />

Dans ce contexte <strong>de</strong> formation en alternance, l’étudiante va <strong>de</strong>voir construire <strong>de</strong><br />

multip<strong>les</strong> compétences, dont cel<strong>les</strong> mentionnées ci-<strong>de</strong>ssus. Certes le niveau<br />

138


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

taxonomique attendu pour chacune <strong>de</strong> ces compétences augmente avec le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

formation. Il n’en <strong>de</strong>meure pas moins que <strong>les</strong> attentes sont très élevées, tout<br />

particulièrement en termes <strong>de</strong> réflexivité, et l’on pourrait prétendre, sans trop<br />

prendre <strong>de</strong> risques, que le niveau visé correspond au <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> « performance » selon<br />

<strong>les</strong> <strong>de</strong>grés élaborés par Benner (1995) alors que ce référentiel porte sur la formation<br />

<strong>de</strong>s novices. Si l’on en croit la philosophe américaine Onora O’Neil (1998), la barre est<br />

même inaccessible car, selon elle, seu<strong>les</strong> <strong>les</strong> compétences factuel<strong>les</strong> peuvent être<br />

considérées comme tel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> autres relevant plutôt du domaine du sens et ne se<br />

laissant pas enfermer <strong>dans</strong> le carcan étroit d’un référentiel <strong>de</strong> compétences, <strong>dans</strong> la<br />

mesure où el<strong>les</strong> se réfèrent à la notion d’absolu. Pescheux (2008) citant Wittorski<br />

confirme cela en définissant la compétence comme « le processus générateur du<br />

produit fini qu’est la performance, celle-ci étant mesurée/évaluée au titre <strong>de</strong><br />

la compétence » (Pescheux, 2008, p.40) et se limitant parfois à une énumération <strong>de</strong><br />

comportements observab<strong>les</strong>. Pensé et élaboré comme référentiel <strong>de</strong> compétences<br />

pour la formation, ce document est aussi la base sur laquelle sont effectuées <strong>les</strong><br />

évaluations.<br />

Le référentiel <strong>de</strong> compétences a pour objectif <strong>de</strong> cerner l’étudiante en jugeant<br />

d’un certain nombre d’acquis, en fonction d’une prise en charge qui se veut<br />

extrêmement complète et performante, celle du soin <strong>dans</strong> sa globalité.<br />

Le patient a pris la place qui lui revient <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong>s années soixante-dix,<br />

c’est-à-dire celle au cœur <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Toutes <strong>les</strong> théories <strong>de</strong> <strong>soins</strong> sont orientées vers<br />

son bien-être et la considération <strong>de</strong> sa personne <strong>dans</strong> sa singularité, incluant toutes<br />

<strong>les</strong> sphères qui la composent (biologique, psychologique, sociale et spirituelle).<br />

L’observation <strong>de</strong> toutes ces dimensions <strong>dans</strong> un soin dit holistique constitue dès lors<br />

l’exigence requise auprès <strong>de</strong>s étudiantes infirmières. Cette exigence s’intègre <strong>dans</strong> un<br />

ensemble plus vaste d’attentes précises envers ceux qui exercent cette profession.<br />

5.3 Une formation en alternance pour un engagement<br />

professionnel<br />

Les référentiels <strong>de</strong> compétences ont été conçus pour tenter d’équiper <strong>les</strong> futurs<br />

professionnels et <strong>de</strong> <strong>les</strong> rendre aptes à répondre à cette attente du marché du travail.<br />

139


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

L’alternance constitue un terrain privilégié pour l’acquisition <strong>de</strong> certaines<br />

compétences qu’il n’est possible <strong>de</strong> mettre en œuvre que sur le terrain lui-même.<br />

On peut assimiler la relation entre l’enseignant et l’étudiante à celle <strong>de</strong><br />

l’infirmière avec son patient. Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux binômes, le premier cherche à donner au<br />

second le maximum d’autonomie, sur la base <strong>de</strong> son développement personnel et <strong>de</strong><br />

ses ressources propres. La « pédagogie <strong>de</strong> la rencontre », telle que Denoyel la nomme<br />

(2005), doit permettre à l’étudiante <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong> son savoir, <strong>de</strong> ses<br />

manques et <strong>de</strong>s possibilités d’accé<strong>de</strong>r aux connaissances requises pour appréhen<strong>de</strong>r<br />

la situation. Cela ne peut se faire que <strong>dans</strong> un échange <strong>de</strong> confiance et un<br />

accompagnement <strong>de</strong> type tutoral.<br />

« L’accompagnant ne détient pas le sens profond <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong><br />

l’accompagné, il le soutient. » (Le Bouë<strong>de</strong>c et al., 2001, p.49).<br />

L’accompagnant se place <strong>dans</strong> une posture d’écoute qui va ai<strong>de</strong>r l’étudiante à<br />

faire son propre chemin pour découvrir <strong>de</strong> nouveaux horizons. En effet :<br />

« Accompagner quelqu’un c’est cheminer avec lui pour le confirmer<br />

<strong>dans</strong> ce nouveau sens où il s’engage . » (Le Bouë<strong>de</strong>c et al , ibid., p.149).<br />

Très souvent, l’enseignant est amené à travailler la confiance en soi, <strong>les</strong><br />

mécanismes <strong>de</strong> défense, <strong>les</strong> émotions avec l’étudiante. La relation pédagogique est<br />

donc <strong>de</strong> toute importance.<br />

Il n’est pas rare que <strong>de</strong>s étudiantes en formation aient déjà été touchées par <strong>de</strong>s<br />

décès très proches et pour eux la mort engendre souvent <strong>de</strong>s sentiments très forts. Il<br />

est important que cette confrontation avec la thématique puisse se faire <strong>dans</strong> un<br />

cadre plus intime, à l’école, avant que la confrontation avec la réalité n’ait <strong>de</strong>s<br />

conséquences néfastes sur la jeune personne. Connaître <strong>les</strong> phases du processus <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>uil sur le plan théorique ai<strong>de</strong>ra l’étudiante à mieux comprendre et accompagner<br />

un patient atteint d’une pathologie incurable et en proie à un sentiment <strong>de</strong> colère, par<br />

exemple.<br />

L’art du soin met en jeu <strong>de</strong>s savoirs complexes et si l’étudiante n’a pas un<br />

140


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

bagage <strong>de</strong> connaissances minimum, elle sera <strong>dans</strong> l’incapacité d’établir <strong>de</strong>s liens et<br />

<strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> l’apprentissage. Mais <strong>les</strong> conséquences négatives se feront également<br />

sentir parfois <strong>dans</strong> la gestion <strong>de</strong> ses émotions. Elle sera freinée <strong>dans</strong> la construction<br />

<strong>de</strong> ses compétences tant socia<strong>les</strong> qu’individuel<strong>les</strong> ou professionnel<strong>les</strong>.<br />

Notre société évolue et le mo<strong>de</strong> d’apprentissage également. Nous sommes<br />

passés d’un mo<strong>de</strong> d’apprentissage majoritairement transmissif à un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

construction du savoir. Notre vie mo<strong>de</strong>rne s’articule autour <strong>de</strong> phases alternées<br />

consacrées à la réflexion puis à la mise en pratique, <strong>dans</strong> un mouvement incessant.<br />

Nous vivons l’alternance au quotidien.<br />

Clénet et Roquet (2005, p.46-47) lient <strong>de</strong> manière intéressante la situation<br />

d’apprentissage en alternance à l’idée <strong>de</strong> complexité. Ils reprennent le schéma<br />

inhérent à l’apprentissage « sujet, action située, temporalité » et soulignent <strong>les</strong><br />

trois dimensions essentiel<strong>les</strong> que sont la circularité, l’interaction et la responsabilité.<br />

Il y a donc, selon ce schéma, un mouvement continu <strong>dans</strong> l’apprentissage par<br />

alternance qui s’appuie et nécessite l’interaction. Il engage la responsabilité, tant du<br />

formateur <strong>dans</strong> ce qu’il peut et doit transmettre, que du formé <strong>dans</strong> son rôle <strong>de</strong><br />

construction. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’apprentissage, c’est la responsabilité première qui s’exerce<br />

ici, présente avant toute interaction, à la manière dont Lévinas la comprend.<br />

L’alternance doit mettre l’étudiante en situation <strong>de</strong> se construire <strong>de</strong>s<br />

compétences lui permettant d’appréhen<strong>de</strong>r la complexité <strong>de</strong> sa réalité professionnelle.<br />

Si nous considérons la compétence comme élément central <strong>dans</strong> la formation<br />

soignante, en tant qu’elle « est la combinaison d’un ensemble <strong>de</strong> ressources<br />

coordonnées pour appréhen<strong>de</strong>r une situation » tel que l’affirme Morin (1990),<br />

nous avons <strong>de</strong>ux raisons majeures qui donnent à la formation par alternance tout son<br />

sens <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> :<br />

D’une part le fait qu’une compétence s’exerce toujours <strong>dans</strong> l’action et donc<br />

<strong>dans</strong> la pratique. Pour construire <strong>de</strong>s compétences réel<strong>les</strong> <strong>de</strong> soignant, l’étudiante<br />

utilise <strong>de</strong>s ressources en termes <strong>de</strong> savoir épuré mais également <strong>les</strong> ressources issues<br />

<strong>de</strong> son expérience pratique.<br />

D’autre part la compétence ne <strong>de</strong>meure pas individuelle mais s’inscrit <strong>dans</strong> un<br />

141


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

construit collectif, donc <strong>dans</strong> une équipe. La compétence ne s’arrête pas à l’individu ;<br />

elle <strong>de</strong>vient un objet commun d’équipe, d’institution. L’étudiante profite <strong>de</strong>s<br />

ressources <strong>de</strong> ses collègues et construit avec, et au travers d’eux, <strong>de</strong>s compétences qui<br />

seront, selon Perrenoud (2006) :<br />

Une capacité d’action efficace face à une famille <strong>de</strong> situations,<br />

Des combinaisons <strong>de</strong> ressources cognitives et <strong>de</strong> schémas opératoires,<br />

La capacité à mobiliser ces ressources et schémas opératoires à bon escient et<br />

au moment opportun.<br />

À cette liste intéressante, il manque néanmoins une composante humaine<br />

essentielle, celle qui est au centre <strong>de</strong> la profession d’infirmière, le care. Car le care<br />

exige aussi une forme <strong>de</strong> compétence, une compétence à forme humaine (Tschudin,<br />

2003, p.11). Il s’agit d’une compétence qui relève, comme nous l’avons dit, <strong>de</strong><br />

l’empathie et <strong>de</strong> la compassion. C’est sans doute sur cette compétence qu’il est le plus<br />

difficile <strong>de</strong> travailler, parce qu’inhérente à notre personne et à notre vécu. Pourtant,<br />

là encore, <strong>les</strong> apports <strong>de</strong> la théorie et le vécu <strong>de</strong> la pratique doivent pouvoir se<br />

rejoindre pour ai<strong>de</strong>r l’étudiante <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />

Ces différentes raisons nous permettent <strong>de</strong> considérer la formation par<br />

alternance comme le moyen par excellence <strong>de</strong> former <strong>de</strong>s professionnels qui seront<br />

capab<strong>les</strong>, <strong>de</strong>main, d’appréhen<strong>de</strong>r la réalité du mon<strong>de</strong> du travail.<br />

Le but <strong>de</strong> la formation, compris <strong>dans</strong> ce sens, n’est pas <strong>de</strong> transmettre un savoir<br />

pur et décontextualisé mais bien au contraire <strong>de</strong> transmettre <strong>de</strong>s savoirs sous forme<br />

<strong>de</strong> ressources et <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s réflexions et comportements éthiques, pour ai<strong>de</strong>r<br />

l’étudiante à appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong> situations professionnel<strong>les</strong> qu’elle va rencontrer. Elle<br />

doit être guidée afin <strong>de</strong> construire son i<strong>de</strong>ntité professionnelle sur une base saine,<br />

sans subir <strong>les</strong> pressions d’une charge impossible à gérer. Les nouveaux référentiels<br />

<strong>de</strong> formation favorisent largement l’autonomie <strong>de</strong>s étudiantes, ce qui leur confère<br />

également une plus gran<strong>de</strong> responsabilité. L’alternance permet d’exercer cette prise<br />

d’autonomie.<br />

Dans sa phase concrète, l’alternance revêt un caractère ambitieux car<br />

142


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

transmettre un savoir et un savoir-faire selon <strong>de</strong>ux logiques différentes que sont la<br />

logique théorique et la logique pratique, n’est déjà pas une mince affaire. Qui plus est<br />

donc, lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> sphères intimement liées à la personnalité et au vécu<br />

individuel.<br />

Pour Boutinet (2005, p.96) l’alternance se construit sur une<br />

« pensée métissée » qui se veut être à la fois « conciliation <strong>de</strong>s oppositions et<br />

interrogation sur leur irréductibilité ». C’est bien cette ambivalence entre <strong>de</strong>ux<br />

systèmes se nourrissant réciproquement mais <strong>de</strong>meurant cependant bien différenciés,<br />

qui fait toute la richesse et en même temps toute la difficulté <strong>de</strong> la formation par<br />

alternance.<br />

Le dispositif par alternance suppose l’adaptation <strong>de</strong> l’individu aux différents<br />

milieux professionnels et c’est <strong>dans</strong> le creuset <strong>de</strong>s exigences <strong>de</strong> ces milieux que <strong>les</strong><br />

compétences viennent s’exprimer pleinement. El<strong>les</strong> exigent <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> l’étudiante,<br />

censée utiliser au mieux toutes <strong>les</strong> ressources à disposition pour faire face aux<br />

famil<strong>les</strong> <strong>de</strong> situations professionnel<strong>les</strong> plus ou moins complexes qu’elle aura à gérer,<br />

une forte capacité réflexive incarnée <strong>dans</strong> la mise en œuvre <strong>de</strong> compétences. Or cette<br />

activité réflexive ne saurait s’émanciper d’un cadre éthique indispensable.<br />

5.4 L’éthique comme fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la pensée réflexive<br />

De nombreux éléments <strong>de</strong> réflexion éthique sont thématisés durant la formation,<br />

en particulier <strong>dans</strong> le domaine relationnel. Il est fréquemment fait référence aux<br />

<strong>de</strong>voirs du soignant envers son patient, mais <strong>les</strong> limites déontologiques sont parfois<br />

diffici<strong>les</strong> à cerner. La réflexion sur <strong>les</strong> valeurs est certes thématisée, mais place le<br />

focus sur <strong>les</strong> relations qui lient le soignant aux autres personnes, que ce soit le patient,<br />

ses proches ou ses collègues. Extrêmement rarement, le focus est placé sur le<br />

soignant et son rapport à sa profession, à sa manière <strong>de</strong> vivre l’exercice <strong>de</strong> son métier.<br />

Il y a là, selon nous, un manque évi<strong>de</strong>nt, <strong>dans</strong> la mesure où cette réflexion<br />

permettrait à l’infirmière <strong>de</strong> s’interroger sur l’équilibre entre ses convictions, ses<br />

motivations, ses responsabilités, ouvrant ainsi la voie à la compréhension du sens<br />

réel <strong>de</strong> son action, ce qui, à son tour, engendrerait l’authenticité et l’agir<br />

professionnel essentiels à la relation thérapeutique (Wintzer, 2004). Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s<br />

143


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

répercussions sur le travail quotidien, l’authenticité conduit <strong>les</strong> soignantes à<br />

s’engager et à s’affirmer également <strong>dans</strong> leur i<strong>de</strong>ntité. La dimension éthique est au<br />

centre <strong>de</strong> toute la réflexion critique <strong>de</strong> l’étudiante sur son engagement. Il est donc<br />

nécessaire d’examiner la place accordée à l’éthique <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> la formation et<br />

<strong>les</strong> objectifs <strong>de</strong> la formation en éthique <strong>dans</strong> la perspective <strong>de</strong> l’engagement<br />

professionnel.<br />

L’éthique est sans doute plus qu’un phénomène <strong>de</strong> mo<strong>de</strong>, l’intérêt pour<br />

l’éthique correspond à un besoin réel <strong>de</strong> repères <strong>dans</strong> une société où <strong>les</strong> valeurs sont<br />

en crise, et qui subit un affaiblissement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité collective. Face à la pluralité <strong>de</strong>s<br />

valeurs qui se rencontrent au sein d’une classe ou d’un groupe professionnel, la mise<br />

en réflexion sur ce qui fon<strong>de</strong> notre agir s’avère essentiel. Un examen du programme<br />

<strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s infirmières nous permet <strong>de</strong> décrire <strong>de</strong> manière assez précise le<br />

contenu <strong>de</strong>s cours dispensés en éthique. Durant la première année, ce sont avant tout<br />

<strong>les</strong> bases sémantiques qui sont posées. La distinction est établie entre l’éthique, la<br />

déontologie et le droit. L’enseignant met en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> divergences <strong>de</strong><br />

compréhension, malgré <strong>de</strong>s étymologies i<strong>de</strong>ntiques (respectivement latine et<br />

grecque), <strong>de</strong>s notions <strong>de</strong> morale et d’éthique avec leur implication <strong>dans</strong> la manière<br />

d’appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong> choses. Une première attention est portée à la notion <strong>de</strong> valeur,<br />

ainsi qu’à cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> préjugé, d’a priori et <strong>de</strong> stéréotype. En secon<strong>de</strong> année, <strong>les</strong> débats<br />

s’orientent autour <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s questions éthiques, souvent fortement médiatisées. Les<br />

étudiantes prennent connaissance <strong>de</strong>s principes éthiques ainsi que <strong>de</strong> gril<strong>les</strong><br />

d’analyse ayant comme objectif la résolution <strong>de</strong> situations présentant <strong>de</strong>s dilemmes<br />

éthiques. Les questions <strong>de</strong> l’avortement, du diagnostic prénatal, <strong>de</strong> l’euthanasie, du<br />

racisme sont entre autres abordées largement par le biais <strong>de</strong> réflexions sur <strong>de</strong>s<br />

situations réel<strong>les</strong> ou fictives, après une transmission <strong>de</strong> connaissances spécifiques à la<br />

question traitée. Les conflits <strong>de</strong> valeurs sont mis en évi<strong>de</strong>nce et discutés, voire<br />

analysés si le temps le permet.<br />

Cette compréhension <strong>de</strong> l’éthique et la manière <strong>de</strong> l’appréhen<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

programmes <strong>de</strong> formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> semble relativement similaire d’une<br />

école à l’autre.<br />

Chinn et Kramer (2008, p.126) invitent <strong>les</strong> enseignants à centrer leurs cours<br />

d’éthique sur <strong>les</strong> sujets suivants : règ<strong>les</strong> déontologiques, droit, obligations et<br />

144


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

procédures. Wintzer (2004) a effectué une recherche intitulée « Réflexions sur<br />

l’éthique à partir d’une évaluation <strong>de</strong> l’appropriation <strong>de</strong> la dimension éthique<br />

<strong>dans</strong> le rôle professionnel » recherche qui lui a permis d’examiner <strong>les</strong> programmes<br />

<strong>de</strong> formation à l’éthique <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux éco<strong>les</strong>. Elle a mis en évi<strong>de</strong>nce que la formation à<br />

l’éthique se décline au mieux sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la résolution <strong>de</strong> conflits, quand il ne<br />

s’agit pas simplement d’un rapi<strong>de</strong> balayage <strong>de</strong> questions controversées. Il est vrai<br />

que ce sont souvent <strong>de</strong>s sujets chargés d’émotions qui suscitent la réflexion éthique.<br />

On ne peut qu’acquiescer au fait que cela constitue un terrain nécessaire à un bon<br />

développement cognitif <strong>de</strong> la réflexion. Néanmoins, il serait faux <strong>de</strong> se limiter à ce<br />

champ émotionnel.<br />

Les valeurs gui<strong>de</strong>nt notre comportement. El<strong>les</strong> évoluent au fur et à mesure <strong>de</strong><br />

nos expériences et <strong>de</strong> nos interactions socia<strong>les</strong>. Ce sont el<strong>les</strong> qui donnent un sens à<br />

nos actions. Il s’agit là <strong>de</strong>s composants profondément personnels, sous-jacents à<br />

notre vision du mon<strong>de</strong> et à notre manière <strong>de</strong> l’appréhen<strong>de</strong>r. Les valeurs nous<br />

animent, en tant qu’un idéal à poursuivre pour mener notre existence. El<strong>les</strong> orientent<br />

toujours, <strong>de</strong> façon plus ou moins marquée et <strong>de</strong> manière plus ou moins implicite, nos<br />

actions puisqu’el<strong>les</strong> en constituent normalement le fon<strong>de</strong>ment. Si nous n’agissons<br />

pas par conviction, c’est-à-dire selon nos valeurs, nous serons tôt ou tard confrontés à<br />

la frustration, frustration <strong>de</strong> n’avoir pas agi pour ce qui en « vaut la peine » (Reboul,<br />

1989). En ce sens, la valeur constitue un but, un idéal à atteindre vers lequel sont<br />

déployés nos efforts. La formation à l’éthique doit apporter une contribution<br />

importante <strong>dans</strong> ce domaine.<br />

Le postulat d’une inégalité <strong>de</strong>s valeurs en fonction <strong>de</strong>s situations implique<br />

l’idée d’éthique en tant que doute et questionnement. Ce doute relève même d’une<br />

certaine forme <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir professionnel pour Svandra (2004) qui place celui-ci à<br />

l’origine <strong>de</strong> la réflexion éthique, en argumentant que chercher continuellement le<br />

sens et <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> son action, c’est là le <strong>de</strong>voir parfois fastidieux et répétitif<br />

<strong>de</strong> tout soignant. Le recours à <strong>de</strong>s principes pour discerner <strong>les</strong> composantes d’une<br />

situation délicate est tout à fait pertinent. Cependant cela ne saurait dispenser <strong>les</strong><br />

étudiantes <strong>de</strong> pratiquer cette démarche <strong>de</strong> réflexion en profon<strong>de</strong>ur sur <strong>les</strong> valeurs qui<br />

145


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

<strong>les</strong> animent et la manière dont el<strong>les</strong> souhaitent investir ces valeurs <strong>dans</strong> leur<br />

engagement en tant que soignantes. Et c’est précisément sur ce point que la<br />

formation nous semble, à certains égards, quelque peu lacunaire. En effet, si l’examen<br />

<strong>de</strong>s valeurs qui fon<strong>de</strong>nt notre façon <strong>de</strong> considérer l’autre et <strong>de</strong> l’appréhen<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> sa<br />

situation est hautement souhaitable, il n’en <strong>de</strong>meure pas moins qu’une réflexion sur<br />

soi-même nous semble également fondamentale. En effet, face aux difficultés<br />

actuel<strong>les</strong> que connaissent <strong>les</strong> institutions, l’infirmière est <strong>de</strong> plus en plus<br />

fréquemment placée <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s dilemmes personnels entre ce qu’il lui paraît bien <strong>de</strong><br />

faire et ce qu’elle pense <strong>de</strong>voir faire. C’est ce choix intérieur, ce positionnement qui<br />

s’incarne ensuite <strong>dans</strong> l’engagement et <strong>dans</strong> l’action et ne saurait donc se soustraire,<br />

à notre sens, à une investigation d’ordre éthique.<br />

Le nouveau référentiel <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s infirmières qui vient <strong>de</strong> sortir en<br />

France est révélateur à cet égard. Il évoque la nécessité d’une introspection, mais en<br />

une seule phrase sur l’ensemble <strong>de</strong> l’ouvrage.<br />

« L’étudiant est amené à <strong>de</strong>venir un praticien autonome, responsable et<br />

réflexif, c’est-à-dire un professionnel capable d’analyser toute situation<br />

<strong>de</strong> santé, <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s décisions <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> son rôle et <strong>de</strong><br />

mener <strong>de</strong>s interventions seul et en équipe pluri -professionnelle.»<br />

(Arrêté du 31 juillet 2009 relatif à la formation au Diplôme d’État Infirmier, p.4,<br />

Annexe 5).<br />

Cette démarche introspective fondatrice <strong>de</strong> la responsabilité semble aller <strong>de</strong> soi.<br />

L’opérationnalisation <strong>de</strong> cet exercice difficile et <strong>de</strong> ses éventuel<strong>les</strong> limites ne fait<br />

l’objet d’aucun écrit spécifique.<br />

Les compétences citées <strong>dans</strong> ce référentiel sont par ailleurs très principalement<br />

axées sur l’action et la prise <strong>de</strong> responsabilité.<br />

Dans l’ouvrage <strong>de</strong> référence utilisé en formation <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : Nouveaux<br />

Cahiers <strong>de</strong> l’Infirmière, « l’éthique désigne l’étu<strong>de</strong> théorique <strong>de</strong>s principes qui<br />

gui<strong>de</strong>nt l’action humaine » (Perlemuter, 2003, p.34). On ne trouve à aucun moment<br />

146


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

la trace d’une nécessaire réflexion primaire chez soi. L’objet est toujours la relation au<br />

patient et aux <strong>de</strong>voirs qu’il nous impose : secret professionnel, droits du patient,<br />

droits à la santé, ainsi que <strong>de</strong>s réflexions sur <strong>les</strong> sujets générateurs <strong>de</strong> conflits<br />

éthiques : IVG, euthanasie, procréation médicalement assistée.<br />

Les manuels <strong>de</strong> références suisses <strong>de</strong> l’ASI (Association suisse <strong>de</strong>s infirmières)<br />

précisent que <strong>les</strong> principes éthiques se répartissent en quatre domaines <strong>de</strong><br />

responsabilité :<br />

responsabilité envers le patient et ses proches,<br />

responsabilité envers soi-même et la profession (précisant que le soignant doit<br />

d’interroger sur ses valeurs et <strong>les</strong> clarifier, utiliser judicieusement ses<br />

ressources psychiques et physiques),<br />

responsabilité envers <strong>les</strong> autres membres <strong>de</strong> l’équipe,<br />

responsabilité envers la société et l’environnement.<br />

Nous trouvons ici <strong>de</strong>s prémisses à notre objet, mais aucune piste d’exploration<br />

concrète n’est fournie. Ces bonnes intentions <strong>de</strong>meurent à l’appréciation <strong>de</strong>s<br />

soignants. El<strong>les</strong> démontrent bien <strong>de</strong> la pertinence <strong>de</strong> cette problématique, mais leur<br />

application concrète fait défaut.<br />

Dans le Co<strong>de</strong> <strong>de</strong> déontologie infirmière universel <strong>de</strong> 2005 (Devers, 2005), après<br />

un étayage important <strong>de</strong>s droits, <strong>de</strong>voirs et responsabilités <strong>de</strong> l’infirmière, il est<br />

question <strong>de</strong> valeurs <strong>de</strong> la déontologie infirmière. La première valeur abordée est celle<br />

<strong>de</strong> la liberté. L’auteur insiste alors sur le fait que l’infirmière n’est pas libre <strong>de</strong> donner<br />

ou <strong>de</strong> refuser <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, mais que ce <strong>de</strong>voir est limité à l’urgence et au <strong>de</strong>voir<br />

d’humanité. L’infirmière ne serait pas tenue par <strong>les</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s qui ne seraient pas<br />

raisonnab<strong>les</strong>. Là encore, nous ne pouvons qu’acquiescer, tout en nous interrogeant<br />

sur le contenu <strong>de</strong>s mots : qu’est-ce que l’on considère ou non comme situation<br />

d’urgence, comme <strong>de</strong>voir d’humanité, comme <strong>de</strong>man<strong>de</strong> raisonnable ?... Il semble que<br />

la portée sémantique <strong>de</strong> ces mots soit laissée à l’appréciation propre <strong>de</strong> chaque<br />

infirmière. Ne doit-elle pas, cependant, être guidée <strong>dans</strong> cette recherche<br />

compréhensive ?<br />

147


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

La conclusion succédant à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s ouvrages et documents <strong>de</strong> référence, c’est<br />

la présence <strong>de</strong> l’éthique comme ai<strong>de</strong> à la pensée et à l’action <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations <strong>de</strong><br />

dilemmes. Mais la réflexion sur son positionnement et son engagement, si elle est<br />

parfois évoquée, n’en reste pas moins très floue et peu concrète.<br />

On retrouve ce même flou <strong>dans</strong> nos référentiels <strong>de</strong> compétences. Ils soulignent,<br />

certes, la nécessité d’avoir une pratique réflexive pour favoriser la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et<br />

développer le rôle professionnel. Mais il n’est à aucun moment question d’une<br />

introspection portant sur <strong>les</strong> valeurs et motivations <strong>de</strong> l’étudiante <strong>dans</strong> son rapport à<br />

sa profession et le sens qu’elle y perçoit ou désire lui donner. L’implication<br />

personnelle, implicitement présente, n’est appréhendée que <strong>de</strong> manière abstraite.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, quant à elle, fait l’objet d’enseignements précis qui<br />

mettent en avant l’importance d’exercer une pensée critique ainsi qu’une pensée<br />

réflexive.<br />

Avec la formation HES, l’accent est mis sur la réflexion et l’analyse critique.<br />

Cette démarche réflexive trouve toute son expression, sa raison d’être et sa<br />

promotion <strong>dans</strong> le jugement clinique. Il s’agit également <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s<br />

domaines jusque-là restés quasiment inexplorés, tel celui <strong>de</strong> la recherche. En<br />

développant <strong>de</strong>s domaines comme celui-ci, <strong>les</strong> HES espèrent promouvoir <strong>les</strong><br />

transferts <strong>de</strong> connaissance vers la pratique pour la rendre plus performante.<br />

Cette formation suit le mouvement général <strong>de</strong> libéralisation du marché et <strong>de</strong><br />

responsabilisation <strong>de</strong>s acteurs. Ainsi, <strong>les</strong> infirmières sont encouragées à prendre<br />

davantage d’autonomie et d’initiatives. Cependant, « une telle proposition ne peut<br />

s’exercer qu’au sein d’un espace <strong>de</strong> liberté, favorisé et valorisé par le cadre<br />

institutionnel » (Hesbeen, 2000, p.55). Il s’agit là d’un point nodal qui parfois est<br />

empreint <strong>de</strong> tensions.<br />

Avoir un esprit critique ne signifie pas l’usage immodéré et constant <strong>de</strong> la<br />

critique mais au contraire un esprit <strong>de</strong> discernement qui sache mettre en doute et<br />

constater la véracité ou non d’un propos, mettre en question la représentation du réel<br />

d’une situation au moyen d’opérations logiques, statistiques, scientifiques et<br />

argumentatives. Cette action <strong>de</strong> discerner ce qui paraît légitime ou non repose sur <strong>les</strong><br />

148


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

valeurs, ce qui explique que le légitime puisse parfois s’opposer au légal.<br />

Notre société actuelle prône la tolérance parfois <strong>de</strong> manière absolue, et veut<br />

nous faire croire que toutes <strong>les</strong> valeurs se valent. Elle oppose au spectre angoissant<br />

<strong>de</strong> la pensée unique, un relativisme qui suppose que chaque avis a une égale valeur.<br />

Si cette démarche pose la condition absolue du respect <strong>de</strong> l’autre et <strong>de</strong> son opinion, il<br />

faut néanmoins prendre gar<strong>de</strong> à ne pas s’achopper sur un nihilisme peu constructif.<br />

Il s’oppose au dogmatisme qui, à l’extrême inverse, passe tout par le crible <strong>de</strong> la<br />

raison au détriment du savoir acquis par l’expérience.<br />

jugement.<br />

L’esprit critique utilisé <strong>de</strong> manière cohérente permet <strong>de</strong> réduire <strong>les</strong> erreurs <strong>de</strong><br />

Dans l’exercice <strong>de</strong> l’esprit critique, plusieurs métho<strong>de</strong>s sont envisageab<strong>les</strong>, la<br />

plus courante étant celle du questionnement.<br />

La métho<strong>de</strong> du questionnement permet <strong>de</strong> clarifier la situation. Très souvent<br />

<strong>de</strong>s problèmes émergent qui sont mal posés, peu transparents, empreints <strong>de</strong> préjugés<br />

ou d’idées préconçues. Avec cette métho<strong>de</strong>, il s’agit <strong>de</strong> « disséquer » une situation en<br />

mettant en évi<strong>de</strong>nce quels en sont <strong>les</strong> acteurs, le contexte, <strong>les</strong> différents paramètres<br />

d’influence, <strong>les</strong> liens annexes… Comprendre quel est l’ensemble <strong>de</strong>s éléments en<br />

présence qui peuvent interférer ou non <strong>dans</strong> une situation, permet <strong>de</strong> mieux pouvoir<br />

prendre en compte ceux sur <strong>les</strong>quels il sera possible d’avoir une influence ou non.<br />

Exercer un esprit critique revient aussi à douter, à la façon dont faisait Descartes<br />

pour accé<strong>de</strong>r à l’entière connaissance. Car rien n’est plus dangereux que d’accepter<br />

une vérité pour réelle sans en avoir examiné la validité. Cela suppose <strong>de</strong> laisser <strong>de</strong><br />

côté <strong>les</strong> opinions toutes faites ainsi que nos expériences et sentiments. Le savoir<br />

émane <strong>de</strong> la raison et non plus <strong>de</strong> notre seule expérience. Cette métho<strong>de</strong> permet <strong>de</strong><br />

décomposer le problème en partant <strong>de</strong> son aspect le plus simple au plus complexe.<br />

Elle convoque tous <strong>les</strong> détails autour <strong>de</strong> l’objet.<br />

Enfin, la métho<strong>de</strong> scientifique va se préoccuper <strong>de</strong> rechercher la validité d’un<br />

propos, ou ici l’exactitu<strong>de</strong> quant à l’interprétation qui est donnée <strong>de</strong> la situation. Elle<br />

cherche à démontrer <strong>les</strong> faits, en observant la réplicabilité <strong>de</strong> la situation, son<br />

exhaustivité, ainsi que son <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> représentativité à un niveau plus général. Le<br />

149


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

processus d’argumentation d’un phénomène ou d’une action est aujourd’hui<br />

fortement valorisé au sein <strong>de</strong> nos formations.<br />

extérieur.<br />

L’usage <strong>de</strong> la pensée critique se fait généralement par rapport à un objet<br />

En revanche, la réflexivité a pour objet la personne elle-même et <strong>les</strong> outils<br />

méthodologiques empruntés également à la sociologie examinent avant tout la<br />

personne <strong>dans</strong> son agir. Cette <strong>de</strong>rnière met son action sous la loupe, la confronte à<br />

une analyse conceptuelle pour lui proposer une éventuelle amélioration. La<br />

réflexivité est à la fois prise <strong>de</strong> conscience et prise <strong>de</strong> distance critique avant, pendant<br />

et après l’action. Par différentes étapes <strong>de</strong> questionnement, analyse <strong>de</strong> pratique, auto-<br />

évaluation, problématisation et conceptualisation, elle vise à questionner <strong>les</strong><br />

pratiques <strong>dans</strong> une visée <strong>de</strong> professionnalisation.<br />

Les temps consacrés à l’analyse réflexive sont appréciés par <strong>les</strong> étudiantes. Ils<br />

sont néanmoins courts et se centrent sur la réflexion qui a pour objet l’action, et non<br />

la personne elle-même. Pertinente au niveau <strong>de</strong> l’analyse du problème, cette<br />

démarche n’interroge pas la personne en profon<strong>de</strong>ur sur son positionnement, pas<br />

plus qu’elle ne constitue une réflexivité critique soulignant l’engagement <strong>de</strong> la<br />

personne <strong>dans</strong> un équilibre entre elle et sa profession. Elle est davantage entreprise<br />

sur le mo<strong>de</strong> praxéologique <strong>de</strong> la résolution <strong>de</strong> problème et <strong>de</strong>s réponses à apporter à<br />

ces problèmes, en s’aidant d’un bagage conceptuel pertinent.<br />

Certains auteurs dénoncent l’injonction à la réflexivité et mettent en gar<strong>de</strong><br />

contre le danger <strong>de</strong> son utilisation à outrance qui, d’une part, donne une supériorité<br />

ontologique à la pratique sur la théorie et qui, d’autre part, contribue toujours<br />

davantage à faire peser sur l’individu la responsabilité <strong>de</strong> ses échecs.<br />

D’ailleurs, cette réflexivité a également toutes ses lettres <strong>de</strong> nob<strong>les</strong>se auprès du<br />

nouveau management qui l’encourage largement, percevant là un moyen intéressant<br />

d’amener l’individu à progresser. Les compétences attendues <strong>de</strong>s individus étant<br />

multip<strong>les</strong> et ne renvoyant plus uniquement à la sphère technique mais aux<br />

compétences personnel<strong>les</strong> et psychologiques, l’individu est appelé à effectuer un<br />

travail introspectif considérable. Pour Martucelli (2006), la réflexivité est <strong>de</strong>venue un<br />

mot clé, qui même si celle-ci a pour objet le rapport intime <strong>de</strong> la personne à sa<br />

150


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

situation, a comme objectif premier l’utilisation externe <strong>de</strong> l’analyse interne<br />

(Martucelli, 2006) <strong>dans</strong> un mouvement <strong>de</strong> déplacement <strong>de</strong> la « subjectivité » vers une<br />

dimension collective, visant à la responsabilisation et à l’action (Ehrenberg, 2010).<br />

La logique économique qui prévaut <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du travail a donc<br />

certainement contribué à la propagation <strong>de</strong> la démarche réflexive, tout comme elle a<br />

contribué au courant actuel <strong>de</strong> professionnalisation.<br />

151


PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE<br />

152


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

DEUXIÈME PARTIE :<br />

CADRE DE<br />

RÉFÉRENCE<br />

SPÉCIFIQUE<br />

153


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

154


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Le domaine professionnel est un domaine complexe et <strong>les</strong> interactions qui s’y<br />

jouent, inscrites <strong>dans</strong> une dimension d’engagement, constituent <strong>les</strong> conditions d’un<br />

possible épanouissement <strong>de</strong>s professionnels, tout comme el<strong>les</strong> peuvent également<br />

constituer <strong>les</strong> conditions d’une vive frustration, voire <strong>de</strong>venir la source d’une atteinte<br />

à leur santé (Dejours, 2008).<br />

Le sens <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong>vient un objet d’intérêt récurrent <strong>de</strong> notre société et<br />

<strong>les</strong> questions qu’il soulève sont nombreuses. Composante du développement<br />

professionnel, l’engagement est-il lié à la satisfaction, à la motivation ? Est-il l’origine<br />

ou la conséquence d’une prise <strong>de</strong> responsabilité ?<br />

Il est en tout cas clair que l’engagement est indispensable à la relation soignante,<br />

qui ne saurait en être dépourvue sans se voir fondamentalement dénaturée. Dallaire<br />

(2008) écrit que l’infirmière doit s’engager <strong>de</strong> manière intense, cet engagement étant<br />

« facteur <strong>de</strong> croissance à la fois pour elle et la personne avec qui elle<br />

interagit » (Dallaire, 2008, p.89). L’héritage issu <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

véhicule encore largement une conception d’un engagement inconditionnel au<br />

chevet <strong>de</strong>s patients.<br />

Cependant, cette relation soignante s’inscrit <strong>dans</strong> un contexte <strong>de</strong> soin <strong>de</strong> plus en<br />

plus complexe et <strong>dans</strong> lequel la logique <strong>de</strong> performance et <strong>de</strong> ren<strong>de</strong>ment tend à se<br />

substituer à la logique humaniste, qui voudrait que l’humain soit le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong><br />

notre responsabilité (Lévinas, 1986), ce qui n’est pas sans provoquer d’importantes<br />

tensions <strong>dans</strong> le champ d’activité <strong>de</strong>s infirmières.<br />

La dimension éthique interpelle chaque homme en son for intérieur, sur ce qui<br />

l’anime au plus profond <strong>de</strong> lui-même, et fon<strong>de</strong> ainsi son engagement, y compris <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> <strong>soins</strong>, objet <strong>de</strong> notre réflexion ici. Selon Lévinas, l’éthique précè<strong>de</strong> l’engagement et,<br />

même si tous <strong>les</strong> auteurs ne sont pas toujours d’accord sur ce point, tous<br />

reconnaissent en revanche un lien étroit entre éthique et engagement. Mais <strong>de</strong> quel<br />

engagement parle-t-on au juste ?<br />

L’engagement parce qu’il est éminemment personnel, ne peut être envisagé<br />

sous un angle solipsiste mais doit être vu <strong>dans</strong> son inscription à une société donnée<br />

par laquelle il est toujours à nouveau façonné et remo<strong>de</strong>lé. Nous verrons, tout<br />

particulièrement, comment l’engagement spécifique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> se trouve au cœur<br />

155


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

d’un champ <strong>de</strong> tensions induit par le néolibéralisme et <strong>les</strong> exigences en termes<br />

d’efficience et <strong>de</strong> rentabilité.<br />

Comprendre l’engagement et son évolution nécessite <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r un moment<br />

aussi sur <strong>de</strong>s concepts très proches qui contribuent à faire <strong>de</strong> ce phénomène ce qu’il<br />

est, et apportent chacun une pierre à son édifice.<br />

L’engagement s’inscrivant <strong>dans</strong> une dynamique d’action, nous l’envisagerons<br />

<strong>dans</strong> le rôle actif <strong>de</strong> parole et d’acte engagés qu’il est à même <strong>de</strong> jouer et <strong>de</strong><br />

promouvoir, au cœur <strong>de</strong> la profession infirmière.<br />

156


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

CHAPITRE 6 : UN CONCEPT FAÇONNÉ PAR L’ÉVOLUTION<br />

SOCIÉTALE<br />

Ce qui caractérise le concept d’engagement c’est la multiplicité <strong>de</strong>s regards qu’il<br />

convoque et <strong>de</strong>s interprétations qui lui sont attribuées. Il est impossible <strong>de</strong> se centrer<br />

sur un seul paradigme sous peine <strong>de</strong> laisser <strong>de</strong> côté <strong>de</strong>s éléments essentiels à sa<br />

compréhension. Différentes disciplines contribuent à lui apporter chacune un<br />

éclairage particulier.<br />

Pour autant le concept d’engagement propre aux <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, avec ses<br />

difficultés, ses limites mais aussi toute la force émancipatrice qui en émane, n’a pas<br />

encore fait l’objet <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> recherches, et ce domaine <strong>de</strong> connaissances<br />

présente <strong>de</strong>s lacunes très importantes (Simpson, 2009). Il s’agit ici d’étayer la<br />

réflexion et <strong>de</strong> montrer l’importance <strong>de</strong> ce concept, en favorisant sa compréhension<br />

pour notre profession.<br />

6.1 L’engagement, d’hier à aujourd’hui<br />

Différents auteurs se sont penchés sur la notion d’engagement ces <strong>de</strong>rnières<br />

années et ont essayé <strong>de</strong> mieux la comprendre, en particulier au travers <strong>de</strong> son<br />

évolution. Ces auteurs s’accor<strong>de</strong>nt à dire que <strong>les</strong> formes d’engagement se sont<br />

considérablement modifiées. Ainsi Ion (1997) parle d’un « engagement distancié »,<br />

par opposition à l’engagement qui prévalait jusque <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1960 et qui se<br />

caractérisait par une implication « corps et âme » <strong>de</strong> la personne. L’engagement<br />

serait à présent plus mesuré et n’empièterait pas autant sur la vie privée <strong>de</strong> la<br />

personne, et encore moins sur son i<strong>de</strong>ntité. Plus que jamais, cet engagement doit<br />

s’inscrire <strong>dans</strong> une cohérence générale du parcours biographique et <strong>de</strong> ce qui fait<br />

sens au cœur même <strong>de</strong> l’existence. Du fait même <strong>de</strong> sa disqualification sociale et <strong>de</strong><br />

sa stigmatisation, l’engagement doit d’autant plus trouver un sens intrinsèque et être<br />

157


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

valorisé <strong>de</strong> l’intérieur (Havard-Duclos & Nicourd, 2005). Une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> cette<br />

valorisation va se trouver <strong>dans</strong> son efficacité et la reconnaissance <strong>de</strong> son utilité.<br />

Selon Ladrière et al. <strong>dans</strong> l’Encyclopédia Universalis,<br />

« La conduite d’engagement est un type d’attitu<strong>de</strong> qui consiste à<br />

assumer activement une situation, un état <strong>de</strong> choses, une<br />

entreprise, une action en cours. Elle s’oppose aux attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

retrait, d’indifférence, <strong>de</strong> non-participation. » (2011, p.2).<br />

Et <strong>les</strong> auteurs d’ajouter que l’engagement est caractérisé par trois composantes<br />

majeures, à savoir : l’implication, la responsabilité et le rapport à l’avenir. Il en<br />

découle que l’engagement va <strong>de</strong>voir s’incarner <strong>dans</strong> une action concrète, <strong>dans</strong> la<br />

mesure où il constitue une démarche consciente d’investissement <strong>dans</strong> une cause ou<br />

une situation pour laquelle le sujet se sent appelé à prendre une responsabilité et à<br />

assumer ses positions, même si beaucoup <strong>de</strong> conséquences <strong>de</strong> ses actes lui échappent<br />

encore. L’engagement précè<strong>de</strong> la responsabilité dont il définit le contour et auquel il<br />

donne vie. L’enjeu d’un engagement est toujours profondément humain. Ses<br />

répercussions sont autant perceptib<strong>les</strong> chez la ou <strong>les</strong> personne(s) qui vont en<br />

bénéficier que chez la personne qui s’engage elle-même et se met en jeu. C’est en ce<br />

sens qu’on peut lier l’engagement à la notion d’avenir, puisqu’il s’inscrit <strong>dans</strong> une<br />

démarche qui entreprend <strong>de</strong> modifier l’avenir et certaines données qui lui sont liées,<br />

d’en déjouer <strong>les</strong> fatalités et d’en rétablir une perspective d’espoir. Sans qu’on puisse<br />

l’apparenter à un processus volontaire <strong>de</strong> type déterministe, l’engagement permet <strong>de</strong><br />

tracer un chemin du possible vers le futur, à partir <strong>de</strong> ce qui est et qui était déjà.<br />

Même s’il doit compter avec l’incertitu<strong>de</strong> du mon<strong>de</strong> humain, il permet d’envisager et<br />

d’influer sur l’avenir (Kemp, 1973). Qu’il s’agisse d’un engagement envers une<br />

organisation, envers un parti politique ou encore envers <strong>de</strong>s convictions et <strong>de</strong>s<br />

valeurs, il recèle toujours une part d’inconnu plus ou moins gran<strong>de</strong> et donc, par<br />

conséquent, une prise <strong>de</strong> risque pour le sujet qui s’engage. Dans la profession,<br />

l’engagement allie un côté instrumental aux idéaux <strong>de</strong> la personne. Dans sa<br />

profession, la personne engagée met tout en œuvre pour acquérir ce dont elle a<br />

besoin pour l’exercer selon <strong>les</strong> valeurs mora<strong>les</strong> qui sont <strong>les</strong> siennes, ainsi que cel<strong>les</strong><br />

158


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

<strong>de</strong> la profession. Ainsi le soignant engagé n’est pas seulement un bon technicien,<br />

mais il se caractérise également par son investissement auprès du patient et <strong>de</strong>s<br />

autres acteurs <strong>de</strong> la situation. S’il y a donc une dimension <strong>de</strong> promesse <strong>dans</strong> la<br />

manière dont la personne s’engage, promesse d’être fidèle à ses convictions, il y a<br />

également en parallèle à cela, l’idée <strong>de</strong> durée. L’implication peut être momentanée<br />

alors que l’engagement, en revanche, s’exprime sur le long terme et implique l’entier<br />

<strong>de</strong> la personne, sans limites. Paradoxe s’il en est puisqu’il ne s’exercera jamais que<br />

sur <strong>de</strong>s situations el<strong>les</strong>-mêmes limitées ! Si l’homme est libre et autonome, cette<br />

liberté est néanmoins vouée à s’exercer <strong>dans</strong> le cadre limité <strong>de</strong> la vie humaine. Et son<br />

pouvoir est immense puisque la liberté constitue un véritable « acte fondateur » en<br />

cela qu’elle établit <strong>de</strong>s liens que l’engagement vient sceller <strong>dans</strong> une dimension<br />

dynamique et vivante. Que l’on pense à la littérature engagée <strong>de</strong> Malraux, <strong>de</strong><br />

Bernanos, <strong>de</strong> Sartre ou <strong>de</strong> Camus, pour n’en citer que quelques-uns, il nous faut bien<br />

reconnaître qu’elle ne saurait se résumer à une simple vision du mon<strong>de</strong> et à sa<br />

<strong>de</strong>scription. Elle s’incarne bel et bien <strong>dans</strong> une volonté <strong>de</strong> transformer le mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />

sa nature même. L’engagement convoque l’entier <strong>de</strong> la personne, et ce, <strong>de</strong> façon<br />

intense !<br />

Selon Meyer et Allen (1991), l’engagement peut être divisé en trois gran<strong>de</strong>s<br />

catégories qui sont : la dimension affective, la dimension <strong>de</strong> calcul et <strong>de</strong> rationalité,<br />

ainsi que la dimension normative se référant à la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir. L’engagement<br />

regroupe en son sein ces trois catégories, et l’individu engagé est donc à la fois lié par<br />

ses sentiments, sa raison, ainsi que par une conscience du <strong>de</strong>voir à accomplir. En<br />

constante interaction, ces trois sphères dynamiques contribuent à donner du sens<br />

pour la personne, <strong>dans</strong> son action et au-<strong>de</strong>là même <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité. Ainsi,<br />

l’engagement professionnel forge l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, et en favorisant<br />

l’autonomie, la mise en œuvre <strong>de</strong> compétences, ainsi que le lien social, il a également<br />

<strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces sur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle.<br />

Parce que l’engagement ne saurait être dissocié <strong>de</strong> l’acte qui en résulte comme<br />

une conséquence obligée, il est possible <strong>de</strong> dégager <strong>de</strong>s indicateurs permettant <strong>de</strong> le<br />

mettre en évi<strong>de</strong>nce.<br />

159


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

« Le choix <strong>de</strong> l’activité, l’engagement cognitif <strong>dans</strong> l’activité et la<br />

persévérance <strong>dans</strong> la réalisation <strong>de</strong> l’activité, constituent <strong>de</strong>s<br />

indicateurs <strong>de</strong> l’engagement. » (Jorro & De Ketele, 2011).<br />

Il faut arrêter <strong>de</strong> croire que l’engagement va <strong>de</strong> soi, porté par un élan<br />

vocationnel inconditionnel. L’engagement souffre du relativisme ambiant dont il<br />

porte <strong>les</strong> stigmates. Or, nous l’avons vu, cette hésitation à l’engagement est renforcée<br />

également par <strong>les</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> domination <strong>de</strong> nos institutions sur leurs<br />

employés. Les craintes <strong>de</strong> voir ses intérêts propres sacrifiés sur l’autel <strong>de</strong> la<br />

rentabilité conduisent la personne à une déresponsabilisation croissante.<br />

Conséquence <strong>de</strong> ces phénomènes ainsi que <strong>de</strong> la pensée mo<strong>de</strong>rne, nous<br />

acceptons <strong>de</strong> plus en plus difficilement le caractère contraignant d’un engagement,<br />

surtout si celui-ci est formalisé d’une manière ou d’une autre. Et le fait que cette<br />

notion soit <strong>de</strong>venue quelque peu désuète, s’explique justement par le message<br />

contraignant qu’elle véhicule. Son étymologie, qui signifie littéralement « mettre en<br />

gage », s’oppose à la valeur <strong>de</strong> liberté si chère à nos contemporains. S’engager, c’est<br />

« se donner en gage, se lier », une connotation que l’on retrouve <strong>de</strong> manière très<br />

précise <strong>dans</strong> le « sich bin<strong>de</strong>n » <strong>de</strong> l’allemand (se lier) ou le « to go into service » <strong>de</strong><br />

l’anglais (se mettre au service <strong>de</strong>) (Bobineau, 2010a, p.12). Dans ce sens l’engagement<br />

comporte un caractère contraignant, d’autant plus rédhibitoire, s’il est formalisé.<br />

La liberté offerte par la révocabilité est préférée au respect <strong>de</strong>s obligations, alors<br />

que Dubar affirme la nécessité pour l’engagement <strong>de</strong> se vivre concrètement au sein<br />

d’une organisation (Dubar & Tripier, 2007). Pour Gauchet (2002), appartenir à une<br />

communauté précise ou à un réseau précis, résulte du choix individuel, seul gage<br />

d’un engagement authentique. Or l’auteur <strong>de</strong> souligner que l’authenticité réellement<br />

vécue ne saurait s’accommo<strong>de</strong>r vraiment du collectif. Qu’il y ait là un délitement<br />

effectif du lien social ou une transformation <strong>de</strong>s modalités d’appartenance, toujours<br />

est-il que la manière d’être au groupe et à son travail s’est fortement modifiée.<br />

Tel que Durkheim et Weber l’avaient annoncé, la notion <strong>de</strong> contrat est <strong>de</strong>venue<br />

centrale <strong>dans</strong> notre société occi<strong>de</strong>ntale, dominant l’ensemble du fonctionnement<br />

économique et sociétal actuel (Modak et Messant, 2005).<br />

160


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Or, <strong>dans</strong> le contrat, <strong>les</strong> parties s’engagent en connaissance <strong>de</strong> cause, c’est-à-dire<br />

en ayant réfléchi et mesuré <strong>les</strong> bénéfices et <strong>les</strong> coûts. Les coûts s’expriment le plus<br />

souvent <strong>dans</strong> la frustration et l’épuisement. Les bénéfices, quant à eux, sont à voir<br />

<strong>dans</strong> la motivation, le sentiment <strong>de</strong> cohérence et <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> l’action, aspects<br />

fondamentaux du rôle professionnel.<br />

Ce calcul rationnel constitue l’un <strong>de</strong>s aspects spécifiquement liés à l’évolution<br />

<strong>de</strong> notre société. Néanmoins, l’engagement en tant que porté aussi largement par<br />

l’affect échappe bien souvent à cette réflexion consciente.<br />

6.2 L’influence du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne<br />

Avant <strong>les</strong> formes et contenus d’engagement, ce qui a évolué, c’est l’homme lui-<br />

même. Affranchi <strong>de</strong> toute relation divine, l’homme est <strong>de</strong>venu son propre maître et<br />

la porte s’est ainsi ouverte au libre-arbitre et à la suprématie d’une raison<br />

omnisciente, capable <strong>de</strong> tracer <strong>les</strong> contours <strong>de</strong> l’engagement nécessaire à l’homme.<br />

Mais la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> cette illusion d’une raison toute-puissante a inauguré<br />

une gran<strong>de</strong> « révolution anthropologique » <strong>de</strong>puis <strong>les</strong> années quatre-vingt, qui a<br />

contribué à modifier en profon<strong>de</strong>ur l’engagement individuel (Bobineau, 2010a). Et<br />

Bobineau <strong>de</strong> développer huit mutations fondamenta<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’être humain qui l’ont<br />

transformé pour lui donner <strong>les</strong> caractéristiques actuel<strong>les</strong> (Bobineau, 2010a):<br />

1. L’importance d’un rapport à soi authentique : l’être humain cherche à<br />

être en harmonie avec lui-même et à s’auto-réaliser ;<br />

2. Un rapport à son corps plus important : le bien-être et l’écoute <strong>de</strong> soi<br />

sont <strong>de</strong>venus <strong>de</strong>s éléments essentiels ;<br />

3. Un rapport aux autres, vécu sous un angle pragmatique et individualiste.<br />

La relation aux autres s’inscrit <strong>de</strong> plus en plus <strong>dans</strong> un calcul individuel <strong>de</strong><br />

ses intérêts propres et ses limites à ceux-ci ;<br />

4. Un rapport aux choses qui s’apparente à la logique <strong>de</strong> consommation :<br />

une conception utilitariste régit le rapport <strong>de</strong> l’humain avec <strong>les</strong> objets qui<br />

l’entourent ;<br />

161


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

5. Un rapport au temps modifié par la logique économique qui veut que le<br />

temps soit monnayable ;<br />

6. Un rapport à l’espace modifié par <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> communication ;<br />

7. Un rapport aux idées et aux valeurs rendu plus critique par la<br />

médiatisation et l’importance accordée au scientifique. Baigné <strong>dans</strong> un<br />

relativisme moral qui fait cohabiter une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> valeurs en son sein,<br />

le mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne laisse l’individu face à la lour<strong>de</strong> tâche <strong>de</strong> créer son<br />

propre système <strong>de</strong> valeurs. Son engagement va ensuite en dépendre, et<br />

l’on comprend que celui-ci se soit donc fortement modifié lorsque l’on<br />

considère toutes ces transformations ;<br />

8. Le rapport à la transcendance et au Salut, qui <strong>de</strong>vrait permettre à<br />

l’homme d’acquérir une plus gran<strong>de</strong> autonomie, le laisse néanmoins sans<br />

repères clairs et précis tant l’objet même <strong>de</strong> cet idéal transcendantal est<br />

soumis à la relativité <strong>de</strong>s opinions.<br />

Pour <strong>les</strong> auteurs <strong>de</strong> l’Antiquité, Platon et Aristote, tout comme quelques sièc<strong>les</strong><br />

plus tard pour Spinoza, l’éthique représente un but suprême qui serait la<br />

« meilleure » façon <strong>de</strong> se conduire <strong>dans</strong> son existence. Or ce but serait, selon eux, en<br />

harmonie avec la sagesse ou la connaissance <strong>de</strong> l’ordre qui régit l’univers. Avec <strong>de</strong>s<br />

penseurs comme Rousseau ou Kant, cette conception <strong>de</strong> l’éthique, qui élève la<br />

connaissance en Bien suprême, est totalement bouleversée. Pour Rousseau, comme<br />

pour Kant, la vertu cesse d’être liée à la connaissance. Chez Rousseau, la conscience<br />

est considérée comme un « instinct divin » qui se veut apte à juger du bien comme<br />

du mal. Chez Kant, elle est inhérente à l’humain par le biais <strong>de</strong> ce « tribunal<br />

intérieur » que constitue la conscience. Elle est directement liée à la volonté qui<br />

oriente l’agir <strong>de</strong> l’homme (Savadogo, 2008). Apel et Habermas prolongent ensuite ce<br />

tournant amorcé au siècle <strong>de</strong>s Lumières pour attribuer à l’homme seul cette capacité<br />

<strong>de</strong> se dicter ses propres lois, en discussion avec la collectivité <strong>dans</strong> laquelle il évolue.<br />

Cette « relativité <strong>de</strong>s valeurs, (…) impose <strong>de</strong> renoncer à rechercher ce<br />

qui est bien en soi pour l’homme pour s’interroger sur <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong><br />

validation <strong>de</strong>s conduites humaines… la réflexion sur le "juste", doit<br />

162


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

prendre le pas sur celle sur le "bien". » (Savadogo, 2008, p.63).<br />

Lévinas développe, quant à lui, une philosophie spécifique, <strong>dans</strong> la mesure où il<br />

lie singularité et bonté, la liberté trouvant alors sa pleine expression <strong>dans</strong> la rencontre<br />

avec l’Autre et s’exprimant sur le fon<strong>de</strong>ment d’une relation à Dieu.<br />

Bobineau (2010a) précise que « la morale <strong>de</strong>s Pères » est <strong>de</strong>venue « la morale<br />

<strong>de</strong>s pairs » (p.67), soulignant par-là l’importance <strong>de</strong> la communauté <strong>dans</strong> la<br />

définition d’un corpus <strong>de</strong> valeurs partagées, mais une communauté provisoire,<br />

passagère, qui s’accommo<strong>de</strong> ainsi pour un temps avant <strong>de</strong> laisser à nouveau chacun<br />

avec ses questionnements, le temps d’effectuer un autre choix pragmatique et<br />

individuel pour son parcours <strong>de</strong> vie.<br />

Ainsi l’engagement <strong>de</strong>vient « médiatique et réticulaire », exprimé par <strong>de</strong>s<br />

réseaux individuels ou <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> envergure. Il doit être lié à la sphère<br />

émotionnelle. On ne peut ici s’empêcher <strong>de</strong> faire référence à <strong>de</strong>s phénomènes comme<br />

face book qui en constitue un exemple type.<br />

Mais l’engagement actuel, c’est avant tout, selon Bobineau, une manière <strong>de</strong><br />

donner un sens à sa vie. Il distingue ainsi <strong>de</strong>ux buts différents <strong>dans</strong> l’engagement : la<br />

notion <strong>de</strong> skopos (le but concret) liée au sentiment d’utilité et la notion <strong>de</strong> telos (la<br />

finalité ultime) qui serait la co-existence et la vie sociétale. Le sentiment d’utilité est<br />

très fréquemment évoqué chez <strong>les</strong> infirmières qui ont comme objectif premier d’ai<strong>de</strong>r<br />

le patient, <strong>de</strong> le soigner, <strong>de</strong> le « réparer » (Bobineau, 2010a p.101). El<strong>les</strong> s’en trouvent<br />

alors el<strong>les</strong>-mêmes valorisées et accè<strong>de</strong>nt ainsi à une certaine forme d’autonomie.<br />

Encore faut-il que ces <strong>de</strong>ux buts soient réellement compatib<strong>les</strong>, malmenés<br />

comme peut l’être le personnel soignant <strong>dans</strong> le contexte professionnel qui est le sien.<br />

La psychologie, et en particulier la psychologie du travail, s’est donnée comme<br />

objectif <strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r l’engagement à la lumière justement <strong>de</strong> ce contexte professionnel.<br />

6.3 L’engagement et la psychologie du travail<br />

Duchesne et al. (2005) note que <strong>les</strong> travaux portant sur l’engagement<br />

professionnel sont encore très peu répandus, en particulier sur ce qui fon<strong>de</strong> et permet<br />

<strong>de</strong> maintenir l’engagement. Ce concept n’a que rarement été analysé <strong>de</strong> manière<br />

163


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

formelle. Selon Becker (2006), il est plutôt traité comme un « concept primitif » utilisé<br />

sans justification ou définition précise, ce qui explique qu’il recouvre aujourd’hui une<br />

palette <strong>de</strong> significations aussi différentes <strong>les</strong> unes <strong>de</strong>s autres.<br />

Dans le domaine <strong>de</strong> la psychologie, il est considéré comme un état affectif et<br />

émotionnel d’épanouissement persistant et positif caractérisé par l’énergie, le<br />

dévouement (implication) et l’absorption (imprégnation) (Schaufeli & Martinez,<br />

2002). C’est la structure tri-factorielle que ces chercheurs ont mise en évi<strong>de</strong>nce en lien<br />

avec le concept d’engagement. Il ne s’agit pas d’un état temporaire et spécifique lié à<br />

un évènement ou un objet particulier, mais d’un état persistant <strong>dans</strong> le temps.<br />

L’énergie se caractérise par l’investissement <strong>de</strong> ses ressources, la volonté <strong>de</strong><br />

produire <strong>de</strong>s efforts pour le travail, la résilience, la capacité à résister à la<br />

fatigue et la persévérance face aux difficultés ;<br />

Le dévouement se manifeste <strong>dans</strong> le fort engagement professionnel,<br />

l’enthousiasme, la fierté et le souhait <strong>de</strong> relever le défi ;<br />

L’absorption est définie comme un état plaisant d’immersion <strong>dans</strong> son travail,<br />

le sentiment <strong>de</strong> ne pas voir le temps passer, la difficulté à se détacher <strong>de</strong> son<br />

activité.<br />

Kahn (1990, p.694) a défini l’engagement personnel comme étant « <strong>les</strong><br />

comportements selon <strong>les</strong>quels <strong>les</strong> personnes s’investissent ou non<br />

personnellement <strong>dans</strong> un objectif <strong>de</strong> performance professionnelle ». Lorsqu’ils<br />

sont engagés, <strong>les</strong> professionnels sont impliqués à la fois cognitivement,<br />

émotionnellement et physiquement. Kahn a mis en évi<strong>de</strong>nce trois conditions<br />

psychologiques (sens, sécurité et disponibilité) ayant une influence sur l’engagement<br />

personnel et le désengagement au travail. La question du sens présente <strong>de</strong> loin la<br />

plus forte corrélation.<br />

Selon Harter, Schmidt & Hayes (2002), l’engagement représente l’état <strong>dans</strong><br />

lequel <strong>les</strong> employés sont reliés émotionnellement à d’autres, vigilants sur le plan<br />

cognitif, impliqués, satisfaits et faisant preuve d’enthousiasme pour leur travail. Pour<br />

Meyer et Herscovitch (2002, p.301), l’engagement est « une force qui lie un<br />

individu à un cours d’action en rapport avec une ou plusieurs cib<strong>les</strong> ». Cette<br />

164


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

force repose sur une i<strong>de</strong>ntification, le partage <strong>de</strong> valeurs communes à l’institution et<br />

aux groupes <strong>de</strong> travail. Brown (1996) conclut <strong>dans</strong> une méta-analyse que la personne<br />

engagée est celle qui trouve son activité motivante, la considère comme un défi à<br />

relever, est engagée à la fois envers son activité mais aussi envers son institution, et<br />

s’engage volontiers <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s relations professionnel<strong>les</strong> avec ses collègues et ses<br />

supérieurs (Brown, 1996). L’engagement réfère presque toujours à un attachement<br />

émotionnel qui est basé sur le partage d’intérêts et <strong>de</strong> valeurs.<br />

Dans le langage courant, il est parfois difficile <strong>de</strong> faire la différence entre la<br />

notion d’engagement et celle d’implication. Les <strong>de</strong>ux sont souvent employés <strong>de</strong><br />

manière indifférenciée. Selon Paillé :<br />

« L’implication au travail désigne un état psychologique qui fait<br />

référence à la manière dont un employé considère son activité<br />

professionnelle comme une dimension importante pour lui et qui<br />

contribue à donner du sens à son existence . » (Paillé, 2008, p.147).<br />

Lapointe (1995, p.6) précise que le<br />

« concept d’implication au travail se propose <strong>de</strong> prendre en compte<br />

la subjectivité et la volonté qui caractérisent le travail réel et qui<br />

laissent aux salariés une certaine autonomie. Il est mesurable à<br />

l’ai<strong>de</strong> <strong>de</strong>s indicateurs suivants : <strong>les</strong> <strong>soins</strong> apportés à l’attention<br />

portée au travail ; la rapidité d’intervention en cas d’imprévu, <strong>les</strong><br />

efforts consentis pour obtenir productivité et qualité ; l’intérêt<br />

porté au travail. »<br />

Kiesler (1971), quant à lui, ne propose pas moins <strong>de</strong> trois cadres <strong>de</strong><br />

l’engagement :<br />

1. La première se réfère au lien à une personne ou une chose,<br />

2. La secon<strong>de</strong> se rapport à l’engagement <strong>dans</strong> l’action,<br />

3. La troisième envisage la personne <strong>dans</strong> son lien à un cours d’action.<br />

Selon cet auteur, l’engagement est essentiellement mû par une force interne, alors<br />

que Joule et Beauvois (1998) qui reprendront son analyse quelques années plus tard,<br />

165


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

préfèrent mettre l’accent sur <strong>les</strong> forces externes comme forces activatrices <strong>de</strong><br />

l’engagement.<br />

Les définitions <strong>de</strong>meurent relativement floues et <strong>les</strong> termes fréquemment<br />

intervertis <strong>dans</strong> une confusion conceptuelle certaine, alors qu’il s’agit <strong>de</strong> concepts<br />

spécifiques différents. Il est cependant assez intéressant <strong>de</strong> remarquer que l’on parle<br />

plus volontiers d’implication que d’engagement <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du management.<br />

Alors que le terme d’engagement est plus en lien avec l’idée d’une prise <strong>de</strong><br />

responsabilité incarnée <strong>dans</strong> une action, le terme d’implication, quant à lui, réfère<br />

davantage à un état et une i<strong>de</strong>ntification quasi inconditionnelle. L’observation du<br />

terme « involvment » <strong>dans</strong> la langue anglaise traduit bien cette idée d’implication<br />

totale <strong>dans</strong> une sorte « d’enveloppement » complet <strong>de</strong> l’individu. Pour Maslach,<br />

Schaufeli & Leiter (2001) l’engagement professionnel diffère <strong>de</strong> l’implication en cela<br />

qu’il a avoir avec l’enthousiasme inhérent au travail lui-même. La spécificité <strong>de</strong><br />

l’engagement est sa stabilité <strong>dans</strong> le temps (Hallberg et al., 2007). Le désengagement,<br />

au contraire, est marqué par le retrait et l’auto-protection physique, cognitive et<br />

émotionnelle.<br />

Succédant à la notion <strong>de</strong> vocation, l’engagement se révèle donc un concept<br />

assez récent, qui a commencé à attirer l’attention avec la conceptualisation du<br />

burnout. La psychologue Maslach, première à avoir étudié <strong>les</strong> dimensions du<br />

burnout, définit l’engagement comme étant le concept opposé. Les trois dimensions<br />

qu’elle a mises en évi<strong>de</strong>nce <strong>dans</strong> le burnout, et qui sont : l’épuisement émotionnel, la<br />

dépersonnalisation et la perte du sentiment <strong>de</strong> compétence, <strong>de</strong>viennent <strong>dans</strong><br />

l’engagement : le haut potentiel énergétique, l’implication forte et le sentiment <strong>de</strong><br />

compétence (Maslach & Leiter, 1997).<br />

Un peu plus tard, d’autres auteurs démontreront que le concept d’engagement<br />

est plus complexe et que, malgré sa relation certaine au burnout, on ne peut le limiter<br />

à être son opposé (Schaufeli & Salanova, 2007). L’engagement n’est pas seulement<br />

l’absence <strong>de</strong> burnout, mais l’incarnation du bien-être au travail. Il se caractérise par la<br />

cohérence du comportement avec la visée d’un objectif précis et l’adoption ou le rejet<br />

d’attitu<strong>de</strong>s ou d’alternatives, en fonction <strong>de</strong> cet objectif (Becker, 2006).<br />

Le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> est communément reconnu comme<br />

particulièrement propice aux pathologies du stress, <strong>de</strong> type burnout. Or <strong>les</strong> étu<strong>de</strong>s<br />

166


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

sur le burnout pointent fréquemment du doigt l’engagement comme étant l’un <strong>de</strong>s<br />

facteurs principaux <strong>de</strong> l’épuisement. On le comprend aisément, si l’on sait que<br />

l’engagement est lié à la cohérence et que cette <strong>de</strong>rnière ne pourra trouver sa pleine<br />

expression que lorsque l’individu pourra y laisser jaillir ses valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong>, c’est-à-dire qu’il choisira <strong>les</strong> alternatives qui sont en cohérence avec<br />

sa posture axiologique. C’est cette cohérence qui va pouvoir constituer le sens <strong>de</strong> son<br />

activité. On relève ici l’ambivalence d’une attitu<strong>de</strong> qui s’avère, d’un côté,<br />

indispensable à l’exercice <strong>de</strong> la profession et, <strong>de</strong> l’autre, représente un danger majeur<br />

pour la santé <strong>de</strong>s soignants. Et la définition <strong>de</strong> Jorro et De Ketele <strong>de</strong> l’engagement<br />

nous semble ici la plus adéquate pour rendre compte <strong>de</strong> cette tension que vivent <strong>les</strong><br />

soignants <strong>dans</strong> leur engagement, celui-ci étant défini par ces auteurs comme :<br />

« l’ensemble dynamique <strong>de</strong>s comportement qui, <strong>dans</strong> un contexte donné,<br />

manifeste l’attachement à la profession, <strong>les</strong> efforts consentis pour elle<br />

ainsi que le sentiment du <strong>de</strong>voir vis -à-vis d’elle et qui donne sens à la<br />

vie professionnelle au point <strong>de</strong> marquer l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et<br />

personnelle. » (Jorro & De Ketele, à paraître).<br />

Et <strong>les</strong> auteurs <strong>de</strong> préciser que <strong>dans</strong> ce processus dynamique, <strong>les</strong> trois sphères <strong>de</strong><br />

l’attachement, <strong>de</strong>s efforts et du <strong>de</strong>voir sont interreliées, et <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> leurs<br />

interactions dépend le sens que <strong>les</strong> individus vont trouver à leur activité.<br />

167


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

168


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

CHAPITRE 7 : L’ÉTHIQUE DE L’ENGAGEMENT : ENTRE LES<br />

SOINS ET LE MANAGEMENT<br />

Selon Svandra, le soin s’appuie sur une exigence éthique fondamentale : celui<br />

<strong>de</strong> « ne jamais laisser autrui à sa souffrance et à sa solitu<strong>de</strong> » (Svandra, 2009b,<br />

p.14). La mission est ardue et la responsabilité gigantesque pour <strong>les</strong> soignants !<br />

Ce d’autant qu’ils sont soumis à ru<strong>de</strong> épreuve par le contexte <strong>de</strong> restrictions<br />

budgétaires actuel. Peut-on imaginer un soignant sans engagement ? Est-il possible<br />

d’envisager une pratique qui ne soit pas habitée par une implication minimale, sans<br />

que cela ne pose très concrètement la question <strong>de</strong> l’éthique ? Peut-on s’imaginer un<br />

soignant indifférent ? Cela semble peu compatible avec l’exercice <strong>de</strong> la profession !<br />

Pour autant, peut-on attendre <strong>de</strong> lui qu’il soit habité d’une motivation absolue et<br />

inébranlable ? On ne peut, <strong>de</strong> manière objective et péremptoire, qualifier l’attitu<strong>de</strong><br />

d’un être humain <strong>de</strong> distanciée (indifférente) ou d’engagée. Pour le sociologue<br />

Norbert Elias, il y a un continuum entre ces <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>. Selon <strong>les</strong> circonstances,<br />

l’individu est poussé davantage vers l’une ou l’autre <strong>de</strong> ces extrémités (Elias, 1993).<br />

Si tant est que nous nous référions à la dimension <strong>de</strong> responsabilité et<br />

d’humanité, considérées comme fon<strong>de</strong>ment inaliénable <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin, tel que<br />

nous l’avons développé <strong>dans</strong> la première partie, l’engagement <strong>de</strong>vient dès lors une<br />

condition sine qua non à cette même relation. L’éthique <strong>de</strong> l’engagement prend<br />

racine tout naturellement <strong>dans</strong> l’éthique même <strong>de</strong> la profession soignante. L’éthique<br />

est indissociable <strong>de</strong> l’engagement, dont elle est une forme d’expression. Vivre <strong>de</strong><br />

manière éthique signifie s’engager et vivre le lien à ce qui nous entoure d’une façon<br />

particulière. Contrairement au droit qui s’impose à nous, l’éthique en appelle à la<br />

conscience <strong>de</strong> l’individu <strong>dans</strong> sa singularité, au-<strong>de</strong>là et en lien avec une collectivité<br />

(Savadogo, 2008).<br />

La crise économique et l’avènement du néolibéralisme ont amené <strong>de</strong>s<br />

169


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

changements considérab<strong>les</strong> au sein <strong>de</strong> la pratique infirmière.<br />

Si l’engagement infirmier est avant tout mû par une dimension empathique,<br />

altruiste, voire adopte même parfois une forme <strong>de</strong> don <strong>de</strong> soi, <strong>les</strong> contraintes<br />

imposées par <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion actuels, conduisent cette pratique à se calquer sur<br />

<strong>les</strong> modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’entreprise (De Gaulejac, 2011). Elle est amenée à répondre à <strong>de</strong>s<br />

objectifs <strong>de</strong> rentabilité qui ne sont pas toujours compatib<strong>les</strong> avec <strong>les</strong> valeurs et idéaux<br />

<strong>de</strong>s soignants. Aux prises avec <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeurs, ceux-ci peuvent alors sombrer<br />

<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s formes d’engagement pathologiques, ce qui nous conduira à évoquer <strong>les</strong><br />

risques liés à l’engagement.<br />

7.1 L’engagement au cœur d’un métier humain<br />

Les infirmières, une profession d’ai<strong>de</strong> avant tout, se décrivent el<strong>les</strong>-mêmes<br />

comme ayant un fort sens <strong>de</strong> la responsabilité et du <strong>de</strong>voir, très exigeantes envers<br />

el<strong>les</strong>-mêmes et <strong>les</strong> autres, se sentant responsab<strong>les</strong> <strong>de</strong> leurs réussites et <strong>de</strong> leurs échecs,<br />

avec un sentiment quasi omniprésent <strong>de</strong> ne jamais en faire assez. El<strong>les</strong> pensent avoir<br />

un niveau d’attentes élevé sur le plan éthique, avec la volonté <strong>de</strong> respecter certaines<br />

valeurs très importantes à leurs yeux (De Bouvet & Sauvaige, 2005). Le sens du<br />

<strong>de</strong>voir et la responsabilité éthique apparaissent comme <strong>de</strong>s éléments fondamentaux,<br />

<strong>dans</strong> un choix professionnel qui se veut au service <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s. C’est ici que s’inscrit<br />

tout le sens <strong>de</strong> l’engagement professionnel <strong>de</strong>s soignants.<br />

L’engagement infirmier est multifocal. Il ne saurait se limiter à l’engagement<br />

<strong>dans</strong> la relation au patient, mais se décline à différents niveaux :<br />

Dans la relation <strong>de</strong> soin,<br />

Dans la dynamique <strong>de</strong>s équipes,<br />

Dans l’institution,<br />

Au service <strong>de</strong> la profession,<br />

Au service <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />

L’engagement d’une personne peut être très important <strong>dans</strong> l’une ou l’autre <strong>de</strong>s<br />

catégories et beaucoup plus modéré <strong>dans</strong> d’autres domaines. Cependant, qu’il soit<br />

modéré ou non, il n’en reste pas moins un moteur essentiel <strong>de</strong> l’exercice<br />

170


professionnel.<br />

DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Dans ce processus d’engagement, le soignant habite le rôle clé <strong>de</strong> l’acteur.<br />

L’éthique, en tant que réflexion sur l’agir, commence <strong>dans</strong> un premier temps par<br />

l’interroger personnellement, elle interroge son implication <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations<br />

rencontrées. L’éthique est trop largement perçue comme un outil <strong>de</strong> réflexion sur <strong>de</strong>s<br />

situations présentant <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeurs, au détriment <strong>de</strong> l’agir au quotidien, qui<br />

s’en trouve ainsi lésé, alors que « tout acte est porté par <strong>de</strong>s valeurs ou peut être<br />

analysé au nom <strong>de</strong>s valeurs » (Houssaye, 1999, p.231).<br />

Dans la pratique institutionnelle, l’éthique ne se distingue <strong>de</strong> la morale que<br />

difficilement pour porter son regard sur <strong>les</strong> aléas du « Bien » <strong>dans</strong> le concret d’une<br />

situation. Mais ne considérer l’éthique que sous cet angle, c’est occulter la part<br />

essentielle d’introspection à laquelle elle convie en examinant <strong>les</strong> valeurs<br />

personnel<strong>les</strong>, ce qui motive <strong>les</strong> pensées et <strong>les</strong> actes du soignant, et par là même, son<br />

engagement auprès du patient. Il ne s’agit pas ici d’une introspection narcissique,<br />

mais d’une nécessaire prise en compte <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> personnels du soignant,<br />

ingrédients significatifs pour sa motivation et son engagement.<br />

Nier <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> <strong>de</strong> la personne qui soigne, c’est nier qu’il est nécessaire pour<br />

elle <strong>de</strong> percevoir un certain bien-être pour pouvoir donner <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>de</strong> qualité et<br />

s’impliquer pleinement <strong>dans</strong> son exercice quotidien, mais également <strong>dans</strong> sa<br />

profession, et par là même se construire une véritable i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Déjà<br />

<strong>les</strong> philosophes <strong>de</strong> l’Antiquité affirmaient que le soin <strong>de</strong> l’Autre passe avant tout par<br />

le soin <strong>de</strong> soi, considérant que l’on ne pouvait réellement prendre soin <strong>de</strong>s autres <strong>de</strong><br />

manière adéquate que si l’on avait au préalable trouvé son propre équilibre (Gros,<br />

2007). Ricœur (1990) explique également que la possibilité <strong>de</strong> s’ouvrir à l’Autre <strong>dans</strong><br />

une objectivité <strong>de</strong> l’altérité ne peut exister que <strong>dans</strong> la mesure où l’on s’ouvre à soi-<br />

même d’abord, <strong>dans</strong> une démarche d’introspection. Et Arendt nous rappelle<br />

également que la pensée commence d’abord à dialoguer avec elle-même avant <strong>de</strong><br />

s’ouvrir à l’autre (Arendt, 1973). L’intersubjectivité et l’authenticité qui marquent<br />

notre rencontre avec l’Autre présupposent une introspection et une réflexion éthique<br />

préalable. « La connaissance <strong>de</strong> soi est une conditi on <strong>de</strong> la rencontre avec<br />

l’Autre. » (Gohier, 2007, p.11). C’est l’approfondissement <strong>de</strong>s pô<strong>les</strong> « Je » et « Tu »,<br />

dont parle Ricœur (1990), qui requiert ici toute notre attention. L’éthique se veut le<br />

171


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

garant <strong>de</strong>s liens entre <strong>les</strong> trois pô<strong>les</strong> du triangle éthique (le troisième pôle, le « il »,<br />

étant l’institution, la société et sa morale). L’éthique est une manière d’être à soi-<br />

même, au mon<strong>de</strong> et à l’Autre (Svandra, 2004). Le visage <strong>de</strong> l’Autre interpelle<br />

indirectement la conscience du soignant pour le rappeler à sa responsabilité selon<br />

l’approche lévinassienne.<br />

C’est dire que l’engagement ne peut se penser <strong>dans</strong> un contexte solipsiste, mais<br />

se trouve niché au cœur même <strong>de</strong> relations socia<strong>les</strong>. L’engagement est profondément<br />

enraciné <strong>dans</strong> l’éthique. Il ne peut s’en extraire puisqu’il est mû par ce qu’il y a <strong>de</strong><br />

plus profond <strong>dans</strong> l’individu et s’inscrit <strong>dans</strong> un rapport d’extériorité et <strong>de</strong> relation.<br />

Cette ouverture à l’Autre est indispensable au soin, qui a pour vocation d’accueillir<br />

cet Autre <strong>dans</strong> sa détresse et <strong>dans</strong> ce qu’il est. C’est parce que l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’Autre est<br />

respectée, que celui-ci peut envisager une relation sécurisante et <strong>de</strong> confiance.<br />

L’engagement, même s’il est porté à réalisation par une seule personne,<br />

s’effectue en regard d’autres personnes, ou en tout cas d’autres objets mus par <strong>de</strong>s<br />

personnes. C’est par la médiation d’un tiers et <strong>de</strong> son action sur ma personne, que je<br />

vais m’engager ou non. La parole joue alors un rôle primordial <strong>dans</strong> ce travail <strong>de</strong><br />

construction réalisé en commun. En tout premier lieu, le soignant s’engage à écouter,<br />

acte en lui-même fondamentalement éthique, nécessitant une gran<strong>de</strong> ouverture et<br />

beaucoup d’empathie, <strong>dans</strong> une relation parfois même dépourvue <strong>de</strong> communication<br />

orale. À partir <strong>de</strong> cette écoute va ensuite pouvoir s’élaborer une construction<br />

commune qui va donner du sens à l’action, qu’elle soit professionnelle ou non.<br />

7.2 L’engagement <strong>dans</strong> une société néolibérale<br />

L’engagement, en tant que comportement humain inhérent à l’activité<br />

soignante, se trouve donc <strong>dans</strong> un champ <strong>de</strong> tension propre à la société néolibérale<br />

qui est la nôtre. La crise économique et <strong>les</strong> mesures <strong>de</strong> restrictions budgétaires, qui<br />

ont été mises en place pour y faire face par l’intermédiaire <strong>de</strong> la gouvernance, sont<br />

portées par un management dont <strong>les</strong> objectifs premiers sont la rentabilité et<br />

l’efficience. Si ces mesures sont sans doute, <strong>dans</strong> une large partie, réellement<br />

nécessaires et pertinentes, leur application n’en est pas moins parfois très critiquable<br />

172


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

et on ne peut s’empêcher <strong>de</strong> leur imputer certaines <strong>de</strong>s problématiques aigües<br />

rencontrées aujourd’hui <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du travail (Martucelli, 2006).<br />

Il y a un champ <strong>de</strong> tension entre <strong>les</strong> objectifs sous-jacents <strong>de</strong>s institutions à<br />

entretenir et promouvoir l’engagement, et l’engagement véritable <strong>de</strong>s personnes à<br />

s’investir pour une cause profondément humaine. La tension n’est elle-pas celle qui<br />

oppose quelque part une profession <strong>dans</strong> laquelle il est attendu que l’on donne sans<br />

compter, et une logique <strong>de</strong> management où tout doit au contraire être compté et<br />

rentabilisé ?<br />

7.3 Engagement, entre satisfaction et performance<br />

Si l’engagement suscite autant d’intérêt auprès <strong>de</strong>s institutions, c’est bien parce<br />

qu’il est synonyme d’une certaine performance. On ne saurait pour autant nier la<br />

part <strong>de</strong> satisfaction que celui-ci confère aussi à ceux qui s’investissent <strong>dans</strong> leur<br />

activité.<br />

De nombreuses entreprises considèrent que la satisfaction au travail est la<br />

mesure par excellence pour savoir si leurs employés sont heureux <strong>dans</strong> leur<br />

entreprise. Bien que présentant <strong>de</strong>s corrélations fortes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mesures<br />

psychométriques, <strong>les</strong> concepts <strong>de</strong> satisfaction et d’engagement diffèrent. En effet,<br />

l’engagement se centre davantage sur la motivation cognitive et affective éprouvée<br />

lors <strong>de</strong> son travail sur une longue pério<strong>de</strong>. L’engagement met donc l’accent sur<br />

l’aspect cognitif <strong>de</strong> l’implication <strong>dans</strong> le travail, alors que la satisfaction accentue<br />

avant tout l’aspect affectif caractérisant le sentiment <strong>de</strong> bien-être, en lien avec un<br />

travail épanouissant.<br />

De plus l’engagement permet <strong>de</strong> répondre à un besoin profond <strong>de</strong> valeur<br />

sociale. Dans une société où la reconnaissance sociale ne va pas <strong>de</strong> soi, l’engagement<br />

permet <strong>de</strong> l’acquérir <strong>dans</strong> une certaine mesure (Mucchielli, 2006).<br />

Selon Bakker (2008), cinq étu<strong>de</strong>s empiriques démontrent <strong>de</strong>s corrélations<br />

importantes entre l’engagement au travail et la performance. Il note <strong>les</strong> raisons<br />

principa<strong>les</strong> à cette performance. Les personnes engagées éprouvent <strong>de</strong>s sentiments<br />

positifs tels que la joie ou l’enthousiasme. El<strong>les</strong> ont une meilleure santé, <strong>de</strong>viennent<br />

<strong>les</strong> artisans <strong>de</strong> leur emploi en se créant eux-mêmes <strong>de</strong>s ressources, et transmettent<br />

173


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

leur engagement à d’autres, <strong>de</strong>venant par là- même plus efficaces en tant qu’équipe.<br />

Reyes (1990) a mis en évi<strong>de</strong>nce, au travers <strong>de</strong> plusieurs étu<strong>de</strong>s, la corrélation entre <strong>les</strong><br />

résultats scolaires et l’engagement <strong>de</strong>s enseignants. Là où ces <strong>de</strong>rniers sont plus<br />

impliqués, préoccupés par la formation <strong>de</strong>s enfants, créatifs, innovateurs…, <strong>les</strong><br />

résultats <strong>de</strong>s élèves sont nettement supérieurs.<br />

On le voit, l’engagement, s’il est bien géré, peut avoir <strong>de</strong>s effets tout à fait<br />

positifs sur l’individu. Les psychologues ont montré que <strong>les</strong> enjeux <strong>de</strong> ce<br />

comportement sont multip<strong>les</strong>, tant pour l’individu que pour son entourage, et en<br />

particulier l’institution ou l’entreprise qui l’emploie.<br />

Au niveau individuel :<br />

L’individu engagé s’avère plus performant et plus impliqué. Le sens <strong>de</strong> la<br />

responsabilité qui émane <strong>de</strong> cet engagement fait qu’il <strong>de</strong>vient important pour<br />

lui d’être performant ;<br />

La satisfaction au travail crée un état <strong>de</strong> bien-être chez <strong>les</strong> personnes, qui a <strong>de</strong>s<br />

répercussions positives sur leur vie privée en produisant <strong>de</strong>s ressources<br />

personnel<strong>les</strong> (optimisme, estime <strong>de</strong> soi, sentiment <strong>de</strong> compétence) et<br />

également <strong>de</strong>s ressources professionnel<strong>les</strong>, puisque l’engagement suscite le<br />

soutien social, favorise l’autonomie et la critique constructive. L’enthousiasme<br />

et l’énergie investis <strong>dans</strong> le travail se voient également investis <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

activités, voire <strong>dans</strong> du bénévolat parfois. À la différence <strong>de</strong>s workaholics, <strong>les</strong><br />

personnes engagées apprécient <strong>de</strong> s’adonner à <strong>de</strong>s activités extra-<br />

professionnel<strong>les</strong>. Ces personnes expérimentent <strong>de</strong>s émotions positives, <strong>de</strong> la<br />

joie, <strong>de</strong> l’enthousiasme, une meilleure santé et transmettent leur engagement à<br />

d’autres personnes (Schaufeli & Van Rhenen, 2006 ; Hakanen, 2006 ). Dans une<br />

étu<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong> différentes organisations hollandaises, Schaufeli & Bakker ont<br />

montré que <strong>les</strong> individus engagés souffrent moins <strong>de</strong> maux <strong>de</strong> tête, <strong>de</strong><br />

problèmes cardio-vasculaires et <strong>de</strong> douleurs à l’estomac.<br />

Les différentes étu<strong>de</strong>s menées arrivent à la conclusion que <strong>les</strong> personnes<br />

engagées professionnellement sont mieux à même <strong>de</strong> mobiliser leurs<br />

ressources personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong>, qui, à leur tour, <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s<br />

stimulateurs <strong>de</strong> l’engagement futur, et ainsi <strong>de</strong> suite.<br />

174


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Par ailleurs le travail est un moyen important d’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire, jouant<br />

un rôle <strong>de</strong> médiateur entre l’individu et la société. Il donne une signification et<br />

une valeur par la contribution sociale que peut apporter l’individu et qui fait<br />

sens pour lui (Duchesne & Savoie-Zajc, 2005).<br />

Au niveau professionnel, l’engagement a un effet positif sur la manière dont le<br />

professionnel exerce son activité. Engelbrecht (2006) a mis en évi<strong>de</strong>nce que <strong>de</strong>s<br />

sages-femmes engagées sont empathiques à l’égard <strong>de</strong> leurs patientes et<br />

efficaces <strong>dans</strong> leur activité. Des relations ont été établies entre l’engagement et<br />

la performance (Bakker & Demerouti, 2007 ; Xanthopoulou, 2007).<br />

Par ailleurs, l’engagement est contagieux. Des personnes engagées suscitent<br />

l’engagement <strong>de</strong> leurs collègues en communiquant leur optimisme, leurs<br />

attitu<strong>de</strong>s chaleureuses et leurs comportements pro-actifs créant un climat<br />

d’équipe positif, indépendant <strong>de</strong>s exigences et ressources du contexte.<br />

L’équipe est alors plus performante <strong>dans</strong> son entier (Bakker & Demerouti,<br />

2008 ; Bakker & Demerouti, 2007 ; Bareil, 2004).<br />

Au niveau institutionnel, l’engagement joue un rôle clé en tant que médiateur<br />

entre <strong>les</strong> ressources mises à disposition par l’institution et l’intention <strong>de</strong><br />

quitter leur emploi <strong>de</strong>s salariés (Bakker & Demerouti, 2008). Le modèle <strong>de</strong><br />

l’engagement professionnel <strong>de</strong> Demerouti (JD-R mo<strong>de</strong>l) met en évi<strong>de</strong>nce le<br />

lien étroit entre <strong>les</strong> ressources personnel<strong>les</strong>, professionnel<strong>les</strong> et l’engagement.<br />

Des personnes engagées sont moins enclines à vouloir quitter leur emploi<br />

(Bakker, Demerouti, De Boer & Schaufeli, 2003).<br />

Des étu<strong>de</strong>s montrent que promouvoir l’engagement <strong>de</strong>s employés prévient<br />

sensiblement <strong>les</strong> cas <strong>de</strong> burnout.<br />

L’engagement est également facteur contribuant à la performance et à<br />

l’efficacité et donc à une réduction <strong>de</strong> coûts pour l’institution (Laschinger &<br />

Leiter, 2006).<br />

On comprend dès lors que <strong>les</strong> employeurs puissent trouver un intérêt tout<br />

particulier à promouvoir l’engagement <strong>de</strong> leurs employés. Et <strong>les</strong> sociologues mettent<br />

175


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

en gar<strong>de</strong> contre cet engouement récent mais passionné du management à vouloir<br />

favoriser le développement <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong>s individus.<br />

Pour Yves Clot,<br />

« on assiste à une démesure <strong>de</strong> l’engagement. Une sorte d’engagement à<br />

s’engager, au nom <strong>de</strong> la performance, <strong>de</strong> la productivité, <strong>de</strong> la<br />

rentabilité. » (Clot, 2006, p.22).<br />

L’engagement s’est développé en parallèle à ce mouvement néolibéral qui<br />

cherche à accroître la rentabilité par tous <strong>les</strong> moyens. En jouant <strong>dans</strong> la démesure, et<br />

en essayant d’investir la sphère affective <strong>de</strong> l’individu pour atteindre le maximum<br />

d’efficience, l’engagement risque bien alors d’avoir <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces fortement néfastes<br />

sur la santé. Il s’agit d’ailleurs d’un risque avéré, attesté par un nombre considérable<br />

<strong>de</strong> recherches menées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> pays occi<strong>de</strong>ntaux, et qui mettent toutes en évi<strong>de</strong>nce le<br />

lien entre un rapport faussé au travail et diverses pathologies du stress (Dejours,<br />

2008).<br />

7.4 Les risques liés à l’engagement<br />

C’est <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années 1970 que Freu<strong>de</strong>nberger, neuro-psychiatre, évoque l’idée<br />

que le burnout serait une « maladie <strong>de</strong> l’âme en <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> son idéal ». En disant cela, il<br />

met en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> phénomènes récurrents observés chez <strong>de</strong>s bénévo<strong>les</strong> largement<br />

investis auprès <strong>de</strong> populations toxicomanes <strong>de</strong> la région newyorkaise. Or, parmi ces<br />

phénomènes récurrents, il relève un engagement hors du commun, tant sur le plan<br />

temporel que matériel, voire sentimental. De l’extérieur il assimile l’engagement à<br />

une « bouée <strong>de</strong> sauvetage » pouvant parfois permettre <strong>de</strong> rejoindre une certaine<br />

forme d’idéal. De très nombreuses étu<strong>de</strong>s confirmeront par la suite que la surcharge<br />

physique, si elle joue un rôle <strong>dans</strong> l’épuisement, n’en est cependant pas le vecteur<br />

exclusif, ni même principal. Elle se trouve corrélée à un ensemble <strong>de</strong> facteurs, dont<br />

celui <strong>de</strong> la perte d’un idéal qui semble jouer un rôle majeur (Delbrouck, 2004).<br />

Alors que <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> pressions s’exercent sur <strong>les</strong> soignants, comment ne pas<br />

comprendre cette crainte <strong>de</strong>vant un engagement qui semble ne jamais être suffisant<br />

176


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

et peut <strong>de</strong>venir, en fin <strong>de</strong> compte, un véritable piège ? Comment ne pas comprendre<br />

cette peur <strong>de</strong> voir l’engagement se consumer (traduction littérale du terme burnout)<br />

avant même d’avoir pu atteindre un quelconque objectif. Si nous revenons sur<br />

l’origine du mot burnout, il est intéressant <strong>de</strong> noter que son emploi premier<br />

caractérisait, <strong>dans</strong> l’aéronautique, l’état d’une fusée qui avait brûlé tout son<br />

carburant. La flamme s’éteignait et la fusée, après avoir poursuivi sa trajectoire<br />

quelques minutes, retombait pour s’écraser sur le sol. Faut-il risquer <strong>de</strong> voir son<br />

engagement se consumer ainsi, avec <strong>les</strong> conséquences qui en découlent ?<br />

Aisée sur le papier, la tâche est plus ardue <strong>dans</strong> la réalité. En effet comment<br />

rester empathique à l’égard du patient, être pleinement authentique et compréhensif,<br />

dès lors que la surcharge émotionnelle exige une prise <strong>de</strong> distance <strong>de</strong> la subjectivité<br />

du patient ? Convient-il à ce moment-là <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> limites à l’engagement ?<br />

L’engagement fait peur et le risque est là <strong>de</strong> voir <strong>les</strong> soignants se glisser <strong>dans</strong><br />

l’armure protectrice <strong>de</strong> l’indifférence. Indifférence non par choix ou par manque <strong>de</strong><br />

compassion, mais par simple mesure d’autoprotection. Ainsi, pour Elias, qui<br />

substitue à l’indifférence la notion <strong>de</strong> distanciation, il s’agit d’un mécanisme qui<br />

permet <strong>de</strong> se protéger <strong>de</strong>s incertitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l’engagement et <strong>de</strong> l’imprévisible qui peut<br />

surgir <strong>dans</strong> l’investissement (Elias, 1993).<br />

Apprendre à contrôler ses émotions est un passage obligé pour se protéger. Il<br />

s’agit là d’une indifférence toute relative, « constitutive <strong>de</strong> tout<br />

professionnalisme » (Giraud, 2003, p.108), qui ne saurait s’apparenter à une<br />

négation <strong>de</strong> l’Autre, mais relève davantage d’une logique professionnelle d’auto-<br />

protection, réponse du groupe à la menace <strong>de</strong> b<strong>les</strong>sure <strong>de</strong> son intégrité psychique.<br />

L’indifférence, comme capacité à oublier certains aspects d’une situation précise,<br />

constitue un mécanisme <strong>de</strong> défense qui démontre <strong>les</strong> nécessaires limites <strong>de</strong><br />

l’engagement. Celle-ci ne doit simplement pas sombrer <strong>dans</strong> une routine<br />

assoupissante qui « peut être en cela un comportement à risque » (Giraud, 2003,<br />

p.272).<br />

Mais l’indifférence, si elle se généralise et <strong>de</strong>vient un refuge trop régulier, va<br />

alors <strong>de</strong>venir un danger pour l’i<strong>de</strong>ntité même du soignant, et en particulier son<br />

i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Par ailleurs, à côté <strong>de</strong> cette indifférence passive, <strong>les</strong><br />

nombreux abandons <strong>de</strong> la profession, ainsi que le taux impressionnant <strong>de</strong><br />

177


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

pathologies menta<strong>les</strong> dont affirment souffrir <strong>les</strong> soignants, pèsent lourd <strong>dans</strong> la<br />

balance du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> la profession (Estryn-Béhar, 2004). Pour comprendre ce qui est<br />

réellement délétère <strong>dans</strong> l’engagement d’un individu, il est nécessaire d’en<br />

comprendre <strong>les</strong> attributs et <strong>les</strong> composantes.<br />

178


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

CHAPITRE 8 : LES CONCEPTS COROLLAIRES DE<br />

L’ENGAGEMENT<br />

Dans cette perspective d’une meilleure compréhension du phénomène, nous<br />

allons tenter d’éclairer la notion d’engagement en la liant à <strong>de</strong>s domaines<br />

conceptuellement voisins qui l’influencent très directement et la façonnent <strong>dans</strong> ces<br />

différentes acceptions.<br />

Il est en effet presque impossible <strong>de</strong> dissocier l’engagement <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong><br />

responsabilité, sans l’amputer d’un fon<strong>de</strong>ment essentiel. Ainsi, nous verrons <strong>dans</strong><br />

cette section, comment la responsabilité envisagée avec la dimension <strong>de</strong> « <strong>de</strong>voir »,<br />

influence et détermine l’engagement individuel, engagement qui ne saurait pour<br />

autant s’inscrire uniquement <strong>dans</strong> un acte <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir en faisant abstraction <strong>de</strong> toute<br />

forme d’autonomie. Si l’engagement est individuel, il suppose une marge <strong>de</strong> liberté<br />

<strong>de</strong> l’homme, pour laisser sa motivation s’y développer et le faire advenir pleinement.<br />

Mais la motivation et l’engagement ne sont réellement viab<strong>les</strong> que s’ils s’intègrent<br />

<strong>dans</strong> un environnement qui fasse sens et leur confèrent leur raison d’être et d’agir.<br />

8.1 Engagement et responsabilité<br />

L’engagement est-il toujours responsable ? Et la responsabilité implique-t-elle<br />

automatiquement un engagement ?<br />

L’être humain n’est pleinement sujet que lorsqu’il exerce cette responsabilité<br />

qui fait <strong>de</strong> lui un sujet conscient et porteur d’un savoir qui l’ai<strong>de</strong> à endosser cette<br />

responsabilité, non pas en lui permettant d’en concevoir la simple possibilité mais<br />

bien la réelle et incontournable nécessité.<br />

Svandra affirme que l’engagement, c’est « le fait <strong>de</strong> déci<strong>de</strong>r à l’avance d’être<br />

responsable <strong>de</strong> ce que l’on va faire » (Svandra, 2006, p.44) et <strong>de</strong> le faire avec une<br />

pru<strong>de</strong>nce constante. Il ne s’agit pas là <strong>de</strong> la pru<strong>de</strong>nce au sens où on l’entend<br />

179


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

communément aujourd’hui, mais <strong>de</strong> la pru<strong>de</strong>nce <strong>dans</strong> le sens d’une vigilance<br />

constante face à un mon<strong>de</strong> toujours plus orienté vers la technique, au risque d’opérer<br />

une réification <strong>de</strong> l’humain. On entend par là également une inquiétu<strong>de</strong> saine pour le<br />

respect <strong>de</strong> ce que l’on s’est engagé à faire, une pru<strong>de</strong>nce au sens aristotélicien <strong>de</strong> la<br />

phronesis. Face à la routine et à l’usure du temps, cette inquiétu<strong>de</strong> doit réveiller<br />

quotidiennement notre attention à la singularité <strong>de</strong> celui qui est soigné. Il y a bien là<br />

un double mouvement entre l’engagement qui induit la responsabilité, alors même<br />

que la responsabilité implique l’engagement. Est-il réellement possible d’imaginer<br />

une responsabilité sans engagement ?<br />

Si l’on se réfère à Jonas (1990), la responsabilité peut s’exprimer <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

manières. Le soignant se trouve face à une responsabilité juridique à laquelle il doit<br />

se soumettre sous peine <strong>de</strong> sanctions, c’est l’imputation causale <strong>de</strong> ce qu’il a commis.<br />

Mais il est aussi face à une responsabilité morale plus délicate, parce que<br />

relativement subjective. Il s’agit là <strong>de</strong> la responsabilité face à ce qui n’a pas encore été<br />

réalisé, mais qui relève <strong>de</strong> son vouloir et <strong>de</strong> son pouvoir.<br />

« Un concept en vertu duquel je me sens donc responsable non en<br />

premier lieu <strong>de</strong> mon comportement et <strong>de</strong> ses conséquences, mais <strong>de</strong> la<br />

chose qui revendique mon agir. » (Jonas, 1990, p.132).<br />

En d’autres termes, il s’agit d’une responsabilité qui m’incombe face aux<br />

possibilités qui sont <strong>les</strong> miennes <strong>de</strong> permettre le développement <strong>de</strong> conditions<br />

favorab<strong>les</strong> pour ma situation et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> mon entourage. Il y a donc une part <strong>de</strong><br />

responsabilité qui découle du <strong>de</strong>voir, et une part <strong>de</strong> responsabilité assimilée au<br />

sentiment d’obligation lié à ce <strong>de</strong>voir.<br />

« Le <strong>de</strong>voir précè<strong>de</strong> la responsabilité en ce sens qu’il la fon<strong>de</strong>, et en<br />

même temps il suit la responsabilité, en ce sens que c’est <strong>dans</strong> la mesure<br />

où on est responsable que l’on peut s’éprouver comme obligé . » (Ladrière,<br />

1997, p.152).<br />

L’infirmière porte une gran<strong>de</strong> responsabilité : elle est soumise à la fois aux<br />

180


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

ordres médicaux et à son <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> « prendre soin ». Elle porte une responsabilité<br />

juridique pour ses actes. La difficulté se pose alors pour elle lorsque ces <strong>de</strong>ux sources<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>voirs entrent en conflit, voire s’opposent. Le bien du patient ou la non-<br />

malfaisance (principes éthiques communément reconnus <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>) prévalent-ils<br />

sur <strong>les</strong> ordres médicaux ? Ses connaissances doivent permettre à l’infirmière <strong>de</strong> juger<br />

<strong>de</strong> l’éventuelle dangerosité <strong>de</strong> certains ordres auxquels elle se doit alors d’opposer<br />

un refus. Mais cette <strong>de</strong>rnière porte aussi, et peut-être avant tout, une responsabilité<br />

morale face à <strong>de</strong>s actes qu’elle jugerait humainement et moralement incorrects. Le<br />

soignant bénéficie d’une certaine marge <strong>de</strong> liberté <strong>dans</strong> laquelle s’exerce sa<br />

responsabilité, face à un être sur lequel il peut exercer un pouvoir plus ou moins<br />

grand. L’articulation <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux axes, selon la logique philosophique par laquelle<br />

elle est portée, aura d’autres répercussions sur son action soignante. Si l’on se réfère à<br />

Bourdieu, l’homme ne se croit libre que parce qu’il ignore ses liens, il doit chercher à<br />

exercer sa responsabilité, mais n’en est que très relativement responsable puisqu’il<br />

est assujetti au système. En revanche, pour Ricœur par exemple, l’homme est<br />

d’emblée un sujet libre et c’est cette liberté qui implique sa responsabilité. Le triangle<br />

<strong>de</strong>s pô<strong>les</strong> Je, Tu et Il constitue le cadre <strong>dans</strong> lequel s’exprime cette responsabilité.<br />

Cette <strong>de</strong>rnière n’en est pas moins l’expression d’une mise en œuvre <strong>de</strong> l’individu à<br />

partir <strong>de</strong> sa liberté, réelle ou supposée. Et Aristote définissait déjà « le responsable<br />

comme celui qui porte en lui-même le principe <strong>de</strong> son acte », sa responsabilité<br />

dépendant alors <strong>de</strong> sa volonté (Smadja, 2006, p.27) et <strong>de</strong> l’estimation que l’individu,<br />

ou ici l’infirmière, fait <strong>de</strong> ses possibilités d’action. Estimation qu’elle réalise grâce à<br />

son autonomie, et sous la conduite <strong>de</strong> sa pensée éthique qui lui dicte ce qui fait sens.<br />

« Le faire sens oriente ce que je fais en posant la question <strong>de</strong> ma<br />

responsabilité au vu <strong>de</strong> mon pouvoir faire . » (Honoré, 2003, p.176).<br />

En revanche, <strong>dans</strong> la conception <strong>de</strong> Lévinas, c’est la responsabilité qui prend le<br />

pas sur la liberté. « C’est parce que je suis libre que je suis respo nsable » (Gilioli,<br />

2004, p.13) et parce que celui qui me fait face m’interpelle <strong>dans</strong> sa faib<strong>les</strong>se d’être<br />

humain, il m’oblige presque malgré moi à la responsabilité. Et Svandra, cité par<br />

Gilioli, rejoint cette conception lévinassienne lorsqu’il affirme le soin comme<br />

181


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

manifestation <strong>de</strong> l’humanité (Gilioli, 2004). Ce soin est intimement lié à la<br />

responsabilité <strong>dans</strong> la mesure où le fait <strong>de</strong> prendre soin impose <strong>de</strong> « répondre <strong>de</strong><br />

quelque chose envers quelqu’un ». La prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> l’enjeu auquel il fait face<br />

<strong>dans</strong> son activité invite le soignant à la responsabilité. Or cette responsabilité n’est<br />

pas une option mais une obligation et cette réalité pèse lourd sur <strong>les</strong> épau<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />

soignants <strong>dans</strong> le contexte difficile qui est le leur. Elle se trouve <strong>de</strong> fait très souvent<br />

limitée à la première acception définie par Jonas, c’est-à-dire au <strong>de</strong>voir passible <strong>de</strong><br />

sanction en cas <strong>de</strong> manquement.<br />

Et cette responsabilité est d’autant plus difficile à assumer qu’elle se cristallise<br />

toujours davantage sur l’individu dont <strong>les</strong> aspirations visent le risque zéro, avec la<br />

menace du procès comme une épée <strong>de</strong> Damoclès toujours plus présente. Cette<br />

responsabilité, qui s’apparente avant tout à la morale du <strong>de</strong>voir telle que développée<br />

par Kant, fait du <strong>de</strong>voir le principe juridique qui prime sur toute autre considération.<br />

C’est « ce qui s’impose comme obligatoire », à contrario d’une responsabilité qui<br />

s’appuierait sur l’idéal du soignant quant aux <strong>soins</strong> qu’il souhaite pouvoir apporter<br />

et sur <strong>les</strong> finalités mêmes <strong>de</strong> son action, comme le voudraient l’éthique <strong>de</strong> la<br />

responsabilité selon Max Weber, ou encore l’autre pendant <strong>de</strong> la responsabilité<br />

définie par Jonas. On est ici aux prises avec le conflit entre la déontologie d’un côté et<br />

la téléologie <strong>de</strong> l’autre. Et ce qui est teleos pour le soignant ne l’est pas forcément<br />

pour l’institution <strong>de</strong> soin.<br />

Mais la donne se complexifie encore lorsque l’on prend conscience que la<br />

responsabilité représente également un outil important aux mains <strong>de</strong>s acteurs du<br />

management. De fait, la responsabilisation est <strong>de</strong>venue un leitmotiv du nouveau<br />

management qui n’a d’autre intérêt que l’efficience et la rentabilité, par le biais d’une<br />

implication personnelle intense. Ce phénomène est à double tranchant. Si, d'un côté,<br />

le nouveau management tend à responsabiliser l'individu en lui donnant une marge<br />

d'autonomie plus importante, d'autre part, en le rendant responsable <strong>de</strong> ses actes, il<br />

le rend également responsable <strong>de</strong> ses échecs et <strong>de</strong> son stress. Ainsi l'individu qui<br />

subit du stress en <strong>de</strong>vient lui-même responsable. On accusera une mauvaise gestion<br />

personnelle du stress d’en être la source, et l'institution s'en verra ainsi déculpabilisée.<br />

Sous le couvert d’une plus gran<strong>de</strong> autonomie, on affuble aussi le soignant d’une plus<br />

gran<strong>de</strong> responsabilité. La dissémination <strong>de</strong>s différentes prises <strong>de</strong> décision,<br />

182


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

conduisant à une dilution <strong>de</strong>s responsabilités institutionnel<strong>les</strong>, vise finalement à une<br />

focalisation sur la responsabilité individuelle, plus facile à épingler et à condamner<br />

(Ehrenberg, 2010).<br />

Par ailleurs, à force <strong>de</strong> responsabilités multip<strong>les</strong> et diverses, on finit par<br />

annihiler la notion même <strong>de</strong> responsabilité. On pèche alors par excès selon la mesure<br />

d’Aristote.<br />

Si donc la responsabilité va, jusqu’à un certain point, motiver l’engagement et le<br />

soutenir en lui donnant un but, elle ne doit pas se limiter à sa composante normative<br />

mais dépendre <strong>de</strong> la volonté <strong>de</strong> l’individu. Soumise à l’excès, <strong>de</strong>s effets délétères<br />

peuvent apparaître, tant pour celui qui en est chargé que pour <strong>les</strong> personnes dont il<br />

s’occupe. En effet comment réagir face à une responsabilité qui augmente <strong>dans</strong><br />

l’exercice du soin, alors même que <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail sont toujours plus<br />

précaires et ne permettent pas <strong>de</strong> pouvoir l’assumer, voire entrent très directement<br />

en conflit avec l’éthique personnelle et professionnelle du soignant ?<br />

Selon Fiat (2006), cette situation, marquée par la fatigue et le découragement,<br />

peut conduire à l’esquive, ce « ren<strong>de</strong>z-vous manqué avec soi-même, avec sa<br />

propre volonté, sa liberté et sa responsabilité » (Fiat, 2006, p.57), ou atteindre la<br />

personne au plus profond d’elle-même, <strong>dans</strong> son être intérieur, en un mouvement<br />

tragique <strong>de</strong> repli sur soi. Même si Rameix (1996, p.87) souligne que<br />

« Etre éthique, c’est accepter et vivre le conflit du bien à faire et du<br />

<strong>de</strong>voir à accomplir, comme si la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> l’homme était d’en sortir<br />

<strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> meilleur qui n’est pas à atteindre, mais à construire »,<br />

il y a tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s limites à ce champ <strong>de</strong> tension qui, lorsqu’il est exacerbé,<br />

<strong>de</strong>vient douloureux et nocif.<br />

La responsabilité implique <strong>de</strong> savoir poser <strong>de</strong>s limites et se préserver en tant<br />

que sujet <strong>de</strong> l’agir. Elle implique un « soin » <strong>de</strong> soi qui ne peut s’exprimer que <strong>dans</strong> la<br />

capacité <strong>de</strong> l’être humain à fixer ses propres règ<strong>les</strong>, donc à exercer son autonomie.<br />

183


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

8.2 Engagement et autonomie<br />

Si l’engagement est à la fois à l’origine <strong>de</strong> la responsabilité, quand bien même il<br />

en est aussi une conséquence, il ne saurait s’exprimer réellement sans être véhiculé<br />

par une démarche autonome.<br />

L’autonomie, considérée comme le fait <strong>de</strong> se donner à soi-même ses propres lois,<br />

ses règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> conduite, l’orientation <strong>de</strong> ses actes, fait partie <strong>de</strong> ces valeurs très en<br />

vogue <strong>dans</strong> notre société. Alors que, selon le principe d’hétéronomie, l’objet donne à<br />

la volonté la loi par son rapport à elle, en revanche, lorsque l’on parle d’autonomie,<br />

on évoque la mise en balance <strong>de</strong>s souhaits ou <strong>de</strong>s désirs d’un côté, avec <strong>de</strong> l’autre<br />

une réflexion critique, guidée par <strong>de</strong>s principes d’action rationnels, permettant<br />

d’évaluer le <strong>de</strong>gré d’acceptabilité <strong>de</strong> ces souhaits et <strong>de</strong> ces désirs. Dans le milieu<br />

médical, on établit <strong>les</strong> projets <strong>de</strong> <strong>soins</strong> en visant la plus gran<strong>de</strong> autonomie possible<br />

du côté du patient. Il s’agit <strong>de</strong> se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si, le plus souvent, on ne confond pas<br />

autonomie et indépendance. En effet permettre à une personne <strong>de</strong> retrouver la<br />

capacité <strong>de</strong> se vêtir ou <strong>de</strong> se mouvoir sans ai<strong>de</strong> relève <strong>de</strong> l’indépendance et non <strong>de</strong><br />

l’autonomie. La question <strong>de</strong> savoir si le patient reste maître <strong>de</strong> ses choix <strong>de</strong>meure<br />

entière. En effet, même si l’intention est sans doute là initialement, le système très<br />

paternaliste du fonctionnement hospitalier comporte <strong>de</strong>s dimensions affectives et<br />

cognitives qui induisent <strong>de</strong>s comportements inconscients, tant <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s acteurs<br />

du soin que <strong>de</strong>s patients eux-mêmes en termes <strong>de</strong> domination et <strong>de</strong> soumission<br />

(Jouan & Laugier, 2009).<br />

Nous restons très influencés par la compréhension kantienne du concept<br />

d’autonomie et il y a lieu <strong>de</strong> dépasser <strong>les</strong> « fragments <strong>de</strong> ce mythe philosophique »<br />

pour s’ouvrir à une compréhension renouvelée (Jouan & Laugier, 2009, p.6). Selon<br />

Kant, en effet, « l’autonomie tend à être conçue comme une intériorisation <strong>de</strong>s<br />

contraintes socia<strong>les</strong>, et c’est la généralité <strong>de</strong> ces contraintes qui rend possible<br />

une intégration <strong>de</strong>s désirs sous la double forme d’une éducation et d’une<br />

soumission <strong>de</strong>s désirs. » (Geay, 2009, p.256). Le tout est soumis à une volonté qui<br />

se doit d’être bonne. Le <strong>de</strong>voir, en qualité d’injonction avec son caractère impératif,<br />

n’est rendu nécessaire que parce que la volonté n’est pas d’emblée toujours bonne et<br />

que <strong>les</strong> désirs naturels pourraient avoir le <strong>de</strong>ssus. L’acte moral se résume alors à <strong>de</strong>s<br />

maximes universalisab<strong>les</strong> qui en signent aussi le formalisme. Et Gaziaux <strong>de</strong> préciser<br />

184


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

qu’il est nécessaire <strong>de</strong> « réviser le formalisme kantien pour mettre à nu la<br />

prétention universaliste qui en est le noyau dur » (Gaziaux, 1998, p.439).<br />

L’auteur met en question la suprématie accordée par Kant au principe d’autonomie<br />

sur celui <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong>s conditions humaines et <strong>de</strong>s relations socia<strong>les</strong>,<br />

démontrant que l’autonomie est tributaire <strong>de</strong> l’hétéronomie.<br />

Or, s’il y a certainement une intégration d’un certain nombre <strong>de</strong> contraintes<br />

socia<strong>les</strong> par le biais <strong>de</strong> l’éducation et <strong>de</strong> la socialisation, l’autonomie telle qu’on la<br />

conçoit aujourd’hui, <strong>dans</strong> notre société occi<strong>de</strong>ntale, entend essayer <strong>de</strong> se libérer au<br />

moins partiellement <strong>de</strong> ces « chaînes » inconscientes pour laisser la pleine expression<br />

au développement et aux désirs personnels. De prime abord cette conception semble<br />

être en opposition avec l’idée même d’engagement. La dimension <strong>de</strong> liberté<br />

véhiculée par le concept d’autonomie ne s’oppose-t-elle pas à celle <strong>de</strong> « mise en<br />

gage » ou <strong>de</strong> « mise au service » ? Le néo-libéralisme tente <strong>de</strong> promouvoir une<br />

conception <strong>de</strong> la liberté comme synonyme d’un choix absolument autarcique, non<br />

influencé par <strong>les</strong> contraintes d’une « vie bonne » ou d’un quelconque héritage<br />

sociétal, qu’il s’agisse <strong>de</strong> traditions ou <strong>de</strong> culture. La seule contrainte reste alors la<br />

nécessaire co-existence entre <strong>les</strong> acteurs. Déjà chez Rousseau, <strong>les</strong> valeurs sont<br />

considérées comme relatives et dépendantes <strong>de</strong> l’opinion personnelle sur le « bien ».<br />

La raison n’est en rien capable <strong>de</strong> faire sortir l’homme <strong>de</strong> cette parfaite subjectivité.<br />

Par la suite, Hobbes poursuit ce raisonnement, en argumentant que « le bien est<br />

toujours relatif au désir individuel d’acqu érir <strong>de</strong>s objets et du pouvoir. »<br />

(Gomez-Muller, 1999, p.86). C’est finalement cela qui serait censé donner un<br />

sens à l’existence. Pour <strong>les</strong> déontologistes contemporains, le problème <strong>de</strong> la<br />

coexistence <strong>de</strong>s individus mus par leur désirs personnels prime sur la « question du<br />

sens et <strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong> l’existence » (Gomez-Muller, 1999, p.23). La question<br />

éthique <strong>de</strong> la « vie bonne » est alors reléguée à la dimension individuelle, subjective<br />

et privée, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> principes qui s’y rapportent.<br />

Et pourtant l’autonomie pensée, comme nous l’avons vu, comme capacité <strong>de</strong><br />

« se donner à soi-même ses propres règ<strong>les</strong> » suppose donc bien l’existence <strong>de</strong> ces<br />

règ<strong>les</strong>, exprimant par là une limite à l’autonomie. En même temps ces principes ne<br />

constituent-ils pas aussi <strong>les</strong> gar<strong>de</strong>-fous érigés <strong>de</strong> l’intérieur, non imposés par une loi<br />

extérieure ? Loin <strong>de</strong> partir d’une table rase, l’être humain agit <strong>dans</strong> toute décision<br />

185


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

selon un certain nombre <strong>de</strong> règ<strong>les</strong> intégrées qui ont une dimension d’universalité.<br />

Pour Kant, <strong>les</strong> normes mora<strong>les</strong> garantissent à l’individu sa liberté et sa non-<br />

soumission à <strong>de</strong>s déterminations externes. La « liberté du sujet qui suit <strong>les</strong><br />

impératifs catégoriques garantit tout à la fois sa subjectivité, son universalité<br />

et sa moralité. » (Ambroise & Laugier, 2009, p.109).<br />

C’est l’individu qui est premier et la moralité qu’il fon<strong>de</strong> établit sa<br />

responsabilité. Cependant le caractère tout-puissant <strong>de</strong> ce sujet pleinement<br />

responsable, parce que capable d’une parfaite maîtrise <strong>de</strong> lui-même basée sur une<br />

parfaite conscience <strong>de</strong> soi, a été bien élagué par <strong>les</strong> courants structuralistes et<br />

poststructuralistes. Ces <strong>de</strong>rniers ont démontré que l’individu reste très largement le<br />

résultat d’un construit historique et social (Ambroise & Laugier, 2009). Ainsi, <strong>de</strong> la<br />

pleine liberté dont il semblait jouir, l’individu se retrouve assujetti inconsciemment à<br />

<strong>de</strong>s normes socia<strong>les</strong> et à <strong>de</strong>s désirs enfouis. Il en résulte qu’il ne saurait être considéré<br />

comme pleinement responsable. Mais doit-on pour autant lui ôter toute dimension<br />

<strong>de</strong> responsabilité ? Certes non, nous dit Butler qui, s’inspirant <strong>de</strong> Foucault, voit la<br />

responsabilité comme une mise en mots, face à un semblable à qui je dois <strong>de</strong>s<br />

comptes et qui m’assigne à responsabilité par sa seule présence. « Selon Butler,<br />

c’est toujours par rapport à l’autre qui est à la source <strong>de</strong> mon existence que je<br />

me sens responsable. » (Ambroise & Laugier, 2009, p.117) et le soi, <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong><br />

raconter son histoire, s’en imprègne et en dégage sa responsabilité. On le voit ici,<br />

cette liberté s’exprime justement <strong>dans</strong> une volonté singulière <strong>de</strong> s’engager envers<br />

l’Autre. En prenant un risque, il est vrai !<br />

La liberté peut être pervertie. Pour Kant, une liberté pervertie est à l’origine du<br />

mal. C’est l’homme qui fait mauvais usage <strong>de</strong> sa liberté. Cette liberté peut être vécue<br />

<strong>de</strong> différentes manières, mais <strong>dans</strong> chaque cas elle est engagement, soit envers soi-<br />

même, soit envers un autre. Vivre son autonomie pleinement, c’est aussi se risquer à<br />

s’ouvrir à l’Autre, à s’engager vers lui <strong>dans</strong> un mouvement qui induit une certaine<br />

vulnérabilité. Il faut sans doute se détacher <strong>de</strong> la pensée cartésienne dualiste, selon<br />

laquelle l’autonomie serait entièrement et parfaitement opposée à l’hétéronomie,<br />

comme <strong>de</strong>ux faces diamétralement opposées, totalement antagoniques et<br />

irréconciliab<strong>les</strong>. Il faut bien davantage considérer <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux dimensions comme<br />

intimement liées <strong>dans</strong> un mouvement dialectique situé sur le continuum d’une<br />

186


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

même réalité complexe, à l’image <strong>de</strong> l’anneau <strong>de</strong> Möbius (Malherbe, 2001). En effet,<br />

pour que l’autonomie puisse prétendre à sa pleine expression, elle doit être entourée<br />

<strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-fous extrinsèques, qui peuvent sembler lui porter atteinte, mais qui<br />

permettent en réalité son plein épanouissement et sa protection. Protection d’autant<br />

plus capitale que la démarche inchoative et tâtonnante <strong>de</strong> l’autonomie implique cette<br />

exposition <strong>de</strong> soi à l’autre.<br />

Dans sa fonction et <strong>dans</strong> le positionnement qu’il est en droit d’adopter, le<br />

soignant est parfois appelé à s’autoriser une certaine « autonomie morale », c’est-à-<br />

dire une prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> ce que <strong>les</strong> normes sont relatives, et <strong>les</strong> actions plus ou<br />

moins dictées par <strong>les</strong> intérêts d’autres personnes. Se positionner exige d’assumer une<br />

pensée autonome et <strong>de</strong> tenir ferme face aux avis contraires. La pensée étant ici à<br />

rapprocher du verbe « penser » et <strong>de</strong> son origine latine « pensare », avec sa<br />

signification <strong>de</strong> « peser, examiner, évaluer ».<br />

L’autonomie réelle du soignant s’exprime <strong>dans</strong> sa capacité à se construire et<br />

s’épanouir au sein <strong>de</strong>s normes qui s’imposent à lui. Il peut adopter ces normes ou <strong>les</strong><br />

critiquer <strong>de</strong> façon constructive, afin <strong>de</strong> pouvoir ensuite <strong>les</strong> dépasser. C’est sa liberté<br />

qui l’autorise à cette inventivité, une liberté lui permettant d’échapper aux<br />

déterminations externes et internes. Or, pour ce faire, nous retrouvons l’idée <strong>de</strong><br />

Foucault du soin <strong>de</strong> soi, comme réflexion personnelle et fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité<br />

propre sur sa propre idée <strong>de</strong> la vie bonne et non sur <strong>de</strong>s normes externes.<br />

« C’est <strong>dans</strong> cette liberté conquise que s’inaugure finalement une<br />

responsabilité proprement morale, en ce sens que je peux alors<br />

véritablement inventer <strong>les</strong> rapports que j’entretiens avec autrui . »<br />

(Ambroise & Laugier, 2009, p.121).<br />

De toujours sujet que je suis, je tente d’être <strong>de</strong> moins en moins aveuglément<br />

assujetti pour <strong>de</strong>venir l’agent qui réalise ma propre subjectivité. Ainsi se comprend<br />

l’autonomie véritable. Elle n’a <strong>de</strong> valeur sociale réelle que si elle passe par la<br />

reconnaissance <strong>de</strong> l’autonomie et <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong> l’Autre. C’est ce qu’Habermas<br />

défend avec l’agir communicationnel et la dimension discursive <strong>dans</strong> laquelle doit<br />

s’exprimer pleinement la liberté <strong>de</strong> chacun autour du consensus et d’une sorte <strong>de</strong><br />

187


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

contrat social garantissant à chacun d’être entendu. Selon Goffman cité par Rawls,<br />

« libre-vouloir et égalité » sont <strong>les</strong> « fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’interaction »<br />

(Rawls, 2002, p.144). Et Gauchet <strong>de</strong> rajouter que<br />

« c’est la réciprocité <strong>de</strong>s intérêts individuels qui fon<strong>de</strong> le lien social<br />

parce que l’homme est voué à l’échange et dépend <strong>de</strong>s autres pour<br />

exister. » (Gauchet, 2002, p.103).<br />

Néanmoins, <strong>dans</strong> le contexte précé<strong>de</strong>mment décrit du néo-libéralisme, il faut se<br />

méfier <strong>de</strong> « l’instrumentalisation du thème <strong>de</strong> l’autonomie au service d’autres<br />

fins, non dites cel<strong>les</strong>-là » (Malherbe, 2001, p.74) ; c’est ici tout l’enjeu <strong>de</strong> la<br />

mainmise institutionnelle sur l’autonomie <strong>de</strong>s individus, <strong>dans</strong> la dynamique <strong>de</strong><br />

performance évoquée précé<strong>de</strong>mment.<br />

L’autonomie doit s’incarner <strong>dans</strong> un agir, et la pensée trouver un aboutissement<br />

concret. Qu’elle soit idéologique, stratégique, opérative ou exécutive, l’autonomie est<br />

considérée comme une fin et suppose le passage à l’action. Et Malherbe nous fait<br />

remarquer que « l’autonomie <strong>de</strong> l’autre se mesure à la croissance <strong>de</strong> la nôtre »<br />

(Malherbe, 2001, p.82), c’est-à-dire que le patient se verra confié une autonomie<br />

d’autant plus gran<strong>de</strong> que la nôtre pourra être avérée. Inversement, si nous ne<br />

sommes pas en mesure d’exercer notre autonomie <strong>dans</strong> le jugement et l’action, il est<br />

illusoire <strong>de</strong> vouloir promouvoir l’autonomie du patient.<br />

Pour autant, l’autonomie ne saurait trouver sa seule source <strong>dans</strong> l’idée <strong>de</strong><br />

responsabilité. La motivation joue un rôle moteur également primordial.<br />

8.3 De la motivation à l’engagement<br />

On ne saurait confondre <strong>les</strong> concepts <strong>de</strong> motivation et d’engagement, même si<br />

<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux se rejoignent sur certains points et sont bien souvent assimilés l’un à l’autre.<br />

La motivation est une énergie potentielle <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’intention, quand<br />

l’engagement relève avant tout <strong>de</strong> l’action mise en œuvre et <strong>de</strong> l’investissement en<br />

actes. La motivation se veut être un dynamisme, une énergie particulière nous<br />

permettant <strong>de</strong> nous projeter en avant vers ce qui en constitue la source. La<br />

188


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

motivation comporte une force d’action importante, mais l’action elle-même appelle<br />

l’engagement, processus par lequel un individu est amené à entreprendre ou cesser<br />

une activité avec une volonté spécifique (Ladrière, 1997). Avec la formation, la<br />

motivation est transformée en un savoir professionnel fait <strong>de</strong> compétences et<br />

d’habiletés.<br />

Il existe <strong>de</strong>s disparités <strong>dans</strong> la manière dont le concept <strong>de</strong> motivation est<br />

conceptuellement approché. On peut, <strong>de</strong> manière générale, diviser <strong>les</strong> théories <strong>de</strong> la<br />

motivation en trois ensemb<strong>les</strong> majeurs placés sur un continuum. D’un côté se<br />

trouvent <strong>les</strong> théories, toujours plus rares, qui, comme celle <strong>de</strong> Skinner (1953),<br />

considèrent que le conscient et l’inconscient sont étrangers à la motivation, cette<br />

<strong>de</strong>rnière découlant uniquement <strong>de</strong> la situation <strong>dans</strong> laquelle se trouve le sujet.<br />

Vers le centre du continuum, on trouvera <strong>les</strong> théories actuellement <strong>les</strong> plus<br />

répandues selon <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> cognitions sont accessib<strong>les</strong> à la conscience, cel<strong>les</strong>-ci<br />

jouant un rôle déterminant sur le comportement. Enfin, à l’autre extrémité du<br />

continuum, <strong>les</strong> théories postulent que <strong>les</strong> véritab<strong>les</strong> raisons motivationnel<strong>les</strong> sont<br />

inconscientes et peu accessib<strong>les</strong>. Cette théorie est principalement soutenue par Freud<br />

et le courant psychanalytique.<br />

Processus <strong>de</strong> lecture, par la personne, <strong>de</strong> son environnement (Bandura, 2003),<br />

Smith, Sarason et Sarason (1982, p.265), définissent la motivation comme « le<br />

processus interne qui influence la direction, la persistance et la vigueur du<br />

comportement dirigé vers un but ». Ce processus interne que constitue la<br />

motivation permet d’agir en fonction d’un objectif précis. Selon Duchesne et al. (2005),<br />

la motivation constitue une force qui engage l’action <strong>de</strong> l’individu en suscitant un<br />

certain comportement. C’est également la définition qu’en donne Houssaye (1993,<br />

p.223): « La motivation est habituellement définie comme l’action <strong>de</strong>s forces,<br />

conscientes et inconscientes, qui déterminent le comportement. » Vallerand &<br />

Thill (1993) se sont appliqué à développer une définition qui englobe à la fois <strong>les</strong><br />

effets internes mais également externes influençant sa mise en œuvre. Ils proposent<br />

la définition suivante :<br />

« Le concept <strong>de</strong> motivation représente le construit hypothétique utilisé<br />

afin <strong>de</strong> décrire <strong>les</strong> forces internes et/ou externes produisant le<br />

189


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

déclenchement, la direction, l’insistance et la persistance du<br />

comportement. » (p.18).<br />

L’engagement comporte donc <strong>de</strong>ux faces. Dans la partie visible, nous notons la<br />

présence et l’initiative, <strong>les</strong> éléments restants étant assimilés à une partie invisible :<br />

motivations, désirs…. Dans cette partie invisible, la motivation, réaction à un but<br />

généralement conscient, joue un grand rôle (Nuttin, 2000). Alors que l’homme <strong>dans</strong><br />

une première phase vit et construit sa personnalité <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> qui l’entoure, il ne<br />

peut laisser <strong>les</strong> choses à l’état premier mais a besoin <strong>de</strong> <strong>les</strong> transformer, ne serait-ce<br />

que, <strong>dans</strong> un premier temps, par l’action <strong>de</strong> la pensée. De ce besoin naît une<br />

dynamique motivationnelle qui va ensuite, <strong>dans</strong> bien <strong>de</strong>s cas, l’ai<strong>de</strong>r à transformer et<br />

agir sur son environnement <strong>de</strong> manière à pouvoir concrétiser ses buts et ses projets.<br />

L’action n’est donc pas plus le résultat automatique d’un apprentissage maintes fois<br />

répété qu’un stimulus simple ne saurait en être le point <strong>de</strong> départ. Elle se met en<br />

œuvre selon <strong>de</strong>s motivations diverses, dirigées vers <strong>de</strong>s buts plus ou moins proches<br />

(Nuttin, 2000). Nuttin considère la motivation comme l’interaction constante entre le<br />

sujet, l’environnement <strong>dans</strong> lequel il évolue et qu’il cherche à influencer, ainsi que la<br />

situation <strong>dans</strong> laquelle il se trouve. Il s’agit d’un construit hypothétique.<br />

Très souvent liée à la notion <strong>de</strong> besoin, elle-même émanant <strong>de</strong> l’état <strong>de</strong> complet<br />

bien-être que recherche l’être humain, la motivation, intrinsèque comme extrinsèque,<br />

<strong>de</strong>vient cette dynamique cherchant à satisfaire ce besoin. La motivation intrinsèque<br />

cherchera à répondre directement à un besoin (vi<strong>de</strong>r sa vessie parce que le besoin<br />

s’en fait sentir), alors que la motivation extrinsèque cherchera à répondre à un besoin<br />

secondaire mais non moins important (vi<strong>de</strong>r sa vessie pour éviter <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir s’arrêter<br />

durant le voyage). Dans ce second cas, on parlera <strong>de</strong> motivation extrinsèque, <strong>dans</strong> la<br />

mesure où le but recherché n’est pas la conséquence directe <strong>de</strong> l’action réalisée.<br />

Bien entendu on distinguera entre <strong>les</strong> be<strong>soins</strong> physiologiques d’une part et <strong>les</strong><br />

be<strong>soins</strong> psychologiques ou comportementaux d’autre part. Elaboré <strong>de</strong> façon<br />

cognitive, le besoin est transformé en projet d’action. Il va <strong>de</strong> soi que tous <strong>les</strong> be<strong>soins</strong><br />

n’ont pas le même <strong>de</strong>gré d’importance et susciteront <strong>de</strong>s dynamiques<br />

motivationnel<strong>les</strong> différentes avec <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés d’intensité divers. Différentes<br />

composantes psychoaffectives, dont particulièrement <strong>les</strong> émotions, jouent un rôle<br />

190


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

décisif <strong>dans</strong> cette dynamique. Provoquant un état <strong>de</strong> la conscience caractérisé par la<br />

présence d’un état d’excitation avec ressentis agréab<strong>les</strong> ou désagréab<strong>les</strong>, accompagné<br />

<strong>de</strong> réactions physiologiques et psychologiques, <strong>les</strong> émotions <strong>de</strong>viennent source <strong>de</strong><br />

motivation en aidant la personne à une meilleure prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> la situation<br />

et en lui permettant ainsi d’adapter son comportement (Buck, 1985).<br />

Par ailleurs, <strong>les</strong> valeurs jouent un rôle important <strong>dans</strong> la mesure où l’être<br />

humain accor<strong>de</strong> une valeur plus ou moins subjective aux différentes motivations<br />

sensées répondre à ses be<strong>soins</strong>. Ces critères d’évaluation, en partie personnels, mais<br />

également en gran<strong>de</strong> partie influencés par l’univers socio-culturel, vont influer <strong>dans</strong><br />

la manière dont la personne recherchera à combler, plus ou moins rapi<strong>de</strong>ment, le<br />

besoin ressenti en mettant en place un comportement en harmonie avec ses be<strong>soins</strong>.<br />

La non-atteinte du but est signalée à la personne par un effet <strong>de</strong> discrépance qui<br />

va réactiver la motivation (Nuttin, 2000). Festinger (1957) a démontré que le sujet ne<br />

peut pas rester aux prises avec une trop grand discrépance ou, comme il la nomme,<br />

une trop gran<strong>de</strong> « dissonance cognitive ». Il va chercher à rétablir l’équilibre du<br />

mieux possible et à réduire au maximum cette dissonance, soit en modifiant son<br />

comportement, soit en modifiant sa perception <strong>de</strong>s choses, partiellement au moins.<br />

Mais, <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> cas, l’être humain a besoin d’avoir un contrôle sur ses actes,<br />

émanant directement <strong>de</strong> son besoin d’autonomie. Il s’agit d’un contrôle qui lui<br />

confère le sentiment <strong>de</strong> compétence (Pelletier & Vallerand, 1993). Déjà, en 1959,<br />

White mettait en évi<strong>de</strong>nce ce besoin <strong>de</strong> compétence lié à l’impact que la personne<br />

peut avoir sur son environnement (Vallerand & Thill, 1993, p.247). Sentiment qui, s’il<br />

est encouragé par la situation, va permettre <strong>de</strong> ressentir le plaisir et la satisfaction. En<br />

revanche, d’autres chercheurs ont montré que, si la personne est brimée <strong>dans</strong> son<br />

besoin <strong>de</strong> compétence et d’auto-détermination sur une longue pério<strong>de</strong>, « elle peut<br />

perdre toute forme <strong>de</strong> motivation et sombrer <strong>dans</strong> un état <strong>de</strong> résign ation<br />

acquise ou d’amotivation. » (Vallerand & Thill, 1993, p.253). Lorsqu’il est amotivé,<br />

le sujet ne perçoit plus <strong>de</strong> relations entre ce qu’il fait et ce qui en résulte. Il agit <strong>de</strong><br />

façon mécanique, mais <strong>les</strong> causes se trouvent hors <strong>de</strong> lui. Il n’a donc aucune<br />

motivation, qu’elle soit intrinsèque ou extrinsèque.<br />

Selon la théorie <strong>de</strong> l’évaluation cognitive, il s’agit <strong>de</strong> voir si ce qui motive la<br />

personne à agir émane d’une source extérieure, auquel cas on parlera <strong>de</strong> locus<br />

191


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

externe. Dans ce cas, la personne peut se sentir sous contrôle et perdre <strong>de</strong> son auto-<br />

détermination, ce qui renforcera le processus d’amotivation. En revanche, si elle a le<br />

sentiment d’être elle-même à l’origine <strong>de</strong> ses actions, son auto-détermination est<br />

renforcée et sa motivation également (Vallerand & Thill, 1993). Plus la personne aura<br />

la conviction que son comportement peut avoir <strong>de</strong>s résultats positifs et plus elle va se<br />

donner <strong>de</strong>s objectifs élevés. Par contre, même si le but est attractif, si la personne<br />

doute que ses capacités soient suffisantes à l’atteindre, son engagement lui paraîtra<br />

vain et <strong>de</strong>meurera assez ténu. À l’inverse, si une personne a confiance en ses<br />

capacités, elle peut gérer une situation difficile en adaptant un plus grand<br />

engagement <strong>dans</strong> la tâche pour une pério<strong>de</strong> donnée. Cette réalité nous montre<br />

l’importance <strong>de</strong> la confiance en soi. Et Muchielli d’affirmer que, lorsqu’on définit la<br />

motivation, « l’estime <strong>de</strong> soi en est la composante principale » (2006, p.74). Si<br />

une personne a confiance en ses capacités, elle peut gérer une situation difficile en<br />

adaptant un plus grand engagement, à la hauteur <strong>de</strong> sa motivation, <strong>dans</strong> la tâche<br />

pour une pério<strong>de</strong> donnée.<br />

À partir <strong>de</strong> toutes ces considérations, Jorro et De Ketele (à paraître) décrivent la<br />

motivation professionnelle comme « l’ensemble dynamique <strong>de</strong>s perceptions<br />

envers <strong>les</strong> tâches professionnel<strong>les</strong> à exercer <strong>dans</strong> un contexte donné, à savoir<br />

<strong>les</strong> perceptions :<br />

<strong>de</strong> la valeur <strong>de</strong>s buts susceptib<strong>les</strong> d’être poursuivis <strong>dans</strong> la profession<br />

(but <strong>de</strong> maîtrise, buts <strong>de</strong> performance, buts sociaux) et <strong>de</strong>s tâches qui<br />

permettent <strong>de</strong> <strong>les</strong> poursuivre ;<br />

du sentiment d’auto-efficacité (perception <strong>de</strong> ses compétences pour<br />

exercer la profession et accomplir efficacement <strong>les</strong> tâches du métier ;<br />

du rapport plus ou moins favorable entre d’une part <strong>les</strong> bénéfices,<br />

intrinsèques ou extrinsèques, à tirer <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong>s tâches qui<br />

y sont liées et d’autre part <strong>les</strong> efforts à fournir pour cela ;<br />

du sentiment d’avoir la possibilité ou non d’agir sur l’environnement<br />

pour s’engager <strong>dans</strong> <strong>les</strong> tâches professionnel<strong>les</strong> ;<br />

<strong>de</strong> l’attente <strong>de</strong> résultats ».<br />

On perçoit mieux, à partir <strong>de</strong>s éléments cités, <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> tensions qui peuvent<br />

192


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

être <strong>de</strong>s atteintes à la motivation <strong>de</strong>s soignants. Que l’on songe à la difficile<br />

adéquation entre <strong>les</strong> buts poursuivis et <strong>les</strong> tâches à accomplir, au caractère relatif <strong>de</strong>s<br />

bénéfices à tirer <strong>de</strong> son engagement, aux possibilités très limitées <strong>de</strong> son action sur<br />

l’environnement ou encore au caractère souvent peu visible <strong>de</strong>s résultats, autant <strong>de</strong><br />

facteurs qui peuvent influencer négativement la motivation d’une infirmière. Ceci<br />

d’autant que cette <strong>de</strong>rnière s’engage souvent <strong>de</strong> manière très intime, avec <strong>de</strong>s<br />

attentes qui ne sont pas toujours conscientes (Chaska, 2000). En effet, à la base <strong>de</strong> la<br />

motivation professionnelle <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, il y a souvent le désir altruiste <strong>de</strong><br />

venir en ai<strong>de</strong>, <strong>de</strong> secourir. Cette motivation sincère peut néanmoins receler <strong>de</strong>s buts<br />

personnels plus ou moins conscients.<br />

« Même en allant vers l’autre [ pour l’autre ], c’est-à-dire <strong>de</strong> façon<br />

complètement altruiste ou simplement [ par amour ], l’individu<br />

contribue le plus souvent à son prop re épanouissement » (Nuttin, 2000,<br />

p.182).<br />

On comprend dès lors qu’un désenchantement <strong>dans</strong> ce désir <strong>de</strong> « sauver », s’il<br />

est frustrant pour l’action que souhaite avoir le soignant, est également délétère <strong>dans</strong><br />

son propre développement personnel. Dans le cas idéal, <strong>les</strong> possibilités d’exercice<br />

professionnel du soignant motivé <strong>de</strong>vraient correspondre à son projet <strong>de</strong><br />

développement personnel. Il y aurait ainsi continuité entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sphères et<br />

épanouissement pour la personne. Malheureusement, <strong>dans</strong> le contexte actuel, ce<br />

travail qui, intrinsèquement motivé est générateur d’une gran<strong>de</strong> et profon<strong>de</strong><br />

satisfaction, tend à <strong>de</strong>venir un moyen extrinsèque (salaire), utilisé pour pouvoir<br />

concrétiser ses projets. Et Nuttin d’ajouter que<br />

« le décalage entre le projet personnel et le travail concret que l’on doit<br />

exécuter semble être le facteur essentiel <strong>dans</strong> le conflit motivation -<br />

travail. » (Nuttin, 2000, p.197).<br />

Et l’on retrouve ici ce conflit généré par l’idéal en <strong>de</strong>uil, abordé précé<strong>de</strong>mment.<br />

La motivation, si elle a donc un impact sur la qualité <strong>de</strong>s prestations fournies<br />

par le soignant, n’en joue pas moins un rôle déterminant sur le vécu subjectif du<br />

193


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

soignant, <strong>dans</strong> toute sa dimension psychologique et émotionnelle. Elle constitue une<br />

clé essentielle au développement professionnel. Face à un mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne imprégné<br />

<strong>de</strong> valeurs contradictoires, avec d’un côté l’émancipation, le libéralisme et <strong>de</strong> l’autre<br />

la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’implication et <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> responsabilité, la motivation joue le rôle d’un<br />

« levier majeur <strong>de</strong> productivité pédagogique » (Carré, 2001, p.24). Et Carré <strong>de</strong><br />

déplorer le fait que la motivation soit souvent un concept contourné, en tout cas fort<br />

peu investigué <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la formation, avec <strong>les</strong> outils <strong>de</strong> la recherche<br />

scientifique.<br />

Cependant la motivation reste <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’intention et du potentiel d’action.<br />

Pour qu’elle aboutisse réellement, elle doit pouvoir s’incarner <strong>dans</strong> l’action, se<br />

transformant alors en un autre pilier du développement professionnel : l’engagement.<br />

C’est <strong>dans</strong> ce passage à l’action que l’activité du soignant prend tout son sens.<br />

Il va <strong>de</strong> soi qu’un concept comme la motivation est extrêmement vaste et<br />

mériterait que l’on s’y attar<strong>de</strong> plus longuement. Nul doute qu’il pourrait apporter<br />

<strong>de</strong>s éclairages complémentaires et bienvenus à notre objet. Pour autant, la complexité<br />

et le nombre <strong>de</strong> concepts mobilisés autour du concept d’engagement ne nous<br />

permettent pas <strong>de</strong> nous y attar<strong>de</strong>r davantage. Nous pensons avoir cerné ici <strong>les</strong><br />

éléments principaux, susceptib<strong>les</strong> d’avoir <strong>de</strong>s liens significatifs avec le concept étudié.<br />

8.4 La question du sens et <strong>de</strong> la reconnaissance<br />

À la lumière <strong>de</strong>s différents éléments mis en évi<strong>de</strong>nce à ce sta<strong>de</strong>, il semble que la<br />

question du sens recèle bien une importance capitale. Elle est présente <strong>de</strong>puis <strong>les</strong><br />

prémisses <strong>de</strong> la réflexion jusqu’à son aboutissement, comme un fil d’Ariane invisible<br />

mais indispensable. Le terme <strong>de</strong> sens, issu du latin « sensus », comporte trois<br />

acceptions majeures : raison (avoir du sens, faire sens…), sensation (dérivés du verbe<br />

sentir) et signe (renvoi vers un autre objet, orientation vers une certaine direction<br />

<strong>dans</strong> une perspective d’ensemble). D’autres auteurs rajoutent d’emblée la notion <strong>de</strong><br />

valeur, argumentant que « le <strong>de</strong>venir d’une existence sensée est donc bien un<br />

<strong>de</strong>venir directionnel et c’est le telos, comme sens, qui lui donne sa direction »<br />

(Gomez-Muller, 1999, p.13).<br />

194


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Le sens est ce qu'il y a <strong>de</strong> plus profond <strong>dans</strong> l'agir humain, il est la direction, la<br />

perspective <strong>dans</strong> laquelle s'inscrit un acte <strong>dans</strong> un itinéraire <strong>de</strong> vie, ou une<br />

signification à un moment donné, venant s’inscrire <strong>dans</strong> un tout cohérent. Le sens se<br />

rapporte à <strong>de</strong>s significations auxquel<strong>les</strong> il donne une orientation <strong>de</strong> compréhension.<br />

Des auteurs comme Antonovsky (1987) ont montré l’impact sur la santé du sens et <strong>de</strong><br />

la cohérence. Il y a donc plus qu’une question <strong>de</strong> plaisir ou <strong>de</strong> satisfaction. Selon cet<br />

auteur, le sens fait partie <strong>de</strong> l’autopoièse ou auto-création <strong>de</strong> soi. Même <strong>de</strong>s<br />

évènements ou situations diffici<strong>les</strong> peuvent être perçus comme <strong>de</strong>s défis et être<br />

aisément surmontés, dès lors que l’on peut <strong>les</strong> comprendre, avoir un certain impact<br />

sur eux et leur attribuer un sens. Ces trois facteurs permettent la mise en place <strong>de</strong><br />

stratégies <strong>de</strong> coping efficaces.<br />

La motivation est en tout premier lieu tributaire du sens. Sans que l’individu<br />

trouve du sens, il n’y a pas <strong>de</strong> motivation possible. Elle en est la condition essentielle<br />

(Mucchielli, 2006). Le sens est toujours en lien avec autre chose, que ce soit avec <strong>de</strong>s<br />

valeurs, <strong>de</strong>s projets, <strong>de</strong>s évènements… Le choix d’une profession lui-même introduit<br />

un sens <strong>dans</strong> l’existence d’une personne. Dans l’acte <strong>de</strong> soin, le sens se trouve<br />

fréquemment lié au souci <strong>de</strong> l’autre personne. Loin d’être relégué au seul rang <strong>de</strong><br />

principe théorique, le sens est une pièce maîtresse <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> la profession,<br />

mettant en jeu l’adéquation du soignant avec son environnement, et chacun <strong>de</strong> ses<br />

actes avec son éthique. Et Ladrière d’ajouter que :<br />

« c’est à partir <strong>de</strong> ce sens qu’il [l’individu] <strong>de</strong>vra réagir vis-à-vis <strong>de</strong><br />

toutes <strong>les</strong> situations <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il sera amené à se trouver, sous<br />

peine <strong>de</strong> se renier » (Ladrière, 1997, p.132).<br />

La question du sens, qui met en jeu un acteur avec l’univers qui l’entoure, ne<br />

peut que poser la question <strong>de</strong> l’éthique qui éclaire la relation <strong>de</strong> l’acteur avec lui-<br />

même en premier lieu, et sa relation avec <strong>les</strong> normes et lois qui l’entourent, <strong>dans</strong> un<br />

second temps.<br />

« L’engagement est l’ultime support qui procure un sens à l’existence<br />

<strong>dans</strong> son ensemble : "Exister est synonyme <strong>de</strong> s’engager".» (Savadogo,<br />

2008, p.60).<br />

195


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

La satisfaction éprouvée par le soignant est d’autant plus gran<strong>de</strong> que le soin <strong>de</strong><br />

l’Autre produit du sens pour son existence. Il est fréquent <strong>de</strong> retrouver cette<br />

association du « prendre soin » et du sens pour sa propre existence auprès <strong>de</strong>s<br />

bénévo<strong>les</strong> <strong>de</strong> différentes associations. À tel point que, selon Bobineau (2010a), si l’on<br />

comprend le sens, il est possible <strong>de</strong> comprendre l’engagement et inversement<br />

puisque, au travers <strong>de</strong> l’engagement, le sens <strong>de</strong> l’existence s’incarne <strong>dans</strong> la<br />

réconciliation entre l’individuel et l’universel (Savadogo, 2008).<br />

Cette dimension peut même se confondre avec un besoin « d’auto-réparation ».<br />

Différentes recherches montrent qu’un certain pourcentage d’étudiantes en <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> sont el<strong>les</strong>-mêmes en souffrance et cherchent, par le biais <strong>de</strong> leur profession,<br />

à trouver <strong>de</strong>s réponses à leur souffrance. Nombreuses sont <strong>les</strong> personnes dont le vécu<br />

a laissé <strong>de</strong>s b<strong>les</strong>sures ouvertes ou <strong>les</strong> a fait se situer en lisière <strong>de</strong> la « normalité »<br />

sociétale. Devenues très souvent la proie <strong>de</strong> processus <strong>de</strong> dévalorisation,<br />

l’engagement leur permet alors <strong>de</strong> se « re-construire » (Bobineau, 2010a, p.112), <strong>de</strong><br />

restaurer une i<strong>de</strong>ntité b<strong>les</strong>sée (Havard-Duclos & Nicourd, 2005).<br />

Cette question du sens peut avoir encore d’autres origines. Elle peut répondre à<br />

un besoin <strong>de</strong> reconnaissance exacerbé par un contexte <strong>de</strong> dissolution <strong>de</strong>s liens, ou<br />

par la logique actuelle <strong>de</strong> compétition et <strong>de</strong> performance. Le sens obtenu pour son<br />

existence et la faculté d’émanciper celle-ci sont <strong>de</strong>s plus-values importantes pour<br />

l’individu. L’objectif ultime, le telos n’est alors autre que la possibilité <strong>de</strong> vivre en<br />

société et en co-construction avec ses semblab<strong>les</strong>. De ce fait, on peut dire que<br />

l’« engagement est vecteur <strong>de</strong> socialisation » (Bobineau, 2010a, p.125) ; il est<br />

« fondateur, parce que créateur <strong>de</strong> la vie en société » (Ibid., p.139).<br />

Le sens est à la fois une direction que l’on prend et une signification que l’on<br />

donne à un acte en société. Selon Bobineau (2010a, p.142), il renferme quatre<br />

significations qui sont :<br />

1. le bien commun compris comme étant le rapport à <strong>de</strong>s valeurs universel<strong>les</strong><br />

et un bien égal pour tous <strong>les</strong> hommes ;<br />

2. l’intérêt général, représentant le bonheur du plus grand nombre <strong>dans</strong><br />

continuité <strong>de</strong> la pensée <strong>de</strong> Bentham ;<br />

196


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

3. l’égoïsme qui, loin <strong>de</strong> toujours véhiculer une signification négative <strong>de</strong><br />

centration sur soi, se veut également un mécanisme <strong>de</strong> défense indispensable<br />

pour la protection du Soi intime et le respect <strong>de</strong> ses limites ;<br />

4. l’altruisme qui centre son regard sur autrui et lui accor<strong>de</strong> bienveillance,<br />

amour, réconfort.<br />

Ces quatre dimensions se retrouvent <strong>dans</strong> un schéma qui représente une vision<br />

d’ensemble <strong>de</strong> l’engagement.<br />

Figure13 : Déontologie et éthique selon Ricœur<br />

197<br />

(Bobineau, 2010a, p.151)<br />

L’éthique constitue ici, à nouveau, le ciment unificateur entre le sens et<br />

l’engagement puisque s’engager, c’est, à la manière dont le disait Wittgenstein,<br />

donner une tournure à notre action, donc lui donner un sens selon la troisième<br />

acception <strong>de</strong> la définition, c’est-à-dire une direction elle-même empreinte <strong>de</strong> valeurs.<br />

Il appartient à chacun <strong>de</strong> donner un sens à son projet <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong> même qu’à son<br />

action quotidienne.


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Mais donner un sens, en fonction <strong>de</strong> valeurs spécifiques, suppose une mise à<br />

distance <strong>de</strong> l’action pour un engagement réflexif, <strong>dans</strong> un premier temps.<br />

198


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

CHAPITRE 9 : VERS UN ENGAGEMENT RÉFLÉCHI<br />

Une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s difficultés à surmonter <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>,<br />

rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> un empressement beaucoup plus important à être <strong>dans</strong> le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’action que <strong>dans</strong> celui <strong>de</strong> la réflexion. De par sa nature même, l’univers <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> se<br />

veut un univers en mouvement, soucieux d’apporter une réponse concrète et rapi<strong>de</strong><br />

aux problèmes rencontrés par <strong>les</strong> patients. Chargés, comme nous l’avons vu, du<br />

lourd héritage d’une dévotion sans bornes, toute exprimée au travers <strong>de</strong> l’action, <strong>les</strong><br />

soignants ont <strong>de</strong> la peine à s’octroyer ce qui peut apparaître, <strong>de</strong> prime abord, comme<br />

une perte <strong>de</strong> temps : à savoir le temps <strong>de</strong> la réflexion sur l’action. Pourtant ce temps,<br />

loin d’être synonyme <strong>de</strong> gaspillage, est un moment essentiel pour la recherche <strong>de</strong><br />

nouvel<strong>les</strong> orientations.<br />

L’homme n’est pas laissé à l’arbitraire d’un <strong>de</strong>stin sur lequel il n’aurait aucune<br />

emprise, mais il est au contraire doué <strong>de</strong> raison et appelé à mettre cette <strong>de</strong>rnière au<br />

service <strong>de</strong> son action. La raison, en s’appuyant sur <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> explicites ou implicites,<br />

sur <strong>de</strong>s principes et autres points <strong>de</strong> référence, permet <strong>de</strong> porter un jugement et<br />

d’orienter ainsi nos comportements (Savadogo, 2008).<br />

Parce que l’engagement s’il est mal investi, peut très vite <strong>de</strong>venir délétère pour<br />

le soignant et l’entraîner vers l’épuisement, il est d’autant plus essentiel qu’il<br />

s’inscrive <strong>dans</strong> un raisonnement pertinent.<br />

Nous verrons ici comment l’engagement enraciné <strong>dans</strong> une posture réflexive,<br />

peut jouer un rôle dynamique en aidant l’individu à découvrir et développer ses<br />

ressources, afin d’être équipé d’une argumentation soli<strong>de</strong> et <strong>de</strong> pouvoir, ainsi,<br />

défendre au mieux un positionnement. Positionnement à la fois personnel, mais aussi<br />

professionnel, jouant <strong>de</strong> ce fait un rôle essentiel sur l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong><br />

l’individu et par là-même, indirectement, sur l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession.<br />

Nous serons alors en mesure, au terme <strong>de</strong> ces réflexions sur l’engagement,<br />

d’expliciter <strong>de</strong> quelle façon cel<strong>les</strong>-ci ont inspiré notre travail et orienté notre<br />

problématique <strong>de</strong> recherche.<br />

199


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

9.1 Engagement et réflexivité<br />

Parce que l’engagement est un point nodal, constituant à la fois le moteur <strong>de</strong><br />

toute activité professionnelle épanouissante, mais également en même temps le point<br />

névralgique <strong>de</strong> celle-ci, il est indispensable <strong>de</strong> passer cette notion au crible <strong>de</strong> notre<br />

pensée critique, et <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r nos futurs soignants <strong>dans</strong> cette même démarche. Il ne<br />

s’agit pas, par la pensée critique, <strong>de</strong> faire un usage immodéré et constant <strong>de</strong> la<br />

critique, mais au contraire d’entraîner un esprit <strong>de</strong> discernement qui sache mettre en<br />

question la représentation du réel et porter un regard sur sa pratique à l’ai<strong>de</strong><br />

d’opérations logiques, scientifiques et argumentatives. Cette action <strong>de</strong> discerner ce<br />

qui paraît légitime ou non repose nécessairement sur <strong>les</strong> valeurs, ce qui explique le<br />

lien intrinsèque à l’éthique. L’examen <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong>vient incontournable en tant<br />

qu’el<strong>les</strong> sont porteuses <strong>de</strong> sens, gui<strong>de</strong>nt notre compréhension <strong>de</strong>s choses et sont<br />

indispensab<strong>les</strong> à l’infirmière pour l’ai<strong>de</strong>r à ajuster son activité professionnelle<br />

quotidienne et favoriser ainsi son engagement (Vinje & Mittelmark, 2006).<br />

Si Arendt déclare à l’occasion du procès d’Eichmann à Jérusalem que « La plus<br />

gran<strong>de</strong> part du mal est faite par <strong>de</strong>s gens qui ne se sont jamais décidés à être<br />

bons ou mauvais » (Arendt, 1966, p.58), c’est bien pour nous faire prendre<br />

conscience du caractère impératif <strong>de</strong> la pensée critique. « L’être humain est appelé<br />

à être sujet <strong>de</strong> son existence et non objet <strong>de</strong>s circonstances. » (Malherbe, 2001,<br />

p.124). Or, pour être réellement sujet, capable <strong>de</strong> dire « Je », l’homme se doit<br />

d’exercer sa raison critique, en particulier à l’encontre <strong>de</strong>s logiques <strong>de</strong> rentabilité ou<br />

d’une hypernormalisation que l’on retrouve <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services publics <strong>de</strong> la santé, par<br />

exemple, sous la forme d’une multiplication à l’extrême <strong>de</strong> toutes formes <strong>de</strong><br />

procédures. Cel<strong>les</strong>-ci, si el<strong>les</strong> peuvent s’avérer uti<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s cas précis et<br />

spécifiques, <strong>de</strong>viennent vite <strong>de</strong>s obstac<strong>les</strong> importants à la pensée individuelle,<br />

provoquant une forme d’asthénie, voire « d’atrophie <strong>de</strong>s capacités <strong>de</strong> jugement<br />

moral » (Malherbe, 2001, p.100). Et l’auteur <strong>de</strong> nous rappeler l’invitation <strong>de</strong> Socrate<br />

déjà à l’usage d’une pensée et d’une parole créatives, visant à ai<strong>de</strong>r l’être humain à<br />

sortir <strong>de</strong> son carcan <strong>de</strong> normes pour grandir <strong>dans</strong> son être.<br />

La pensée critique s’oppose à la fois au spectre angoissant <strong>de</strong> la pensée unique,<br />

mais également au nihilisme qui peut résulter du relativisme actuel. Utilisée <strong>de</strong><br />

200


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

manière cohérente, elle permet <strong>de</strong> réduire <strong>les</strong> erreurs <strong>de</strong> jugement en ouvrant la porte<br />

<strong>de</strong> la réflexion sur <strong>les</strong> possib<strong>les</strong>. La première étape a pour objet d’approfondir la<br />

compréhension <strong>de</strong> la situation. Il s’agit d’un questionnement personnel qui va<br />

permettre <strong>de</strong> saisir quels sont <strong>les</strong> éléments en présence qui ont une inci<strong>de</strong>nce<br />

potentielle sur la situation. Dans la question <strong>de</strong> l’engagement, il s’agit <strong>de</strong> comprendre<br />

quels sont <strong>les</strong> facteurs qui le favorisent ou le freinent. Le regard sur ses valeurs et ses<br />

motivations personnel<strong>les</strong>, mises en relation avec le contexte, permettent <strong>de</strong> prendre<br />

conscience <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> tension qui émergent.<br />

Suit alors une phase <strong>de</strong> mise en doute qui suppose <strong>de</strong> laisser <strong>de</strong> côté <strong>les</strong><br />

opinions toutes faites ainsi que nos expériences et sentiments. À la manière <strong>de</strong><br />

Descartes pour accé<strong>de</strong>r à la connaissance, il s’agit <strong>de</strong> douter en décomposant le<br />

problème à partir <strong>de</strong> son aspect le plus simple jusqu’au plus complexe. À ce moment-<br />

là, il est sain <strong>de</strong> douter <strong>de</strong> sa propre vision <strong>de</strong>s choses, <strong>de</strong> ses motivations… Cela ne<br />

signifie aucunement qu’el<strong>les</strong> soient erronées ou partiel<strong>les</strong>, mais l’étape <strong>de</strong> la<br />

réaffirmation argumentative va alors permettre <strong>de</strong> <strong>les</strong> vali<strong>de</strong>r pleinement. Lors <strong>de</strong> la<br />

troisième étape, en effet, on va se préoccuper <strong>de</strong> rechercher la validité <strong>de</strong> notre<br />

compréhension et <strong>de</strong> nos interprétations en interrogeant l’exhaustivité, la<br />

réplicabilité et le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> représentativité du phénomène (Perrenoud, 2006). C’est<br />

parce qu’il est engagé <strong>dans</strong> une lecture critique du mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> soi <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> et<br />

du mon<strong>de</strong> en soi que le praticien se doit d’être réflexif. Et s’il est appelé à<br />

transgresser ou contester <strong>les</strong> interdits, ce n’est pas par esprit <strong>de</strong> contradiction, mais<br />

parce que cela correspond à sa compréhension du mon<strong>de</strong> (Perrenoud, 2006).<br />

Cette posture <strong>de</strong> réflexion critique, qui accepte l’humilité d’une connaissance<br />

non absolue, permet <strong>de</strong> saisir <strong>les</strong> différents paramètres qui gravitent autour <strong>de</strong><br />

l’engagement personnel. Il y a certes la partie introspective qui examine à la fois la<br />

motivation, le sentiment <strong>de</strong> responsabilité et interroge, par la même occasion, <strong>les</strong><br />

valeurs qui fon<strong>de</strong>nt le positionnement éthique. Mais cette posture permet également<br />

<strong>de</strong> faire peser <strong>dans</strong> la balance <strong>les</strong> éléments du contexte qui influent sur cet<br />

engagement. La distanciation critique, que l’analyse par la pensée permet d’opérer,<br />

<strong>de</strong>vient le gage d’une certaine objectivité. Celle-ci à son tour octroie alors le droit<br />

d’exprimer <strong>de</strong>s limites à l’engagement <strong>de</strong> l’individu. Cette démarche s’inscrit <strong>dans</strong> le<br />

201


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

souci <strong>de</strong> soi tel que le conçoit Foucault, en mettant l’accent sur le processus que<br />

chacun est amené à entreprendre pour soi-même et pour la société. Le souci <strong>de</strong> soi,<br />

tout comme le « prendre soin » <strong>de</strong> l’Autre, suppose un rapport à la société : c’est le<br />

rapport <strong>de</strong> l’éthique au politique (Foucault, 1984).<br />

Une introspection systématique approfondie, et la réflexion sur le sens du<br />

travail et <strong>les</strong> valeurs en jeu, sont <strong>de</strong>s outils indispensab<strong>les</strong> à l’infirmière pour l’ai<strong>de</strong>r à<br />

ajuster son activité professionnelle quotidienne et favoriser ainsi son engagement<br />

(Vinje & Mittelmark, 2006). L’éthique a pour but <strong>de</strong> permettre à l’individu<br />

d’examiner ses valeurs propres et <strong>de</strong> vivre en accord avec <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> qu’il édicte<br />

comme siennes, tout comme l’éthique professionnelle lui permet <strong>de</strong> porter un regard<br />

sur ses valeurs professionnel<strong>les</strong>. L’engagement doit se manifester comme la<br />

conséquence agie <strong>de</strong> cette réflexion éthique.<br />

La discussion et la mise en mots constituent <strong>de</strong>s étapes clé <strong>dans</strong> la réflexion<br />

engagée. La conscientisation critique suppose l’instauration <strong>de</strong> ce rapport dialogique<br />

avec le mon<strong>de</strong> et l’expérience individuelle, qui, pour ne pas s’étioler, doit être mise<br />

en mots pour se parfaire (Malherbe, 2001). C’est <strong>dans</strong> le partage avec d’autres que<br />

l’expérience prend sens <strong>dans</strong> un important travail d’unification entre altérités<br />

diverses.<br />

Il va <strong>de</strong> soi que l’analyse du système <strong>de</strong> valeur est un passage incontournable<br />

<strong>dans</strong> cette réflexion personnelle sur l’engagement. En effet <strong>les</strong> valeurs sont ces pierres<br />

angulaires sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> se fon<strong>de</strong>nt notre vision du mon<strong>de</strong> et <strong>de</strong> l’agir que nous<br />

désirons opérer sur celui-ci. Les éléments constitutifs <strong>de</strong> l’engagement, que sont la<br />

motivation ou la responsabilité, sont dépendants du regard que nous posons sur<br />

l’Autre, la personne mala<strong>de</strong>, mais aussi <strong>de</strong> notre regard sur la profession et sur le<br />

soin. Or ces perceptions du réel sont, <strong>dans</strong> une large mesure, influencées par notre<br />

système <strong>de</strong> valeurs émanant <strong>de</strong> notre bagage socio-culturel, éducatif, <strong>de</strong> nos<br />

expériences et <strong>de</strong> nos connaissances. Conscientiser, puis discuter ces valeurs nous<br />

donne accès à une nouvelle forme d’objectivité, celle qui découle <strong>de</strong> l’enrichissement<br />

mutuel et pour lequel l’espace dialogique se révèle un tremplin formidable.<br />

Si nous soulignons ici l’importance du dialogue <strong>dans</strong> l’espace réflexif du<br />

202


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

professionnel, force est <strong>de</strong> constater malheureusement que notre société n’accor<strong>de</strong><br />

plus guère <strong>de</strong> temps à ce genre <strong>de</strong> discussion pourtant essentielle. Il n’en <strong>de</strong>meure<br />

pas moins que la discussion est porteuse, comme le défend Habermas, d’une éthique<br />

indispensable à notre réflexion et à la recherche <strong>de</strong> consensus au sein d’une même<br />

équipe.<br />

« (…) l’enjeu <strong>de</strong> cette éthique censée régir <strong>les</strong> pratiques<br />

d’argumentation, <strong>de</strong> discussion est <strong>de</strong> dégager <strong>les</strong> procédures <strong>de</strong><br />

règlement <strong>de</strong>s conflits moraux et mêmes politiques . » (Savadogo, 2008,<br />

p.39).<br />

La discussion se plie au principe d’universalisation qui permet <strong>de</strong> trouver <strong>les</strong><br />

arguments viab<strong>les</strong> pour l’ensemble <strong>de</strong>s interlocuteurs. Qui plus est, elle est le garant<br />

d’une certaine objectivité <strong>dans</strong> la qualité éthique <strong>de</strong>s choix effectués par un individu.<br />

« La délibérative collective est la démarche la plus adéquate pour<br />

apprécier <strong>les</strong> principes <strong>de</strong> l’action humaine, à partir du moment où il<br />

est tenu pour impossible qu’un individu soit capable <strong>de</strong> s’assurer seul,<br />

à travers une théorie arbitrairement élaborée, <strong>de</strong> la vérité <strong>de</strong> ses choix<br />

éthiques. » (Savadogo, 2008, p.78).<br />

Même si la discussion n’apporte pas d’éléments <strong>de</strong> réponse quant à la valeur<br />

intrinsèque <strong>de</strong>s choix effectués et fait preuve d’une gran<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>stie sur ce point, le<br />

consensus favorisé par cette coexistence langagière permet <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r certaines<br />

normes, acceptab<strong>les</strong> par toute la communauté concernée. Il est donc <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>voir<br />

<strong>de</strong> sensibiliser nos étudiants à cette démarche et <strong>de</strong> <strong>les</strong> former <strong>dans</strong> ce sens. L’enjeu<br />

est <strong>de</strong> taille, puisqu’il s’agira pour eux d’exprimer leurs opinions, <strong>de</strong> faire reconnaître<br />

leurs be<strong>soins</strong> et leurs ressources, <strong>de</strong> <strong>les</strong> argumenter, <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire valoir et <strong>de</strong> réfléchir<br />

collectivement aux stratégies qui pourraient encore être élaborées ou développées.<br />

Par ce biais, <strong>les</strong> étudiants seront à même <strong>de</strong> se positionner face à <strong>de</strong>s situations pour<br />

<strong>les</strong>quel<strong>les</strong> le manque <strong>de</strong> ressources ne permet plus <strong>de</strong> conserver une cohérence en<br />

adéquation avec <strong>les</strong> valeurs qui sont <strong>les</strong> leurs et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la profession. Cette prise <strong>de</strong><br />

203


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

position, dictée par la raison, sera synonyme d’engagement. Un engagement<br />

ponctuel, sans cesse à réinitier, mais essentiel pour l’i<strong>de</strong>ntité même du soignant.<br />

Par ailleurs, un autre rôle non moins essentiel <strong>de</strong> la discussion rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité collective. En effet, <strong>de</strong>s individus qui partagent le même métier et en font le<br />

sujet <strong>de</strong> leurs discussions contribuent à le faire avancer et à développer leur i<strong>de</strong>ntité<br />

collective en tant que corps professionnel (Clot, 2006). Très souvent <strong>les</strong> soignants<br />

expriment le sentiment <strong>de</strong> ne pas faire du « bon boulot », <strong>de</strong> toujours « parer au plus<br />

pressé » et cela constitue l’une <strong>de</strong>s principa<strong>les</strong> sources d’insatisfaction et <strong>de</strong><br />

frustration <strong>dans</strong> l’exercice professionnel (De Bouvet & Sauvaige, 2005). La frustration<br />

qui découle <strong>de</strong> l'impossibilité <strong>de</strong> mettre en œuvre sa posture axiologique, c'est-à-dire<br />

d'agir selon <strong>les</strong> valeurs qui sont <strong>les</strong> siennes et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la profession, engendre un<br />

manque <strong>de</strong> cohérence et une perte <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> l'activité. L’engagement, qu’il soit<br />

professionnel ou non, se traduit <strong>dans</strong> <strong>les</strong> actes <strong>les</strong> plus anecdotiques, tel que la<br />

discussion, la pensée ou l’action. Il se veut uni à la parole qui, elle, donne sens au<br />

discours. Ce n’est que s’il est en cohérence avec <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> l’individu que cet<br />

engagement prend réellement son sens pour l’individu. À défaut <strong>de</strong> cette cohérence,<br />

la perte <strong>de</strong> sens porte atteinte à l’engagement, « ultime support qui procure un<br />

sens à l’existence <strong>dans</strong> son ensemble (…) » (Savadogo, 2008, p.60). Par-là, c’est<br />

l’existence entière qui repose sur un engagement qui lui donne son sens et la<br />

structure.<br />

Il s’ensuit un sentiment <strong>de</strong> malaise, qui finit par induire un découragement et se<br />

traduit parfois par un épuisement, un abandon ou le repli <strong>dans</strong> une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

lassitu<strong>de</strong> teintée d’indifférence, c’est-à-dire une attitu<strong>de</strong> <strong>dans</strong> laquelle l’individu est<br />

présent mais « fermé à la reconnaissance <strong>de</strong> l’autre pour lui -même » (Honoré,<br />

2003, p.70.). Il s’abandonne passivement aux aléas <strong>de</strong>s circonstances et tente <strong>de</strong><br />

s’adapter au mieux aux sollicitations du moment. Des soignants épuisés par ce<br />

far<strong>de</strong>au du sacerdoce professionnel implicitement attendu peuvent être tentés <strong>de</strong> se<br />

réfugier <strong>dans</strong> cette armure protectrice qu’est l’indifférence. L’espace dialogique<br />

permet <strong>de</strong> conserver ce sens et <strong>de</strong>vient une arme <strong>de</strong> choix contre l’emmurement <strong>dans</strong><br />

l’indifférence.<br />

Le mouvement réflexif actuel, que certains auteurs n’hésitent pas à targuer<br />

204


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

d’« inflation réflexive », ne doit pas se confondre avec un scepticisme outrancier, ni<br />

<strong>de</strong>venir prescriptif ou idéologique. Le rationalisme instrumental tend à faire <strong>de</strong> la<br />

réflexivité une injonction visant l’efficience, l’efficacité et la productivité accrues<br />

(Demailly, 2008). Ce faisant, le risque est grand <strong>de</strong> faire peser sur l’individu la<br />

responsabilité <strong>de</strong> ce qui dysfonctionne, et <strong>de</strong> transformer le processus d’auto-<br />

évaluation en processus d’auto-sanction. En restant <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s bouc<strong>les</strong> fermées tel<strong>les</strong><br />

que peuvent l’être certaines démarches <strong>de</strong> réflexivité, l’individu est appelé à se<br />

remettre en question, mais ceci <strong>dans</strong> un circuit relativement fermé où tout<br />

changement, et donc toute réussite ou échec, dépen<strong>de</strong>nt finalement <strong>de</strong> lui.<br />

Ces démarches constituent une entrave évi<strong>de</strong>nte à l’engagement. La réflexivité<br />

doit bien plus s’entendre au sens d’un jugement pru<strong>de</strong>ntiel comme Aristote l’entend,<br />

c’est-à-dire un jugement ouvert sur <strong>les</strong> possib<strong>les</strong>, qui tâtonne, se cherche et réfléchit<br />

en prenant en compte tous <strong>les</strong> facteurs qui contribuent à faire <strong>de</strong> la situation ce<br />

qu’elle est. Cette réflexion, si elle s’éloigne un temps du sujet propre qui la produit,<br />

pour faire dialoguer l’ensemble <strong>de</strong>s éléments qui caractérisent la situation, permet<br />

ainsi <strong>de</strong> se détacher <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses limites pour s’ouvrir à <strong>de</strong>s influences extérieures,<br />

et en particulier, à la recherche <strong>de</strong> ressources externes. Elle permet <strong>de</strong> joindre <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux processus, celui <strong>de</strong> l’individuation qui conduit à une autonomie et une<br />

responsabilité plus importantes, et celui <strong>de</strong> la socialisation qui conduit à la<br />

construction et à la consolidation du lien social en vue <strong>de</strong> l’action collective.<br />

En résumé, le but <strong>de</strong> la réflexion est <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres. D’une part, ces processus<br />

se révèlent une ai<strong>de</strong> précieuse pour <strong>les</strong> infirmières <strong>dans</strong> l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s<br />

conditions <strong>de</strong> travail qui stimulent leur motivation et donnent une cohérence à leur<br />

activité. Et, d’autre part, ils ouvrent par là-même la porte au changement, permettant<br />

aux infirmières d’apporter <strong>de</strong>s modifications à leur situation pour maintenir un sens,<br />

et éviter la fatigue et l’épuisement. Les ressources internes peuvent ainsi être<br />

engagées <strong>de</strong> façon très active et adaptée, constituant un levier possible pour modifier<br />

l’environnement ou l’emprise sur celui-ci (Vinje & Mittelmark, 2006).<br />

205


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

9.2 Du rôle moteur <strong>de</strong>s ressources<br />

Face aux difficultés imposées par le contexte économique présent, et compte<br />

tenu du peu d’influence réellement possible sur ces contingences extérieures, certains<br />

chercheurs ont axé leur réflexion sur l’engagement, en reliant ce concept à la notion<br />

<strong>de</strong> ressource. De par cette ouverture, il est possible <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong><br />

ressources liées à l’emploi lui-même, ainsi que <strong>les</strong> ressources personnel<strong>les</strong> et socia<strong>les</strong>.<br />

Toutes ces ressources constituent <strong>de</strong>s éléments clé <strong>de</strong> l’engagement professionnel<br />

(Hobfoll & Buchwald, 2004).<br />

Les ressources diminuent l’impact <strong>de</strong>s exigences liées à la tâche, el<strong>les</strong><br />

permettent l’atteinte <strong>de</strong>s objectifs, stimulent la croissance personnelle,<br />

l’apprentissage et le développement. El<strong>les</strong> recèlent un potentiel motivationnel face<br />

aux exigences. Par ailleurs, il semble que <strong>les</strong> personnes engagées présentent <strong>de</strong>s<br />

différences caractéristiques au niveau personnel. El<strong>les</strong> sont plus extraverties et plus<br />

conscientes <strong>de</strong> leurs ressources. El<strong>les</strong> possè<strong>de</strong>nt davantage <strong>de</strong> ressources<br />

personnel<strong>les</strong> parmi <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> l’optimisme, une bonne estime <strong>de</strong> soi, une capacité <strong>de</strong><br />

résilience et <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> coping efficaces. Ces ressources, à leur tour, permettent<br />

aux personnes engagées <strong>de</strong> contrôler et d’agir sur leur environnement <strong>de</strong> façon<br />

positive (Bakker & Demerouti, 2007).<br />

Des personnes très engagées ont le désir <strong>de</strong> bien-faire. Or, si <strong>les</strong> ressources<br />

viennent à manquer et que cet idéal ne peut être atteint, ces personnes seront aussi<br />

sans doute plus rapi<strong>de</strong>ment démotivées et découragées (Britt, 2003). Plusieurs étu<strong>de</strong>s<br />

ont en effet démontré que le soutien social <strong>de</strong>s collègues et <strong>de</strong>s supérieurs,<br />

l’évaluation positive, la mise en valeur <strong>de</strong>s compétences, l’autonomie, <strong>les</strong> possibilités<br />

<strong>de</strong> formation, sont reliées positivement à l’engagement professionnel (Bakker &<br />

Demerouti, 2007). Les ressources professionnel<strong>les</strong> sont en lien avec <strong>les</strong> aspects<br />

physiques, sociaux et organisationnels <strong>de</strong> l’activité, tels que :<br />

réduction <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong> travail et <strong>de</strong>s coûts physiologiques et<br />

psychologiques qui lui sont associés,<br />

efficacité à l’atteinte <strong>de</strong>s buts professionnels,<br />

206


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

stimulation <strong>de</strong> la croissance personnelle, <strong>de</strong> la formation et du développement.<br />

Les ressources professionnel<strong>les</strong> jouent un rôle motivationnel intrinsèque,<br />

favorisant la croissance et le développement personnels, ainsi qu’un rôle<br />

motivationnel extrinsèque puisque <strong>les</strong> ressources offertes par l’environnement <strong>de</strong><br />

travail, souvent instrumentalisées, encouragent l’individu à s’engager <strong>dans</strong> le but<br />

d’atteindre <strong>les</strong> objectifs du travail (Bakker & Demerouti, 2008). Selon la théorie <strong>de</strong>s<br />

ressources <strong>de</strong> Hobfoll (2004), <strong>les</strong> individus cherchent à obtenir, retenir et protéger ce<br />

qui a <strong>de</strong> la valeur à leurs yeux, c’est-à-dire leurs ressources. Les individus doivent<br />

pourvoir eux-mêmes à certaines ressources pour compenser <strong>de</strong>s éventuel<strong>les</strong> pertes.<br />

Ce chercheur a mis en évi<strong>de</strong>nce le fait que <strong>les</strong> individus disposant d’un bagage <strong>de</strong><br />

ressources plus important sont moins susceptib<strong>les</strong> d’en perdre, alors que ceux qui<br />

n’ont pas accès à une gran<strong>de</strong> réserve <strong>de</strong> ressources pourront encore être<br />

désavantagés par <strong>de</strong>s pertes plus importantes. Par ailleurs, <strong>de</strong>s réserves importantes<br />

en ressources vont permettre aux individus <strong>de</strong> prendre plus <strong>de</strong> risques afin <strong>de</strong><br />

gagner d’autres moyens. Étant donné que le potentiel <strong>de</strong> ressources s’avère<br />

particulièrement important lorsqu’il y a une perte <strong>de</strong> cel<strong>les</strong>-ci, le potentiel<br />

motivationnel relié à ces ressources est donc d’autant plus stimulé que <strong>les</strong> exigences<br />

professionnel<strong>les</strong> sont élevées. El<strong>les</strong> ai<strong>de</strong>nt alors à l’accomplissement. Une étu<strong>de</strong><br />

réalisée auprès d’enseignants finnois <strong>de</strong>s éco<strong>les</strong> élémentaires, secondaires et<br />

techniques rapporte que <strong>les</strong> ressources professionnel<strong>les</strong> agissent comme <strong>de</strong>s<br />

stimulateurs et diminuent <strong>les</strong> relations négatives entre le mauvais comportement <strong>de</strong>s<br />

élèves, représentant un aspect exigeant du travail, et l’engagement professionnel. Par<br />

ailleurs, il a été démontré par cette étu<strong>de</strong> que <strong>les</strong> ressources influencent<br />

particulièrement l’engagement professionnel lorsque <strong>les</strong> enseignants sont confrontés<br />

à <strong>de</strong> graves problèmes <strong>de</strong> comportements inadéquats <strong>de</strong>s élèves (Bakker, 2007). De<br />

nombreuses recherches ont souligné ce lien étroit entre <strong>les</strong> ressources et<br />

l’engagement (Xanthopoulou, 2007 ; Rothmann & Storn, 2003 ; Mauno, Kinnunen &<br />

Ruokolainen, 2007). Luthans (2008) a mis en évi<strong>de</strong>nce que la résilience constitue une<br />

réserve <strong>de</strong> moyens personnels importante qui facilite l’engagement professionnel, en<br />

permettant à l’individu <strong>de</strong> mieux pouvoir agir sur son environnement et ses<br />

évolutions.<br />

207


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Mais, là encore, il faut être vigilant et ne pas succomber à la tentation <strong>de</strong><br />

n’envisager <strong>les</strong> ressources que sous l’angle d’un dynamisme propice à l’engagement.<br />

Dans ce cas, l’individu serait à nouveau l’acteur principal et sa dotation en moyens et<br />

capacités lui incomberait pleinement. Ce serait passer sous silence l’impact du<br />

contexte. Face à ce <strong>de</strong>rnier, une <strong>de</strong>s ressources majeures rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la prise <strong>de</strong><br />

position.<br />

9.3 Défendre un positionnement<br />

La prise <strong>de</strong> position s’inscrivant <strong>dans</strong> un collectif, c’est à nouveau le rôle du<br />

dialogue qui est mis en avant. C’est <strong>dans</strong> le dialogue, la « dispute », le débat, que<br />

s’effectue la mise en perspective renouvelant le sens collectif que produisent <strong>les</strong><br />

perspectives individuel<strong>les</strong> (Honoré, 2003). C’est l’action <strong>de</strong> chacun et sa<br />

détermination à faire évoluer la profession qui aura un impact sur le collectif <strong>de</strong>s<br />

soignants. Ensemble, ils peuvent s’accor<strong>de</strong>r autour <strong>de</strong>s finalités <strong>de</strong> leurs actes, <strong>les</strong><br />

hiérarchiser et mettre en place <strong>de</strong>s projets correspondant à leur vision <strong>de</strong> la<br />

profession. Une compréhension claire, définie et partagée <strong>de</strong> la profession est<br />

d’autant plus essentielle que <strong>les</strong> soignants sont appelés à travailler <strong>dans</strong> une<br />

interdisciplinarité <strong>de</strong> plus en plus vaste. Or, soucieux ne pas voir certaines <strong>de</strong> leurs<br />

pratiques « phagocytées » par d’autres disciplines et ne pas craindre cette proximité,<br />

<strong>les</strong> soignants doivent savoir prendre position pour défendre <strong>de</strong>s postures<br />

axiologiques et un idéal du soin.<br />

Devant le refus d’exercer un jugement et <strong>de</strong> prendre position, ou l’obéissance à<br />

ce qui semble constituer une interdiction <strong>dans</strong> ce sens, le risque est grand <strong>de</strong> voir<br />

l’arbitraire prendre le <strong>de</strong>ssus et se doubler d’une inflation normative qui imposera au<br />

soignant <strong>de</strong> se couler <strong>dans</strong> un moule sans doute peu conforme à ses aspirations. Or,<br />

« ne pas <strong>de</strong>venir ce que nous ne sommes pas, ne serait -ce pas opposer à<br />

l’interdit <strong>de</strong> penser la plus judicieuse <strong>de</strong>s résistances ? » (Malherbe, 2001, p.85).<br />

Une éthique réellement efficace se doit <strong>de</strong> déjouer ce qui veut nous interdire <strong>de</strong><br />

penser et d’exprimer notre pensée. C’est ici que commence l’engagement :<br />

engagement pour le droit <strong>de</strong> penser et <strong>de</strong> s’exprimer selon notre conscience, afin <strong>de</strong><br />

208


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

ne pas être purement et simplement objectifiés <strong>dans</strong> une réduction ontologique<br />

dramatique ! N’oublions pas que « L’être humain est appelé à être sujet <strong>de</strong> son<br />

existence et non objet <strong>de</strong>s circonstances . » (Malherbe, 2001, p.124).<br />

9.4 L’engagement, dynamique pour l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle<br />

Face aux conditions <strong>de</strong> travail actuel<strong>les</strong> et aux risques mentionnés<br />

précé<strong>de</strong>mment, il est important <strong>de</strong> promouvoir l’engagement <strong>de</strong>s infirmières <strong>de</strong><br />

façon appropriée. Il s’agit avant tout <strong>de</strong> <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à avoir confiance en el<strong>les</strong>, et à<br />

développer une pratique argumentée, faisant l’objet <strong>de</strong> dialogues entre pairs et<br />

soucieuses d’assumer leur pleine responsabilité <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites qui leur sont<br />

imposées par le contexte.<br />

Si l’on prend en considération l’exigence d’autonomie telle que la notion est<br />

comprise à l’heure actuelle <strong>dans</strong> la profession soignante, on ne saurait se limiter à<br />

l’exercice <strong>de</strong> compétences réflexives même si, comme nous l’avons vu, il est<br />

fondamental d’envisager un accroissement <strong>de</strong> nos capacités critiques. Mais il y a lieu<br />

<strong>de</strong> penser, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette dimension réflexive, un<br />

« processus d’auto-transformation <strong>de</strong> l’action sociale [ qui ] suppose<br />

d’une part une transformation du moi socialisé [ <strong>de</strong> ses compétences<br />

critiques, <strong>de</strong> son image <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses propres structures affective s ] et,<br />

d’autre part, un ensemble d’efforts orientés vers la transformation <strong>de</strong>s<br />

formes <strong>de</strong> connaissance du contexte social et <strong>de</strong>s institutions qui le<br />

structurent. » (Geay, 2009, p.265).<br />

Le combat <strong>de</strong>s infirmières doit se mener sur tous <strong>les</strong> éléments qui, d’une<br />

manière ou d’une autre, viennent constituer une entrave au plein développement <strong>de</strong><br />

leur autonomie réflexive et <strong>de</strong> leurs actions, <strong>dans</strong> le champ <strong>de</strong> leurs compétences<br />

professionnel<strong>les</strong>. Le développement <strong>de</strong> leur confiance en soi est la porte d’entrée<br />

permettant aux infirmières, <strong>dans</strong> leur composante subjective tout comme politique,<br />

<strong>de</strong> s’autoriser à faire valoir leurs expériences, à oser <strong>les</strong> décrire pour en démontrer le<br />

209


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

savoir qui leur est lié. Ce savoir représente la force argumentative, négociée <strong>dans</strong> le<br />

débat collectif, qui permet d’assumer un positionnement, et par là-même, <strong>de</strong><br />

façonner et d’affirmer une i<strong>de</strong>ntité professionnelle aux contours jusque-là encore<br />

assez flous.<br />

210


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

CHAPITRE 10 : DU PROBLÈME À LA THÈSE<br />

Le travail effectué <strong>dans</strong> la première partie <strong>de</strong> la thèse a permis <strong>de</strong> poser <strong>les</strong><br />

éléments du contexte <strong>dans</strong> lequel se développe le rôle professionnel infirmier et ses<br />

enjeux sur un plan éthique, ce sous plusieurs ang<strong>les</strong> :<br />

le contexte <strong>de</strong> <strong>soins</strong> actuel est source <strong>de</strong> certaines difficultés pour <strong>les</strong> soignants<br />

qui s'engagent ;<br />

<strong>les</strong> recherches sur ce sujet ne sont apparues que tard et nécessitent encore <strong>de</strong>s<br />

développements (Schaufeli, 2005) ;<br />

la profession est marquée par un passé encore très prégnant où l’engagement<br />

allait <strong>de</strong> soi comme don naturel <strong>de</strong> sa personne au service <strong>de</strong>s autres ;<br />

l’engagement est une notion centrale <strong>dans</strong> un domaine professionnel comme<br />

celui <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> où la relation humaine constitue la pierre angulaire<br />

du travail réalisé ;<br />

la notion d’engagement est complexe <strong>dans</strong> sa transmission et présente un<br />

intérêt pédagogique particulier, transférable à d’autres domaines que celui <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong> ;<br />

l’engagement constitue une catégorie <strong>de</strong> la première compétence du référentiel<br />

européen (Annexe 6), mais pose problème <strong>dans</strong> la mesure où aucun critère ne<br />

permet <strong>de</strong> l’évaluer concrètement.<br />

Une réflexion globale sur l’apport <strong>de</strong> ce balayage <strong>de</strong> la littérature nous ai<strong>de</strong>ra à<br />

replacer le sujet <strong>dans</strong> notre visée <strong>de</strong> recherche.<br />

211


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Il conviendra ensuite <strong>de</strong> définir plus précisément quel va être l’objet <strong>de</strong> la<br />

recherche, d’en rappeler <strong>les</strong> objectifs et d’indiquer <strong>les</strong> moyens mis en œuvre pour<br />

tenter d’y répondre.<br />

À cet effet, un regard plus synthétique sur la problématique permettra <strong>de</strong><br />

mieux préciser l’objet <strong>de</strong> la recherche ainsi que <strong>les</strong> hypothèses formulées.<br />

10.1 L’éclairage apporté par le cadre <strong>de</strong> référence<br />

On le voit, la question <strong>de</strong> l’engagement n’est déjà pas simple en soi, mais elle<br />

<strong>de</strong>vient réellement complexe lorsque l’on évoque le champ <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, ainsi<br />

que <strong>les</strong> contraintes et contingences auxquel<strong>les</strong> celui-ci fait face <strong>de</strong>puis quelques<br />

années.<br />

Parler d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong>vient alors une évi<strong>de</strong>nce. En effet, si,<br />

comme nous l’avons vu, l’engagement se veut inscrit <strong>dans</strong> une dimension <strong>de</strong> sens<br />

donnée à l’existence, et inscrit <strong>dans</strong> une action concrète au cœur même <strong>de</strong> cette<br />

existence et <strong>de</strong> la société, alors la question du choix et <strong>de</strong>s valeurs qui le portent est<br />

absolument essentielle. « Il ne s’agit pas <strong>de</strong> dénoncer le manquement aux<br />

valeurs proclamées, mais <strong>de</strong> situer une démarche critique <strong>dans</strong> un contexte<br />

donné <strong>de</strong> l’engagement » (Fritsch, 2000, p.96) pour chercher, au cœur d’un<br />

processus collectif, comment dépasser ce manquement <strong>dans</strong> une perspective<br />

d’engagement futur qui fasse sens pour <strong>les</strong> soignants, leur profession, mais<br />

également pour le Bien <strong>de</strong> la société <strong>dans</strong> son ensemble.<br />

Si tant est qu’il existe <strong>de</strong>s champs professionnels <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels l’engagement ne<br />

serait qu’une option, nul doute que celui <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> lui soit totalement<br />

étranger. Bien à l’inverse d’un caractère optionnel, c’est une dimension d’absolue<br />

nécessité qui accompagne l’engagement <strong>dans</strong> l’activité professionnelle du soignant.<br />

En effet, l’engagement est déjà, sur un plan très factuel, le gage d’un agir<br />

responsable, (Svandra, 2006) et se veut donc garant <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s prestations<br />

fournies par le professionnel.<br />

Mais l’engagement est loin <strong>de</strong> n’avoir d’implications que sur ce seul plan<br />

externe. Il implique, bien au contraire, le professionnel <strong>dans</strong> son entier, investissant<br />

212


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

comme nous l’avons vu ses sentiments, sa raison et sa conscience du <strong>de</strong>voir. En<br />

constante interaction, ces trois sphères dynamiques contribuent à donner du sens<br />

pour la personne, <strong>dans</strong> son action, et au-<strong>de</strong>là même <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité. Ainsi,<br />

l’engagement professionnel forge l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, et en favorisant<br />

l’autonomie, la mise en œuvre <strong>de</strong> compétences, la responsabilité ainsi que le lien<br />

social, il a également <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces sur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle (Tap, 2003). Il est, selon<br />

Savadogo, ce qui donne sens à l’existence elle-même (Savadogo, 2008).<br />

Or ce sens, à son tour, génère la motivation qui suscite l’engagement comme<br />

mise en œuvre <strong>de</strong> ce qui nous est cher, <strong>de</strong> ce que nous estimons et où nos valeurs<br />

prennent leur pleine expression. L’engagement <strong>de</strong>vient ainsi une véritable source<br />

d’épanouissement, capable <strong>de</strong> faire émerger <strong>de</strong>s ressources insoupçonnées.<br />

En ce sens, il se veut une dynamique capable d’agir sur le futur, <strong>de</strong> promouvoir<br />

le changement, et a ainsi une influence évi<strong>de</strong>nte sur le professionnel mais aussi sur<br />

son i<strong>de</strong>ntité et sa motivation à s’investir <strong>dans</strong> la profession.<br />

Face aux difficultés actuel<strong>les</strong> rencontrées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> milieux professionnels, nous<br />

sommes convaincus qu’un travail spécifique sur la notion d’engagement, une<br />

conscientisation <strong>de</strong> son importance et <strong>de</strong> ses conséquences, ainsi qu’un<br />

accompagnement à la réflexion permettant <strong>de</strong> soutenir un engagement réfléchi,<br />

distancé et positionné, constitue l’une <strong>de</strong>s pièces maîtresses vers la construction<br />

d’une motivation et d’un engagement pérenne <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> une profession<br />

choisie au départ, en gran<strong>de</strong> majorité, avec une volonté forte <strong>de</strong> s’y investir<br />

pleinement.<br />

Ce cadre <strong>de</strong> référence nous a permis d’obtenir une compréhension plus fine du<br />

concept d’engagement et <strong>de</strong> pouvoir penser celui-ci <strong>dans</strong> le déroulement <strong>de</strong> la<br />

formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

10.2 Problématique actuelle et pertinence <strong>de</strong> la recherche<br />

La profession soignante <strong>de</strong>meure, <strong>de</strong> par son histoire déjà, une profession qui<br />

nécessite un engagement. On entendra par personne engagée, celle qui est motivée<br />

par son activité, motivée à relever <strong>de</strong>s défis, à s’engager pour son institution, ainsi<br />

que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> relations avec <strong>les</strong> patients et <strong>les</strong> pairs. Elle est mue par un attachement<br />

213


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

qui se fon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>s intérêts et valeurs communs au lieu d’exercice (Brown, 1996).<br />

Même si tout être humain se situe sur un continuum entre la distanciation et<br />

l’engagement (Elias, 1993), il n’en reste pas moins que, sur ce continuum, le<br />

professionnel <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> occupe une position largement orientée vers le second pôle.<br />

Son implication est circonscrite au cœur même <strong>de</strong> son activité <strong>de</strong> soignant, <strong>dans</strong> sa<br />

rencontre avec le soigné, <strong>dans</strong> sa confrontation à <strong>de</strong>s situations émotionnellement<br />

lour<strong>de</strong>s à gérer, à la pénibilité physique et psychique du travail et à <strong>de</strong>s prises en<br />

charge très complexes qui mobilisent toutes ses facultés (Dallaire, 2008).<br />

Mais c’est avant tout parce que le soin trouve son incarnation <strong>dans</strong> un rapport<br />

d’altérité, et plus particulièrement d’une altérité dissymétrique, que l’engagement<br />

<strong>dans</strong> sa dimension éthique prend son véritable sens.<br />

En effet, par sa seule présence, l’Autre nous oblige à nous engager et nous<br />

assigne à responsabilité (Lévinas, 1991). À combien plus forte raison cette<br />

responsabilité revêt-elle toute sa raison d’être, alors que le soignant fait face à la<br />

vulnérabilité du patient (Svandra, 2004).<br />

Dans la formation, cet engagement semble aller <strong>de</strong> soi. De manière plus ou<br />

moins explicite, <strong>les</strong> compétences mises en œuvre <strong>dans</strong> le processus <strong>de</strong><br />

professionnalisation visent à faire acquérir à l’étudiante une posture et une i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle engagées, au service du patient et <strong>de</strong> la profession (Marchal & Psiuk,<br />

2002). Des aspects spécifiques au rôle professionnel, tels que le rôle propre, le<br />

jugement clinique, le rôle médico-délégué…, font l’objet d’une attention particulière<br />

durant la formation. Or, même si ces aspects s’inscrivent <strong>dans</strong> une logique<br />

d’engagement, l’examen du programme d’étu<strong>de</strong>s commun à toutes <strong>les</strong> Hautes Éco<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong> Santé en Suisse roman<strong>de</strong> n’inclut pas d’apports spécifiques sur ce thème (PEC<br />

2008, HES-SO). Cette réalité est d’autant plus paradoxale que la notion d’engagement<br />

fait partie <strong>de</strong> la toute première compétence du référentiel européen (Annexe 6),<br />

document servant à l’évaluation <strong>de</strong>s étudiantes. Cette compétence qui s’intitule<br />

« S’engager <strong>dans</strong> un développement professionnel, être acteur <strong>de</strong> sa formation,<br />

adopter une attitu<strong>de</strong> réflexive et éthique afin <strong>de</strong> promouvoir la qualité <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong> », comprend plusieurs indicateurs dont le sixième et <strong>de</strong>rnier s’intitule à<br />

nouveau « s’engager <strong>dans</strong> un développement professionnel ». Cependant aucune<br />

précision n’est donnée quant à la manière d’évaluer ce critère. Pour certains<br />

214


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

enseignants, il y a là un problème majeur <strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong> étudiantes doivent<br />

être évaluées sur une notion dont <strong>les</strong> critères et <strong>les</strong> indicateurs sont absents. Le flou<br />

règne et le malaise se ressent tant chez <strong>les</strong> étudiantes que chez <strong>les</strong> formateurs et<br />

formatrices (Sonon, 2010).<br />

Ce malaise est sans doute exacerbé encore par <strong>les</strong> différents champs <strong>de</strong> tensions<br />

que l’étudiante est amenée à gérer dès le début <strong>de</strong> sa formation :<br />

l’histoire <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et la place <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> cette histoire. L’étudiante est<br />

invitée à développer un rôle autonome, à le revendiquer, alors même qu’il<br />

n’est pas toujours reconnu par l’institution, ni même très affirmé par <strong>les</strong><br />

professionnels eux-mêmes parfois ;<br />

l’idéal <strong>de</strong> la prise en charge holistique et sa collision avec un contexte <strong>de</strong><br />

réduction <strong>de</strong>s budgets entraînant la rationalisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> par mesure<br />

d’efficience ;<br />

une évolution <strong>de</strong>s mentalités marquée par l’individualisme ambiant et un<br />

rapport aux autres « prioritairement individualiste et pragmatique »<br />

(Bobineau, 2010b, p.37). Le désengagement social et la dévalorisation du lien,<br />

en particulier communautaire, sont <strong>les</strong> héritiers <strong>de</strong> cet individualisme, qui fait<br />

que l’individu <strong>de</strong>vient sa propre mesure et « se gar<strong>de</strong> d’appartenir » (Gauchet,<br />

2002, p.273). Paradoxe important pour l’étudiante dont on attend un<br />

comportement altruiste, engagé <strong>dans</strong> la relation et soucieux <strong>de</strong> s’inscrire <strong>dans</strong><br />

le collectif interdisciplinaire <strong>de</strong>s professionnels.<br />

Ces phénomènes s’inscrivent <strong>dans</strong> un contexte plus vaste <strong>de</strong> modification <strong>de</strong>s<br />

conditions <strong>de</strong> travail qui trouve son origine <strong>dans</strong> <strong>les</strong> difficultés économiques<br />

actuel<strong>les</strong>. Ces <strong>de</strong>rnières ont conduit l’hôpital à passer d’une logique <strong>de</strong> besoin à une<br />

logique <strong>de</strong> moyens, <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong> réduire <strong>les</strong> coûts à la manière d’une entreprise<br />

(Halbesleben, 2008).<br />

Cette maîtrise <strong>de</strong>s coûts passe par la réduction <strong>de</strong>s effectifs, mais fait également<br />

émerger <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> formes <strong>de</strong> management et <strong>de</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion qui<br />

ne sont pas sans conséquences sur l’organisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> : fragmentation du travail<br />

selon la logique taylorienne (alors que la prise en charge holistique voudrait qu’une<br />

215


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

même infirmière s’occupe <strong>de</strong> son patient <strong>de</strong>puis sa prise <strong>de</strong> service jusqu’à son<br />

départ), multiplication <strong>de</strong>s procédures inhérentes à la démarche qualité et<br />

augmentation <strong>de</strong> la charge administrative, incitation à une plus gran<strong>de</strong><br />

responsabilisation <strong>de</strong>s acteurs, en particulier <strong>de</strong>s cadres, avec pour conséquence<br />

l’augmentation <strong>de</strong> la souffrance au travail… (Dejours, 2009 ; Douguet, Muňoz &<br />

Leboul, 2005).<br />

Ces paradoxes expliquent sans doute l’écart important entre l’idéal <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> tel<br />

que professé <strong>dans</strong> nos éco<strong>les</strong> et l’action infirmière livrée aux contingences <strong>de</strong> la<br />

pratique. Lors <strong>de</strong> travaux précé<strong>de</strong>nts, nous avons pu constater la difficulté <strong>de</strong>s<br />

étudiantes, par ailleurs fort bien intentionnées, à intégrer leurs connaissances en<br />

éthique <strong>dans</strong> un engagement concret au cœur <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin. De la même<br />

façon, en interrogeant <strong>les</strong> enseignants <strong>de</strong>s éco<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong> et <strong>les</strong> praticiens formateurs<br />

sur leur manière d’envisager la prise en charge, force est <strong>de</strong> constater que, si tous<br />

partagent le désir d’offrir un soin <strong>de</strong> qualité, soucieux <strong>de</strong> l’humain et <strong>de</strong> son <strong>de</strong>venir,<br />

<strong>de</strong>s différences importantes se font jour quant à la manière <strong>de</strong> concevoir<br />

l’engagement au service du soin et du patient. C’est la dimension éthique <strong>de</strong><br />

l’engagement qui est ici directement concernée. Ces divergences s’expliquent, en<br />

majeure partie, par <strong>les</strong> réalités très différentes que vivent enseignants et praticiens,<br />

ces <strong>de</strong>rniers étant souvent frustrés voire désabusés face aux contraintes<br />

institutionnel<strong>les</strong> qui ren<strong>de</strong>nt leur idéal <strong>de</strong> soin incompatible avec <strong>les</strong> conditions<br />

d’exercice (De Bouvet & Sauvaige, 2005). À l’engagement se substitue alors parfois<br />

une indifférence, que l’on ne saurait concevoir comme une insensibilité à l’Autre,<br />

mais qui résulte bien davantage d’ « un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> réponse à <strong>de</strong>s risques encourus »<br />

(Giraud, 2003, p.128), c’est-à-dire d’un moyen <strong>de</strong> protection contre une réalité<br />

menaçante.<br />

C’est au travers <strong>de</strong> ces difficultés que l’étudiante doit se construire une posture<br />

d’engagement, et celle-ci n’est pas sans enjeux.<br />

En effet il y a <strong>de</strong>s enjeux évi<strong>de</strong>nts en termes <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> prestations <strong>de</strong> soin<br />

ainsi que <strong>de</strong> satisfaction et motivation au travail. Mais il y a également <strong>de</strong>s enjeux<br />

non moins cruciaux du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la construction i<strong>de</strong>ntitaire, à la fois<br />

personnelle et professionnelle, <strong>de</strong> l’étudiante. L’engagement, <strong>dans</strong> sa dimension<br />

216


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

éthique <strong>de</strong> rapport à l’Autre, a un impact direct sur l’i<strong>de</strong>ntité (Ricœur, 1990).<br />

La centralité <strong>de</strong> ce concept apparaît donc d’une importance essentielle pour la<br />

discipline <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, tout particulièrement <strong>dans</strong> sa dimension éthique<br />

interrogeant <strong>les</strong> valeurs mises en jeu <strong>dans</strong> l’engagement ainsi que <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> celui-<br />

ci. Or, si Rameix (1996) nous invite à une étu<strong>de</strong> rationnelle <strong>de</strong>s valeurs pour le<br />

développement <strong>de</strong> la pensée éthique, Bobineau affirme à son tour son caractère<br />

primordial face au phénomène <strong>de</strong> ce qu’il nomme une « effervescence axiologique »<br />

(Bobineau, 2010a, p.50), soulignant par-là la prolifération <strong>de</strong> valeurs différentes <strong>dans</strong><br />

une société marquée par <strong>les</strong> échanges nationaux, internationaux, mais également par<br />

le relativisme ambiant qui ouvre la porte à cette multiplicité <strong>de</strong> valeurs sans en<br />

favoriser la hiérarchisation. Autrefois, <strong>dans</strong> la pratique, l’étudiante s’immergeait<br />

implicitement <strong>dans</strong> un corpus clair <strong>de</strong> valeurs-clés. Aujourd’hui, elle doit se<br />

construire son propre système <strong>de</strong> valeurs, c’est-à-dire faire le tri <strong>dans</strong> cette profusion<br />

<strong>de</strong> valeurs « sans toujours avoir connaissance <strong>de</strong>s tenants et aboutiss ants <strong>de</strong><br />

ses choix » (Bobineau, 2010a, p.50). Ces choix, cependant, <strong>de</strong>vraient être réfléchis et<br />

se baser sur une pensée critique pour « se concrétiser <strong>dans</strong> l’action et manifester<br />

par là le sens <strong>de</strong> la responsabilité » (Gohier, 2007, p.12).<br />

Cette pensée critique doit aller au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la cohérence interne <strong>de</strong>s théories pour<br />

examiner la réalité et rendre explicites <strong>les</strong> valeurs qui viendront fon<strong>de</strong>r ces choix<br />

assumés. Il ne saurait être question <strong>de</strong> dénoncer un quelconque manquement à <strong>de</strong>s<br />

valeurs, mais bien plutôt <strong>de</strong> « situer une démarche critique <strong>dans</strong> un contexte<br />

donné <strong>de</strong> l’engagement. » (Fritsch, 2000, p.96).<br />

Dans ce contexte d’engagement, le soignant est l’acteur et l’éthique, en tant que<br />

réflexion sur l’agir, commence par l’interroger personnellement, elle interroge son<br />

implication <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations rencontrées. L’éthique est trop largement considérée<br />

comme un outil <strong>de</strong> réflexion sur <strong>de</strong>s situations présentant <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeur.<br />

Dans la pratique institutionnelle, elle ne se distingue <strong>de</strong> la morale que difficilement<br />

pour porter son regard sur <strong>les</strong> aléas du Bien <strong>dans</strong> le concret d’une situation. Mais ne<br />

considérer l’éthique que sous cet angle, c’est occulter la part essentielle<br />

d’introspection à laquelle elle nous convie en examinant nos valeurs, ce qui motive<br />

nos pensées et nos actes et par là-même notre engagement auprès du patient. Il ne<br />

217


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

s’agit pas ici d’une introspection narcissique, mais d’une nécessaire prise en compte<br />

<strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> personnels du soignant, fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> sa motivation et <strong>de</strong> son<br />

engagement. Si l’égocentrisme est bien, pour Morin (2000, p.107), une « tromperie à<br />

l’égard <strong>de</strong> soi-même », le cheminement intérieur permettant la compréhension <strong>de</strong><br />

soi n’en est pas moins indispensable. Contrairement à l’égocentrisme qui mène à une<br />

« hypertrophie du Moi » (Id, p.108), il ne reste pas focalisé sur sa propre personne,<br />

mais s’examine en premier, mesure la complexité humaine et prend conscience <strong>de</strong><br />

ses propres faib<strong>les</strong>se, ce qui l’amène à la capacité d’entrer en dialogue avec l’Autre,<br />

<strong>dans</strong> sa différence et <strong>dans</strong> ses incomplétu<strong>de</strong>s. Et Morin <strong>de</strong> déclarer que<br />

« l’incompréhension <strong>de</strong> soi est une source très importante <strong>de</strong><br />

l’incompréhension d’autrui » (Ibid., p.107).<br />

La démarche éthique est clairement apparente lorsque Gohier, <strong>dans</strong><br />

la même idée écrit que « La connaissance <strong>de</strong> soi est une condition <strong>de</strong> la<br />

rencontre avec l’Autre. » (Gohier, 2007, p.11). En effet, quand Platon (Alcibia<strong>de</strong>,<br />

Trad. Croiset, 2002) met en dialogue Socrate avec le jeune Alcibia<strong>de</strong>, ce <strong>de</strong>rnier ne<br />

peut qu’acquiescer à la question <strong>de</strong> Socrate <strong>de</strong> savoir si « se connaître soi-même, ce<br />

n’est pas ce que nous sommes convenus d’appeler sagesse morale ? » (Ibid.,<br />

p.133). Le développement amené par Socrate oblige le jeune homme à reconnaître<br />

que se connaître soi-même, c’est regar<strong>de</strong>r au fond <strong>de</strong> soi pour y voir « ce qu’il y a<br />

en nous <strong>de</strong> bon ou <strong>de</strong> mauvais » (Ibid, p.133), condition pour être juste avec <strong>les</strong><br />

autres hommes. C’est la connaissance du « Je » illustré <strong>dans</strong> le triangle <strong>de</strong> Ricœur<br />

(1990), développé ci-après, qui va permettre la rencontre et la relation avec le « Tu »,<br />

un « Tu » à la fois semblable et différent. L’éthique se veut alors le garant <strong>de</strong>s liens<br />

entre <strong>les</strong> trois pô<strong>les</strong>, incluant également le pôle tiers, car l’éthique est une manière<br />

d’être à soi-même, au mon<strong>de</strong> et à l’Autre (Svandra, 2004).<br />

« Seule une éthique explicite et réfléchie pourrait fon<strong>de</strong>r chacune <strong>de</strong>s<br />

conceptions possib<strong>les</strong> d’une profession… faute d’une telle éthique<br />

fondatrice, la codification déontologique <strong>de</strong>s professions risque fort <strong>de</strong><br />

se réduire à un cahier <strong>de</strong>s charges arbitrairement défini par chaque<br />

« maison », sans justification ni fon<strong>de</strong>ment rationnels . » (Misrahi, 1995,<br />

p.74).<br />

218


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

On imagine ici <strong>de</strong>s professionnels du soin qui agissent à la manière d’automates<br />

selon une charte déontologique précé<strong>de</strong>mment définie, et en se contentant<br />

d’appliquer <strong>de</strong>s prescriptions. Une perte <strong>de</strong> sens se fait jour, qui exacerbe encore une<br />

pénibilité du travail toujours plus importante (<strong>de</strong> Gaulejac, 2005). Il s’agit alors <strong>de</strong><br />

poser cette question du sens et Legault nous rappelle que cela revient à<br />

« Poser la question <strong>de</strong> l’éthique comme mo<strong>de</strong> spécifique <strong>de</strong> régulation<br />

sociale faisant place à l’autonomie du sujet. Pose r la question du sens,<br />

c’est poser, sur le plan personnel, la question <strong>de</strong> sa propre i<strong>de</strong>ntité, <strong>de</strong><br />

son authenticité et <strong>de</strong> ses engagements. » (Legault, prologue, XIII).<br />

L’individu <strong>de</strong>vient sa propre finalité, en même temps qu’il s’affirme, très<br />

paradoxalement, en revendiquant ses appartenances, mais <strong>de</strong>s appartenances<br />

choisies selon ses affinités (Bobineau, 2010a). Ce pragmatisme et ce choix autonome<br />

influencent son engagement dont il mesure à présent le coût. L’engagement ne se fait<br />

plus tellement pour l’appartenance au groupe, mais par volonté <strong>de</strong> donner un sens à<br />

sa vie, en aidant <strong>les</strong> autres par exemple (Bobineau, 2010a). S’engager c’est une<br />

manière <strong>de</strong> se construire au travers du rapport à l’Autre et du rapport à soi, c’est<br />

donc une manière singulière <strong>de</strong> construire son i<strong>de</strong>ntité (Castells, 2007) ou <strong>de</strong><br />

restaurer une i<strong>de</strong>ntité b<strong>les</strong>sée (Havard-Duclos & Nicourd, 2005). L’engagement<br />

permet <strong>de</strong> s’affirmer et <strong>de</strong> se réaliser. Si <strong>les</strong> formes d’engagement ont changé,<br />

l’engagement lui-même <strong>de</strong>meure une nécessité absolue, à la fois à un niveau plus<br />

général pour l’organisation <strong>de</strong> la vie en société (Mauss, 1997), mais également sur le<br />

plan singulier pour l’affirmation <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité personnelle, professionnelle et<br />

sociale.<br />

Le schéma ci-après pourrait nous ai<strong>de</strong>r à comprendre la transformation que<br />

l'individu va subir, lui qui vient se former aux <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

En effet, à y regar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> plus près, on retrouve, comme nous venons <strong>de</strong> le voir,<br />

ce triangle avec <strong>les</strong> trois pô<strong>les</strong> développé par Ricœur, mais <strong>dans</strong> une double<br />

configuration. Dans le triangle supérieur, nous avons en effet l'individu, le JE en tant<br />

que personne, c'est-à-dire avec ses valeurs et tout son héritage socio-culturel ; nous<br />

219


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

retrouvons également le pôle TU, à savoir la rencontre avec <strong>les</strong> enseignants et <strong>les</strong><br />

autres étudiants ; ainsi que le pôle IL, l'institution scolaire qui va se charger <strong>de</strong><br />

l'enseignement théorique. Tout comme <strong>dans</strong> le triangle <strong>de</strong> Ricœur, l'éthique est ici<br />

omniprésente. C'est elle qui régit <strong>les</strong> interactions entre ces trois pô<strong>les</strong>. L'i<strong>de</strong>ntité<br />

personnelle et professionnelle va se transformer au contact <strong>de</strong>s individus rencontrés<br />

<strong>dans</strong> l'école, mais également au fur et à mesure <strong>de</strong> l'intégration <strong>de</strong>s connaissances<br />

théoriques. Mais limiter la formation à ce premier triangle serait extrêmement<br />

réducteur. En effet le processus <strong>de</strong> professionnalisation <strong>dans</strong> lequel l'étudiante est<br />

inscrite ne se limite pas à l'institution scolaire. Ici nous retrouvons à nouveau le<br />

triangle <strong>de</strong> Ricœur, mais en position inverse. En effet la partie supérieure se compose<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>, TU et IL. Le TU représente la rencontre <strong>de</strong> l'étudiante avec le patient<br />

ainsi qu'avec ses différents collègues <strong>de</strong> l'équipe pluridisciplinaire qui caractérise le<br />

mon<strong>de</strong> hospitalier, tandis que le pôle IL représente l'institution et le contexte <strong>dans</strong><br />

lequel s'exerce la profession.<br />

Cette double représentation <strong>de</strong>s pô<strong>les</strong> TU et IL est essentielle à prendre en<br />

compte pour saisir la transformation qui s'opère chez l'étudiante, <strong>de</strong> même que pour<br />

comprendre <strong>les</strong> difficultés qu'elle va pouvoir rencontrer <strong>de</strong> par cette structure<br />

complexe.<br />

Fort <strong>de</strong> ces différentes rencontres et expériences, l'étudiante va voir se modifier<br />

son i<strong>de</strong>ntité une nouvelle fois et développer une véritable i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />

Cette i<strong>de</strong>ntité, édifiée sur <strong>les</strong> valeurs éthiques qui s'y rattachent, va <strong>de</strong>venir le moteur<br />

d'un engagement professionnel à l'égard du patient, <strong>de</strong> la profession ainsi que <strong>de</strong><br />

l'institution <strong>de</strong> soin.<br />

On se rend compte à partir <strong>de</strong> ce schéma combien le processus <strong>de</strong><br />

professionnalisation est complexe, et en même temps riche et essentiel pour<br />

promouvoir un engagement motivé par un réel souci <strong>de</strong> l'Autre.<br />

220


Professeurs,<br />

Étudiants<br />

Professionnels<br />

DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Engagement envers<br />

le patient<br />

Figure 14 : Triangle éthique revisité<br />

Personne<br />

JE<br />

Valeurs – héritage socioculturel<br />

IDENTITÉ PERSONNELLE<br />

TU IDENTITÉ<br />

IL<br />

IDENTITÉ PROFESSIONNELLE<br />

JE<br />

Soignant<br />

221<br />

Connaissances,<br />

Savoir<br />

Contexte <strong>de</strong> pratique<br />

Institution <strong>de</strong> soin<br />

Engagement envers<br />

l’institution<br />

Patient


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Si l'impact <strong>de</strong>s expériences pratiques et <strong>de</strong> la rencontre avec <strong>les</strong> patients en<br />

particulier <strong>de</strong>meure essentiel pour la construction <strong>de</strong> l'engagement professionnel,<br />

apparaît aussi clairement à partir <strong>de</strong> ce schéma le rôle primordial que la formation<br />

joue également <strong>dans</strong> cette perspective. <strong>L'engagement</strong> va être en partie induit par la<br />

confrontation aux connaissances théoriques et à la pratique d'un côté, et par la<br />

rencontre avec <strong>les</strong> pairs et <strong>les</strong> enseignants <strong>de</strong> l'autre. Mais fait-il pour autant l'objet<br />

d'un enseignement spécifique, alors qu'on lui reconnaît cette importance<br />

fondamentale ?<br />

Il semble qu'il soit largement considéré comme allant <strong>de</strong> soi, en particulier <strong>dans</strong><br />

la dimension éthique du rapport à soi et aux autres.<br />

10.3 Thèse et objectifs<br />

La thèse que nous défendons est donc celle <strong>de</strong> la nécessité d’un enseignement et<br />

d’un accompagnement spécifique à la construction d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement<br />

professionnel réfléchie <strong>de</strong> l’étudiante, au service du patient et <strong>de</strong> la profession, mais<br />

également au service <strong>de</strong> sa propre i<strong>de</strong>ntité.<br />

Cette recherche poursuit trois objectifs principaux :<br />

TABLEAU 02 : TABLEAU DES OBJECTIFS PRIORITAIRES<br />

Mettre en évi<strong>de</strong>nce le rôle central <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’infirmière en formation<br />

et sa dimension éthique <strong>dans</strong> la relation à l’Autre, tout particulièrement <strong>dans</strong> la<br />

relation à cet Autre vulnérable qui est le bénéficiaire <strong>de</strong> soin ;<br />

Examiner <strong>les</strong> concepts voisins qui permettent <strong>de</strong> mieux cerner la notion et qui<br />

pourraient être mobilisés <strong>dans</strong> la construction d’un enseignement sur le sujet ;<br />

Mettre en relief le bien-fondé d’un enseignement spécifique et structuré sur le<br />

sujet <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> une perspective d’amélioration <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong>, <strong>de</strong> satisfaction au travail, <strong>de</strong> motivation, mais également <strong>de</strong><br />

construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />

222


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

Indirectement, cette recherche tentera également <strong>de</strong> répondre, partiellement au<br />

moins, à <strong>de</strong>s objectifs secondaires mais non moins importants pour la compréhension<br />

du phénomène :<br />

Appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong> facteurs psychologiques, sociétaux et contextuels… qui<br />

influencent cette éthique <strong>de</strong> l’engagement, positivement ou négativement ;<br />

Comprendre l’impact que peut avoir l’usage <strong>de</strong> la pensée critique sur la<br />

manière dont une étudiante va s’engager ou non.<br />

Ces objectifs permettent <strong>de</strong> répondre à une question cruciale pour la discipline<br />

infirmière. En effet, face à une société dont le rapport au travail a changé, dont <strong>les</strong><br />

valeurs ont évolué, et face à une réalité incarnée <strong>dans</strong> une pratique souvent<br />

extrêmement pénible, la nécessité <strong>de</strong> penser une éthique <strong>de</strong> l’engagement<br />

professionnel infirmier s’avère plus aiguë que jamais.<br />

Une éthique <strong>de</strong> l’engagement se référant à <strong>de</strong>s concepts aussi variés que la<br />

motivation, le sens, la responsabilité, la conviction, l’authenticité, l’implication,<br />

l’assertivité…, <strong>de</strong>vrait permettre <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> réponse quant aux<br />

formes possible d’un engagement éthique <strong>dans</strong> la sphère professionnelle. L’étudiante,<br />

interpellée sur ses valeurs et le sens qu’elle donne à sa profession, serait également<br />

amenée à s’interroger sur la manière <strong>de</strong> s’investir, sur <strong>les</strong> dimensions et <strong>les</strong> limites <strong>de</strong><br />

son investissement face à la réalité concrète <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et développer ainsi <strong>de</strong>s<br />

ressources grâce à cette distanciation critique.<br />

Cela aurait pour conséquence <strong>de</strong> lui permettre <strong>de</strong> se projeter <strong>dans</strong> son avenir<br />

professionnel en s’autorisant à n’être pas « parfaite », <strong>de</strong> pratiquer un soin<br />

respectueux <strong>de</strong> l’Autre, sans voir <strong>dans</strong> cet Autre l’incarnation d’un idéal<br />

professionnel inatteignable.<br />

Il s’agit d’un défi <strong>dans</strong> l’acte formateur, puisque cette réflexion a comme<br />

ambition d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> pô<strong>les</strong> enseignement et pratique <strong>de</strong> la formation duale à se<br />

rapprocher. Des étu<strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes ont pu mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s conceptions<br />

parfois très divergentes entre ces <strong>de</strong>ux catégories professionnel<strong>les</strong> au sujet <strong>de</strong> l’acte<br />

<strong>de</strong> soin. Une réflexion, voire un modèle centré sur la personne soignante et son<br />

rapport à sa profession, pourrait permettre <strong>de</strong> relativiser cet écart <strong>de</strong> perception,<br />

étant donné que le point <strong>de</strong> référence n’est plus le soin en lui-même mais le rapport<br />

223


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

du soignant à ce soin. Ce modèle aurait comme avantage d’ouvrir <strong>les</strong> horizons <strong>de</strong><br />

compréhension sur <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong> ou imposées au soignant par le contexte.<br />

Intégrer un enseignement et un accompagnement à la construction d’une<br />

éthique <strong>de</strong> l’engagement professionnel <strong>dans</strong> le cursus <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

serait une manière <strong>de</strong> contribuer directement à l’élaboration <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle, puisque il s’agit <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s outils à l’étudiante, dès le début <strong>de</strong> sa<br />

formation, pour travailler à la fois <strong>les</strong> processus d’i<strong>de</strong>ntification, en partenariat avec<br />

<strong>les</strong> autres étudiantes et <strong>les</strong> processus d’i<strong>de</strong>ntisation pour l’amener à façonner le<br />

modèle <strong>de</strong> professionnelle spécifique qu’elle souhaite incarner plus tard.<br />

Nous sommes convaincue que cet enseignement favoriserait, <strong>dans</strong> une moindre<br />

mesure au moins, le développement d’éléments <strong>de</strong> réponse à <strong>de</strong>ux phénomènes<br />

majeurs qui frappent actuellement <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : l’abandon <strong>de</strong> la profession,<br />

chiffré à quelque 20% <strong>dans</strong> <strong>les</strong> dix années qui suivent le diplôme (Estryn-Béhar & Le<br />

Nezet 2006), ainsi que l’épuisement professionnel lié au stress, accompagné <strong>de</strong><br />

pathologies psychiques sévères et dont le taux alarmant avoisine <strong>les</strong> 30% en France<br />

(Pronost, 2001).<br />

Alors que la pénurie <strong>de</strong> personnel soignant s’annonce catastrophique pour <strong>les</strong><br />

années à venir, l’encouragement à cette posture réflexive dès le début <strong>de</strong> la formation<br />

pourrait vraisemblablement apporter une contribution positive.<br />

Le cadre <strong>de</strong> référence nous a permis <strong>de</strong> mieux cerner la notion d’engagement<br />

avec toutes ses composantes, mais également <strong>de</strong> mesurer l’étendue <strong>de</strong> sa complexité.<br />

Afin <strong>de</strong> répondre aux objectifs <strong>de</strong> recherche présentés ci-avant, et au vu <strong>de</strong> la<br />

complexité <strong>de</strong> cette notion, il nous a semblé opportun <strong>de</strong> construire un modèle<br />

permettant <strong>de</strong> rendre visible <strong>les</strong> différents paramètres influençant la construction <strong>de</strong><br />

l’engagement du futur professionnel et sur <strong>les</strong>quels il conviendrait <strong>de</strong> s’arrêter un<br />

moment durant la formation. Notre dispositif <strong>de</strong> recherche permettra, par le biais<br />

d’une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> différentes hypothèses, <strong>de</strong> vali<strong>de</strong>r la pertinence <strong>de</strong> ce schéma, d’en<br />

révéler <strong>les</strong> fail<strong>les</strong>, mais également <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> manques ou <strong>les</strong><br />

imprécisions qu’il peut contenir.<br />

Une fois validé, ce schéma pourra servir <strong>de</strong> base à un accompagnement<br />

224


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

pédagogique spécifique, selon <strong>de</strong>s étapes précises qui pourront être organisées sur<br />

toute la durée <strong>de</strong> la formation. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s différents paramètres du modèle,<br />

organisée selon différentes étapes en fonction d’une conceptualisation et d’une<br />

complexification croissantes, <strong>de</strong>vra permettre au jeune professionnel d’être, en fin <strong>de</strong><br />

formation, au bénéfice <strong>de</strong> cette forme d’engagement conscientisé et positionné, qui<br />

lui permette d’agir en fonction <strong>de</strong> ses valeurs, tout en étant conscient <strong>de</strong> ses limites et<br />

<strong>de</strong> son droit à prendre position et à s’affirmer <strong>dans</strong> ses convictions. Cet engagement<br />

sera fondé sur un positionnement axiologique réfléchi et assumé.<br />

Au vu <strong>de</strong>s liens qui ont pu être mis en évi<strong>de</strong>nce ici, nous pensons que ce travail<br />

autour <strong>de</strong> l’engagement et <strong>de</strong> l’éthique qui le fon<strong>de</strong>, aura <strong>de</strong>s répercussions sur le<br />

soignant et la pérennité <strong>de</strong> sa motivation professionnelle, mais également au-<strong>de</strong>là sur<br />

l’i<strong>de</strong>ntité collective professionnelle, ainsi que sur la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>dans</strong> son<br />

ensemble, <strong>dans</strong> la mesure où il favorise la construction <strong>de</strong> sens. Ce sens étant<br />

d’autant plus présent que <strong>les</strong> trois domaines <strong>de</strong>s valeurs, <strong>de</strong>s efforts consentis et du<br />

sentiment <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir à réaliser sont <strong>dans</strong> une dynamique interactive étroite<br />

(Duchesne et Savoie-Zajc, 2005). Plus la combinaison <strong>de</strong> ces trois entités est réussie et<br />

plus l’engagement est sain et durable, facilitant par là-même la construction <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle, et plus ou moins directement aussi l’i<strong>de</strong>ntité personnelle.<br />

Si donc l’engagement est considéré comme une condition absolue <strong>de</strong> l’exercice<br />

infirmier (Dallaire, 2008) dont on reconnaît <strong>les</strong> aspects positifs, il semble judicieux <strong>de</strong><br />

réfléchir aux conditions <strong>de</strong> sa mise en œuvre pour qu’il puisse se développer <strong>dans</strong> un<br />

contexte favorable. En ce sens, le questionnement à la base <strong>de</strong> notre recherche peut<br />

s’énoncer ainsi : Comment la formation peut-elle contribuer à une prise <strong>de</strong><br />

conscience <strong>de</strong>s éléments qui influencent l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’étudiante et<br />

<strong>de</strong> l’étudiant, lui donnent sens <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s contextes parfois diffici<strong>les</strong> et contribuent à<br />

un développement <strong>de</strong> cet engagement qui répon<strong>de</strong> à l’exigence du souci <strong>de</strong> l’Autre,<br />

sans pour autant négliger le souci <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses limites personnel<strong>les</strong> ?<br />

La thèse que nous défendons est donc celle <strong>de</strong> la nécessité d’un enseignement et<br />

d’un accompagnement spécifique à la construction d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement<br />

professionnel réfléchie <strong>de</strong> l’étudiante, au service du patient et <strong>de</strong> la profession, mais<br />

également au service <strong>de</strong> sa propre i<strong>de</strong>ntité personnelle et professionnelle.<br />

225


DEUXIÈME PARTIE – CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE<br />

226


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

TROISIÈME PARTIE :<br />

MÉTHODOLOGIE<br />

227


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

228


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

CHAPITRE 11 : DU MODÈLE AUX HYPOTHÈSES<br />

Partant du schéma double <strong>de</strong>s trois pô<strong>les</strong> <strong>de</strong> Ricœur ainsi que <strong>de</strong> la mise en<br />

évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> travailler cette notion d'engagement sous un angle<br />

conceptuel, selon <strong>les</strong> apports mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>dans</strong> le cadre conceptuel<br />

précé<strong>de</strong>mment développé, nous avons élaboré une ébauche <strong>de</strong> modélisation <strong>de</strong> ce<br />

concept d'engagement pour la formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Cette ébauche est<br />

présentée au schéma suivant (Schéma 1 : construction d’une éthique <strong>de</strong><br />

l’engagement). Par <strong>les</strong> questionnements posés et introduits lors <strong>de</strong>s entretiens, nous<br />

tenterons <strong>de</strong> porter un regard critique sur ce modèle, en retenant <strong>les</strong> éléments<br />

considérés comme pertinents, en retranchant ceux dont l'intérêt n'aura pas été<br />

démontré et en rajoutant éventuellement <strong>de</strong>s éléments complémentaires auxquels<br />

nous n'aurions pas songé.<br />

L’école professionnelle ne saurait être considérée comme le seul lieu<br />

d’apprentissage d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement. Celui-ci est également tributaire <strong>de</strong><br />

facteurs personnels, sociétaux et culturels.<br />

229


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

FIGURE 2 : SCHÉMA DE L’ENGAGEMENT<br />

230


11.1 Explication du schéma<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

L’engagement, loin d’être un donné linéaire, constitue un processus complexe<br />

qui dépend <strong>de</strong> facteurs intrinsèques et extrinsèques multip<strong>les</strong>. L’appréhension <strong>de</strong> ces<br />

différents facteurs et <strong>de</strong> leurs liens réciproques doit permettre <strong>de</strong> comprendre la<br />

construction <strong>de</strong> ce processus et d’influer sur certaines <strong>de</strong> ses composantes, en regard<br />

ici <strong>de</strong> l’exercice d’une profession particulière.<br />

Les étudiantes qui s’inscrivent pour suivre la formation infirmière n’entrent pas<br />

<strong>dans</strong> l’école comme une page blanche, une sorte <strong>de</strong> tabula rasa sur laquelle il<br />

suffirait d’inscrire la connaissance. Ils entament cette formation en y investissant leur<br />

personnalité, imprégnés à la fois <strong>de</strong> leur culture, <strong>de</strong> leur éducation et <strong>de</strong> différentes<br />

influences socia<strong>les</strong>. Ils ont aussi en leur for intérieur toutes sortes <strong>de</strong> représentations<br />

<strong>de</strong> leur future profession, qu’el<strong>les</strong> soient ou non le fruit d’une expérience concrète,<br />

vécue antérieurement.<br />

Ce bagage constitué d’inné et d’acquis ne saurait s’inscrire en la personne<br />

comme un contenu stérile et sans effets. Il laisse bien davantage germer, dès le plus<br />

jeune âge, <strong>de</strong>s attirances, <strong>de</strong>s intérêts et surtout <strong>de</strong>s valeurs qui orientent ses choix,<br />

mais aussi sa manière d’envisager la profession, tout comme son regard sur <strong>les</strong> êtres<br />

humains en général et plus spécifiquement encore la personne mala<strong>de</strong>.<br />

C’est sur ce socle que <strong>les</strong> capacités cognitives <strong>de</strong> réflexion et <strong>de</strong> mobilisation <strong>de</strong><br />

connaissances vont venir opérer pour permettre à l’individu <strong>de</strong> développer un<br />

véritable raisonnement éthique et une éthique professionnelle.<br />

Cette éthique va constituer le fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>, moteurs <strong>de</strong> l’activité<br />

du soignant : la responsabilité professionnelle d’un côté, entendue comme le sens du<br />

<strong>de</strong>voir à accomplir, la fonction définie pour et par la profession <strong>dans</strong> une visée<br />

déontologique également, et <strong>de</strong> l’autre côté la motivation personnelle, renfermant <strong>les</strong><br />

aspirations et intérêts individuels.<br />

Lorsqu’un équilibre peut être trouvé entre ces <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>, en découle une<br />

dimension <strong>de</strong> sens et <strong>de</strong> cohérence à l’exercice professionnel. Si le pôle motivation<br />

prédomine et que l’individu agit en première ligne pour satisfaire ses propres<br />

intérêts personnels, certaines dimensions <strong>de</strong> son agir ne pourraient s’avérer que peu<br />

231


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

responsab<strong>les</strong>. En revanche, s’il agit plus par <strong>de</strong>voir, que celui-ci émane <strong>de</strong> sa volonté<br />

propre, ou qu’il résulte d’injonctions externes explicites ou implicites, l’individu sera<br />

frustré, sur la durée, <strong>de</strong> ne pouvoir répondre à ses motivations <strong>de</strong> manière<br />

satisfaisante.<br />

Sans un équilibre entre le pôle motivationnel d’un côté et le pôle du <strong>de</strong>voir<br />

responsable <strong>de</strong> l’autre, le sens même <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> l’individu peut s’en ressentir. Or,<br />

si l’individu ne trouve pas <strong>de</strong> sens à son activité, il ne peut pas s’engager <strong>de</strong> manière<br />

optimale, l’engagement supposant une implication <strong>de</strong> la personne tout entière pour<br />

une cause dont elle est convaincue. L’engagement suppose par ailleurs aussi une<br />

prise <strong>de</strong> risque <strong>dans</strong> la mesure où il est lié à une forme <strong>de</strong> don <strong>de</strong> sa personne. Or, le<br />

professionnel qui ne trouve pas <strong>de</strong> sens à son activité, ou tout au moins qui n’en<br />

perçoit pas une dimension suffisante, ne sera pas prêt à risquer un réel engagement,<br />

ou bien celui-ci se fera malgré lui mais à ses dépens. Cet état <strong>de</strong> fait aura non<br />

seulement <strong>de</strong>s conséquences sur son professionnalisme et la qualité <strong>de</strong> ses<br />

prestations, mais également sur son i<strong>de</strong>ntité professionnelle et, parce que <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />

sont intimement liées, sur son i<strong>de</strong>ntité personnelle également. Ce processus, s’il est<br />

conscient, pourra le conduire à modifier son système <strong>de</strong> valeurs pour le rendre plus<br />

approprié à la réalité, ou à chercher <strong>de</strong>s solutions alternatives.<br />

11.2 Questionnements, hypothèses et indicateurs<br />

En qualité <strong>de</strong> réflexions qui constituent une réponse présumée à la question et<br />

mettent en lien au moins <strong>de</strong>ux éléments, <strong>de</strong>s questions ont été évoquées avec <strong>les</strong><br />

personnes interviewées, qui ont un peu évolué au fur et à mesure <strong>de</strong>s entretiens.<br />

Ces questions ont été articulées autour <strong>de</strong> différents aspects <strong>de</strong> la notion<br />

d’engagement et se sont situé à différents niveaux. On a questionné, par exemple,<br />

l’aspect concret du dispositif <strong>de</strong> formation, l’impact <strong>de</strong>s enseignants, la construction<br />

d’une éthique <strong>de</strong> l’engagement en lien avec une épistémologie <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, mais<br />

également avec <strong>de</strong>s connaissances en éthique et en philosophie, ou encore <strong>les</strong><br />

dimensions pratiques et organisationnel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> s’inscrit cet engagement.<br />

232


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Ces questionnements qui nous ont guidée <strong>dans</strong> l’élaboration <strong>de</strong> notre gui<strong>de</strong><br />

d’entretien, nous ont permis <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s hypothèses, el<strong>les</strong>-mêmes<br />

regroupant différentes catégories qui sont autant d’éléments sur <strong>les</strong>quels s’est axée la<br />

collecte <strong>de</strong> données.<br />

Ces hypothèses découlent également <strong>de</strong>s objectifs présentés <strong>dans</strong> la section<br />

précé<strong>de</strong>nte. La collecte sert à vérifier à la fois <strong>les</strong> hypothèses que l’on trouve<br />

récapitulées au tableau 3, et vise également l’atteinte <strong>de</strong>s objectifs.<br />

TABLEAU 3 : HYPOTHÈSES DE RECHERCHE<br />

L’engagement, tant professionnel que personnel, n’est pas abordé explicitement<br />

durant la formation, ni sous l’angle théorique ni sous l’angle éthique.<br />

L’engagement professionnel ne peut se développer et se maintenir sur la durée<br />

que si l’étudiante, puis la professionnelle, trouve un sens à sa pratique.<br />

Le sens <strong>de</strong> l’engagement est prétérité : par l’inadéquation <strong>de</strong> la pratique avec <strong>les</strong><br />

valeurs personnel<strong>les</strong>, par l’écart entre l’idéal <strong>de</strong> la prise en soin et la prise en soin<br />

réelle, par <strong>les</strong> conditions d’exercice.<br />

La formation peut ai<strong>de</strong>r l’étudiante à construire le sens <strong>de</strong> sa pratique et son<br />

i<strong>de</strong>ntité professionnelle malgré <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail diffici<strong>les</strong>.<br />

La formation peut contribuer, par le biais d’un travail sur <strong>les</strong> valeurs, <strong>les</strong><br />

ressources et <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong>, à ai<strong>de</strong>r l’étudiante à développer un<br />

engagement sain et durable.<br />

Les hypothèses ont donc été déclinées en catégories qui, selon Paillé et<br />

Mucchielli (2010), correspon<strong>de</strong>nt à une théorisation en progression. Fondée sur la<br />

tradition <strong>de</strong> la Groun<strong>de</strong>d Theory <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années soixante, la catégorie est un<br />

construit théorique sous forme d’une production textuelle qui permet <strong>de</strong> mieux<br />

cerner l’expérience humaine. Elle permet d’articuler le sens et <strong>les</strong> représentations<br />

avec <strong>les</strong> vécus <strong>de</strong>s individus. Elle prend son sens par rapport aux autres catégories.<br />

233


Elle a pour avantage d’ai<strong>de</strong>r à<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

« saisir une portion <strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong> la vie psychologique, sociale et<br />

culturelle à travers <strong>de</strong>s formu<strong>les</strong> qui soient relativement évocatrices<br />

tout en étant précises et empiriquement fondée s. » (Paillé & Mucchielli,<br />

2010, p.238).<br />

C’est en ce sens que la catégorie nous semble particulièrement appropriée à<br />

notre étu<strong>de</strong> qu’elle décrit <strong>les</strong> phénomènes, donne lieu à <strong>de</strong>s définitions et dévoile <strong>les</strong><br />

propriétés d’un concept, et en cela permet l’élaboration <strong>de</strong> théorisations. Les<br />

catégories répon<strong>de</strong>nt à notre volonté <strong>de</strong> mettre en lumière la construction du concept<br />

d’engagement et son ancrage <strong>dans</strong> le terrain.<br />

Il peut s’agir d’opinions, <strong>de</strong> jugements, <strong>de</strong> comportements, <strong>de</strong> thèmes, <strong>de</strong><br />

caractéristiques personnel<strong>les</strong> ou contextuel<strong>les</strong>, d’action collective, d’inci<strong>de</strong>nts, <strong>de</strong><br />

situations <strong>de</strong> logiques ou <strong>de</strong> dynamiques (Lamoureux, 2000 ; Paillé & Mucchielli,<br />

2010).<br />

Certains concepts étant extrêmement larges, il a été nécessaire d'en préciser <strong>les</strong><br />

catégories conceptualisantes retenues, c'est-à-dire <strong>les</strong> aspects considérés comme<br />

essentiels pour notre objet. C’est pourquoi, même si nous étudions le concept<br />

d’engagement, nous trouverons l’engagement parmi <strong>les</strong> catégories conceptualisantes<br />

retenues, comme <strong>de</strong>s entités spécifiques <strong>de</strong> théorisation permettant une meilleure<br />

compréhension du concept en général.<br />

Ces catégories sont ensuite traduites en indicateurs, c'est-à-dire en entités plus<br />

restreintes qui en sont <strong>les</strong> signes observab<strong>les</strong> et mesurab<strong>les</strong>. Ceux-ci ren<strong>de</strong>nt possible<br />

une compréhension univoque <strong>de</strong> l’hypothèse. Les indicateurs ne sont ni plus ni<br />

moins que <strong>les</strong> « définitions opérationnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s variab<strong>les</strong> d e la recherche »<br />

(Lamoureux, 2000, p.119).<br />

Ces indicateurs se doivent <strong>de</strong> représenter <strong>les</strong> concepts <strong>de</strong> la manière la plus<br />

pertinente qui soit, afin <strong>de</strong> garantir le plus grand <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> validité possible.<br />

234


TABLEAU 04 : HYPOTHÈSE 1<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

L’engagement, tant professionnel que personnel, n’est pas abordé explicitement<br />

durant la formation, ni sous l’angle théorique, ni sous l’angle éthique.<br />

Catégories<br />

conceptualisantes<br />

Engagement<br />

Formation duale<br />

Éthique<br />

Indicateurs<br />

Degré d’engagement, caractéristiques et<br />

conséquences <strong>de</strong> l’engagement<br />

Occurrence et forme <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong> réflexivité<br />

durant la formation<br />

Cours dispensés sur le sujet <strong>de</strong> l’engagement<br />

professionnel<br />

Nature et fréquence <strong>de</strong>s cours dispensés sur le sujet<br />

Prise en compte <strong>de</strong> cette dimension <strong>dans</strong><br />

l’accompagnement en stage par le PF et/ou<br />

l’enseignant référent<br />

Moments <strong>de</strong> réflexion autour <strong>de</strong>s valeurs<br />

personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong><br />

Représentation <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong>s valeurs qui<br />

lui sont liées<br />

Réflexion et expression <strong>de</strong>s limites personnel<strong>les</strong><br />

235


TABLEAU 05 : HYPOTHÈSE 2<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

L’engagement professionnel ne peut se développer et se maintenir sur la durée<br />

que si l’étudiante, puis la professionnelle, trouve un sens à sa pratique.<br />

Catégories<br />

conceptualisantes<br />

Engagement<br />

Sens<br />

Étudiante<br />

Indicateurs<br />

Définition personnelle <strong>de</strong> l’engagement<br />

Éléments qui favorisent ou entravent l’engagement<br />

personnel et professionnel<br />

Degré d’engagement personnel <strong>dans</strong> la profession<br />

Caractéristiques <strong>de</strong> cet engagement personnel<br />

Liens établis entre engagement et sens<br />

Liens entre motivation et sens<br />

Éléments générateurs <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

Liens entre engagement et éthique personnelle et<br />

professionnelle<br />

Représentation par l’étudiante <strong>de</strong> sa future pratique<br />

professionnelle et <strong>de</strong> sa carrière<br />

236


TABLEAU 06 : HYPOTHÈSE 3<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Le sens <strong>de</strong> l’engagement est prétérité par :<br />

Catégories<br />

L’inadéquation <strong>de</strong> la pratique avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong>,<br />

L’écart entre l’idéal <strong>de</strong> la prise en soin et la prise en soin réelle,<br />

Les conditions d’exercice.<br />

conceptualisantes<br />

Sens<br />

Valeurs<br />

Engagement<br />

Conditions travail<br />

Indicateurs<br />

Liens établis entre motivation et engagement<br />

Liens établis entre sens et engagement<br />

Représentation <strong>de</strong> la prise en charge professionnelle<br />

adéquate<br />

Adéquation entre la prise en charge souhaitable et le<br />

contexte actuel d’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

Liens établis entre valeurs personnel<strong>les</strong> et/ou<br />

professionnel<strong>les</strong> et engagement<br />

Adéquation entre <strong>les</strong> responsabilités exigées et <strong>les</strong><br />

valeurs personnel<strong>les</strong><br />

Définition <strong>de</strong> l’engagement, le <strong>de</strong>gré, <strong>les</strong><br />

caractéristiques et conséquences <strong>de</strong> l’engagement<br />

Liens entre charge <strong>de</strong> travail et engagement<br />

Liens entre dynamique d’équipe et engagement<br />

Liens entre qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et engagement<br />

Liens entre qualité relationnelle avec le patient et<br />

engagement<br />

Liens entre ressources à disposition et engagement<br />

237


TABLEAU 07 : HYPOTHÈSE 4<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

La formation peut ai<strong>de</strong>r l’étudiante à construire le sens <strong>de</strong> sa pratique et son<br />

i<strong>de</strong>ntité professionnelle, malgré <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail diffici<strong>les</strong>.<br />

Catégories<br />

conceptualisantes<br />

Valeurs<br />

Sens<br />

I<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle<br />

Savoirs,<br />

connaissances<br />

Indicateurs<br />

Réflexions personnel<strong>les</strong> sur ses valeurs<br />

Moments <strong>de</strong> verbalisation <strong>de</strong> conflits <strong>de</strong> valeurs<br />

Effets produit par le fait <strong>de</strong> pouvoir ou non<br />

verbaliser <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeurs<br />

Liens entre valeurs, sens et cohérence<br />

Éléments aidant à la construction <strong>de</strong> sens durant la<br />

formation<br />

Représentations <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle<br />

Liens établis entre l’engagement et l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle<br />

Importance accordée aux connaissances pour la<br />

motivation et l’engagement<br />

Impact reconnu <strong>de</strong>s savoir-faire, savoir-être et<br />

savoirs sur une prise en charge porteuse <strong>de</strong> sens<br />

238


TABLEAU 8 : HYPOTHÈSE 5<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

La formation peut contribuer, par le biais d’un travail sur <strong>les</strong> valeurs, ainsi que<br />

sur <strong>les</strong> ressources et <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong>, à ai<strong>de</strong>r l’étudiante à développer un<br />

engagement sain et durable.<br />

Catégories<br />

conceptualisantes<br />

Valeurs<br />

Ressources<br />

Formation duale<br />

Engagement<br />

Indicateurs<br />

Réflexions personnel<strong>les</strong> sur ses valeurs et ce qui<br />

fon<strong>de</strong> son être intérieur<br />

Liens entre valeurs et sens<br />

Liens entre valeurs et positionnement professionnel<br />

Verbalisation <strong>de</strong>s ressources personnel<strong>les</strong>, socia<strong>les</strong>,<br />

organisationnel<strong>les</strong><br />

Nature et occurrence d’un travail sur <strong>les</strong> ressources<br />

personnel<strong>les</strong>, socia<strong>les</strong> et organisationnel<strong>les</strong><br />

Préparation par la formation au développement <strong>de</strong><br />

ces ressources<br />

Représentations <strong>de</strong> l’adéquation ou non <strong>de</strong> la<br />

formation en école avec la réalité professionnelle<br />

Représentations <strong>de</strong> l’adéquation ou non <strong>de</strong> la<br />

formation en stage avec la réalité professionnelle<br />

Représentations <strong>de</strong> la complémentarité ou non <strong>de</strong> la<br />

formation en école et en stage<br />

Origine du choix <strong>de</strong> la profession<br />

Degré <strong>de</strong> motivation exprimée<br />

Lien entre engagement et connaissances<br />

professionnel<strong>les</strong><br />

239


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

La problématique et <strong>les</strong> concepts qui y ont été développés, synthétisés autour<br />

<strong>de</strong> ces hypothèses, constituent la colonne vertébrale <strong>de</strong> cette recherche. Les<br />

hypothèses se veulent alors être <strong>les</strong> « charnières » d’un mouvement <strong>de</strong> balancier<br />

entre la théorie et la réalisation empirique d’une recherche (Quivy & Van<br />

Campendhout, 2006).<br />

Nos hypothèses <strong>de</strong> recherche ne sont pas organisées selon un modèle<br />

pyramidal, mais englobent néanmoins <strong>les</strong> trois niveaux distincts suivants :<br />

Niveau personnel : connaissance <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses valeurs, <strong>de</strong> ses limites et <strong>de</strong>s<br />

motivations à s’engager <strong>dans</strong> la profession et à soigner ;<br />

Niveau formation : connaissances et temps <strong>de</strong> réflexion intégrés au<br />

curriculum, adéquation <strong>de</strong> la formation (<strong>dans</strong> sa forme duale) avec la réalité<br />

professionnelle ;<br />

Niveau institutionnel : politique institutionnelle et conditions <strong>de</strong> travail<br />

susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong> favoriser l’engagement.<br />

Ces trois niveaux interrogent donc l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> une<br />

compréhension plus globale, du niveau le plus personnel et singulier jusqu’au<br />

niveau beaucoup plus vaste <strong>de</strong> la politique institutionnelle et <strong>de</strong> son influence sur la<br />

réalité, en passant par la formation et la préparation à cette réalité.<br />

De nombreux concepts ont donc dû être mobilisés afin <strong>de</strong> pouvoir apporter <strong>de</strong>s<br />

réponses aux hypothèses posées. Ces concepts sont utilisés <strong>dans</strong> une visée<br />

systémique, c’est-à-dire en tenant compte <strong>de</strong> leurs relations d’interdépendance et <strong>de</strong><br />

la complexité <strong>dans</strong> laquelle ils s’inscrivent. La notion d'engagement ne saurait être<br />

observée que sous l'angle d'un seul paradigme sous peine <strong>de</strong> voir sa compréhension<br />

fortement diminuée.<br />

La recherche <strong>de</strong> cohérence <strong>de</strong>man<strong>de</strong> à ce que <strong>les</strong> phénomènes soient<br />

décomposés pour être analysés et donner lieu à d'éventuels liens <strong>de</strong> causalité. Elle ne<br />

peut cependant se soustraire à une recherche <strong>de</strong> sens qui, elle, vise davantage à<br />

comprendre la signification que <strong>les</strong> acteurs donnent à une situation ou à leurs<br />

240


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

pratiques. En ce sens, elle porte donc davantage sur la dimension <strong>de</strong> compréhension<br />

<strong>de</strong>s phénomènes et non sur leur explication causale.<br />

Il convient ici <strong>de</strong> spécifier que nous nous insérons plus spécifiquement <strong>dans</strong> le<br />

champ philosophique, en empruntant cependant à la sociologie, à la psychologie<br />

ainsi qu’aux sciences <strong>de</strong> l’éducation.<br />

241


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

242


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

CHAPITRE 12 : CADRE DE RÉFÉRENCE ET<br />

MÉTHODOLOGIQUE<br />

Le cadre <strong>de</strong> référence constitue l'armature sur laquelle se fon<strong>de</strong> le projet <strong>de</strong><br />

recherche. Tant sur le plan du contenu que sur le plan <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong>, le recours à <strong>de</strong>s<br />

cadres reconnus et validés sur le plan théorique permet <strong>de</strong> se situer clairement <strong>dans</strong><br />

une perspective scientifique.<br />

12.1 Cadre épistémologique<br />

Sur un plan épistémologique, cette recherche s’inscrit <strong>dans</strong> <strong>de</strong>ux paradigmes<br />

simultanément. L’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s différents éléments constitutifs <strong>de</strong> l’engagement et <strong>de</strong><br />

leurs relations réciproques se réfère au paradigme <strong>de</strong>scriptif, tandis que l’étu<strong>de</strong> du<br />

phénomène dynamique et complexe <strong>de</strong> cette même notion s’inscrit quant à elle <strong>dans</strong><br />

le paradigme compréhensif. On cherche avant tout à expliciter le sens, par un<br />

dialogue entre <strong>les</strong> dimensions épistémologiques et ontologiques, qui se <strong>de</strong>ssine<br />

<strong>de</strong>rrière le phénomène complexe que constitue l’éthique <strong>de</strong> l’engagement.<br />

L’observation <strong>de</strong>s interactions entre <strong>les</strong> réalités socia<strong>les</strong> et l’activité professionnelle,<br />

soutenue par une approche interprétative et la conception holiste <strong>de</strong> l’être humain,<br />

prenant en compte <strong>les</strong> personnes et leurs valeurs, permet <strong>de</strong> construire une<br />

compréhension <strong>de</strong> l’engagement infirmier. La recherche emprunte en majeure partie<br />

au champ <strong>de</strong> la philosophie, mais également à la sociologie, aux sciences <strong>de</strong><br />

l’éducation et à la psychologie, ce qui permet <strong>de</strong> cerner le phénomène sous<br />

différentes facettes. Son but est <strong>de</strong> faire ressortir le sens ou la signification que le<br />

phénomène étudié revêt pour <strong>les</strong> individus. De manière générale, la recherche<br />

qualitative vise à examiner <strong>de</strong>s phénomènes et à en donner une compréhension large<br />

permettant <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s théories à partir <strong>de</strong> ses conclusions (Fortin et al., 2006).<br />

La tradition <strong>de</strong> la sociologie compréhensive <strong>dans</strong> laquelle nous nous inscrivons tout<br />

particulièrement est celle <strong>de</strong> Weber qui définit l’activité comme « un comportement<br />

243


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

compréhensible » (Weber, 1965, p.329-330) et le sujet comme un acteur <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

contraintes d’une situation et <strong>dans</strong> son interaction avec <strong>les</strong> autres. Cette approche<br />

wébérienne entend mettre en évi<strong>de</strong>nce la dimension rationnelle <strong>de</strong>s comportements,<br />

en lien avec un vécu et <strong>de</strong>s faits qui concernent tout autant <strong>les</strong> représentations<br />

(pensées construites) que <strong>les</strong> pratiques socia<strong>les</strong> (faits expérienciés) à proprement<br />

parler (Blanchet & Gotman, 2001, p.25). Qu’elle s’inscrive <strong>dans</strong> la dynamique<br />

explicative ou compréhensive, l’enquête par entretien est extrêmement pertinente<br />

pour saisir le sens que <strong>les</strong> personnes accor<strong>de</strong>nt à leurs pratiques, ainsi que <strong>les</strong><br />

systèmes <strong>de</strong> références et <strong>de</strong> valeurs qui <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>nt.<br />

Les tableaux ci-<strong>de</strong>ssous récapitulent l’ensemble <strong>de</strong>s concepts, la justification <strong>de</strong><br />

l’éclairage apporté, ainsi que <strong>les</strong> auteurs <strong>de</strong> référence et <strong>les</strong> dimensions abordées.<br />

Notons que nous avons scindé notre cadre <strong>de</strong> référence en <strong>de</strong>ux parties. La<br />

première plante le décor. Il s’agit <strong>de</strong> développer l’ensemble <strong>de</strong>s concepts fondateurs<br />

sans <strong>les</strong>quels la secon<strong>de</strong> partie, celle qui porte plus précisément sur la notion<br />

d’engagement et ses corollaires, n’aurait pas réellement d’ancrage ni <strong>de</strong> sens. Tous<br />

<strong>les</strong> auteurs ne sont pas cités. Ont été retenus ceux sur <strong>les</strong>quels l’étayage du cadre<br />

conceptuel s’est plus largement appuyé.<br />

L’entier du cadre <strong>de</strong> référence, et tout particulièrement <strong>les</strong> concepts explicités<br />

ci-après avec <strong>les</strong> éclairages apportés par <strong>les</strong> différents auteurs, ont été<br />

particulièrement uti<strong>les</strong> <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> la grille d’entretien dont ils<br />

constituent l’ossature principale.<br />

Le tableau 9 ci-<strong>de</strong>ssous représente <strong>les</strong> concepts mobilisés en lien avec le champ<br />

<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, <strong>dans</strong> la première partie du cadre <strong>de</strong> référence.<br />

244


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

TABLEAU 09 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC LES SOINS INFIRMIERS.<br />

Nadot, 2002<br />

Magnon, 2006<br />

Petitat, 1989<br />

Benner, 1995<br />

Kérouac et al., 2003<br />

Dallaire, 2008<br />

Marchal & Psiuk, 2002<br />

Jouteau-Neves, 2005<br />

Hesbeen, 2002<br />

Svandra, 2004<br />

De Bouvet & Sauvaige, 2005<br />

SOINS INFIRMIERS<br />

Auteurs Discipline<br />

Formarier & Poirier-Coutansais, G., 2000<br />

245<br />

Soins<br />

<strong>infirmiers</strong>,<br />

histoire<br />

Dimensions<br />

développées<br />

Histoire <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong><br />

Soins <strong>infirmiers</strong> Nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

Soins <strong>infirmiers</strong><br />

Sirven, 1999 Mé<strong>de</strong>cine<br />

Sainsaulieu, 2003<br />

Dubet, 2002<br />

Clot & Lhuilier, 2010 ; Clot 2006, 2008,<br />

2010<br />

Dejours, 2008, 2009<br />

Martucelli, 2005<br />

Sociologie<br />

Psychologie<br />

De Gaulejac, 2011 Sociologie<br />

Contexte<br />

d’exercice actuel


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

TABLEAU 10 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC L’ÉTHIQUE<br />

ÉTHIQUE<br />

Auteurs Discipline<br />

Fuchs, 1990 Théologie<br />

Morin (Lucien), 1996<br />

Houssaye, 1999<br />

Aristote, Platon<br />

246<br />

Philosophie<br />

Canto-Sperber, 2002 Philosophie<br />

Ricœur , 1990<br />

Lévinas, 1994<br />

Lévinas, 1998<br />

Svandra, 2009a, 2009b<br />

Honoré, 2003<br />

Sirven, 1999<br />

Bolly, 2010<br />

Desaulniers & Jutras, 2006<br />

Hirsch, Ferlen<strong>de</strong>r, 1998<br />

Worms, 2010<br />

Foucault, 1984<br />

Honoré, 2003<br />

Foucault, 1984<br />

Blon<strong>de</strong>au, 1999<br />

Dimensions<br />

développées<br />

Histoire, valeurs<br />

I<strong>de</strong>ntité et<br />

définition <strong>de</strong><br />

l’éthique<br />

Philosophie Altruisme<br />

Soins <strong>infirmiers</strong><br />

Mé<strong>de</strong>cine<br />

Sciences <strong>de</strong><br />

l’éducation<br />

Éthique et<br />

mé<strong>de</strong>cine<br />

Sociologie<br />

Sociologie<br />

Soins <strong>infirmiers</strong><br />

Questionnement<br />

éthique <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

<strong>soins</strong><br />

Prise <strong>de</strong> décision<br />

Questionnement<br />

éthique <strong>dans</strong> le<br />

mon<strong>de</strong> médical<br />

Connaissance et<br />

souci <strong>de</strong> soi<br />

Droit,<br />

déontologie


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

TABLEAU 11 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC LA NOTION<br />

Dubar, 1999<br />

Dubar, 2000<br />

Tap, 1998, 2003<br />

Tap, 2004<br />

D’IDENTITÉ<br />

IDENTITÉ<br />

Auteurs Discipline<br />

247<br />

Dimensions<br />

développées<br />

Sociologie Mêmeté, ipséité<br />

Sociologie<br />

Mucchielli, 1999 Psychologie<br />

Lipiansky, 1998<br />

Cohen-Scali, 2000<br />

Dubar, 2000<br />

Legault, 2003 Philosophie<br />

Construction<br />

dynamique <strong>de</strong><br />

l’i<strong>de</strong>ntité<br />

Dimensions<br />

psychologiques<br />

<strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

Psycho-sociologie I<strong>de</strong>ntité sociale<br />

Crise d’i<strong>de</strong>ntité<br />

sociale, i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

TABLEAU 12 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC LA FORMATION<br />

Barbier, 2004<br />

Fabre, 2011<br />

Jorro, 2009<br />

Perrenoud, 2006<br />

FORMATION<br />

Auteurs Discipline Dimensions<br />

développées<br />

Sciences éducation<br />

248<br />

Savoirs théoriques<br />

et savoirs d’action,<br />

reconnaissance,<br />

réflexivité<br />

Denoyel, 2005 Sciences éducation Alternance<br />

Boutinet, 2005 Psychologie<br />

Perrenoud, 2006 Sciences éducation<br />

Le Boterf, 1998<br />

Le Boterf, 2010<br />

Wittorski, 2007, 2011<br />

Houssaye, 1999<br />

Reboul, 1989<br />

Jutras, 2007, 2010<br />

Gohier, 2005<br />

Desaulniers, M.-P. & Jutras, F.<br />

(2006).<br />

Sciences humaines<br />

Sciences éducation<br />

Boula, 2010 Psychologie<br />

Compétences<br />

Professionnalisation<br />

Valeurs et formation


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

TABLEAU 13 : PRINCIPALES RÉFÉRENCES EN LIEN AVEC LA NOTION<br />

D’ENGAGEMENT<br />

Duchesne et al., 2005<br />

Becker, 2006<br />

Schaufeli et al., 2002<br />

Maslach et al., 2001<br />

Savadogo, 2008<br />

Bobineau, 2010a, 2010b<br />

Ion, 1997<br />

Havard-Duclos & Nicourd, 2005<br />

Fritsch, 2000<br />

Maslach & Leiter, 1997<br />

Schaufeli et al., 2002<br />

Kahn, 1990<br />

Duchesne, 2005<br />

Bobineau, 2010a<br />

ENGAGEMENT<br />

Auteurs Discipline<br />

Nuttin, 2000, Vallerand & Thill, 1993<br />

Jorro & De Ketele, 2011<br />

Mucchielli, 2006<br />

Bobineau, 2010a, 2010b<br />

Salanskis, 2001<br />

Gomez-Muller, 1999<br />

Apel, 1998<br />

Smadja, 2006<br />

Fiat, 2006<br />

249<br />

Psychologie<br />

Philosophie<br />

Sociologie<br />

Sociologie et<br />

psychologie <strong>de</strong>s<br />

organisations<br />

Anthropologie<br />

Psychologie<br />

Anthropologie<br />

Philosophie<br />

Philosophie<br />

Soins<br />

Philosophie<br />

Dimensions<br />

développées<br />

Définition,<br />

compréhension du<br />

concept<br />

Histoire <strong>de</strong><br />

l’engagement<br />

Aspects <strong>de</strong><br />

psychologie du<br />

travail et notion<br />

anthropologiques<br />

sur l’engagement<br />

Engagement et<br />

motivation<br />

Engagement et sens<br />

Engagement et<br />

responsabilité


Kant, (trad. Renaut, 1994)<br />

Gaziaux, 1998<br />

Geay, 2009<br />

Ladrière, 1997<br />

Jouan, M. & Laugier, S. (2009).<br />

Stacey Taylor, J.S. (2008)<br />

Malherbe, 2001<br />

Vinje & Mittelmark, 2006<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

ENGAGEMENT<br />

Auteurs Discipline<br />

250<br />

Philosophie<br />

Psychologie<br />

sociale<br />

12.2 Choix <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d’enquête<br />

Dimensions<br />

développées<br />

Engagement et<br />

autonomie<br />

Engagement et<br />

réflexivité<br />

La recherche permet, <strong>dans</strong> un mouvement dialectique, <strong>de</strong> compléter,<br />

d'approfondir et <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s connaissances. On va chercher, par une approche<br />

phénoménologique, à obtenir une compréhension <strong>de</strong> la réalité au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’apparence<br />

qui s’impose à nous. Le thème qui nous intéresse ne peut être envisagé que <strong>dans</strong> une<br />

perspective interactionniste puisque, selon Mead (cité par Horth, 1986), le<br />

phénomène étudié, ici l’engagement, ne peut se penser sans prendre en compte<br />

l’interprétation du vécu par <strong>les</strong> personnes el<strong>les</strong>-mêmes. Pourtois et Desmet (1997,<br />

p.24) rappellent que la perspective interactionniste « vise la compréhension<br />

interprétative <strong>de</strong> l’action sociale ». Il s'agit donc bien <strong>de</strong> l'interprétation d'une<br />

réalité, indépendamment <strong>de</strong>s <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> vérité <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière.<br />

Cependant, prendre en compte la subjectivité <strong>de</strong>s représentations et du vécu<br />

<strong>de</strong>s personnes représente un enjeu <strong>de</strong> taille pour la validité scientifique <strong>de</strong> la<br />

recherche. Pourtant, selon <strong>les</strong> mêmes auteurs, si l’étu<strong>de</strong> scientifique se réfère à la<br />

signification subjective <strong>de</strong>s actions humaines, cela ne signifie pas pour autant que la<br />

recherche ne soit pas objective. En effet cette <strong>de</strong>rnière peut être contrôlée par le<br />

dispositif méthodologique (Pourtois & Desmet, 1997).<br />

C’est à ce titre qu’il est indispensable <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s décisions vali<strong>de</strong>s au plan<br />

scientifique quant aux métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> recherche à privilégier ainsi qu’à leur<br />

triangulation éventuelle.


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

C’est à cet effet que nous avons choisi <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r en trois temps et <strong>de</strong> nous<br />

appuyer sur trois métho<strong>de</strong>s différentes.<br />

Dans un premier temps, nous avons choisi <strong>de</strong> mener une petite enquête<br />

exploratoire sous la forme <strong>de</strong> sept entretiens. Cette phase, qui peut parfois paraître<br />

inutile ou s’apparenter à une perte <strong>de</strong> temps peu souhaitable, s’est révélée<br />

importante <strong>dans</strong> la mesure où elle nous a permis d’orienter notre questionnement,<br />

comme nous le verrons ci-après.<br />

Dans un <strong>de</strong>uxième temps, nous avons choisi d'introduire, à côté d’un gui<strong>de</strong><br />

plus ouvert pour <strong>les</strong> entretiens, un questionnaire plus fermé constituant une toute<br />

petite partie quantitative à notre recherche. Ce bref questionnaire, présenté plus loin,<br />

a pour objectif <strong>de</strong> permettre <strong>de</strong> dégager une tendance générale sur certaines<br />

questions précises, et d’éclairer ainsi notre sujet <strong>de</strong> recherche sous un angle plus<br />

pragmatique.<br />

Enfin, une troisième et <strong>de</strong>rnière étape, nous a amenée à considérer, en regard<br />

du thème abordé, l’approche qualitative comme la métho<strong>de</strong> la plus appropriée.<br />

En effet cette approche permet d’envisager la complexité <strong>de</strong>s situations ainsi<br />

que la singularité <strong>de</strong>s expressions et <strong>de</strong>s expériences. Les personnes interrogées sont<br />

prises en compte <strong>dans</strong> leur intégrité et <strong>dans</strong> leur contexte, sans se voir « transposées »<br />

en un éventail <strong>de</strong> variab<strong>les</strong>. Le chercheur part <strong>de</strong>s expériences concrètes <strong>de</strong>s<br />

personnes interviewées et prend également en compte la représentation qu’el<strong>les</strong> se<br />

font, ainsi que la signification qu’el<strong>les</strong> donnent au sujet étudié.<br />

La démarche qualitative choisie, quant à elle, permet d’utiliser <strong>de</strong>s techniques<br />

<strong>de</strong> communication spécifiques <strong>dans</strong> le but d'obtenir un maximum d’informations, <strong>les</strong><br />

plus fiab<strong>les</strong> possib<strong>les</strong>, et élargir ainsi le matériau <strong>de</strong> recherche.<br />

Le chercheur est néanmoins conscient qu’il a aussi un impact sur la personne<br />

interrogée. Il doit avoir le souci d’induire le moins possible. Lors <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong>s<br />

données, il est indispensable <strong>de</strong> prendre en compte cet aspect.<br />

251


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

12.3 Avantages et inconvénients <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s<br />

Nous relevons plusieurs aspects qui nous poussent à considérer comme<br />

légitime et pertinent <strong>de</strong> croiser <strong>les</strong> regards en recourant à différentes métho<strong>de</strong>s, à la<br />

fois <strong>dans</strong> la collecte <strong>de</strong> données mais aussi <strong>dans</strong> leur traitement et leur analyse.<br />

En effet, si l'entretien se révèle sans doute le cadre <strong>de</strong> prédilection pour étudier<br />

un phénomène éminemment complexe et intime, il n'en <strong>de</strong>meure pas moins qu'il<br />

affiche une limite importante, à savoir le caractère personnel et la crainte <strong>de</strong> s'exposer<br />

à un jugement, alors même que <strong>les</strong> valeurs véhiculées par la communauté<br />

professionnelle sont très présentes et peuvent générer une hésitation à reconnaître,<br />

par exemple, un désengagement.<br />

Le questionnaire, traité <strong>de</strong> manière anonyme, permet <strong>de</strong> s'exprimer librement<br />

sur <strong>de</strong>s aspects plus personnels.<br />

Un <strong>de</strong>uxième avantage à ce croisement méthodologique rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la fonction<br />

<strong>de</strong> résumé que l'on peut trouver <strong>dans</strong> le questionnaire. En effet celui-ci, conçu <strong>de</strong><br />

façon très synthétique, donne la possibilité d'examiner le phénomène <strong>de</strong> manière<br />

concise. De par le fait que <strong>les</strong> items sont exactement <strong>les</strong> mêmes d'une personne à<br />

l'autre, il va <strong>de</strong> soi qu'il est plus aisé <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong><br />

comparaison. En outre, il existe une possibilité <strong>de</strong> comparer certaines données avec<br />

<strong>les</strong> résultats d’autres recherches menées avec ces mêmes outils. Les biais<br />

d'interprétation possib<strong>les</strong> sont réduits <strong>de</strong> par une marge d’interprétation moindre.<br />

Enfin la tendance générale que nous avons pu obtenir avec notre questionnaire<br />

a ensuite pu être comparée avec la tendance générale obtenue lors <strong>de</strong>s entretiens.<br />

Certes une superposition <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux instruments n'est aucunement possible <strong>dans</strong> la<br />

mesure où <strong>les</strong> données ne sont pas symétriques et cel<strong>les</strong> du questionnaire très<br />

synthétiques. Néanmoins certaines gran<strong>de</strong>s lignes ont pu être mises en parallèle et<br />

leurs convergences ou divergences faire l'objet d'interprétations.<br />

252


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

CHAPITRE 13 : OPÉRATIONNALISATION<br />

Alors que nous avons mis en évi<strong>de</strong>nce l'intérêt <strong>de</strong> mener une recherche sur ce<br />

thème <strong>de</strong> l'engagement, il convient également <strong>de</strong> préciser la manière dont nous<br />

avons procédé pour organiser cette recherche et tenter d'apporter <strong>de</strong>s réponses à la<br />

problématique soulevée.<br />

Nous poserons en tout premier lieu notre regard sur le contexte <strong>de</strong> la recherche,<br />

à savoir <strong>les</strong> conditions théoriques et pratiques <strong>de</strong> sa réalisation. Nous expliquerons<br />

<strong>les</strong> raisons ayant motivé notre choix <strong>de</strong>s trois populations retenues, ainsi que la<br />

manière dont nous avons constitué nos échantillons, intégrés au paysage complexe<br />

<strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées.<br />

13.1 Contexte <strong>de</strong> la recherche<br />

L’éthique <strong>de</strong> l’engagement revêt à notre sens une importance sans précé<strong>de</strong>nt, et<br />

ce, pour diverses raisons. En effet, alors même que <strong>les</strong> étudiantes s'engagent <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, el<strong>les</strong> vont <strong>de</strong>voir faire face à <strong>de</strong>s champs <strong>de</strong> tensions multip<strong>les</strong>. Le<br />

soin nécessite effectivement un engagement du soignant. Peut-on réellement soigner<br />

sans être engagé ? De quelle forme <strong>de</strong> soin s'agit-il ?<br />

Le soignant est engagé à différents niveaux : d'abord, son engagement premier<br />

s'oriente vers le patient en tant que personne humaine à laquelle il a décidé <strong>de</strong> venir<br />

en ai<strong>de</strong>. Ensuite, il s'engage envers sa profession dont il a embrassé la déontologie et<br />

<strong>les</strong> compétences, aussi bien techniques que relationnel<strong>les</strong> ou socia<strong>les</strong>. Enfin, il<br />

s'engage envers une institution qui lui donne son emploi, son salaire et un cadre<br />

d'exercice.<br />

Si l'on se réfère à l'étymologie du terme « engagement », on retrouve <strong>les</strong> notions<br />

<strong>de</strong> « se lier à, mettre en gage sa personne ». C'est donc un acte fondamental<br />

253


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

important qui est attendu du soignant ici. Il est d'autant plus important <strong>de</strong> souligner<br />

cet aspect, que notre société ne valorise pas vraiment l'engagement, portée comme<br />

elle l'est par <strong>de</strong>s valeurs d'individualisme et d'intérêt personnel. Peu reconnu par la<br />

société, l'engagement subit un <strong>de</strong>uxième fléau <strong>dans</strong> l’univers soignant, à savoir celui<br />

<strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail détériorées et précarisées par la rationalisation budgétaire et<br />

la crise économique.<br />

Si l'on ne peut réellement penser le soin sans engagement, il importe alors <strong>de</strong><br />

travailler ce concept <strong>de</strong> manière réfléchie avec <strong>les</strong> étudiantes, en examinant <strong>les</strong><br />

dimensions conceptuel<strong>les</strong> qui le composent et le fon<strong>de</strong>nt, en connaissance <strong>de</strong> ses<br />

valeurs et ses limites, ainsi que <strong>de</strong> son inscription <strong>dans</strong> la réalité <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong>.<br />

Nous expliquerons, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> sections qui suivent, comment nous avons sélectionné<br />

nos échantillons. Nous avons fait le choix <strong>de</strong> conduire cette étu<strong>de</strong> sur la Suisse<br />

roman<strong>de</strong> qui constitue la population à laquelle nous avons un accès direct.<br />

L’inclusion <strong>de</strong> la Suisse alémanique aurait posé le problème <strong>de</strong> la validité <strong>de</strong> la<br />

traduction et n’aurait guère eu <strong>de</strong> pertinence étant donné que le système <strong>de</strong><br />

formation proposé y est relativement différent.<br />

La formation infirmière relève, en Suisse roman<strong>de</strong>, <strong>de</strong> la compétence <strong>de</strong>s<br />

Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées. Ces hautes éco<strong>les</strong> étant relativement récentes, nous en<br />

expliquerons l’organisation, le fonctionnement ainsi que <strong>les</strong> différentes missions. Le<br />

terrain d’investigation étant connu, nous pourrons alors développer une explication<br />

sur <strong>les</strong> instruments et métho<strong>de</strong>s utilisés pour la récolte <strong>de</strong>s données.<br />

13.2 Choix <strong>de</strong>s populations<br />

Nous avons souhaité optimiser la fidélité <strong>de</strong> notre outil <strong>de</strong> collecte en<br />

augmentant la variabilité <strong>de</strong>s données par la constitution d’un échantillon large et<br />

diversifié. Par ailleurs nous avons mis en place une phase exploratoire <strong>de</strong> sept<br />

entretiens qui a permis <strong>de</strong> préciser la formulation <strong>de</strong> certaines questions, d’élargir le<br />

champ d’investigation en rajoutant certains items et <strong>de</strong> retrancher <strong>de</strong>s items<br />

redondants en ouvrant <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> pistes <strong>de</strong> réflexion. Cette démarche exploratoire,<br />

conduite sous la forme d’entretiens relativement libres, inspirés <strong>de</strong>s travaux <strong>de</strong><br />

254


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Rogers (Quivy & Campenhoudt, 2006), laisse aux personnes interrogées une liberté<br />

<strong>dans</strong> la direction qu’el<strong>les</strong> souhaitent donner à l’entretien. Afin <strong>de</strong> ne pas réduire<br />

l’échantillon disponible pour la recherche, cette phase a été conduite auprès<br />

d’étudiantes <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> <strong>dans</strong> un Institut <strong>de</strong> Formation en France. Même si le<br />

contexte culturel, ainsi que certains aspects spécifiques à la formation en France<br />

teintent bien entendu ces entretiens, ils ne constituent néanmoins pas une entrave à<br />

l’appréhension du sujet <strong>dans</strong> sa globalité et <strong>dans</strong> ses caractéristiques principa<strong>les</strong>.<br />

L’analyse <strong>de</strong>s données recueillies lors <strong>de</strong>s entretiens exploratoires a permis <strong>de</strong> cibler<br />

<strong>les</strong> questions et thèmes <strong>les</strong> plus pertinents à développer <strong>dans</strong> notre grille d’entretien,<br />

pour répondre à nos questionnements.<br />

Après la phase exploratoire, nous avons envoyé un courrier aux six éco<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

Suisse roman<strong>de</strong> pour obtenir l’autorisation d’enquêter auprès <strong>de</strong>s enseignants ainsi<br />

qu’auprès <strong>de</strong>s étudiants <strong>de</strong> leur institution. Nous avons présenté notre recherche et<br />

formulé notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> précise. Nous avons obtenu cette autorisation pour toutes <strong>les</strong><br />

éco<strong>les</strong>, sauf une qui n’a pas donné suite à nos <strong>de</strong>ux courriers. Dans chacune <strong>de</strong>s<br />

autres institutions, nous avons pu avoir une personne <strong>de</strong> contact jouant le rôle<br />

d’intermédiaire. L’organisation mise en place autour <strong>de</strong> notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> par <strong>les</strong><br />

différentes éco<strong>les</strong> a eu un impact sur la constitution <strong>de</strong> l’échantillon ainsi que sur le<br />

taux <strong>de</strong> participation. Il va ainsi <strong>de</strong> soi que, lorsque notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong> était soutenue par<br />

cette personne intermédiaire, le taux <strong>de</strong> participation était largement supérieur.<br />

Dans <strong>de</strong>ux éco<strong>les</strong>, l'existence <strong>de</strong> cette recherche et le souhait d'obtenir <strong>de</strong>s<br />

entretiens ont été mentionnés par un simple mail <strong>de</strong>mandant aux étudiantes <strong>de</strong><br />

s'adresser à nous pour plus <strong>de</strong> renseignements. Or, n'étant pas connue <strong>de</strong> ces<br />

personnes, la démarche restait somme toute assez impersonnelle et, <strong>dans</strong> ce cas, <strong>les</strong><br />

résultats furent assez décevants, puisqu’aucune étudiante ne s’est manifestée. En<br />

revanche, <strong>dans</strong> d'autres établissements, nous avons fait <strong>de</strong>s expériences intéressantes.<br />

Ainsi, <strong>dans</strong> l'un d'eux, une personne a directement pris contact avec <strong>les</strong> étudiantes et<br />

nous a transmis la liste <strong>de</strong>s personnes intéressées ; <strong>dans</strong> un autre, l'intermédiaire a<br />

même été jusqu'à planifier <strong>les</strong> entretiens sur <strong>de</strong>ux journées pour nous, tandis qu'une<br />

troisième nous ouvrait <strong>les</strong> portes pour présenter notre recherche in vivo <strong>de</strong>vant <strong>les</strong><br />

255


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

étudiantes. Dans ces <strong>de</strong>rniers cas, <strong>les</strong> résultats ont été très satisfaisants et nous ont<br />

permis <strong>de</strong> réunir l'échantillon d’étudiantes souhaité.<br />

En ce qui concerne <strong>les</strong> enseignants, nous avons procédé <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières.<br />

Nous avons également présenté notre recherche <strong>de</strong> manière détaillée par mail aux<br />

enseignants <strong>de</strong>s différentes éco<strong>les</strong>. Nous avons obtenu par cette voie environ la<br />

moitié <strong>de</strong> notre échantillon. Pour la secon<strong>de</strong> moitié, nous avons nous-mêmes contacté<br />

directement <strong>de</strong>s collègues <strong>de</strong> différentes éco<strong>les</strong> que nous connaissions au préalable.<br />

Enfin, concernant <strong>les</strong> praticiens formateurs, nous avons présenté la recherche<br />

<strong>dans</strong> le cadre d'une formation continue qui se déroule <strong>dans</strong> nos murs et qui<br />

rassemble ces professionnels du terrain. Nous avions ainsi accès, en une seule<br />

journée, à un grand nombre <strong>de</strong> personnes et un important pourcentage a répondu<br />

par la positive. Nous avons par ailleurs interrogé également <strong>les</strong> praticiens formateurs<br />

qui accompagnaient nos étudiantes sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> stage au moment <strong>de</strong> cette phase<br />

d'enquête.<br />

13.3 Constitution <strong>de</strong>s échantillons<br />

Dans chacune <strong>de</strong>s populations choisies pour cette enquête, il nous était bien<br />

entendu impossible d’obtenir l’entier <strong>de</strong> la population. Nous avons alors sélectionné<br />

un échantillon qui soit suffisamment représentatif.<br />

Nous avons choisi <strong>de</strong> nous limiter à la Suisse roman<strong>de</strong>, non par souci<br />

linguistique, mais parce que la formation infirmière y est relativement spécifique. En<br />

effet la Suisse alémanique a choisi <strong>de</strong> conserver un système <strong>de</strong> formation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> majoritairement <strong>de</strong> niveau secondaire, tandis qu’en Suisse roman<strong>de</strong> elle<br />

est, à l'heure actuelle, exclusivement dispensée au niveau tertiaire. De plus la<br />

différence culturelle importante entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux régions constituerait un élément<br />

significatif qu'il serait nécessaire <strong>de</strong> prendre en compte, ce qui n'est pas l’objet <strong>de</strong> ce<br />

travail.<br />

Pour mieux cerner <strong>les</strong> caractéristiques <strong>de</strong>s échantillons, il est nécessaire <strong>de</strong> faire<br />

un petit détour par l’évolution <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s infirmières, et en particulier<br />

l’histoire relativement récente <strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées.<br />

256


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

13.4 Les HES, une histoire récente<br />

Une restructuration importante a été entreprise en Suisse roman<strong>de</strong> au niveau<br />

tertiaire <strong>de</strong>puis la fin <strong>de</strong>s années quatre-vingt-dix. Cela concerne également <strong>les</strong> éco<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. La situation est un peu différente en Suisse alémanique, raison<br />

pour laquelle nous nous limiterons à évoquer le cas <strong>de</strong> la Suisse roman<strong>de</strong>. Les éco<strong>les</strong><br />

jusqu’alors indépendantes ont en effet été regroupées en HES (Hautes Éco<strong>les</strong><br />

Spécialisées) sous un organe faîtier, la HES-SO (Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées <strong>de</strong> Suisse<br />

Occi<strong>de</strong>ntale), suite à un concordat signé par plusieurs cantons le 9 janvier 1997 et qui<br />

est entré en vigueur le 27 mai 1999. Les cantons <strong>de</strong> Fribourg, Genève, Jura, Neuchâtel,<br />

Valais et Vaud ont signé ce concordat qui inaugure le passage <strong>de</strong>s éco<strong>les</strong><br />

d’infirmières <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré secondaire au <strong>de</strong>gré tertiaire. Les formations proposées<br />

<strong>de</strong>viennent alors <strong>de</strong>s formations universitaires. Le but est d’offrir une formation qui<br />

soit <strong>de</strong> niveau universitaire sur le plan théorique, mais avec un versant<br />

professionnalisant, permettant une intégration rapi<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> professionnel.<br />

La profession infirmière n’est <strong>de</strong> loin pas la seule concernée par ces changements. De<br />

nombreuses autres disciplines sont également passées au niveau HES :<br />

physiothérapie, ergothérapie, travail social, ingénierie, gestion…<br />

La HES-SO compte aujourd’hui quarante filières <strong>de</strong> formation réparties sur<br />

trente-trois sites et quelque quinze mille étudiants <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> domaines.<br />

Cependant six éco<strong>les</strong> dispensent la formation qui prépare à l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> et nous présenterons ici cel<strong>les</strong> qui ont accepté <strong>de</strong> participer à cette<br />

recherche.<br />

Haute École <strong>de</strong> Santé <strong>de</strong> Genève<br />

À la fin du XIXe siècle, une jeune fille du nom <strong>de</strong> Marguerite Champendal<br />

réalise une formation en mé<strong>de</strong>cine à Paris, fait rarissime en ce temps-là. À son retour<br />

à Genève, Marguerite va travailler avec <strong>les</strong> enfants défavorisés et sous-alimentés,<br />

avant <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>r l’école d’infirmière « le Bon Secours » en 1905, qui lui survivra<br />

malgré <strong>de</strong> nombreuses tribulations. Cette école sera reprise par l’État en 1966 avant<br />

d’intégrer la structure HES.<br />

257


Haute École <strong>de</strong> Santé <strong>de</strong> Fribourg<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

La Haute École <strong>de</strong> santé <strong>de</strong> Fribourg est la première école d’État <strong>de</strong> Suisse à être<br />

créée. Elle est mise sur pied le 6 décembre 1907 par Georges Python, Conseiller d’État,<br />

directeur <strong>de</strong> l’instruction publique. Cependant, pour bon nombre <strong>de</strong> raisons<br />

politiques et organisationnel<strong>les</strong>, l’école n’ouvrira ses portes que le 29 octobre 1913.<br />

L’école est pendant <strong>de</strong> nombreuses années dirigée par <strong>de</strong>s religieuses qui<br />

cè<strong>de</strong>nt le contrôle à une direction laïque en 1976 ; elle <strong>de</strong>vient école publique en 1978.<br />

Le canton <strong>de</strong> Fribourg étant un canton <strong>de</strong> langue bilingue : français et suisse-<br />

allemand, l’école ouvrira la possibilité <strong>de</strong> réaliser la formation en langue alémanique<br />

dès 1992. Jusque-là orientée sur <strong>les</strong> <strong>soins</strong> généraux, l’école s’associera à une autre<br />

école orientée <strong>soins</strong> psychiatriques, pour ne plus fon<strong>de</strong>r qu’une seule entité dès 1993.<br />

Les premières étudiantes à bénéficier <strong>de</strong> l’entrée <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> Fribourg <strong>dans</strong> la<br />

structure HES sont cel<strong>les</strong> qui ont débuté leur formation en octobre 2002.<br />

Haute École <strong>de</strong> Santé Arc<br />

La Haute École <strong>de</strong> Santé Arc est constituée du regroupement <strong>de</strong> trois<br />

institutions <strong>de</strong>s cantons du Jura, Jura-Bernois et Neuchâtel, auparavant<br />

indépendantes : l’école <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> CESANE à la Chaux-<strong>de</strong>-Fonds, l’école<br />

ESIG à Delémont, l’école du CEFOPS à Saint-Imier. Les trois éco<strong>les</strong> sont issues <strong>de</strong><br />

fondations privées, créées à différents moments et amenées à s’unir pour <strong>de</strong>venir une<br />

entité unique intégrée à la HES-SO. Il est décidé que la direction <strong>de</strong> la filière <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> resterait à Delémont avec <strong>de</strong>s enseignements dispensés sur <strong>de</strong>ux lieux<br />

d’activité : Delémont et Neuchâtel.<br />

Avec la création <strong>de</strong> la Haute École Arc, le pari est réussi <strong>de</strong> réunir trois cantons<br />

et <strong>de</strong> créer une Haute École couvrant tout l’Arc Bejune (Berne-Jura-Neuchâtel). La<br />

Haute École Arc ne se limite pas à la filière infirmière, puisqu’elle renferme trois<br />

autres domaines : l’ingénierie, la gestion et <strong>les</strong> arts appliqués. La direction générale<br />

est basée à Neuchâtel et assure la coordination <strong>de</strong> l’ensemble.<br />

258


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

13.5 Des échantillons hétérogènes<br />

Étant donné la dimension pédagogique <strong>de</strong> cette recherche, nous avions jugé<br />

pertinent, <strong>de</strong> prime abord, <strong>de</strong> sélectionner <strong>de</strong>ux populations : <strong>les</strong> étudiantes ainsi que<br />

leurs enseignants. Toutefois, dès <strong>les</strong> premiers entretiens avec <strong>les</strong> étudiantes, nous<br />

avons pu relever l'accent très fort qu’el<strong>les</strong> plaçaient sur la partie pratique <strong>de</strong> la<br />

formation en alternance. Il nous a donc semblé essentiel d’inclure <strong>les</strong> praticiens<br />

formateurs <strong>dans</strong> notre recherche, <strong>dans</strong> la mesure où ceux-ci jouent également un rôle<br />

pédagogique important auprès <strong>de</strong>s étudiantes. Ces professionnels du soin sont<br />

chargés d’encadrer <strong>les</strong> étudiants en stage et <strong>de</strong> <strong>les</strong> gui<strong>de</strong>r en regard <strong>de</strong> leur niveau<br />

taxonomique. Les praticiens formateurs ont donc constitué donc notre troisième<br />

population faisant l’objet <strong>de</strong> la présente recherche.<br />

Le choix <strong>de</strong> ces trois populations hétérogènes permet <strong>de</strong> cerner le phénomène<br />

avec une plus gran<strong>de</strong> représentativité. Idéalement nous aurions souhaité réaliser un<br />

échantillonnage probabiliste stratifié. Néanmoins <strong>les</strong> mesures imposées par <strong>les</strong><br />

différentes éco<strong>les</strong> ne le permettaient pas. Nous avons donc constitué, <strong>dans</strong> un<br />

premier temps, un échantillonnage <strong>de</strong> volontaires.<br />

Ceci dit, cette forme d’échantillonnage comporte un biais évi<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> la<br />

volonté même <strong>de</strong>s personnes à participer, volonté qui fait déjà preuve en elle-même<br />

d’une forme d’engagement. Pour contourner ce biais, nous avons pris la décision <strong>de</strong><br />

nous orienter vers un échantillonnage par quotas. Nous avons accepté une part <strong>de</strong><br />

volontaires <strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois populations, mais nous avons également fait une <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

plus formelle et plus directe à <strong>de</strong>s étudiantes <strong>de</strong> notre établissement, ainsi qu’à <strong>de</strong>s<br />

enseignants et praticiens formateurs afin <strong>de</strong> constituer un échantillon qui ne soit pas<br />

seulement composé <strong>de</strong> volontaires, mais également <strong>de</strong> personnes <strong>de</strong> prime abord<br />

plus réticentes, ceci afin <strong>de</strong> favoriser au maximum la diversité <strong>de</strong>s expériences.<br />

Nous avons, par exemple, fait <strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s directes auprès d’étudiantes <strong>de</strong><br />

notre institution que nous suivions en stage, auprès <strong>de</strong> praticiens formateurs chargés<br />

<strong>de</strong>s suivis pratiques, ainsi qu’auprès d’enseignants rencontrés <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s réunions.<br />

259


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Interpellées directement, ces personnes ont accepté <strong>de</strong> participer à l’entretien, alors<br />

qu’el<strong>les</strong> ne s’étaient pas manifestées lors <strong>de</strong> la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> institutionnelle préalable.<br />

La taille <strong>de</strong>s trois échantillons constitués est proportionnelle à la taille <strong>de</strong>s<br />

populations respectives.<br />

Échantillon d'étudiantes : 20 étudiants-tes<br />

Haute École <strong>de</strong> Santé Genève : 5 étudiants-es.<br />

Haute École <strong>de</strong> Santé Fribourg : 5 étudiants-es.<br />

Haute École <strong>de</strong> Santé Arc : 10 étudiants-es.<br />

Échantillon d’enseignants : 13 enseignants-tes<br />

Haute École <strong>de</strong> Santé Genève : 5 enseignants-es.<br />

Haute École <strong>de</strong> Santé Fribourg : 3 enseignants-es.<br />

Haute École <strong>de</strong> Santé Arc : 5 enseignants-es.<br />

Échantillon <strong>de</strong> 11 praticiens formateurs<br />

Différents lieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, intra et extrahospitaliers <strong>de</strong>s cantons <strong>de</strong> Neuchâtel, Jura et<br />

Vaud : 11 praticiens formateurs.<br />

Ces praticiens-formateurs sont <strong>de</strong>s professionnels <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> qui ont réalisé une<br />

formation continue supérieure en pédagogie, <strong>dans</strong> le but d'encadrer <strong>les</strong> étudiantes<br />

durant leurs stages. Nous avons sollicité leur participation lors d'une formation<br />

continue, ainsi que lors <strong>de</strong>s suivis <strong>de</strong> stage. Ils sont représentatifs <strong>de</strong>s milieux <strong>de</strong><br />

<strong>soins</strong> <strong>les</strong> plus divers : <strong>soins</strong> intensifs, mé<strong>de</strong>cine, chirurgie, psychiatrie, <strong>soins</strong> à<br />

domicile, dialyse...<br />

Ils exercent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cantons <strong>de</strong> Neuchâtel, du Jura et <strong>de</strong> Vaud. Nous ne<br />

présenterons pas leurs lieux d’activité, beaucoup trop disparates, dont l’intérêt <strong>dans</strong><br />

le cadre <strong>de</strong> notre recherche n’est pas significatif et qui pourrait, par ailleurs, mettre<br />

en danger l’anonymat <strong>de</strong>s personnes.<br />

260


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

CHAPITRE 14 : INSTRUMENTS UTILISÉS POUR LE RECUEIL<br />

DE DONNÉES<br />

C’est à l’issue <strong>de</strong> notre phase exploratoire que nous avons décidé <strong>de</strong> recourir à<br />

différents instruments pour mener notre recherche. Cette combinaison <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

métho<strong>de</strong>s doit nous permettre <strong>de</strong> mieux prendre en compte l’exhaustivité du<br />

phénomène.<br />

La phase exploratoire (Annexe 7) a mis en évi<strong>de</strong>nce certaines emphases plus<br />

importantes que nous ne <strong>les</strong> avions envisagées au départ. Alors que nous pensions,<br />

<strong>de</strong> prime abord, traiter l’engagement sous un angle éthique mais <strong>de</strong> manière plutôt<br />

décontextualisée, au cœur du cursus <strong>de</strong> formation mais pas forcément en lien avec la<br />

pratique, <strong>les</strong> entretiens exploratoires nous ont conduit à modifier radicalement cette<br />

approche. En effet, <strong>les</strong> différentes dimensions du contexte <strong>de</strong> travail, <strong>les</strong> équipes et<br />

<strong>les</strong> logiques organisationnel<strong>les</strong> et managéria<strong>les</strong> qui découlent <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières<br />

transformations du mon<strong>de</strong> hospitalier, se sont révélés être <strong>de</strong>s éléments clés <strong>dans</strong> la<br />

problématique <strong>de</strong> l’engagement. C’est en lien avec ces éléments que nous avons pu<br />

ressentir le plus <strong>de</strong> frustration, voire <strong>de</strong> colère <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s jeunes soignants <strong>de</strong>vant<br />

faire face à <strong>de</strong>s situations contraires à leurs valeurs et aux principes éthiques <strong>de</strong> la<br />

profession. C’est également lors <strong>de</strong> ces entretiens que nous avons réalisé l’importance<br />

accordée par certains étudiants à un accompagnement pédagogique individualisé au<br />

sein <strong>de</strong> la formation. Nous avons donc choisi <strong>de</strong> compléter notre grille d’entretien<br />

pour pouvoir englober ces différents aspects.<br />

C’est également lors <strong>de</strong> cette phase que nous avons noté la gêne <strong>de</strong>s interviewés<br />

à répondre à certaines questions pouvant laisser entrevoir un « désengagement » et<br />

que nous avons décidé <strong>de</strong> mettre par écrit quelques questions ainsi que <strong>de</strong>ux échel<strong>les</strong><br />

validées, pour permettre aux personnes <strong>de</strong> donner un avis anonyme sur le sujet. On<br />

relèvera, par exemple, la retenue qui peut caractériser une personne s’engageant<br />

261


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

avant tout par intérêt personnel en vue d’une rémunération, ou encore pour obtenir<br />

une valorisation quelconque. La combinaison <strong>de</strong>s méthodologies anonymes et<br />

dialogiques nous semblait pouvoir garantir une meilleure couverture du champ<br />

exploré.<br />

14.1 De l’intérêt <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s<br />

L’enquête par questionnaire est appropriée lorsqu’il s’agit d’étudier <strong>de</strong>s<br />

opinions ou <strong>de</strong>s faits. Dans notre recherche, il nous avait semblé très limitatif <strong>de</strong> nous<br />

contenter d’une étu<strong>de</strong> quantitative, étant donné le caractère éminemment personnel<br />

et profond du sujet traité. L’entrevue ouvre <strong>de</strong>s horizons plus larges que <strong>les</strong> simp<strong>les</strong><br />

faits et opinions. Toutefois nous avons réalisé que l’utilisation d’un questionnaire<br />

comme complément à notre recherche pourrait avoir un intérêt certain. D’une part, il<br />

s’agit d’un outil concis qui permet tant <strong>de</strong> faire une sorte <strong>de</strong> photographie du<br />

phénomène étudié, que <strong>de</strong> rendre possible une mise en relation avec la phase<br />

qualitative, conférant à celle-ci, <strong>de</strong> ce fait, une validité supérieure. Cette métho<strong>de</strong> dite<br />

quantitative a comme avantage l’obtention d’un certain nombre <strong>de</strong> réponses qui<br />

entrent <strong>dans</strong> un cadre défini à l’avance par le chercheur. L’absence <strong>de</strong> données<br />

étrangères ou annexes donne lieu à un traitement relativement sûr et fiable.<br />

Néanmoins la limite importante <strong>de</strong> cette métho<strong>de</strong> se trouve à la fois <strong>dans</strong> le caractère<br />

contraignant et réducteur du modèle imposé, ainsi que <strong>dans</strong> le risque d’obtenir <strong>de</strong>s<br />

réponses peu réfléchies.<br />

L’enquête par entretien est une métho<strong>de</strong> qualitative dont certaines données<br />

peuvent cependant être traitées <strong>de</strong> manière quantitative; la métho<strong>de</strong> qui utilise <strong>de</strong>s<br />

entretiens vise avant tout à une compréhension en profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s phénomènes. Une<br />

gran<strong>de</strong> place est laissée à l'expression individuelle et à la direction que la personne<br />

veut laisser prendre au dialogue. Les données sont plus diffici<strong>les</strong> à analyser que<br />

cel<strong>les</strong> issues d’un instrument quantitatif, néanmoins <strong>les</strong> données recueillies lors<br />

d’entretiens permettent <strong>de</strong> cerner <strong>les</strong> phénomènes <strong>dans</strong> une plus gran<strong>de</strong> exhaustivité.<br />

Les dimensions à la fois <strong>de</strong>scriptives et compréhensives, selon <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> nous<br />

avons choisi d’examiner notre problématique, nous invitent à considérer<br />

l’importance d’obtenir <strong>de</strong>s données qualitatives, <strong>dans</strong> la mesure où l’entretien<br />

262


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

privilégie le processus <strong>de</strong> communication et d’interaction sur le plan humain. La<br />

démarche compréhensive cherche à i<strong>de</strong>ntifier quelle est la logique sociale <strong>de</strong>s acteurs.<br />

Elle est un excellent moyen pour expliciter le phénomène <strong>dans</strong> ses différentes<br />

dimensions.<br />

14.2 Caractéristiques du questionnaire<br />

La technique d’investigation par questionnaire a pour objectif « la vérification<br />

d’hypothèses théoriques et l’examen <strong>de</strong> corrélations que ces hypothèses suggèrent »<br />

(Quivy & Van Campenoudt, 2006). Le questionnaire a été distribué aux personnes<br />

ayant accepté <strong>de</strong> répondre à l’entretien. El<strong>les</strong> disposaient <strong>de</strong> trois semaines pour y<br />

répondre et le rendre sous forme anonyme, soit en le plaçant directement <strong>dans</strong> ma<br />

boîte aux lettres <strong>de</strong> l’école, soit en le faisant parvenir à notre secrétaire qui a, au<br />

préalable, reçu l’ordre d’ôter l’enveloppe avant <strong>de</strong> me le remettre afin d’éviter une<br />

possible i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> la personne.<br />

Nous avions pensé administrer ce questionnaire en début d’entretien, ce qui<br />

nous aurait permis d’avoir un maximum <strong>de</strong> retours. Cependant, le risque <strong>de</strong> voir<br />

l’entretien influencé par <strong>les</strong> questions posées lors <strong>de</strong> cette première phase, nous<br />

semblait trop important, sachant aussi que la présence d’un tiers pourrait induire <strong>de</strong>s<br />

réponses moins spontanées et quelque peu censurées.<br />

C’est pourquoi nous avons choisi <strong>de</strong> donner le questionnaire en mains propres<br />

et <strong>de</strong>mandé aux personnes <strong>de</strong> nous le renvoyer.<br />

Il s’agit d’un instrument quantitatif auto-administré. Il contient <strong>de</strong>s questions<br />

dichotomiques basées sur une échelle préexistante <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’engagement<br />

(Schaufeli & Salanova, 2007), <strong>de</strong>s questions avec échel<strong>les</strong> <strong>de</strong> rangs permettant <strong>de</strong><br />

graduer <strong>les</strong> réponses proposées selon un ordre <strong>de</strong> préférence, ainsi que <strong>de</strong>s questions<br />

semi-ouvertes donnant lieu à un éventuel approfondissement <strong>de</strong> la pensée.<br />

Nous avons souhaité que ce questionnaire soit suffisamment succinct pour ne<br />

pas créer une surcharge <strong>de</strong> travail auprès <strong>de</strong>s personnes qui ont déjà donné <strong>de</strong> leur<br />

temps pour <strong>les</strong> entretiens.<br />

263


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Le fait d’obtenir <strong>de</strong>s données à partir <strong>de</strong> ce questionnaire permet <strong>de</strong> repérer <strong>les</strong><br />

gran<strong>de</strong>s tendances <strong>de</strong> convergence ou <strong>de</strong> divergence entre <strong>les</strong> questionnaires et <strong>les</strong><br />

données <strong>de</strong>s entretiens. El<strong>les</strong> peuvent parfois faire émerger <strong>de</strong>s hypothèses qui se<br />

vérifient éventuellement si el<strong>les</strong> trouvent une récurrence.<br />

Dans la construction <strong>de</strong> notre questionnaire, nous avons choisi <strong>de</strong> nous limiter à<br />

quelques questions qui sont <strong>les</strong> suivantes :<br />

1.- Degré d'engagement<br />

Cette question est intéressante <strong>dans</strong> la mesure où elle nous permet <strong>de</strong> savoir<br />

comment la personne s'évalue elle-même par rapport à son engagement<br />

professionnel.<br />

2.- Raisons qui motivent l'engagement<br />

Ces items ont été retenus d'après la littérature existante sur le thème <strong>de</strong><br />

l'engagement (Schaufeli, 2005).<br />

3.- Conséquences <strong>de</strong> l'engagement<br />

Ce sont <strong>les</strong> conséquences que la personne perçoit pour elle-même (items<br />

également validés par la littérature et <strong>de</strong>s recherches antérieures, en particulier <strong>dans</strong><br />

le domaine <strong>de</strong> la psychologie du travail).<br />

4.- Trois questions généra<strong>les</strong><br />

Ces questions <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt une réflexion plus importante et visent à montrer le<br />

<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> conceptualisation autour <strong>de</strong> l'engagement et <strong>de</strong> sa dimension éthique <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Ces questions peuvent apporter <strong>de</strong>s compléments aux données qualitatives.<br />

La grille du questionnaire utilisé est disponible <strong>dans</strong> son entier en Annexe 8.<br />

264


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

14.3 Caractéristiques <strong>de</strong>s entretiens<br />

Nous baser uniquement sur <strong>de</strong>s questionnaires nous a semblé totalement<br />

inapproprié en regard <strong>de</strong> la thématique et <strong>de</strong> la complexité du phénomène étudié.<br />

Par ailleurs, l’expérience montre que <strong>les</strong> réponses apportées <strong>dans</strong> un questionnaire<br />

sont parfois peu réfléchies et relativement superficiel<strong>les</strong> (Dépelteau, 2000). C’est<br />

pourquoi la <strong>de</strong>uxième étape, l’approfondissement par <strong>les</strong> entretiens, nous semblait<br />

incontournable.<br />

Bien appropriés à la démarche hypothético-déductive, nous avons opté pour<br />

<strong>de</strong>s entretiens <strong>de</strong> type semi-directif selon Kaufmann (2011). Le chercheur dispose<br />

d’une grille <strong>de</strong> thèmes dont il ne révèle pas le contenu à la personne interrogée. La<br />

formulation <strong>de</strong>s questions n’est pas prédéterminée. Il pose une question <strong>de</strong> départ et<br />

laisse la personne s’exprimer librement, en intervenant peu, en reformulant pour<br />

s’assurer d’une bonne compréhension et en intervenant lorsque l’interlocuteur<br />

s’éloigne du sujet traité, ce qui constitue la seule contrainte à la liberté <strong>de</strong> l’enquêteur.<br />

Les termes <strong>de</strong> non-directivité ou semi-directivité sont issus <strong>de</strong> la psychosociologie <strong>de</strong><br />

Rogers, psychothérapeute ayant montré, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années quarante, l’importance <strong>de</strong><br />

ne pas « enfermer » l’interlocuteur <strong>dans</strong> un schéma prédéfini mais <strong>de</strong> lui laisser une<br />

certaine « indépendance psychologique » (Blanchet & Gotman, 2001, p.12). Nous<br />

partageons toutefois l’avis <strong>de</strong> Kaufmann (2011), selon lequel un effacement trop<br />

important <strong>de</strong> l’enquêteur peut générer une très gran<strong>de</strong> retenue chez l’interviewé.<br />

Sans pour autant nous engager <strong>dans</strong> une discussion, acquiescer franchement ou<br />

donner notre avis, nous avons choisi d’être présente par notre posture et notre écoute<br />

active, qui démontre, à notre avis, notre intérêt pour la personne interrogée.<br />

La technique utilisée pour l’entrevue est donc celle <strong>de</strong> l’entretien semi-structuré.<br />

Cette technique permet <strong>de</strong> cerner <strong>les</strong> données <strong>de</strong> manière plus précise que le<br />

questionnaire. L’espace est laissé au discours, <strong>les</strong> questions ne sont pas posées <strong>dans</strong><br />

un ordre figé, mais en fonction <strong>de</strong> la discussion et en respectant le cadre <strong>de</strong> pensée<br />

<strong>de</strong>s personnes interrogées. La grille <strong>de</strong> questions correspond à un canevas souple<br />

ayant pour seul but <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r le chercheur pour qu’il ne s’éloigne pas du sujet. Cette<br />

technique a le mérite <strong>de</strong> « combiner l’objectivité et la profon<strong>de</strong>ur » (Lamoureux,<br />

265


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

2000, p.148). Elle comporte aussi une dynamique qui lui permet <strong>de</strong> s’adapter à<br />

l’entretien et <strong>de</strong> s’ouvrir à <strong>de</strong> nouveaux domaines, peut-être encore inédits.<br />

Durant l’entretien, nous avons utilisé différentes techniques <strong>de</strong> communication,<br />

tel<strong>les</strong> que la validation, la reformulation, l’explicitation. L’objectif était <strong>de</strong> bien<br />

comprendre <strong>les</strong> logiques <strong>de</strong>s acteurs, <strong>les</strong> contingences <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> s’inscrit leur<br />

expérience, et <strong>de</strong> cerner au plus près leurs pratiques. L’entretien visait également à<br />

cerner <strong>les</strong> représentations socia<strong>les</strong>, <strong>les</strong> systèmes <strong>de</strong> valeurs et système <strong>de</strong> référence<br />

normatifs.<br />

La validation permet, par un mot, une posture ou un acte non-verbal, <strong>de</strong><br />

signaler à l’interlocuteur que l’on a bien compris ce qu’il a dit.<br />

La reformulation consiste à reprendre <strong>de</strong>s éléments thématisés par la personne<br />

avec d’autres termes pour vérifier l’interprétation que l’on a fait <strong>de</strong> son discours. Elle<br />

peut succé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> relance ou comporter une dimension réconfortante<br />

si l’implication est importante (Alami, Desjeux & Garabuau-Moussaoui, 2009).<br />

L’explicitation consiste, selon Vermersch (2010), à poser <strong>de</strong>s questions ciblées<br />

pour permettre à la personne d’approfondir sa pensée, <strong>de</strong> préciser ses idées, d’élargir<br />

son champ <strong>de</strong> réflexion.<br />

Les silences sont également à prendre en compte, à respecter, voire à thématiser<br />

pour en comprendre la portée. De même <strong>les</strong> signes non verbaux, postures, rires,<br />

réticences… ont été relevés et interrogés pour en connaître l’explication sous-jacente<br />

que l’enquêté a bien voulu nous livrer.<br />

Nous avons rédigé l’introduction à l’entretien, en précisant <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong><br />

passation <strong>de</strong> celui-ci, mais également <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong> traitement <strong>de</strong>s données.<br />

L’entretien débute par une question ouverte qui porte sur la motivation initiale <strong>dans</strong><br />

le choix <strong>de</strong> la profession. Il s’agit d’une question large qui amène la personne à<br />

raconter son vécu, à gagner une certaine forme <strong>de</strong> confiance et à poser <strong>les</strong> bases <strong>de</strong><br />

l’entretien qui va suivre.<br />

Les questions fermées (âge, parcours professionnel…) sont laissées pour la fin<br />

<strong>de</strong> l’entrevue afin <strong>de</strong> ne pas en perturber le déroulement. Par ailleurs une question<br />

générale est posée en guise <strong>de</strong> clôture, avant <strong>de</strong> laisser un <strong>de</strong>rnier espace à<br />

266


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

l’interviewé pour éventuellement compléter ses réponses ou apporter une autre<br />

réflexion.<br />

L'ensemble <strong>de</strong> l'entretien <strong>de</strong>vrait abor<strong>de</strong>r <strong>les</strong> sujets suivants : choix<br />

professionnel, éthique et profession, engagement professionnel et personnel,<br />

dimensions <strong>de</strong> l’engagement, limites et risques <strong>de</strong> l’engagement…<br />

La trame exhaustive utilisée comme base aux entretiens semi-dirigés est<br />

disponible en Annexe 9.<br />

267


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

268


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

CHAPITRE 15 : TRAITEMENT DES INFORMATIONS<br />

Le traitement <strong>de</strong>s informations constitue une phase délicate, soumise<br />

immanquablement à une certaine subjectivité mais qui se doit pourtant <strong>de</strong> se porter<br />

garante d’une objectivité maximale. Nous mettons en relief, <strong>dans</strong> un premier temps,<br />

la posture éthique du chercheur, pour ensuite effectuer une critique <strong>de</strong>s résultats et<br />

examiner enfin la métho<strong>de</strong> retenue pour la réalisation <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> contenu.<br />

15.1 Posture éthique et méthodologie <strong>de</strong> recherche<br />

L’aspect éthique est un aspect fondamental <strong>dans</strong> la rigueur avec laquelle la<br />

recherche doit être menée. La dimension éthique est consciencieusement prise en<br />

compte, tant <strong>dans</strong> la partie <strong>de</strong> l’enquête sur le terrain que <strong>dans</strong> le traitement et<br />

l’analyse <strong>de</strong>s données.<br />

Dans le cadre <strong>de</strong> la formation, comme ensuite <strong>dans</strong> la pratique, la tension est<br />

gran<strong>de</strong> au regard du nombre d'étudiants qui se trouvent en burnout après seulement<br />

quelques mois à quelques années d'exercice. On serait enclins à porter un regard<br />

critique sur la problématique <strong>de</strong> l'engagement <strong>dans</strong> le contexte <strong>de</strong> soin actuel, en<br />

évaluant certains paramètres d'un œil externe, ainsi qu'en relevant <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong><br />

rationalisation et <strong>de</strong> performance exigées. Le souhait est permanent <strong>de</strong> vouloir<br />

réaliser une typologie d'un exercice professionnel « idéal », mais sans doute utopique.<br />

Or ce souhait risque d’autant plus d’être déçu que la profession infirmière se veut<br />

par excellence d'orientation pratique et s'inscrit par conséquent <strong>dans</strong> une volonté <strong>de</strong><br />

recherche <strong>de</strong> solutions applicab<strong>les</strong>. Il nous faut donc être bien consciente <strong>de</strong> ces zones<br />

d’influence et se placer constamment <strong>dans</strong> une posture <strong>de</strong> distanciation, afin <strong>de</strong> juger<br />

<strong>de</strong> l'influence éventuelle <strong>de</strong> tels phénomènes sur la manière <strong>de</strong> mener notre<br />

recherche.<br />

269


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Comme explicité ci-avant, <strong>les</strong> personnes interviewées ont été retenues sans<br />

aucun critère <strong>de</strong> discrimination. Avant chaque entretien, el<strong>les</strong> sont informées sur <strong>les</strong><br />

sujets suivants : déroulement et buts <strong>de</strong> l’enquête, information quant à la possibilité<br />

<strong>de</strong> remplir un questionnaire ultérieurement, déroulement <strong>de</strong> l’entretien, traitement<br />

<strong>de</strong>s données, anonymisation et codification <strong>de</strong>s données personnel<strong>les</strong><br />

immédiatement à l’issue <strong>de</strong> l’entretien, impossibilité <strong>de</strong> reconnaître une personne<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> textes qui seront soumis à publication… Aux personnes intéressées,<br />

proposition a été faite <strong>de</strong> prendre connaissance du projet au préalable, projet <strong>dans</strong><br />

lequel figurent également <strong>les</strong> aspects éthiques <strong>de</strong> la recherche. Les enquêtés sont<br />

également informés sur mon statut <strong>de</strong> chercheure qui se différencie <strong>de</strong> celui<br />

d’enseignante. Le risque est important, surtout <strong>dans</strong> mon institution, <strong>de</strong> voir <strong>les</strong><br />

étudiants répondre en fonction <strong>de</strong> ce qu’un enseignant peut attendre d’el<strong>les</strong> et non<br />

<strong>de</strong> ce qu’el<strong>les</strong> auraient réellement envie <strong>de</strong> dire. Même si ce processus <strong>de</strong> désirabilité<br />

sociale proprement humain ne peut être totalement évité, au moins inconsciemment,<br />

il est primordial <strong>de</strong> rappeler que ce qui pourra être dit se situe en <strong>de</strong>hors du cadre<br />

scolaire et ne pourra avoir aucune influence sur le parcours <strong>de</strong> formation à venir.<br />

Pour ce faire, l’établissement d’un climat <strong>de</strong> confiance est une condition sine qua<br />

non.<br />

Afin que <strong>les</strong> personnes se sentent le plus libres possible, le choix <strong>de</strong> l’endroit<br />

pour la réalisation <strong>de</strong> l’entretien leur a été laissé. Il s’est déroulé soit sur le lieu <strong>de</strong><br />

travail <strong>dans</strong> un espace isolé et calme, soit à l’école <strong>dans</strong> notre bureau, soit au domicile<br />

<strong>de</strong>s interviewés. La posture du chercheur est importante. Il ne s’agit pas d’être <strong>dans</strong><br />

une relation d’ai<strong>de</strong> avec <strong>les</strong> personnes, mais <strong>de</strong> favoriser l'expression <strong>de</strong>s personnes<br />

sans <strong>les</strong> influencer en fonction <strong>de</strong> nos idées ou <strong>de</strong> nos connaissances.<br />

suivantes :<br />

Les personnes qui participent aux entretiens reçoivent <strong>les</strong> informations<br />

El<strong>les</strong> sont informées <strong>de</strong> leurs droits en tant que participants, à savoir la liberté<br />

totale et le droit <strong>de</strong> répondre ou non aux questions posées, ainsi que la possibilité <strong>de</strong><br />

mettre un terme à l’entretien quand el<strong>les</strong> le désirent, sans avoir à se justifier.<br />

En ce qui concerne le traitement <strong>de</strong>s données, el<strong>les</strong> sont informées <strong>de</strong> la rigueur<br />

éthique qui sera observée. Nous leur présentons <strong>les</strong> éléments qui garantissent la<br />

rigueur scientifique et l’intégrité et qui permettent, par ce biais, un traitement <strong>de</strong>s<br />

270


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

données correct, sans but <strong>de</strong> falsification ou d’orientation quelconque. L'objectif en<br />

est l'obtention <strong>de</strong>s résultats <strong>les</strong> plus fiab<strong>les</strong> possib<strong>les</strong>, ainsi que le respect <strong>de</strong> la valeur<br />

morale <strong>de</strong> la recherche.<br />

Enfin <strong>les</strong> interviewés se voient garantir l’anonymat. Il s'agit d’être vigilante<br />

pour savoir donner <strong>les</strong> informations assez précises permettant <strong>de</strong> procurer du sens à<br />

l’analyse, sans pour autant que cel<strong>les</strong>-ci puissent donner lieu à <strong>de</strong>s hypothèses quant<br />

à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s personnes concernées. De ce fait, un co<strong>de</strong> est attribué à chaque<br />

personne interrogée. Ce même co<strong>de</strong> est ensuite reporté sur le questionnaire et la<br />

retranscription <strong>de</strong>s enregistrements se fait sous ce même co<strong>de</strong>. La correspondance<br />

entre le co<strong>de</strong> et l’i<strong>de</strong>ntité réelle <strong>de</strong>s participants est maintenue sous fichier Excel<br />

verrouillé <strong>dans</strong> l’ordinateur, dont l’accès est strictement réservé à la chercheure.<br />

Les seu<strong>les</strong> informations plus personnel<strong>les</strong> qui apparaissent sont : le statut <strong>de</strong> la<br />

personne (étudiante, PF, enseignant), ainsi que le sexe, l’âge et le lieu <strong>de</strong> formation<br />

pour <strong>les</strong> étudiantes. Le nombre étant suffisamment élevé, ces éléments ne permettent<br />

pas d’i<strong>de</strong>ntification. En revanche nous ne précisons pas le lieu pour <strong>les</strong> échantillons<br />

d'enseignants et <strong>de</strong> Praticiens Formateurs étant donné leur nombre restreint qui<br />

permettrait une reconnaissance par trop aisée.<br />

Avec l'accord <strong>de</strong>s participants, <strong>les</strong> entretiens ont été intégralement enregistrés<br />

afin <strong>de</strong> permettre un dialogue ouvert, qui ne soit pas parasité par la prise <strong>de</strong> notes ni<br />

la diminution <strong>de</strong> l’attention. Par ailleurs une prise <strong>de</strong> note même rapi<strong>de</strong> ne saurait<br />

comporter l’intégralité du discours. Les interviews ont aussi été intégralement<br />

retranscrites. Il apparaît toujours à nouveau, lors <strong>de</strong> l’écoute <strong>de</strong>s enregistrements,<br />

que <strong>de</strong>s éléments ont mieux été pris en compte que d’autres ou n’ont pas été<br />

particulièrement relevés lors <strong>de</strong> l’entretien (Quivy & Campenhoudt, 2006). Cette<br />

technique permet d’écouter et <strong>de</strong> réécouter <strong>les</strong> enregistrements, <strong>de</strong> noter tous <strong>les</strong><br />

éléments, y compris <strong>les</strong> silences, hésitations et autres signes non-verbaux perceptib<strong>les</strong>,<br />

afin <strong>de</strong> <strong>les</strong> prendre en compte <strong>dans</strong> la phase d’analyse et <strong>de</strong> considérer la dynamique<br />

<strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong> l’entretien vu comme processus. L’enregistrement permet en outre<br />

<strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à un contrôle ultérieur ou à une vérification du matériau <strong>de</strong> recherche.<br />

271


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Par rapport à cette prise en compte du non-verbal, un soin tout particulier doit<br />

être apporté à la prise <strong>de</strong> recul qui limite <strong>les</strong> interprétations spontanées en cherchant<br />

<strong>de</strong>s critères propres à l’organisation du discours lui-même.<br />

Il va néanmoins <strong>de</strong> soi que la recherche par entretien conserve une part <strong>de</strong><br />

subjectivité certaine <strong>dans</strong> la mesure où<br />

« tout discours produit par entretien est co -construit par <strong>les</strong><br />

partenaires du dialogue, en fonction <strong>de</strong>s enjeux <strong>de</strong> la communication et<br />

interactions à l’œuvre <strong>dans</strong> l’interlocution . » (Blanchet & Gotman, 2001,<br />

p.117).<br />

Toutefois, comme le précisent ces auteurs, il n’y a pas lieu d’exclure cette<br />

métho<strong>de</strong> en raison <strong>de</strong> ce biais inévitable, mais bien au contraire <strong>de</strong> le maîtriser et<br />

d’en tenir compte pour le dépasser, en mettant en place une série <strong>de</strong> mesures<br />

permettant <strong>de</strong> garantir la validité. L’élaboration soigneuse du protocole <strong>de</strong> recherche<br />

et l’honnêteté intellectuelle <strong>dans</strong> tout son déroulement sont <strong>de</strong>s éléments essentiels<br />

en ce sens.<br />

15.2 Critique <strong>de</strong>s résultats<br />

La critique <strong>de</strong>s résultats « permet <strong>de</strong> fixer <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> la recherche en en<br />

faisant ressortir <strong>les</strong> forces et <strong>les</strong> faib<strong>les</strong>ses » (Lamoureux, 2000).<br />

Dans la critique <strong>de</strong>s résultats, nous ne pouvons-nous empêcher <strong>de</strong> faire à<br />

nouveau référence à notre difficulté pour trouver <strong>de</strong>s personnes d'emblée<br />

enthousiastes à participer à notre recherche. Nous nous sommes heurtée à une<br />

attitu<strong>de</strong> peu participative, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s étudiantes comme <strong>de</strong>s enseignants. Doit-on<br />

considérer que ceux qui se sont montrés enthousiastes d'emblée sont forcément<br />

engagés ? Auquel cas notre recherche comporterait un biais important.<br />

De la même manière, <strong>les</strong> enseignants ont répondu par la positive lorsqu'ils<br />

étaient interpellés <strong>de</strong> manière personnelle. Auparavant la <strong>de</strong>man<strong>de</strong> est restée quasi<br />

lettre morte. Est-ce un manque d'engagement ou une charge <strong>de</strong> travail trop lour<strong>de</strong><br />

qui ne permet pas d'envisager un surplus qui ne soit indispensable ?<br />

272


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Afin <strong>de</strong> limiter ces biais, nous avons fait le choix d'être plus directive et <strong>de</strong><br />

solliciter très directement enseignants et étudiantes. Nous avons conservé le caractère<br />

aléatoire <strong>de</strong> l'échantillon en ne choisissant pas <strong>les</strong> personnes, mais en <strong>les</strong><br />

sélectionnant sur <strong>de</strong>s critères <strong>de</strong> faisabilité : étudiantes suivies en stages, enseignants<br />

rencontrés lors <strong>de</strong> réunions roman<strong>de</strong>s ou <strong>dans</strong> notre équipe, en fonction <strong>de</strong> nos<br />

emplois du temps.<br />

Il est intéressant <strong>de</strong> prendre en considération le fait que <strong>les</strong> personnes se soient<br />

d'emblée portées volontaires pour la recherche ou non, et d'observer si <strong>de</strong>s éléments<br />

peuvent en être posés en termes d'hypothèse quant au <strong>de</strong>gré d'engagement <strong>de</strong> ces<br />

personnes.<br />

Le processus <strong>de</strong> recherche veut que l'on reprenne <strong>les</strong> hypothèses <strong>de</strong> départ pour<br />

en observer le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> véracité. Soit <strong>les</strong> hypothèses ne sont pas vérifiées et il s’agit<br />

<strong>de</strong> suggérer <strong>de</strong>s corrections. On termine alors l’interprétation. Soit <strong>les</strong> hypothèses<br />

sont vérifiées, c’est-à-dire que la critique <strong>de</strong>s résultats n’a pas décelé <strong>de</strong> lacunes<br />

majeures <strong>dans</strong> la collecte <strong>de</strong>s données ; l’analyse <strong>de</strong>s résultats démontre que<br />

l’hypothèse première est exacte. Il faut alors poursuivre l’interprétation.<br />

Dans ce cas, la discussion <strong>de</strong>s résultats s’attache à comparer ces faits<br />

scientifiques nouveaux avec <strong>les</strong> connaissances théoriques et empiriques qui ont<br />

permis <strong>de</strong> la poser. Il s’agit <strong>de</strong> montrer si ces faits nouveaux confirment ou infirment<br />

<strong>les</strong> étu<strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes, sur quel courant <strong>de</strong> pensée ils s’appuient plus spécifiquement<br />

et qu’est-ce qui est réellement novateur. Les données récoltées doivent permettre <strong>de</strong><br />

dégager <strong>de</strong> nouveaux questionnements. Il faut faire le tour <strong>de</strong> la question et donner<br />

toutes <strong>les</strong> significations possib<strong>les</strong> <strong>de</strong>s résultats obtenus. À ce sta<strong>de</strong> il peut y avoir une<br />

analyse complémentaire <strong>de</strong>s résultats, c’est-à-dire que l’on fait <strong>de</strong>s liens peut être<br />

nouveaux entre <strong>de</strong>s variab<strong>les</strong> ou entre <strong>de</strong>s personnes (tous ceux qui ont répondu <strong>de</strong><br />

telle manière à leur compréhension <strong>de</strong> l'engagement, et tous ceux qui se sentent<br />

motivés, par exemple…).<br />

Les résultats obtenus à nos hypothèses ont permis d'ouvrir la discussion et <strong>de</strong><br />

découvrir <strong>de</strong> nouveaux liens permettant <strong>de</strong> mieux comprendre le phénomène.<br />

273


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

274


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

CHAPITRE 16 : ANALYSE DU CONTENU<br />

Dans cette partie <strong>de</strong> la recherche, on va œuvrer à produire du sens à partir du<br />

matériau <strong>de</strong> recherche obtenu. Un peu à la manière <strong>de</strong> l’archéologue, le chercheur va<br />

tenter <strong>de</strong> construire <strong>de</strong>s connaissances à partir <strong>de</strong>s données qu’il aura récoltées<br />

(Bardin, 2003). Si <strong>les</strong> entretiens livrent un corpus <strong>de</strong> données somme toute<br />

relativement co-construit par <strong>les</strong> interactions entre l’enquêteur et l’enquêté, il s’agit à<br />

présent <strong>de</strong> faire parler ce corpus <strong>de</strong> la manière la plus « rigoureuse » possible.<br />

L’analyse <strong>de</strong> contenu ne saurait pour autant passer par la simple élaboration d’un<br />

résumé ne conservant que <strong>les</strong> propositions principa<strong>les</strong> à travers une lecture<br />

endogène. L’analyse <strong>de</strong> ces données se fait à partir <strong>de</strong>s questionnements formulés et<br />

en décortiquant <strong>les</strong> unités d’information qui vont <strong>les</strong> éclairer. Les mêmes données<br />

pourront fournir <strong>de</strong>s informations très différentes selon <strong>les</strong> hypothèses auxquel<strong>les</strong><br />

el<strong>les</strong> vont être rattachées, ainsi que l’exploitation que l’on souhaite en faire. La<br />

démarche d’analyse vise à octroyer une certaine intelligibilité aux données, tout en<br />

apportant une inévitable, et sans doute souhaitable, part d’interprétation (Blanchet &<br />

Gotman, 2001). Elle restera toujours partielle puisque l’analyse implique aussi la<br />

réduction <strong>de</strong> l’intégralité <strong>de</strong>s données. Il est utopique <strong>de</strong> penser pouvoir cerner<br />

l’entier d’un contenu (Kaufmann, 2011) car l’analyse est toujours une réduction <strong>de</strong> la<br />

complexité du réel, comme la recherche elle-même, somme toute.<br />

16.1 Type d’information recherché<br />

Le choix <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux métho<strong>de</strong>s retenues, quantitative et qualitative, est bien<br />

entendu fonction du type d’informations recherchées. Outre <strong>les</strong> variab<strong>les</strong> recherchées<br />

par le biais <strong>de</strong>s questionnaires, nous distinguons quatre sortes d’informations<br />

recherchées au moyen <strong>de</strong>s entretiens (Quivy & Campenhoudt, 2006) :<br />

275


1. L’information <strong>de</strong> type <strong>de</strong>scriptive<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Elle vise à rendre compte d’un phénomène en i<strong>de</strong>ntifiant ses conditions<br />

d’existence en interrelation avec son entourage, son environnement. Cela correspond<br />

à mettre en relief la nature <strong>de</strong>s éléments ;<br />

2. L’information <strong>de</strong> type interprétative<br />

Elle a pour objectif <strong>de</strong> proposer une signification, une explication aux<br />

événements. Pour cela, elle doit s'appuyer sur une analyse rigoureuse. Dans la<br />

conduite <strong>de</strong> l'entretien, le chercheur essaie <strong>de</strong> faire préciser sa pensée à l'enquêté<br />

jusqu'à le conduire à construire un modèle, non seulement au sens <strong>de</strong> la<br />

représentation, mais aussi au sens <strong>de</strong> l’idéal d'un phénomène. Les informations<br />

recueillies doivent permettre <strong>de</strong> compléter <strong>les</strong> informations obtenues sur un mo<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>scriptif en développant <strong>de</strong>s interprétations ;<br />

3. L’information <strong>de</strong> type prescriptive<br />

Elle a pour objectif <strong>de</strong> conduire au questionnement sur « ce qu’il faut<br />

faire ». Les énoncés formulés portent sur l'action et sont élaborés à partir d’une<br />

réflexion sur <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt l’action. Elle veille au respect <strong>de</strong>s finalités, <strong>dans</strong><br />

un souci d’exigence <strong>de</strong>s valeurs, d’attentes du groupe (obstac<strong>les</strong>, idéologies…) ;<br />

4. L’information <strong>de</strong> type stratégique<br />

Plus complexe, cette information vise <strong>de</strong>s énoncés élaborés pour l’action : « ce<br />

qu’il est pertinent <strong>de</strong> faire ». Elle exige une affirmation <strong>de</strong> soi, un positionnement<br />

professionnel et individuel <strong>de</strong> l’intéressé. Cette information peut être liée à<br />

l’information <strong>de</strong> type prescriptif, mais ne l'est pas forcément.<br />

Pour ce qui concerne notre recherche, nous avons visé, en tout premier lieu, <strong>de</strong>s<br />

informations <strong>de</strong> type <strong>de</strong>scriptif. Il va néanmoins <strong>de</strong> soi que, <strong>dans</strong> un contexte très<br />

orienté vers la pratique comme le sont <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, <strong>les</strong> données <strong>de</strong> nature<br />

prescriptive ou même stratégique, étaient également présentes. Nous <strong>les</strong> avons<br />

conservées <strong>dans</strong> une catégorie spécifique orientée vers <strong>les</strong> améliorations souhaitées.<br />

276


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

L'utilisation <strong>de</strong> plusieurs cadres <strong>de</strong> recherche, ainsi que la collecte<br />

d'informations auprès <strong>de</strong>s trois populations actrices autour <strong>de</strong> l'engagement <strong>de</strong>s<br />

étudiantes en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, et l'analyse <strong>de</strong> ce matériau <strong>dans</strong> son contexte réel,<br />

montrent que le processus <strong>de</strong> recherche constitue une entreprise dynamique<br />

(L’Écuyer, 1990). Cela nous a permis <strong>de</strong> faire émerger plusieurs construits à partir<br />

<strong>de</strong>s différentes catégories définies, et d’en comprendre mieux <strong>les</strong> relations.<br />

16.2 Méthodologie d’analyse <strong>de</strong>s données<br />

est un<br />

Si l'on se réfère à la définition <strong>de</strong> Mucchielli (1996, p.36), l’analyse <strong>de</strong> contenu<br />

« terme générique désignant un ensemble <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s d’analyse <strong>de</strong><br />

documents, le plus souvent textuels, permettant d’expliciter le, ou <strong>les</strong><br />

sens qui y sont contenus et/ou <strong>les</strong> manières dont ils parviennent à faire<br />

effet <strong>de</strong> sens. »<br />

L'analyse <strong>de</strong> contenu s'organise autour <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux matériaux qui sont, d'une part,<br />

le matériel donné a priori et qui constitue notre matériel <strong>de</strong> travail et d’étu<strong>de</strong>, et,<br />

d'autre part, le matériau élaboré par la recherche elle-même. Ce <strong>de</strong>rnier matériau se<br />

doit d'être le plus objectif possible. Cela signifie qu'un grand soin doit être apporté à<br />

la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s données ainsi qu'à leur analyse. Rigueur scientifique et<br />

méthodologie sont ici essentiel<strong>les</strong>.<br />

Cette méthodologie s'appuie sur <strong>les</strong> objectifs définis au départ et procè<strong>de</strong> à leur<br />

analyse <strong>de</strong> manière exhaustive et précise. C'est <strong>dans</strong> ce but qu'elle va s'appuyer sur<br />

une métho<strong>de</strong> d'analyse <strong>de</strong> contenu reconnue et validée.<br />

Or l’analyse <strong>de</strong> contenu, si elle s’opère <strong>de</strong> manière distincte <strong>dans</strong> l’une et l’autre<br />

phase, concerne néanmoins tout autant la phase quantitative que la phase qualitative.<br />

277


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

16.3 Analyse du questionnaire<br />

Au regard <strong>de</strong>s questionnements qui gui<strong>de</strong>nt l’ensemble <strong>de</strong> la recherche, il est<br />

possible <strong>de</strong> dégager différentes dimensions, selon l’exemple suivant pour <strong>les</strong> trois<br />

premières questions :<br />

Questionnaire<br />

Item<br />

Degré<br />

d’engagement<br />

Motivation à<br />

l’engagement<br />

Résultat <strong>de</strong><br />

l’engagement<br />

Q1 Q2 Q3 Q4<br />

Les questions aux réponses fermées ou à choix <strong>de</strong> catégorie peuvent être<br />

traitées <strong>de</strong> manière mathématique. Nous avons choisi <strong>de</strong> <strong>les</strong> dénombrer, sans pour<br />

autant entrer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s calculs mathématiques qui n’auraient guère <strong>de</strong> sens au vu <strong>de</strong><br />

la faible représentativité <strong>de</strong> l’échantillon collecté. Le traitement effectué sur Excel<br />

peut être consulté en Annexe 11.<br />

Les <strong>de</strong>ux autres questions ouvertes ont été traitées <strong>de</strong> manière individuelle.<br />

El<strong>les</strong> contiennent <strong>de</strong>s informations qu’il faut repérer, classifier, analyser et interpréter<br />

pour en extraire la ou <strong>les</strong> significations. Ces <strong>de</strong>rnières laissent néanmoins davantage<br />

d'espace aux individus pour s’exprimer, développer leurs réponses ou communiquer<br />

plusieurs avis. Une même question, posée simultanément à un grand nombre <strong>de</strong><br />

personnes, comprend nécessairement l’inventaire <strong>de</strong>s réponses, le classement, <strong>les</strong><br />

calculs ultérieurs tels que : fréquence, corrélation avec d’autres réponses, avec <strong>de</strong>s<br />

caractéristiques objectives. L’unité d’enregistrement retenue est le terme ou la<br />

locution. Par exemple, lorsque c’est l’engagement du sujet <strong>dans</strong> ses représentations<br />

qui est mis en avant, l’analyse est effectuée sur la valorisation du thème proposé.<br />

Cette opération peut s'avérer plus ou moins complexe en fonction du nombre d'idées<br />

contenues <strong>dans</strong> une même réponse, ainsi que <strong>de</strong> leur <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> réalité objectivable.<br />

278


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

Le dépouillement et le classement <strong>de</strong>s réponses aux questions ouvertes a donc<br />

été faite en utilisant une métho<strong>de</strong> logico-sémantique et en in<strong>de</strong>xant <strong>les</strong> réponses. Le<br />

détail du traitement <strong>de</strong> ces questions est disponible en Annexe 12.<br />

16.4 Analyse <strong>de</strong>s entretiens<br />

Dans l’analyse <strong>de</strong>s entretiens, il existe plusieurs formes d’analyse <strong>de</strong> contenu<br />

qui s’appuient sur <strong>de</strong>s présupposés théoriques différents et s’avèrent plus ou moins<br />

adaptées à certains sujets <strong>de</strong> recherche. L’investigation du matériau se révèle être une<br />

tâche essentielle et la métho<strong>de</strong>, <strong>de</strong> même que la capacité d’analyse peut-être encore<br />

plus importante que le contenu lui-même (Kaufmann, 2011).<br />

La difficulté rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong> rendre compte à la fois <strong>de</strong>s entretiens <strong>dans</strong><br />

leur singularité, mais également d’un corpus <strong>de</strong> données communes au moins à<br />

plusieurs d’entre eux. Nous avons donc trouvé nécessaire <strong>de</strong> compléter l’analyse<br />

horizontale <strong>de</strong>s entretiens par une analyse linéaire <strong>de</strong>s entretiens singuliers.<br />

Dans l’analyse linéaire, nous avons cherché à montrer la cohérence du discours,<br />

sa structuration spécifique, <strong>les</strong> éventuel<strong>les</strong> répétitions thématiques et co-occurrences<br />

apparentes, le thème central. Les entretiens sont alors divisés en séquences, autour <strong>de</strong><br />

critères sémantiques, <strong>de</strong> thèmes, mais aussi <strong>de</strong> critères linguistiques (pauses,<br />

phrases…).<br />

Nous avons organisé cette phase selon le modèle préconisé par Bardin (1977,<br />

p.110) présenté ci-<strong>de</strong>ssous.<br />

TABLEAU 14 : TABLEAU D’ANALYSE LINÉAIRE<br />

UNITÉ SÉMANTIQUE SÉQUENCES REMARQUES THÉMATIQUE<br />

Phrases clé<br />

textuellement<br />

citées<br />

N° <strong>de</strong> séquence <strong>de</strong><br />

l’entretien<br />

279<br />

Remarques ou<br />

précisions sur <strong>les</strong><br />

sujets abordés<br />

Lien à la<br />

thématique plus<br />

générale


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

En ce qui concerne l’analyse horizontale et étant donné le caractère réflexif <strong>de</strong><br />

notre sujet ainsi que la logique <strong>de</strong> compréhension selon Weber que nous avons choisi<br />

d’utiliser pour notre enquête, il nous a semblé que la métho<strong>de</strong> d’analyse par<br />

découpage thématique s’avérait particulièrement appropriée. En effet, ce découpage<br />

transversal <strong>de</strong> tout le contenu par thèmes, c’est-à-dire par unités <strong>de</strong> sens, <strong>de</strong> façon<br />

endogène, est organisé selon une grille d’analyse élaborée empiriquement. Il permet<br />

<strong>de</strong> regrouper <strong>de</strong>s passages par unité <strong>de</strong> sens, sans se perdre <strong>dans</strong> une profusion <strong>de</strong><br />

notions similaires. Il est organisé autour <strong>de</strong>s hypothèses <strong>de</strong> l’étu<strong>de</strong> et permet <strong>de</strong><br />

rendre compte <strong>de</strong> la quasi-totalité du corpus <strong>de</strong> données. Cette métho<strong>de</strong>, certes, ne<br />

permet pas <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> la singularité <strong>de</strong>s discours. Elle permet en revanche<br />

<strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s cohérences thématiques extrêmement intéressantes. Selon<br />

Blanchet et Gotman (2001, p.98), la métho<strong>de</strong> d’analyse thématique est « cohérente<br />

avec la mise en œuvre <strong>de</strong> modè<strong>les</strong> explicatifs <strong>de</strong> pratiques ou <strong>de</strong><br />

représentations… ». De plus, l’analyse thématique n’exclut pas une perspective<br />

verticale <strong>de</strong> considération <strong>de</strong>s thèmes abordés par chaque sujet et <strong>de</strong> leur cohérence<br />

interne, propre à une même personne. L’analyse linéaire permet une analyse<br />

horizontale plus rapi<strong>de</strong>, étant donné que <strong>les</strong> thèmes principaux, le nombre<br />

d’occurrence, <strong>les</strong> éventuel<strong>les</strong> co-occurrences ainsi que le caractère positif, négatif ou<br />

neutre <strong>de</strong>s énoncés, sont déjà mis en évi<strong>de</strong>nce lors <strong>de</strong> la première analyse.<br />

L’arbre thématique comportant l’ensemble <strong>de</strong>s catégories retenues après<br />

l’entrée et le classement <strong>de</strong>s données textuel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> le logiciel N’Vivo (voir Annexe<br />

13) a permis <strong>de</strong> classer et <strong>de</strong> dénombrer la masse <strong>de</strong>s données collectées lors <strong>de</strong>s<br />

entretiens. Les entretiens ont été intégrés un par un et le séquençage par thème a bien<br />

entendu été effectué manuellement <strong>dans</strong> le logiciel. Celui-ci a néanmoins permis, par<br />

la suite, <strong>de</strong> regrouper l’ensemble <strong>de</strong>s séquences d’entretiens se rapportant à un même<br />

thème, et ce, pour <strong>les</strong> 61 thèmes retenus à l’issue <strong>de</strong> l’analyse complète. Cette<br />

démarche peut permettre <strong>de</strong> traduire une information <strong>de</strong> nature qualitative en une<br />

autre <strong>de</strong> nature quantitative, et ainsi <strong>de</strong> faire émerger <strong>de</strong>s occurrences et la<br />

prédominance <strong>de</strong> thèmes par rapport à d’autres. On pourrait ainsi obtenir <strong>de</strong>s<br />

analyses <strong>de</strong> nature quantitative et d'autres <strong>de</strong> nature qualitative. Les premières ont la<br />

particularité d’être extensives (nombre d’informations important, mais <strong>de</strong> nature<br />

280


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

simple) et <strong>les</strong> secon<strong>de</strong>s se veulent intensives (nombre d’informations peu important,<br />

mais plus complexe) (Quivy & Campenhoudt, 2006). À partir <strong>de</strong>s occurrences nous<br />

aurions pu procé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s calculs <strong>de</strong> fréquence et autres calculs statistiques simp<strong>les</strong>.<br />

Toutefois notre objectif se situant <strong>dans</strong> la logique compréhensive et non quantitative,<br />

nous avons choisi <strong>de</strong> simplement repérer <strong>les</strong> occurrences fortes, que nous<br />

mentionnons au fur et à mesure <strong>de</strong> l’exposition <strong>de</strong>s résultats, pour tenter d’en<br />

percevoir l’influence, et <strong>de</strong> nous centrer sur ces données qualitatives à analyser en<br />

tant que tel<strong>les</strong>.<br />

L’ensemble du matériau <strong>de</strong>s entretiens, regroupé par catégorie est disponible<br />

sur le CD joint en lieu et place <strong>de</strong> l’Annexe 1. Nous avons choisi ce moyen <strong>de</strong><br />

stockage étant donné son volume conséquent <strong>de</strong> pratiquement 900 pages.<br />

Avant d’entrée nos données <strong>dans</strong> N’Vivo et d’établir <strong>de</strong>s thèmes a priori, nous<br />

avons procédé à lecture <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens afin <strong>de</strong> nous familiariser avec<br />

leur contenu. L’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s différents thèmes et la construction <strong>de</strong> la grille<br />

d’analyse ont été élaborées à partir <strong>de</strong>s hypothèses <strong>de</strong> départ, <strong>dans</strong> un premier temps,<br />

et <strong>dans</strong> un second temps, ce sont <strong>les</strong> données el<strong>les</strong>-mêmes qui sont venues compléter<br />

la grille et lui donner sa structure finale.<br />

Dans la phase exploratoire nous n’avons pas suivi cet exemple, mais nous<br />

avons choisi <strong>de</strong> partir <strong>de</strong>s données <strong>de</strong>s entretiens uniquement pour i<strong>de</strong>ntifier <strong>les</strong><br />

thèmes. Le but était <strong>de</strong> repérer <strong>les</strong> thèmes fiab<strong>les</strong>, <strong>les</strong> éventuels oublis ainsi que <strong>les</strong><br />

doublons.<br />

Le chercheur a souvent tendance à orienter sa grille en fonction <strong>de</strong> ses<br />

hypothèses et <strong>de</strong>s résultats qu’il attend. Pour éviter ce biais, nous avons choisi <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à une tierce personne, sociologue, indépendante <strong>de</strong> la recherche et non<br />

familière du sujet, d’établir <strong>de</strong>s catégories à partir <strong>de</strong> trois <strong>de</strong>s entretiens choisis au<br />

hasard. Nous avons ainsi pu constater que sa grille était très similaire. L’ordre <strong>de</strong><br />

rangement différait quelque peu, mais <strong>les</strong> mêmes grands thèmes étaient présents,<br />

avec parfois une dénomination un peu différente, plus proche du paradigme<br />

sociologique. Ceci a permis <strong>de</strong> confirmer la pertinence <strong>de</strong> cette catégorisation. Les<br />

281


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

trois entretiens analysés par cette professionnelle externe sont disponib<strong>les</strong> à l’Annexe<br />

14.<br />

Avant la phase <strong>de</strong> récolte <strong>de</strong>s données, nous avons réfléchi à la manière dont<br />

ces données vont être codées et défini une méthodologie précise unique, permettant<br />

ensuite <strong>de</strong> convoquer une certaine forme <strong>de</strong> contrôle.<br />

« Le codage correspond à une transformation (…) par découpage,<br />

agrégation et dénombrement… permettant d’aboutir à une<br />

représentation du contenu » (Bardin, 1977, p.134).<br />

On entend par découpage, le choix <strong>de</strong>s unités, c’est-à-dire <strong>de</strong>s propositions<br />

séquentiel<strong>les</strong> retenues. L’énumération visait, quant à elle, à repérer et comptabiliser<br />

<strong>les</strong> répétitions. Enfin, l’agrégation a rendu possible la division en catégories.<br />

À partir du matériau intégré <strong>dans</strong> le logiciel N’Vivo, <strong>les</strong> données ont été<br />

reprises manuellement catégorie par catégorie. Ces catégories représentant <strong>de</strong>s<br />

thèmes et sous-thèmes ont été répertoriés sous forme numérique 1, 2, 3… tandis que<br />

<strong>les</strong> sous-thèmes, s’il en est, ont suivi la même numérotation : 1.1 ; 1.2 etc… Nous<br />

avons choisi une catégorisation par propositions courtes : une ou <strong>de</strong>ux phrases au<br />

maximum, que nous avons codifiées par segments : par exemple 1.1.1 pour le<br />

premier segment du sous-thème 1.1. Cette étape <strong>de</strong> codage a permis <strong>de</strong> trier et <strong>de</strong><br />

répertorier <strong>les</strong> informations, afin ensuite <strong>de</strong> pouvoir <strong>les</strong> classer et <strong>les</strong> retranscrire, <strong>de</strong><br />

façon structurée, pertinente <strong>dans</strong> le chapitre s’intéressant aux résultats <strong>de</strong> l’analyse.<br />

Cette étape était également nécessaire <strong>dans</strong> une perspective d’uniformisation <strong>de</strong>s<br />

données ; en ramenant <strong>de</strong>s expressions personnel<strong>les</strong>, par exemple, à un langage<br />

commun qui ai<strong>de</strong> à la conceptualisation et à l’interprétation (Van <strong>de</strong>r Maren, 2003).<br />

Dans l’analyse <strong>de</strong> contenu, nous avons différencié le contenu manifeste, c’est-à-<br />

dire <strong>les</strong> données explicites qui ont émergé <strong>de</strong>s retranscriptions, du contenu latent, et<br />

il s’agit là <strong>de</strong> tout ce qui est plus implicite, mais qui transparaît néanmoins<br />

clairement : <strong>les</strong> valeurs mises en jeu, <strong>les</strong> mécanismes explicatifs… Le contenu latent<br />

282


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

est rendu sous la forme d’hypothèses que nous formulons à la suite <strong>de</strong> liens mis en<br />

évi<strong>de</strong>nce.<br />

Nous retenons pour l’analyse <strong>de</strong> données <strong>les</strong> trois étapes clés que sont : la phase<br />

<strong>de</strong> catégorisation, la phase <strong>de</strong>scriptive et la phase explicative (Alami et al., 2009).<br />

La réduction <strong>de</strong>s données constitue, selon Huberman et Mi<strong>les</strong> (1985), l’une <strong>de</strong>s<br />

tâches <strong>les</strong> plus périlleuses lors d’une recherche qualitative. Le choix <strong>dans</strong> la manière<br />

<strong>de</strong> découper, séparer et assembler <strong>les</strong> différentes parties du matériau <strong>de</strong> recherche est<br />

une étape qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> réflexion, afin <strong>de</strong> garantir une structuration<br />

cohérente et pertinente pour l’interprétation.<br />

Nous avons décidé <strong>de</strong> placer d’emblée <strong>dans</strong> notre grille <strong>les</strong> concepts retenus<br />

pour nos hypothèses. Ensuite, <strong>les</strong> transcriptions <strong>de</strong>s entretiens ont été lues l’une<br />

après l’autre et chaque nouveau thème émergeant a fait l’objet d’un codage <strong>dans</strong> la<br />

grille d’analyse. Cela nous a permis la création <strong>de</strong> catégories significatives. Si un<br />

thème était déjà présent, le codage <strong>de</strong>s informations a permis d’en mesurer la<br />

fréquence. Sa nouvelle occurrence a été mentionnée <strong>dans</strong> la grille. Un espace laissé en<br />

marge <strong>de</strong>s catégories a permis <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s liens sous forme d'hypothèses, qui ont<br />

ensuite été uti<strong>les</strong> pour enrichir l’analyse.<br />

La grille a permis <strong>de</strong> hiérarchiser <strong>les</strong> thèmes principaux et <strong>les</strong> thèmes<br />

secondaires pour traiter l’ensemble <strong>de</strong> l’information et minimiser le risque<br />

d’interprétation.<br />

« À la différence du gui<strong>de</strong> d’entretien qui est un outil d’exploration<br />

[visant la production <strong>de</strong> données], la grille d’analyse est un outil<br />

explicatif [visant la production <strong>de</strong> résultats] »<br />

qui permet la production <strong>de</strong> sens autour <strong>de</strong> l’objet <strong>de</strong> recherche (Blanchet et<br />

Gotman, 2001, p.99). Cette manière <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r avait pour avantage <strong>de</strong> permettre la<br />

recherche ultérieure <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> passages concernés par le thème en question pour<br />

l’analyser en profon<strong>de</strong>ur, en faire émerger <strong>les</strong> unités <strong>de</strong> contenu, c’est-à-dire <strong>les</strong><br />

283


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

dimensions (références, thèmes, moyens, contexte…), et en extraire <strong>de</strong>s citations<br />

textuel<strong>les</strong>.<br />

Nous avons examiné <strong>les</strong> différents thèmes <strong>dans</strong> tout le corpus et examiné <strong>les</strong><br />

différences ou <strong>les</strong> similitu<strong>de</strong>s. Nous avons essayé ensuite <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong><br />

différentes typologies en conjuguant <strong>les</strong> analyses transversa<strong>les</strong> et vertica<strong>les</strong>, c’est-à-<br />

dire en regroupant <strong>de</strong>s thèmes et en mettant en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s types <strong>de</strong> raisonnement<br />

i<strong>de</strong>ntiques chez plusieurs personnes. Nous avons pu regrouper <strong>les</strong> différents thèmes,<br />

en évaluer l’occurrence ainsi que la fréquence, et faire <strong>de</strong>s croisements permettant <strong>de</strong><br />

cerner <strong>les</strong> similitu<strong>de</strong>s ou différences <strong>de</strong> données en fonction <strong>de</strong> l’âge, du parcours<br />

antérieur, <strong>de</strong> l’institution…<br />

Au fur et à mesures <strong>de</strong>s analyses, la grille d’analyse est <strong>de</strong>venue un véritable<br />

schéma organisationnel <strong>dans</strong> lequel sont venues s’insérer toutes <strong>les</strong> dimensions<br />

i<strong>de</strong>ntifiées au travers <strong>de</strong>s entretiens.<br />

Au terme <strong>de</strong> la catégorisation <strong>de</strong>s quarante-quatre entretiens, nous avions donc<br />

obtenu huit catégories généra<strong>les</strong> et soixante et une sous-catégories. Néanmoins, lors<br />

<strong>de</strong> la phase d’interprétation nous avons trouvé pertinent <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à certains<br />

regroupements. En effet, plusieurs sous-catégories ne comportaient qu’une ou <strong>de</strong>ux<br />

citations, quand d’autres se révélaient très proches <strong>de</strong> catégories déjà existantes et<br />

bien développées. Il apparaissait donc judicieux <strong>de</strong> regrouper ces éléments en un<br />

tout cohérent, sans pour autant laisser <strong>de</strong>s extraits <strong>de</strong> côté. Nous avons choisi <strong>de</strong><br />

placer <strong>dans</strong> la catégorie « autres » (7) <strong>les</strong> extraits qui ne présentaient pas, à notre sens,<br />

d’intérêt en regard du sujet traité. Ces extraits sont consultab<strong>les</strong> <strong>dans</strong> leur intégralité<br />

à l’Annexe 1.<br />

Dans un souci <strong>de</strong> clarté et <strong>de</strong> rigueur scientifique nous présentons ici <strong>les</strong><br />

principa<strong>les</strong> restructurations entreprises, par gran<strong>de</strong> catégorie.<br />

En ce qui concerne la première catégorie : « motivation à la profession », nous<br />

avions tout d’abord considéré comme pertinent <strong>de</strong> dissocier <strong>les</strong> catégories : 1.1<br />

parcours biographique, 1.2 expérience professionnelle antérieure à la formation, 1.3<br />

expérience professionnelle durant la formation, 1.4 idéal professionnel et 1.5 projets<br />

284


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

futurs. Nous nous sommes néanmoins rendue compte que <strong>les</strong> trois premiers items se<br />

rejoignent largement puisque <strong>les</strong> expériences professionnel<strong>les</strong> font partie intégrante<br />

du parcours autobiographique. Par ailleurs, l’analyse nous a également conduite à<br />

intégrer <strong>les</strong> points 1.4 et 1.5 au parcours <strong>de</strong> vie. En effet, en <strong>les</strong> examinant <strong>de</strong> manière<br />

plus précise, nous avons pu constater que la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s éléments<br />

développés <strong>dans</strong> ces rubriques par <strong>les</strong> répondants étaient également directement en<br />

lien avec le parcours biographique. Par exemple, l’idéal professionnel s’exprimant<br />

très souvent <strong>dans</strong> le choix d’un projet professionnel, il apparaissait alors naturel <strong>de</strong><br />

l’intégrer au point 1.1. Enfin, quelques items du point 1.4 relevant davantage <strong>de</strong>s<br />

valeurs, il paraissait judicieux <strong>de</strong> <strong>les</strong> intégrer au point 2.2 (liens entre valeurs<br />

personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong>) développé par la suite.<br />

Durant la démarche d’analyse, il nous est apparu que le point 2.6 (dimension<br />

éthique <strong>de</strong> l’engagement), faisait presque entièrement référence au point 3.4<br />

(engagement et responsabilité). Nous avons donc classé ces éléments majoritairement<br />

<strong>dans</strong> ce <strong>de</strong>rnier point, ainsi qu’une petite partie <strong>dans</strong> le point 3.2. (définition). Par<br />

ailleurs, le point 2.5 faisant référence à la prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s ressources et limites<br />

personnel<strong>les</strong>, aurait été redondant avec une partie du chapitre 3.2. (souci <strong>de</strong> soi)<br />

auquel nous l’avons donc rajouté.<br />

Nous sommes parvenue à classer <strong>les</strong> affirmations du point trois (engagement<br />

et corollaires) en différentes catégories. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que l’engagement<br />

se traduit par <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s touchant différents domaines : attitu<strong>de</strong> au travail, attitu<strong>de</strong><br />

envers le patient et <strong>dans</strong> l’équipe, ainsi que par <strong>de</strong>s manifestations subjectives<br />

exprimées par <strong>les</strong> personnes. Par ailleurs, on relèvera également quelques<br />

caractéristiques plus généra<strong>les</strong> nous permettant d’obtenir un tour d’horizon assez<br />

vaste du phénomène étudié.<br />

Nous avons choisi d’intégrer <strong>les</strong> résultats du point 3.3 (expériences<br />

personnel<strong>les</strong>) au chapitre 1 dont il se rapprochait fortement, et le point 3.5<br />

(autonomie) <strong>dans</strong> <strong>les</strong> points 3.4 (responsabilité) ou 3.9 (moteurs et freins à<br />

l’engagement), étant donné qu’ils étaient parfois <strong>de</strong> gran<strong>de</strong> proximité et auraient<br />

285


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

constitué <strong>de</strong>s redites nuisib<strong>les</strong> à la cohérence générale.<br />

À l’intérieur <strong>de</strong> chaque sous-chapitre, nous avons agencé <strong>les</strong> différents<br />

apports <strong>de</strong> manière structurée pour rendre la lecture aisée, et nous avons fait<br />

mention <strong>de</strong>s occurrences <strong>de</strong> certains propos au fur et à mesure <strong>de</strong> la mise en forme<br />

<strong>de</strong>s résultats.<br />

De nombreux éléments peuvent également appartenir à plusieurs catégories.<br />

Ils ont alors été analysés comme tels et pris en compte <strong>dans</strong> <strong>les</strong> différents sous-points.<br />

Nous avons par exemple choisi d’intégrer <strong>dans</strong> la rubrique motivation (3.6) la<br />

majeure partie <strong>de</strong>s données liées au chapitre 3.9 (moteurs <strong>de</strong> l’engagement), étant<br />

donné que l’on y retrouve un nombre important d’éléments en lien direct avec la<br />

question <strong>de</strong> la motivation.<br />

Les <strong>de</strong>ux sous-parties <strong>de</strong>s points 4.1 (spécificité <strong>de</strong> la formation duale) et 4.4<br />

(apports sur l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle) ont été traités ensemble <strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong><br />

données obtenues étaient relativement peu nombreuses et surtout peu différenciées.<br />

Dans le point 5, <strong>les</strong> sous-points ont été assez bien représentés pour faire l’objet d’un<br />

traitement spécifique. En revanche, le point 6.1 (promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> la<br />

formation) a été traité avec le point 6.4 (promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> la pratique),<br />

<strong>les</strong> étudiants ayant relié <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux items <strong>dans</strong> la visée <strong>de</strong> l’alternance intégrative.<br />

Dans la restitution <strong>de</strong>s résultats présente ici, nous avons volontairement fait<br />

<strong>de</strong>s regroupements plus larges, à l’intérieur <strong>de</strong>squels se trouvent cependant<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s idées contenues <strong>dans</strong> l’analyse ainsi qu’une structure et une<br />

cohérence permettant une lecture plus aisée.<br />

L’ensemble <strong>de</strong>s données recueillies sont disponib<strong>les</strong> à l’Annexe 1, en version<br />

numérique étant donné le nombre <strong>de</strong> pages très important que cela représente.<br />

L’analyse <strong>de</strong>scriptive a ensuite permis <strong>de</strong> mettre en relation <strong>les</strong> éléments et <strong>les</strong><br />

différents indicateurs, en précisant le découpage thématique et en distinguant <strong>les</strong><br />

représentations <strong>de</strong>s pratiques. Il s’agissait d’isoler une catégorie et <strong>de</strong> la placer en<br />

face d’une autre catégorie pour en observer un lien plus ou moins fort, issu d’une<br />

tension plus ou moins dynamique entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux concepts. En présence notamment<br />

286


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>ux catégories investiguées sous l’angle <strong>de</strong> leur rapport réciproque, nous avons<br />

été vigilante à ne pas établir d’inférence <strong>de</strong> type causal mais <strong>de</strong> nous contenter <strong>de</strong><br />

pointer ces lieux <strong>de</strong> recoupements. L’établissement <strong>de</strong> liens <strong>de</strong> causalité est bien<br />

souvent un raccourci passant sous silence <strong>de</strong>s rapports <strong>de</strong> nature beaucoup plus<br />

complexe (Paillé & Mucchielli, 2010) <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels un concept parfois révèle, amplifie,<br />

atténue ou modifie un autre concept. Il s’agit d’être pru<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> l’interprétation <strong>de</strong><br />

ces liens.<br />

Dans un second temps, l’analyse explicative, qui met en œuvre un important<br />

recul réflexif, a rendu possible la mise en perspective <strong>de</strong>s relations entre <strong>les</strong> acteurs<br />

entre eux ainsi que <strong>de</strong>s acteurs avec <strong>les</strong> objets. Il s’agissait alors d’élaborer <strong>de</strong>s<br />

hypothèses <strong>de</strong> compréhension <strong>de</strong>s actions et <strong>de</strong>s discours, ainsi que <strong>de</strong> ce qui <strong>les</strong><br />

motivent. L’analyse explicative constitue un schéma interprétatif qui s’appuie sur la<br />

littérature pour expliquer <strong>les</strong> données recueillies et en montrer le prolongement.<br />

L’utilisation <strong>de</strong>s catégories conceptualisantes implique<br />

« une intention d’analyse dépassant la stricte synthèse du contenu du<br />

matériau analysé et tentant d’accé<strong>de</strong>r directement au sens, et<br />

l’utilisation, à cette fin, d’annotations traduisant la compréhension à<br />

laquelle arrive l’analyste. » (Paillé & Mucchielli, 2010, p.234).<br />

Cette synthèse accompagnée d’une interprétation précautionneuse, a permis <strong>de</strong><br />

répondre à notre volonté première <strong>de</strong> vérifier et vali<strong>de</strong>r la théorisation en<br />

construction autour du concept d’engagement. Dans la discussion la synthèse <strong>de</strong>s<br />

résultats a ensuite été observée à la lumière <strong>de</strong>s théories accessib<strong>les</strong> pouvant éclairer<br />

le sujet et confirmer, infirmier ou compléter <strong>les</strong> propos recueillis.<br />

L’application d’une métho<strong>de</strong> post facto a rendue possible la mise en évi<strong>de</strong>nce<br />

d’une corrélation entre certaines données <strong>de</strong>s entretiens et cel<strong>les</strong> du questionnaire.<br />

Cette corrélation a comme intérêt <strong>de</strong> constituer un critère <strong>de</strong> validité pour la<br />

recherche. Il en va <strong>de</strong> même <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> relecture que nous avons choisie afin,<br />

287


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

ici encore, d’assurer une validité supérieure au présent travail. Cette métho<strong>de</strong> est<br />

explicitée ci-après <strong>dans</strong> le chapitre sur la validité <strong>de</strong> signifiance.<br />

288


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

CHAPITRE 17 : VALIDITÉ DE LA RECHERCHE<br />

Lorsque nous abordons la validité <strong>de</strong> la recherche, nous visons la validité <strong>de</strong><br />

l’analyse <strong>de</strong> contenu qui permet d’assurer que tous <strong>les</strong> indicateurs pertinents ont été<br />

représentés <strong>de</strong> manière pertinente. Elle peut être définie comme « l’adéquation entre<br />

<strong>les</strong> buts et <strong>les</strong> fins, sans distorsion <strong>de</strong>s faits » (Ghiglione & Matalon, 2004).<br />

17.1 Validité <strong>de</strong> signifiance<br />

À l’issue <strong>de</strong> la recherche, nous avons procédé à une validité <strong>de</strong> signifiance pour<br />

augmenter la fiabilité <strong>de</strong> la recherche. Cette métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> relecture précé<strong>de</strong>mment<br />

citée a permis <strong>de</strong> soumettre l’interprétation <strong>de</strong>s résultats aux personnes interrogées,<br />

ou à un certain nombre d’entre el<strong>les</strong>, pour savoir si cette interprétation correspond à<br />

leurs perceptions. Dans notre cas, dix personnes parmi <strong>les</strong> participants aux entretiens<br />

ont été sollicitées pour exprimer leur avis sur la synthèse <strong>de</strong>s résultats et nous<br />

communiquer le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> proximité ou d’éloignement avec <strong>les</strong> données partagées<br />

durant l’entretien. Les personnes <strong>de</strong>vaient nous dire si el<strong>les</strong> pouvaient se retrouver<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> propos cités et <strong>les</strong> interprétations faites. Hormis quelques divergences <strong>dans</strong><br />

l’emphase placée sur un concept ou l’autre (émanant <strong>de</strong> la récurrence <strong>de</strong> celui-ci <strong>dans</strong><br />

l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens), <strong>les</strong> données ont été considérées comme fidè<strong>les</strong> à leur<br />

entretien par ces personnes. Le résultat en a donc été la corroboration (Pourtois &<br />

Desmet, 1997).<br />

La méthodologie a pour objectif <strong>de</strong> permettre la mise en œuvre d’un dispositif<br />

<strong>de</strong> recherche favorisant la réalisation, aussi objective que possible <strong>de</strong> la recherche,<br />

afin <strong>de</strong> garantir au maximum la validité <strong>de</strong>s données. Dans ce sens, elle doit être<br />

traitée très minutieusement sous ses différents aspects. C’est pourquoi nous avons<br />

présenté consécutivement <strong>les</strong> différents éléments qui composent cette recherche,<br />

<strong>de</strong>puis <strong>les</strong> techniques utilisées pour recueillir <strong>les</strong> données, jusqu’à la manière dont<br />

289


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

ont été traités <strong>les</strong> résultats, en passant par le contexte <strong>de</strong> la recherche ainsi que <strong>les</strong><br />

choix opérés à différentes étapes. Même si le chercheur en sciences humaines se voit<br />

<strong>dans</strong> « l’impossibilité d’être exhaustif » (Pourtois, Desmet, Lahaye, 1998), il n’en<br />

<strong>de</strong>meure pas moins que la validité <strong>de</strong> son travail doit être avérée afin que celui-ci soit<br />

crédible.<br />

Plusieurs dimensions permettent <strong>de</strong> soutenir cette validité :<br />

1. Les hypothèses sont composées <strong>de</strong> concepts, eux-mêmes déclinés en<br />

variab<strong>les</strong> observab<strong>les</strong>. Ces concepts sont diversifiés et représentatifs du thème<br />

étudié afin <strong>de</strong> favoriser la validité <strong>de</strong> l’instrument ;<br />

2. Les mesures nécessaires sont prises au niveau <strong>de</strong> l’investigation <strong>de</strong>s<br />

données, <strong>de</strong> leur retranscription et <strong>de</strong> leur traitement pour en garantir la<br />

fidélité et la rigueur ;<br />

3. Une triangulation <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s permet <strong>de</strong> combiner plusieurs techniques<br />

<strong>de</strong> recueils <strong>de</strong> données afin <strong>de</strong> cerner au plus près l’objet d’étu<strong>de</strong> et <strong>de</strong> réduire<br />

au maximum la part subjective <strong>de</strong> chaque technique, en réduisant également<br />

<strong>les</strong> possibilités que <strong>les</strong> découvertes faites soient attribuab<strong>les</strong> en majeure partie<br />

à la technique utilisée.<br />

La nature même du sujet permet <strong>de</strong> travailler sur plusieurs matériaux et <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />

mettre en dialogue, <strong>de</strong> <strong>les</strong> comparer et d’en dégager un construit commun favorisant<br />

la richesse et la complexité <strong>de</strong>s données, ainsi qu’une interprétation plus élaborée.<br />

La triangulation théorique augmente gran<strong>de</strong>ment la fiabilité <strong>de</strong>s résultats en<br />

permettant <strong>de</strong> vérifier la récurrence ou la permanence d’informations, mais en<br />

permettant également d’observer <strong>de</strong>s divergences éventuel<strong>les</strong> entre <strong>les</strong> métho<strong>de</strong>s et<br />

d’analyser ces divergences, voire ces contradictions.<br />

On utilisera ici <strong>de</strong>ux formes <strong>de</strong> triangulation, l’une méthodologique et l’autre<br />

nommée triangulation <strong>de</strong>s sources.<br />

290


TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

17.2 Triangulations et validité<br />

La première forme <strong>de</strong> triangulation vise l’utilisation <strong>de</strong> différentes métho<strong>de</strong>s<br />

pour l’investigation du même objet. Nous aurons donc une première enquête qui<br />

sera <strong>de</strong> nature quantitative, alors que la secon<strong>de</strong> partie, plus exhaustive, sera<br />

effectuée sous la forme qualitative.<br />

Dans la partie quantitative, nous sommes face à un objet relativement neutre, ne<br />

permettant pas <strong>de</strong> s’exprimer <strong>de</strong> façon très importante. L’intérêt est avant tout<br />

technique, celui <strong>de</strong> corroborer ou nuancer <strong>les</strong> données obtenues qualitativement.<br />

En revanche, la partie qualitative fait appel à la subjectivité <strong>de</strong> la personne, à<br />

son vécu, à son expérience, à sa réflexion et à sa connaissance. L’interaction y joue un<br />

rôle important.<br />

17.3 Triangulation <strong>de</strong>s sources<br />

Il s’agit ici <strong>de</strong> s’enquérir <strong>de</strong> sources d’informations différentes afin <strong>de</strong> cerner le<br />

sujet sous un nombre <strong>de</strong> facettes le plus large possible. C’est <strong>dans</strong> cet objectif que<br />

différents publics ont été interrogés : étudiantes, enseignants et praticiens formateurs.<br />

La notion d’engagement pourra donc être envisagée sous ces trois perspectives<br />

différentes, afin d’en permettre une compréhension la plus exhaustive possible.<br />

Le but <strong>de</strong> la recherche aura été <strong>de</strong> rompre avec <strong>les</strong> représentations communes et<br />

d’opérer ce que Bachelard nomme « la rupture épistémologique » pour permettre<br />

l’inscription d’un nouveau savoir <strong>dans</strong> le champ scientifique. Dispositif <strong>de</strong> recherche<br />

291


17.4 Dispositif <strong>de</strong> recherche<br />

TROISIÈME PARTIE – MÉTHODOLOGIE<br />

FIGURE 3 Revue <strong>de</strong> littérature<br />

Catégorisation externe<br />

par sociologue<br />

(3 entretiens)<br />

Objectifs, hypothèses<br />

Étu<strong>de</strong> exploratoire<br />

Catégories Indicateurs<br />

Sélection <strong>de</strong> trois populations<br />

Questionnaire Entretien<br />

Base volontaire 44 entretiens semi-directifs<br />

Anonyme Grille sur la base <strong>de</strong>s catégories<br />

Vue générale et indicateurs<br />

Récolte <strong>de</strong>s données<br />

Traitement Excel Entrées par catégories et<br />

sous-catégories <strong>dans</strong> N’Vivo<br />

Analyse par question Analyse par catégorie Analyse linaire<br />

44 questionnaires 900 pages 6 entretiens<br />

Contrôle par<br />

un<br />

échantillon<br />

réduit<br />

<strong>de</strong> la<br />

fiabilité <strong>de</strong>s<br />

résultats<br />

Synthèse Synthèse<br />

par catégorie par entretien<br />

Synthèse générale <strong>de</strong>s résultats<br />

Discussion<br />

292


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

QUATRIÈME PARTIE :<br />

RÉSULTATS ET<br />

ANALYSES<br />

293


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

294


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

CHAPITRE 18 : RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE<br />

Dans ce chapitre ont été mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> résultats obtenus grâce à l’analyse<br />

<strong>de</strong>s données recueillies, d’une part, selon une première analyse <strong>de</strong> forme quantitative,<br />

<strong>de</strong> l’autre, selon une analyse <strong>de</strong> type qualitatif. Dans la première partie, <strong>les</strong> résultats<br />

obtenus lors <strong>de</strong> la passation du questionnaire ont été retracés <strong>de</strong> manière succincte en<br />

relevant, pour chaque item, <strong>les</strong> tendances généra<strong>les</strong> observées. Nous nous sommes<br />

attardés, <strong>dans</strong> la secon<strong>de</strong> partie, à l’examen <strong>de</strong> six entretiens choisis <strong>de</strong> manière<br />

aléatoire : <strong>de</strong>ux par échantillon <strong>de</strong> population qui sont analysés <strong>de</strong> manière plus fine<br />

et linéaire pour en mettre en évi<strong>de</strong>nce le développement, <strong>les</strong> liens entre <strong>les</strong> items,<br />

ainsi que la structure générale.<br />

Enfin, <strong>dans</strong> la troisième partie, <strong>de</strong> loin la plus conséquente, nous examinons, <strong>de</strong><br />

manière transversale, nos 44 entretiens classés et regroupés, <strong>dans</strong> un premier temps,<br />

<strong>dans</strong> 61 catégories.<br />

Comme expliqué précé<strong>de</strong>mment, nous avons choisi d’utiliser la technique du<br />

questionnaire <strong>dans</strong> le but d’obtenir <strong>de</strong>s tendances et une <strong>de</strong>scription généra<strong>les</strong> sur<br />

notre sujet, ainsi que quelques éléments <strong>de</strong> comparaison avec d’autres recherches, en<br />

particulier <strong>de</strong> psychologie organisationnelle. Nous n’avons cependant pas souhaité<br />

en faire notre outil d’investigation principal et, par conséquent, il nous a semblé plus<br />

juste, au vu tout particulièrement du nombre <strong>de</strong> questionnaires peu élevé (N=44),<br />

d’en faire une analyse statistique <strong>de</strong>scriptive. Nous nous en tiendrons donc à <strong>de</strong>s<br />

mises en évi<strong>de</strong>nce et comparaisons d’ordre général.<br />

Il aurait été intéressant <strong>de</strong> pouvoir i<strong>de</strong>ntifier l’origine <strong>de</strong>s questionnaires et <strong>de</strong><br />

savoir si la personne ayant répondu est une étudiante, un professionnel ou un<br />

295


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

enseignant. Toutefois nous avons renoncé à cela, car nous ne pouvions pas garantir<br />

l’anonymat requis <strong>dans</strong> une telle démarche.<br />

18.1 Des professionnels fortement engagés<br />

Une gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s professionnels interrogés se disent « engagés » à « très<br />

fortement engagés ». Pour la plupart, 23 sur <strong>les</strong> 44, ils se considèrent comme<br />

fortement engagés, tandis qu’aucun ne se reconnaît <strong>dans</strong> <strong>les</strong> désignations : « pas » ou<br />

« très peu engagé ». Deux personnes se distancient un peu <strong>de</strong>s autres en<br />

reconnaissant être « assez engagées ». C’est ce qu’illustre le diagramme suivant :<br />

Question posée : Comment qualifieriez-vous votre engagement<br />

professionnel ?<br />

FIGURE 4 : DEGRÉ D’ENGAGEMENT PROFESSIONNEL 2<br />

23<br />

7<br />

2<br />

2 Les chiffres mentionnés <strong>dans</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s graphiques représentent le nombre d’individus<br />

296<br />

12<br />

Pas engagé<br />

Très peu engagé<br />

Assez engagé<br />

Engagé<br />

Fortement engagé<br />

Très fortement engagé


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

18.2 Un engagement porté par une motivation et <strong>de</strong>s<br />

convictions<br />

Dans <strong>les</strong> facteurs qui motivent l’engagement, nous trouvons une forte<br />

concentration autour <strong>de</strong> l’aspect motivationnel et <strong>de</strong>s convictions. Ainsi, plus <strong>de</strong> la<br />

moitié <strong>de</strong>s soignants (27) considèrent que la motivation ou l’adéquation avec <strong>les</strong><br />

valeurs, <strong>de</strong>ux items qui se rejoignent fortement, sont <strong>les</strong> raisons premières <strong>de</strong><br />

l’engagement. On pourrait rajouter <strong>les</strong> six personnes qui inscrivent l’engagement en<br />

premier lieu <strong>dans</strong> la cohérence avec leurs objectifs. Seu<strong>les</strong> quatre personnes nomment<br />

comme première motivation l’intérêt porté au patient.<br />

De façon générale, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux premiers items « motivation, intérêt pour ce que je<br />

fais » et « adéquation avec mes convictions, mes valeurs », ainsi que le quatrième<br />

item « sens, cohérence avec mes objectifs », sont parmi <strong>les</strong> facteurs cités en priorité,<br />

alors même que <strong>les</strong> catégories six et sept « gain salarial et reconnaissance sociale »<br />

restent nul<strong>les</strong> pour ces items.<br />

En revanche, <strong>les</strong> rubriques « gain salarial » et « reconnaissance sociale »<br />

s’affichent, quant à el<strong>les</strong>, en <strong>de</strong>rnier <strong>dans</strong> l’ordre <strong>de</strong> priorité, avec une importance<br />

moindre pour la rémunération qui n’est citée que comme avant-<strong>de</strong>rnier ou <strong>de</strong>rnier<br />

facteur, <strong>de</strong> façon générale. Le graphique suivant permet <strong>de</strong> se faire une<br />

représentation <strong>de</strong> cette répartition.<br />

Question posée : Quels sont <strong>les</strong> facteurs d’engagement pour vous, <strong>dans</strong><br />

un ordre <strong>de</strong> priorité ?<br />

297


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

FIGURE 5 : FACTEURS D’ENGAGEMENT<br />

Les chiffres <strong>de</strong> 1 à 7 indiquent le niveau <strong>de</strong> priorité accordé par <strong>les</strong> personnes<br />

interrogées. Le 1 étant une priorité absolue, jusqu’au 7 comme <strong>de</strong>rnière <strong>de</strong>s priorités.<br />

18.3 L’engagement, un potentiel d’énergie<br />

D’après <strong>les</strong> recherches <strong>de</strong> Schaufeli et Martinez (2002), le concept d’engagement<br />

se déclinerait en une structure tri-factorielle mettant en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> trois dimensions<br />

<strong>de</strong> ce concept. Selon ce modèle l’énergie et la persévérance sont caractéristiques <strong>de</strong><br />

l’engagement, tout comme le sentiment d’efficacité et d’enthousiasme. La troisième<br />

dimension, l’absorption <strong>dans</strong> l’activité génère un consensus moins important.<br />

Le fait que l’engagement soit lié à l’énergie et à la persévérance est un avis<br />

partagé par une très large majorité (40 personnes pour le premier item et 41 pour le<br />

second). Le troisième item fait un peu moins l’unanimité, mais ce sont néanmoins<br />

tout <strong>de</strong> même 32 personnes sur <strong>les</strong> 44 qui reconnaissent que l’engagement <strong>les</strong> conduit<br />

à se sentir complètement absorbées et déconnectées du temps avec ses contingences.<br />

Le <strong>de</strong>gré d’impact en termes d’énergie et <strong>de</strong> persévérance est clairement perceptible<br />

à partir du schéma suivant :<br />

Reconnaissance sociale<br />

Gain salarial, rémunération<br />

Intérêt du patient, bienveillance<br />

Sens, cohérence avec mes objectifs, intérêt<br />

Responsabilité, <strong>de</strong>voir<br />

Adéquation avec mes convictions, mes valeurs<br />

Motivation, intérêt pour ce que je fais<br />

1<br />

2<br />

4<br />

6<br />

5<br />

298<br />

5<br />

11<br />

3<br />

17<br />

16<br />

12<br />

11<br />

16<br />

10<br />

11<br />

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%<br />

1 2 3 4 5 6 7<br />

9<br />

9<br />

13<br />

7<br />

2<br />

15<br />

20<br />

6<br />

15<br />

9<br />

6<br />

4<br />

4<br />

3<br />

2<br />

2<br />

1<br />

1<br />

1


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Question posée : Vous sentez vous particulièrement rempli d’énergie et<br />

<strong>de</strong> persévérance <strong>dans</strong> votre travail ?<br />

FIGURE 6 : ENGAGEMENT ET ÉNERGIE / PERSÉVÉRANCE<br />

On peut <strong>de</strong> même observer <strong>de</strong>s conséquences importantes sur le sentiment<br />

d’efficacité, comme nous le voyons ici, puisque ce sentiment d’efficacité apparaît<br />

pour neuf personnes sur dix comme bien réel.<br />

Question posée : Vous sentez-vous efficace, enthousiaste <strong>dans</strong> votre<br />

travail ?<br />

1 2<br />

FIGURE 7 : SENTIMENT D’EFFICACITÉ<br />

299<br />

41<br />

Oui Entre-<strong>de</strong>ux Non<br />

2 2<br />

40<br />

Oui Entre-<strong>de</strong>ux Non


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

En revanche la <strong>de</strong>rnière dimension, assimilée au fait <strong>de</strong> ne pas voir le temps<br />

passer, <strong>de</strong> par l’impact <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> l’activité professionnelle, donne un<br />

résultat un peu plus mitigé comme nous pouvons l’observer sur le schéma suivant.<br />

Question posée : Vous sentez-vous absorbé <strong>dans</strong> votre travail au point <strong>de</strong><br />

ne pas voir le temps passer ?<br />

FIGURE 8 : SENTIMENT D’ABSORPTION DANS L’ACTIVITÉ<br />

18.4 L’engagement : pour un sens à son existence<br />

Toute l’énergie utilisée pour satisfaire à son engagement professionnel donne<br />

lieu à un certain nombre <strong>de</strong> conséquences ou <strong>de</strong> résultats pour la personne qui<br />

s’engage. Les avis sont unanimes sur le fait que la « perte <strong>de</strong> liberté » du soignant ne<br />

constitue pas une conséquence primordiale, elle reste même largement anecdotique ;<br />

en revanche, <strong>les</strong> avis sont partagés quant aux conséquences <strong>les</strong> plus importantes <strong>de</strong><br />

cet engagement.<br />

Question posée : Quels sont <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> l’engagement pour la<br />

personne qui s’engage ?<br />

12<br />

Oui Entre-<strong>de</strong>ux Non<br />

300<br />

32


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

FIGURE 09 : RÉSULTATS DE L’ENGAGEMENT<br />

(1 représente la priorité la plus élevée, tandis que 8 représente la priorité la moins<br />

élevée).<br />

Efficacité<br />

Epanouissement<br />

Perte <strong>de</strong> liberté<br />

Satisfaction<br />

Sentiment d'utilité<br />

Valorisation<br />

Sens à son existence<br />

Reconnaissance sociale<br />

En considérant <strong>les</strong> trois premiers niveaux <strong>de</strong> résultats, on obtient <strong>de</strong>s scores<br />

quasi i<strong>de</strong>ntiques pour le « sens à son existence », le « sentiment d’utilité », la<br />

« satisfaction » et « l’épanouissement ». Avec cependant une préférence pour <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux premiers items cités <strong>de</strong> façon quasi égale comme premier et <strong>de</strong>uxième résultat<br />

<strong>de</strong> l’engagement ; le sentiment d’utilité peut aussi être pensé comme élément<br />

contributif au sentiment <strong>de</strong> « donner un sens à son existence ».<br />

Il convient <strong>de</strong> relever que seu<strong>les</strong> 11 personnes considèrent la valorisation<br />

comme un <strong>de</strong>s trois premiers résultats, tandis que, rappelons-nous, elle était<br />

également peu considérée parmi <strong>les</strong> facteurs d’engagement relevés ci-<strong>de</strong>ssus. Par<br />

ailleurs, « l’efficacité » est un résultat perçu comme important, avec une distribution<br />

très orientée vers <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> liste. Le schéma suivant, incluant à nouveau<br />

un ordre <strong>de</strong> priorité, cette fois échelonné <strong>de</strong> 1 à 8 (<strong>de</strong> la plus importante à la moins<br />

significative), permet <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong>s répartitions <strong>de</strong> ces priorités entre ces<br />

items considérés comme résultant directement <strong>de</strong> l’engagement.<br />

18.5 L’engagement constitue une prise <strong>de</strong> risque<br />

Pour <strong>de</strong> nombreuses personnes (39 sur <strong>les</strong> 44 interrogées), l’engagement<br />

constitue une prise <strong>de</strong> risques.<br />

1<br />

2<br />

3<br />

3<br />

3<br />

1<br />

5<br />

8<br />

2<br />

4<br />

3<br />

11<br />

10<br />

2<br />

4<br />

5<br />

4<br />

13<br />

6<br />

301<br />

5<br />

8<br />

9<br />

8<br />

10<br />

5<br />

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%<br />

8<br />

7<br />

31<br />

1 2 3 4 5 6 7 8<br />

4<br />

6<br />

4<br />

6<br />

4<br />

8<br />

15<br />

11<br />

5<br />

6<br />

4<br />

8<br />

4<br />

5<br />

5<br />

4<br />

2<br />

2<br />

2<br />

1<br />

1


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Question posée : L’engagement constitue-t-il une prise <strong>de</strong> risque ?<br />

FIGURE 10 : L’ENGAGEMENT COMME PRISE DE RISQUE.<br />

Le caractère visuel du graphique permet <strong>de</strong> se rendre rapi<strong>de</strong>ment compte <strong>de</strong> la<br />

répartition <strong>de</strong>s réponses.<br />

Selon <strong>les</strong> réponses à notre question ouverte, l’engagement implique une « prise<br />

<strong>de</strong> position » et donc « l’exposition à un jugement ». L’engagement, toujours lié<br />

au « risque d’être déçu », est caractérisé par une « mise en danger <strong>de</strong> soi »<br />

pouvant faire émerger un « risque <strong>de</strong> frustration » et « d’épuisement ». D’où la<br />

nécessité, précisent certains individus, <strong>de</strong> se méfier d’un « engagement excessif » et<br />

<strong>de</strong> « savoir ses limites » pour ne pas risquer <strong>de</strong> « s’oublier soi-même et son<br />

réseau social ». Pour une autre personne, il n’y a pas <strong>de</strong> risque lié à l’engagement,<br />

tant que le soignant conserve une parfaite « authenticité » et que cette implication<br />

correspond à un choix délibéré.<br />

18.6 L’indifférence est le contraire <strong>de</strong> l’engagement<br />

Sur ce point, <strong>les</strong> avis sont plus partagés. En effet, on note une répartition quasi<br />

égale (20 et 19 personnes) entre ceux qui concluent à une opposition entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />

notions et ceux qui <strong>les</strong> considèrent comme <strong>de</strong>s phénomènes distincts.<br />

5<br />

Oui Non<br />

302<br />

39


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Question posée : L’indifférence est-elle le contraire <strong>de</strong> l’engagement ?<br />

FIGURE 11 : INDIFFÉRENCE ET ENGAGEMENT<br />

Pour une première moitié <strong>de</strong> personnes, l’engagement est effectivement opposé<br />

à l’indifférence <strong>dans</strong> la mesure où l’indifférence signifie un « désintérêt », alors que<br />

l’engagement, au contraire, implique un « intérêt à l’autre », « en rapport avec<br />

nos valeurs, croyances, le sens qu’on y met et donc qui fait que l’on y est pas<br />

indifférent ».<br />

Parmi <strong>les</strong> personnes qui ne voient pas d’opposition entre l’indifférence et<br />

l’engagement, notons cel<strong>les</strong> qui argumentent que « le contraire <strong>de</strong> l’engagement<br />

est le désengagement, et non pas l’indifférence », précisant que l’indifférence est<br />

davantage un autre <strong>de</strong>gré d’engagement plutôt que son opposé, voire une « forme<br />

particulière d’engagement ». Ce qui se justifierait aussi, pour une personne, par le<br />

fait que « l’on peut fonctionner sans être engagé, mais pas en étant<br />

indifférent ».<br />

19<br />

Il s’agissait pour nous ici, au moyen <strong>de</strong> cette question, <strong>de</strong> faire émerger <strong>les</strong><br />

craintes éventuel<strong>les</strong> liées au risque conscient lié à l’engagement. Cette question<br />

semble plus délicate et donne une répartition plus mitigée, comme nous pouvons le<br />

voir avec la prochaine figure.<br />

Oui Non<br />

303<br />

20


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

18.7 Exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique sans être<br />

engagé<br />

Avec cette possibilité évoquée on retrouve un consensus très fort orienté vers<br />

une réponse négative. Pour 33 personnes sur <strong>les</strong> 42 ayant répondu à cet item, il n’est<br />

pas possible d’exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> manière éthique sans être engagé. Les<br />

arguments sont nombreux pour justifier ce positionnement. Ainsi plusieurs<br />

personnes citent le registre <strong>de</strong>s valeurs, considérées comme le fon<strong>de</strong>ment d’un agir<br />

éthique se manifestant <strong>dans</strong> l’engagement. « L’éthique nous engage<br />

automatiquement puisqu’elle implique la mise en jeu <strong>de</strong> nos valeurs » et elle<br />

« engage l’entier <strong>de</strong> la personne ». Ainsi « <strong>dans</strong> l’éthique il y a déjà une notion<br />

d’engagement » et <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sont interdépendants. En effet, « si l’on est pas engagé,<br />

<strong>les</strong> aspects éthiques ne seront pas respectés <strong>de</strong> la même manière que si l’on est<br />

engagé », ce qui aura <strong>de</strong>s implications directes sur « le rôle professionnel ».<br />

Sur ce point, en revanche, <strong>les</strong> avis se rejoignent à nouveau davantage et, comme<br />

nous le voyons ici, la répartition est quasiment <strong>de</strong> un cinquième pour le non et quatre<br />

cinquièmes pour le oui.<br />

Question posée : Peut-on exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique<br />

sans être engagé ?<br />

FIGURE 12 : RÔLE PROFESSIONNEL, ÉTHIQUE ET ENGAGEMENT.<br />

33<br />

Oui Non<br />

304<br />

9


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

CHAPITRE 19 : RÉSULTATS ET ANALYSE DU CORPUS<br />

D’ENTRETIENS<br />

Cette partie <strong>de</strong> la recherche consiste à présent <strong>dans</strong> l’analyse <strong>de</strong> l’ensemble du<br />

corpus <strong>de</strong>s quarante-quatre entretiens. Ce corpus <strong>de</strong> données est entièrement<br />

disponible sous forme numérique à l’Annexe 1. Pour cette partie <strong>de</strong> l’analyse, nous<br />

avons pris chaque entretien et en avons mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> différents thèmes. Ces<br />

<strong>de</strong>rniers ont ensuite été classés, comme l’indique le tableau ci-<strong>de</strong>ssous, <strong>dans</strong> un arbre<br />

à catégories construit au fur et à mesure <strong>de</strong> l’analyse <strong>dans</strong> le logiciel N’Vivo.<br />

Nous nous proposons ici <strong>de</strong> reprendre <strong>les</strong> 61 catégories l’une après l’autre,<br />

recelant donc tous <strong>les</strong> extraits <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens, en choisissant <strong>de</strong><br />

regrouper certaines d’entre el<strong>les</strong>, tel que nous l’avons expliqué <strong>dans</strong> la méthodologie<br />

d’analyse <strong>de</strong>s entretiens. Pour permettre l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s verbatims retranscrits,<br />

nous avons choisi <strong>de</strong> conserver la codification telle qu’utilisée lors <strong>de</strong>s entretiens.<br />

Ainsi <strong>les</strong> lettres E, T, P sont à comprendre comme E pour étudiantes, T pour<br />

enseignants (teacher) et P pour professionnels praticiens-formateurs. Le chiffre<br />

correspond ensuite à la personne interrogée <strong>dans</strong> notre codification propre.<br />

TABLEAU 15 : MODÈLE DE TRAITEMENT POUR L’ANALYSE TRANSVERSALE<br />

ENTRETIEN UNITÉ SÉMANTIQUE CATÉGORIE<br />

E 26 (Étudiante<br />

n°26 sur notre liste)<br />

Données propre à<br />

la personne<br />

interviewée<br />

Phrase ou unité <strong>de</strong><br />

texte se rapportant<br />

à un thème précis<br />

305<br />

ABORDÉE<br />

Parmi <strong>les</strong> 8 thèmes<br />

extraits <strong>de</strong><br />

l’analyse : éléments<br />

biographiques,<br />

éthique,<br />

engagement…<br />

SOUS-CATÉGORIE<br />

Extrait d’un thème,<br />

avec mise en<br />

évi<strong>de</strong>nce du<br />

contenu précis et<br />

<strong>de</strong>s indicateurs


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Pour l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens, chaque unité sémantique a reçu un numéro, au<br />

fur et à mesure <strong>de</strong> l’analyse, qui permet <strong>de</strong> repérer la catégorie à laquelle elle se<br />

rapporte, ainsi que la sous-catégorie plus précisément.<br />

Ainsi une phrase correspondant à une définition <strong>de</strong> l’engagement recevra le<br />

numéro 3.2., le 3 étant le thème <strong>de</strong> l’engagement et le point 3.2 correspondant plus<br />

précisément à la sous-catégorie rassemblant <strong>les</strong> définitions <strong>de</strong> l’engagement.<br />

Cette partie qualitative a cherché à explorer <strong>de</strong>s dimensions assez larges, en lien avec<br />

l’engagement. On s’est préoccupé <strong>de</strong> l’influence du parcours <strong>de</strong> vie et du vécu<br />

professionnel sur l’engagement, en passant par l’engagement <strong>dans</strong> sa dimension<br />

éthique et en observant <strong>les</strong> concepts proches qui ont contribué à sa définition, pour<br />

examiner comment l’engagement est vécu en formation ainsi que <strong>dans</strong> le contexte<br />

hospitalier, afin finalement d’en découvrir <strong>les</strong> espaces encore peu exploités et qui<br />

pourraient être sujets à développement.<br />

19.1 Éléments du parcours <strong>de</strong> vie personnel et professionnel<br />

Nous nous sommes tous d’abord intéressée aux raisons initia<strong>les</strong> qui ont poussé<br />

nos interlocuteurs à choisir la profession d’infirmière. Il était intéressant <strong>de</strong><br />

s’interroger pour savoir si l’exercice <strong>de</strong> cette profession découlait également d’un<br />

choix libre au départ. Pour un certain nombre <strong>de</strong> personnes, il s’agit en effet d’un<br />

choix <strong>de</strong> second ordre, voire d’un choix par défaut. Parmi <strong>les</strong> étudiantes, plusieurs<br />

ont reconnu avoir fait ce choix après avoir raté d’autres concours (physiothérapie,<br />

sage-femme, éducateur, instituteur…), échoué <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s formations (mé<strong>de</strong>cine) ou<br />

pour <strong>de</strong>s raisons <strong>de</strong> santé (ambulancier souffrant <strong>de</strong> lombalgies). Parmi <strong>les</strong><br />

professionnels, <strong>de</strong>ux personnes sont <strong>dans</strong> le cas d’une reconversion, <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />

argumentant qu’ils avaient besoin <strong>de</strong> « donner un sens à leur existence », l’un<br />

étant auparavant informaticien et l’autre douanier. Mais, pour une gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s<br />

étudiants, il s’agit d’un choix qui remonte à l’enfance. Neuf étudiants ont affirmé<br />

avoir toujours voulu exercer ce métier qui s’est imposé comme une sorte d’évi<strong>de</strong>nce :<br />

« J’ai toujours voulu faire infirmière (E17) ». Une enseignante et <strong>de</strong>ux<br />

professionnel<strong>les</strong> ont même évoqué le terme <strong>de</strong> « vocation », en nous expliquant que<br />

306


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

cela « vient <strong>de</strong> vocare, ça veut dire se dévouer, se donner pour quelqu’un et<br />

puis apporter quelque chose <strong>de</strong> soi à l’autre (P1)», exprimant le soin donc<br />

comme un véritable don <strong>de</strong> soi, une aspiration quasi innée : « j’ai toujours eu à<br />

l’intérieur <strong>de</strong> moi, tout ce qui est <strong>de</strong>s relations humaines et puis m’occuper <strong>de</strong><br />

l’autre, soigner l’autre, j’avais déjà ça <strong>dans</strong> mon caractère avant <strong>de</strong> me<br />

<strong>de</strong>stiner aux <strong>soins</strong> (P8)». Il peut s’agir d’un élan quasi passionnel (T14). Dans ce<br />

cas, l’engagement professionnel est lié à un choix personnel émanent d’une liberté<br />

fondamentale (Savadogo, 2008).<br />

Dans d’autres cas, on retient une certaine notion <strong>de</strong> contrainte. Inconsciemment<br />

ou non, le choix est influencé par <strong>de</strong>s évènements externes. On sera frappé, chez <strong>les</strong><br />

enseignants, tout comme chez <strong>les</strong> étudiants, <strong>de</strong> remarquer le lien assez fréquent entre<br />

ce choix <strong>de</strong> profession et une expérience <strong>de</strong> vie difficile vécue durant l’enfance,<br />

souvent une expérience avec la maladie. Nombreux sont ceux, en effet, qui ont été<br />

touchés par la maladie ou le décès d’un proche et qui expriment <strong>de</strong>s souvenirs<br />

diffici<strong>les</strong> <strong>de</strong> confrontation à leurs propres limites : « je m’étais sentie un peu<br />

impuissante (T9) » ; « j’ai souffert d’une réelle impuissance à accompagner<br />

ma grand-mère <strong>dans</strong> son processus <strong>de</strong> fin <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong> maladie (T14)» . Ces<br />

expériences réveillent comme un besoin <strong>de</strong> « réparer » quelque chose en soi :<br />

« J’avais 13 ans quand il y a eu l’acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> mon père, il est resté très<br />

longtemps hospitalisé. Donc tout tourne autour quand même <strong>de</strong> sauver <strong>les</strong><br />

autres, pis <strong>de</strong> me sauver moi aussi un peu quand même… (T13) », quand ce<br />

n’est pas l’expression d’une culpabilité, citée à cinq reprises : « J’ai ressenti une<br />

culpabilité extrêmement forte <strong>de</strong> l’avoir laissée seule à c e moment le plus<br />

difficile <strong>de</strong> son existence (mort) (T14) ». Une responsable <strong>de</strong> formation nous fera<br />

d’ailleurs remarquer que ce lien avec l’histoire <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s étudiants est souvent<br />

clairement i<strong>de</strong>ntifiable à partir <strong>de</strong>s autobiographies qu’ils doivent fournir à leur<br />

entrée <strong>dans</strong> l’école. Néanmoins, peu nombreux sont ceux qui sont à même <strong>de</strong> faire ce<br />

rapprochement <strong>de</strong> manière explicite et consciente. Lorsqu’il y a prise <strong>de</strong> conscience, il<br />

y a aussi tentative d’explication : « c’est comme si on avait besoin <strong>de</strong> comprendre<br />

pourquoi on a pas su faire, peut-être trouver <strong>de</strong>s ressources pour pouvoir le<br />

faire (T14)».<br />

307


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Nous avons noté, et <strong>les</strong> enseignants et professionnels ont confirmé cette<br />

compréhension <strong>de</strong>s choses (P7, T4), que <strong>les</strong> personnes ayant relaté <strong>de</strong> tels<br />

évènements avaient une capacité <strong>de</strong> réflexion particulièrement développée et parfois<br />

interpellante, comme cette jeune femme <strong>de</strong> 23 ans, infirmière <strong>de</strong>puis un an, qui nous<br />

explique que son fiancé a eu un acci<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> moto il y a six mois et restera désormais<br />

paraplégique. Sa réaction nous laisse pensive lorsqu’elle explique que « le choc<br />

passé, la souffrance, je dirais un petit peu diluée, ça fait grandir… (P6)».<br />

Mais, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette référence à sa propre histoire, nous avons pu relever<br />

<strong>de</strong>ux constantes <strong>dans</strong> toutes nos populations, à savoir l’altruisme et l’importance <strong>de</strong><br />

la dimension relationnelle. L’aspect relationnel est cité six fois chez <strong>les</strong> étudiantes et<br />

cinq fois chez <strong>les</strong> enseignants comme la motivation à l’origine du choix professionnel.<br />

On pourrait se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il en est <strong>de</strong> même chez <strong>de</strong>s professionnels toujours au<br />

contact avec <strong>les</strong> patients, ou si une certaine routine pourrait y porter atteinte, ce qui<br />

ne semble pas être le cas puisque cet aspect est également mentionné par sept<br />

professionnels sur <strong>les</strong> dix interrogés. Il en va <strong>de</strong> même pour l’attention portée à<br />

l’autre qui est nommée comme essentielle par <strong>les</strong> trois échantillons <strong>de</strong> participants.<br />

Nous avons choisi ici le terme d’altruisme, mais il intègre toute la dimension du<br />

rapport à la tierce personne : respect, soutien, accompagnement, empathie… Un<br />

enseignant la décrit comme une dimension d’empathie pour laquelle « on est<br />

biologiquement équipé… avec <strong>les</strong> neurones miroirs… » et « l’engagement naît<br />

<strong>de</strong> ça, <strong>de</strong> l’acceptation d’être touché par ce que, ce que vit l’autre (T15)» . Cette<br />

dimension altruiste semble être à la base <strong>de</strong> nombreuses motivations<br />

professionnel<strong>les</strong> : « j’adore ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> personnes (E16) » ; « je voulais me mettre<br />

au service <strong>de</strong> l’autre, même si je ne savais pas ce que ça voulait dire que<br />

d’être au service <strong>de</strong>s autres. Pour moi c’était l’évi<strong>de</strong>nce que je m’engage<br />

auprès d’autres êtres humains (P2) ». On retrouve donc un trait commun très<br />

généralisé d’altruisme comme sensibilité à la condition <strong>de</strong> l’autre et souhait <strong>de</strong> lui<br />

venir en ai<strong>de</strong>, en étant « touchés (E15) » par sa condition et intéressés par son<br />

existence : « moi j’ai dix-huit ans, ça m’intéresse <strong>de</strong> savoir la vie <strong>de</strong>s gens…<br />

(E16) » et en ayant envie d’y apporter une contribution positive : « j’ai essayé <strong>de</strong><br />

redonner un petit rayon <strong>de</strong> soleil aux patients qui sont mala<strong>de</strong>s, c’est vrai que<br />

308


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

moi ça m’épanouit <strong>de</strong> m’engager comme ça (E13) ». La sensibilité <strong>de</strong> nombreux<br />

soignants peut même parfois laisser place à un réel sentiment d’injustice, comme<br />

l’exprime cette enseignante à propos <strong>de</strong> sa rencontre avec <strong>de</strong>s situations d’oncologie<br />

pédiatrique : « c’est une situation difficile qu’on ne <strong>de</strong>vrait pas vivre <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />

moments aussi jeunes (cancer) (E16) ». Des différences sont perceptib<strong>les</strong> entre <strong>les</strong><br />

étudiantes qui ont déjà un parcours professionnel, et tout spécialement lorsque cette<br />

expérience se situe <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, avec ceux qui n’en ont pas ou pas <strong>dans</strong><br />

ce contexte. En effet, nombreux sont cel<strong>les</strong> qui travaillent comme ai<strong>de</strong>s-soignantes<br />

durant leurs congés et en soirée pour financer leurs étu<strong>de</strong>s (16 sur <strong>les</strong> 22), ou encore<br />

cel<strong>les</strong> (4) qui ont réalisé une première formation d’Assistantes en Soins et Santé<br />

Communautaire (formation supérieure à celle d’ai<strong>de</strong>-soignant, mais inférieure à celle<br />

d’infirmière). On note chez el<strong>les</strong> un regard plus objectif sur la réalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Si<br />

plusieurs d’entre el<strong>les</strong> conservent le souhait <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> l’humanitaire et <strong>de</strong> « sauver<br />

le mon<strong>de</strong> », el<strong>les</strong> ont en revanche pu observer <strong>les</strong> aspects réellement positifs <strong>de</strong> la<br />

profession, mais également <strong>les</strong> côtés moins ensoleillés. Cette première expérience<br />

aura d’ailleurs été l’occasion, pour <strong>de</strong>s étudiantes, <strong>de</strong> réaliser la part <strong>de</strong><br />

responsabilité qui incombe à l’infirmière, <strong>de</strong> défendre son rôle, et tout<br />

particulièrement aux plus jeunes <strong>de</strong> ces professionnel<strong>les</strong>. Un étudiant explique que<br />

cela « ne sert à rien <strong>de</strong> se plaindre et d’écarter le problème, autant l’affronter ,<br />

justifier <strong>les</strong> actions qu’on fait… c’est à nous <strong>les</strong> jeunes, <strong>les</strong> jeune s diplômés à<br />

changer le système (E18)». C’est l’occasion <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong> côté certaines<br />

représentations encore fortement présentes : « au début je me suis dit ouais<br />

l’infirmière c’est la bonniche du mé<strong>de</strong>cin, tout le mon<strong>de</strong> croit ça et puis au<br />

final… on se rend compte qu’on a <strong>de</strong>s vraies responsabilités (E2) ».<br />

Par ailleurs, l’influence du milieu familial et éducatif est également clairement<br />

perceptible : « c’est <strong>de</strong>s valeurs… qu’on m’a inculquées déjà toute petite je<br />

pense (P6) ». Pour certains, il y a eu la présence d’un proche qui exerçait cette<br />

profession et leur a transmis cette passion : «… ma grand-maman était<br />

infirmière… elle me parlait toujours <strong>de</strong> cette profession… c’était une<br />

passionnée <strong>de</strong> sa profession et pis ben elle m’a donné le goût (P7) ». Pour<br />

d’autres, il y a quasiment comme un facteur d’hérédité, une sorte d’évi<strong>de</strong>nce<br />

309


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

familiale : « j’ai toujours voulu être infirmière parce que tout le mon<strong>de</strong> l’est<br />

<strong>dans</strong> ma famille, ma maman, ma tante… (E 25)» et le sentiment d’utilité semble<br />

être la source <strong>de</strong> cette motivation familiale : « J’étais toujours attirée… par <strong>les</strong><br />

gens qui avaient <strong>de</strong>s problèmes. J’avais envie <strong>de</strong> m’occuper du vieux monsieur<br />

qui était amputé… (T9)». Cette volonté d’ai<strong>de</strong>r est clairement mise en lien avec <strong>de</strong>s<br />

valeurs socio-éducatives et personnel<strong>les</strong> qui ont orienté le choix professionnel. « J’ai<br />

fait un stage <strong>dans</strong> une agence <strong>de</strong> publicité, j’ai trouvé cela tellement<br />

horriblement superficiel, surfait, que… je me suis dit non je ne peux pas<br />

cautionner quelque chose comme ça qui… correspon<strong>de</strong> pas du tou t à mes<br />

valeurs… c’est un domaine (<strong>les</strong> <strong>soins</strong>) qui rejoignait en fait <strong>les</strong> valeurs que…<br />

je veux aussi défendre (P10)».<br />

Ce sont ces mêmes valeurs qui ont amené plusieurs enseignants à s’éloigner <strong>de</strong><br />

la pratique soignante pour rejoindre le milieu <strong>de</strong> la formation. Pour trois enseignants<br />

en tout cas, le poids institutionnel a été la cause du départ. Certains ne mâchent pas<br />

leurs mots : « T’entres <strong>dans</strong> une usine à produire <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> où <strong>les</strong> patients<br />

débarquent et il faut qu’ils se la coincent (T3)» . C’est cet aspect qui <strong>les</strong> a poussés<br />

à modifier leur trajectoire : « Parce que là j’arrivais à un truc où je sentais<br />

que… je pouvais pas changer le système, le système il était comme ça. Si<br />

j’avais eu l’impression que le système pouvait changer, et pis me permettre<br />

quand même <strong>de</strong> concilier un peu plus, je serais restée… (T4) ».<br />

À cela s’ajoute une spécificité <strong>de</strong> curiosité intellectuelle particulièrement<br />

marquée chez <strong>les</strong> enseignants, déjà précisée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> motivations exprimées pour le<br />

choix <strong>de</strong> la profession, et qui se traduit par un souhait initial <strong>de</strong> découvrir <strong>les</strong><br />

mystères du corps humain, <strong>de</strong> « comprendre comment ça se passait, pourquoi ils<br />

étaient mala<strong>de</strong>s. Moi j’avais besoin <strong>de</strong>s explications (T5) ». Cette soif <strong>de</strong><br />

connaissances, cumulée à certaines difficultés inhérentes à la pratique infirmière<br />

tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> horaires, la conjugaison difficile avec une vie <strong>de</strong> famille ou encore la<br />

routine, ont conduit la plupart <strong>de</strong>s enseignants interrogés à entamer <strong>les</strong> formations<br />

<strong>les</strong> plus diverses et variées. Certains cumulent jusqu’à six diplômes supérieurs<br />

différents, parmi <strong>les</strong>quels : maîtrise <strong>de</strong> sociologie, maîtrise en sciences <strong>de</strong> l’éducation,<br />

maîtrise <strong>de</strong> langues, maîtrise d’histoire, licence en anthropologie, diplômes en<br />

310


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

éthique, en psychologie, en management <strong>de</strong> la santé, en santé publique, en santé<br />

communautaire, en psychiatrie clinique, en management <strong>de</strong>s ressources humaines,<br />

en philosophie du management… Or, comme l’une d’entre el<strong>les</strong> l’explique, la prise<br />

<strong>de</strong> distance et le développement d’une réflexion ancrée <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s connaissances<br />

ren<strong>de</strong>nt un retour <strong>dans</strong> l’institution hospitalière difficile : « j’avais fui, si on peut<br />

dire, l’hôpital <strong>de</strong> manière douce hein. Et puis euh, ben après… j’ai plus pensé<br />

à y revenir, parce que une fois que tu sors comme ça, j’aurais plus pu<br />

envisager <strong>de</strong> revenir bosser <strong>dans</strong> un hôpital par exemple (T3)» .<br />

Peut-être ce passage au domaine <strong>de</strong> la formation est-il aussi, en partie au moins,<br />

l’assouvissement d’un souhait non réalisé. Il est en effet intéressant <strong>de</strong> noter que l’on<br />

retrouve assez souvent <strong>les</strong> professions d’infirmière, et d’instituteur ou <strong>de</strong> professeur,<br />

en concurrence <strong>dans</strong> <strong>les</strong> motivations initia<strong>les</strong>. Parmi <strong>les</strong> enseignants, 6 sur <strong>les</strong> 12<br />

reconnaissent avoir hésité entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux professions ou, pour certains, avoir même<br />

choisi la profession infirmière après avoir raté le concours d’entrée pour <strong>de</strong>venir<br />

instituteur. Ainsi l’une reconnaît être revenue à ses « premières amours » et son<br />

« envie d’enseigner (T9)».<br />

À plusieurs reprises <strong>les</strong> étudiants précisent que c’est la présence simultanée <strong>de</strong>s<br />

aspects techniques et relationnels qui induisent une attirance particulière. Il est à<br />

noter que cet aspect ne semble plus essentiel pour <strong>les</strong> soignants ni pour <strong>les</strong><br />

enseignants, l’aspect humain <strong>de</strong>meurant l’aspect central <strong>de</strong> la motivation <strong>de</strong>s<br />

premiers, tandis que le développement <strong>de</strong>s connaissances conserve la première place<br />

<strong>dans</strong> la motivation <strong>de</strong>s seconds.<br />

On se rend bien compte <strong>de</strong> cet attrait <strong>de</strong> la technique qui caractérise un certain<br />

nombre d’étudiants en fin <strong>de</strong> formation aux projets professionnels qu’ils chérissent.<br />

En effet, 8 d’entre eux souhaitent travailler <strong>dans</strong> un service hautement technique, tel<br />

<strong>les</strong> urgences, la néonatologie ou encore <strong>les</strong> <strong>soins</strong> intensifs. Il arrive parfois que cet<br />

attrait soit encore lié à une volonté d’être <strong>dans</strong> une posture <strong>de</strong> sauveur, et <strong>les</strong><br />

enseignants soulignent la difficulté pour certains étudiants d’être confrontés à la<br />

réalité, car « ils sont plein d’illusions (T11) » et persuadés « d’un aspect <strong>de</strong><br />

toute puissance, <strong>de</strong> tout vouloir pour l’autre, tout donner… (T4) ». « C’est<br />

311


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

un apprentissage que l’on fait un peu <strong>dans</strong> la douleur (T4) » et qui est pourtant<br />

nécessaire.<br />

Comme grand trait caractéristique <strong>de</strong>s éléments du parcours professionnel,<br />

nous retiendrons que, pour tous <strong>les</strong> participants à l’enquête, la relation aux patients<br />

est unanimement évoquée comme génératrice <strong>de</strong> satisfaction, une relation <strong>de</strong><br />

« confiance mutuelle (E2) », faite <strong>de</strong> réciprocité où chacun apporte quelque chose<br />

à l’autre, et où le soignant reçoit aussi une forme <strong>de</strong> valorisation : « C’est tout le<br />

côté relationnel. Je trouve que ça m’apporte vraiment énormément… (E3) ». Et<br />

une praticienne <strong>de</strong> souligner la dimension proprement i<strong>de</strong>ntitaire du soin. Ayant<br />

abandonné quelque temps sa profession, elle y est revenue guidée par un besoin<br />

quasi vital, puisque dit-elle : « je n’arrivais pas entre guillemets à grandir…<br />

(P7) ».<br />

19.2 Dimension éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

Comprendre l’engagement <strong>de</strong>s professionnels soignants ne saurait que<br />

difficilement s’extraire à l’examen <strong>de</strong> la dimension éthique sous-jacente à cet<br />

engagement. En effet, peut-on réellement qualifier une action « d’engagée » si elle ne<br />

se fon<strong>de</strong> pas sur <strong>de</strong>s valeurs prédominantes chez le sujet en question ? Nous ferons<br />

ainsi un rapi<strong>de</strong> inventaire <strong>de</strong>s valeurs qui orientent l’action <strong>de</strong>s personnes<br />

interrogées en regard <strong>de</strong> leur pratique professionnelle, avant d’examiner la question<br />

<strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et <strong>de</strong> leur incarnation <strong>dans</strong> la pratique, la question du souci<br />

<strong>de</strong> soi comme connaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses valeurs, et enfin l’articulation entre <strong>les</strong><br />

valeurs et l’engagement.<br />

19.2.1 Valeurs <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, déontologie<br />

Lorsque nous analysons cette gran<strong>de</strong> catégorie, un phénomène nous frappe<br />

d’emblée, à savoir la récurrence du mot « respect ». En effet, à la question <strong>de</strong> savoir<br />

quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> valeurs principa<strong>les</strong> à mettre en œuvre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, 27 personnes<br />

citent le respect, dont 16 fois <strong>les</strong> étudiantes (sur 22). Il semble y avoir là un consensus<br />

largement partagé. Nous retrouverons d’autres valeurs fortement partagées et nous<br />

avons choisi <strong>de</strong> <strong>les</strong> présenter sous forme <strong>de</strong> tableau pour une meilleure visibilité. Il<br />

312


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

ne nous a pas semblé particulièrement important <strong>de</strong> spécifier <strong>les</strong> occurrences en<br />

fonction <strong>de</strong> la population, étant donné que seule la valeur « respect », précé<strong>de</strong>mment<br />

citée, a montré une orientation particulière, avec une représentativité plus marquée<br />

chez <strong>les</strong> étudiantes, peut-être due au fait d’une influence <strong>de</strong> la formation ?<br />

Nous indiquons, entre parenthèses, <strong>les</strong> mots qui ont été affiliés à la valeur<br />

nommée parce que présentant une synonymie ou tout du moins une proximité<br />

sémantique avérée.<br />

313


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

TABLEAU 16 : VALEURS ESSENTIELLES DANS L’EXERCICE DES SOINS<br />

INFIRMIERS.<br />

VALEURS IMPORTANTES DANS L’EXERCICE DES SOINS INFIRMIERS<br />

VALEURS OCCURRENCES<br />

Respect (du patient, <strong>de</strong> la dignité du patient, <strong>de</strong> ses valeurs…) 27<br />

Écoute (relation, parler) 13<br />

Ai<strong>de</strong> (soulager, apporter du confort, du bien-être, <strong>de</strong> la<br />

solidarité)<br />

Accompagnement 5<br />

Empathie (bienveillance, comprendre) 5<br />

Ouverture, non-jugement, acceptation <strong>de</strong> la différence 4<br />

Altruisme (intérêt pour l’autre, centration sur le patient) 3<br />

Dignité du patient 3<br />

Qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (faire <strong>de</strong> son mieux, donner le maximum) 3<br />

Confiance (partage) 3<br />

Disponibilité (prendre du temps) 2<br />

Congruence 1<br />

Authenticité 1<br />

Autonomie 1<br />

Positionnement (prendre la défense contre la maltraitance, <strong>les</strong><br />

préjugés…)<br />

Justice, équité 1<br />

Sécurité 1<br />

Nous trouvons là un certain nombre d’éléments qui, pour certains, ne<br />

correspon<strong>de</strong>nt pas réellement à <strong>de</strong>s valeurs, mais qui expriment tous, <strong>de</strong> manière<br />

plus ou moins directe, l’importance accordée au patient <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>.<br />

314<br />

12<br />

1


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Peut-être l’explication <strong>de</strong> cette centration sur la notion <strong>de</strong> respect se trouve-t-<br />

elle <strong>dans</strong> <strong>les</strong> remarques suivantes qui semblent se faire l’écho d’un souci partagé par<br />

<strong>les</strong> trois populations. La crainte subsumée ici n’est autre que celle d’une réification <strong>de</strong><br />

l’être humain, considéré non plus comme un être humain mais comme une chose<br />

(E12), sachant que bien sûr « il y a une maladie, il y a <strong>de</strong>s problèmes… mais<br />

d’abord il y a une personne (T10) ». Cela passe donc par « la reconnaissance <strong>de</strong><br />

la personne en tant qu’être humain, pis avec un pas sé (P5)».<br />

À ce phénomène <strong>de</strong> négation <strong>de</strong> la personne tel qu’il semble émerger <strong>de</strong> nos<br />

discussions, <strong>les</strong> étudiants, tout comme <strong>les</strong> autres personnes interrogées, expliquent la<br />

difficulté <strong>de</strong> trouver un consensus parmi <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt l’engagement <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong>. Les valeurs sont profondément ancrées en nous, et leur mise à l’écart parfois<br />

nécessaire implique un <strong>de</strong>uil difficile, « c’est quelque chose qui est tellement fort,<br />

que c’est dur <strong>de</strong> trouver un… consensus (E21) ». Car même si, en tant que<br />

membres d’une même corporation, nous avons un noyau <strong>de</strong> valeurs communes, tous<br />

nos collègues ne partagent pas forcément notre vision <strong>de</strong>s choses et « il faut aussi<br />

qu’on accepte que <strong>les</strong> autres n’ont pas <strong>les</strong> mêmes valeurs que nous. Et on sait<br />

qu’on doit tous travailler ensemble. Il fa ut juste trouver un noyau commun…<br />

(T11) ». On ne peut faire fi <strong>de</strong> l’entente <strong>de</strong> l’équipe à ce niveau-là. Elle est<br />

primordiale et certains considèrent la relation avec <strong>les</strong> collègues comme une relation<br />

<strong>de</strong> nature presque maritale, « un peu en communauté, en couple (P10) », d’où<br />

l’importance d’un partage commun, aussi pour éviter <strong>les</strong> risques <strong>de</strong> projection, <strong>de</strong><br />

transfert et contre-transfert à l’égard <strong>de</strong>s patients (E13, E3). Le besoin <strong>de</strong> liens, en<br />

réaction peut-être à une société où le délitement <strong>de</strong>s liens familiaux, sociétaux,<br />

communautaires fait rage, se révèle très présent, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> discours <strong>de</strong>s étudiants en<br />

particulier : « j’aime bien être auprès <strong>de</strong>s personnes âgées parce qu’on <strong>les</strong><br />

connaît quoi, c’est comme une famille… (E14) ». Une adéquation minimale avec<br />

ses propres valeurs est néanmoins essentielle pour éviter que ne germe une<br />

frustration <strong>de</strong>structrice (E21). C’est à cette prise <strong>de</strong> conscience que doivent parvenir<br />

<strong>les</strong> étudiantes, mais le chemin est d’autant plus difficile que cel<strong>les</strong>-ci sont aujourd’hui<br />

immergées <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> complexe, aux prises avec une profusion <strong>de</strong> valeurs. Il y a<br />

315


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

encore seulement une ou <strong>de</strong>ux générations « nos valeurs étaient préconstruites<br />

au fil du temps, <strong>de</strong> notre éducation… el<strong>les</strong> étaient déjà largement ancrées<br />

avant (la formation) (P5) », mais <strong>les</strong> générations actuel<strong>les</strong> sont exposées à<br />

« beaucoup <strong>de</strong> stimuli… ils ont beaucoup plus <strong>de</strong> be<strong>soins</strong> qui sont créés… et<br />

c’est beaucoup plus lent à arriver pour <strong>les</strong> jeunes à affiner ces valeurs… y a<br />

trop et pis quand y a trop on sait plus quoi choisir (P5)». Le tri est difficile<br />

parce que le cadre n’est plus donné d’avance : « Nous on était plus cadrés et puis<br />

après aussi on a réussi à mettre <strong>de</strong>s nuances, tandis que maintenant on leur<br />

donne <strong>les</strong> nuances et puis pour arriver à se cadrer, alors c’e st plus difficile<br />

(P9) ». Pour une professionnelle, la donne a réellement changé puisque, lorsqu’elle a<br />

fait sa propre formation, elle estime que <strong>les</strong> valeurs étaient communiquées en même<br />

temps : « on nous donnait notre panier, il était déjà plein », alors<br />

qu’aujourd’hui, selon elle, on donne le panier aux jeunes, mais « ils doivent (eux-<br />

mêmes) faire leurs paniers <strong>de</strong> commissions (<strong>de</strong> valeurs)… (P9) ». Le<br />

positionnement en tant qu’étudiante est <strong>de</strong> ce fait rendu nettement plus ardu, une<br />

difficulté encore majorée par le statut d’étudiante et l’enjeu <strong>de</strong> l’évaluation qui joue<br />

incontestablement un frein <strong>dans</strong> <strong>les</strong> velléités <strong>de</strong>s étudiantes à s’exposer trop<br />

personnellement (E22). Par ailleurs, l’inflation <strong>de</strong>s valeurs risque également <strong>de</strong><br />

fausser la réalité du quotidien <strong>de</strong>s professionnels du soin et, plus largement, du<br />

travail sur autrui. Dès lors on peut craindre une dégradation <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> la<br />

prise en charge <strong>de</strong> la personne, c’est-à-dire une dégradation <strong>de</strong> la dimension éthique<br />

<strong>de</strong>s <strong>soins</strong>.<br />

19.2.2 Des valeurs personnel<strong>les</strong> à leur expression <strong>dans</strong> le<br />

milieu professionnel<br />

Lorsqu’un professionnel se positionne <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> son exercice, c’est en<br />

référence à certains éléments qui nous semblent importants, <strong>de</strong>s éléments auxquels il<br />

attribue une certaine « valeur ». Dans l’idéal, nos valeurs personnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>vraient<br />

pouvoir trouver leur place <strong>dans</strong> notre exercice professionnel, au moins pour une<br />

large partie d’entre el<strong>les</strong>. Il ne s’agit pas d’une sorte d’idéal optionnel, mais<br />

davantage d’une nécessité inconditionnelle. Pourtant l’une <strong>de</strong>s enseignantes explique<br />

316


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

que c’est là la cause <strong>de</strong> son « abandon » <strong>de</strong> la pratique au profit <strong>de</strong> l’enseignement.<br />

L’écart entre ses valeurs personnel<strong>les</strong> et la pratique l’avait entraînée vers une gran<strong>de</strong><br />

frustration, se traduisant par l’épuisement et le souhait <strong>de</strong> s’éloigner d’un milieu<br />

<strong>de</strong>venu pathogène (T4). C’est une tension qui s’accumule peu à peu, jusqu’à avoir<br />

<strong>de</strong>s conséquences graves.<br />

Or cette tension entre <strong>les</strong> valeurs individuel<strong>les</strong>, et <strong>les</strong> valeurs tel<strong>les</strong> qu’el<strong>les</strong><br />

peuvent être vécues <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, tend à augmenter. Ainsi, alors que le respect est<br />

considéré comme la valeur première à observer, son <strong>de</strong>venir est parfois compromis :<br />

« On a plus le choix, en tout cas, on ne peut plus respecter l’autre à 100%<br />

<strong>dans</strong> ses choix ou <strong>dans</strong> ses valeurs parce qu’on a d’autr es règ<strong>les</strong> ou normes<br />

qui nous imposent le contraire (E15)». Un défaut <strong>de</strong> respect qui pèse parfois<br />

lourd sur la conscience <strong>de</strong>s soignants qui en connaissent <strong>les</strong> conséquences : « Si on<br />

doit sortir un patient, nous on sait que ce patient… n’est pas prêt à sorti r,<br />

mais puisqu’il faut libérer le lit, en fait nous, ce patient on l’enlève et il<br />

rentre (P3) ». Et l’on voit poindre une frustration importante chez <strong>de</strong>s<br />

professionnels qui doivent gérer <strong>de</strong>s situations délicates et disposent <strong>de</strong>s<br />

connaissances pour savoir ce qu’il y aurait lieu <strong>de</strong> faire, sans pour autant y être<br />

habilités : « Moi en tant qu’infirmier, je sais ce qu’il faut faire, ce qui faut lui<br />

donner je le sais, mais puisque c’est pas prescrit, je peux pas le faire donc<br />

j’attends le mé<strong>de</strong>cin (P3)». Ce même infirmier décrit le contexte institutionnel<br />

<strong>dans</strong> lequel il pratique, en expliquant la rareté grandissante <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins formés au<br />

profit d’internes souvent complètement dépassés, insécures face à leur manque<br />

d’expérience et par conséquent peu prompts à répondre aux appels <strong>de</strong>s soignants qui,<br />

eux, doivent faire face aux souffrances et interrogations <strong>de</strong>s patients (P3). La<br />

spécificité <strong>de</strong> la position <strong>de</strong> l’infirmière <strong>dans</strong> l’équipe est relevée à plusieurs reprises<br />

comme un lieu <strong>de</strong> tensions entre <strong>de</strong>s valeurs parfois assez divergentes, par exemple<br />

sur la place et l’importance <strong>de</strong> la dimension relationnelle <strong>dans</strong> la prise en charge du<br />

patient : « Sur le plan relationnel, on dit toujours qu’une infirmière est entre<br />

<strong>de</strong>ux chaises, entre le mé<strong>de</strong>cin et le patient, c’est vraimen t l’intermédiaire…<br />

c’est aussi quelqu’un qui n’est ni tout à fait le patient ni le mé<strong>de</strong>cin non<br />

plus…(T10) ». Les infirmières, « el<strong>les</strong> veulent agir en fonction <strong>de</strong> leurs valeurs,<br />

317


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

cet engagement, el<strong>les</strong> l’ont el<strong>les</strong>-mêmes au fond d’el<strong>les</strong>-mêmes, et puis el<strong>les</strong><br />

ont plus du tout <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> le faire… Là au milieu el<strong>les</strong> doivent oublier,<br />

enfin faire taire ce qu’el<strong>les</strong> voudraient el<strong>les</strong>, leurs manière s <strong>de</strong> fonctionner. Le<br />

petit moment qu’el<strong>les</strong> vont passer, l’attention qu’el<strong>les</strong> vont porter etc… et ça<br />

ça va être noyé sous une masse <strong>de</strong> sollicitations <strong>de</strong> facteurs différents qui<br />

viennent <strong>les</strong> stimuler tout le temps et puis el<strong>les</strong> arrivent plus à y répondre<br />

(P2)». Avec en prime la conscience <strong>de</strong>s répercussions qui peuvent en découler, tel<strong>les</strong><br />

« la négligence, la maltraitance… (E19 ) » ou l’erreur, « le risque <strong>de</strong> me<br />

tromper ! De justement injecter une dose qui n’était pas à une personne et<br />

puis voilà que ça puisse faire une hypoglycémie ou autre (E3) ».<br />

Mais, qu’elle soit liée aux contingences institutionnel<strong>les</strong> ou à <strong>de</strong>s dynamiques<br />

interpersonnel<strong>les</strong>, cette tension entre <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> et leur difficile mise en<br />

pratique a pour conséquence immanquable <strong>de</strong> générer un conflit intrapersonnel<br />

conséquent. Un enseignant le qualifie même <strong>de</strong> « détresse morale (T10) »,<br />

expliquant qu’il s’agit « d’une souffrance qui est occasionnée justement à cause<br />

d’un tiraillement <strong>de</strong> la conscience (T10) ». C’est un conflit qui ne semble pas<br />

toujours conscient, mais qui met néanmoins la personne <strong>dans</strong> une situation<br />

inconfortable. Cette enseignante explique comment elle s’était réfugiée <strong>de</strong>rrière une<br />

<strong>de</strong>xtérité technique pour se déculpabiliser, tout en étant en proie à une tension<br />

intérieure intense : « je me suis sentie mieux <strong>dans</strong> ma profession (après un<br />

changement <strong>de</strong> contexte important), j’étais pas non plus capable à l’époque<br />

d’expliciter pourquoi je me sentais moins en porte -à-faux… mais je pense<br />

qu’en fait c’était parce que je me sentais beaucoup plus en congruence avec<br />

mes valeurs profon<strong>de</strong>s… C’était le sens ! Pour moi ce que j’éprouvais <strong>dans</strong> cet<br />

exercice correspondait à la vision que j’avais <strong>de</strong> cet idéal là (T14) ». Le sens,<br />

elle l’avait trouvé <strong>dans</strong> l’ouverture à la dimension relationnelle du soin.<br />

C’est sans doute là que rési<strong>de</strong> l’une <strong>de</strong>s difficultés majeures <strong>de</strong> la confrontation<br />

<strong>de</strong>s étudiantes avec la réalité. « El<strong>les</strong> mettent tout leur cœur, toutes leurs<br />

valeurs… (T10) » et pensent investir une profession qui leur permettra <strong>de</strong> vivre en<br />

accord avec leurs valeurs, <strong>de</strong> « rentrer <strong>dans</strong> un cadre… où il n’y a pas <strong>de</strong><br />

problème, où on fait le bien pour <strong>les</strong> gens mala<strong>de</strong>s… l’endroit idéal pour<br />

318


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

respecter nos valeurs (T10)». El<strong>les</strong> doivent se rendre à l’évi<strong>de</strong>nce qu’il n’en est rien<br />

et parfois la déception est gran<strong>de</strong>, lorsque par exemple el<strong>les</strong> doivent mettre <strong>de</strong> côté<br />

<strong>de</strong>s idéaux professionnels tels ceux relevés précé<strong>de</strong>mment : dimension relationnelle,<br />

communication, écoute... (P6). « Je me suis retrouvée complètement confrontée à<br />

entre ce que je <strong>de</strong>vais faire par rapport à mon job et pis ce qui pour moi<br />

professionnellement était important à réaliser. C’était un patient qui avait<br />

besoin qu’on prenne du temps pour discuter avec lui et je pouvais pas parce<br />

que j’avais x choses à faire. Et c’était une frustration, l’impression <strong>de</strong> ne pas<br />

pouvoir faire mon boulot comme je… comme je voulais et comme c’était pour<br />

moi prioritaire (T4) ».<br />

Cette déception entraîne une souffrance profon<strong>de</strong>, dès lors qu’elle s’apparente,<br />

peu ou prou, à une négation <strong>de</strong> soi : « je me suis retrouvée complètement en<br />

désaccord avec mes valeurs. Finalement à faire mon job, à faire ce qu’on<br />

attendait <strong>de</strong> moi avec l’impression que je passais à côté <strong>de</strong> ce qui était<br />

essentiel. Pour moi, et pour le patient par rapport à mon mandat (T4)» . Triste<br />

constat qui conduira cette enseignante à quitter la clinique qu’elle chérit, au profit <strong>de</strong><br />

l’enseignement, porte <strong>de</strong> secours pour échapper à l’épuisement et au burnout :<br />

« c’est vrai que là (en partant), j’ai peut -être joué ma peau (T4) ».<br />

Il est donc capital d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à prendre conscience <strong>de</strong> ce<br />

vraisemblable décalage entre leurs attentes et la réalité, <strong>de</strong> l’impossibilité <strong>de</strong> toujours<br />

donner plus (E3). Il y a un nécessaire équilibre à trouver entre le <strong>de</strong>voir et <strong>les</strong><br />

motivations personnel<strong>les</strong> (E16), résultant <strong>de</strong>s valeurs individuel<strong>les</strong>. Notre vécu, nos<br />

expériences, notre contexte social et notre milieu éducatif font <strong>de</strong> nous <strong>de</strong>s personnes<br />

différentes, avec <strong>de</strong>s valeurs parfois également très différentes (P1). Mais, s’il est<br />

parfois nécessaire « à certaines places <strong>de</strong> se taire… et <strong>de</strong> faire taire nos propre s<br />

valeurs pour pouvoir mieux écouter la personne… (E3) », il faut pouvoir être un<br />

minimum authentique (E1) et en congruence avec nos valeurs. L’éthique, en tant<br />

qu’interrogation <strong>de</strong>s valeurs en situation, peut nous ai<strong>de</strong>r à trouver un minimum <strong>de</strong><br />

congruence <strong>dans</strong> le contexte donné (E15), afin <strong>de</strong> garantir une harmonie minimale<br />

avec nous-mêmes (T4).<br />

319


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

L’enjeu est important car, sans être en accord avec ce que l’on fait et ses valeurs,<br />

il n’est pas possible d’être professionnel (E2). Or <strong>les</strong> valeurs sont le fon<strong>de</strong>ment même<br />

<strong>de</strong> l’engagement (E11) : « il n’y a pas d’engagement sans valeur (T11) ». Le<br />

<strong>de</strong>voir ne saurait <strong>les</strong> occulter totalement et l’engagement ne pourrait être pérenne,<br />

« c’est pas un vrai engagement. (C’est) un engagement qui va s’arrêter à un<br />

moment donné, qui va avoir ses limites, qui est pas authentique, qui n’est pas<br />

sincère. Alors, pour moi, un engagement, <strong>de</strong> toute façon, il doit se faire avec<br />

<strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la personne », « je ne peux pas m’engager si ce n’est pas en<br />

fonction <strong>de</strong> mes valeurs (P2) ». Un engagement soli<strong>de</strong>ment ancré sur <strong>de</strong>s valeurs<br />

partagées <strong>de</strong>vient, en revanche, gage <strong>de</strong> bien-être au travail comme en témoigne une<br />

professionnelle qui explique que, <strong>dans</strong> son équipe, il n’y a pas eu <strong>de</strong> départ<br />

d’infirmière <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> neuf ans (à l’exception d’un départ en retraite). Le secret<br />

<strong>de</strong> cette équipe : « on va tous <strong>dans</strong> le même sens quoi ! (P9).<br />

19.2.3 Éthique et souci <strong>de</strong> soi<br />

Si l’engagement est fonction <strong>de</strong>s valeurs, comme l’exprime la praticienne<br />

mentionnée ci-<strong>de</strong>ssus (P2), cela suppose presque d’avoir mené une réflexion aux<br />

sujet <strong>de</strong> ses valeurs, <strong>dans</strong> la mesure où il y a <strong>de</strong>s répercussions <strong>dans</strong> l’agir du<br />

professionnel : « le fait <strong>de</strong> se connaître soi-même, c’est aussi connaître ses<br />

valeurs à mon avis, et puis c’est <strong>de</strong> pouvoir l’i<strong>de</strong>ntifier comme <strong>dans</strong> notre<br />

activité professionnelle, ce qu’on fait, ce que l’on doit dire parfois, ce que l’on<br />

doit réfléchir aussi, comment on doit réfléchir, ça nous permet <strong>de</strong> dire,… voilà,<br />

ce n’est pas en adéquation avec moi -même… (P8)». Une étudiante remarque,<br />

perplexe, que finalement « c’est bête mais on se connaît pas vraiment. On sait<br />

pas jusqu’où on peut aller, jusqu’où on peut supporter <strong>les</strong> choses. Pis <strong>de</strong>s fois<br />

où l’on remarque que c’est trop, c’est déjà trop tard (E16) ».<br />

Un danger à ce manque <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi est sous-entendu ici. Il est<br />

certainement intimement lié également à la nature même <strong>de</strong> la profession soignante,<br />

<strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ne sauraient se penser <strong>dans</strong> un univers<br />

aseptisé <strong>de</strong> tout sentiment. Bien au contraire, c’est un domaine où la confrontation<br />

avec <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> la vie est quotidienne. On peut tenter d’imaginer un peu la<br />

320


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

difficulté <strong>de</strong>s étudiantes avec certains évènements en écoutant cette étudiante<br />

expliquer sa première rencontre avec un patient décédé : « Pis je suis rentrée<br />

(<strong>dans</strong> la chambre), sincèrement, mes jambes, el<strong>les</strong> ont lâché, mais je suis<br />

restée <strong>de</strong>bout hein, mais mes mains m’ont lâchée, j’ai commencé à avoir <strong>de</strong>s<br />

frissons et d’avoir mal au ventre… (E2) ». « C’est une profession qui remet<br />

beaucoup en question, <strong>de</strong> par la confrontation à la maladie, à la mort, <strong>de</strong> par<br />

ce qu’elle nous renvoie à notre fragilité, <strong>de</strong> voir ce qu’elle met en évi<strong>de</strong>nce :<br />

<strong>les</strong> comportements humains, la violence, etc… (T14) ». Cette confrontation<br />

interroge ce que nous sommes en tant qu’être humain, cette rencontre peut parfois<br />

être bénéfique : « j’ai beaucoup appris sur moi au travers du décès d’un<br />

patient… (P33) », mais néanmoins elle nous « rapproche à notre propre mort…<br />

pis ça nous met mal finalement (E2) », comme l’exprime ouvertement cette<br />

étudiante.<br />

La réalité <strong>de</strong> l’exercice infirmier apparaît d’autant plus délicate que <strong>les</strong><br />

infirmières semblent encore peu à l’écoute d’el<strong>les</strong>-mêmes, et donc <strong>de</strong> leurs propres<br />

valeurs, s’affichant comme « <strong>de</strong>s personnalités… qui ont tendance à, à négliger<br />

leur bien-être pour celui <strong>de</strong>s autres (E5) ». « On dit bien <strong>les</strong> cordonniers, <strong>les</strong><br />

plus mal chaussés… je l’observe aussi généralement sur moi en fait ! … c’est<br />

vrai qu’on prend pas forcément soin <strong>de</strong> nous (E2) ». Les soignantes parlent <strong>de</strong>s<br />

droits du patient, mais passent sous silence <strong>les</strong> leurs (T3), enfermées parfois <strong>dans</strong> une<br />

culpabilisation « à parler <strong>de</strong> leur propre souffrance (T3) » ou <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong><br />

culpabilité plus ou moins conscients « c’est mon problème la culpabilité. Je pense<br />

qu’il y a quelque chose qui a été construit <strong>de</strong>pui s 53 ans (T9) ». Ces<br />

phénomènes constituent autant d’entraves à un positionnement face à ses propres<br />

limites.<br />

La connaissance <strong>de</strong> soi apparaît alors, encore davantage, comme un pré-requis<br />

incontournable (T1), à la fois pour se protéger soi-même, mais également pour<br />

garantir un soin <strong>de</strong> qualité qui soit en accord avec son éthique personnelle, car « une<br />

infirmière en mauvaise santé, elle peut pas soigner quelqu’un, <strong>dans</strong> le sens<br />

qu’il faut que nous on soit bien <strong>dans</strong> notre corps, <strong>dans</strong> notre tête, <strong>dans</strong> notre<br />

esprit, pour pouvoir justement prendre soin <strong>de</strong> l’autre correctement… et puis<br />

321


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

du coup pour ça il faut quand même se soucier <strong>de</strong> soi… (E2) ». « Si le<br />

soignant est pas bien <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité, il pourra pas contribuer à offrir une<br />

relation d’ai<strong>de</strong> et accompagner efficacement auprès d’autrui… (T14) ».<br />

L’infirmière ne peut donc pas s’oublier elle-même (E11, E3), c’est sa responsabilité au<br />

sens lévinassien du terme qui lui impose <strong>de</strong> prendre soin d’elle, et une enseignante<br />

<strong>de</strong> citer Ricœur en précisant que « pour être avec l’autre, il faut d’abord être<br />

avec soi (T1)». La connaissance <strong>de</strong> soi est une étape nécessaire pour accompagner le<br />

patient en toute authenticité (T13) : « si on occulte…qui on est… on peut pas être<br />

authentique. (T1) ». Le risque est alors <strong>de</strong> s’emmurer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong><br />

défense inconscients qui nous conduiraient à « vouloir prouver quelque chose<br />

(T13) », à se réfugier <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s masques ou se distancer pour ne pas se mettre en<br />

danger (T14). Car <strong>les</strong> expériences antérieures <strong>de</strong> vie « vont influencer le rapport<br />

qu’on a à nous-mêmes <strong>dans</strong> le soin (E1) ». Le constat personnel d’une<br />

enseignante est sévère, lorsqu’elle exprime la conséquence <strong>de</strong> cette absence <strong>de</strong><br />

connaissance <strong>de</strong> soi : « je n’ai pas été une bonne infirmière globalement <strong>dans</strong> le<br />

sens où cette absence <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong> mes valeurs m’a empêchée <strong>de</strong><br />

totalement exprimer <strong>dans</strong> mes actes ces valeurs -là (T14) ».<br />

La connaissance <strong>de</strong> soi a donc <strong>de</strong>s implications, simultanément sur l’exercice du<br />

soin et sur la qualité <strong>de</strong> la prise en charge, mais également sur le soignant et la<br />

manière dont il va s’investir <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> en fonction <strong>de</strong> ses limites : « …il faut<br />

bien se connaître pour savoir jusqu’où est -ce qu’on peut s’engager pis <strong>de</strong><br />

quelle manière est-ce qu’on s’engage (E5) ». L’expression <strong>de</strong> ses limites ne<br />

s’oriente pas uniquement vers la relation au patient, mais je dois pouvoir exprimer<br />

jusqu’où je suis d’accord d’aller <strong>dans</strong> « ma relation avec le patient, ma relation<br />

avec l’étudiant mais aussi par rapport… à tout ce qu’on attend <strong>de</strong> moi <strong>dans</strong><br />

une institution (T9) ». C’est cette prise <strong>de</strong> conscience <strong>de</strong>s limites qui me permet <strong>de</strong><br />

soutenir une posture professionnelle et <strong>de</strong> l’argumenter (T11).<br />

La connaissance <strong>de</strong> soi a donc une visée double : d’une part elle se veut le<br />

moyen <strong>de</strong> mettre à jour <strong>les</strong> valeurs qui animent le professionnel, mais, par cette<br />

même quête introspective, elle permet <strong>de</strong> dévoiler le périmètre <strong>de</strong> développement <strong>de</strong><br />

ces valeurs, périmètre au-<strong>de</strong>là duquel le processus <strong>de</strong>vient négatif. Ainsi, la<br />

322


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

connaissance <strong>de</strong> soi permet <strong>de</strong> réaliser où sont nos limites, parce que « le risque <strong>de</strong><br />

dépasser un certain seuil, il est peut -être plus important si on se connaît pas<br />

et si on ne sait pas placer <strong>de</strong>s limites (E5) ». On parvient à un seuil à partir<br />

duquel il sera difficile <strong>de</strong> faire marche arrière (E3). Le fait est qu’on ne peut pas<br />

séparer l’individu et le professionnel et « te connaissant mieux en tant<br />

qu’individu, tu peux poser tes propres limites... (T14) » et ainsi éviter <strong>les</strong><br />

conséquences d’un engagement inconsidéré, tel l’épuisement qui souvent en résulte.<br />

Un professionnel explique en effet que, en arrivant à bien connaître ses limites au<br />

niveau professionnel, il arrive à prendre <strong>de</strong> la distance, et du recul <strong>dans</strong> son travail,<br />

et à mettre <strong>les</strong> soucis professionnels <strong>de</strong> côté lorsqu’il est en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> l’institution<br />

(P8). La prise <strong>de</strong> distance est une protection fondamentale (E4) pour pouvoir<br />

«… fonctionner correctement (car) si on se protège pas, à moment donné c’est<br />

plus possible, on craque… (P5) ». « Le fait <strong>de</strong> le savoir, ça ai<strong>de</strong>, je pense à<br />

rester professionnel… (E17) », « …dire ben ça c’est mes valeurs donc jusque-<br />

là je peux accepter un certain nombre <strong>de</strong> choses, mais au -<strong>de</strong>là, je dois me<br />

positionner et dire stop, pour pas m’épuiser. C’est <strong>dans</strong> ce sens-là que je<br />

pense ce travail d’introspection est important, quoi (E17) ». Et plusieurs<br />

étudiants soulignent le bien-fondé <strong>de</strong> cette démarche <strong>de</strong> « regard sur soi-même »,<br />

non pas <strong>dans</strong> un élan narcissique, mais <strong>dans</strong> une volonté <strong>de</strong> connaître mieux ses<br />

limites (E18, E17, E2).<br />

D’ailleurs, une personne explique que c’est finalement le fait d’avoir passé sous<br />

silence ses motivations profon<strong>de</strong>s, et d’avoir continué à fonctionner selon ce qu’on<br />

attendait d’elle qui l’a conduite au burnout. C’est une psychothérapie qui l’a aidée à<br />

entrer <strong>dans</strong> cette introspection et à se découvrir réellement, un moyen qui permet <strong>de</strong><br />

« travailler sur soi-même, d’être conscient aussi <strong>de</strong> ses valeurs (T14) » . Les<br />

épreuves <strong>de</strong> vie ne constituent alors plus un obstacle, mais « on se sert <strong>de</strong> cette<br />

fragilité, <strong>de</strong> ses doutes et là à mon sens, on est plus fort, mieux armé mais au<br />

sens positif du terme pour faire face aux situations <strong>de</strong> détresse, d’angoisse et<br />

<strong>de</strong> fin <strong>de</strong> vie… (T14) ». Même déjà en proie au burnout, une personne explique<br />

que la connaissance <strong>de</strong> soi est essentielle pour ai<strong>de</strong>r à « se reconstruire » puisque, par<br />

cette démarche, il est possible <strong>de</strong> comprendre <strong>les</strong> raisons qui ont amené à cet état et<br />

323


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

« le processus <strong>de</strong> reconstruction implique que tu puisses comprendre pourquoi<br />

tu en es là… afin <strong>de</strong> ne pas retomber… <strong>dans</strong> <strong>les</strong> mêmes cheminements…<br />

(T14) ».<br />

Par ailleurs, il faut aussi reconnaître que, sans cette introspection, « <strong>les</strong> choix<br />

ne sont pas libres en fin <strong>de</strong> compte, ils sont influencés mais peu raisonnés<br />

(T13) ». Ainsi, une enseignante explique que le fait d’avoir compris, bien <strong>de</strong>s années<br />

plus tard, qu’elle avait choisi ce métier pour régler <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> maladie<br />

douloureuses <strong>dans</strong> son entourage lorsqu’elle était enfant, lui a permis <strong>de</strong> comprendre<br />

pourquoi elle était mal à l’aise avec certains aspects <strong>de</strong> la profession, et <strong>de</strong> s’orienter,<br />

par conséquent, <strong>dans</strong> une direction qui correspon<strong>de</strong> réellement à ses valeurs et à ses<br />

convictions (T13). Si donc la connaissance <strong>de</strong> soi permet <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix raisonnés,<br />

elle permet également <strong>de</strong> favoriser un engagement réfléchi. « … C’est une sacrée<br />

remise en question (T9) » qui favorise un engagement sur le long terme (T15),<br />

puisque fondée non pas sur un élan passionnel, mais sur une réflexion sous-tendue<br />

par un raisonnement constructif. « On s’engage pas moins quand on introduit<br />

une dose <strong>de</strong> raison <strong>dans</strong> ses choix, on s’engage tout autant, on va simplement<br />

être plus clairvoyant par rapport au chemin qui nous attend et aux obstac<strong>les</strong><br />

qui sont sur ce chemin, ça veut pas dire qu’on donnera moins <strong>de</strong> soi mais ça<br />

veut dire, au contraire, je crois, qu’on est plus engagé quand on est conscient<br />

<strong>de</strong> ce que pour quoi on fait <strong>les</strong> choses (T14) ».<br />

Cette réflexion n’est pas donnée a priori. C’est un cheminement délicat, <strong>dans</strong> la<br />

mesure où elle implique l’entier <strong>de</strong> la personne et « touche pas mal à la sphère<br />

personnelle (E1) ». Le processus peut être dérangeant (T9), voire déstabilisant (T15),<br />

et il est à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r s’il n’exige pas une certaine maturité (T14). Mais l’enjeu <strong>de</strong><br />

cette démarche mérite que l’on réfléchisse aux moyens <strong>de</strong> la mettre en œuvre.<br />

En effet, quelques étudiantes (5 sur <strong>les</strong> 22) expliquent avoir développé <strong>de</strong>s<br />

ressources externes. Certains parviennent à se préserver en s’adonnant à différentes<br />

activités : musique, sport (E22), sorties, cinéma, lectures, enrichissement intellectuel<br />

(E5). Une attention particulière est dévolue à la sphère sociale, plusieurs étudiantes<br />

expliquant l’impact primordial <strong>de</strong> leurs proches qui jouent un rôle <strong>de</strong> miroir et <strong>les</strong><br />

324


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

mettent en gar<strong>de</strong> lorsqu’ils perçoivent un « trop plein » chez el<strong>les</strong>. Néanmoins<br />

beaucoup s’investissent aussi <strong>dans</strong> le travail au détriment <strong>de</strong> leur vie privée, et c’est<br />

là que la réflexion sur soi <strong>de</strong>vient essentielle : « <strong>dans</strong> mon <strong>de</strong>rnier stage j’ai fait<br />

beaucoup d’heures supplémentaires donc… j’étais vidée et puis après je ne<br />

ressortais pas plus loin… mais ça va, je suis toute seule, j’ai pas <strong>de</strong> vie <strong>de</strong><br />

famille, j’ai pas d’enfants… ça doit être difficile <strong>de</strong> faire <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux (E26) ». Face<br />

à cette crainte déjà présente alors même que <strong>les</strong> étudiantes bénéficient d’un statut<br />

privilégié, l’école a donc un rôle essentiel à jouer. Il s’agit d’ai<strong>de</strong>r cette personne en<br />

formation à prendre soin d’elle, <strong>dans</strong> le sens platonicien du terme, c’est-à-dire<br />

apprendre à se connaître, à conscientiser ses valeurs et ses limites, pour pouvoir <strong>les</strong><br />

respecter (P8). La formation doit rendre possible la mise en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l’influence<br />

<strong>de</strong> vécus antérieurs : « ça peut déjà ai<strong>de</strong>r l’étudiant à mettre le doigt <strong>de</strong>ssus<br />

(T9) » et permettre <strong>de</strong> travailler <strong>de</strong>ssus.<br />

Bien entendu, le rôle <strong>de</strong> formateur a <strong>de</strong>s limites qui ne sauraient être mises <strong>de</strong><br />

côté. Il ne peut ni ne doit, en aucun cas, prendre un rôle <strong>de</strong> thérapeute. Néanmoins,<br />

avec la réflexion sur <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt certains ressentis, certaines conceptions,<br />

ce sont <strong>de</strong>s graines qui sont semées et « ça va vraiment germer avec <strong>les</strong> situations<br />

auxquel<strong>les</strong> ils vont être confrontés (T13)» et, s’il le faut, cela permettra aussi<br />

d’orienter une étudiante vers un spécialiste à même <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r <strong>dans</strong> ses difficultés<br />

psychologiques. Dans le cadre <strong>de</strong> l’école, l’important est d’être à même <strong>de</strong> déceler<br />

<strong>de</strong>s problématiques rapi<strong>de</strong>ment, s’il y a lieu, ou en tout cas <strong>de</strong> contribuer à faire<br />

découvrir la bonne clé, celle qui permet « d’apprendre à penser, d’apprendre à se<br />

connaître et qui permet aussi <strong>de</strong> connaître l’autre puis <strong>de</strong> mieux le<br />

comprendre…(T14) ». On peut faire un bout <strong>de</strong> chemin ensemble durant la<br />

formation, mais comme il s’agit d’un phénomène complexe, il est nécessaire <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />

accompagner <strong>dans</strong> le processus dès le début <strong>de</strong> la formation et pendant <strong>les</strong> trois ans.<br />

Ainsi, « une gran<strong>de</strong> partie d’entre eux auraient déjà senti le droit et<br />

l’ouverture à peut-être poser leurs inquiétu<strong>de</strong>s, à poser leurs propres limites,<br />

et voilà, et puis ceci sans un regard jugeant en termes <strong>de</strong> performances<br />

(T14) ». Il faut être en effet vigilant et veiller à ce que cet accompagnement<br />

pédagogique, déjà plébiscité précé<strong>de</strong>mment par <strong>les</strong> étudiantes, ne s’inscrive pas <strong>dans</strong><br />

325


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

un registre évaluatif afin qu’une véritable base <strong>de</strong> confiance puisse s’instaurer entre<br />

l’étudiante et son « tuteur » (T14). Le cheminement sur soi, processus personnel<br />

pouvant être déstabilisant, il convient <strong>de</strong> prendre le temps nécessaire, sachant que<br />

chaque individu fonctionne différemment (T14). Par ailleurs, cet accompagnement ne<br />

s’improvise pas, mais implique « un champ <strong>de</strong> connaissances beaucoup,<br />

beaucoup plus large qu’une simple volonté <strong>de</strong> se tenir la main sur le chemin<br />

(T15) ». L’enseignant est fortement sollicité.<br />

L’analyse réflexive peut parfois constituer un moyen pédagogique intéressant,<br />

pour autant qu’elle ne soit pas uniquement orientée vers le vécu du patient (T9) mais<br />

aussi vers l’étudiante, en partant d’une situation qu’elle a « vécue en stage et<br />

expliquer quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> valeurs qui ont été mises en cause, qui ont posé<br />

dilemme… (T11) ». Dans une école où cette pratique est instaurée, en petits<br />

groupes, avec le même tuteur durant <strong>les</strong> trois années <strong>de</strong> formation, <strong>les</strong> étudiantes<br />

soulignent l’intérêt <strong>de</strong> ces échanges qui permettent aussi <strong>de</strong> « <strong>de</strong>briefer » (E2) après<br />

avoir vécu <strong>de</strong>s situations diffici<strong>les</strong>, par exemple en stage et à <strong>les</strong> retravailler pour en<br />

tirer <strong>de</strong>s leçons et savoir mieux réagir la fois suivante. « C’est (<strong>les</strong> échanges avec le<br />

tuteur) la première chose qui nous fait conscientiser (E3) ». Cela ai<strong>de</strong> aussi à verbaliser ses<br />

propres limites en fonction <strong>de</strong> ses valeurs, comme l’explique une praticienne à<br />

propos <strong>de</strong>s étudiants : «… qu’ils réfléchissent sur leurs valeurs parce que pour<br />

beaucoup ils savent ce qu’ils ont envie ou pas mais ils ne peuvent pas mettre<br />

<strong>de</strong> mots <strong>de</strong>ssus (P6) ».<br />

Cette pratique instaurée peut éviter que <strong>les</strong> apprentissages <strong>de</strong>s étudiantes ne se<br />

fassent par l’erreur, comme cette jeune femme qui explique que, si elle arrive<br />

aujourd’hui à placer <strong>de</strong>s limites, c’est parce qu’elle s’était retrouvée souvent chez elle,<br />

le soir, effondrée, et cela l’a amenée à se poser <strong>de</strong>s questions pour finalement<br />

parvenir à la capacité <strong>de</strong> mettre <strong>de</strong>s freins à <strong>de</strong>s situations trop prenantes (E15). Mais<br />

tous ne sont pas à même <strong>de</strong> faire cette démarche en solitaire et parfois « il y a<br />

quelque chose qui est brisé et qui ne se refait plus (E15) ».<br />

Un enseignant résume en un mot l’importance qu’il donne à l’accompagnement<br />

<strong>de</strong>s étudiantes <strong>dans</strong> ce processus <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi : ce mot c’est l’engagement.<br />

326


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Il considère son propre engagement <strong>dans</strong> ce sens, envers <strong>les</strong> personnes en formation,<br />

comme capital (T15), et certaines étudiantes <strong>de</strong> confirmer cet avis en expliquant, pour<br />

l’un d’eux, que <strong>de</strong>ux enseignants ont joué un rôle majeur durant la formation : « ils<br />

m’ont aidé à me sentir bien <strong>dans</strong> ma fonction d’infirmier… étant bien <strong>dans</strong><br />

ma profession, je suis bien <strong>dans</strong> l’ensemble <strong>de</strong> qui je suis… (P8) ». On touche<br />

ici à la notion d’i<strong>de</strong>ntité, mesurant l’impact que la connaissance <strong>de</strong> soi et l’adéquation<br />

avec ses valeurs peuvent avoir sur l’i<strong>de</strong>ntité même d’une personne. Cette citation est<br />

certes un peu surprenante, puisqu’elle réduit l’i<strong>de</strong>ntité à sa composante<br />

professionnelle. Elle témoigne cependant aussi <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> l’activité<br />

professionnelle sur l’i<strong>de</strong>ntité non seulement professionnelle, mais également<br />

personnelle.<br />

19.2.4 Valeurs comme fon<strong>de</strong>ments et moteur <strong>de</strong> l’engagement<br />

Les valeurs sont réellement fondatrices <strong>de</strong> ce qui anime la personne et<br />

« l’engagement repose sur ce système <strong>de</strong> valeurs (E4) » puisque, pour être<br />

engagé, il est nécessaire d’être nourri <strong>de</strong> convictions, <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> donnent vie à nos<br />

motivations (E1). Les valeurs, aussi bien personnel<strong>les</strong> que professionnel<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> la<br />

mesure où nous sommes une seule et même personne (P9), sont le terreau sur lequel<br />

vont germer <strong>les</strong> motivations avant <strong>de</strong> voir grandir un engagement : « si on s’engage<br />

quelque part, c’est parce qu’on a envie <strong>de</strong> s’e ngager… par rapport à <strong>de</strong>s<br />

valeurs (E12) ». Or, parce que l’engagement ne peut se dissocier <strong>de</strong> ce terreau<br />

premier, il n’est pas possible <strong>de</strong> parler d’engagement sans une dimension éthique<br />

(E17). Et renier ses valeurs, c’est nier son éthique <strong>dans</strong> un combat douloureux. On<br />

pourrait citer cette enseignante qui reconnaît : « je souffre aussi chaque fois que je<br />

pourrais faire ceci mais qu’on me pousse à ne pas le faire… je prends sur moi,<br />

mais ça va un moment… (T12) », ou encore cette praticienne qui abon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> une<br />

direction similaire : «… j’étais gestionnaire d’équipe… moyennement en accord<br />

avec la hiérarchie. Et puis j’entends, la somme <strong>de</strong> travail était telle que...<br />

J’entends, c’était, c’était juste impossible. Et puis moi, évi<strong>de</strong>mment ben, j’ai<br />

voulu quand même essayer <strong>de</strong> le faire, avec mon tempérament et je me suis<br />

327


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

cassé <strong>les</strong> <strong>de</strong>nts, et le reste… (P9) ». Par ailleurs, lorsqu’il n’est pas source d’une<br />

souffrance personnelle, le défaut d’engagement peut comporter <strong>de</strong>s risques envers le<br />

patient : « le non-engagement entraîne bien souvent <strong>de</strong>s négligences ou <strong>de</strong>s<br />

omissions qui sont dommageab<strong>les</strong>… (E1) ».<br />

Alors qu’en revanche, un engagement conforme aux valeurs <strong>de</strong> l’individu<br />

conduit celui-ci à une stimulation <strong>de</strong> ses motivations (E12), à éprouver <strong>de</strong> la<br />

satisfaction (E18) et « à être en paix avec soi-même (P7) ». Cette absence <strong>de</strong> paix<br />

intérieure est d’ailleurs nommée comme raison majeure <strong>de</strong> l’abandon <strong>de</strong> la<br />

profession par une praticienne (P11), convaincue que cette paix intérieure constitue<br />

un élément indispensable à l’équilibre du soignant.<br />

Pourtant, l’harmonie, preuve d’une adéquation avec <strong>les</strong> valeurs, n’est pas<br />

toujours présente et nombreux sont <strong>les</strong> éléments qui peuvent amener <strong>de</strong>s tensions<br />

<strong>dans</strong> cet engagement motivé. En effet, <strong>dans</strong> un premier temps, <strong>les</strong> valeurs du<br />

soignant peuvent se heurter aux valeurs du patient. Il peut y avoir une discrépance<br />

fondamentale entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux : « ce que nous on veut, … c’est peut-être pas du<br />

tout ce que la personne veut (E3)». Dans ce cas « il faut trouver l’équilibre<br />

entre le choix du patient, entre l’idéal et toujours informer le patient….<br />

(E18) ». Que dire par exemple <strong>de</strong>s patients qui refusent <strong>de</strong>s traitements et dont on<br />

doit respecter le choix, tout en sachant que ce refus <strong>les</strong> conduira à <strong>de</strong>s souffrances,<br />

voire à une mort rapi<strong>de</strong> ? Comment le soignant peut-il être en paix lorsqu’il doit<br />

accepter la décision <strong>de</strong>s parents <strong>de</strong> refuser une transfusion sanguine chez leur enfant<br />

pour <strong>de</strong>s questions idéologiques, connaissant l’issue fatale <strong>de</strong> ce refus ? Autant <strong>de</strong><br />

situations, souvent heureusement moins dramatiques, mais tout aussi diffici<strong>les</strong> à<br />

assumer sur la durée, parce qu’en opposition avec nos valeurs profon<strong>de</strong>s.<br />

Par ailleurs, la profession soignante se veut, par essence, une profession qui se<br />

vit en équipe et c’est une belle motivation que <strong>de</strong> s’engager avec un but commun,<br />

« qu’on va définir ensemble (T4)». Mais, au sein <strong>de</strong> l’équipe, se côtoient <strong>de</strong>s<br />

individus différents et, là encore, peuvent émerger <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeurs importants<br />

qui vont alors constituer une entrave à l’engagement. Des conflits peuvent voir le<br />

jour entre <strong>les</strong> générations. Les jeunes soignants, qui peuvent paraître moins engagés,<br />

s’engagent peut-être avec <strong>de</strong>s valeurs et priorités différentes, émanant d’un contexte<br />

328


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>de</strong> vie et sociétal qui a fortement évolué lui aussi (T12). Plus délicate encore est la<br />

confrontation avec la question <strong>de</strong> l’honnêteté <strong>de</strong>s collègues, c’est-à-dire entre <strong>les</strong><br />

valeurs qu’ils affichent oralement et leur incarnation ou non <strong>dans</strong> la pratique (T13).<br />

Enfin, le conflit sans doute le plus fréquent et le plus problématique qui habite<br />

le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, comme d’ailleurs <strong>de</strong> nombreux milieux professionnels, reste le<br />

conflit lié à l’exercice même <strong>de</strong> la profession <strong>dans</strong> son contexte. Nous reviendrons<br />

largement sur ce point <strong>dans</strong> notre analyse ultérieure, mais nous pouvons déjà<br />

nommer l’organisation du travail comme un lieu <strong>de</strong> souffrance particulièrement aigu<br />

chez <strong>les</strong> soignants qui ont, <strong>de</strong> plus en plus, l’impression d’être quasiment confinés à<br />

une posture <strong>de</strong> fonctionnement, régulée, voire taylorisée, pour être le plus efficients<br />

possible, au détriment d’une individualisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et <strong>de</strong> la relation au patient,<br />

ce qui pourtant, comme nous l’avons vu, constitue incontestablement la valeur<br />

prioritaire pour une gran<strong>de</strong> partie d’entre eux (E22). Une professionnelle s’insurge :<br />

« on est quand même que <strong>de</strong>s êtres humains, il faut arrêter. Le système, il<br />

veut nous faire aller comme <strong>de</strong>s robots et on est quand même toujours tous,<br />

que <strong>de</strong>s êtres humains autant <strong>les</strong> patients que <strong>les</strong> soignants, hein ? Pas <strong>les</strong><br />

dirigeants visiblement, mais bon tant pis (P10) ».<br />

Pour contrevenir à cette problématique, certains professionnels n’hésitent pas à<br />

nous avouer qu’ils sont appelés à frau<strong>de</strong>r, au sens où l’entend Dejours (2008)<br />

lorsqu’il évoque la souffrance au travail : « je frau<strong>de</strong> un peu pour être un peu<br />

plus en cohérence avec ce que je veux (T13) ». Mais quelle est alors l’adéquation<br />

avec leur éthique personnelle et professionnelle ?<br />

Les conséquences sont lour<strong>de</strong>s pour ceux qui vivent cette lutte intérieure sur le<br />

long terme. Certains nomment plutôt une souffrance personnelle, du regret et une<br />

déception <strong>de</strong> ne pas « faire du bon boulot (E2)», <strong>de</strong> faire le minimum, ce qui, sur<br />

la durée, génère la frustration et l’épuisement (E13). Mais d’autres évoquent <strong>les</strong><br />

risques <strong>de</strong> maltraitance et d’agression que ce conflit intérieur peut faire germer (E13),<br />

lorsque l’on met trop longtemps le couvercle sur la marmite <strong>de</strong> ses valeurs et que la<br />

pression monte : « si on est en lutte perpétuelle… il y a un moment où ça finit<br />

par craquer (P1) ». Et un praticien nous parle <strong>de</strong> soignants qui étaient <strong>de</strong> très bons<br />

professionnels, à la fois sur le plan technique mais également sur le plan relationnel,<br />

329


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

et qui « ont perdu pied (P7) », parce qu’ils n’ont pas réussi à tenir cette pression<br />

allant à l’encontre <strong>de</strong> leurs valeurs (P10). Sur ce point, <strong>les</strong> professionnels sont<br />

d’accord, un engagement qui n’est pas porté par <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> l’individu n’est pas<br />

viable sur le long terme : « c’est un engagement qui va s’arrêter à un moment<br />

donné, qui va avoir ses limites, qui n’est pas authentique, qui n’est pas<br />

sincère (P2)».<br />

L’impossibilité <strong>de</strong> respecter ses valeurs constitue un frein majeur à<br />

l’engagement (E15) et à la dimension éthique <strong>de</strong> celui-ci, exprimée <strong>dans</strong> la relation<br />

soignant/patient. Ce faisant, c’est à l’i<strong>de</strong>ntité infirmière elle-même qu’un coup est<br />

porté (E15), puisque le soignant aura soit tendance à abandonner sa profession (P11),<br />

ou ne sera pas en mesure <strong>de</strong> faire son travail <strong>dans</strong> <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’art (E19).<br />

Face à cette problématique, un enseignant nous invite à songer à l’importance<br />

<strong>de</strong> la dimension cognitive <strong>dans</strong> l’engagement, expliquant que ce <strong>de</strong>rnier peut se<br />

construire et que, pour ce faire, il nécessite un engagement « scientifique au sens,<br />

au sens <strong>de</strong> la construction, <strong>de</strong> la conceptualisation <strong>de</strong> l’accompagnement<br />

(T15)», porté néanmoins par une éthique bien réfléchie.<br />

D’où l’importance d’un accompagnement ciblé <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s formateurs, <strong>dans</strong><br />

cette optique, durant <strong>les</strong> trois années <strong>de</strong> formation. Et cet accompagnement, appuyé<br />

sur <strong>les</strong> connaissances scientifiques et empiriques, doit permettre à l’étudiante<br />

d’acquérir une aisance <strong>dans</strong> son positionnement éthique, afin qu’il soit à même<br />

d’offrir <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>de</strong> qualité, <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> éthiques (E22). Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong>s<br />

accompagnateurs, il s’agit d’un enseignement <strong>de</strong> haut niveau, nécessitant <strong>de</strong>s<br />

connaissances très vastes et qui ne doit pas se confondre, comme parfois, avec une<br />

simple discussion du type « café du commerce (T3) ».<br />

19.3 L’engagement et ses corollaires<br />

Dans ce point consacré quasi exclusivement à la notion <strong>de</strong> l’engagement et à ses<br />

concepts proches, nous avions choisi <strong>de</strong> distinguer <strong>les</strong> définitions précises <strong>de</strong><br />

l’engagement proposées par <strong>les</strong> différentes personnes interrogées, <strong>de</strong>s<br />

caractéristiques que ces <strong>de</strong>rnières reconnaissaient à cette même notion. Toutefois,<br />

330


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

lors <strong>de</strong> l’analyse, il nous a paru judicieux <strong>de</strong> regrouper ces <strong>de</strong>ux catégories en une<br />

seule, étant donné la similitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s réponses, ainsi que leur caractère<br />

complémentaire.<br />

Lorsqu’on analyse <strong>les</strong> définitions et caractéristiques que <strong>les</strong> personnes ont<br />

données concernant l’engagement, on ne peut manquer d’être frappée par l’éventail<br />

<strong>de</strong> termes relevant du registre psychologique et se référant à <strong>de</strong>s manifestations<br />

éprouvées par le sujet s’engageant. Ces termes se déclinent sur différentes intensités<br />

<strong>de</strong> ressentis qui peuvent aller du simple intérêt porté à la profession, à ce qui permet<br />

<strong>de</strong> se l’approprier (actualités, formations, nouveautés, recherches…), jusqu’au<br />

registre quasi passionnel, évoqué par chacune <strong>de</strong>s populations décrivant <strong>les</strong><br />

personnes engagées comme <strong>de</strong>s personnes passionnées (E19, P8, T14). Entre ces <strong>de</strong>ux<br />

pô<strong>les</strong> rivalisent une pléia<strong>de</strong> <strong>de</strong> nuances pour décrire <strong>les</strong> sentiments <strong>de</strong>s personnes<br />

engagées. En tête <strong>de</strong> liste, on trouve la motivation, citée 11 fois : « s’engager, ben<br />

c’est déjà être motivé (E3) » ou le fait d’avoir « envie <strong>de</strong> faire ce qu’on fait<br />

(E13) », « envie d’aller travailler le matin (E17) ». On notera que l’engagement<br />

s’inscrit <strong>dans</strong> une dimension <strong>de</strong> conviction, également mentionnée à plusieurs<br />

reprises, conviction orientée vers le choix professionnel, « … il faut être persuadé<br />

que c’est cette profession là qu’on veut…(T11) », ou centré sur une cause,<br />

« …pour moi l’engagement ça serait d’être pleinement convainc ue <strong>de</strong> la cause<br />

pour laquelle on avance quoi, <strong>dans</strong> le projet <strong>dans</strong> lequel on est, d’être<br />

vraiment convaincu…(E1) ». L’enthousiasme et l’énergie sous-ten<strong>de</strong>nt cette<br />

conviction (E4) qui s’exprime aussi par une notion <strong>de</strong> plaisir pour l’individu engagé.<br />

En effet, cette mobilisation d’énergie et cet « investissement payé <strong>de</strong> ma personne<br />

(T9) » ne restent pas vains chez le sujet engagé, mais il en retire une satisfaction<br />

évi<strong>de</strong>nte que certains nommeront épanouissement, notion citée à 6 reprises avec celle<br />

<strong>de</strong> bien-être et <strong>de</strong> paix, parfois en lien avec la conscience du travail bien fait (E7, P8),<br />

et qui implique l’être humain <strong>dans</strong> son entier puisque « l’épanouissement d’un<br />

point <strong>de</strong> vue professionnel… va entraîner un épanouissement d’un point <strong>de</strong><br />

vue personnel. (P6) ». Pour autant que l’engagement ne dépasse pas <strong>les</strong> limites<br />

331


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

personnel<strong>les</strong> (P9), certains diront même que « c’est associé au plaisir (E13) », sans<br />

doute parce que cela contribue à trouver du sens <strong>dans</strong> son travail (P5).<br />

19.3.1 Définitions et caractéristiques <strong>de</strong> l’engagement<br />

Le processus d’engagement a <strong>de</strong>s répercussions à différents niveaux <strong>de</strong><br />

l’activité <strong>de</strong> l’être humain. Une très gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong>s personnes interrogées, toutes<br />

catégories confondues, nomme l’aspect relationnel comme le lieu d’expression le<br />

plus évi<strong>de</strong>nt d’une dimension d’engagement. Nous ne compterons pas moins que 15<br />

références à cette composante relationnelle, dont nous nous souvenons qu’elle<br />

obtenait déjà une place prépondérante <strong>dans</strong> <strong>les</strong> motivations ayant prévalu au choix<br />

professionnel <strong>de</strong>s soignants. Très nombreux sont ceux en effet qui affirment que le<br />

professionnel engagé est celui dont l’attitu<strong>de</strong> ou la relation au patient est « très<br />

empathique… très chaleureuse, très donnante… (T9) », en étant <strong>dans</strong> un « côte-<br />

à-côte (T10) », avec lui, faisant preuve d’un respect très affirmé <strong>de</strong> la singularité et<br />

<strong>de</strong> la dignité <strong>de</strong> celui-ci (E1), cherchant à s’adapter à lui et à « regar<strong>de</strong>r ses be<strong>soins</strong><br />

(E22) », <strong>de</strong> manière empathique : « c’est aussi en fait savoir remanier aussi son<br />

emploi du temps par rapport à… aux soucis <strong>de</strong> la personne qui peut y avoir en<br />

face <strong>de</strong> vous en fait (E2) ». Il s’agit d’« une orientation vers le patient (E11) »<br />

qui a pour seul objectif l’amélioration <strong>de</strong> sa condition : « tout tendait au bien-être<br />

du patient (P2) », impliquant un engagement émotionnel et une gran<strong>de</strong><br />

disponibilité (T9). Une étudiante résume l’engagement infirmier comme étant<br />

finalement le fait <strong>de</strong> ne pas s’enfermer <strong>dans</strong> l’agir, mais aussi d’être et donc <strong>de</strong><br />

privilégier <strong>les</strong> rapports humains (E25).<br />

Cette attitu<strong>de</strong> empathique est qualifiée à au moins dix reprises <strong>de</strong> « don <strong>de</strong> soi »,<br />

suggérant le caractère intense et absolu <strong>de</strong> cette ouverture à l’autre, ou d’implication<br />

<strong>dans</strong> l’exercice infirmier : « l’engagement infirmier… c’est ce don <strong>de</strong> toute notre<br />

personne (E25) », avec <strong>de</strong>s répercussions aussi sur la personne qui s’investit :<br />

« c’est tout donner <strong>dans</strong> son métier, c’est un peu fort ce que je dis, c’est<br />

donner son énergie, c’est mettre à contribution tout ce que l’on a pour mettre<br />

<strong>dans</strong> son métier. Quand on va faire notre journée <strong>de</strong> travail, on ressort, on est<br />

332


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

vidé, c’est ça pour moi être engagée <strong>dans</strong> quelque chose (E26) ». C’est un don<br />

qui se fait sous forme d’investissement et <strong>de</strong> disponibilité temporelle (E 15, E 17).<br />

Pour certains, il est nécessaire <strong>de</strong> conserver <strong>de</strong>s limites à ce don <strong>de</strong> soi (E9),<br />

alors que, pour d’autres, il s’agit d’un don inconditionnel, illimité « je vais donner<br />

le plus que je peux donner… (T3) », tout simplement parce que « quand on<br />

s’engage, on fait don <strong>de</strong> sa personne (P3) ».<br />

Il s’agit d’un investissement intense qui ne reste pas sans effets. La relation au<br />

patient s’en voit considérablement influencée, comme nous l’avons vu. Mais c’est<br />

l’ensemble <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong> la personne qui porte l’empreinte <strong>de</strong> son engagement. En<br />

effet, <strong>les</strong> nombreuses caractéristiques <strong>de</strong> l’engagement qualifient l’attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

l’individu <strong>dans</strong> son travail.<br />

Il est intéressant <strong>de</strong> noter qu’à plusieurs reprises il est question du « petit plus »<br />

pour caractériser l’individu engagé : « il y a <strong>les</strong> infirmières qui font leur travail<br />

au sens strict… et puis il y a cel<strong>les</strong> qui font un peu plus, qui vont vraiment<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations… (E22) ». Il s’agit d’une forme d’implication active<br />

particulière (E12, E15, T10) qui se traduit par une complétu<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la manière <strong>de</strong><br />

prendre en charge <strong>de</strong>s situations : « voir une situation globalement, pas juste un<br />

diagnostic (E19) ». Et on ne peut manquer d’être interpellée ici par le caractère<br />

absolu et exhaustif qui ressort <strong>de</strong>s affirmations suivantes : « faire à fond…<br />

connaître le tout… (P2) ». Une étudiante décrit <strong>de</strong>s professionnel<strong>les</strong> engagées en<br />

disant «qu’el<strong>les</strong> pensaient à tout, quoi ! El<strong>les</strong> pensaient à tout euh, à ce qu’on<br />

pouvait penser, à ce qu’on pouvait faire… (E19) », tandis qu’une enseignante<br />

explique que, pour elle, l’engagement « c’est faire quelque chose et le faire<br />

correctement du début à la fin sans amputer <strong>de</strong>s étapes, d’en faire une analyse<br />

complète… en suivi pédagogique, … c’est être à une écoute totale (T5) ». Sans<br />

doute existe-t-il chez certaines <strong>de</strong> ces personnes une recherche <strong>de</strong> la perfection assez<br />

marquée : «… je sais aussi que mon tort est <strong>de</strong> vouloir toujours faire au mieux ,<br />

pas seulement faire au bien (P10) », peut-être en héritage à une incitation à la<br />

perfection héritée <strong>de</strong> l’histoire <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong> son ancrage religieux (T1).<br />

333


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Vouloir réaliser un travail <strong>de</strong> qualité est sans doute une caractéristique<br />

essentielle du professionnel (P4), qui poursuit <strong>de</strong>s objectifs bien définis et s’en donne<br />

<strong>les</strong> moyens (E21) comme le révèle une professionnelle : « je vais m’engager pour<br />

atteindre ce but <strong>dans</strong> ce que je considère comme bien, en suivant <strong>les</strong> règ<strong>les</strong><br />

établies par la société. Je vais faire tout mon possible pour permettre à ce bien<br />

<strong>de</strong> se produire (P9) ». C’est un but dont le patient constitue la finalité (P7) et envers<br />

lequel l’engagement consiste aussi à « maintenir le cap » pour continuer <strong>dans</strong> cette<br />

voie que l’on a choisie (P10).<br />

La personne engagée se trouve donc portée par une dynamique <strong>de</strong> projet (E21),<br />

elle-même motivée par une volonté <strong>de</strong> perfection et une volonté d’améliorer le<br />

quotidien <strong>de</strong>s patients ainsi que le fonctionnement du service (E9). Par exemple, la<br />

personne engagée « relève tout ce qui pourrait être amélioré, essaie <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s<br />

choses pour que ça s’améliore… (P11) ». Cette dynamique fait d’elle une<br />

« locomotive qui entraîne un peu <strong>dans</strong> son sillage le reste <strong>de</strong> l’équipe (E4) ».<br />

L’engagement n’est pas statique, « c’est l’envie d’aller, <strong>de</strong> faire avancer <strong>les</strong><br />

choses (E18) », conséquence positive pour autant qu’il ne soit pas utilisé par la<br />

gestion d’entreprise à <strong>de</strong>s fins <strong>de</strong> productivité (P8).<br />

Dans une équipe, le comportement d’une personne engagée est clairement<br />

perceptible. La passion qui anime parfois certains soignants ne manque pas d’avoir<br />

<strong>de</strong>s répercussions sur son activité. Tout d’abord au temps que cette personne met à<br />

disposition <strong>de</strong> son activité professionnelle. Très souvent cité, cet indicateur n’est<br />

pourtant pas toujours considéré <strong>de</strong> manière positive, certains soulignant l’excès et<br />

l’absence <strong>de</strong> limites : « elle y passe sa vie (au travail)… je pense qu’il y a <strong>de</strong>s<br />

limites à l’engagement, mais elle, elle n’en a pas vraiment (E15) ». Cela<br />

comporte <strong>de</strong>s conséquences pour la personne elle-même (E17). Par exemple, « il y<br />

avait plus <strong>de</strong> limites, à tel point que cela <strong>de</strong>venait dangereux pour eux, pis<br />

même au niveau du travail. Parce qu’on peut pas, c’est pas possible d’y passer<br />

vingt heures sur vingt-quatre (P5) ». La réalisation d’heures supplémentaires<br />

semble être un trait caractéristique <strong>de</strong> l’engagement infirmier (E21, E25) : « <strong>les</strong><br />

heures supplémentaires, ils ne regardaient pas, ils faisaient, ils aimaient faire<br />

ce qu’ils avaient commencé… s’il y a quelqu’un <strong>de</strong> mala<strong>de</strong>, c’est eux qui<br />

334


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

reviendront, ils sont tout le temps disponib<strong>les</strong>, un peu trop (E26) ». Et, à<br />

plusieurs reprises, on pointe le danger du doigt quant au risque encouru avec un<br />

trop grand engagement, à savoir d’en subir <strong>de</strong>s conséquences importantes : « à un<br />

moment donné faut dire stop parce que vous allez y laisser votre santé et<br />

votre vie privée et tout… (T15)».<br />

Pourtant, bien géré, l’engagement a <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces très positives en termes<br />

d’efficacité <strong>dans</strong> le travail. Ce sont <strong>de</strong>s personnes assidues, sur qui on peut compter<br />

(E19, T15), qui sont très peu absentes (E19), régulières <strong>dans</strong> leur travail (T5), enclines<br />

à prendre <strong>de</strong>s responsabilités et à <strong>les</strong> assumer (E9) et qui s’investissent pour faire<br />

évoluer leur pratique. Ainsi, l’investissement cognitif caractérisé par la volonté<br />

d’acquisition <strong>de</strong> connaissances, l’intérêt pour la recherche scientifique du domaine,<br />

<strong>les</strong> formations continues diverses <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>… est évoqué à <strong>de</strong> nombreuses<br />

reprises (E5, E21, P3). La dynamique <strong>de</strong> projet et d’évolution <strong>dans</strong> laquelle se<br />

trouvent <strong>les</strong> personnes engagées, suscite chez el<strong>les</strong> une « envie d’apprendre<br />

(E19) », et « un appétit… avec le goût aussi <strong>de</strong> connaître, <strong>de</strong> découvrir (T1) ».<br />

Au niveau <strong>de</strong> la dynamique d’équipe, <strong>les</strong> soignants engagés sont appréciés, car<br />

ils savent rester positifs même si la charge <strong>de</strong> travail est très élevée (E1). Ils aiment<br />

généralement partager avec <strong>les</strong> autres (E13) et ils font preuve d’une gran<strong>de</strong><br />

serviabilité (E14, E22, E25) : « si tout d’un coup il faut rester une heure <strong>de</strong> plus<br />

parce que la personne va mal… ils restent sans problème… ils se dévouent<br />

vraiment (E25) ». Ils affichent leur solidarité concrètement en accordant leur ai<strong>de</strong> le<br />

moment venu (T3, P6). Néanmoins, cet engagement peut aussi être vécu <strong>de</strong> manière<br />

moins positive par <strong>les</strong> collègues. En effet, il peut se révéler quelque peu culpabilisant<br />

également pour l’équipe (P5) et, au niveau <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin, certains font<br />

remarquer qu’une relation qui ne respecte pas la distance due à l’exercice <strong>de</strong> la<br />

fonction, n’est plus une attitu<strong>de</strong> professionnelle : « … <strong>de</strong> l’hyper-engagement, ça<br />

j’en ai vu. Après c’était tout ce travail à faire pour rester en même temps<br />

cordiale et professionnelle (T5) ». Les compétences du professionnel peuvent être<br />

mises en jeu car un praticien explique que, chez ces infirmières, « leur esprit<br />

d’analyse va être perturbé et il y a <strong>de</strong>s sentiments qui prennent un pas<br />

important sur le professionnalisme et là, forcément, on va au cla sh parce que<br />

335


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>les</strong> gens réfléchissent avec leurs émotions (P4) ». Une telle perte <strong>de</strong> distance<br />

peut même conduire au maternage <strong>de</strong>s rési<strong>de</strong>nts, en particulier envers <strong>les</strong> enfants ou<br />

<strong>les</strong> personnes âgées (P4).<br />

Si nous nous concentrons à présent sur <strong>les</strong> caractéristiques <strong>de</strong> l’engagement et<br />

<strong>les</strong> dimensions qui l’entourent, nous remarquerons que <strong>les</strong> personnes interrogées,<br />

plus particulièrement <strong>les</strong> étudiantes, admettent le caractère complexe <strong>de</strong><br />

l’engagement en exprimant parfois une certaine difficulté à trouver <strong>de</strong>s définitions<br />

<strong>dans</strong> la mesure où « c’est quelque chose <strong>de</strong> très subtil… (E22) » et qui rend sa<br />

compréhension ardue. « L’engagement… ouais je sais pas trop… j’arrive pas à<br />

le définir en fait… (E7) ». C’est en lui-même que le terme trouve sa définition et<br />

« on a envie <strong>de</strong> mettre le mot s’engager <strong>dans</strong> la définition (E21) ».<br />

Il faut admettre qu’il existe très certainement plusieurs formes et plusieurs<br />

niveaux d’engagement, qui sont aussi fonction d’un certain nombre <strong>de</strong> facteurs.<br />

Ainsi le caractère répétitif et monotone du travail aura parfois une inci<strong>de</strong>nce sur<br />

celui-ci (E7, E1, T3).<br />

Si cette définition est délicate, peut-être est-ce dû au fait qu’un engagement<br />

réfléchi suppose une connaissance conscientisée <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses limites (T1), à moins<br />

qu’elle ne résulte du caractère déstabilisant d’une attitu<strong>de</strong> qui implique<br />

nécessairement une prise <strong>de</strong> risque. En effet, <strong>dans</strong> la mesure où, libre d’exercer notre<br />

pensée autonome, nous effectuons <strong>de</strong>s choix (T14), il s’ensuit une prise <strong>de</strong> risque (T15,<br />

P3).<br />

Or, parce que l’engagement est indissociable <strong>de</strong> la profession (E3) et qu’il<br />

occasionne cette prise <strong>de</strong> risque, le rôle <strong>de</strong> l’enseignant en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> est<br />

d’accompagner l’étudiante (T14), dont l’engagement est parfois déjà très intense, à<br />

encourir cette prise <strong>de</strong> risque d’une façon raisonnée. Sans la dimension <strong>de</strong> sens, « on<br />

serait <strong>dans</strong> une certaine fonctionnalité normée (T13) », mais, si « l’engagement,<br />

c’est la cohérence d’un projet avec <strong>de</strong>s valeurs… (T13) », il s’inscrit alors aussi <strong>dans</strong> cette<br />

perspective <strong>de</strong> sens et fait appel aux catégories <strong>de</strong> la raison pour le structurer et le<br />

« raisonner ».<br />

C’est là une mission importante :<br />

336


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

« …En tant que formateur… on a une responsabilité à faire en sorte que<br />

cette prise <strong>de</strong> risque ou cet engagement initial, on puisse ai<strong>de</strong>r<br />

l’étudiant à le raisonner, à le fortifier mais aussi l’inscrire <strong>dans</strong><br />

quelque chose qui pourra faire en sorte qu’il se rappelle que la flamme<br />

<strong>de</strong>viendra le feu, puis que le feu aura suffisamment <strong>de</strong> munitions pour<br />

éclairer longtemps (T14) ».<br />

Se risquer ici à une définition <strong>de</strong> l’engagement est une aventure épineuse car<br />

forcément marquée du sceau <strong>de</strong> l’incomplétu<strong>de</strong>, tant <strong>les</strong> indicateurs nommés sont<br />

nombreux et divers. Néanmoins, il nous semble intéressant <strong>de</strong> citer une enseignante<br />

définissant <strong>les</strong> personnes engagées tout simplement par le terme <strong>de</strong> « gens vivants »,<br />

portés par une « envie », qui même s’ils n’en ont pas conscience ne font rien d’autre<br />

que « <strong>de</strong> nourrir cette partie vivante (T1) » par leur engagement. Si cette phrase<br />

n’a pas le mérite <strong>de</strong> l’exhaustivité, elle a au moins le privilège d’être simple, bien<br />

imagée et <strong>de</strong> véhiculer tout <strong>de</strong> même <strong>de</strong>s éléments essentiels retenus lors <strong>de</strong> l’analyse<br />

<strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux catégories.<br />

À l’issue <strong>de</strong> l’analyse sur la définition <strong>de</strong> l’engagement, il convient <strong>de</strong> préciser<br />

que le désengagement, quant à lui, est perçu <strong>de</strong> manière très négative. Il s’agit, selon<br />

<strong>les</strong> personnes interrogées, <strong>de</strong> professionnels qui font le strict minimum <strong>dans</strong> le travail<br />

comme <strong>dans</strong> <strong>les</strong> horaires (E7, P8), qui râlent quand il y a quelque chose à faire (E16),<br />

qui se concentrent sur le « faire » (E22) et n’entrent pas <strong>dans</strong> la relation au patient<br />

(E13, E26) : « c’est à peine si elle leur adresse la parole (E19) », le respectent<br />

tellement peu que l’on y voit quasiment une dimension <strong>de</strong> viol : « c’est comme si…<br />

on s’approprie la partie du corps du patient… c’est hyper intrusif ! (E19) ».<br />

Ces personnes substituent le jugement <strong>de</strong> valeur à l’empathie (E25), ne cherchent pas<br />

à acquérir <strong>de</strong> connaissances ni à évoluer <strong>de</strong> quelque manière que ce soit (E26). À<br />

l’inverse <strong>de</strong>s professionnels engagés, ceux-ci ne peuvent pas être satisfaits ni heureux<br />

<strong>dans</strong> leur fonction, ne serait-ce que parce qu’ils ne sont pas appréciés <strong>de</strong>s autres<br />

collègues (P10). Il s’agit donc d’un portrait quasi antagoniste avec celui dressé<br />

337


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

précé<strong>de</strong>mment. La question serait donc à présent <strong>de</strong> savoir quel est l’entre-<strong>de</strong>ux qui<br />

permet un engagement constructif, épanouissant et sain à plus long terme.<br />

19.3.2 De la responsabilité<br />

D’emblée, le lien entre responsabilité et éthique est établi, l’éthique trouvant son<br />

expression <strong>dans</strong> la mise en œuvre ou non <strong>de</strong> cette responsabilité au cœur <strong>de</strong><br />

l’exercice professionnel du soignant (E9). C’est en effet en regard <strong>de</strong> cette<br />

responsabilité ressentie à l’égard du patient et <strong>de</strong> la tâche qui lui est confiée que<br />

l’engagement prend vie. Ce <strong>de</strong>rnier doit trouver sa raison d’être <strong>dans</strong> la<br />

responsabilité et non en rapport avec une position hiérarchique, par exemple (P9).<br />

Orientée vers <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, la responsabilité recèle <strong>de</strong>s trésors en son sein et joue un<br />

rôle <strong>de</strong> catalyseur qui libère tout un champ <strong>de</strong> compétences (T15).<br />

Toutefois d’autre propos viennent temporiser cet effet positif <strong>de</strong> la<br />

responsabilité. Les conditions <strong>de</strong> travail actuel<strong>les</strong>, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> pressions qui<br />

s’exercent sur <strong>les</strong> professionnels, conduisent ces <strong>de</strong>rniers à prendre toujours plus <strong>de</strong><br />

responsabilités, voire parfois <strong>de</strong>s décisions relevant du registre médical (E11). Or la<br />

finalité <strong>de</strong> cette prise <strong>de</strong> responsabilités qui pèse sur <strong>les</strong> épau<strong>les</strong> <strong>de</strong>s soignants (E22)<br />

se trouve être une personne humaine, ce qui engage considérablement <strong>les</strong><br />

professionnels : « je me rends compte du rôle qu’on a <strong>dans</strong> la vie d’un patient<br />

(E16) ».<br />

Et nous retrouvons ici, nommée à plusieurs reprises, la peur <strong>de</strong> l’erreur comme<br />

un leitmotiv exprimant <strong>les</strong> limites d’une responsabilité trop importante en regard <strong>de</strong>s<br />

ressources disponib<strong>les</strong> (P2). « L’erreur est vite arrivée et pis elle peut avoir <strong>de</strong>s<br />

conséquences dramatiques sur quelqu’un (E19) ». Les pressions subies par <strong>les</strong><br />

professionnels, que ce soit par une charge <strong>de</strong> travail accrue, par <strong>de</strong>s dotations en<br />

personnel réduites, par la complexification <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> ou encore par<br />

l’augmentation <strong>de</strong> la charge administrative, s’inscrivent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s responsabilités<br />

parfois excessives. Cel<strong>les</strong>-ci engendrent une réelle peur <strong>de</strong> l’erreur et, <strong>de</strong> ce fait,<br />

induisent <strong>de</strong>s comportements individualistes contraires à cette profession basée sur<br />

l’échange et l’entrai<strong>de</strong>, comme l’explique ce professionnel : «… chacun veut, quand<br />

il y a un souci, reporter la responsabilité sur l’autre… là on arrive sur un<br />

338


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

terrain dangereux où chacun vraiment tire la cor<strong>de</strong> vers soi. Et il n’y a pas<br />

cette dynamique <strong>de</strong> tirer ensemble sur la cor<strong>de</strong> (P2) ».<br />

Et ce constat amène même à considérer la responsabilité, non pas seulement<br />

comme s’exerçant vis-à-vis du patient pour garantir <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> gages <strong>de</strong> sécurité ou<br />

vis-à-vis <strong>de</strong> l’institution (P6), mais comme le lieu où <strong>les</strong> soignants doivent exercer<br />

leur pleine vigilance pour le développement <strong>de</strong> la profession elle-même. Et une<br />

enseignante d’affirmer que « on a aussi une grosse responsabilité actuellement<br />

si on ne veut pas que notre profession meure… (T1) ».<br />

C’est <strong>dans</strong> cette perspective que doit être envisagée la formation <strong>de</strong>s étudiants.<br />

Selon cette même enseignante, ils doivent être avertis que la profession connaît <strong>de</strong>s<br />

intempéries, <strong>de</strong>s tempêtes, mais que leur rôle est d’ai<strong>de</strong>r à redresser le navire : «… et<br />

là, je crois qu’on a une responsabilité à tou s <strong>les</strong> niveaux. Si je peux montrer<br />

ça aux étudiants, ils peuvent peut-être apprendre que c’est possible pour eux,<br />

futurs diplômés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> unités <strong>de</strong> travail (T1) ». Loin <strong>de</strong> nous inviter à peindre<br />

une réalité idéale ou à entretenir <strong>de</strong>s représentations utopiques. La responsabilité <strong>de</strong>s<br />

formateurs engage à tout mettre en œuvre pour ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiants à faire que « le<br />

Titanic se redresse (T1) »<br />

.<br />

19.3.3 La motivation comme source d’engagement<br />

Une <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> préparer <strong>les</strong> étudiants à tenir bon quand viendront <strong>les</strong><br />

intempéries, pourrait être <strong>de</strong> <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à construire une motivation puissante, puisque<br />

cette <strong>de</strong>rnière est perçue comme une force permettant justement <strong>de</strong> faire face : « Je<br />

pense que si cette motivation elle était pas là, je pense que j’aurais arrêté… (E13) » ou<br />

même comme une arme permettant d’assurer le combat (P11) que <strong>les</strong> soignants ont à<br />

mener pour défendre leur profession. Il apparaît essentiel d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiants à bâtir<br />

une motivation durable en tant qu’elle constitue un préalable indispensable à<br />

l’engagement. Bien entendu la motivation n’est pas uniquement présente lorsque<br />

surviennent <strong>les</strong> situations diffici<strong>les</strong>. Elle revêt ici une importance particulière <strong>dans</strong> la<br />

mesure où, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> expériences positives comme négatives, c’est elle qui est à la<br />

source <strong>de</strong> l’engagement.<br />

339


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Tout au long <strong>de</strong> l’analyse, nous avons été interpellée par la proximité <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux<br />

termes : motivation et engagement. L’un et l’autre sont très souvent utilisés <strong>de</strong><br />

manière relativement indifférenciée et nous nous sommes même surprise à intégrer<br />

<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux termes <strong>dans</strong> une même question : « Qu’est-ce qui vous a motivé à vous<br />

engager ?».<br />

Si ces <strong>de</strong>ux notions sont très proches, el<strong>les</strong> ne sont pas pour autant synonymes,<br />

comme nous avons pu le voir précé<strong>de</strong>mment. Bon nombre <strong>de</strong>s personnes interrogées,<br />

et tout particulièrement <strong>les</strong> étudiants (E2, E5, E9, E 11, E12), sont très au clair avec le<br />

fait que la motivation précè<strong>de</strong> l’engagement, en tant qu’elle est ce qui l’anime. Même<br />

si le lien n’est pas explicité formellement, il apparaît à travers le discours <strong>de</strong>s<br />

personnes qu’il est clairement établi, car «… si on est pas engagée, on paraît<br />

démotivée (E26) » et en revanche « … quand on est motivé et pis quand on fait<br />

quelque chose qui nous plait, ben l’engagement il est…, il est quand même<br />

plus grand (E5) ». La motivation représente le potentiel d’énergie libéré ensuite<br />

<strong>dans</strong> l’engagement (E12).<br />

Dans une profession où certains aspects peuvent être ressentis comme répétitifs<br />

et peu passionnants, la démotivation parvient parfois à gagner du terrain (E1, E9).<br />

Certains professionnels n’hésitent pas à reconnaître qu’ils ne peuvent envisager leur<br />

avenir que <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s unités <strong>de</strong> <strong>soins</strong> où la routine n’a pas sa place, comme <strong>les</strong><br />

urgences (E26) ou <strong>les</strong> ambulances. D’autres préfèrent enchaîner <strong>les</strong> formations et<br />

investir différents postes pour « s’occuper l’esprit et se gar<strong>de</strong>r en éveil (P11) ».<br />

Gar<strong>de</strong>r la motivation est essentiel car, si elle s’évapore, c’est l’engagement qui se<br />

dissipe avec elle, pour laisser place à un fonctionnement automatisé : « j’espère que<br />

je serai pas un robot quand même mais euh… c’est peut-être ce qui va venir<br />

(E26) ». La réduction à la tâche (T3) peut conduire à l’usure (E26), lorsque la finalité<br />

ultime n’est plus que d’assurer l’assouvissement <strong>de</strong> pures nécessités vita<strong>les</strong> : « il<br />

faut bien qu’on mange à la fin du mois. Il faut bien qu’on paie <strong>les</strong> factures<br />

(T5) » ! La motivation extrinsèque n’est alors plus suffisante pour faire face à la<br />

survenue <strong>de</strong> la routine et le désengagement guette (P3).<br />

Outre le facteur routine, cette démotivation est aussi souvent mise en lien avec<br />

l’absence croissante <strong>de</strong> liberté, en particulier pour exercer son rôle propre et pour<br />

340


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

nourrir la relation au patient (P4, P9, E26), ainsi qu’avec l’augmentation <strong>de</strong> la tâche<br />

administrative (P4).<br />

On ne saurait pour autant reléguer cette motivation à un rang anecdotique et<br />

secondaire, tant il est vrai qu’elle constitue une composante du bien-être du<br />

professionnel <strong>dans</strong> son travail. C’est elle en effet qui le pousse à aller <strong>de</strong> l’avant, à<br />

s’investir <strong>dans</strong> la relation au patient et <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, et qui finalement, lorsqu’elle<br />

trouve un écho favorable, lui procure une satisfaction particulière (E3), accompagnée<br />

d’une paix intérieure bienfaisante (T3).<br />

La source première <strong>de</strong> la motivation rési<strong>de</strong>, pour bon nombre d’infirmières,<br />

<strong>dans</strong> la relation au patient lui-même. Ainsi une infirmière affirme que si, au début, sa<br />

motivation était orientée vers <strong>les</strong> actes techniques, elle a <strong>de</strong>puis évolué vers la<br />

dimension humaine (E5), tandis qu’une autre explique qu’une clé pour parer à la<br />

routine est <strong>de</strong> considérer davantage la personne que le soin (E14) : « J’ai trouvé que<br />

justement <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r sur le patient, sur la personne, ben que c’était<br />

beaucoup plus, beaucoup plus enrichissant, beaucoup plus varié et pis du<br />

coup beaucoup plus intéressant aussi, quoi (E5) », « …si on arrive à mettre<br />

ces lunettes-là pour être attentifs à ces petits détails, à faire attention que<br />

chaque personne est unique… ça rend aussi le travail plus intéressant…<br />

(E22) ».<br />

On trouve ici <strong>de</strong>s remarques très similaires à cel<strong>les</strong> déjà relevées concernant la<br />

place du patient, « le souci <strong>de</strong> la situation… et la prise en considération <strong>de</strong> la<br />

personne <strong>dans</strong> ce qu’elle est vraiment (E22) », mais également <strong>de</strong>s remarques au<br />

sujet <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong> la prise en charge (P3).<br />

Une infirmière à domicile explique qu’elle se considère comme privilégiée <strong>dans</strong><br />

son secteur, en raison <strong>de</strong> la possibilité qui lui est donnée <strong>de</strong> jouir d’une liberté<br />

certaine et <strong>de</strong> ne pas <strong>de</strong>voir se limiter à l’exécution du rôle prescrit. Cela permet <strong>de</strong><br />

conserver la pleine motivation, s’exprimant <strong>dans</strong> la créativité que stimule le rôle<br />

autonome <strong>de</strong> l’infirmière (P9) et qui est gage d’une réelle qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P8). Nous<br />

percevons ici le statut <strong>de</strong> la motivation qui, si elle constitue <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce une<br />

variable essentielle <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> l’engagement, n’en est pas moins aussi<br />

341


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

tributaire, <strong>dans</strong> une certaine mesure, <strong>de</strong>s conditions <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> l’engagement<br />

s’exerce.<br />

Dans <strong>les</strong> institutions hospitalières, la place <strong>de</strong> l’autonomie se voit <strong>de</strong> plus en<br />

plus réduite à une peau <strong>de</strong> chagrin sous le poids <strong>de</strong> la structure et <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong><br />

modalités d’organisation du travail (P3, P10) visant l’efficience. À la restriction <strong>de</strong>s<br />

ressources (T10) s’ajoute la souffrance exprimée à plusieurs reprises d’une absence <strong>de</strong><br />

reconnaissance du travail effectué. Que ce soit <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la formation où il<br />

semble parfois que l’enseignant soit victime « d’un engagement à vi<strong>de</strong> pour une<br />

institution » qui n’accor<strong>de</strong>ra finalement aucune reconnaissance (T3), ou encore <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> <strong>soins</strong> où l’absence <strong>de</strong> retour est parfois pire que le retour négatif et s’apparente à<br />

une indifférence annihilante : « ce système, il mène justement à ce que personne<br />

n’ait envie <strong>de</strong> s’investir. De toute façon tout le mon<strong>de</strong> s’en fout parce que ,<br />

qu’on s’investisse ou qu’on s’investisse pas, il y a pas <strong>de</strong> différence… il n’y a<br />

ni contrôle, ni valorisation, il a rien qui, soit qui vous encourage, ni<br />

reconnaissance, ni sanction, ni rien du tout qui vient vali<strong>de</strong>r <strong>les</strong> trucs<br />

<strong>de</strong>rrière… pour finir au bout du compte, je m’excuse, mais à quoi ça sert <strong>de</strong> se<br />

casser la tête, quoi (P10) ? »<br />

Pour que motivation il y ait, il y a donc nécessité d’un « retour sur<br />

investissement ». Or, si ce retour n’est pas accordé par l’institution (T3), que ce soit<br />

sous une forme <strong>de</strong> valorisation ou non (E22, P3), la personne se sent niée en tant que<br />

telle, et pourrait alors perdre toute motivation puisque celle-ci n’a plus ce point<br />

d’ancrage. Fort heureusement, la composante relationnelle <strong>de</strong>meure un pôle<br />

motivationnel extrêmement puissant, permettant <strong>de</strong> relativiser quelque peu <strong>les</strong><br />

contraintes imposées par le système. Il est intéressant <strong>de</strong> noter que ce sont <strong>les</strong><br />

professionnels, <strong>les</strong> premiers touchés par ces difficultés structurel<strong>les</strong> et leurs impacts,<br />

et que c’est eux qui se sont exprimés sur ce point. Ainsi à l’absence <strong>de</strong> reconnaissance<br />

<strong>de</strong>s supérieurs se substitue la reconnaissance <strong>de</strong>s patients et <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins (P10), la<br />

satisfaction d’avoir pu soulager, apporter un moment <strong>de</strong> bien-être (P6) ou encore<br />

joué un rôle à un moment donné <strong>dans</strong> la vie <strong>de</strong> quelqu’un (T13). L’estime <strong>de</strong> soi qui<br />

découle <strong>de</strong> ces différents retours est un stimulateur important pour <strong>les</strong> soignants<br />

(E11, E19).<br />

342


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

On peut donc aisément percevoir l’importance <strong>de</strong>s relations interindividuel<strong>les</strong><br />

<strong>dans</strong> le soutien à la dynamique motivationnelle <strong>de</strong>s soignants (E1) : « … je pense<br />

qu’on se motive pas vraiment tout seul. On a besoin <strong>de</strong>s autres (T5) ». La<br />

motivation a comme particularité d’être contagieuse (E16, P6), sans doute aussi parce<br />

qu’elle est fondée sur <strong>de</strong>s valeurs partagées (P9). À notre question sur la présence <strong>de</strong><br />

personnes qui ont pu donner à l’étudiante l’envie <strong>de</strong> s’engager, celle-ci répond avec<br />

enthousiasme que ce sont <strong>de</strong>s « personnes qui sont vraiment au summum <strong>de</strong> la<br />

motivation… qui donnent envie, qui donnent vraiment, qui relèv ent cette<br />

envie en moi… (E3)». Ces relations entre professionnels sont portées par <strong>de</strong>s liens<br />

<strong>de</strong> confiance et <strong>de</strong> solidarité fondamentaux (T3), car ce sont eux qui sont porteurs <strong>de</strong><br />

sens. Or, sans le sens et la cohérence, la motivation est anéantie (P1). Une infirmière<br />

se <strong>de</strong>man<strong>de</strong> quelle sera sa profession <strong>dans</strong> quelques années étant donné la tournure<br />

administrative que celle-ci prend, ainsi que cette inadéquation avec son idéal<br />

professionnel. C’est toute la question du sens qui se pose ici (P7), puisque le sens et la<br />

motivation se trouvent <strong>dans</strong> l’harmonie avec <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la personne (P9, P7).<br />

Il est néanmoins un avantage indéniable à la motivation qu’il convient <strong>de</strong><br />

souligner, à savoir que celle-ci ne naît pas ex nihilo, « elle se construit (P5) ». Plus<br />

<strong>les</strong> étudiants sont novices et plus ils accor<strong>de</strong>nt d’importance à la pratique, estimant<br />

qu’elle représente le lieu où l’engagement se construit en majeure partie (E15). Mais,<br />

malgré une fracture qui reste encore à réduire (P8), la formation peut néanmoins<br />

jouer pleinement son rôle <strong>dans</strong> cette construction. S’il est parfois nécessaire <strong>de</strong><br />

motiver certains professionnels pour suivre <strong>de</strong>s formations, en revanche, parmi <strong>les</strong><br />

personnes interrogées, nombreuses sont cel<strong>les</strong> qui ont avancé l’aspect du<br />

développement <strong>de</strong>s connaissances comme un puissant dynamisant à l’égard <strong>de</strong> la<br />

motivation. En effet, la formation, qu’elle soit initiale ou postgra<strong>de</strong> (pour autant qu’il<br />

s’agisse d’une formation conséquente et non un alibi <strong>de</strong> quelques heures (P4) permet<br />

une prise <strong>de</strong> distance bienfaisante (E19), une remise en question (P10), la<br />

verbalisation (P4), le développement <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> compétences et l’intérêt à<br />

s’investir <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s innovations, <strong>de</strong>s projets, <strong>de</strong>s améliorations (P3) qui pourraient<br />

d’ailleurs être aussi intéressantes pour l’employeur (T12). Ainsi, même la plus<br />

343


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

ennuyeuse <strong>de</strong>s routines peut <strong>de</strong>venir motivante dès lors qu’elle est vue sous l’angle<br />

d’une amélioration possible, impliquant la créativité et la réflexion du sujet, et lui<br />

conférant, par là-même, une forme <strong>de</strong> valorisation (P3).<br />

Ici, à nouveau, on remarquera que ce sont avant tout <strong>les</strong> professionnels, sans<br />

doute <strong>les</strong> plus concernés, qui ont en gran<strong>de</strong> majorité exprimé le bien-fondé <strong>de</strong> la<br />

formation.<br />

Cette constatation confirme néanmoins tout l’enjeu <strong>de</strong> la formation déjà au<br />

niveau initial <strong>dans</strong> la promotion d’une motivation pérenne, à même <strong>de</strong> prévenir la<br />

routine. Il s’agit parfois <strong>de</strong> commencer par déconstruire <strong>de</strong> fausses représentations<br />

initiées par <strong>les</strong> médias, et plus particulièrement <strong>les</strong> séries télévisées qui véhiculent<br />

une image totalement faussée <strong>de</strong> la profession (E11). Par ailleurs, une enseignante<br />

voit <strong>dans</strong> cette mission <strong>de</strong> formation un <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> première importance, assimilé à<br />

une honnêteté professionnelle : « … je crois que je le fais (motiver <strong>les</strong> étudiants).<br />

Et j’ai pas que envie. Et je pense que quand je le ferai plus, il sera tant que je<br />

m’arrête. Ce serait pas honnête, sinon. Et j’aime (T1) » !<br />

19.3.4 Le sens <strong>de</strong> l’engagement<br />

Le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, <strong>de</strong> par sa proximité avec la vulnérabilité <strong>de</strong> l’être humain<br />

et la rencontre quasi-quotidienne avec <strong>les</strong> frontières <strong>de</strong> la souffrance et <strong>de</strong> la<br />

déchéance, <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong> la mort, constitue un lieu <strong>dans</strong> lequel la question du sens<br />

ne peut être évincée. Toujours à nouveau, elle vient directement ou indirectement<br />

interpeller le soignant. Une enseignante explique à ses étudiants : « …quand vous<br />

travaillerez avec <strong>de</strong>s patients en oncologie, en psychiatrie ou etc… vous serez<br />

confrontés à cette question du sens ou du non -sens <strong>de</strong> l’existence et vous<br />

serez amenés à <strong>de</strong>voir abor<strong>de</strong>r ces questions -là (T10) ».<br />

Pour autant la question du sens n’est pas une question aisée et il importe <strong>de</strong><br />

s’arrêter un moment pour essayer <strong>de</strong> mieux la saisir, en particulier <strong>dans</strong> sa relation<br />

au concept d’engagement qui nous intéresse ici.<br />

Le sens apparaît comme une notion difficile à cerner, car souvent implicite.<br />

Nous avons pu le remarquer, lors <strong>de</strong> l’analyse, à la difficulté que nous avons eue <strong>de</strong><br />

344


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

mettre en évi<strong>de</strong>nce cette notion lorsqu’elle n’était pas explicitée clairement, mais<br />

aussi à la difficulté <strong>de</strong> la faire émerger <strong>de</strong> définitions différentes du terme « sens ». En<br />

particulier <strong>les</strong> différences entre <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> sens comme direction et sens comme<br />

signification ont dû être examinées <strong>de</strong> plus près afin <strong>de</strong> ne pas nous livrer à une<br />

interprétation hâtive et erronée.<br />

Peut-être est-ce la difficulté à appréhen<strong>de</strong>r la notion <strong>de</strong> sens, qui veut qu’elle ne<br />

soit que peu, voire pas abordée durant la formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, comme<br />

l’exprime avec regrets cette responsable <strong>de</strong> formation : « on est vraiment peu sur<br />

le sens, je pense qu’on travaille peu sur le sens, on travaille beaucoup <strong>de</strong><br />

concepts qui sont intégrés, mais c’est pas une accumulation <strong>de</strong> concepts qui<br />

construit du sens (T13) ».<br />

Lorsque l’on s’intéresse à l’engagement, une réflexion sur le sens semble<br />

incontournable, tout particulièrement si l’on note l’importance <strong>de</strong> ce terme <strong>dans</strong> la<br />

citation d’un praticien qui nous dit, à propos <strong>de</strong> cet engagement professionnel, qu’il<br />

faut « qu’il y ait un sens… qu’on puisse donner un sens et qu’on soit<br />

vraiment convaincu du sens qu’on donne (P11) ».<br />

Sans le sens, pas d’engagement (P5, E5), puisque « c’est plus le sens qu’on<br />

donne aux choses et pourquoi on a choisi <strong>de</strong> faire ce métier qui fait qu’o n est<br />

engagé (E11) ». Mais, sans le sens, l’engagement est aussi limité <strong>dans</strong> son envergure<br />

(P8) et <strong>dans</strong> sa durée (P5), voire selon certains, impossible. « C’est le sens qu’on<br />

donne aux choses et pourquoi on a choisi <strong>de</strong> faire ce métier qui fait qu’on est<br />

engagé (E11) », et T3 pense également : «… si j’y vois pas <strong>de</strong> sens, ben je vais<br />

pas m’engager ». En effet, le sens constitue pour plusieurs personnes la base <strong>de</strong><br />

l’engagement (P5), le socle sur lequel il se fon<strong>de</strong> et se développe, il ne relève pas<br />

d’une préoccupation secondaire : « Moi je veux pouvoir m’engager en…<br />

trouvant du sens, un sens vraiment concret… (P10) », car, « sans le sens,<br />

l’engagement on peut l’oublier (P10) ». Et <strong>de</strong> la même manière, lorsque le sens<br />

disparaît, l’engagement s’évanouit avec lui (T9).<br />

345


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Or il est vrai que le sens peut se perdre. Ainsi plusieurs personnes évoquent la<br />

routine comme une source potentielle <strong>de</strong> perte <strong>de</strong> sens : « …c’est vrai qu’au début<br />

le sens on l’a, pis au bout d’un moment on le perd quoi, parce qu’à force <strong>de</strong><br />

faire toujours la même chose, on sait même plus pourquoi on fait ça, on le fait<br />

et pis c’est tout… (E2) ». Dans le travail routinier, une forme d’automatisation est<br />

apparentée au travail à la chaîne, également jugée comme particulièrement<br />

délétère au niveau du sens (E16, P6).<br />

C’est néanmoins le sens qui permet <strong>de</strong> tenir sur la durée et « …el<strong>les</strong> (<strong>les</strong><br />

infirmières) ne perdureraient pas si el<strong>les</strong> ne venaient que pour le salaire<br />

(P5) », car ces soignantes se seraient trompées <strong>de</strong> sens et celui-ci serait alors<br />

« déplacé (E1) ».<br />

Malheureusement, l’organisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, qui tend à se rapprocher d’un<br />

modèle fordiste <strong>de</strong> parcellarisation <strong>de</strong>s tâches visant l’efficience, porte une atteinte<br />

certaine au sens que <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> voient <strong>dans</strong> leur métier. En effet,<br />

ceux-ci évoquent par exemple la prise en charge globale comme particulièrement<br />

génératrice <strong>de</strong> sens (E16, E 14, E 22, T9…). Or celle-ci n’est plus tellement compatible<br />

avec <strong>les</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion. Il en va <strong>de</strong> même pour le rôle propre <strong>de</strong><br />

l’infirmière. Celui-ci est porteur <strong>de</strong> motivation et <strong>de</strong> sens parce qu’il implique le<br />

soignant, par sa réflexion et son savoir, <strong>dans</strong> une action délibérée et efficace auprès<br />

du patient (E22). Le rôle du soignant tend néanmoins à être balayé au profit d’un rôle<br />

d’exécutant nettement moins constructif, comme en témoigne cette professionnelle<br />

victime d’un burnout en lien avec ce processus <strong>de</strong> désincarnation du rôle infirmier :<br />

«… j’en étais plus qu’à <strong>de</strong>voir exécuter <strong>de</strong>s directives et puis c’est tout. On<br />

me <strong>de</strong>mandait plus <strong>de</strong> réfléchir et puis d’avoir un tantinet <strong>de</strong> réflexion et<br />

d’autonomie. C’était applique, applique, applique, même si c’est stupi<strong>de</strong>,<br />

applique (P10) ».<br />

Si l’on se souvient <strong>de</strong>s motivations premières évoquées par <strong>les</strong> soignants et <strong>de</strong><br />

leur centration sur le bien-être du patient, ainsi que du sentiment d’utilité à leur<br />

égard, on peut aisément comprendre que ce qui y porte atteinte soit vécu<br />

difficilement. En effet, « donner du plaisir aux gens, se sentir utile (E25) »,<br />

« apporter quelque chose au patient » (combiné au fait <strong>de</strong> se sentir utile, à<br />

346


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

nouveau [E26]), « la satisfaction <strong>de</strong> voir qu’une personne a pu aller… là où elle<br />

aurait eu <strong>de</strong> la difficulté à aller seule (T9) », sont autant d’éléments qui<br />

constituent le véritable sens, la véritable direction, mais également la raison d’être <strong>de</strong><br />

l’exercice professionnel <strong>de</strong>s soignants.<br />

C’est l’adéquation avec <strong>les</strong> valeurs profon<strong>de</strong>s qui animent <strong>les</strong> professionnels qui<br />

permet au sens <strong>de</strong> trouver son plein épanouissement (T3, T13). Sans cette base<br />

commune, le sens est absent et c’est la frustration qui prend le relais (E1), puisque,<br />

sans le sens, le plaisir et l’épanouissement au travail ne sont pas envisageab<strong>les</strong> (E1,<br />

P6). Que <strong>les</strong> attentes premières soient idéalistes en regard <strong>de</strong>s possibilités<br />

structurel<strong>les</strong>, ou qu’el<strong>les</strong> soient réalistes, la frustration <strong>de</strong> ne pas pouvoir vivre ses<br />

valeurs finit par porter atteinte à la santé du soignant qui peut alors rapi<strong>de</strong>ment<br />

sombrer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s pathologies d’épuisement, comme le burnout ou la dépression<br />

(P10). Cette frustration naît <strong>de</strong> ce que <strong>les</strong> infirmières « ne peuvent plus donner du<br />

sens à ce qu’il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire. En fait, <strong>dans</strong> le sens qu’il leur est<br />

<strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire, il y a une perte <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité professionnelle à laquelle<br />

el<strong>les</strong> croyaient et qu’el<strong>les</strong> souhaitaient el<strong>les</strong>, pour el<strong>les</strong> (P2) ». Certes, le sens<br />

est une donnée personnelle (T9) au même titre que <strong>les</strong> valeurs (E22), mais, <strong>de</strong> façon<br />

générale, lorsque <strong>les</strong> infirmières sont contraintes <strong>de</strong> renoncer partiellement à leur<br />

motivation première : le bien du patient et la mise en œuvre <strong>de</strong>s moyens susceptib<strong>les</strong><br />

d’ai<strong>de</strong>r à sa réalisation (E3, E12, E14, E25, T13…), el<strong>les</strong> per<strong>de</strong>nt automatiquement un<br />

certain bien-être (T14). On perçoit une forme d’i<strong>de</strong>ntification avec ce que le patient<br />

vit, si l’on en croit certains commentaires, comme cette étudiante expliquant que le<br />

fait <strong>de</strong> redonner un sens aux personnes âgées <strong>dans</strong> leur <strong>de</strong>rnière étape <strong>de</strong> vie à<br />

l’hôpital donnait un sens à sa profession (E3). Une autre infirmière explique que<br />

«…le fait qu’après le patient ne trouve pas le sens vous renvoie à vous -même,<br />

à vos questions sur le sens et <strong>les</strong> choses (P1) », quand il ne s’agit pas d’une<br />

i<strong>de</strong>ntification encore plus impliquante : « on est en contact avec <strong>les</strong> gens, enfin<br />

on prend leur malheur, on prend leur « maladie », et c’est vrai qu’on prend<br />

tout ça… (E13)».<br />

Il faut pourtant reconnaître que la question du sens ne va plus <strong>de</strong> soi. Et une<br />

enseignante <strong>de</strong> répondre en riant, lorsque nous lui avons <strong>de</strong>mandé si <strong>les</strong> étudiants<br />

347


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

avaient <strong>de</strong>s apports sur la question du « sens au travail », « <strong>dans</strong> quel sens » je<br />

pensais ma question (T14). Dans un mon<strong>de</strong> marqué par une pensée dominante<br />

d’autonomie, il semble mal venu et inquisiteur <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s réflexions sur <strong>de</strong>s<br />

sujets éminemment personnels comme celui du sens (T10). Mais c’est peut-être aussi<br />

le caractère ardu <strong>de</strong> la réflexion qui la rend peu attractive, au même titre que la<br />

philosophie pour cette enseignante : « ce qui m’inquiète… c’est que, dès que l’on<br />

parle <strong>de</strong> philosophie, j’ai l’impression très vite <strong>les</strong> étudiants disent, non on va<br />

pas se prendre la tête (T10) », à moins que ce ne soit en lien avec un aspect<br />

moralisateur s’il en est, qui pourrait être dérangeant alors que l’éducation morale<br />

n’est plus en vogue (T10). On pourrait croire, <strong>dans</strong> cette société libérale aux valeurs<br />

multip<strong>les</strong> et multiformes, qu’il n'est pas besoin <strong>de</strong> réfléchir au sens et aux valeurs qui<br />

l’animent. Pourtant, plusieurs professionnels l’affirment, <strong>les</strong> étudiants ont besoin <strong>de</strong><br />

ces réflexions (P9) : « Je pense qu’on est <strong>dans</strong> une nouvelle génération qui<br />

s’engage vraiment en souhaitant donner du sens. Peut-être même plus<br />

qu’avant (P2) ».<br />

Une enseignante explique que le sens est un aspect fondamental et qu’il est du<br />

<strong>de</strong>voir du formateur d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> jeunes à le construire : « (l’important) c’est pas<br />

qu’ils terminent et puis qu’ils aient bien réussi leur fo rmation, mais c’est<br />

qu’ils y trouvent du sens justement, donc l’engagement. Ce serait d’être avec<br />

ces étudiants en accompagnement, en enseignant à tout moment <strong>de</strong> la relation<br />

pédagogique pour <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à trouver du sens <strong>dans</strong> ce qu’ils font (T13) ». La<br />

formation est le lieu par excellence où l’on peut être « <strong>dans</strong> une dynamique <strong>de</strong><br />

requestionnement, d’avancée, <strong>de</strong> donner du sens (P2) », le lieu où la théorie et la<br />

pratique s’imbriquent pour se co-construire et générer un sens commun (T4). Mais la<br />

formation constitue également un moment privilégié <strong>dans</strong> la possibilité qu’elle offre<br />

d’apprendre aussi à donner du sens à ce qui n’en aurait pas <strong>de</strong> prime abord (E 15).<br />

En effet, «…toute tâche qu’une infirmière fait, elle a un sens donc déjà… si on<br />

met pas <strong>de</strong> sens déjà aux actes primaires… comment aller plus loin (P7)» ? Il<br />

y a une part personnelle à réaliser, qui est <strong>de</strong> soi-même donner du sens là où c’est<br />

possible (P2). Il s’agit certainement ici d’une arme privilégiée contre la routine :<br />

« avec <strong>de</strong>s personnes qui ont <strong>de</strong>s pathologies chroniques, où on ne voit pas<br />

348


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

d’amélioration, où c’est toujours la même chose, comment on donne du sens à<br />

tout ça ? Alors je n’ai pas trouvé grand-chose si ce n’était <strong>de</strong> valoriser le<br />

quotidien, <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> la valeur à <strong>de</strong>s choses qui pour cert ains n’en avaient<br />

pas… voilà comment redonner du sens au travail (T5) ».<br />

Si l’on sait que la « motivation se construit… suivant le sens qu’on donne<br />

au travail (P5) », la réflexion sur le sens <strong>de</strong>vient centrale face aux difficultés<br />

institutionnel<strong>les</strong> actuel<strong>les</strong>. Elle peut permettre <strong>de</strong> réfléchir sur <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong><br />

travail diffici<strong>les</strong> pour en découvrir un nouveau sens : «…ce qu’il faudrait c’est<br />

contenir cette pénibilité [comment je peux en venir à trouver <strong>les</strong> stratégies<br />

pour être intelligent malgré cette pénibilité et trouver <strong>de</strong>s trucs pour<br />

fonctionner et puis pour faire ça et ça]. Ouais, là ça prend du sens, quoi<br />

(T13) ». On trouve alors là un but qui permet <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le moteur motivationnel en<br />

éveil (E 14) et qui, au-<strong>de</strong>là, donne sens à l’existence elle-même (E 15).<br />

Au sein <strong>de</strong> la formation, le portfolio est nommé comme un outil intéressant<br />

pour ce cheminement (E2), <strong>dans</strong> la mesure où comprendre le rôle professionnel et le<br />

sens que l’on souhaite y donner est un processus qui prend du temps (T11, P5).<br />

Parfois même le sens émergera à posteriori, et c’est là que le portfolio s’avère<br />

intéressant, puisqu’il constitue un rappel du cheminement effectué auquel on peut<br />

toujours à nouveau se référer pour en prolonger la réflexion (P8).<br />

Au terme <strong>de</strong> cette analyse, la notion <strong>de</strong> sens apparaît comme capitale. C’est le<br />

sens qui permet un positionnement (basé sur <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong>) qui, à son tour, va se concrétiser sous une forme d’engagement.<br />

Une enseignante explique, en parlant d’une professionnelle ayant joué un grand rôle<br />

<strong>dans</strong> son propre engagement : « Elle ne s’est pas toujours fait aimer… parce que<br />

du moment que <strong>les</strong> choses avaient un sens, el<strong>les</strong> avaient une raison d’être,<br />

donc elle <strong>les</strong> faisait. Bien sûr en respectant quand même certaines règ<strong>les</strong> mai s<br />

<strong>de</strong>s directives qui n’avaient pas <strong>de</strong> sens, elle n’en tenait pas compte, elle allait<br />

en discuter pour dire que ça n’avait pas <strong>de</strong> sens et souvent elle arrivait à ses<br />

fins. Voilà moi ça m’a fait avancer <strong>dans</strong> ma profession énormément, c’était ses<br />

valeurs qu’elle mettait en avant… (T11) ».<br />

349


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Face aux difficultés actuel<strong>les</strong> du milieu du travail, sans doute est-t-il plus<br />

nécessaire que jamais <strong>de</strong> travailler sur ce positionnement orienté, afin <strong>de</strong> ne pas être<br />

comme « une marionnette » ballottée entre <strong>les</strong> logiques <strong>de</strong>s différents acteurs, mais<br />

perdant son propre idéal.<br />

Et nous conclurons avec cette réflexion très encourageante d’un enseignant qui<br />

fait remarquer, expérience faite : « la vie ou le travail, c’est quand il a perdu du<br />

sens que j’ai pu en saisir l’essence (T15) ».<br />

Peut-être que la crise que traverse actuellement le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

saura mettre en évi<strong>de</strong>nce toute la richesse <strong>de</strong> la profession et permettre d’en valoriser<br />

ce qui lui donne toute sa raison d’être.<br />

19.3.5 Les connaissances, <strong>de</strong>s ressources pour un engagement<br />

raisonné<br />

Trouver ce qui constitue la quintessence du métier <strong>de</strong>man<strong>de</strong> aussi d’y accor<strong>de</strong>r<br />

une attention particulière, <strong>de</strong> mener une réflexion à ce sujet, bref <strong>de</strong> sortir du seul<br />

registre <strong>de</strong> l’expérience pour s’ouvrir à un « champ <strong>de</strong> connaissances beaucoup,<br />

beaucoup plus large qu’une simple volonté <strong>de</strong> se tenir la main sur le chemin<br />

(T15) ». La réflexion engage un processus <strong>de</strong> conceptualisation sur la profession, en<br />

particulier sur <strong>de</strong>s aspects comme celui qui nous préoccupe ici : l’engagement. Cette<br />

réflexion, nourrie par <strong>de</strong>s connaissances soli<strong>de</strong>s, <strong>de</strong>s repères conceptualisab<strong>les</strong>, peut<br />

contribuer à valoriser la profession et à lui donner un nouvel élan. Elle ne saurait<br />

pourtant faire fi <strong>de</strong> l’expérience et <strong>de</strong> l’influence que celle-ci exerce également sur<br />

l’engagement. La conceptualisation permettra <strong>de</strong> penser cette expérience.<br />

Ainsi, une enseignante affirme que le manque d’engagement est aussi lié « au<br />

manque <strong>de</strong> valeur qu’on accor<strong>de</strong> à nos références d’infirmière… (T1) », alors<br />

que, pour une autre, « …si on développe pas <strong>les</strong> connaissances, on peut pas<br />

s’engager ou on s’engage jusqu’à un certain niveau (T13) ». Les connaissances<br />

sont à la fois un fon<strong>de</strong>ment et un moteur pour l’engagement, comme le remarque<br />

350


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

une étudiante (E21). Ensemble avec <strong>les</strong> valeurs, el<strong>les</strong> permettent <strong>de</strong> construire du<br />

sens <strong>dans</strong> l’activité.<br />

Sans <strong>les</strong> connaissances, le sens fait partiellement défaut, au moins <strong>dans</strong><br />

certaines situations (E5), et il s’ensuit une pénibilité accrue du travail (E18), parce que<br />

certains liens ne peuvent pas être faits qui ai<strong>de</strong>raient à une meilleure compréhension<br />

<strong>de</strong> la situation, par exemple (E18). Comme cette enseignante qui explique qu’elle a<br />

décidé <strong>de</strong> se former en éthique après avoir vécu une tentative <strong>de</strong> suici<strong>de</strong> d’une<br />

personne âgée, consécutive au manque <strong>de</strong> diplomatie <strong>de</strong> l’équipe soignante qui, en<br />

accord avec la famille, avait décidé <strong>de</strong> son placement en institution (T11).<br />

De son côté, la conduite actuelle <strong>de</strong>s institutions ne favorise pas ou peu la<br />

construction <strong>de</strong> connaissances, et tend à imposer une logique largement dominée par<br />

l’agir au détriment <strong>de</strong> la réflexion, ce que certains nommeront un « parasitage<br />

professionnel (T3) », en évoquant la suprématie accordée à la pratique. Les<br />

connaissances qui sont mises en avant <strong>dans</strong> <strong>les</strong> institutions, mais aussi <strong>de</strong> plus en<br />

plus <strong>dans</strong> <strong>les</strong> centres <strong>de</strong> formation, sont <strong>de</strong>s connaissances totalement orientées sur le<br />

versant pratique, se basant sur <strong>les</strong> preuves et mues par <strong>de</strong>s visées d’efficience et <strong>de</strong><br />

rentabilité (T3).<br />

Très nombreux sont <strong>les</strong> professionnels qui regrettent amèrement le peu <strong>de</strong><br />

budget et donc aussi d’importance accordée à la formation continue (P2, etc…<br />

affirmation soutenue par <strong>de</strong> nombreuses personnes parmi <strong>les</strong> praticiens et<br />

enseignants). Ils expliquent en quoi ces moments <strong>de</strong> formation sont importants pour<br />

eux, car ils constituent <strong>de</strong>s haltes extrêmement bienfaisantes <strong>dans</strong> le cycle<br />

ininterrompu du quotidien. La formation permet une décentration (E25), une prise<br />

<strong>de</strong> distance en s’appuyant sur <strong>de</strong>s réflexions plus généra<strong>les</strong>, <strong>de</strong> santé, <strong>de</strong> société (T3),<br />

mais elle ai<strong>de</strong> aussi <strong>les</strong> professionnels sur le plan <strong>de</strong> la verbalisation <strong>de</strong> leurs<br />

difficultés, à mettre <strong>de</strong>s mots sur leurs maux, à exprimer leurs difficultés pour<br />

pouvoir <strong>les</strong> relativiser et travailler <strong>de</strong>ssus. Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la démarche <strong>de</strong> connaissance,<br />

il y a également une fonction « thérapeutique ». La formation et <strong>les</strong> connaissances<br />

auxquel<strong>les</strong> elle donne accès sont importantes pour <strong>de</strong>ux raisons. D’une part, la<br />

formation ai<strong>de</strong> l’individu à prendre une distance nécessaire, à comprendre son<br />

351


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

propre fonctionnement pour pouvoir mieux comprendre l’Autre (T13), à<br />

recontextualiser sa réalité (T3) et à la rationaliser (E22, T13) pour l’observer <strong>de</strong><br />

manière un peu plus objectivable. D’autre part, la formation permet également d’agir<br />

sur le contexte lui-même, en favorisant le développement <strong>de</strong> projets avec une<br />

dynamique innovatrice (T7) et <strong>de</strong>s perspectives d’évolution (P3). Forts <strong>de</strong>s<br />

discussions et <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong> connaissances présentées, <strong>les</strong> professionnels se<br />

construisent <strong>de</strong>s outils et <strong>de</strong>s ressources qui pourront être mobilisées <strong>dans</strong> leur<br />

pratique (P7). Ils repartent ainsi remotivés et plein d’un élan nouveau qu’ils pourront<br />

ensuite réinjecter <strong>dans</strong> leur unité <strong>de</strong> <strong>soins</strong> (P2).<br />

S’il en est ainsi, c’est parce que <strong>les</strong> connaissances permettent <strong>de</strong> redonner du<br />

sens à ce qui, parfois, n’en a plus guère (E5), c'est-à-dire <strong>de</strong> redonner une direction<br />

pour savoir à quoi l’on s’engage et <strong>dans</strong> quelle direction cet engagement nous mène<br />

(E2).<br />

Face aux différentes directions qui s’offrent, il y a aussi <strong>de</strong>s choix à faire et <strong>de</strong>s<br />

ordres <strong>de</strong> priorité à établir. Or comment effectuer un choix éclairé et rationnel si <strong>de</strong>s<br />

connaissances essentiel<strong>les</strong> font défaut sur le sujet, qui permettraient justement d’en<br />

argumenter le bien-fondé ? Les connaissances ai<strong>de</strong>nt à sortir <strong>de</strong>s zones d’influence<br />

externes pour faire <strong>de</strong>s choix éclairés personnels, qui donneront sens à l’engagement<br />

par la suite (T13).<br />

En étant capable d’argumenter ses choix, la personne <strong>de</strong>vient en mesure <strong>de</strong> se<br />

positionner clairement (T13). Le rôle professionnel lui-même peut être influencé<br />

positivement (T13). L’argumentation conceptuelle offre à l’individu la possibilité <strong>de</strong><br />

s’affirmer, <strong>de</strong> se positionner face à son équipe, face aux mé<strong>de</strong>cins, <strong>de</strong> discuter <strong>les</strong><br />

décisions prises <strong>dans</strong> la situation du patient et au niveau institutionnel. Elle donne<br />

une assurance qui permet à ce positionnement <strong>de</strong> s’incarner <strong>dans</strong> une posture<br />

réellement professionnelle. Un enseignant fait d’ailleurs remarquer que « la<br />

compassion, vue sous un angle scientifique, ce serait une démarche <strong>de</strong><br />

positionnement <strong>de</strong> soi (T15) ». Les connaissances donnent à l’intéressé l’assurance<br />

nécessaire à l’incarnation <strong>de</strong> ce positionnement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations qu’il traverse<br />

(T13).<br />

352


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Dans le même temps, l’individu se voit valorisé <strong>dans</strong> cette prise <strong>de</strong> position<br />

argumentée qui lui permet <strong>de</strong> contribuer au changement (E1), aux améliorations, et<br />

« d’apporter <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> idées…(P3) ».<br />

Au lieu d’opposer <strong>les</strong> logiques <strong>de</strong> la pratique et <strong>de</strong> la théorie, comme cela tend à<br />

être fait <strong>dans</strong> certaines formations (T3), il serait intéressant <strong>de</strong> mesurer pleinement<br />

l’intérêt <strong>de</strong> la formation pour favoriser une culture générale permettant d’élargir <strong>les</strong><br />

idées, <strong>de</strong> présenter différentes approches sur un même sujet pour que l’individu<br />

puisse y trouver sa voie (T3). La formation propose un bagage qui accompagne le<br />

professionnel et, le jour venu, lui permet <strong>de</strong> puiser ce dont il a besoin pour répondre<br />

aux problématiques rencontrées (T3). Parce qu’elle s’incarne <strong>dans</strong> une dynamique <strong>de</strong><br />

remise en question et d’évolution, la formation constitue une arme appréciable contre<br />

la routine (P3) : «…au bout d’un moment je m’ennuie, donc le fait <strong>de</strong> me former,<br />

ça me permet <strong>de</strong> ne pas m’ennuyer <strong>dans</strong> mon poste tout en continuant <strong>de</strong> me<br />

passionner… J’ai besoin d’avoir quelque chose un peu toujours neuf… pour<br />

m’occuper l’esprit et me gar<strong>de</strong>r en éveil (P11) ». Par ce renouvellement <strong>de</strong> la<br />

perspective que le professionnel a sur son activité, <strong>les</strong> connaissances le protègent<br />

aussi efficacement contre le burnout et la perte <strong>de</strong> sens qui l’accompagne (T13) :<br />

« …plus on est au clair sur ce qui nourrit notre pratique, … sur ce qui forme<br />

le socle au fond sur lequel on s’appuie, moins on est en danger je dirais du<br />

burnout, du découragement et <strong>de</strong> la perte <strong>de</strong> sens (T1) ». Une enseignante<br />

spécialiste <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong> santé au travail fait d’ailleurs remarquer que le manque<br />

<strong>de</strong> connaissances sur <strong>les</strong> lois <strong>de</strong>s employeurs et <strong>les</strong> droits <strong>de</strong>s employés constitue un<br />

phénomène récurrent présent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> problématiques <strong>de</strong> souffrances au travail (T3).<br />

Et même une étudiante, au préalable ai<strong>de</strong>-soignante, affirme avoir été surprise <strong>de</strong><br />

constater à quel point <strong>les</strong> équipes « connaissent peu leurs droits (E22) ». Il n’y a<br />

alors rien d’étonnant à ce qu’el<strong>les</strong> ne soient pas en mesure <strong>de</strong> « défendre leurs<br />

droits (P1) ». Il y a donc, à côté <strong>de</strong> la dimension émancipatrice <strong>de</strong> la connaissance,<br />

également une fonction plus instrumentale mais tout aussi essentielle.<br />

En protégeant le soignant du burnout et <strong>de</strong> la démotivation, l’acquisition <strong>de</strong><br />

connaissances vient gui<strong>de</strong>r la pratique, la réflexion sur cette pratique et l’engagement<br />

353


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

qui se concrétise auprès <strong>de</strong>s patients (T1). Ici apparaît clairement l’importance d’une<br />

formation qui soit en adéquation avec la réalité.<br />

De façon générale, on peut dire que <strong>les</strong> connaissances sont un levier majeur vers<br />

l’émancipation d’une profession malgré <strong>les</strong> contraintes actuel<strong>les</strong>, justement parce<br />

qu’el<strong>les</strong> permettent <strong>de</strong> mieux comprendre le système <strong>dans</strong> lequel cette profession<br />

s’intègre : « … si <strong>les</strong> étudiants comprennent aussi au niveau socio -politique,<br />

économique, qu’est-ce qui se passe, on comprend mieux l’impact que ça a sur<br />

notre quotidien <strong>de</strong> soignants… (T 13) ». Et comprendre le contexte permet<br />

également <strong>de</strong> lui faire face, en développant <strong>les</strong> stratégies appropriées qui, peut-être,<br />

ne permettront pas <strong>de</strong> le modifier, mais le rendront plus facile à appréhen<strong>de</strong>r. Ainsi<br />

une enseignante explique qu’il faudrait travailler par exemple sur la pénibilité du<br />

travail infirmier en se posant la question du « comment je peux trouver <strong>les</strong><br />

stratégies pour être intelligent malgré cette pénibilité et trouver <strong>de</strong>s trucs<br />

pour fonctionner… (T13) ». Et au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces aspects purement techniques<br />

inhérents à cette métaphore <strong>de</strong> la machine, c’est le sens qui est à interroger <strong>dans</strong> ce<br />

fonctionnement.<br />

Il s’agit <strong>de</strong> redonner un sens à cette pratique et <strong>de</strong> sortir du dolorisme passif qui<br />

caractérise un peu la profession (T13), en agissant autrement qu’en se plaignant<br />

simplement <strong>de</strong> ce que « mon quotidien est pénible (T13) » ou en attendant <strong>de</strong><br />

faire l’objet <strong>de</strong> compassion ou <strong>de</strong> pitié (P4).<br />

Et si, comme nous l’avons mentionné au départ, <strong>les</strong> connaissances peuvent<br />

ai<strong>de</strong>r à mieux faire connaître <strong>les</strong> spécificités du travail infirmier, el<strong>les</strong> permettent<br />

aussi <strong>de</strong> le défendre (T1) et donnent, pour ce faire, <strong>de</strong>s armes uti<strong>les</strong> pour assurer sa<br />

sauvegar<strong>de</strong>. Sans armes, le combat serait ru<strong>de</strong>, voire voué à l’échec (P11). Une<br />

praticienne explique qu’elle souhaite poursuivre, après <strong>de</strong> nombreuses années <strong>de</strong><br />

pratique, sa formation infirmière vers un Master puis un Doctorat <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong><br />

défendre cette profession : « …le Master ouvre la voie <strong>de</strong> la recherche <strong>dans</strong> le<br />

domaine infirmier. Ça peut être utile pour améliorer le métier ou du moins<br />

pour essayer <strong>de</strong> freiner la dégradation du métier. C’est à nouveau une forme<br />

354


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

d’engagement pour essayer <strong>de</strong> sauver ce que je trouve beau <strong>dans</strong> ce métier -là<br />

(P11) ».<br />

Les connaissances sont donc bien un terreau fertile pour faire croître et soutenir<br />

l’engagement !<br />

19.3.6 Les limites <strong>de</strong> l’engagement<br />

Mener un combat exige <strong>de</strong> donner <strong>de</strong> sa personne. L’engagement en tant<br />

qu’investissement <strong>de</strong> sa personne, à quelque niveau que ce soit, peut, sous certaines<br />

conditions, <strong>de</strong>venir une véritable source <strong>de</strong> souffrance (T4). Il convient alors <strong>de</strong><br />

réfléchir aux limites <strong>de</strong> cet engagement, ainsi qu’aux conditions parfois précaires <strong>de</strong><br />

sa mise en œuvre.<br />

Si on évoque le contexte <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, on a tout <strong>de</strong> suite à l’esprit <strong>les</strong><br />

limites imposées par le contexte organisationnel. Certes, la dynamique d’équipe peut<br />

aussi être source <strong>de</strong> tensions importantes (E13), <strong>de</strong> même que la relation avec un<br />

patient peut générer <strong>de</strong>s craintes et <strong>de</strong>s angoisses très fortes (P2), mais <strong>les</strong> freins à<br />

l’engagement sont effectivement plus en lien avec une inadéquation entre la mission<br />

à remplir et <strong>les</strong> motivations et/ou capacités <strong>de</strong>s soignants. Les causes peuvent aussi<br />

émaner directement <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Il peut s’agir, par exemple, d’unités <strong>de</strong><br />

<strong>soins</strong> réservées à <strong>de</strong>s populations plus diffici<strong>les</strong> à gérer que d’autres (E14). Mais le<br />

plus souvent, ce qui est évoqué ici, c’est l’organisation du travail et <strong>les</strong> implications<br />

<strong>de</strong> celle-ci sur <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail réel<strong>les</strong> : dotation réduite en personnel,<br />

turnover important et instabilité <strong>de</strong>s équipes… (T4, P6), révélant « un malaise »<br />

certain (P7). Plusieurs professionnels nomment par exemple un écart entre leurs<br />

valeurs et cel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’institution ou du travail à accomplir, comme étant une source <strong>de</strong><br />

souffrance importante et une limite certaine à toute forme d’engagement (E26, P1,<br />

P4) : « …je suis partie <strong>de</strong> certains endroits parce qu’ il y avait <strong>de</strong>s choses avec<br />

<strong>les</strong>quel<strong>les</strong> je n’étais pas forcément en accord (P1) ».<br />

Ces conditions <strong>de</strong> travail induisent un certain nombre <strong>de</strong> malaises sur <strong>les</strong>quels<br />

nous allons revenir, mais contribuent à anéantir le plaisir que <strong>les</strong> soignants peuvent<br />

avoir à exercer leur art. Or, sans un minimum <strong>de</strong> plaisir, <strong>les</strong> professionnels sont<br />

355


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

catégoriques, il sera difficile <strong>de</strong> s’engager (E1, E14, E19, E26, T3, T4) : « … si on a<br />

pas <strong>de</strong> plaisir par rapport à l’institution pour laquelle on travaille, si on n’est<br />

pas en accord avec <strong>les</strong> pratiques <strong>de</strong> l’institution pour laquelle on travaille, ça<br />

c’est <strong>de</strong>s facteurs, je pense, qui vont faire que l’engagement, il sera moindre<br />

(E1) ». Pour que l’individu puisse s’épanouir et trouver du plaisir à son activité,<br />

celle-ci doit avoir un minimum <strong>de</strong> sens, comme nous l’avons déjà vu <strong>dans</strong> une<br />

section précé<strong>de</strong>nte (E2, E22, T3) : « …en fait si je me donne à fond <strong>dans</strong> un<br />

engagement euh, particulier, c’est vrai que si j’y vois pas <strong>de</strong> sens, ben je vais<br />

pas m’engager. Donc c’est vrai qu’il y a du sens, il y a aussi un intérêt<br />

personnel… (T3) ». Intimement liée au sens, <strong>de</strong> par la valeur que <strong>les</strong> tiers et tout<br />

particulièrement la hiérarchie donnent à l’activité, valeur contributive à l’élaboration<br />

du sens, l’absence <strong>de</strong> retours et <strong>de</strong> reconnaissance est également considérée comme<br />

un frein important à l’engagement (T3, P7, P10) : « … pour moi, oui, il y a <strong>de</strong>s<br />

limites à l’engagement, ça revient toujours à <strong>de</strong>s questions <strong>de</strong><br />

reconnaissance… (P7) ».<br />

Sur un plan plus personnel, il est vrai que <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, tout<br />

particulièrement la relation au patient <strong>dans</strong> sa position <strong>de</strong> vulnérabilité, laissent<br />

rarement indifférent. De par leur orientation déjà très encline à faire preuve<br />

d’empathie, nombreux sont <strong>les</strong> soignants à avoir osé nous avouer qu’ils dépassaient<br />

parfois largement le cadre professionnel <strong>dans</strong> la relation au patient ou en percevaient<br />

le danger imminent (E4, E2, E17, T5, P1, P4). Une étudiante souligne le fait que<br />

chaque soignant n’est pas touché <strong>de</strong> la même manière vis-à-vis <strong>de</strong>s mêmes situations<br />

<strong>de</strong> soin. Elle en déduit l’importance capitale <strong>de</strong> bien se connaître et <strong>de</strong> connaître ses<br />

limites, <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> soi pour éviter <strong>de</strong> s’exposer trop (E5). « Je suis moi-<br />

même tombée <strong>dans</strong> le panneau… je m’étais occupée d’un enfant qui était resté<br />

longtemps… je l’avais accompagné <strong>dans</strong> sa famille d’accueil et ben… j’avais<br />

plus envie <strong>de</strong> travailler après. Il était plus là, j’avais plus envie <strong>de</strong> travailler<br />

(T5) ».<br />

Une étudiante, auparavant ai<strong>de</strong>-soignante ayant travaillé plusieurs années en<br />

maisons <strong>de</strong> retraite, explique : « … j’étais capable <strong>de</strong> prendre <strong>les</strong> gens chez moi<br />

356


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

le soir, j’avais même plus envie <strong>de</strong> rentrer à la maison, quoi… (E14) ». La<br />

même personne reconnaît être restée auprès d’un patient toute une nuit, alors qu’elle<br />

n’était pas <strong>de</strong> service, mais pour pouvoir être là lors <strong>de</strong> son décès. C’est un<br />

engagement très fort, mais qui peut être préjudiciable pour la personne qui s’investit<br />

ainsi émotionnellement. Outre le fait que cet investissement peut être douloureux<br />

pour le soignant lui-même (E2, E19, T5), il peut également avoir <strong>de</strong>s répercussions<br />

négatives du point <strong>de</strong> vue du patient, la prise en charge n’étant plus directement<br />

professionnelle. Par exemple, le fait <strong>de</strong> ne pas pouvoir atteindre le but voulu avec un<br />

patient, guérison, sevrage, par exemple, peut être un facteur d’épuisement pour le<br />

soignant s’il ne place pas <strong>de</strong> limite à cette idée inconsciente <strong>de</strong> toute-puissance ou <strong>de</strong><br />

culpabilité (T9, P1). On peut d’ailleurs relever certaines remarques à l’effet qu’un sur-<br />

engagement <strong>de</strong> certains soignants n’est pas toujours bien vécu par leurs collègues,<br />

soulevant chez eux <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> culpabilité (E7) : « Quand tu te mets pas <strong>de</strong><br />

limites, t’en accor<strong>de</strong>s pas aux autres non plus (T9) », et l’impression d’un<br />

manque <strong>de</strong> confiance (P3), quand ce n’est pas le retard <strong>dans</strong> le reste <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (E13),<br />

ou bien encore l’agressivité <strong>de</strong>s soignants investis, qui est à gérer (E3).<br />

Ce sont parfois <strong>de</strong>s phénomènes psychologiques, souvent inconscients, qui<br />

conduisent <strong>les</strong> soignants à oublier la distance professionnelle. Il y a sans doute <strong>de</strong>s<br />

moments <strong>de</strong> projection, d’i<strong>de</strong>ntification, <strong>de</strong> rappels d’une histoire <strong>de</strong> vie qui ren<strong>de</strong>nt<br />

la distance difficile à gar<strong>de</strong>r (E2, E17, E19) : « …il y a aussi <strong>de</strong>s patients qui nous<br />

touchent plus que d’autres enfin… moi en home j’ai remarqué, il y avait une<br />

patiente, c’était presque un copier-coller <strong>de</strong> ma grand-maman et là, <strong>de</strong>s fois,<br />

enfin c’est pas que je confondais <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux, mais il y a quand même quelque<br />

chose… (E17) ».<br />

Cette empathie, assimilée parfois à <strong>de</strong> la projection, peut d’ailleurs conduire à<br />

dépasser son rôle sur le plan <strong>de</strong> l’activité (E2) et une professionnelle explique que,<br />

pour elle, une limite absolue à un engagement trop important serait d’avoir la<br />

tentation d’enfreindre la loi, par exemple en pratiquant l’euthanasie active pour<br />

soulager un patient (P11).<br />

Mais, parallèlement à l’engagement émotionnel, c’est aussi l’engagement<br />

temporel qui constitue une <strong>de</strong>s limites majeures évoquées par <strong>les</strong> personnes<br />

357


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

interrogées. En effet, pour bon nombre <strong>de</strong> ces personnes, l’investissement est parfois<br />

démesuré <strong>dans</strong> ce domaine. Le travail du soignant est comme un puits sans fond et il<br />

ne semble jamais complètement abouti. Pourtant, une journée n’a que vingt-quatre<br />

heures (E4) et le manque <strong>de</strong> temps est chronique (E5). Certains ne voient plus cette<br />

limite temporelle, comme l’évoque cette étudiante à propos <strong>de</strong> professionnels<br />

rencontrés en stage : « … j’ai l’impression que, <strong>de</strong>s fois, ils (<strong>les</strong> soignants)<br />

voyaient pas la limite…. Des fois, ils faisaient même quand ils avaient pas le<br />

temps et… puis plus ils faisaient ça et moins ils avaient le temps et plus ils<br />

avaient l’impression <strong>de</strong> pas pouvoir faire comme il faut… (E17) ». Lorsque<br />

l’investissement n’est pas présentiel, pour <strong>les</strong> cadres, il peut également se vivre <strong>de</strong><br />

manière plus discrète : « j’en connais <strong>de</strong>s gens qui même après le travail ils sont<br />

au travail, même chez eux. Donc tout ce qu’ils font est en rapport avec le<br />

travail. Des choses qu’ils pourraient faire au boulot, ben ils amènent à la<br />

maison une partie <strong>de</strong> leur travail… ou bien d es gens qui reviennent <strong>dans</strong> le<br />

service après dix-huit heures alors qu’ils ont fini le travail à seize heures<br />

(P3) ». Pour <strong>les</strong> personnes interrogées, cette problématique temporelle constitue une<br />

réelle limite à l’engagement, <strong>dans</strong> la mesure où elle investit la sphère <strong>de</strong>s limites<br />

physiques et psychiques <strong>de</strong> l’individu qui « se tue à la tâche (E18) ». Un trop<br />

grand investissement conduit, sur le long terme, à un épuisement <strong>de</strong>s ressources<br />

individuel<strong>les</strong> (P7) et « c’est l’organisme… à un moment donné qui dit stop<br />

(E3) ». En parlant d’une collègue, une praticienne explique : « … elle se donne à<br />

fond, elle s’écoute plus et elle suit plus et on sent que régulièrement elle a le<br />

dos qui bloque et ça veut bien dire qu’elle en a plein le dos, et en fait c’est son<br />

corps qui dit stop à sa place… (P11) ». Ces personnes « sont saturées,<br />

surmenées… (P3) » et s’épuisent (E19). Plusieurs expriment <strong>de</strong>s états <strong>de</strong> fatigue<br />

importants (E3) qui portent atteinte parfois à la santé (E2, E26, P4, P10) : « j’en avais<br />

marre, j’en pouvais plus… (E26) ». Le travail est déjà en soi lié au stress <strong>de</strong> par la<br />

responsabilité qui incombe à la tâche : « il y a <strong>de</strong>s limites parce qu’on travaille<br />

avec <strong>de</strong>s humains… (P7) ».<br />

Pour un certain nombre <strong>de</strong> personnes, il est délicat <strong>de</strong> savoir dire exactement où<br />

se situe la limite exacte à l’engagement (T9, E5), la juste-mesure (E19), le juste-milieu<br />

358


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

(E2, T4) entre un trop peu et un trop plein : « Je pense, comme tout soignant…<br />

j’aurais à un certain moment <strong>de</strong> la peine à déterminer la juste -limite, la juste-<br />

distance… (E19) ». Mais, même si l’on connaît cette limite, il peut être alors difficile<br />

d’agir en conséquence : « je pense qu’il faut savoir mettre <strong>de</strong>s limites, quoi,<br />

savoir ses limites (P9) ». Il faut par ailleurs aussi pouvoir <strong>les</strong> exprimer en osant<br />

dire « non » (T9, E4) : « comment arriver à dire non ?... enfin, ça dépend <strong>de</strong><br />

chacun, moi je sais que <strong>dans</strong> mon caractère je… je sais pas dire non (E9) ».<br />

La démarche est capitale si le soignant veut pouvoir préserver sa vie privée. Et,<br />

sur ce point, au moins dix <strong>de</strong>s personnes interrogées reconnaissent qu’il y a là une<br />

limite à l’engagement qui doit être observée avec beaucoup <strong>de</strong> vigilance : « … ils<br />

(<strong>les</strong> soignants) m’ont dit <strong>de</strong> me méfier, qu’il ne fallait pas que je sois tout le<br />

temps <strong>dans</strong> le travail, qu’il fallait créer une vie sociale et pis pas avoir que<br />

<strong>de</strong>s amis au travail mais aussi un milieu social à l’extérieur… (E26) ». On<br />

notera que ce sont surtout <strong>les</strong> étudiants qui sont conscients <strong>de</strong> cette difficulté, et ils<br />

sont nombreux (E1, E9, E14, E21, E22, E26, E25), ainsi que certains praticiens (P3, P5),<br />

l’ayant sans doute expérimentée, eux aussi.<br />

Ils sont donc plusieurs à souligner l’importance <strong>de</strong> leurs activités extérieures,<br />

ainsi que le soin <strong>de</strong> leur réseau social. Les enseignants, quant à eux, évoquent<br />

davantage la création <strong>de</strong> ressources métacognitives, fondées sur <strong>de</strong>s connaissances<br />

scientifiques permettant <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong> situations, tandis que <strong>les</strong><br />

praticiens favorisent <strong>de</strong>s ressources pouvant émerger <strong>de</strong> la pratique : fonction<br />

occupée, taux d’activité, soutien interne et externe, soin du réseau familial.<br />

Ce rapi<strong>de</strong> tour d’horizon nous permet <strong>de</strong> constater que <strong>les</strong> freins et limites à<br />

l’engagement sont multifactoriels <strong>dans</strong> un domaine aussi vaste que <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Mais<br />

sans doute la charge <strong>de</strong> travail reste-t-elle une <strong>de</strong>s limites <strong>les</strong> plus importantes.<br />

Surtout lorsqu’elle porte atteinte aux be<strong>soins</strong> essentiels <strong>de</strong>s soignants pour gérer <strong>les</strong><br />

situations diffici<strong>les</strong> qu’ils ne manquent pas <strong>de</strong> rencontrer, comme cette infirmière à<br />

domicile qui explique qu’il leur est maintenant parfois reproché <strong>de</strong> revenir au bureau<br />

quand el<strong>les</strong> ont dû faire face au décès d’un patient, <strong>les</strong> supérieurs estimant qu’el<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>vraient pouvoir continuer leur tournée, comme prévu (P11).<br />

359


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Et nous citerons cette infirmière qui explique que, lorsqu’elle travaillait à 100%,<br />

elle était épuisée, mais qu’à présent, avec un 50% comme taux d’activité, elle pouvait<br />

« respirer » (P9). Faut-il en conclure qu’un pourcentage supérieur est synonyme<br />

d’asphyxie ? On peut se poser la question, au vu <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> problèmes engendrés<br />

par le stress <strong>dans</strong> ce secteur professionnel, ces <strong>de</strong>rnières années plus particulièrement.<br />

19.3.7 L’engagement, élément fondateur <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle<br />

Réfléchir sur l’engagement infirmier impose un détour par le concept d’i<strong>de</strong>ntité,<br />

en tant que l’engagement professionnel affecte en profon<strong>de</strong>ur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle<br />

et professionnelle <strong>de</strong> l’individu.<br />

Si la motivation et l’intérêt sont <strong>de</strong>s témoins <strong>de</strong> l’engagement (E3), celui-ci<br />

s’inscrit à son tour <strong>dans</strong> un processus i<strong>de</strong>ntitaire précis. Pour certains, il paraît<br />

impensable <strong>de</strong> dissocier l’engagement <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité (E16), c’est un impératif qui<br />

distingue la profession infirmière d’autres professions (E13, E16). Dans cette<br />

profession particulière, il semble que l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle soit d’emblée liée à<br />

l’engagement, <strong>dans</strong> la mesure où « on donne <strong>de</strong> nous, <strong>de</strong> notre patience, <strong>de</strong> notre<br />

écoute (E13) ». Il s’agit d’une implication importante <strong>de</strong> la personne qui ne manque<br />

pas d’avoir <strong>de</strong>s répercussions i<strong>de</strong>ntitaires.<br />

Or, parce qu’elle est tellement spécifique et importante pour l’exercice <strong>de</strong> la<br />

profession, il est indispensable d’oser défendre cette i<strong>de</strong>ntité qui semble encore peu<br />

affirmée, à cheval entre, d’un côté, <strong>de</strong>s positions inférieures d’ai<strong>de</strong>s-soignants et <strong>de</strong>s<br />

ASSC (assistants en <strong>soins</strong> et santé communautaire) et, <strong>de</strong> l’autre côté, le corps<br />

médical : «… j’ai l’impression <strong>de</strong>s fois qu’on est pas une profession à part<br />

entière. C’est vrai qu’on est au -<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s ASSC, au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins et<br />

puis c’est vraiment un entre-<strong>de</strong>ux qui répond aux attentes <strong>de</strong>s uns et <strong>de</strong>s<br />

autres, mais après voilà… (E1) ». Il est nécessaire d’oser affirmer <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la<br />

profession et « d’apprendre à se positionner, aussi à dire non à certaines<br />

pratiques, certaines <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s (P7) ». Cette démarche est d’autant plus<br />

360


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

importante que la création <strong>de</strong> ces nouveaux profils, comme <strong>les</strong> assistants en <strong>soins</strong> et<br />

santé communautaires (ASSC) et plus récemment <strong>les</strong> infirmières <strong>de</strong> niveau « école<br />

secondaire », est sans doute aussi en lien avec la crise et <strong>les</strong> mesures d’économie<br />

nécessaires ; en effet « l’histoire nous montre que l’on a tout le temps créé <strong>de</strong>s<br />

professions subalternes et c’est toujours la réponse à la pénurie, et c’est<br />

toujours la réponse au rationnement, heu, quand <strong>les</strong> coûts <strong>de</strong>viennent trop<br />

chers… (T12) ».<br />

Et force est <strong>de</strong> constater que l’affirmation <strong>de</strong> soi n’est pas la qualité première<br />

<strong>de</strong>s infirmières. Encore très marquées par un important complexe d’infériorité<br />

associé par exemple à leurs craintes face à une éventuelle dévaluation <strong>de</strong> leur<br />

diplôme (T4), <strong>les</strong> infirmières sont souvent aux prises avec <strong>de</strong>s états d’anxiété qui ne<br />

favorisent pas leur dynamisme au positionnement. Plusieurs personnes n’hésitent<br />

pas à évoquer le sentiment <strong>de</strong> victimisation qui se dégage <strong>de</strong> certains comportements<br />

(T4). Ainsi cet étudiant affirme : « j’ai l’impression que <strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong>-infirmières<br />

sont pas mal…euh…, se victimisent <strong>de</strong>s fois pas mal… (E18) » et une<br />

enseignante renchérit en rappelant <strong>de</strong> façon assez crue <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> caractères <strong>de</strong><br />

l’infirmière : « on souffre, on se flagelle. On subit ce nouveau milieu, on dit<br />

rien, on tombe en burnout, voilà, puis on va encore bosser parce que on a pas<br />

encore assez donné. Je sais pas pourquoi on entretient aussi ça… (T3) ». Une<br />

autre enseignante considère que la victimisation n’est autre qu’une « fausse<br />

humilité… parce qu’el<strong>les</strong> se sentent très méritantes et puis pas<br />

reconnues…(T4) ». Cette humilité serait alors une recherche plus ou moins explicite<br />

<strong>de</strong> reconnaissance (T4). Les moyens qui seraient potentiellement <strong>de</strong>s ai<strong>de</strong>s à ces<br />

prises <strong>de</strong> position sont peu utilisés ou, quand ils le sont, « pas forcément <strong>de</strong> la<br />

bonne manière (P5) ». Parmi <strong>les</strong> personnes interrogées, seu<strong>les</strong> quatre personnes sur<br />

<strong>les</strong> quarante-quatre sont affiliées à l’Association Suisse <strong>de</strong>s Infirmières (ASI), dont un<br />

but est aussi <strong>de</strong> défendre l’i<strong>de</strong>ntité infirmière (T3). Il en va <strong>de</strong> même pour l’Ordre<br />

Infirmier dont peu voient un intérêt à ce qu’il soit constitué en Suisse. Une<br />

enseignante, très fortement engagée par ailleurs à l’ASI, trouverait très positif la<br />

création <strong>de</strong> cet Ordre Infirmier, pour autant qu’il joue vraiment son rôle <strong>de</strong><br />

promoteur <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité infirmière, comme au Canada ou aux Etats-Unis (T7). On<br />

361


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

sent parfois une forme <strong>de</strong> défaitisme <strong>de</strong>vant une réalité que l’on considère comme<br />

difficile, voire impossible à changer, et <strong>les</strong> jeunes ne sont pas épargnés par cette<br />

tendance (P10). Les forces s’évanouissent alors face à un combat qui paraît perdu<br />

d’avance (T12), tandis qu’il faudrait renforcer le lobbying infirmier et « montrer à<br />

quel point on (<strong>les</strong> infirmières) est pas remplaçab<strong>les</strong> (T12) ».<br />

Mais il est difficile <strong>de</strong> jeter la pierre aux infirmières <strong>dans</strong> leur manque <strong>de</strong><br />

positionnement si l’on pense à la pénibilité <strong>de</strong> leur tâche et à la fatigue chronique qui<br />

touche cel<strong>les</strong> qui exercent à un fort pourcentage (T4). Les réflexions sur le sens et<br />

l’engagement nous avaient conduite à souligner que la perte <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> l’activité<br />

constituait une atteinte et une mise en danger <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle (P2). Or ce<br />

sens est aussi <strong>de</strong> plus en plus mis à mal selon <strong>les</strong> contextes <strong>de</strong> travail et <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

gestion utilisés : «El<strong>les</strong> peuvent plus donner du sens à ce qu’il leur est <strong>de</strong>mandé<br />

<strong>de</strong> faire. En fait, <strong>dans</strong> le sens qu’il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire, il y a une perte<br />

<strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité professionnelle à laquelle el<strong>les</strong> croyaient et qu’el<strong>les</strong><br />

souhaitaient, el<strong>les</strong>, pour el<strong>les</strong> (P2) ». La coupe drastique <strong>dans</strong> le temps que<br />

l’infirmière peut accor<strong>de</strong>r à la relation au patient (P10, P11), <strong>de</strong> même que la revue à<br />

la baisse <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, constituent <strong>de</strong>s atteintes indéniab<strong>les</strong> au sens même<br />

<strong>de</strong> son activité (P11). Ne pouvant plus se reconnaître <strong>dans</strong> sa conception du soin, son<br />

i<strong>de</strong>ntité professionnelle s’en voit affectée.<br />

De fait, l’affirmation i<strong>de</strong>ntitaire se vit différemment d’une institution à une<br />

autre, d’un contexte <strong>de</strong> soin à un autre (E15). Les infirmières <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> à domicile par<br />

exemple, contexte qui leur permet <strong>de</strong> conserver une marge d’autonomie un peu plus<br />

importante pour le moment encore, se sentent moins lésées et moins affectées <strong>dans</strong><br />

leur i<strong>de</strong>ntité (P9).<br />

Mais le malaise est là et un étudiant clame haut et fort : « c’est à nous <strong>de</strong><br />

changer <strong>les</strong> choses (E18) », en appelant ainsi à la responsabilité <strong>de</strong> chaque soignant.<br />

Cela suppose néanmoins que tous soient acquis à la même cause et puissent œuvrer<br />

<strong>dans</strong> le même sens, en se faisant confiance. Ainsi, une enseignante déplore la<br />

tendance très fréquente <strong>de</strong>s soignants à dénigrer leurs propres compétences, en<br />

sollicitant par exemple <strong>de</strong>s professionnels issus d’autres domaines comme conseillers<br />

ou même comme ascendants hiérarchiques (T4). La formation joue ici un rôle capital<br />

362


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>de</strong> mise en œuvre et promotion d’une i<strong>de</strong>ntité commune. Cela concerne bien entendu<br />

la formation <strong>de</strong> base (T5, P10), mais également la formation continue <strong>de</strong> ceux qui<br />

sont déjà acteurs sur le terrain. En effet, si l’i<strong>de</strong>ntité s’incarne <strong>dans</strong> une pratique, au<br />

contact avec la réalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P10), il y a un travail <strong>de</strong> rafraîchissement à faire<br />

auprès <strong>de</strong>s professionnels, en leur donnant <strong>de</strong> nouveaux outils ou en <strong>les</strong> stimulant à<br />

nouveau : « … il y aurait un travail à faire sur qu’est -ce que c’est qu’être<br />

infirmière et puis apprendre comment on défend ça en groupe, aussi<br />

politiquement pour défendre <strong>les</strong> droits et la profession… (E16) ». Il s’agit <strong>de</strong><br />

montrer aux étudiants l’intérêt <strong>de</strong> faire partie <strong>de</strong>s associations professionnel<strong>les</strong>, <strong>de</strong><br />

prendre part aux débats et discussions sur <strong>les</strong> politiques sanitaires (T12). Une<br />

praticienne affirme vouloir poursuivre ses étu<strong>de</strong>s en Master puis en Doctorat <strong>dans</strong> la<br />

discipline infirmière nouvellement créée à l’université en Suisse roman<strong>de</strong>, afin<br />

justement <strong>de</strong> pouvoir promouvoir cette i<strong>de</strong>ntité infirmière (P11).<br />

La partie n’est pas gagnée d’avance, car <strong>de</strong>s représentations soli<strong>de</strong>ment ancrées<br />

habitent la profession <strong>de</strong>puis plusieurs sièc<strong>les</strong> maintenant. Nombreuses sont <strong>les</strong><br />

personnes interrogées à avoir soulevé cette problématique <strong>de</strong>s représentations<br />

tenaces et <strong>de</strong> leur impact sur l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle actuelle : « …en choisissant<br />

ce métier-là, y a une partie qui reste, c’est un peu quand même… une espèce<br />

<strong>de</strong> don <strong>de</strong> soi… (E9) ». Le discours est ambigu car, rappelons-le, c’est ce que<br />

plusieurs personnes évoquaient au départ comme motivation à l’exercice <strong>de</strong> la<br />

profession : « …c’est vrai que nous soignants, enfin <strong>les</strong> comptab<strong>les</strong> ils donnent<br />

pas <strong>de</strong> leur « corps », alors que, nous, on donne <strong>de</strong> nous… (E13) ».<br />

L’infirmière conserve encore souvent <strong>les</strong> caractéristiques attribuées autrefois<br />

aux sœurs <strong>de</strong> charité qui exerçaient ce métier (T5, P4) : «… par rapport au rôle <strong>de</strong><br />

l’infirmière, on voit encore la personne qui tient la main du patient qu’est<br />

très… religieuse… qu’on fait ça parce que c’est une vocation (E18) » . Cette<br />

image est encore récente si l’on en croit une enseignante qui explique que, lorsqu’elle<br />

a fait ses étu<strong>de</strong>s <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années quatre-vingt, elle <strong>de</strong>vait encore placer un petit<br />

bonnet sur son chignon comme au début du siècle, alors insigne très clair <strong>de</strong><br />

soumission au mé<strong>de</strong>cin. Le port du tablier, l’internat obligatoire, autant <strong>de</strong> conditions<br />

qui évoquaient clairement la dévotion absolue attendue <strong>de</strong> l’infirmière, il y a peu <strong>de</strong><br />

363


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

temps encore (T3). Et aujourd’hui, on considère toujours ses qualités <strong>de</strong> femme<br />

dévouée : « L’infirmière, <strong>les</strong> gens ils la trouvent toujours très… toujours très<br />

méritante… gentille (T4) ». Mais « c’est pas parce qu’on est bien gentil avec<br />

quelqu’un qu’on est une bonne infirmière (T13) ». Et, par ailleurs, la gentil<strong>les</strong>se,<br />

si elle est toujours appréciable, ne saurait constituer l’unique fon<strong>de</strong>ment d’une<br />

profession aussi complexe que <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Un travail <strong>de</strong> mise en valeur est à<br />

faire auprès du grand public car « <strong>les</strong> gens, ils ne réalisent pas bien ce que font<br />

<strong>les</strong> infirmières (E15) ».<br />

Il convient donc <strong>de</strong> se positionner pour affirmer clairement quels sont justement<br />

<strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> cette profession : « Il faut qu’on se batte… et qu’on affiche<br />

clairement que le cœur du métier c’est nous… (T5) ». Ce positionnement<br />

s’apparente à une lutte, si l’on en croit la présence importante d’un vocabulaire lié<br />

spécifiquement aux conflits : ainsi le vocable « combat » apparaît cinq fois <strong>dans</strong> cette<br />

partie <strong>de</strong> l’analyse, avec également le terme « défense » qui est employé <strong>de</strong>ux fois (E1,<br />

E21…).<br />

Face à ces représentations tenaces et à la réminiscence d’une i<strong>de</strong>ntité peu<br />

valorisante, il importe <strong>de</strong> distinguer et promouvoir le savoir-faire, mais<br />

« déconnecté… d’une aura d’i<strong>de</strong>ntité un peu… bonne sœur, infirmière (T3) ».<br />

Il en va <strong>de</strong> la profession elle-même qui doit pouvoir se faire reconnaître à sa<br />

juste valeur et montrer sa spécificité, en particulier en regard <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong><br />

professions comme celle d’ASSC, dont <strong>les</strong> activités se rapprochent beaucoup <strong>de</strong> cel<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>s infirmières et qui pourraient constituer une menace pour ces <strong>de</strong>rnières (T1). La<br />

distinction ne semble d’ailleurs pas très claire pour certains étudiants (E7).<br />

Mais il en va aussi d’une reconnaissance par <strong>les</strong> autres disciplines. En effet, <strong>les</strong><br />

<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> portent encore <strong>les</strong> traces <strong>de</strong> nombreuses années <strong>de</strong> soumission à la<br />

mé<strong>de</strong>cine (E1). Contrairement aux sages-femmes par exemple, <strong>les</strong> infirmières sont<br />

encore très peu affirmées (T4) : « on ose pas se valoriser (T4) ». Les <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> empruntent souvent à d’autres disciplines face auxquel<strong>les</strong> ils ont parfois<br />

<strong>de</strong> la peine à faire valoir leur propre savoir (T4), ou maintiennent volontairement <strong>de</strong>s<br />

liens <strong>de</strong> subordination (T15) : « C’est un danger <strong>de</strong> substituer <strong>de</strong>s outils ex tra-<br />

disciplinaires, psychothérapie… et <strong>de</strong> penser que l’outil extra -disciplinaire est<br />

364


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

le même quand il est utilisé <strong>dans</strong> notre raisonnement et notre jugement. C’est<br />

comme si, au niveau <strong>de</strong>s champs disciplinaires, il y avait maintien <strong>de</strong> cette<br />

subordination <strong>de</strong> notre discipline à d’autres (T15) ». Une praticienne s’insurge,<br />

par exemple, <strong>de</strong> ce que l’on a choisi le terme <strong>de</strong> « diagnostic infirmier » pour décrire<br />

l’élément clé <strong>de</strong> la démarche clinique infirmière. Ce terme diagnostic étant très<br />

clairement affilié à la mé<strong>de</strong>cine (P4). La proximité entre la discipline infirmière et<br />

d’autres disciplines proches rend la délimitation difficile : « il y a d’autres corps <strong>de</strong><br />

métier qui gravitent autour <strong>de</strong> nous, comme <strong>les</strong> psychologues et pis parfois <strong>les</strong><br />

psychologues, leurs entretiens, <strong>les</strong> entretiens <strong>infirmiers</strong>, la frontière reste très<br />

mince donc… on doit aussi se construire notre i<strong>de</strong>ntité à ce niveau -là (P8) ».<br />

Face à ces réalités, il s’agit donc <strong>de</strong> favoriser un engagement ayant pour objectif <strong>de</strong><br />

faire ressortir l’essence <strong>de</strong> la discipline infirmière (T15). Il s’ensuit qu’un certain<br />

nombre d’<strong>infirmiers</strong> et infirmières ont pris cette responsabilité à cœur et mettent tous<br />

leurs efforts à développer et faire valoir le savoir propre à la discipline (T15).<br />

Qualifiés parfois <strong>de</strong> « puristes », ils s’opposent alors avec véhémence à tout contact et<br />

toute interférence avec d’autres disciplines (T3). Cette attitu<strong>de</strong> créé un clivage, au<br />

sein du corps enseignant en particulier, car beaucoup considèrent que <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> ne peuvent se passer <strong>de</strong>s disciplines connexes : « … je suis en porte-à-<br />

faux avec ceux qui sont vraiment rigoureux aux sciences infirmières (T13) ».<br />

Face aux tribulations que traverse actuellement la profession, il y a <strong>de</strong>s enjeux<br />

très importants à cet engagement pour l’i<strong>de</strong>ntité infirmière (T7). Nombreux sont en<br />

effet <strong>les</strong> professionnels qui quittent la profession (Estryn-Béhar, 2006 ; Jaccard Ruedin<br />

et al., 2009 ; Jaccard Ruedin & Weaver, 2009). L’une <strong>de</strong>s personnes interrogées<br />

n’hésite d’ailleurs pas à avouer qu’elle ne choisirait plus la profession aujourd’hui.<br />

Elle affirme que <strong>les</strong> professionnels qui ont eu, comme elle, ce raisonnement sur leur<br />

activité ont également quitté le métier : « … sachant ce que je sais aujourd’hui, je<br />

ferais autre chose… (T13) ». La question reste <strong>de</strong> savoir quelle motivation peut<br />

transmettre un enseignant ou une enseignante à <strong>de</strong>s futurs soignants lorsqu’ils<br />

nourrissent, en eux-mêmes, ces pensées à l’égard <strong>de</strong> la profession.<br />

365


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Pour ces professionnels, un changement et un attrait nouveau peuvent voir le<br />

jour <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> pour autant que le rôle propre soit mieux défini et<br />

permettent <strong>de</strong> construire du sens (T13). L’i<strong>de</strong>ntité passe, certes, par le savoir-faire et<br />

<strong>les</strong> compétences (T3) et il est indispensable <strong>de</strong> justifier ce travail infirmier (E1), <strong>de</strong> le<br />

légitimer pour être reconnu comme professionnel : « Si on est crédible, si on a <strong>de</strong>s<br />

arguments, si on peut expliquer au mé<strong>de</strong>cin, pourquoi on a fait ça, ce qu’on a<br />

observé et tout… on se met en professionnel… (P10) ». Les modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />

développés durant ces <strong>de</strong>rnières décennies sont un atout considérable, car ils<br />

« mettent vraiment <strong>les</strong> vrais mots sur ce que fait l’infirmière, et montrent à<br />

quel point l’infirmière est indispensable… cela permet <strong>de</strong> montrer que, si on<br />

enlève <strong>de</strong>s infirmières bien formées, ben que le système il périclite ou que ça<br />

coûte encore beaucoup plus cher au système <strong>de</strong> santé… (T12) ». C’est tout<br />

particulièrement <strong>dans</strong> l’engagement au niveau du rôle propre que ce savoir<br />

relativement récent prend toute son envergure et permet <strong>de</strong> <strong>de</strong>ssiner le contour<br />

d’une i<strong>de</strong>ntité plus affirmée. Il s’agit <strong>de</strong> ne pas se confiner <strong>dans</strong> le rôle prescrit (E11),<br />

selon le stéréotype <strong>de</strong> l’infirmière « qui fait <strong>les</strong> piqûres », même si ce rôle est <strong>de</strong> plus<br />

en plus favorisé (E12) au détriment d’un rôle propre qu’il tend à absorber (E25) parce<br />

que moins visible : « on est quand même <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s structures où le rôle<br />

autonome <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus maigre si on veut bien, par manque <strong>de</strong><br />

temps…(P10) ». Favoriser le rôle autonome, c’est permettre à la créativité et à<br />

l’engagement du jeune professionnel motivé <strong>de</strong> trouver sa place, au lieu <strong>de</strong> tomber<br />

<strong>dans</strong> une acculturation résignée (T10).<br />

À cette question d’une étudiante : « Est-ce que l’i<strong>de</strong>ntité infirmière elle peut<br />

quand même s’affirmer sans le rôle autonome, parce que l’ engagement, il est<br />

quand même souvent lié au rôle autonome ? (E13) », nous répondrons donc,<br />

après ces considérations, que l’enjeu rési<strong>de</strong> réellement <strong>dans</strong> la valorisation <strong>de</strong> ce rôle<br />

(P4) <strong>dans</strong> lequel l’engagement trouve à la fois sa source vivifiante et sa pleine<br />

expression. Les professionnels ont ensuite à apprécier leur discipline pour savoir la<br />

mettre en valeur « Il faut ensuite être capable soi -même <strong>de</strong> se valoriser à<br />

travers ça aussi, <strong>de</strong> le reconnaître et pas d’attendre forcément que la<br />

366


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

valorisation vienne <strong>de</strong>s autres (T4) ». Ce sont aux infirmières <strong>de</strong> croire en leurs<br />

compétences et <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire reconnaître à leur juste valeur (P5).<br />

19.3.8 La dynamique d’équipe, élément contributif à<br />

l’engagement<br />

L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle se construit au sein du groupe qui exerce la même<br />

profession et la dynamique d’équipe joue un rôle important <strong>dans</strong> la manière dont <strong>les</strong><br />

membres <strong>de</strong> l’équipe vont venir habiter, voire faire évoluer cette i<strong>de</strong>ntité. Cette<br />

constellation d’individus qui constitue l’équipe a déjà son impact direct au niveau <strong>de</strong><br />

l’engagement professionnel. Les soignants, en particulier ceux qui travaillent à plein<br />

temps, passent une bonne partie <strong>de</strong> leur quotidien aux côtés <strong>de</strong> leurs collègues (T4),<br />

travaillant parfois douze heures d’affilée aux côtés <strong>de</strong> mêmes personnes, <strong>de</strong> jour<br />

comme <strong>de</strong> nuit (P2). Hormis quelques exceptions comme <strong>les</strong> infirmières scolaires ou<br />

infirmières en entreprise, par exemple, le métier <strong>de</strong> soignant ne s’exerce pas en solo<br />

mais au sein d’une équipe. Qui plus est, ces personnes vivent ensemble <strong>de</strong>s situations<br />

émotionnellement très chargées qu’il est difficile d’appréhen<strong>de</strong>r réellement lorsque<br />

l’on est étranger à cette profession : <strong>de</strong>s moments joyeux, mais surtout <strong>de</strong>s moments<br />

aussi très éprouvants <strong>de</strong> confrontation aux phases et situations <strong>les</strong> plus extrêmes <strong>de</strong><br />

l’existence. L’équipe est un moteur d’engagement précieux, « une sacrée force<br />

parce que <strong>dans</strong> ces choses diffici<strong>les</strong> à vivre <strong>de</strong> pouvoir partager, échanger, tout<br />

le mon<strong>de</strong> ne peut pas comprendre à l’extérieur non plus ce qu’on est en train<br />

<strong>de</strong> vivre…(T4) ». Le soutien <strong>de</strong>s collègues est d’autant plus important lorsque le<br />

soignant est lui-même atteint <strong>dans</strong> son intégrité physique ou mentale. On relèvera<br />

l’exemple donné par un praticien évoquant avec émotion un inci<strong>de</strong>nt récent survenu<br />

sur un service psychiatrique lorsque son collègue était <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>. Une patiente avait<br />

manqué d’étrangler son collègue <strong>dans</strong> un accès <strong>de</strong> folie, si celui-ci n’avait été secouru<br />

par un autre patient alerté par le bruit (P8). Au travers <strong>de</strong> cette solidarité orientée<br />

vers un même but, c’est le sens <strong>de</strong> l’activité qui est rendu possible, un sens à son tour<br />

perceptible pour le patient et bénéfique pour lui (P1).<br />

367


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Et, parce que l’équipe a un rôle tellement essentiel <strong>dans</strong> la manière dont va se<br />

dérouler l’exercice professionnel, l’engagement au sein <strong>de</strong> cette équipe en est<br />

d’autant plus important aussi. « … L’engagement <strong>dans</strong> l’équipe… est important<br />

pour soi, pour l’équipe, pour la personne et pour le patient (E1) », il revêt un<br />

caractère quasi déontologique <strong>dans</strong> la mesure où il est « une forme d’engagement<br />

vis-à-vis <strong>de</strong>s collègues (P6) ». Il s’agit d’une forme d’engagement mutuel tacite,<br />

constitutif <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité collective, dont <strong>les</strong> soignants perçoivent bien l’intérêt et la<br />

raison d’être. Il existe cependant <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> figure où la dynamique d’équipe est telle<br />

qu’elle ne favorise pas l’engagement (E1), lorsqu’il y a par exemple <strong>de</strong>s tensions ou<br />

<strong>de</strong>s conflits (E3, E2), tandis qu’une dynamique positive d’entrai<strong>de</strong> a <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces<br />

très positives sur l’engagement personnel (E3, E26). On relèvera par exemple cette<br />

remarque d’une étudiante qui réalise, lorsque nous lui posons cette question <strong>de</strong><br />

l’importance <strong>de</strong> l’équipe <strong>dans</strong> son propre engagement, que celle-ci a joué un rôle<br />

finalement crucial, avec <strong>de</strong>s conséquences sur son choix professionnel définitif : « …<br />

Tiens c’est maintenant (en référence à une expérience au sein d’une équipe<br />

très engagée) que j’y pense, ouais ! Que je me suis dit, ouais je continue pour<br />

être aussi infirmière ou ambulancière… (E3) ».<br />

Malheureusement, en fonction <strong>de</strong> certains facteurs, l’équipe n’a pas toujours<br />

une inci<strong>de</strong>nce positive et certains soignants peuvent en pâtir. Certaines équipes sont<br />

plus préoccupées par leur propre dynamique que par <strong>les</strong> <strong>soins</strong> (T4). D’autres<br />

réussissent à entraîner <strong>les</strong> étudiants ou <strong>les</strong> autres professionnels <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s conflits et<br />

clivages qui constituent un frein indéniable à leur engagement (P1). Enfin, certaines<br />

équipes se montrent très soudées et peu avenantes vis-à-vis <strong>de</strong>s « nouveaux », en<br />

particulier <strong>de</strong>s tout-jeunes soignants : el<strong>les</strong> ont la fâcheuse tendance à ne relever que<br />

<strong>les</strong> points négatifs (T4) et suscitent plutôt la démotivation et la perte <strong>de</strong> confiance en<br />

soi : « …quand vous avez toute une équipe qui vous dit que vous êtes nul et<br />

que tout est votre faute, ben on finit par y croire (P11) ».<br />

De fait le bon fonctionnement d’une équipe est loin d’être une évi<strong>de</strong>nce.<br />

« Beaucoup ont peur du travail d’équipe parce qu’ils ont peur d’être mis sous<br />

une chape <strong>de</strong> plomb (T9) ». Le regroupement <strong>de</strong> personnalités différentes constitue<br />

un défi important. Une équipe renferme par exemple <strong>de</strong>s personnes avec <strong>de</strong>s niveaux<br />

368


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

d’engagement différents, ce qui peut constituer une source <strong>de</strong> tension. Face à un<br />

grand nombre <strong>de</strong> personnes peu motivées, un soignant plein d’énergie finit par se<br />

décourager (E7) ; mais, <strong>de</strong> la même manière, <strong>de</strong>s personnes très engagées peuvent<br />

également <strong>de</strong>venir source d’épuisement pour <strong>de</strong>s collègues qui ne parviennent pas à<br />

« suivre leur rythme » (E7). Sans doute ces <strong>de</strong>rniers ressentent-ils <strong>les</strong> attentes<br />

implicites à leur égard : « Quand tu te mets pas <strong>de</strong> limites, t’en acc or<strong>de</strong>s pas<br />

aux autres non plus (T9) ». Qui plus est, <strong>les</strong> personnes très engagées sont, cela va<br />

<strong>de</strong> soi, généralement davantage appréciées <strong>de</strong>s patients auxquels el<strong>les</strong> accor<strong>de</strong>nt très<br />

souvent une plus gran<strong>de</strong> disponibilité et <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> plus intensifs. Ces différences ne<br />

manquent pas d’être verbalisées par <strong>les</strong> patients qui expriment leur gratitu<strong>de</strong> par <strong>de</strong>s<br />

courriers, <strong>de</strong>s ca<strong>de</strong>aux, créant ainsi <strong>de</strong>s jalousies au sein même <strong>de</strong> l’équipe (T4, E26,<br />

T9). Enfin, l’engagement plus important <strong>de</strong> certains, surtout s’il se concrétise sous la<br />

forme d’une présence accrue <strong>dans</strong> le service, renvoie à l’équipe un sentiment<br />

d’incompétence : «… (il y a) <strong>de</strong>s gens qui reviennent <strong>dans</strong> le service après dix -<br />

huit heures, alors qu’ils ont fini le travail à seize heures… (P3) », « …c’est<br />

<strong>de</strong>s gens saturés, surmenés… on perçoit comme <strong>de</strong> l’interférence et un<br />

manque <strong>de</strong> confiance <strong>dans</strong> l’équipe… (P3) ».<br />

À ces problèmes <strong>de</strong> personnalités et <strong>de</strong> dynamique <strong>de</strong> groupe, qui peuvent<br />

influer négativement sur l’engagement <strong>dans</strong> l’équipe, s’ajoutent <strong>de</strong>s difficultés liées<br />

au mon<strong>de</strong> économique actuel (T11) qui, <strong>de</strong> par <strong>les</strong> restrictions budgétaires imposées<br />

aux institutions, mettent <strong>les</strong> équipes à ru<strong>de</strong> épreuve en réduisant drastiquement <strong>les</strong><br />

dotations en personnel, générant un épuisement <strong>de</strong> plus en plus important. Les<br />

individus arrivent à leurs propres limites et, même si leur bonne volonté est toujours<br />

là, la fatigue ne manque pas d’avoir <strong>de</strong>s répercussions sur le travail en commun :<br />

« … ma collègue a <strong>de</strong> la chance <strong>de</strong> partir en vacances mais elle était aussi au<br />

bout du rouleau, agressive heu… on arrive plus à faire la part <strong>de</strong>s choses non<br />

plus, le moindre truc on pète (P7) ». Et une enseignante exprime son souci face<br />

au constat suivant : «… entre professionnels… la tension est montée,<br />

<strong>les</strong> difficultés sont grandissantes, il y a <strong>de</strong>s gens qui sont en compétition, <strong>de</strong>s<br />

jalousies… (T11) ». Les tiraillements sont aggravés encore par la pratique <strong>de</strong>venue<br />

369


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

courante, <strong>dans</strong> certaines institutions, d’accor<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s primes au mérite ou <strong>de</strong>s<br />

gratifications particulières.<br />

Ces difficultés ne restent toutefois pas au niveau <strong>de</strong> l’équipe. Dans une<br />

profession qui nécessite un travail collectif très important, <strong>de</strong>s tensions qui nuisent à<br />

cette solidarité peuvent également se répercuter sur la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> au patient<br />

(E11).<br />

L’engagement <strong>dans</strong> l’équipe est un phénomène complexe, car il est à la fois<br />

engagement <strong>dans</strong> une histoire commune et individuelle. Parfois intégré au groupe, le<br />

soignant se trouve, à d’autres moments, aux prises avec une gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> :<br />

« …bien sûr on agit en équipe <strong>dans</strong> le sens où on prend <strong>les</strong> décisions en<br />

équipe, mais après quand on va au chevet du patient, on est tout seul… (E2) ».<br />

Et cette solitu<strong>de</strong> est vécue d’autant plus mal que la peur <strong>de</strong> l’erreur grandit. Pris en<br />

étau entre l’accroissement <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong> travail d’un côté, et l’invitation à une plus<br />

gran<strong>de</strong> prise <strong>de</strong> responsabilité <strong>de</strong> l’autre, le professionnel vit <strong>dans</strong> l’ombre d’une<br />

peur qui est celle <strong>de</strong> commettre l’erreur potentiellement fatale, comme nous l’avons<br />

déjà vu : « … Les gens ont peur maintenant <strong>de</strong> faire faux… ils ont peur <strong>de</strong> la<br />

faute, ils ont peur qu’on leur reproche quelque chose. Donc ils vont jamais<br />

dépasser <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> leur propre fonction et chacun veut, quand il a un<br />

souci, reporter la responsabilité sur l’autre… et là on arrive sur un terrain<br />

dangereux où chacun vraiment tire la cor<strong>de</strong> vers soi. Et il n’y a pas cette<br />

dynamique <strong>de</strong> tirer ensemble sur la cor<strong>de</strong> (P2) ».<br />

L’engagement est ici mis à l’épreuve par <strong>les</strong> conditions d’exercice, mais aussi<br />

par un phénomène d’individualisme <strong>de</strong>venu plus que jamais une <strong>de</strong>s valeurs<br />

dominantes <strong>de</strong>s sociétés industriel<strong>les</strong> : « …on est en paradoxe avec ces<br />

changements psycho-sociétaux où on tend vers l’individualité quand même, et<br />

puis ça je pense que c’est ça qui pose problème (T13) ».<br />

Heureusement, même si cette manifestation d’individualisme tend à s’accroître,<br />

la solidarité reste un élément central <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong>s soignants et ils semblent bien<br />

conscients <strong>de</strong> son importance. Un professionnel prend l’exemple du foot pour<br />

expliquer que la dynamique d’équipe est semblable. Si l’un ne se sent pas bien, ce<br />

370


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

sont <strong>les</strong> autres qui vont pallier cela. Cette situation ne doit cependant pas s’installer<br />

<strong>dans</strong> la durée, car l’équipe a besoin <strong>de</strong> tous ses membres (P6). C’est, en effet,<br />

l’entrai<strong>de</strong> qui permet <strong>de</strong> pouvoir se décharger <strong>de</strong> situations trop lour<strong>de</strong>s ou trop<br />

confrontantes (E1), d’accompagner <strong>les</strong> plus faib<strong>les</strong> face aux situations <strong>les</strong> plus<br />

délicates, par exemple accompagner <strong>de</strong>s étudiants <strong>dans</strong> leur première rencontre avec<br />

la mort (E2), <strong>de</strong> se décharger lorsque l’on est épuisé (E3), d’exprimer ses craintes<br />

(E13), <strong>de</strong> pouvoir éviter <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> projection et <strong>de</strong> transfert en « déléguant »<br />

certains patients (E21). C’est <strong>dans</strong>, et avec le collectif que s’élaborent <strong>de</strong>s pistes <strong>de</strong><br />

réflexion sur <strong>de</strong>s situations ardues, que <strong>de</strong>s ressources sont mises en commun, <strong>de</strong>s<br />

synergies créées qui vont permettre d’y faire face (E25). Et c’est aussi le collectif qui<br />

permet <strong>de</strong> pallier, jusqu’à un certain point, la dégradation <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail,<br />

en mettant à l’épreuve la solidarité <strong>de</strong>s professionnels entre eux (P7) : « …on sait<br />

que la collègue, elle est <strong>dans</strong> un état…, on le voit, <strong>dans</strong> un état difficile, alors<br />

on essaie <strong>de</strong> la protéger aussi, <strong>de</strong> la soulager <strong>dans</strong> <strong>les</strong> tâches, après c’est nous<br />

qu’on fait plus, enfin c’est toujours la même chose quoi… on essaie <strong>de</strong><br />

protéger ses collègues, pis après nous on prend sur nous, mais après c’est<br />

après nous qu’on est fatiguées et c’est nos collègues qui font la même chose<br />

pour nous, on essaie toujours <strong>de</strong> composer <strong>les</strong> uns <strong>les</strong> autres, mais voilà…<br />

(P7) ».<br />

Pour que cet engagement solidaire puisse trouver sa place <strong>dans</strong> l’équipe, il est<br />

essentiel que, <strong>dans</strong> son sein, se vivent <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> respect, d’écoute et <strong>de</strong> confiance.<br />

Ce sont déjà <strong>les</strong> chefs <strong>de</strong> service qui <strong>de</strong>vraient avoir cette attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> motivation,<br />

d’écoute et <strong>de</strong> confiance, attitu<strong>de</strong>s génératrices d’une ouverture et d’une confiance<br />

ensuite réciproque avec l’équipe (T11). L’effet en casca<strong>de</strong> <strong>de</strong> la mise en pratique <strong>de</strong><br />

ces valeurs est impressionnant : « …<strong>dans</strong> un collectif, il y a <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong>, il y a<br />

une dynamique d’équipe qui entraîne, là je pense que là ça fait <strong>de</strong>s mirac<strong>les</strong>…<br />

(T12) ». Ce sont souvent <strong>de</strong>s comportements implicites, très peu, voire pas<br />

verbalisés du tout, mais dont <strong>les</strong> conséquences sont très importantes pour le bon<br />

fonctionnement <strong>de</strong> l’équipe et pour la qualité du service rendu (P6, E18). Ces<br />

comportements sont dictés par <strong>de</strong>s valeurs très largement partagées par ceux qui<br />

exercent la profession (T9), tant au plan idéologique que pratique, ainsi que par la<br />

371


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

poursuite d’un but commun. Ces <strong>de</strong>ux éléments que sont <strong>les</strong> valeurs et le but,<br />

lorsqu’ils sont en gran<strong>de</strong> partie communs à une équipe, lui donnent une stabilité et<br />

favorisent le bien-être <strong>de</strong> ceux qui la composent (P7, T4). Une enseignante explique<br />

que, <strong>dans</strong> certains centres <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, comme par exemple <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s centres pour<br />

drogués ou alcooliques qui ont une philosophie particulière où <strong>les</strong> valeurs<br />

communes sont clairement définies et exprimées, il y a parfois <strong>de</strong>s équipes très<br />

soudées « parce qu’il y a un projet commun, il y a <strong>de</strong>s volontés communes…<br />

(T11) ».<br />

La dynamique d’équipe est donc indissociable <strong>de</strong> la profession infirmière.<br />

Même si ces équipes rassemblent toute une constellation <strong>de</strong> personnes très<br />

différentes, avec « chacun sa manière <strong>de</strong> penser, sa manière <strong>de</strong> faire… (E7)»,<br />

son caractère (E11, P7), ses affinités (E13), el<strong>les</strong> constituent une véritable source <strong>de</strong><br />

richesse justement <strong>de</strong> par ces différences qui, vécues <strong>dans</strong> le respect mutuel (P7),<br />

peuvent <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> véritab<strong>les</strong> moteurs à l’engagement professionnel (P1).<br />

Et c’est au cœur <strong>de</strong> l’équipe que se déroule une activité essentielle <strong>de</strong> cette<br />

profession, à savoir la mise en mots. En effet, c’est elle qui donne la possibilité au<br />

soignant <strong>de</strong> verbaliser son vécu et <strong>les</strong> émotions qui lui sont liées, ainsi que <strong>les</strong><br />

difficultés rencontrées <strong>dans</strong> telle ou telle prise en soin (E2, E13, E17). La discussion<br />

avec <strong>les</strong> pairs a pour effet <strong>de</strong> désamorcer <strong>les</strong> tensions et <strong>de</strong> favoriser une prise <strong>de</strong><br />

recul qui permet d’y voir plus clair et d’envisager <strong>de</strong>s pistes pour mieux gérer une<br />

situation, par exemple (E15, P1). C’est un temps qui est d’ailleurs assez souvent pris<br />

sur <strong>de</strong>s moments d’échanges informels, où chacun ose se livrer et peut ainsi se<br />

débarrasser <strong>de</strong> far<strong>de</strong>aux importants. Une infirmière ambulancière raconte que<br />

chacune <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> son institution arrive un quart d’heure avant l’heure<br />

d’embauche, tous <strong>les</strong> jours, pour se retrouver autour d’un café. Hormis son aspect<br />

convivial, cette rencontre est particulièrement bénéfique puisqu’elle permet aux<br />

équipes <strong>de</strong> raconter ce qu’el<strong>les</strong> ont vécu : « … Les équipes <strong>de</strong> la journée ventilent<br />

ce qu’el<strong>les</strong> ont fait pendant douze heures à l’équipe <strong>de</strong> nuit… ça paraît anodin<br />

mais …on traîne pas nos cassero<strong>les</strong>… s’il y a eu une intervention qui a été<br />

beaucoup plus difficile, on va prendre le temps d’en discuter sous forme d’un<br />

372


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>de</strong>briefing… (P2) ». C’est ce contexte favorable <strong>dans</strong> lequel l’individu se sent<br />

entendu et reconnu qui est à la source <strong>de</strong> son engagement, un engagement qui le<br />

conduit à travailler au minimum une heure et <strong>de</strong>mie supplémentaire par semaine,<br />

non rémunérée mais par choix, parce qu’il est conscient <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> ce travail<br />

en commun. À ce niveau, <strong>les</strong> collègues sont une véritable ressource pour le<br />

professionnel. Le groupe permet l’action collective (E21), mais il offre aussi une<br />

protection contre l’épuisement professionnel : « … quand on est unis <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

difficultés, ça ai<strong>de</strong> à toujours à affronter <strong>les</strong> difficultés, pour moi c’est aussi<br />

une chose qui contribue au fait que je ne sois pas épuisé professionnellement<br />

(P8)».<br />

Parce qu’elle revêt cette importance toute particulière, la dynamique <strong>de</strong> groupe<br />

et la réflexion sur l’équipe doivent être abordées durant la formation. Cette<br />

dynamique se vit déjà, d’une certaine manière, au sein du groupe classe (E7, E21) où<br />

<strong>les</strong> étudiants peuvent aussi rencontrer <strong>de</strong>s différences <strong>dans</strong> la manière dont le groupe<br />

fonctionne et percevoir l’impact que cela peut avoir sur leur propre engagement. Une<br />

étudiante, qui fait un cursus bilingue et qui suit donc <strong>de</strong>s cours avec un groupe<br />

germanophone et un groupe francophone, explique que ce second, un grand groupe<br />

avec <strong>de</strong>s individus peu motivés, a <strong>de</strong>s répercussions plutôt négatives : « … je<br />

remarque (avec <strong>les</strong> francophones) comme ça me… enfin, j’sais pas j’ai moins<br />

d’énergie, je suis… différente (E15) ». Et l’inverse se produit lorsqu’elle travaille<br />

avec le groupe germanophone.<br />

Il est donc important d’abor<strong>de</strong>r, durant la formation, le thème <strong>de</strong> l’engagement<br />

au sein d’une équipe <strong>de</strong> travail pour favoriser, déjà au niveau <strong>de</strong>s étudiants, un sens<br />

<strong>de</strong> la cohésion <strong>de</strong> groupe (P2). La dynamique <strong>de</strong> groupe ne doit pas être abordée<br />

uniquement sous l’angle <strong>de</strong> la gestion <strong>de</strong>s conflits comme cela semble être<br />

passablement le cas (E3), mais davantage comme l’opportunité <strong>de</strong> travailler<br />

conjointement en profitant <strong>de</strong>s synergies que la diversité <strong>de</strong>s personnes et <strong>de</strong> leurs<br />

ressources ren<strong>de</strong> possible. Il y a là un potentiel extrêmement important pour<br />

dynamiser l’engagement et lui permettre <strong>de</strong> se vivre pleinement. Et peut-être une <strong>de</strong>s<br />

clés est-elle d’encourager <strong>les</strong> étudiants à s’engager <strong>de</strong> telle manière à ce qu’ils<br />

373


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

puissent <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> véritab<strong>les</strong> locomotives qui « entraînent… <strong>dans</strong> leur sillage le<br />

reste <strong>de</strong> l’équipe (E4) », en jouant un rôle <strong>de</strong> modèle (E3, E5). L’engagement est, en<br />

partie au moins, un processus contagieux (E25) et il est donc possible <strong>de</strong> jouer ce rôle<br />

<strong>de</strong> moteur pour d’autres (T12) et <strong>de</strong> contribuer à créer une équipe dont l’unité va<br />

pouvoir « faire <strong>de</strong>s mirac<strong>les</strong> (T12) ».<br />

19.3.9 Caractéristiques sociéta<strong>les</strong> sur l’engagement<br />

Si <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s d’interaction et d’engagement évoluent au sein <strong>de</strong>s équipes, c’est<br />

bien entendu en lien avec <strong>les</strong> mutations structurel<strong>les</strong> déjà évoquées, mais aussi en<br />

gran<strong>de</strong> partie en lien avec <strong>les</strong> modifications du « vivre ensemble » inhérentes à nos<br />

sociétés en perpétuelle mutation.<br />

Pour comprendre l’engagement, que celui-ci se situe <strong>dans</strong> un collectif <strong>de</strong> travail<br />

ou bien qu’il soit considéré comme l’engagement d’un individu spécifique <strong>dans</strong> sa<br />

profession, il est nécessaire <strong>de</strong> s’attar<strong>de</strong>r un moment sur <strong>les</strong> perceptions que <strong>les</strong><br />

acteurs eux-mêmes ont <strong>de</strong> ces changements au niveau sociétal, et <strong>de</strong> leur influence<br />

sur le milieu du travail.<br />

La mixité culturelle influence également l’engagement. Les personnes qui<br />

composent <strong>les</strong> équipes soignantes ont certes toutes leur propre personnalité (E17).<br />

El<strong>les</strong> proviennent parfois <strong>de</strong> cultures différentes (E5) car <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont un<br />

<strong>de</strong>s domaines professionnels où la mixité <strong>de</strong>s cultures est la plus importante en<br />

Suisse. Ces différences culturel<strong>les</strong> ont <strong>de</strong>s influences certaines sur la manière <strong>de</strong><br />

s’investir. Ainsi cette étudiante d’un canton bilingue (francophone et germanophone)<br />

explique qu’elle observe un engagement nettement plus présent chez <strong>les</strong><br />

alémaniques déjà <strong>dans</strong> la manière d’abor<strong>de</strong>r la formation : « … on a un exercice à<br />

faire, un travail <strong>de</strong> groupe… on va y aller à fond, on va rechercher vraiment<br />

l’information… chez <strong>les</strong> francophones, … c’est u n peu plus laisser-aller<br />

(E5) », mais également <strong>dans</strong> la mise en pratique <strong>de</strong> l’engagement : « Pour <strong>les</strong><br />

suisses alleman<strong>de</strong>s, c’est normal… <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s camps d’été avec <strong>les</strong> enfants…<br />

(E5) ».<br />

374


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Mais chaque personne est aussi imprégnée du milieu social et éducatif <strong>dans</strong><br />

lequel elle a grandi. La différence est perceptible entre <strong>de</strong>s personnes, souvent d’une<br />

ou <strong>de</strong>ux générations plus âgées que <strong>les</strong> étudiants, qui ont été éduquées <strong>dans</strong> « le<br />

sens <strong>de</strong>s <strong>de</strong>voirs… <strong>de</strong>s obligations, du service (T9) », et <strong>de</strong>s jeunes davantage<br />

baignés <strong>dans</strong> une « atmosphère … <strong>de</strong> plaisir, <strong>de</strong> confort (T9) ». Le rapport au<br />

travail et aux limites s’en voit passablement modifié.<br />

Avec l’avènement du règne <strong>de</strong> la raison et la chute <strong>de</strong>s grands récits, <strong>les</strong> repères<br />

moraux et spirituels se sont également effilochés (T10), laissant l’individu face à sa<br />

responsabilité personnelle <strong>de</strong> construire ses propres repères. Ils ont la lour<strong>de</strong> tâche<br />

<strong>de</strong> mettre en scène leur propre « je » (P2) et <strong>les</strong> valeurs qui l’animent. « Aujourd’hui<br />

le problème ce n’est pas qu’il n’y a plus <strong>de</strong> valeurs, c’est qu’il y en a<br />

tellement qu’il faut essayer… <strong>de</strong> se faire son propre système <strong>de</strong> références…<br />

c’est aussi un processus, ça tombe pas du ciel (T10) ». Par le passé, <strong>les</strong> valeurs<br />

étaient transmises <strong>dans</strong> le contexte familial et socio-éducatif, tandis qu’aujourd’hui<br />

el<strong>les</strong> semblent nettement moins bien ancrées (P5). La formation, <strong>de</strong> son côté, jouait un<br />

rôle <strong>de</strong> transmission <strong>de</strong>s valeurs professionnel<strong>les</strong> reconnues par la communauté et<br />

l’étudiante entrait <strong>dans</strong> la vie active avec son panier <strong>de</strong> valeurs bien défini.<br />

Aujourd’hui, la formation leur offre le panier, mais c’est à eux <strong>de</strong> faire leur choix<br />

parmi <strong>les</strong> valeurs en présence (P10). Il faut être capable <strong>de</strong> placer <strong>de</strong>s priorités, <strong>de</strong><br />

faire <strong>de</strong>s choix judicieux, non plus entre <strong>de</strong>s éléments relevant du noir ou du blanc,<br />

mais au contraire s’étalant sur une gamme infinie <strong>de</strong> nuances <strong>de</strong> gris, ente <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux<br />

extrêmes. Or, « quand y a trop, on sait plus quoi choisir (P5) », c’est aussi l’avis<br />

<strong>de</strong>s étudiants qui sont parfois bien embarrassés <strong>de</strong>vant <strong>les</strong> options possib<strong>les</strong> (E5).<br />

C’est l’avènement d’une polyvalence (T1), qui se vit parfois au détriment du sens<br />

(T10) et suscite <strong>de</strong>s engagements pluriels (E5) : « J’ai besoin <strong>de</strong> pouvoir répartir et<br />

<strong>de</strong> ne pas m’engager <strong>dans</strong> une seule chose… (E15) », explique une étudiante. Les<br />

jeunes affirment une volonté d’indépendance (P9), <strong>de</strong> liberté <strong>dans</strong> leurs choix (T9,<br />

P7), mais vivent en fait aussi une gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> (T1) et <strong>de</strong>s craintes qui <strong>les</strong><br />

conduisent à préférer <strong>de</strong>s engagements au sein d’espaces plus confinés (E17, T9) et<br />

peut-être plus rassurants. On peut sans doute mettre ici en exergue la remarque<br />

375


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

d’enseignants qui reconnaissent que <strong>les</strong> étudiants sont peut-être moins engagés au<br />

sein <strong>de</strong>s grands groupes-classes que par le passé, moins actifs aussi <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />

associations professionnel<strong>les</strong>, mais en revanche toujours aussi engagés, sinon plus,<br />

<strong>dans</strong> la relation au patient et sa prise en charge (T20, T9). On retrouve d’ailleurs cet<br />

attrait pour l’engagement plus intime <strong>dans</strong> une recru<strong>de</strong>scence <strong>de</strong>s jeunes fil<strong>les</strong>, en<br />

particulier, à vouloir se marier rapi<strong>de</strong>ment, comme pour acquérir le cadre ou la<br />

stabilité qui leur fait défaut (T4, T5), et qui résulte aussi souvent du délitement <strong>de</strong>s<br />

liens familiaux (T3), mais aussi sociaux (T4).<br />

De fait, il s’exerce une forte pression sur <strong>les</strong> jeunes (E17) et cela d’ailleurs dès le<br />

plus jeune âge et <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> domaines (P9). La pression régulière liée à l’incitation<br />

à la performance génère un stress latent quasi continu chez eux (P9). Celui-ci se<br />

heurte à son tour aux pressions induites par <strong>les</strong> changements institutionnels <strong>dans</strong> le<br />

milieu <strong>de</strong> l’activité professionnelle (T9) et l’on comprend dès lors <strong>les</strong> craintes et <strong>les</strong><br />

peurs dont ils peuvent rapi<strong>de</strong>ment <strong>de</strong>venir la proie (T9). Cela explique aussi cette<br />

remarque d’une enseignante qui, en parlant <strong>de</strong>s étudiants <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières années,<br />

exprime <strong>les</strong> sentir «… plus fragi<strong>les</strong> (T10) ». Et une autre enseignante renchérit en<br />

faisant le lien avec une certaine hésitation <strong>de</strong> leur part à s’engager, disant qu’ils<br />

« sont plus fragi<strong>les</strong> d’un point <strong>de</strong> vue i<strong>de</strong>ntitaire qu’avant, donc c’est peut-<br />

être aussi plus dangereux… <strong>de</strong> prendre ses responsabilités, <strong>de</strong>, euh, ouais, <strong>de</strong><br />

jouer son rôle… (T4) ». Cette fragilité est renforcée encore par le fait qu’il n’y a pas<br />

<strong>de</strong> réelle possibilité <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> recul pour <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à se positionner et définir ainsi <strong>les</strong><br />

contours d’une i<strong>de</strong>ntité réfléchie et mûrie (T10).<br />

Cette situation vectrice d’une insécurité palpable pour certains jeunes <strong>les</strong><br />

conduit à se réfugier <strong>de</strong>rrière <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> protection et à préserver leur<br />

sphère privée, leur « cadre à soi » (E17), <strong>de</strong> peur qu’elle ne soit trop envahie par <strong>les</strong><br />

pressions sociéta<strong>les</strong>. Ainsi une étudiante explique : «… on est tout autant engagé<br />

mais peut-être d’une autre manière. Justement, on apprend aussi à se<br />

protéger… (E15) ». Et une praticienne remarque que, selon elle, l’engagement est<br />

vécu « avec un peu <strong>de</strong> retenue (T4)» <strong>de</strong> par le fait qu’il y a cette crainte face à<br />

l’avenir. Or l’engagement implique a priori une orientation vers l’avenir, ce qui peut<br />

376


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

constituer un frein : « … on y va si on est sûr, on y va pas si on est pas trop<br />

sûr… il y a une impression <strong>de</strong> dangerosité du mon<strong>de</strong> autour (T4) ». Et cette<br />

même enseignante relève le fait que <strong>les</strong> étudiants verbalisent ouvertement <strong>de</strong>s peurs<br />

face à l’avenir et au chômage… (T4, E16). Ainsi une étudiante reconnaît : « Je suis<br />

plutôt du genre à vivre au jour le jour que me projeter trop loin, parce que<br />

sinon on ne vit plus, on pense à trop <strong>de</strong> choses, ça me déprime (E16) ». C’est<br />

cette même crainte qui constitue un frein à la prise <strong>de</strong> position (T1), attitu<strong>de</strong> pouvant<br />

s’apparenter à une certaine lâcheté pour certains. Ce peut être, par exemple, <strong>dans</strong> le<br />

manque <strong>de</strong> positionnement au sein du collectif pour faire face aux difficultés liées<br />

aux contingences institutionnel<strong>les</strong> (P3), ou encore <strong>dans</strong> la promptitu<strong>de</strong> à choisir <strong>de</strong><br />

partir lorsqu’une situation est trop déplaisante (T3). Ces comportements sont<br />

d’ailleurs, très certainement, renforcés par l’impact socioculturel et <strong>les</strong> désirs que la<br />

société attise d’un bien-être total et accessible (T5, T10, P7), immédiat (T3).<br />

Face à cette insécurité, <strong>les</strong> jeunes eux-mêmes reconnaissent l’intérêt d’avoir un<br />

cadre (E5) qui leur permette <strong>de</strong> s’engager, mais sur une route balisée (P9).<br />

À l’exception d’une enseignante qui considère que <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong>s jeunes ont<br />

changé et que <strong>les</strong> loisirs ont pris le pas sur la valeur « travail » (T5), pour toutes <strong>les</strong><br />

autres personnes interrogées sur cette question, <strong>les</strong> jeunes ne sont pas moins engagés<br />

que par le passé, mais el<strong>les</strong> reconnaissent que cet engagement est différent, en<br />

particulier à cause <strong>de</strong>s difficultés évoquées. La structure (organisation du travail,<br />

débouchés) et la perception <strong>de</strong> la société (sécurité <strong>de</strong> l’emploi, perspective d’avenir)<br />

limitent l’engagement. Il y a naturellement aussi <strong>de</strong>s aspects qui sont davantage liés<br />

aux caractéristiques <strong>de</strong> la société actuelle, comme par exemple la notion <strong>de</strong> la<br />

mobilité <strong>dans</strong> le travail, très largement soutenue par la pensée du lifelong learning<br />

et la tendance grandissante <strong>de</strong> nos contemporains à changer <strong>de</strong> travail, voire <strong>de</strong><br />

profession plusieurs fois <strong>dans</strong> leur carrière (E18). De ce fait <strong>les</strong> individus s’attachent<br />

moins à une institution, du reste <strong>de</strong> plus en plus anonyme, mais recherchent<br />

davantage à satisfaire <strong>de</strong>s intérêts propres (T1, P9). L’idéal professionnel en est<br />

revalorisé.<br />

Les enseignants et praticiens expliquent que, <strong>dans</strong> leur propre formation,<br />

l’engagement était avant tout communautaire. Il s’agissait d’une appartenance qui<br />

377


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

relevait <strong>de</strong> l’évi<strong>de</strong>nce et la communauté professionnelle semblait « plus au clair sur<br />

ses valeurs et sa posture (T1) ». Les pressions parenta<strong>les</strong>, qui ne manquaient <strong>de</strong><br />

s’exercer, traçaient déjà la voie (P8), alors qu’à présent l’étudiante doit trouver elle-<br />

même le sens à ce qu’elle entreprend (P8). D’une certaine manière, cette évolution est<br />

positive, puisqu’il semble que <strong>les</strong> étudiantes soient moins <strong>dans</strong> une logique <strong>de</strong><br />

l’adaptation à tout prix, comme <strong>les</strong> soignants <strong>de</strong>s générations précé<strong>de</strong>ntes ont pu<br />

l’être (P7). Pour ces <strong>de</strong>rniers, la soumission (T9) et la souffrance relevaient même<br />

d’une certaine normalité contenue <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s normes implicites : « … j’aurais été<br />

(du genre)… à souffrir… en disant il faut se taire, il faut rien dire. C’est mon<br />

rôle d’être là… (T3) ». Par rapport à ces phénomènes, <strong>les</strong> jeunes sont mieux à<br />

même d’exprimer leurs limites (T3). Ils cherchent, pour la plupart, à s’éloigner <strong>de</strong> ces<br />

formes d’engagement inconditionnel qui sont liées à l’histoire <strong>de</strong> la profession et qui<br />

faisaient du sacrifice complet la condition réellement favorable à son exercice (T5).<br />

Toutefois, en sortant <strong>de</strong> l’univers confiné et protecteur <strong>de</strong> la formation, l’arrivée<br />

<strong>dans</strong> l’univers du travail ne se fait pas sans douleur, car <strong>les</strong> étudiants sont<br />

« protégés » au lieu d’être immergés <strong>dans</strong> la réalité concrète (P7). Selon une<br />

enseignante : « Ils (<strong>les</strong> étudiants) sont <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> où l’idéal qu’on (<strong>les</strong><br />

enseignants) leur présente… le choc est d’autant plus violent que <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> management <strong>dans</strong> <strong>les</strong> institutions vont à l’encontre <strong>de</strong> cet idéal -là. À mon<br />

sens, le fossé, maintenant il est beaucoup plus grand pour eux qu’il ne le fut<br />

à l’époque pour moi… (T13) ». À cet égard la formation serait fragilisante et l’écart<br />

entre l’école et <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> pratique se serait accentué.<br />

Et cette même enseignante <strong>de</strong> voir <strong>dans</strong> cet état <strong>de</strong> fait une invitation explicite à<br />

œuvrer ensemble, durant la formation, pour réduire cet écart : « … je pense aussi<br />

que intégrer ça (l’écart entre idéal et réalité professionnelle) au niveau <strong>de</strong> la<br />

formation leur donnerait <strong>de</strong>s ressources supplémentaires… (T13) ».<br />

Les jeunes sont très majoritairement en quête <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> ce qu’ils font (T1, P3,<br />

P9) : « je pense qu’on est <strong>dans</strong> une nouvelle génération qui s’ engage vraiment<br />

en souhaitant donner du sens. Peut-être même plus qu’avant (P8) ». C’est le<br />

sens et, <strong>dans</strong> une certaine mesure aussi, l’appartenance qui jouent le rôle<br />

378


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

véritablement moteurs <strong>de</strong> l’engagement mais, si <strong>les</strong> conditions sont réunies, ils sont<br />

prêts à investir beaucoup, en particulier pour exercer une profession qui leur tient à<br />

cœur. Nous l’avons vu précé<strong>de</strong>mment, le sens est une composante capitale pour<br />

qu’un engagement pérenne puisse se concrétiser. Sans doute est-il d’autant plus<br />

galvaudé qu’il nous échappe en partie.<br />

Peut-être faut-il repenser l’engagement comme un engagement orienté<br />

davantage vers la personne soignée que vers l’exercice du soin lui-même (T7), et<br />

travailler sur le sens <strong>de</strong> ce soin, en réfléchissant ensemble aux moyens d’améliorer la<br />

pratique plutôt que <strong>de</strong> la subir (T4).<br />

19.3.10 De la reconnaissance<br />

Dans une société qui laisse l’individu toujours davantage seul face à lui-même,<br />

le besoin <strong>de</strong> reconnaissance semble être <strong>de</strong> plus en plus prégnant. Et, même si <strong>les</strong><br />

<strong>soins</strong> ne s’exercent pas directement en vue d’une reconnaissance (E7), plusieurs <strong>de</strong>s<br />

personnes interrogées admettent néanmoins la rechercher indirectement (E3) : « …il<br />

y a un besoin <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong>rrière qui est immense… (P1) », une<br />

reconnaissance à la fois <strong>de</strong> soi, mais simultanément aussi <strong>de</strong>s autres (E15). Refuser<br />

cette évi<strong>de</strong>nce serait se leurrer soi-même et vivre <strong>dans</strong> l’illusion du don gratuit (T9).<br />

La reconnaissance est source d’une valorisation qui n’est pas uniquement au<br />

bénéfice du <strong>de</strong>stinataire, mais elle imprègne en retour également son expéditeur (E3),<br />

<strong>dans</strong> un mouvement dialogique reposant sur une base <strong>de</strong> confiance (E7). De ce fait, la<br />

reconnaissance se veut vectrice d’un certain bien-être (E12), voire <strong>de</strong> bonheur :<br />

« Ceux qu’on voit qu’ils sont reconnaissants, c’est un vrai bo nheur (E15) »,<br />

tandis que son absence génère la frustration (E15). Peut-être en est-ce ainsi parce que<br />

la reconnaissance signifie, implicitement, avoir réussi à captiver l’intérêt d’autrui<br />

pour soi (P2) et, par là-même, voir son estime <strong>de</strong> soi renforcée (E14), <strong>dans</strong> la mesure<br />

où «… voir qu’on est capable <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choses… ça renforce la confiance en<br />

soi aussi (E11) ».<br />

La satisfaction <strong>de</strong>s gens, et ici tout particulièrement <strong>de</strong>s patients, constitue un<br />

grand encouragement pour <strong>les</strong> professionnels : «… quand on <strong>les</strong> (<strong>les</strong> patients)<br />

379


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

voit venir avec le sourire, ben on se dit, ben on est là pour quelque chose…<br />

(E7) ». La joie <strong>de</strong> pouvoir apporter un peu <strong>de</strong> plaisir est mise en association directe<br />

avec la satisfaction qui en découle (E18, E13, E25, T9) : « satisfaction d’avoir un<br />

merci en retour… (P11) ».<br />

La reconnaissance, outre son effet bienfaisant, est également une marque<br />

d’estime qui permet <strong>de</strong> se situer et d’être rassuré. Une enseignante explique en quoi<br />

le manque <strong>de</strong> retours positifs a été délétère pour son engagement professionnel, dont<br />

elle ne pouvait saisir la réelle pertinence en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong> cet avis extérieur (T9). La<br />

reconnaissance accordée se révèle en même temps reconnaissance d’une place et<br />

d’un statut (E3, E26, P10), un statut qui trouve sa raison d’être <strong>dans</strong> un sentiment<br />

d’utilité. Ce <strong>de</strong>rnier élément semble très important pour <strong>les</strong> soignants, tout<br />

particulièrement pour <strong>les</strong> étudiants qui voient là une <strong>de</strong>s sources premières <strong>de</strong> leur<br />

motivation professionnelle (E7, E12, E17, E19) : « … j’ai toujours voulu être<br />

infirmière… en m’occupant <strong>de</strong>s gens, j’ai l’impression d’être…utile (E25) ».<br />

On retrouve ici toute la question du sens et l’importance que <strong>les</strong> jeunes accor<strong>de</strong>nt à<br />

cette dimension <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> sphères <strong>de</strong> leur vie, vie professionnelle comprise.<br />

Le caractère d’utilité entre en symbiose avec une volonté d’être reconnu, <strong>de</strong> se<br />

voir accor<strong>de</strong>r une certaine importance (E7, E17). C’est le privilège <strong>de</strong> « …pouvoir<br />

voir qu’on est importante, qu’on a notre place, vraiment reconnue (E3) ».<br />

L’appréciation <strong>de</strong> la hiérarchie, <strong>de</strong> l’équipe et <strong>de</strong>s patients constitue un élément<br />

moteur qui entraîne un « cercle positif » d’engagement (P8). Mais autant cette forme<br />

<strong>de</strong> reconnaissance est source <strong>de</strong> motivation et d’engagement pour la personne,<br />

autant l’absence <strong>de</strong> reconnaissance peut être vécue comme une négation <strong>de</strong> soi, qui<br />

anéantit alors toute velléité <strong>de</strong> s’investir (E18, P10), voire suscite l’abandon <strong>de</strong><br />

l’emploi (T9). Cette absence d’attention personnelle, parce qu’elle nuit à l’estime <strong>de</strong><br />

soi, peut même avoir <strong>de</strong>s conséquences sur la santé mentale, comme l’explique une<br />

enseignante : « …ce qui m’a fait souffrir et puis qui au bout du compte aboutit<br />

un peu à un burnout, c’est un manque <strong>de</strong> reconnaissance… (T12) ». Et nous<br />

noterons que l’autre infirmière ayant subi un burnout relève la même problématique.<br />

Alors qu’elle a le sentiment « d’avoir fait son maximum, ça s’est évaporé <strong>dans</strong> la<br />

nature… (P10) », et elle s’est retrouvée seule avec son épuisement (P10).<br />

380


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

L’engagement paraît donc directement dépendant <strong>de</strong> la reconnaissance (P10). Si<br />

le soignant, <strong>dans</strong> son engagement, se heurte à l’indifférence ou au désintérêt, il finit<br />

par se décourager et perdre la force vitale <strong>de</strong> cet engagement qui ne correspond plus<br />

à ses attentes et se dissout <strong>dans</strong> le non-sens résultant <strong>de</strong> la non-reconnaissance (P10).<br />

En revanche, connaissant l’importance <strong>de</strong> cette dimension pour soutenir et faire<br />

croître motivation et engagement, il semble pertinent <strong>de</strong> chercher à la développer au<br />

niveau individuel, en étant soi-même prompt aux compliments et aux marques <strong>de</strong><br />

gratitu<strong>de</strong> à l’égard <strong>de</strong>s pairs (P10), mais aussi au niveau <strong>de</strong> la profession au sens<br />

large. C’est <strong>dans</strong> ce sens qu’une enseignante œuvre auprès <strong>de</strong>s étudiants : « …Je<br />

leur donne envie <strong>de</strong> se battre quelque part pour avoir une reconnaissance<br />

autre que ce qu’il existe mainten ant… (P5) ».<br />

L’engagement a donc pour objet une reconnaissance plus large que la seule<br />

reconnaissance inter-individuelle. Il a aussi comme perspective une reconnaissance<br />

sociale <strong>de</strong> la profession.<br />

19.3.11 Engagement comme prise <strong>de</strong> position<br />

L’engagement impose <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix et <strong>de</strong> <strong>les</strong> affirmer au travers d’un<br />

positionnement. De son côté, l’évolution <strong>de</strong> la profession et l’accroissement <strong>de</strong>s<br />

responsabilités qui l’accompagne ren<strong>de</strong>nt le positionnement également <strong>de</strong> plus en<br />

plus incontournable. À une époque où l’on vit une pénurie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins et où <strong>les</strong><br />

infirmières vont <strong>de</strong>voir assumer <strong>de</strong> plus en plus d’actes médicaux pour compenser ce<br />

manque (T10), l’engagement <strong>de</strong>vra être basé sur un positionnement clair.<br />

Ce positionnement se situe à plusieurs niveaux, mais il apparaît face au patient<br />

tout d’abord. L’infirmière n’est pas en mesure <strong>de</strong> prendre en compte tous <strong>les</strong> be<strong>soins</strong><br />

du patient lorsque celui-ci le <strong>de</strong>man<strong>de</strong>. Assaillie par une multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> tâches à<br />

réaliser, celle-ci doit pouvoir l’exprimer au patient, afin aussi <strong>de</strong> garantir une attitu<strong>de</strong><br />

congruente à son égard (E1). Mais elle exerce son positionnement aussi en faveur <strong>de</strong><br />

ce même patient. D’une part, l’infirmière doit jouer le rôle d’avocate pour le patient<br />

381


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

et défendre ses intérêts, lorsque lui-même n’est pas en mesure <strong>de</strong> le faire ou ne<br />

dispose pas <strong>de</strong>s connaissances suffisantes pour cela. D’autre part, elle doit aussi<br />

mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> situations critiques et <strong>les</strong> limites pouvant mettre en jeu la<br />

sécurité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P1). En effet, <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail actuel<strong>les</strong> ne garantissent pas<br />

toujours un soin <strong>de</strong> qualité irréprochable et, lorsque le risque d’erreur pointe à<br />

l’horizon, il est <strong>de</strong> son <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> le faire savoir clairement (P4, E1).<br />

Le positionnement <strong>de</strong> la personne trouve son point d’ancrage <strong>dans</strong> ses valeurs<br />

(E18). Il est le moyen par excellence <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire valoir et <strong>de</strong> <strong>les</strong> défendre (T11, P8). Il<br />

est à se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r si la prise <strong>de</strong> position ne constitue pas le lieu d’articulation entre<br />

<strong>les</strong> valeurs et l’engagement. En effet, qu’elle se fasse par le biais d’une verbalisation,<br />

par l’intermédiaire <strong>de</strong> projets ou par l’adhésion à <strong>de</strong>s organismes comme <strong>les</strong><br />

syndicats par exemple, la prise <strong>de</strong> position s’incarne <strong>dans</strong> une dimension<br />

d’engagement (E18). Certes on ne saurait oublier que le refus d’engagement constitue<br />

également un positionnement, lui aussi mû par <strong>de</strong>s valeurs.<br />

Mais se positionner implique <strong>de</strong> poser <strong>de</strong>s limites, ce qui s’avère parfois difficile<br />

pour <strong>les</strong> infirmières (E9, T12), comme cette étudiante l’explique : « … j’arrivais pas<br />

à donner <strong>les</strong> limites et pis t’as pas envie <strong>de</strong> montrer que tu peux plus…<br />

(E26) ». L’expression <strong>de</strong>s limites est une attitu<strong>de</strong> quelque peu antinomique avec la<br />

conception du positionnement comme don <strong>de</strong> soi qui prévaut encore parfois (E9),<br />

voire d’abnégation comme l’exprime une enseignante : « … je souffre chaque fois<br />

que je pourrais faire ceci, mais qu’on me pousse à ne pas le faire… ou alors je<br />

le fais et puis je prends sur moi… je m’épuise en le faisant (T12) ». La<br />

personne préfère ici se murer <strong>dans</strong> une souffrance silencieuse plutôt que d’oser une<br />

prise <strong>de</strong> position affirmée qui lui permettrait d’agir en pleine adéquation avec ses<br />

valeurs.<br />

Il faut toutefois reconnaître que cette prise <strong>de</strong> position exige d’avoir une<br />

certaine confiance en soi (E9), et <strong>de</strong> se sentir soutenu également un minimum (P8)<br />

pour oser s’affirmer.<br />

Si un manque d’affirmation peut être perçu comme reflétant une certaine<br />

lâcheté par certains (P3, P10), avec, <strong>dans</strong> plusieurs cas, <strong>de</strong>s arguments qui semblent<br />

bien être <strong>de</strong>s excuses à un non-positionnement (E12), comme cette étudiante qui<br />

382


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

explique qu’elle ne prend pas position du fait <strong>de</strong> son statut alors qu’elle a été témoin<br />

d’une situation qu’elle juge inacceptable (E16), <strong>dans</strong> <strong>de</strong> nombreuses situations, c’est<br />

le sentiment <strong>de</strong> mener un combat perdu d’avance qui ronge l’élan <strong>de</strong>s soignants. Une<br />

enseignante explique : « … j’essaie plutôt <strong>de</strong> me taire parce que je trouve que ça<br />

<strong>de</strong>vient un peu un combat vain… (T12) » et une praticienne regrette que ce genre<br />

d’attitu<strong>de</strong> soit déjà présente chez <strong>de</strong>s étudiantes fraichement diplômées, déjà<br />

« blasées » et enfermées <strong>dans</strong> une forme <strong>de</strong> défaitisme attentiste (P10).<br />

Selon certaines étudiantes, le positionnement <strong>de</strong>vrait être davantage travaillé<br />

durant la formation (E18), en particulier par le passage à l’écrit (E1). Certes, l’attitu<strong>de</strong><br />

en tant que telle s’apprend tout spécialement par la confrontation aux milieux <strong>de</strong> la<br />

pratique, <strong>dans</strong> le concret <strong>de</strong>s situations rencontrées, mais elle peut néanmoins se<br />

préparer <strong>dans</strong> son arrière-plan théorique (E1). En effet, pour être efficace, une prise<br />

<strong>de</strong> position se doit d’être argumentée et étayée théoriquement. Une étudiante<br />

explique, par exemple, qu’elle s’appuie sur <strong>les</strong> principes éthiques et déontologiques<br />

avant d’amener <strong>de</strong>s suggestions à ses collègues (E22). L’affirmation <strong>de</strong> ses<br />

convictions ne se fait pas à l’arrachée (T10), sur un coup <strong>de</strong> tête, mais repose sur <strong>de</strong>s<br />

arguments soli<strong>de</strong>s (P8) qui peuvent être travaillés durant la formation. Pour un<br />

enseignant, « c’est un impératif <strong>de</strong> pouvoir être là avec un niveau élevé <strong>de</strong><br />

jugement clinique et <strong>de</strong> pouvoir se positi onner clairement… (T15) ». L’analyse<br />

<strong>de</strong> pratique constitue un moyen pédagogique <strong>de</strong> prédilection pour travailler ces<br />

attitu<strong>de</strong>s (T14). Partant justement <strong>de</strong> la pratique et <strong>de</strong>s situations concrètes que<br />

l’étudiante est susceptible <strong>de</strong> rencontrer, elle permet <strong>de</strong> réfléchir, entre autres par la<br />

confrontation avec <strong>les</strong> pairs, aux différents arguments qui pourraient sous-tendre<br />

telle ou telle prise <strong>de</strong> position (E11). L’analyse <strong>de</strong> pratique est donc à la fois le moyen<br />

<strong>de</strong> se constituer un ensemble <strong>de</strong> références conceptuel<strong>les</strong>, expérientiel<strong>les</strong> ou autres<br />

pouvant nourrir <strong>de</strong>s arguments, mais « c’est aussi le moment où on peut ai<strong>de</strong>r<br />

l’étudiant à se positionner, à s’engager tout en verbalisant ses limites…<br />

(T14) ». C’est un moyen d’apprendre à assumer ses positions <strong>de</strong> manière<br />

constructive.<br />

L’analyse <strong>de</strong> pratique, parce qu’elle se travaille en groupe, revêt un autre intérêt<br />

tout aussi crucial, à savoir celui d’apprendre à se construire <strong>dans</strong> un collectif. En effet,<br />

383


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

la prise <strong>de</strong> position, lorsqu’elle est portée par une seule personne, peut être beaucoup<br />

plus anxiogène parce que plus risquée également : « …moi toute seule je me sens<br />

très très petite et faible pour faire <strong>de</strong>s combats <strong>de</strong> ce genre… (T12) ».<br />

L’individu seul peut rapi<strong>de</strong>ment être déstabilisé (T12), tandis que le collectif résistera<br />

plus longtemps. Parmi <strong>les</strong> personnes interrogées, très nombreuses sont cel<strong>les</strong> qui ont<br />

souligné l’importance du groupe <strong>dans</strong> la prise <strong>de</strong> position (E12, E14). Le système<br />

tend à empêcher la construction du collectif, ne serait-ce que par l’ampleur <strong>de</strong> la<br />

tâche imposée qui ne lui laisse que très peu <strong>de</strong> temps pour <strong>de</strong>s échanges et <strong>de</strong>s<br />

réflexions qui soient réellement nourrissantes, porteuses <strong>de</strong> sens (E11, P1). Une<br />

enseignante fait d’ailleurs remarquer que le système <strong>de</strong> formation n’est pas différent,<br />

puisque l’école ne fait qu’appliquer <strong>les</strong> textes imposés par <strong>les</strong> déci<strong>de</strong>urs, sans prendre<br />

quelque position que ce soit. Une réflexion collective pourrait pourtant permettre la<br />

recherche d’une plus gran<strong>de</strong> cohérence (T5). Le collectif permet d’unir <strong>les</strong> forces pour<br />

tendre vers un même objectif et le défendre (E14), avec à la clé <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong>s<br />

chances <strong>de</strong> succès (T4, P4) : « … <strong>les</strong> gens seraient plus forts en groupe, <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

hôpitaux (P4) ». C’est aussi le groupe qui permet l’endurance, car sans soutien le<br />

combat <strong>de</strong> longue haleine <strong>de</strong>vient lourd et pesant : « … faut revenir, faut pas<br />

lâcher, faut revenir, faut le redire autrement (T1) ». Sans un soutien d’équipe<br />

l’individu s’épuise. Le risque <strong>de</strong> cet effritement <strong>de</strong>s forces internes, c’est qu’il n’y ait<br />

plus que l’alternative du départ (P1). Même si cette solution peut s’avérer judicieuse<br />

lorsque tout changement s’avère impossible (T4), elle n’est cependant pas une<br />

solution idéale, puisqu’elle signe quelque part le désaveu <strong>de</strong> la prise <strong>de</strong> position et<br />

constitue une marche arrière par rapport à l’objectif visé (T4). Une praticienne<br />

conclut qu’ « il faut être tenace » et œuvrer ensemble pour avoir plus <strong>de</strong> poids (P11).<br />

En se positionnant l’individu s’engage (E1, E25), ce qui relève <strong>de</strong> sa<br />

responsabilité <strong>de</strong> professionnel (E22). Cette responsabilité lui incombe <strong>de</strong> « faire<br />

entendre sa voix (T11) » et <strong>de</strong> défendre son rôle professionnel (P10) face à<br />

l’évolution du secteur <strong>de</strong> la santé déjà évoquée.<br />

Dans cette perspective, un positionnement clair, argumenté et réfléchi constitue<br />

une véritable pierre angulaire pour le développement d’un engagement efficace.<br />

384


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

19.4 L’engagement <strong>dans</strong> le cursus <strong>de</strong> formation en <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong><br />

L’engagement, même s’il ne s’enseigne pas, durant la formation, au même titre<br />

qu’une matière concrète spécifique, n’en <strong>de</strong>meure pas moins très largement influencé,<br />

au travers <strong>de</strong> différentes activités, d’apports <strong>de</strong> cours multip<strong>les</strong>, mais aussi par<br />

l’intermédiaire du système <strong>de</strong> formation lui-même, ainsi que <strong>de</strong> ceux qui la<br />

dispensent. Il nous semble donc indispensable d’examiner <strong>de</strong> plus près <strong>les</strong> facteurs<br />

qui le façonnent progressivement.<br />

19.4.1 Spécificités <strong>de</strong> la formation duale<br />

La plupart <strong>de</strong>s étudiants accor<strong>de</strong>nt une faveur particulière à la pratique qui<br />

reste, pour eux, la possibilité <strong>de</strong> vivre <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>dans</strong> le réel le plus<br />

concret. Dans ce sens, le principe retenu <strong>de</strong> faire effectuer <strong>de</strong>s stages <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />

contextes différents est considéré comme très favorable (E15), ce qui permet parfois<br />

aux étudiants <strong>de</strong> découvrir <strong>de</strong>s domaines pour <strong>les</strong>quels ils n’auraient pas eu d’attrait,<br />

<strong>de</strong> prime abord. Très souvent ils souhaiteraient que <strong>les</strong> temps <strong>de</strong> pratique soient plus<br />

conséquents.<br />

Le caractère protégé <strong>de</strong> la formation, au sein <strong>de</strong> l’école, est mentionné à<br />

plusieurs reprises (T11, P7), y compris par <strong>les</strong> étudiants qui notent la vision utopique<br />

que l’école transmet, tout en reconnaissant que c’est aussi son rôle <strong>de</strong> transmettre un<br />

idéal, accompagné d’une palette <strong>de</strong> connaissances diverses, leur donnant la<br />

possibilité <strong>de</strong> construire, par eux-mêmes, leur propre posture et leur propre<br />

engagement (E22). Il est vrai que certaines réalités du mon<strong>de</strong> professionnel, comme<br />

la difficulté d’effectuer <strong>de</strong>s horaires disparates avec peu <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> récupération<br />

entre <strong>de</strong>ux, le rythme intense du travail tout au long d’une journée (P4), ainsi que la<br />

lour<strong>de</strong> responsabilité qui revient à l’infirmière diplômée, sont autant d’aspects que<br />

l’étudiante n’a pas pu tester avant son entrée <strong>dans</strong> la vie active (T11). Cela constitue<br />

sans doute un grand changement avec la formation précé<strong>de</strong>mment dispensée en<br />

Suisse, formation qui correspondait à un apprentissage <strong>de</strong> niveau secondaire et qui<br />

385


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

invitait l’étudiante à travailler selon le même rythme et <strong>les</strong> mêmes modalités que <strong>les</strong><br />

soignants diplômés (P7). Si ce système avait pour inconvénient l’inclusion <strong>de</strong><br />

l’étudiante à l’équipe comme force <strong>de</strong> travail, il avait néanmoins aussi le mérite <strong>de</strong><br />

l’immerger <strong>dans</strong> la réalité du métier (P7).<br />

On trouve parfois ainsi <strong>de</strong>s traces <strong>de</strong> références aux anciens systèmes <strong>de</strong><br />

formation, qui prônaient une plus gran<strong>de</strong> présence sur le terrain, avec cependant un<br />

socle <strong>de</strong> connaissances inférieur. Les étudiants ont parfois <strong>de</strong> la peine à comprendre<br />

<strong>les</strong> orientations prises par l’organe central <strong>de</strong>s Hautes Éco<strong>les</strong> Spécialisées qui, <strong>de</strong> par<br />

sa mission <strong>de</strong> formation universitaire, se doit d’offrir un panel <strong>de</strong> connaissances<br />

larges constituant un socle fondamental. Ce socle peut ensuite être mobilisé en<br />

fonction <strong>de</strong>s situations, le moment venu (T3). L’importance <strong>de</strong> ces connaissances<br />

n’apparaît souvent que <strong>dans</strong> un second temps, parfois lorsque <strong>les</strong> jeunes sont déjà<br />

diplômés. Confrontés à certaines pratiques, ce savoir prend d’un seul coup sens (E26,<br />

P10). Par ailleurs, le « manque <strong>de</strong> pratique », souvent reproché par <strong>les</strong> professionnels<br />

(P4), engendre un sentiment d’infériorité chez <strong>les</strong> étudiants qui ont alors tendance à<br />

se dénigrer pour se faire accepter, quitte à taire <strong>les</strong> nombreuses et riches<br />

connaissances qu’ils ont pu acquérir en cours (T12).<br />

Un autre élément vient alimenter cette tendance <strong>de</strong>s étudiants à polariser leur<br />

attention sur la pratique, à savoir la tendance générale <strong>dans</strong> cette profession à<br />

valoriser toujours davantage ce qui relève <strong>de</strong> l’agir et du faire, au détriment du<br />

savoir et du savoir-être (T3). Dans un mon<strong>de</strong> mû par la logique <strong>de</strong> l’efficience, il est<br />

clair que l’action revêt une importance supérieure et le risque est alors que la<br />

formation subisse « un nivellement par le bas (T3)», imposé par <strong>de</strong>s pratiques<br />

rendues plus fortes car opérationnel<strong>les</strong>, qui offrent un agir visible et quantifiable.<br />

Ainsi <strong>de</strong>ux logiques s’opposent <strong>dans</strong> le système dual <strong>de</strong> la formation infirmière :<br />

« la logique du terrain et la logique <strong>de</strong> la réflexion (P1)».<br />

Face à cela, il est d’autant plus essentiel qu’il y ait consensus parmi ceux qui<br />

dispensent la formation, et que <strong>les</strong> cours ne soient pas eux-mêmes vecteurs d’une<br />

« espèce <strong>de</strong> réductionnisme (T3) », comme cela semble être parfois le cas, à en<br />

croire cette enseignante. L’evi<strong>de</strong>nce based nursing (EBN), calqué sur le modèle<br />

médical <strong>de</strong> l’EBM (Evi<strong>de</strong>nce based medicine), peut d’ailleurs rapi<strong>de</strong>ment conduire<br />

386


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

à cette vision réductrice, si on l’enferme <strong>dans</strong> le schéma d’une simple application <strong>de</strong><br />

protoco<strong>les</strong>, au lieu <strong>de</strong> la penser comme un outil au service d’un champ <strong>de</strong><br />

connaissances très vaste (T3, T1). Et une enseignante <strong>de</strong> faire remarquer, avec<br />

beaucoup d’amertume, que le nouveau Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor (Annexe 4 ; PEC 2012)<br />

est porté par <strong>de</strong>s contenus transverses qui sont tous orientés vers le « faire » (T13) :<br />

EBN, E-learning… alors que <strong>de</strong>s aspects comme la philosophie ou l’éthique restent<br />

<strong>de</strong>s contenus ponctuels très peu valorisés (T1). Une enseignante met également en<br />

lumière l’inadéquation du système modulaire <strong>de</strong> la formation pour certaines<br />

matières comme la philosophie, qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt un développement <strong>dans</strong> le temps.<br />

Pensées <strong>dans</strong> cette continuité, la philosophie ou l’éthique permettent aussi à<br />

l’étudiante <strong>de</strong> suivre une évolution en parallèle <strong>dans</strong> leur cheminement professionnel<br />

(T13).<br />

Ce développement <strong>de</strong> la personne pourrait être considéré comme secondaire<br />

par le fait que <strong>les</strong> étudiants sont encore jeunes, éventuel obstacle à une réflexion<br />

mature sur soi et sa profession. Néanmoins, force est <strong>de</strong> constater que, jeunes ou<br />

moins jeunes, dès qu’ils arrivent en stage, <strong>les</strong> étudiants sont confrontés aux mêmes<br />

réalités parfois très violentes. C’est pourquoi une enseignante insiste en disant que ce<br />

cheminement doit impérativement être amorcé en formation, malgré cette<br />

immaturité parfois. C’est ensuite à l’équipe pédagogique que la tâche revient <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />

ai<strong>de</strong>r à avancer <strong>dans</strong> ce processus (T14, E22). Et d’ailleurs, <strong>les</strong> jeunes eux-mêmes<br />

avouent désirer un travail en ce sens : « non alors ça on nous prépare pas (à la<br />

réalité), alors clairement pas (E22)». Car ils expriment aussi ressentir une forte<br />

responsabilité et <strong>de</strong> fortes pressions. Un double échec à un module entraîne non<br />

seulement l’arrêt <strong>de</strong> la formation au sein d’une école, mais l’impossibilité <strong>de</strong> se<br />

représenter <strong>dans</strong> une autre école <strong>de</strong> la même filière <strong>dans</strong> toute la Suisse roman<strong>de</strong> sur<br />

une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> cinq ans. L’enjeu est donc immense.<br />

Dans la formation duale, le praticien formateur joue un rôle nodal, puisqu’il est<br />

le pivot entre la pratique et l’école. Formé en pédagogie, il a la responsabilité d’ai<strong>de</strong>r<br />

l’étudiante à atteindre <strong>les</strong> objectifs qu’il se fixe en regard du niveau taxonomique<br />

attendu par l’école. C’est lui qui est souvent le constructeur <strong>de</strong> sens et qui fait<br />

prendre conscience à ce jeune en formation <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> certaines<br />

387


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

connaissances pour gérer <strong>de</strong>s situations particulières (T12). Sa position n’est toutefois<br />

pas toujours très confortable, <strong>dans</strong> la mesure où il peut se trouver en porte-à-faux<br />

avec une équipe dont il est néanmoins tributaire, n’étant pas toujours sur place pour<br />

juger <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> l’étudiante (T12). Par ailleurs, vis-à-vis <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier, sa<br />

position est également délicate. Il doit à la fois accompagner celui-ci <strong>dans</strong> son<br />

processus d’apprentissage, l’ai<strong>de</strong>r à surmonter ses difficultés et, pour cela, entrer<br />

parfois <strong>dans</strong> une sphère relativement intime <strong>de</strong> l’étudiante, alors même qu’il sera, à<br />

la fin du stage, chargé <strong>de</strong> porter sur lui une évaluation qui pourra être lour<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

conséquences (T12). Étudiantes comme praticiens formateurs estiment judicieux <strong>de</strong><br />

pouvoir recourir à un tiers externe, non évaluateur, lors <strong>de</strong> difficultés sur le terrain<br />

(T12). Et pourtant, <strong>les</strong> enseignants regrettent que <strong>les</strong> praticiens ne fassent appel à eux<br />

que lorsque la situation est, le plus souvent, sans issue (T12).<br />

Dans l’accompagnement pédagogique, <strong>les</strong> praticiens utilisent fréquemment la<br />

pratique réflexive à laquelle ils ont été formés. Les différentes personnes interrogées<br />

sur ce point sont unanimes quant à l’intérêt que cette approche peut revêtir pour le<br />

développement professionnel. Pour <strong>les</strong> enseignants, tout comme pour <strong>les</strong> praticiens<br />

formateurs et <strong>les</strong> étudiants, la pratique réflexive constitue un moyen pédagogique<br />

excellent pour permettre <strong>de</strong> relier la théorie et la pratique, c’est-à-dire d’interroger la<br />

théorie, mais à partir d’une pratique qui lui donne sens (P10). La pratique réflexive<br />

joue réellement ce rôle <strong>de</strong> ciment unificateur entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux univers <strong>de</strong> la formation<br />

duale, démontrant l’importance <strong>de</strong> chacun, mais également leur caractère<br />

interdépendant. Mais la pratique réflexive, <strong>dans</strong> la mesure où elle place l’acteur du<br />

soin au centre <strong>de</strong> la réflexion, interroge aussi ses valeurs.<br />

19.4.2 Travail sur <strong>les</strong> valeurs en formation et soin <strong>de</strong> soi<br />

Les valeurs sont abordées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, souvent <strong>de</strong> manière implicite (E22),<br />

sous l’angle <strong>de</strong>s conflits <strong>de</strong> valeur qui peuvent surgir <strong>dans</strong> certaines situations<br />

présentant <strong>de</strong>s dilemmes (E4). Le cas <strong>de</strong> l’euthanasie est, par exemple, fréquemment<br />

évoqué. Mais, même là, la question <strong>de</strong>s valeurs semble abordée <strong>de</strong> façon<br />

relativement superficielle, <strong>les</strong> étudiants pouvant donner leur avis mais sans être<br />

388


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

contraints d’argumenter vraiment (E22). Et une enseignante reconnaît que <strong>les</strong><br />

étudiants acquièrent <strong>de</strong>s connaissances thématiques, par exemple en éthique, mais<br />

sans une réflexion en profon<strong>de</strong>ur (T10). Les choix pédagogiques opérés par <strong>les</strong> éco<strong>les</strong><br />

ne sont pas orientés vers cette réflexion (T10). Le concept même <strong>de</strong> valeur semble<br />

aussi très peu abordé, parfois seulement en première année rapi<strong>de</strong>ment (T4). Dans<br />

certaines institutions, il ne l’est pas du tout sous l’angle personnel du rapport à soi et<br />

à ses ressentis : « … parfois c’est un peu argumenté en termes <strong>de</strong> connaissances<br />

mais pas <strong>de</strong> vécu émotionnel (E22) » et d’ailleurs la formation conduit à se centrer<br />

davantage sur l’autre, comme on peut le comprendre au travers <strong>de</strong>s mots <strong>de</strong> cette<br />

étudiante : « (avant la formation) j’étais plus… basée sur moi, que maintenant<br />

je suis plus basée sur l’autre (E13)», oubliant peut-être <strong>de</strong> donner à la part<br />

personnelle l’attention qui lui est due.<br />

Parmi <strong>les</strong> étudiantes interrogées, plusieurs regrettent que <strong>les</strong> concepts abordés<br />

<strong>dans</strong> ce domaine le soient <strong>de</strong> façon purement théorique (E1). Des illustrations, par<br />

<strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong> concrets, permettraient <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r la notion (E1). Par<br />

ailleurs, un regard introspectif sur <strong>les</strong> valeurs importantes pour le soignant rendrait<br />

possible un positionnement plus affermi entre le <strong>de</strong>voir et <strong>les</strong> convictions<br />

personnel<strong>les</strong>. L’étudiante explique qu’« il y a <strong>de</strong>s choses qu’on fait qui sont<br />

contraires à nos valeurs ou intérieurement on se dit [ non là je suis pas<br />

d’accord ], mais on le fait quand même…(E1) ». Exprimer ses ressentis et se<br />

positionner <strong>de</strong>vrait être travaillé (E2) pour que le positionnement puisse être légitimé<br />

et relié à la notion d’engagement, ce qui n’est apparemment jamais le cas.<br />

Certaines étudiantes disposent déjà d’une certaine capacité <strong>de</strong> réflexion et <strong>de</strong><br />

décentration à leur arrivée en formation (E12), en lien souvent avec leur éducation et<br />

leurs expériences (E7). D’autres, en revanche, doivent apprendre à gérer cette part<br />

personnelle <strong>de</strong>s valeurs au fur et à mesure <strong>de</strong> la formation, souvent <strong>dans</strong> la<br />

confrontation avec la pratique (E9). Certes <strong>les</strong> valeurs s’appréhen<strong>de</strong>nt plus facilement<br />

<strong>dans</strong> le concret d’une situation (E11), mais le chemin n’est pas toujours <strong>de</strong> tout repos<br />

pour celui qui l’emprunte et il correspond à « une remise en question permanente<br />

(E11) ».<br />

389


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

En formation, c’est l’analyse <strong>de</strong> pratique qui constitue le moyen par excellence<br />

<strong>de</strong> la réflexion sur soi et <strong>de</strong>s valeurs engagées en situation (E11). Comme l’exprime<br />

cette étudiante, l’analyse <strong>de</strong> pratique « permet <strong>de</strong> prendre du recul par rapport à<br />

la situation (E11)» et <strong>de</strong> se recentrer (E13). Une autre met en évi<strong>de</strong>nce l’importance<br />

<strong>de</strong> ces moments d’analyse par rapport au vécu émotionnel : « nos valeurs et nos<br />

émotions, el<strong>les</strong> sont toujours là, mais parfois implicites et ça ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />

exprimer (E22) ». La narration et la verbalisation <strong>de</strong>s situations vécues permettent<br />

aux étudiantes <strong>de</strong> prendre conscience <strong>de</strong> leurs difficultés ou forces, comme l’exprime<br />

cette étudiante : « grâce à ces séminaires, j’ai compris où pouvaient être mes<br />

faib<strong>les</strong>ses et où pouvaient être mes forces (E19) ». Grâce à l’écoute et à la<br />

sensibilité du formateur qui œuvre <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> maïeutique auprès <strong>de</strong>s<br />

étudiantes (T14), <strong>les</strong> vécus douloureux peuvent être évoqués et analysés, avec la<br />

distance qui ouvre sur <strong>les</strong> voies <strong>de</strong>s possib<strong>les</strong>, par le partage avec <strong>les</strong> pairs, <strong>dans</strong> la<br />

manière <strong>de</strong> <strong>les</strong> gérer (T10). Une enseignante explique que <strong>de</strong>venir un professionnel<br />

constitue un processus parfois douloureux. S’il y a, face à cette réalité, un <strong>de</strong>voir<br />

d’honnêteté (T14), il y a aussi nécessité <strong>de</strong> donner <strong>les</strong> moyens d’y faire face et ces<br />

processus itératifs que l’analyse <strong>de</strong> pratique met en œuvre « sont aussi nécessaires<br />

pour la construction (T14)» du professionnel. Pourtant, malgré ces considérations<br />

très positives sur l’analyse <strong>de</strong> pratique, nous avons pu mettre en évi<strong>de</strong>nce qu’elle<br />

n’est pratiquée, <strong>de</strong> manière régulière et avec <strong>de</strong>s enseignants formés, que <strong>dans</strong> un<br />

seul établissement. Tous s’accor<strong>de</strong>nt à en reconnaître la valeur, mais elle <strong>de</strong>meure<br />

peu exploitée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> faits.<br />

Dans une école, <strong>les</strong> enseignantes ont choisi un autre mo<strong>de</strong> d’approche pour<br />

faire réfléchir aux valeurs. El<strong>les</strong> réalisent <strong>de</strong>s sketches <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quels el<strong>les</strong> jouent le<br />

rôle d’une infirmière dont <strong>les</strong> comportements mettent en jeu <strong>les</strong> valeurs et la<br />

déontologie <strong>de</strong>s soignants (E13). Cette mise en scène a été plébiscitée par <strong>les</strong><br />

étudiantes qui ont apprécié le côté à la fois réaliste, mais aussi pratique et concret <strong>de</strong><br />

cette forme d’apprentissage. Cette confrontation à leurs valeurs leur a permis <strong>de</strong><br />

réfléchir également à leurs limites (E13) puisque, comme l’explique une étudiante :<br />

« connaître nos valeurs, ça permet aussi <strong>de</strong> connaître nos limites… (E22) », et<br />

donc aussi <strong>de</strong> pouvoir passer le relais lorsque cela <strong>de</strong>vient nécessaire (E11). Dans une<br />

390


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

autre école, <strong>les</strong> étudiantes ont eu à faire <strong>de</strong>s choix qui ont mis en évi<strong>de</strong>nce la<br />

différence <strong>de</strong> critères qui peuvent émerger entre différentes personnes ayant comme<br />

objectif la même profession. L’engagement <strong>de</strong>s soignants peut être influencé par <strong>de</strong>s<br />

critères très différents, qui ouvrent la porte à <strong>de</strong>s conflits potentiels s’ils ne sont pas<br />

discutés (E13). De fait, l’incohérence du travail avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> génère<br />

la frustration, d’où la nécessité d’oser dire stop (E13), ou même <strong>de</strong> modifier <strong>de</strong>s<br />

trajectoires professionnel<strong>les</strong>, si el<strong>les</strong> s’avèrent incompatib<strong>les</strong> (E13). La question se<br />

pose alors à une enseignante <strong>de</strong> savoir comment ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à développer<br />

cette posture, « cette capacité à avoir une forme <strong>de</strong> clarté et <strong>de</strong> courage pour<br />

être effectivement en adéquation entre <strong>les</strong> valeurs promues et <strong>les</strong> valeurs<br />

effectives (T1) ».<br />

Si le désaccord avec ses valeurs propres génère un trouble <strong>de</strong> la conscience,<br />

l’harmonie avec le soi intérieur est source <strong>de</strong> paix et <strong>de</strong> sérénité (E22). Il y a là un<br />

véritable défi à relever, durant la formation, pour préparer l’étudiante à savoir<br />

défendre ses valeurs, en acceptant que <strong>les</strong> autres professionnels aient parfois <strong>de</strong>s<br />

valeurs différentes (T5). Défi d’autant plus grand que <strong>les</strong> promotions comptent<br />

toujours davantage <strong>de</strong> jeunes et que <strong>les</strong> grands groupes sont peu appropriés pour ce<br />

genre <strong>de</strong> réflexion intimement personnelle (T10, E25). Une enseignante note, par<br />

ailleurs, que l’importance <strong>de</strong> cette dimension est sous-estimée par certains collègues,<br />

dont <strong>les</strong> préoccupations sont davantage axées sur <strong>de</strong>s aspects techniques <strong>de</strong> la<br />

formation : <strong>soins</strong> techniques, skillslab 3 , e-learning, simulations… (T10, T4). La<br />

volonté d’entrer <strong>dans</strong> cette démarche d’introspection sur <strong>les</strong> valeurs dépend du bon<br />

vouloir <strong>de</strong> l’enseignant (T10, T4). Un enseignant propose d’utiliser, par exemple, le<br />

moment du contrat tripartite qui se déroule à chaque début <strong>de</strong> stage avec l’étudiante<br />

concernée, son enseignant <strong>de</strong> référence et le praticien formateur <strong>de</strong> l’établissement <strong>de</strong><br />

soin. Ce contrat qui a comme finalité <strong>de</strong> conclure un accord autour <strong>de</strong>s objectifs <strong>de</strong><br />

stage et d’en définir <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong> réalisation, permet d’établir un lien avec <strong>les</strong><br />

situations concrètes <strong>de</strong> la pratique. Par ailleurs, la configuration en petit comité,<br />

constitue également une condition idéale à une démarche personnelle (T15).<br />

3 Skillslab : laboratoire <strong>de</strong> simulation.<br />

391


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

La difficulté peut rési<strong>de</strong>r <strong>de</strong> façon plus emblématique <strong>dans</strong> une scission<br />

récurrente au niveau <strong>de</strong>s formations entre la connaissance <strong>de</strong> soi, et donc <strong>de</strong> ses<br />

valeurs, et la connaissance technique. Les <strong>de</strong>ux conceptions <strong>de</strong> la formation, l’une<br />

centrée sur le soignant en tant que personne et dont découle la connaissance <strong>de</strong> soi, et<br />

l’autre centrée sur <strong>les</strong> techniques et procédures spécifiques, se font face et peuvent<br />

s’exclure mutuellement si l’on ne prend pas gar<strong>de</strong> à leur articulation. La<br />

connaissance scientifique, quant à elle, <strong>de</strong>vrait permettre <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r et<br />

d’outiller la connaissance <strong>de</strong> soi, cette <strong>de</strong>rnière constituant un préalable<br />

incontournable à l’engagement professionnel (T15). Une étudiante considère cette<br />

connaissance <strong>de</strong> soi comme indispensable pour qu’une relation authentique puisse<br />

s’établir avec le patient (E3). Cette connaissance personnelle est rendue indispensable<br />

au soin <strong>de</strong> l’autre (E13) par le fait même que l’infirmière est « son propre outil <strong>de</strong><br />

travail (T4) », ce qui fait dire à ce praticien : « c’est difficile pour moi <strong>de</strong> concevoir un<br />

professionnel <strong>de</strong> la santé qui ne se connaît pas soi-même (P8) ».<br />

Sur un plan plus général, la construction réfléchie <strong>de</strong> cette part personnelle, vue<br />

non pas <strong>dans</strong> une perspective d’efficience, mais comme vecteur d’un bien-être au<br />

niveau du développement i<strong>de</strong>ntitaire (P6), permet la construction plus soli<strong>de</strong> du<br />

collectif professionnel.<br />

19.4.3 L’engagement <strong>dans</strong> la formation<br />

De l’analyse sur cette question <strong>de</strong>s contenus <strong>de</strong> cours en lien avec l’engagement,<br />

nous retiendrons un consensus massif sur le fait que cette notion n’est pas thématisée,<br />

en tant que telle, durant la formation. Nous pourrions citer au moins neuf étudiantes<br />

et quatre enseignants ayant répondu <strong>dans</strong> ce sens. D’autres sont moins catégoriques,<br />

expliquant ne pas avoir <strong>de</strong> souvenirs précis (E1) ou imaginer que cela vienne<br />

ultérieurement (E15). Une enseignante reste perplexe après notre entretien, avouant<br />

que nos questions l’ont rendue attentive à un manque évi<strong>de</strong>nt par rapport à cette<br />

notion pourtant centrale <strong>dans</strong> l’activité infirmière (T5).<br />

Pour certaines <strong>de</strong>s étudiantes interrogées, l’engagement est indirectement<br />

thématisé <strong>dans</strong> son lien avec la notion <strong>de</strong> responsabilité (E2) et d’autonomie (P4), ou<br />

392


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

alors pour mettre en évi<strong>de</strong>nce la nécessaire distance thérapeutique. Il est évoqué,<br />

plus spécifiquement, lorsqu’il est question <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin avec <strong>de</strong>s populations<br />

« diffici<strong>les</strong> », tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> personnes souffrant d’addictions ou <strong>de</strong> troub<strong>les</strong><br />

psychiques graves (T9, P8), mais aussi avec <strong>de</strong>s populations auprès <strong>de</strong>squel<strong>les</strong> le<br />

soignant s’engage peut-être davantage sur le plan affectif, comme <strong>les</strong> personnes<br />

âgées ou <strong>les</strong> enfants (T4).<br />

Plusieurs étudiantes regrettent que l’engagement émotionnel soit si peu objet<br />

<strong>de</strong> cours et <strong>de</strong> réflexions (E1, E2). C’est un peu comme si l’engagement allait <strong>de</strong> soi,<br />

« comme si ça faisait partie du cahier <strong>de</strong>s charges et puis à nous <strong>de</strong> nous<br />

débrouiller, entre guillemets (E7) », et, s’il n’y a pas <strong>de</strong> cours à ce sujet « on en a<br />

encore moins sur <strong>les</strong> conséquences que ça pourrait avoir (E7) ». La mise en<br />

mots <strong>de</strong> ce qu’est concrètement l’engagement pourrait constituer une clé pour<br />

l’exercice professionnel (E13) et éviter <strong>de</strong>s situations où, la routine prenant le <strong>de</strong>ssus,<br />

on pourrait se laisser aller à ne plus agir en professionnel (E13).<br />

L’engagement doit bénéficier, en contrepartie, d’un temps dévolu à soi et à ses<br />

ressources, qui puisse être l’exutoire du stress accumulé (E22).<br />

Plusieurs étudiantes et enseignantes relèvent l’aspect délicat du sujet comme<br />

objet d’enseignement (E1), celui-ci relevant plus d’une dynamique d’action que d’un<br />

contenu théorique (E1) qui conserve toujours une part d’artificiel (E2). Une<br />

enseignante fait remarquer que l’on ne peut pas imposer l’engagement à un jeune,<br />

mais qu’on peut, en revanche, le rendre attentif à son importance et à la dynamique<br />

qu’il génère pour le développement professionnel (T7). Intimement personnel, il est<br />

aussi incarné différemment selon <strong>les</strong> individus, leur culture, leur éducation et leurs<br />

expériences. Ainsi, une enseignante fait remarquer qu’il faut se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> jugements<br />

hâtifs sur un non-engagement apparent d’une étudiante. Celle-ci pouvant être très<br />

engagée par sa seule « présence, <strong>dans</strong> la manière d’interagir… il peut y avoir<br />

<strong>de</strong>s étudiants très discrets sur le plan verbal, mais très présents (T1) ».<br />

Cette même enseignante souligne aussi la nécessaire cohérence <strong>de</strong> l’enseignant<br />

face aux étudiantes, à savoir l’adéquation entre ce qui est enseigné et ce que <strong>les</strong><br />

étudiantes peuvent voir <strong>de</strong> la manière dont l’enseignant vit son engagement<br />

concrètement (T1).<br />

393


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

19.4.4 Impact <strong>de</strong>s enseignants sur l’engagement<br />

Sur ce point, <strong>les</strong> étudiantes sont aussi unanimes et reconnaissent l’impact que<br />

leurs enseignants ont sur la manière dont el<strong>les</strong> vont considérer leur pratique et leur<br />

intégration à cette pratique (E18). La motivation a, en soi, quelque chose <strong>de</strong><br />

contagieux qui fait que <strong>les</strong> professeurs motivés génèrent également une motivation<br />

chez leurs étudiantes (E5), même si le sujet <strong>de</strong>s cours abordés ne correspond pas à<br />

leur intérêt premier. Ces enseignants motivés savent donner l’envie d’approfondir un<br />

sujet <strong>de</strong> prime abord considéré par l’étudiante comme très secondaire (E15) : « le<br />

prof engagé, il va faire vivre son cours. Même quelqu’un qui est pas intéressé,<br />

il va s’y intéresser (E7) ». La mise en récit <strong>de</strong>s expériences vécues par <strong>les</strong><br />

enseignants <strong>dans</strong> leur pratique <strong>de</strong> soignants touche <strong>les</strong> étudiantes, comme l’explique<br />

une étudiante : « ils nous donnent <strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong>, ils nous racontent <strong>de</strong>s<br />

histoires qu’ils ont vécues, leurs expériences. Ça motive beaucoup. De <strong>les</strong> voir<br />

parler <strong>de</strong> leur métier, c’est passionnant (E17)» et c’est le lien affectif à la<br />

profession qui transparaît au travers <strong>de</strong> ces récits, puisque la même étudiante<br />

poursuit : « certains on remarque qu’ils ont vraiment aimé faire ça (E17) ».<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la motivation, c’est même l’engagement que ces enseignants suscitent,<br />

comme l’affirme une étudiante en disant <strong>de</strong> ses profs qu’ils « nous engagent, ils<br />

nous poussent à nous engager (E25)».<br />

En revanche, le désengagement a une influence négative. Plusieurs étudiants<br />

regrettent que <strong>de</strong>s enseignants viennent en cours en étant peu préparés, en donnant<br />

<strong>de</strong>s lectures qui ne sont pas exploitées ultérieurement, et quittent la classe pour se<br />

réfugier <strong>dans</strong> leur bureau ou à la cafétéria (E15), en laissant <strong>les</strong> étudiants travailler<br />

seuls (E9). Jugé comme une solution <strong>de</strong> facilité, ce mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> fonctionnement, lorsqu’il<br />

se répète, finit par générer la démotivation (E9). Ce n’est donc pas tant un<br />

éloignement <strong>de</strong> la pratique qui démotive <strong>les</strong> étudiants, même si cet éloignement <strong>de</strong> la<br />

réalité est aussi vécu comme un entrave (E22). Le ton est dur avec certains<br />

professeurs qui « ne savent plus ce que c’est… que la pratique… on leur<br />

donnerait un dossier et puis une prise en charge à faire, ils en seraient pas<br />

capab<strong>les</strong>… (E17) ». Mais c’est surtout à leur attitu<strong>de</strong> que <strong>les</strong> étudiants jugent leur<br />

motivation. Et ils ne sont pas dupes : « … on remarque assez vite quand <strong>les</strong> profs<br />

394


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

sont motivés et engagés ou pas (E17) ». La même étudiante explique : « certains<br />

ils sont plus <strong>dans</strong> la pratique <strong>de</strong>puis longtemps mais ils sont quand même<br />

motivants parce que… ils ont encore ça <strong>dans</strong> la tête (E17) » et « ils donnent<br />

envie d’aller plus loin…(E18)» par leur savoir et <strong>les</strong> connaissances qu’ils aiment à<br />

partager, et qui peuvent ensuite permettre <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s liens en situation (E18). Cette<br />

motivation générée au cœur <strong>de</strong> la formation, va bien souvent se traduire par un<br />

engagement plus concret <strong>dans</strong> le lieu d’exercice professionnel (T1).<br />

Il importe néanmoins que cette dynamique motivationnelle transmise soit en<br />

concordance avec la réalité. Parfois la déception a lieu lors <strong>de</strong> l’entrée sur le terrain<br />

<strong>de</strong> la pratique. En formation, <strong>les</strong> étudiantes se laissent contaminer par la motivation<br />

<strong>de</strong>s enseignants mais réalisent alors, lorsqu’el<strong>les</strong> sont confrontées à la réalité, que cet<br />

idéal n’est plus d’actualité (E25) et que certaines « bonnes pratiques » et une<br />

idéalisation liée à la philosophie <strong>de</strong> soin (T3) ne sont « plus du tout adaptées à la<br />

vie professionnelle (E25) ».<br />

Le fait <strong>de</strong> voir que <strong>de</strong>s infirmières réussissent à conserver motivation et<br />

engagement, malgré <strong>les</strong> années <strong>de</strong> travail et la fatigue <strong>de</strong> la profession, est aussi une<br />

gran<strong>de</strong> source d’espoir pour <strong>les</strong> jeunes qui entrent <strong>dans</strong> le métier (E1). Et une<br />

enseignante voit ici une réelle responsabilité, <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong> donner aux futurs<br />

diplômées à la fois l’envie <strong>de</strong> s’engager mais aussi <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> le faire, afin qu’el<strong>les</strong><br />

puissent faire face aux intempéries et ai<strong>de</strong>r à redresser le bateau (T1). Il faut pouvoir<br />

faire partie <strong>de</strong> ces personnes phares qui suscitent l’envie, à un moment donné, <strong>de</strong><br />

suivre leur exemple (T1) mais qui n’atten<strong>de</strong>nt pas, pour jouer ce rôle <strong>de</strong> modèle,<br />

d’être parfaits (T1). Cette enseignante affirme que « l’engagement, c’est aussi<br />

renoncer à être parfait (T1) ».<br />

Les enseignants doivent être attentifs à ne pas sombrer <strong>dans</strong> une nostalgie <strong>de</strong><br />

temps révolus, ce qui semble être parfois le cas, et qui porte atteinte à la motivation<br />

que l’on peut transmettre (T10). Car « la meilleure façon <strong>de</strong> former à<br />

l’engagement, c’est d’être engagé soi -même (T1) » et inversement ce sera<br />

« difficile <strong>de</strong> (<strong>les</strong>) motiver si soi-même on baisse la tête (T10) ».<br />

395


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

L’engagement personnel <strong>de</strong> l’enseignant peut aller jusqu’à conclure une forme<br />

<strong>de</strong> « partenariat » (T15) avec <strong>les</strong> étudiantes, ou encore à exercer une fonction <strong>de</strong> gui<strong>de</strong><br />

qui relève presque du « thérapeute » (P8), comme reconnaît ce praticien que <strong>les</strong><br />

enseignants ont aidé à se « sentir bien <strong>dans</strong> sa fonction d’infirmier en<br />

psychiatrie (P8) » et à créer une harmonie entre sa vie professionnelle et<br />

personnelle (P8). Au bénéfice <strong>de</strong> cette expérience, ce professionnel peut, à son tour,<br />

jouer un rôle <strong>de</strong> modèle engagé auprès <strong>de</strong>s étudiants qu’il encadre. Et il le clame haut<br />

et fort : « je leur donne envie <strong>de</strong> se battre quelque part pour avoir une<br />

reconnaissance autre que ce qu’il existe maintenant…(P8) ». La motivation et<br />

l’engagement <strong>de</strong>s professionnels peuvent même influencer <strong>les</strong> représentations et<br />

choix <strong>de</strong>s étudiantes quant à leur future pratique. C’est ce qu’affirment, à l’unisson,<br />

<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux praticiennes, infirmières en gériatrie. Les étudiantes arrivent souvent assez<br />

démotivées, avec <strong>de</strong>s images négatives <strong>de</strong> la gériatrie et <strong>de</strong>s personnes âgées.<br />

Néanmoins, leur engagement et la passion qui se dégage <strong>de</strong> leur attitu<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le<br />

concret ont souvent raison <strong>de</strong> leurs appréhensions premières et modifient leur vision<br />

<strong>de</strong> ce secteur <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P5), jusqu’à modifier <strong>de</strong>s choix <strong>de</strong> carrière (P7).<br />

La plupart <strong>de</strong>s praticiens interrogés sont bien conscients du rôle <strong>de</strong> modèle<br />

qu’ils jouent auprès <strong>de</strong>s jeunes en formation et <strong>de</strong> leur responsabilité à cet égard (P7,<br />

P8, P10).<br />

19.4.5 Les ressources contre l’épuisement<br />

Le thème <strong>de</strong>s ressources personnel<strong>les</strong> semble être abordé <strong>de</strong> façon plutôt<br />

globale. Ainsi, <strong>les</strong> étudiantes sont invitées à être attentives à leur hygiène <strong>de</strong> vie, à<br />

leurs loisirs, à gar<strong>de</strong>r la distance relationnelle nécessaire permettant <strong>de</strong> faire la part<br />

<strong>de</strong>s choses entre le professionnel et le personnel, et à trouver <strong>de</strong>s lieux <strong>de</strong> parole<br />

comme « un échappatoire, ou un moyen <strong>de</strong> pouvoir se vi<strong>de</strong>r un peu (E5) ».<br />

Le feed-back fait partie <strong>de</strong>s ressources sur <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> <strong>les</strong> formateurs insistent.<br />

Sollicité régulièrement auprès <strong>de</strong>s praticiens lors <strong>de</strong>s stages, il permet en effet à<br />

l’étudiante <strong>de</strong> pouvoir se situer, d’être rassurée ou, le cas échéant, <strong>de</strong> pouvoir mettre<br />

<strong>les</strong> mesures en place pour atteindre <strong>les</strong> objectifs (E2). Dans le même sens, <strong>les</strong><br />

396


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

enseignants insistent pour que <strong>les</strong> étudiantes produisent <strong>de</strong>s auto-évaluations<br />

régulières qui engagent la réflexivité. Un enseignant explique mettre l’accent sur<br />

« l’importance d’apprendre à s’auto-évaluer et à faire confiance à son auto-<br />

évaluation », sachant que, lorsque l’étudiante sera diplômée, elle sera confrontée à<br />

<strong>de</strong>s équipes où c’est avant tout ce qui ne va pas qui fait l’objet <strong>de</strong> remarques, et non<br />

l’inverse (T4).<br />

Une enseignante explique qu’il ne s’agit pas <strong>de</strong> développer une boîte à outils,<br />

mais bien davantage <strong>de</strong> « gui<strong>de</strong>r l’étudiante <strong>dans</strong> la découverte <strong>de</strong> la<br />

connaissance <strong>de</strong> soi et l’émergence <strong>de</strong>s ressources personnell es (T14) »,<br />

ressources donc déjà bien présentes mais parfois peu mobilisées.<br />

Pour cette mobilisation, la verbalisation et l’échange jouent un rôle déterminant,<br />

tout particulièrement entre pairs, en raison <strong>de</strong> cette « communauté du vécu où le<br />

partage prend sens (T14) ». Ce partage serait le plus fructueux s’il pouvait<br />

s’effectuer avec <strong>de</strong>s personnes différentes, apportant chacune <strong>de</strong>s compétences<br />

complémentaires, par exemple sous la forme <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> pratique (T14). Le<br />

phénomène d’individualisation actuel constitue un frein à la mobilisation <strong>de</strong> cette<br />

ressource capitale (T14).<br />

19.4.6 De l’enjeu <strong>de</strong> la réflexivité<br />

Une étudiante, partageant sa vision <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong> humanitaire, explique <strong>les</strong> limites<br />

d’une approche qui se voudrait simplement compensatoire et chercherait<br />

uniquement à pallier <strong>les</strong> be<strong>soins</strong>. Elle lui préfère largement une approche visant à<br />

« outiller » <strong>les</strong> autochtones pour <strong>les</strong> mettre en position d’être, eux-mêmes, capab<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong> pallier à ces manques, en ayant acquis <strong>les</strong> compétences <strong>dans</strong> ce but (E18). Nous ne<br />

pouvons-nous empêcher <strong>de</strong> faire ici un parallèle avec l’analyse <strong>de</strong> pratique. Elle<br />

cherche bel et bien, elle aussi, par une réflexion approfondie et conceptualisée, à<br />

fournir à l’étudiante ou au professionnel, <strong>de</strong>s éléments leur permettant <strong>de</strong> pouvoir<br />

gérer la situation. Cette posture réfléchie n’est alors plus un outil parmi d’autres,<br />

mais <strong>de</strong>vient partie intégrante d’une « hygiène <strong>de</strong> vie (E5) ». À condition toutefois<br />

qu’elle accepte <strong>de</strong> se détacher <strong>de</strong> son orientation première vers le patient, pour faire<br />

397


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

également la lumière sur <strong>les</strong> processus internes qui ont conduit le praticien à ses<br />

actions et fait émerger ses ressentis (E5, T5). Cela nécessite alors d’être guidé<br />

correctement au travers <strong>de</strong> ce processus, entre autres aussi pour avoir l’opportunité<br />

d’ancrer sa réflexion sur une argumentation soli<strong>de</strong> (E5). La relation <strong>de</strong> confiance<br />

établie avec <strong>les</strong> autres personnes présentes l’autorise à « se montrer un peu plus<br />

fragile sans être trop menacé (T4) », à exprimer ses sentiments et même à pleurer,<br />

par exemple (T4).<br />

Selon plusieurs personnes interrogées, la réflexivité constitue une arme<br />

importante <strong>dans</strong> le combat économique qui se livre au niveau du système <strong>de</strong> santé.<br />

De par son ancrage conceptuel et la validité scientifique qu’elle acquiert, elle permet<br />

aux infirmières <strong>de</strong> postuler pour une plus gran<strong>de</strong> reconnaissance sociale et<br />

économique, mais également <strong>de</strong> démontrer <strong>les</strong> dérives d’un système assujetti à la<br />

logique managériale et qui, par l’augmentation <strong>de</strong>s pressions, réduit à néant ce temps<br />

nécessaire à la réflexion. La verbalisation est évincée au profit <strong>de</strong> la communication<br />

virtuelle par l’intermédiaire <strong>de</strong> l’ordinateur (T9). Une étudiante explique la différence<br />

qu’elle a pu vivre entre un service traditionnel dont le quota est <strong>de</strong> 0.8 soignants par<br />

patient, et un service d’oncologie privé dont le quota est <strong>de</strong> 1.2 soignants par<br />

personne mala<strong>de</strong>. Dans le premier cas, aucune possibilité <strong>de</strong> prendre du temps pour<br />

la réflexion, alors que, <strong>dans</strong> le second, cette réflexion est au centre <strong>de</strong> la prise en <strong>soins</strong><br />

(E5). C’est une mise en synergie <strong>de</strong>s compétences et réflexions <strong>de</strong> chacun qui ouvre<br />

sur <strong>de</strong>s horizons <strong>de</strong> possib<strong>les</strong> quasiment infinis (T12). Et plusieurs étudiantes<br />

regrettent la centration importante du cursus <strong>de</strong> formation sur <strong>les</strong> actes techniques,<br />

qui pourtant s’acquièrent rapi<strong>de</strong>ment <strong>dans</strong> la pratique, au détriment d’un<br />

entraînement à la réflexion, dont l’exercice est beaucoup plus ardu et nettement plus<br />

long à s’approprier (E3, E5).<br />

De plus, la profession étant complexe et <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> parfois diffici<strong>les</strong><br />

à gérer, un regard extérieur sur son propre fonctionnement s’avère très aidant. Une<br />

étudiante fait le parallèle avec <strong>les</strong> psychothérapies que font certains soignants <strong>de</strong>s<br />

milieux psychiatriques. Elle explique que, sans aller jusque-là, cette mise en question<br />

<strong>de</strong> ses propres fonctionnements, et la verbalisation au lieu <strong>de</strong> l’intériorisation <strong>de</strong>s<br />

difficultés vécues, seraient un apport très bénéfique (E9). Cela permettrait, à la fois,<br />

398


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>de</strong> prendre du recul (E11), <strong>de</strong> bénéficier <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>s pairs et <strong>de</strong> leur analyse<br />

(E11). Mais, malheureusement, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services, le temps n’est pas suffisant pour<br />

procé<strong>de</strong>r à ce genre <strong>de</strong> réflexion. Comme l’explique une étudiante, « il manque<br />

aussi <strong>de</strong>s temps d’échanges je pense entre étudiants, entre <strong>les</strong> équipes en fait<br />

sur <strong>les</strong> lieux <strong>de</strong> stages… mis à part le temps <strong>de</strong>s transmissions qui est assez<br />

court pour parler <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> patients, on a pas forcément le temps <strong>de</strong> prendre<br />

du recul, <strong>de</strong> poser une situation… et c’est vrai que ça, ça manque ! (E11) ».<br />

Facteur <strong>de</strong> motivation, ce serait pourtant aussi « une rentabilité pour le service…<br />

et <strong>dans</strong> le coût bénéfice… c’est le bénéfice qui est largement supérieur (T4) ».<br />

Car, si l’effet positif <strong>de</strong> la réflexion se fait sentir sur la prise en charge, il imprègne<br />

aussi celui qui se laisse mo<strong>de</strong>ler et transformer. Une praticienne décrit ainsi avec<br />

beaucoup d’enthousiasme <strong>les</strong> effets <strong>de</strong> l’analyse <strong>de</strong> pratique : « tu ressors grandi<br />

un petit bout <strong>de</strong> soi… Et puis ça te redonne <strong>de</strong> l’élan , ça te redonne <strong>de</strong>s<br />

ressources…(P2) ».<br />

L’absence <strong>de</strong> cette analyse réflexive sur <strong>les</strong> services, conjuguée à la conscience<br />

<strong>de</strong> sa valeur ajoutée, ont comme conséquence un souhait formulé à au moins trois<br />

reprises parmi <strong>les</strong> étudiantes, <strong>de</strong> pouvoir revenir sur <strong>les</strong> bancs <strong>de</strong> l’école après<br />

quelques mois d’exercice professionnel, afin <strong>de</strong> pouvoir analyser ce temps d’insertion<br />

professionnelle avec leur tuteur et leurs pairs, et <strong>de</strong> pouvoir ensuite réajuster leur<br />

pratique <strong>de</strong> manière adéquate (E15).<br />

Une praticienne mentionne le portfolio comme un outil réflexif lui ayant été<br />

particulièrement aidant. Même si elle n’en a compris l’intérêt que très tard <strong>dans</strong> la<br />

formation, elle réalise à quel point il a été un facteur favorisant pour la<br />

conscientisation <strong>de</strong> certains phénomènes <strong>dans</strong> son exercice professionnel (P8).<br />

19.4.7 Le positionnement professionnel<br />

Ce point a largement été développé en lien avec l’engagement. Nous nous<br />

contenterons donc <strong>de</strong> souligner quelques aspects qui n’ont pas encore fait l’objet <strong>de</strong><br />

considérations antérieures. Sur ce thème, <strong>les</strong> apports semblent être relativement<br />

variab<strong>les</strong> d’une institution à une autre. Dans certains centres <strong>de</strong> formation, la notion<br />

399


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>de</strong> positionnement semble quasiment absente (E12), tandis que d’autres éco<strong>les</strong><br />

accor<strong>de</strong>nt une attention soutenue à cet aspect <strong>de</strong> la profession, qui lui permet <strong>de</strong><br />

s’émanciper d’une soumission ancienne à la mé<strong>de</strong>cine (E25) et <strong>de</strong> s’affirmer à part<br />

entière au sein <strong>de</strong> l’équipe pluridisciplinaire (E25). Mais, là encore, tout comme pour<br />

l’engagement, la limite <strong>de</strong> l’apport théorique apparaît clairement, parallèlement à la<br />

nécessaire confrontation avec la pratique (E25).<br />

Ce qui nous frappe en écoutant la <strong>de</strong>scription que <strong>les</strong> étudiants font <strong>de</strong> la notion<br />

<strong>de</strong> positionnement, c’est sa focalisation sur le fait « d’oser dire non », d’oser refuser<br />

d’effectuer un soin. Les fon<strong>de</strong>ments conceptuels, qui sont à la base <strong>de</strong> ce<br />

positionnement et permettent <strong>de</strong> le légitimer, <strong>de</strong>meurent néanmoins peu visib<strong>les</strong><br />

(E19). On exprime un désaccord auprès <strong>de</strong> la hiérarchie (E13), mais sans<br />

argumentaire apparent. Nous relevons le fait que <strong>les</strong> étudiantes qui mentionnent cet<br />

arrière-plan conceptuel sont aussi cel<strong>les</strong> qui bénéficient, <strong>dans</strong> leur institution, <strong>de</strong><br />

l’analyse <strong>de</strong> pratique. S’il est bien entendu impossible d’établir un lien certain entre<br />

<strong>les</strong> <strong>de</strong>ux éléments, on est cependant en droit d’en poser l’hypothèse. Ainsi, une <strong>de</strong>s<br />

étudiantes explique : « j’ai toujours un avis sur ce que je lis, ce que j’entends,<br />

j’arrive toujours à me positionner après c’est… est -ce que je me positionne en<br />

fonction <strong>de</strong> mes valeurs ou en fonction <strong>de</strong>… <strong>de</strong> mes connaissances… j’essaie<br />

<strong>de</strong> regar<strong>de</strong>r… <strong>de</strong> le vérifier par <strong>de</strong>s connaissances, par <strong>de</strong>s lectures ou bien en<br />

discutant… (E22) ». Faire l’impasse sur ce fon<strong>de</strong>ment théorique, c’est, selon une<br />

enseignante, comme vouloir peindre un mur sans apposer, au préalable, une couche<br />

<strong>de</strong> fond, une couche d’accrochage (T9). Rapi<strong>de</strong>ment la peinture s’écaille et le résultat<br />

est bien pire que la situation initiale. Aux compétences d’analyse doivent se joindre<br />

un socle <strong>de</strong> connaissances permettant <strong>de</strong> faire le lien avec <strong>les</strong> concepts théoriques,<br />

mais aussi « la capacité d’ouverture et <strong>de</strong> non-jugement… le positionnement éthique<br />

(T14) ».<br />

Une enseignante regrette que le nouveau programme ne soit pas davantage axé<br />

sur le savoir scientifique et que <strong>les</strong> éco<strong>les</strong> acceptent <strong>de</strong> se laisser dicter <strong>de</strong>s plans <strong>de</strong><br />

formation avec <strong>les</strong>quels el<strong>les</strong> sont en désaccord profond. El<strong>les</strong> sont ainsi el<strong>les</strong>-mêmes<br />

un contre-exemple au positionnement (T5).<br />

400


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Et une autre enseignante explique qu’il y a nécessité d’unir <strong>les</strong> efforts, en<br />

construisant sur le socle <strong>de</strong> valeurs communes à la base <strong>de</strong> la profession, afin <strong>de</strong><br />

pouvoir se positionner <strong>de</strong> manière raisonnée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations jugées incompatib<strong>les</strong><br />

avec une pratique infirmière digne <strong>de</strong> ce nom (T9). L’enjeu est double, puisqu’il y a,<br />

d’un côté, <strong>les</strong> conséquences au niveau <strong>de</strong> la profession, mais il y a également, <strong>de</strong><br />

l’autre, l’inci<strong>de</strong>nce sur <strong>les</strong> étudiantes pour <strong>les</strong>quels l’enseignant conserve très souvent<br />

une valeur <strong>de</strong> modèle. La manière dont l’équipe enseignante gère ses tensions<br />

<strong>de</strong>vient ainsi, pour l’étudiante, un exemple <strong>de</strong> la manière dont vont se gérer <strong>les</strong><br />

tensions <strong>dans</strong> l’équipe soignante (T9). Il est alors d’autant plus essentiel <strong>de</strong> leur<br />

montrer la nécessité <strong>de</strong> « construire un engagement collectif et puis <strong>de</strong><br />

construire une institution qui fonctionne bien (T9) ».<br />

Le positionnement est indispensable à l’engagement, car, sans lui, l’engagement<br />

n’a pas <strong>de</strong> fon<strong>de</strong>ment et risque donc bien vite <strong>de</strong> se heurter à ses propres limites.<br />

19.5 Contexte hospitalier<br />

On ne saurait déconnecter l’engagement d’un individu <strong>dans</strong> une profession<br />

donnée, <strong>de</strong> l’environnement <strong>dans</strong> lequel s’exerce cette profession. Il va <strong>de</strong> soi que cet<br />

environnement va marquer <strong>de</strong> son sceau particulier une certaine dimension <strong>de</strong> la<br />

profession. Ceci est d’autant plus actuel pour <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> que <strong>les</strong> réformes en<br />

cours, <strong>de</strong>puis quelques années, modifient en profon<strong>de</strong>ur l’environnement sanitaire et<br />

social. Il est donc impossible d’examiner la notion d’engagement infirmier en faisant<br />

l’impasse sur le lieu <strong>dans</strong> lequel celui-ci prend vie.<br />

19.5.1 L’exercice du soin <strong>dans</strong> le contexte sanitaire<br />

Dans la refonte du système <strong>de</strong> santé, <strong>les</strong> professions ont été redéfinies et <strong>de</strong><br />

nouvel<strong>les</strong> professions sont apparues, qui font que <strong>les</strong> infirmières ont aussi davantage<br />

<strong>de</strong> peine à trouver leur place <strong>dans</strong> ce nouveau paysage. L’i<strong>de</strong>ntité infirmière est<br />

encore en plein développement (E1) et <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion ne lui<br />

facilitent pas cette recherche.<br />

401


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Comme nous avons pu le voir précé<strong>de</strong>mment, <strong>les</strong> soignants arrivent <strong>dans</strong> le<br />

domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> avec un idéal assez élevé, celui <strong>de</strong> vouloir « soigner tout le<br />

mon<strong>de</strong>, <strong>de</strong> guérir tout le mon<strong>de</strong>… (E11) ». Ils ont fait le choix d’investir une<br />

gran<strong>de</strong> partie <strong>de</strong> leur personne pour mettre en œuvre leur idéal <strong>dans</strong> le soin aux<br />

patients, mais <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail leur permettent <strong>de</strong> moins en moins <strong>de</strong> réaliser<br />

ce projet.<br />

Les conditions d’exercice tiennent parfois d’un véritable défi, comme l’explique<br />

cette étudiante, ancienne ai<strong>de</strong>-soignante : « nous, en douze minutes on <strong>de</strong>vait<br />

lever déjà <strong>les</strong> personnes qui avaient du mal à marcher, qui avaient <strong>de</strong><br />

l’arthrose, enfin <strong>les</strong> amener faire un tour aux WC, enfin on était pas contents<br />

<strong>de</strong> ce qu’on faisait quoi, on se sentait maltraitants… (E13) ». La réduction <strong>de</strong>s<br />

moyens ainsi que la pénibilité physique et psychique sont nommées à plusieurs<br />

reprises comme <strong>de</strong>s sources potentiel<strong>les</strong> <strong>de</strong> maltraitance, même chez <strong>les</strong> soignants <strong>les</strong><br />

mieux intentionnés (E19, P3). Parvenus aux limites <strong>de</strong> leurs ressources, ils n’arrivent<br />

plus « à faire la part <strong>de</strong>s choses… et au moindre truc ça (on) pète… ». Or<br />

cette agressivité est à son tour vécue « comme une charge émotionnelle pour<br />

<strong>les</strong> autres (P7) ».<br />

Certains soignants choisissent alors <strong>de</strong> se distancer pour se protéger. Se sentant<br />

toujours à nouveau brimés <strong>dans</strong> leur élan, ils finissent par baisser <strong>les</strong> bras (E19). À la<br />

charge <strong>de</strong> travail physique s’ajoute, <strong>de</strong>puis quelques années, la lour<strong>de</strong>ur<br />

administrative avec un temps consacré à remplir <strong>de</strong>s papiers, faire <strong>de</strong>s évaluations,<br />

réaliser <strong>de</strong>s procédures… qui ne cesse d’augmenter, au détriment bien entendu du<br />

temps accordé aux patients (P2).<br />

Dans une certaine mesure, <strong>les</strong> déci<strong>de</strong>urs tablent sur la conscience<br />

professionnelle <strong>de</strong>s soignants et <strong>de</strong> leur compassion pour <strong>les</strong> patients. Ils savent<br />

qu’ils n’entreprendront pas d’actes qui pourraient <strong>les</strong> mettre en danger. Une<br />

ancienne ai<strong>de</strong>-soignante explique qu’elle avait envisagé <strong>de</strong> faire grève avec son<br />

équipe, mais tous s’étaient ensuite ravisés en pensant aux rési<strong>de</strong>nts délaissés, ainsi<br />

qu’aux autres soignants qui auraient eu, à ce moment-là, à assumer une charge<br />

encore plus lour<strong>de</strong> (E13). Une autre praticienne explique qu’elle culpabilise <strong>de</strong> voir<br />

402


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

ses collègues ai<strong>de</strong>s-soignantes essayer <strong>de</strong> boucler péniblement une matinée <strong>de</strong> travail<br />

et ne peut s’empêcher <strong>de</strong> leur venir en ai<strong>de</strong>, délaissant ses propres activités (P7).<br />

Dans <strong>les</strong> zones frontalières comme cel<strong>les</strong> qui ont constitué notre terrain<br />

d’investigation, la comparaison avec <strong>les</strong> conditions salaria<strong>les</strong> françaises, ainsi que <strong>les</strong><br />

conditions <strong>de</strong> travail, constitue un autre moyen <strong>de</strong> pression important. Selon une<br />

étudiante, « <strong>de</strong> l’autre côté <strong>de</strong> la frontière, el<strong>les</strong> sont payées 1'200 euros… et<br />

el<strong>les</strong> ont le triple <strong>de</strong>s patients qu’el<strong>les</strong> ont ici… (E19) ». Les postulations <strong>de</strong><br />

françaises souhaitant travailler en Suisse sont nombreuses et <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> pression<br />

sur le personnel en place, par conséquent, assez efficaces. Le travail n’est plus aussi<br />

facile à trouver que par le passé et certains soignants préfèrent se taire par peur <strong>de</strong>s<br />

conséquences (P3).<br />

Les institutions exercent aussi <strong>de</strong>s pressions indirectes sur le personnel, en<br />

omettant d’informer le personnel sur ses droits. Ainsi, une enseignante explique<br />

avoir découvert, à sa gran<strong>de</strong> surprise, un document légal élaboré par la<br />

Confédération Helvétique octroyant le droit aux soignants <strong>de</strong> refuser <strong>de</strong> donner <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong>, pour raison d’objection <strong>de</strong> conscience. Remis aux directeurs d’hôpitaux à qui a<br />

été laissée la responsabilité d’information <strong>de</strong>s employés, ce document est<br />

apparemment inconnu <strong>de</strong>s soignants (T10). Une praticienne fait d’ailleurs écho à<br />

cette réalité d’aliénation <strong>de</strong>s droits en expliquant l’impossibilité, pour elle, <strong>de</strong> suivre<br />

toute formation continue, droit pourtant bel et bien reconnu par la convention<br />

cantonale (P10).<br />

La souffrance est bien présente chez <strong>les</strong> soignants interrogés et <strong>les</strong> propos<br />

sonnent à nos oreil<strong>les</strong> comme <strong>de</strong>s appels douloureux au changement. L’épuisement<br />

et autres pathologies liés au stress se répan<strong>de</strong>nt <strong>dans</strong> <strong>les</strong> équipes qui, <strong>de</strong> ce fait, ne<br />

sont jamais au complet (E19) et n’ont plus l’énergie nécessaire à revendiquer leurs<br />

droits (P3). Dans un effet <strong>de</strong> cercle vicieux, <strong>les</strong> soignants qui travaillent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />

équipes à effectif réduit sont alors soumis à une intensité <strong>de</strong> travail plus importante<br />

et, par conséquent, s’épuisent à leur tour (E19). Le pool <strong>de</strong> remplaçants est contacté<br />

en <strong>de</strong>rnier recours, comme l’explique cette étudiante qui en fait partie : « quand ils<br />

nous appellent en <strong>de</strong>rnier recours,… ils en peuvent juste plus, moi je sens <strong>les</strong><br />

équipes qui sont épuisées avec cette dotation <strong>de</strong> personnel… (E22) ». Les<br />

403


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

départs très fréquents sont la conséquence première <strong>de</strong> cet épuisement et ils<br />

entraînent avec eux un tournus important <strong>dans</strong> l’équipe, induisant <strong>de</strong>ux<br />

conséquences majeures : d’une part, il faut sans cesse former <strong>de</strong> nouveaux collègues<br />

qui nécessitent un temps d’acclimatation au terme duquel souvent ils quittent le<br />

service. Et, d’autre part, <strong>les</strong> équipes sont composées en large majorité <strong>de</strong> jeunes<br />

professionnels disposant <strong>de</strong> peu d’expérience et qui s’en trouvent d’autant plus<br />

fragilisés, tout particulièrement <strong>dans</strong> ce contexte difficile (T4). Dans ces équipes, la<br />

même enseignante explique que <strong>les</strong> soignants « sont engagés mais en ayant<br />

l’impression <strong>de</strong> ne pas avoir <strong>les</strong> moyens vraiment d’assumer ça, quoi. Donc<br />

eux… ils vivent <strong>dans</strong> la peur (T4) ».<br />

Une enseignante décrit ces phénomènes, en expliquant qu’il y a « une forme <strong>de</strong><br />

rouleau compresseur du système actuel… une espèce <strong>de</strong> banalisation, et<br />

certaines interventions <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> comme une<br />

autre… (T9)». À l’hôpital lieu <strong>de</strong> charité, on a substitué l’hôpital entreprise avec sa<br />

logique managériale et ses exigences <strong>de</strong> rentabilité. La prise en charge, qui voudrait<br />

que l’on considère l’être humain <strong>dans</strong> sa dimension holistique, se voit parcellarisée<br />

en une somme d’actes disjoints, réalisés chacun par un autre intervenant, selon une<br />

logique taylorienne comme l’explique cette étudiante : « on travaille tout en<br />

tournées, donc il y a la tournée <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, la tournée <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong> sang, la<br />

tournée <strong>de</strong> ci, la tournée <strong>de</strong> ça, c’est vrai que c’est difficile… déjà pour le<br />

suivi <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, et puis ça rend <strong>les</strong> soignants démotivés (E22) ».<br />

Cette disjonction <strong>dans</strong> l’activité au quotidien génère un sentiment <strong>de</strong> dispersion chez<br />

<strong>les</strong> professionnels, qui ont le sentiment <strong>de</strong> passer d’une activité à une autre sans<br />

continuité, <strong>de</strong> ne jamais vraiment achever un travail que l’on voudrait pourtant<br />

réaliser <strong>dans</strong> <strong>les</strong> règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’art (P3).<br />

La gestion <strong>de</strong> lits se fait à flux tendus. Il faut que l’occupation <strong>de</strong>s lits soit<br />

optimale, puisque l’hôpital <strong>de</strong>vra en rendre compte. Tout sera fait <strong>dans</strong> ce sens-là,<br />

même si, d’un point <strong>de</strong> vue médical, c’est une aberration. Ainsi un soignant explique<br />

vivre <strong>de</strong>s situations aberrantes <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sens. Parfois ce sont <strong>de</strong>s patients qui<br />

sont renvoyés chez eux, le lit étant déjà réservé, alors que leur état imposerait qu’ils<br />

restent en institution. D’autres fois, ce sont <strong>de</strong>s patients qui restent là pendant<br />

404


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

plusieurs semaines parfois, sans raison majeure, mais pour optimiser le taux<br />

d’occupation <strong>de</strong>s lits, puisque maintenant « on veut <strong>de</strong>s chiffres… il faut faire<br />

<strong>de</strong>s chiffres (P3) ». Ce sont <strong>les</strong> principes même <strong>de</strong> déontologie professionnelle qui<br />

sont mis à mal, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong>s soignants qui sont attaquées. En effet, la<br />

pression constante <strong>dans</strong> le rythme <strong>de</strong> travail impose <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix et <strong>de</strong><br />

privilégier certains patients par rapport à d’autres, remettant ainsi en cause le<br />

principe même d’équité face aux <strong>soins</strong>, au risque d’ailleurs d’essuyer <strong>les</strong> critiques<br />

d’une hiérarchie pointant du doigt <strong>les</strong> lacunes repérées (P7, P10). Un praticien<br />

explique que ce système <strong>de</strong> pression constante entraîne un fort sentiment <strong>de</strong> ne pas<br />

faire du « bon travail », <strong>de</strong> ne pas « faire le travail jusqu’au bout (P3) ». À la<br />

frustration <strong>de</strong> ce travail empêché, s’ajoute la déception <strong>de</strong> ne pas être entendu <strong>de</strong>s<br />

supérieurs (P8), voire <strong>de</strong> réaliser que leur supérieure directe est aussi<br />

« instrumentée » et « muselée » par sa hiérarchie, étant elle-même assujettie à cette<br />

logique comptable (P3). Même <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins sont sous pression. Ils ne peuvent plus<br />

prescrire ce qu’ils veulent, mais se voient imposés <strong>de</strong>s traitements moins onéreux par<br />

le pharmacien <strong>de</strong> l’hôpital qui, lui aussi, doit justifier ses dépenses et chercher la<br />

rentabilité optimale, même si cela se fait au détriment du patient (P3). Dans <strong>les</strong><br />

institutions privées la pression remonte jusqu’au directeur dont la place dépend <strong>de</strong>s<br />

actionnaires qui statueront <strong>de</strong> son efficacité à une gestion performante (P3).<br />

C’est sans doute là ce qui nous frappe le plus lors <strong>de</strong> cette analyse, parce que<br />

cela revient à la manière d’un refrain lancinant. Il s’agit <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> l’humain <strong>dans</strong><br />

l’institution. En effet, <strong>dans</strong> un lieu où l’humain est censé se trouver au centre <strong>de</strong>s<br />

préoccupations, il semble que sa présence soit <strong>de</strong> plus en plus niée au profit d’une<br />

logique monétaire. Sur ce point <strong>les</strong> témoignages sont nombreux et édifiants. Nous<br />

avons cet exemple <strong>de</strong> patients qui ne peuvent pas recevoir <strong>les</strong> traitements prescrits<br />

parce que jugés trop onéreux (P3). Mais nous avons aussi l’exemple criant <strong>de</strong> cet<br />

infirmier veilleur <strong>de</strong> nuit qui a manqué <strong>de</strong> peu d’être étranglé par une patiente, en<br />

psychiatrie, alors que l’équipe avait donné l’alerte plusieurs jours auparavant pour<br />

signaler le comportement violent <strong>de</strong> cette patiente, totalement décompensée. Ce<br />

veilleur doit sa vie au « passage fortuit d’un autre patient qui s’était levé pour<br />

aller aux toilettes (P8) ». Et, malgré cet inci<strong>de</strong>nt et l’arrêt immédiat <strong>de</strong> ce soignant<br />

405


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

par son mé<strong>de</strong>cin, il aura encore fallu « trois jours pour que la patiente reçoive<br />

une médication pour l’ai<strong>de</strong>r et puis il a fallu attendre un mois et <strong>de</strong>mi pour<br />

qu’on mette en place un <strong>de</strong>uxième veilleur <strong>dans</strong> l’unité… (P8) ».<br />

Dans le même ordre d’idées, si la loi sur le travail se doit d’être respectée, <strong>les</strong><br />

modalités organisationnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s institutions vont parfois complètement à son<br />

encontre. C’est le cas <strong>dans</strong> cette institution qui n’octroie que trente minutes <strong>de</strong> pause<br />

à son personnel, sachant qu’il lui faut déjà dix minutes à l’aller et dix au retour pour<br />

se rendre à la cafétéria. Pour peu qu’il y ait encore un peu d’attente, la pause est<br />

réduite à néant (E22). Or, en effaçant ces temps <strong>de</strong> pause, ce sont aussi <strong>les</strong> temps <strong>de</strong><br />

verbalisation qui sont ôtés, élément essentiel au travail et au bien-être du soignant.<br />

La coupe <strong>dans</strong> ces temps d’échanges a <strong>de</strong>s répercussions négatives, à la fois sur la<br />

prise en charge, puisque le patient est réduit à sa pathologie (T9), mais également sur<br />

<strong>les</strong> soignants. Comme le dit cette enseignante : « c’est un calcul à court terme… c’est<br />

mauvais pour la santé <strong>de</strong> l’équipe (T9) ». Une infirmière aux <strong>soins</strong> à domicile<br />

explique que <strong>les</strong> petits rapports du matin ont été supprimés, la hiérarchie ayant jugé<br />

que le dossier informatisé permettait la transmission <strong>de</strong>s informations et ôtait toute<br />

nécessité d’échange entre <strong>les</strong> soignants (P10). C’est nier toute l’importance <strong>de</strong> la<br />

communication informelle et <strong>de</strong> la dynamique d’équipe qui se construit et se fortifie<br />

<strong>dans</strong> ces moments privilégiés. À la communication inter-individuelle, on a substitué<br />

la communication virtuelle (P10).<br />

Ce manque d’échange peut bien vite être la source d’une division, laquelle est<br />

peut-être, d’ailleurs, bienvenue pour une institution qui craindrait <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong><br />

pouvoir. C’est ce qu’explique ce praticien pour lequel il y a réellement une volonté<br />

<strong>de</strong>s dirigeants <strong>de</strong> « diviser pour mieux régner », en utilisant pour cela sciemment<br />

certaines techniques <strong>de</strong> désinformation et <strong>de</strong> triangulation (P3). Division par ailleurs<br />

encore renforcée par certaines pratiques managéria<strong>les</strong>, comme <strong>les</strong> primes au mérite<br />

qui font qu’il y a « <strong>de</strong>s gens qui sont en compétition, <strong>de</strong>s jalousies… beaucoup<br />

<strong>de</strong> difficultés interprofessionnel<strong>les</strong> (T11) ».<br />

Cette mainmise sur l’équipe est d’autant plus nocive que <strong>les</strong> collègues restent<br />

une ressource majeure pour pouvoir faire face au stress (P7). Une certaine marge<br />

406


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

d’autonomie est aussi perçue comme une ressource bienvenue (T13), mais elle est<br />

rare. De façon générale, un parallèle peut être fait entre la situation <strong>de</strong>s patients et<br />

celle <strong>de</strong>s soignants. À la piètre considération <strong>de</strong>s premiers, dont la dimension<br />

humaine est souvent négligée au profit <strong>de</strong> considérations économiques, s’associe la<br />

triste condition <strong>de</strong>s seconds, qui se reconnaissent, à maintes reprises, <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />

vocab<strong>les</strong> également dépourvus <strong>de</strong> dimension humaine. Ainsi plusieurs estiment être<br />

<strong>de</strong>s « pions » que l’on déplace à sa guise comme sur un échiquier, <strong>de</strong>s exécutants à<br />

qui il est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> ne surtout pas trop réfléchir, mais d’appliquer, même si l’ordre<br />

donné tient <strong>de</strong> l’absur<strong>de</strong> (P10). À au moins six reprises, <strong>les</strong> personnes interrogées<br />

s’i<strong>de</strong>ntifient à <strong>de</strong>s robots dont on attend un fonctionnement bien huilé (P3). Une<br />

praticienne exprime avoir le sentiment d’une « robotisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P8) », en<br />

reconnaissant que l’on a <strong>de</strong> plus en plus à faire à « <strong>de</strong>s <strong>infirmiers</strong> machinistes qui<br />

effectuent <strong>de</strong>s gestes coutumiers, jour après jour, sans vraiment se poser <strong>les</strong><br />

questions <strong>de</strong>rrière (P8) ». C’est dû au fait que « le système, il veut nous faire<br />

aller comme <strong>de</strong>s robots et on est quand même toujours tous, que <strong>de</strong>s êtres<br />

humains, autant <strong>les</strong> patients que <strong>les</strong> soignants… (P10) ». Une autre praticienne<br />

<strong>les</strong> rejoint en expliquant : « on a <strong>de</strong>s actes à faire auprès <strong>de</strong> lui [le patient], mais<br />

après ça s’arrête là… on a pas le temps après d’avoir justement cette…<br />

dimension relationnelle (P7) ». La dimension chaleureuse s’évanouit (P7). Il y a<br />

donc un écart toujours plus important entre le travail prescrit et le travail réel (P10).<br />

Même l’hyperspécialisation, qui touche à présent la mé<strong>de</strong>cine, encourage cette perte<br />

<strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l’humain, en délaissant la perspective holiste pour lui substituer une vue<br />

très morcelée <strong>de</strong> la personne (P5). On retrouve d’ailleurs cette tendance déjà durant<br />

la formation. Une enseignante explique que son plaisir principal à enseigner était <strong>de</strong><br />

pouvoir créer du lien entre <strong>les</strong> concepts et d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiants <strong>dans</strong> cette démarche.<br />

Or, à présent, cet aspect n’est plus souhaité, puisque ce que l’on attend d’une haute<br />

école, c’est qu’elle forme « <strong>de</strong>s spécialistes » (T12). Et une praticienne ne peut<br />

s’empêcher <strong>de</strong> s’écrier que cette évolution « humainement, c’est<br />

dramatique ! (P10) ».<br />

Cette perte <strong>de</strong> la dimension humaine ne laisse pas <strong>les</strong> professionnels<br />

indifférents. Une praticienne affirme que cela « génère <strong>de</strong>s angoisses (P7) » chez<br />

407


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

elle. Pour plusieurs autres, la situation professionnelle actuelle génère une perte <strong>de</strong><br />

sens (E22) et une infirmière explique : « moi je peux pas exécuter <strong>de</strong>s trucs, <strong>de</strong>s<br />

directives qui sont stupi<strong>de</strong>s, non ou qui sont contradictoires (P10) ». Cette<br />

praticienne établit un lien direct entre le fait d’avoir été considérée comme un pion<br />

que l’on déplace à sa guise, avec la perte <strong>de</strong> sens qui en découle, et le burnout dont<br />

elle a été victime à ce moment-là (P10).<br />

D’où l’importance d’un positionnement général et d’une information à la<br />

population encore largement ignorante <strong>de</strong>s difficultés réel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> milieux <strong>de</strong><br />

<strong>soins</strong> (P3). Celle-ci doit aussi être mise à contribution <strong>dans</strong> le combat mené, car celui-<br />

ci n’est pas seulement économique, mais également politique (P5). Or <strong>les</strong> politiques<br />

ne semblent pas toujours bien conscients <strong>de</strong> la réalité du contexte hospitalier, <strong>de</strong><br />

l’activité soignante réelle, ainsi que <strong>de</strong> l’impact <strong>de</strong> l’évolution démographique sur<br />

cette profession. En effet, avec l’évolution démographique et le vieillissement <strong>de</strong> la<br />

population, <strong>les</strong> situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong> plus en plus complexes, ces<br />

personnes souffrant très souvent <strong>de</strong> polypathologies et nécessitant <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

beaucoup plus invasifs que par le passé (P10).<br />

Le départ d’un service n’est souvent pas la solution, car, « si on part <strong>de</strong> son<br />

service parce qu’il y a <strong>de</strong>s logiques comptab<strong>les</strong>, on va se retrouver <strong>dans</strong> un<br />

autre milieu où ce sera peut-être encore pire (P3) ». Partir c’est aussi perdre un<br />

peu la bataille et une enseignante reconnaît que « c’est quand même un peu<br />

frustrant parce que <strong>de</strong> se dire en même temps si <strong>les</strong> gens qui ont encore cette<br />

motivation-là s’en vont, ça changera jamais rien ! (T4) », mais, <strong>dans</strong> la même<br />

phrase, cette enseignante explique qu’elle n’avait en quelque sorte pas le choix, il<br />

s’agissait pour elle d’une solution vitale : « C’est vrai que là, j’ai peut-être joué<br />

ma peau (T4) ». Et, nous avons pu le constater aussi, beaucoup <strong>de</strong>s professionnels<br />

que nous avons interrogés ont fui <strong>les</strong> services hospitaliers traditionnels pour se<br />

réfugier <strong>dans</strong> l’enseignement ou <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s secteurs moins sous pression, comme <strong>les</strong><br />

<strong>soins</strong> à domicile. Deux soignants citent même en exemple <strong>les</strong> <strong>soins</strong> intensifs,<br />

expliquant que le stress y est très largement présent, <strong>de</strong> même que la charge <strong>de</strong><br />

travail. Mais pourtant <strong>les</strong> tensions se vivent beaucoup mieux, du fait que l’infirmière<br />

408


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

n’a que <strong>de</strong>ux ou trois patients et qu’elle est à « 100% avec la personne (E22) ». De<br />

ce fait, elle peut avoir « un lien qui est plus proche et plus renforcé avec <strong>les</strong><br />

patients (E15) ». Cet aspect relationnel semble contrebalancer une bonne part du<br />

stress vécu (E3).<br />

Dès leurs premiers stages, <strong>les</strong> étudiantes se ren<strong>de</strong>nt compte <strong>de</strong> l’impact que<br />

l’attention portée par l’infirmière à un patient peut avoir. Hospitalisés, sortis <strong>de</strong> leur<br />

contexte, <strong>de</strong> leurs habitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> vie, habités par <strong>les</strong> craintes d’un avenir incertain, bon<br />

nombre <strong>de</strong> patients souffrent parfois plus d’angoisses que <strong>de</strong> maux physiques réels.<br />

Une oreille attentive aura souvent <strong>de</strong>s effets extrêmement positifs, comme le rappelle<br />

cette étudiante : « j’ai pu observer la satisfaction euh… chez <strong>les</strong> patients quand<br />

je vois une infirmière qui prend euh… dix minutes, qui s’assied vers le<br />

patient… ça se ressent toujours quoi. Parfois, on a même plus besoin <strong>de</strong><br />

donner <strong>de</strong>s antalgiques ou <strong>de</strong>s c almants après (E22) ».<br />

L’impossibilité <strong>de</strong> mettre en pratique cette dimension humaine du soin est alors<br />

vécue comme un échec : « … on passe pas assez <strong>de</strong> temps pour faire un soin<br />

et… juste à ce moment-là on se rend compte que le patient a quelque chose à<br />

nous dire et puis ben, on est pris par l’organisation… c’est frustrant, très<br />

frustrant (E14) ».<br />

Tous <strong>les</strong> professionnels interrogés sont d’accord pour reconnaître l’importance<br />

d’une action collective face à cette dégradation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P11), car, si <strong>les</strong> soignants ne<br />

« travaillent pas leur positionnement, ils sont happés <strong>dans</strong> le système et… ça<br />

fera un peu <strong>de</strong>s robots… Ce sera plus <strong>de</strong>s personnes qui seront… comment<br />

dire… en fait si la personne elle se positionne pas, elle exécute et quand on en<br />

vient <strong>dans</strong> l’exécution, on perd aussi ses valeurs, voilà (P7) ».<br />

Face à cette situation <strong>de</strong> plus en plus difficile à gérer, <strong>les</strong> soignants doivent<br />

adopter une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> défense <strong>de</strong> leurs intérêts, même si « c’est difficile <strong>de</strong><br />

résister parce que <strong>les</strong>… le poids <strong>de</strong>s structures , c’est violent (T3) », il est<br />

néanmoins important <strong>de</strong> tout mettre en œuvre <strong>dans</strong> ce sens. Si la santé publique ne<br />

joue pas son rôle (T4), c’est aux <strong>infirmiers</strong> et infirmières <strong>de</strong> se prendre en mains et <strong>de</strong><br />

se positionner, « d’affirmer leurs valeurs personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong>, ce<br />

409


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

qu’ils ont envie <strong>de</strong> défendre et… <strong>de</strong> trouver un équilibre (P10) ». Donc ce<br />

combat suscite bel et bien un engagement <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s soignants (P10), un<br />

engagement pour redonner <strong>de</strong> la cohérence, <strong>de</strong> la structure et surtout <strong>de</strong> l’humain au<br />

milieu <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P10).<br />

19.5.2 Qualité <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> <strong>soins</strong><br />

Si l’activité est mue uniquement par la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir, cela provoque, à la<br />

longue « un ras-le-bol » (E12) et une démotivation.<br />

Nous remarquons d’ailleurs, au fil <strong>de</strong> l’analyse, <strong>de</strong>s éléments paradoxaux. En<br />

effet, certaines personnes, en particulier <strong>de</strong>s étudiants, affirment agir selon leurs<br />

convictions, ou du moins le souhaiter, mais <strong>dans</strong> la réalité, lorsqu’ils décrivent leur<br />

activité, on <strong>les</strong> sent pris <strong>dans</strong> l’étau <strong>de</strong>s obligations externes (E21).<br />

Par ailleurs, selon une étudiante, nous pouvons constater qu’une dotation en<br />

personnel insuffisante fait automatiquement pencher la balance du côté <strong>de</strong> l’agir et<br />

<strong>de</strong>s obligations professionnel<strong>les</strong> (E22). Elle décrit logiquement ce phénomène en<br />

expliquant que lorsque « le personnel est mal doté… on est peut-être plus <strong>dans</strong><br />

le faire, <strong>dans</strong> l’agir et on est moins <strong>dans</strong> l’être parce qu’on a pas le temps <strong>de</strong><br />

le faire et on s’épuise (E22) ». D’ailleurs, ce que l’étudiante exprime ici nous est<br />

confirmé par l’expérience vécue d’une soignante qui a pu l’expérimenter à ses<br />

dépens : «… Il y a eu aussi ça <strong>dans</strong> mon épuisement. C’est parce que j’entends,<br />

j’étais plus qu’à <strong>de</strong>voir exécuter <strong>de</strong>s directives et puis c’est tout. On me<br />

<strong>de</strong>mandait plus <strong>de</strong> réfléchir et puis d’avoir un tan tinet <strong>de</strong> réflexion et<br />

d’autonomie… (P10) ».<br />

Outre l’impact sur le soignant, c’est aussi la qualité du soin qui en pâtit, selon<br />

certains professionnels, puisque, si le travail est fait par <strong>de</strong>voir, « il n’y a plus cette<br />

dimension ben chaleureuse, relationnelle en fait cette dimension-là est <strong>de</strong> plus<br />

en plus perdue… et c’est l’essence même du soin qui est perdue (P7) ».<br />

Les <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> sont importants : l’expertise et la responsabilité parce qu’on est<br />

très vite <strong>dans</strong> l’erreur et « elle peut avoir <strong>de</strong>s conséquences dramatiques sur<br />

quelqu’un… », mais cela ne suffit pas, et l’étudiante rajoute que le soin doit se faire<br />

410


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

aussi « en fonction <strong>de</strong> nos convictions… c’est primordial pour euh, pour le<br />

bien-être (E19) ».<br />

Le secret d’un engagement professionnel durable se trouverait donc <strong>dans</strong><br />

l’équilibre entre <strong>les</strong> responsabilités et <strong>les</strong> convictions, équilibre rendu possible par le<br />

souci <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses valeurs, comme l’exprime une étudiante : « Si on respecte ses<br />

valeurs, on se respecte soi, et pis si on arrive à trouver l’équ ilibre entre<br />

finalement ce qu’on nous <strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’un point <strong>de</strong> vue déontologique et puis ce<br />

que nous on a comme convictions, comme inspiration, si on a cet équilibre -là,<br />

on est moins sujet, sans doute, à l’épuisement (E5) ».<br />

19.5.3 De l’épuisement professionnel <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

Car le danger qui guette actuellement <strong>les</strong> soignants, c’est bien l’épuisement. « Il<br />

y a un pourcentage élevé qui sont en état d’épuisement professionnel… <strong>dans</strong><br />

notre profession (E5) », affirme une étudiante, approuvée par une professionnelle<br />

qui parle d’une « explosivité <strong>de</strong> burnout ». L’épuisement lié à l’exercice du métier,<br />

aussi appelé burnout, résulte d’une exposition au stress prolongé, pério<strong>de</strong> durant<br />

laquelle l’organisme, soumis à <strong>de</strong>s stresseurs souvent multip<strong>les</strong>, a épuisé toutes ses<br />

ressources, tant sur le plan neuro-végétatif qu’hormonal. On se rend compte <strong>de</strong>s<br />

conséquences désastreuses que ce phénomène peut entraîner chez un soignant en<br />

entendant une étudiante qui explique : « j’étais tellement sous stress que j’avais<br />

plus faim, pis je sentais que j’étais plus sûre <strong>de</strong> moi, que j’avais plus<br />

vraiment la tête concentrée à ma tâche, pis j’ai arrêté chez <strong>les</strong> personnes âgées<br />

parce que j’avais peur <strong>de</strong> leur faire du mal (E5) ». Aux conséquences physiques<br />

se joint donc une perte <strong>de</strong> confiance en soi, qui peut avoir <strong>de</strong>s répercussions sur la<br />

prise en charge <strong>de</strong>s patients (E5), ou <strong>les</strong> contacts avec <strong>les</strong> famil<strong>les</strong> (E12). Une<br />

étudiante raconte cet inci<strong>de</strong>nt qui l’a choquée durant sa formation, lors duquel une<br />

infirmière a frappé un patient <strong>de</strong>vant elle et elle renchérit en disant que, « pour en<br />

arriver là, enfin pour frapper un patient… il faut vraiment être au bout du<br />

rouleau (E14) ».<br />

411


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Les causes qui conduisent à ce stress chronique sont nombreuses <strong>dans</strong> l’univers<br />

<strong>de</strong> soin actuel. Parmi <strong>les</strong> éléments relevés, on citera la routine et la pénibilité du<br />

travail (horaires, charge physique et émotionnelle…) comme <strong>de</strong>s éléments récurrents<br />

(E21). Ainsi, une étudiante explique que, <strong>dans</strong> le home où elle travaille pendant son<br />

temps libre, plusieurs infirmières sont arrêtées pour burnout. Mais cela s’explique<br />

aussi, dit-elle, par une clientèle <strong>de</strong> psychogériatrie très difficile à gérer sur le long<br />

terme, « avec <strong>de</strong>s gens déments qui crient, qui pleurent, qui se tapent, qui<br />

déambulent… (E22) ». Et l’étudiante reconnaît qu’elle ne pourrait pas non plus<br />

travailler à plein temps <strong>dans</strong> cette institution, en disant : « ce serait trop dur pour<br />

moi ! (E22) ». Cependant, à côté <strong>de</strong> cette charge liée au travail lui-même, il faut<br />

également mentionner la dénonciation, toujours à nouveau réitérée, d’un sentiment<br />

<strong>de</strong> désorganisation générale. Et c’est avec virulence que s’exprime cette infirmière<br />

qui a quitté la pratique pour l’enseignement, en raison justement <strong>de</strong> toutes ces<br />

difficultés : « Moi ce que je trouvais lourd, c’était <strong>les</strong> trucs d’organisation… À<br />

la fois une institution euh… qui mange, qui tue… il y a du poids à l’égard<br />

<strong>de</strong>s gens qui sont à l’intérieur, je trouvais doul oureux (T3) ». La charge <strong>de</strong><br />

travail se double alors d’un stress généré par le manque <strong>de</strong> coordination, <strong>les</strong> efforts<br />

investis sans retours (P8), le sentiment <strong>de</strong> ne jamais faire que parer au plus pressé,<br />

sans pouvoir terminer (P3, P10), avec un énervement et une frustration liés à la<br />

conscience d’une tâche mal accomplie (E12, E15). Et, qui plus est, l’infirmière se<br />

trouve à l’interface entre une personne souffrante et cette hiérarchie (T10) dont <strong>les</strong><br />

responsabilités sont parfois tellement diluées qu’il est difficile <strong>de</strong> savoir à quelle<br />

porte frapper. Ainsi, un praticien explique la tension très vive que génère chez lui le<br />

fait <strong>de</strong> percevoir la douleur d’un patient et <strong>de</strong> ne pas pouvoir le soulager,<br />

simplement parce que l’interne <strong>de</strong> gar<strong>de</strong> ne prend pas le temps <strong>de</strong> venir rédiger une<br />

prescription. L’empathie pour le patient se mêle à la colère d’une attitu<strong>de</strong> vécue<br />

comme une imposture, ainsi qu’au sentiment <strong>de</strong> culpabilité et d’injustice (P3).<br />

La fatigue chronique <strong>de</strong>vient un obstacle à la gestion du quotidien et, à plus<br />

forte raison, <strong>de</strong>s imprévus (E2). Au bout d’un moment <strong>les</strong> forces physiques lâchent et<br />

« le corps ne peut plus suivre… le corps ou l’esprit… suivant la situation<br />

(E2) ». Différents exemp<strong>les</strong> nous sont donnés qui illustrent parfaitement cette<br />

412


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

affirmation. Une praticienne raconte, par exemple, le vécu d’une collègue dont le dos<br />

bloque régulièrement sous l’effet du stress, preuve pour elle qu’elle « en a plein le<br />

dos et qu’en fait, c’est son corps qui dit stop à sa place (P11) ». Si elle ne prend<br />

pas gar<strong>de</strong>, sa chute risque d’être sévère, affirme la praticienne. Ses craintes sont<br />

corroborées par l’histoire d’une enseignante qui nous raconte avec beaucoup<br />

d’émotion l’épuisement d’une collègue infirmière qui a conduit cette <strong>de</strong>rnière à<br />

choisir la solution ultime, celle du suici<strong>de</strong>, à quelques années seulement <strong>de</strong> la retraite.<br />

Face à son mal-être, elle n’a trouvé aucune oreille attentive, ni aucun soutien <strong>de</strong> la<br />

part <strong>de</strong> ses supérieurs. Le désespoir a alors pris le <strong>de</strong>ssus (T9). C’est aussi ce que<br />

décrit cette praticienne, victime d’un burnout quelques années auparavant : « un<br />

matin, je me suis dit non [là je peux plus, je peux plus y aller], c’était<br />

l’angoisse totale. Je me suis dit, bon, soit je me présente aux urgences en<br />

psychiatrie… ouais, je peux plus c’est fini… (P10) ».<br />

On sent la crainte qui habite <strong>les</strong> étudiants face à cette réalité. Certains préfèrent<br />

délibérément ne pas y penser pour éviter « la déprime (E16) », d’autres envisagent<br />

déjà <strong>de</strong> quitter le service si la situation <strong>de</strong>vient trop pénible (E18, E17, E19).<br />

Il convient <strong>de</strong> relever que <strong>les</strong> causes <strong>de</strong> l’épuisement relevées par <strong>les</strong> personnes<br />

interrogées sont très fortement mises en lien avec un environnement générateur <strong>de</strong><br />

stress. Les aspects individuels en termes d’attentes personnel<strong>les</strong>, d’investissement et<br />

du soin <strong>de</strong> soi apte à réguler cet investissement, ne sont pas mentionnés ici.<br />

Selon <strong>les</strong> étudiantes, l’épuisement <strong>de</strong>s soignants est d’autant plus<br />

problématique qu’il frappe <strong>les</strong> plus motivés et <strong>les</strong> plus engagés d’entre eux (E18),<br />

ceux qui sont « tellement pris <strong>de</strong><strong>dans</strong>… (E15)», qu’ils ne sont pas capab<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

prendre du recul et « <strong>de</strong> se regar<strong>de</strong>r faire (P2) ». Certains sont très empreints<br />

d’une mentalité infirmière persistante qui pense tout <strong>de</strong>voir donner, au détriment <strong>de</strong><br />

leur propre personne, et s’engagent donc sans aucune limite (T9). Mais ce sont<br />

également <strong>de</strong>s soignants qui s’engagent avec ce qu’ils ont <strong>de</strong> plus profond, leurs<br />

valeurs profon<strong>de</strong>s et, lorsqu’ils ne peuvent plus agir en fonction <strong>de</strong> ces valeurs, il<br />

s’ensuit une souffrance réelle, accompagnée d’une perte <strong>de</strong> sens, et par là-même une<br />

perte d’i<strong>de</strong>ntité professionnelle (P2).<br />

413


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Une étudiante relève le conflit <strong>de</strong> valeurs auquel elle se trouve confrontée, entre,<br />

d’un côté, <strong>les</strong> exigences toujours plus élevées <strong>de</strong> la pratique en termes d’horaires et<br />

<strong>de</strong> dotation par patient et, <strong>de</strong> l’autre, la qualité <strong>de</strong> la prise en charge promue par<br />

l’école, avec au centre la relation au patient et l’analyse approfondie <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong><br />

soin. Mais l’équation <strong>de</strong>meure insolvable (E15). Très souvent <strong>les</strong> étudiantes adhèrent<br />

sincèrement à cet idéal et la frustration en est d’autant plus gran<strong>de</strong> (T10). À cela<br />

s’ajoute que la vie <strong>de</strong> famille est parfois aussi largement prétéritée par <strong>les</strong> horaires et<br />

<strong>les</strong> rythmes <strong>de</strong> travail, quand ce n’est pas par le travail lui-même, lorsque <strong>de</strong>s cadres<br />

soignants emmènent leurs dossiers chez eux et doivent rester accessib<strong>les</strong> jour et nuit<br />

(P3). Tous ne parviennent pas à « couper » en quittant leur poste (P8) et l’institution,<br />

avec ses exigences, ne le favorise pas non plus (P7). Nous avons rencontré plusieurs<br />

étudiantes qui se posent la question <strong>de</strong> savoir comment il leur sera réellement<br />

possible <strong>de</strong> concilier, plus tard, la vie <strong>de</strong> famille avec la profession (E26).<br />

À différentes reprises, nous avons pu saisir le rôle clé que joue l’équipe <strong>dans</strong> la<br />

prévention du burnout. Plusieurs personnes ont relevé l’importance du rôle <strong>de</strong><br />

miroir (E7) du collègue qui fait part <strong>de</strong> ses observations à celui qui est épuisé et le<br />

met en gar<strong>de</strong> contre une péjoration <strong>de</strong> son état. Mais l’équipe est aussi un réceptacle<br />

indispensable à la gestion <strong>de</strong>s émotions, ne serait-ce que par la verbalisation du vécu,<br />

<strong>de</strong>s ressentis ou <strong>de</strong>s craintes… (E13). Nous avons été frappée par <strong>les</strong> témoignages <strong>de</strong><br />

soignants qui démontrent clairement que, sans la solidarité <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> leur<br />

équipe, la majeure partie <strong>de</strong>s soignants <strong>de</strong> leur unité seraient en maladie et le service<br />

ne pourrait pas fonctionner (P7). Mais qu’en est-il alors <strong>de</strong> ces lieux <strong>de</strong> pratique où<br />

<strong>les</strong> temps <strong>de</strong> parole n’existent pas et <strong>les</strong> colloques se voient réduits au minimum<br />

(E22) ?<br />

414


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

19.5.4 De l’importance <strong>de</strong> la verbalisation<br />

Le thème <strong>de</strong> la verbalisation revient comme l’un <strong>de</strong>s principaux leitmotivs <strong>de</strong><br />

ces entretiens.<br />

Sans doute, la nature même <strong>de</strong> la profession, qui se veut par définition une<br />

profession basée sur l’échange et le travail en complémentarité, contribue-t-elle à ce<br />

besoin explicite <strong>de</strong> s’exprimer. Que l’on évoque <strong>de</strong>s pratiques professionnel<strong>les</strong> sans<br />

problèmes majeurs ou, au contraire, <strong>de</strong>s pratiques générant <strong>de</strong>s souffrances et un<br />

mal-être, le thème <strong>de</strong> la communication reste central.<br />

Dans <strong>les</strong> situations délicates, la verbalisation ai<strong>de</strong> à la distanciation (E7), à<br />

« vi<strong>de</strong>r la marmite au fur et à mesure (P1) », mais aussi à la prise <strong>de</strong> conscience<br />

<strong>de</strong> ses propres limites (E9). À la manière d’un rétroviseur, elle dispose d’une fonction<br />

réfléchissante, tant sur la situation du patient que sur son propre investissement.<br />

L’individu trouve <strong>de</strong>s ressources au travers <strong>de</strong> la réflexion et <strong>de</strong> la rationalisation, et<br />

là il est important que chaque personne soit placée sur un pied d’égalité, quelle que<br />

soit sa fonction <strong>dans</strong> l’équipe (E22).<br />

Si, en revanche, <strong>de</strong>s conflits sont présents <strong>dans</strong> l’équipe, une sorte <strong>de</strong> censure<br />

apparaît qui fait obstacle à la confiance et donc au partage (E13). Une étudiante fait<br />

remarquer que <strong>dans</strong> ces équipes « la pression monte, elle monte… et c’est<br />

souvent <strong>dans</strong> ces services-là qu’il y a le plus <strong>de</strong> burnout (E13) ». La<br />

verbalisation jouerait donc un rôle <strong>de</strong> soupape, permettant au soignant ni d’exploser,<br />

ni d’imploser. Une étudiante parle <strong>de</strong> son expérience en milieu psychiatrique, en<br />

expliquant la régularité <strong>de</strong>s discussions d’équipes, discussions parfois animées, voire<br />

conflictuel<strong>les</strong>, mais où <strong>les</strong> gens « se disaient <strong>les</strong> choses et puis après c’était réglé<br />

(E17)». Elle fait la comparaison avec un second stage en home, où ces moments-là<br />

n’existaient pas et où l’impact négatif <strong>de</strong> ce manque d’échange était clairement<br />

perceptible au niveau <strong>de</strong> la dynamique d’équipe (E22). Et plusieurs personnes nous<br />

confirment l’absence totale <strong>de</strong> colloque en home, hormis la remise du service le matin<br />

<strong>de</strong> bonne heure (P7). Les politiques <strong>de</strong> management actuel<strong>les</strong> poussent à diminuer<br />

ces temps considérés comme trop onéreux, alors qu’ils sont comme une petite<br />

bouffée d’oxygène dont l’effet dure toute une journée (P9). Une praticienne<br />

415


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

interrogée fait part <strong>de</strong> la motivation <strong>de</strong> ses collègues à venir quinze minutes plus tôt<br />

avant chaque prise <strong>de</strong> service pour pouvoir échanger, ventiler <strong>les</strong> situations diffici<strong>les</strong><br />

vécues par l’équipe sortante… et en fin <strong>de</strong> compte pouvoir rentrer chez soi l’esprit<br />

libre (P6).<br />

Les soignants apprécient souvent <strong>les</strong> milieux psychiatriques ou <strong>les</strong> domaines<br />

spécialisés, tels <strong>les</strong> <strong>soins</strong> palliatifs, par exemple, justement parce qu’ils accor<strong>de</strong>nt cette<br />

importance à l’échange (T9). Les services publics pensent faire <strong>de</strong>s économies <strong>de</strong><br />

temps et d’argent en <strong>les</strong> supprimant, mais c’est un calcul à court terme, car ils sont<br />

indispensab<strong>les</strong> au bien-être <strong>de</strong>s employés (T9). Une autre enseignante renchérit en<br />

expliquant que « l’employeur il a pas encore compris… ça peut lui paraître une<br />

perte <strong>de</strong> temps <strong>dans</strong> un premier temps, par rapport à la production <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong>… mais à moyen terme, il aurait tout à gagner… (T7) ». Le gain est donc<br />

déjà lié à la motivation <strong>de</strong>s soignants, mais ces échanges sont aussi autant <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-<br />

fous contre <strong>les</strong> erreurs ou omissions potentiel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> la prise en soin (P5).<br />

Il manque aux soignants un vrai « espace <strong>de</strong> réflexion (T7) » au cœur <strong>de</strong> leur<br />

pratique. La technique et le travail à la chaîne, mus par une logique <strong>de</strong> rentabilité, ont<br />

usurpé la place <strong>de</strong>s échanges entre pairs, temps qui serait pourtant essentiel à la<br />

discussion et à la réflexion (P1).<br />

Pour <strong>les</strong> étudiantes, c’est souvent à l’école que ce temps <strong>de</strong> parole peut être<br />

accordé, comme l’exprime l’une d’entre el<strong>les</strong> : « à l’école souvent on peut bien (en)<br />

parler quand même, <strong>les</strong> formateurs ils sont vraiment à l’écoute (E14) ». À<br />

chaque retour <strong>de</strong> stage, une petite discussion entre pairs permet d’échanger sur le<br />

déroulement du stage (P1).<br />

Lorsque cette verbalisation s’incarne <strong>dans</strong> une dynamique d’analyse <strong>de</strong><br />

pratique, elle prend une valeur encore majorée <strong>de</strong> par la fonction <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> du tuteur<br />

(E13). Le partage <strong>de</strong>s expériences entre pairs, ainsi que la mise en commun <strong>de</strong>s<br />

ressources, sont <strong>de</strong>s atouts essentiels pour le retour à la pratique (E13).<br />

Cependant plusieurs étudiantes se posent la question <strong>de</strong> savoir quels pourront<br />

être leurs canaux d’expression lorsqu’el<strong>les</strong> seront diplômées, en particulier si l’équipe<br />

vit <strong>de</strong>s tensions (E14).<br />

416


19.6 Perspectives futures<br />

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

La profession infirmière est, sans nul doute, à un tournant décisif <strong>de</strong> son<br />

histoire (T15). De ce que ses partisans vont en faire, <strong>de</strong> sa défense, <strong>de</strong> la défense <strong>de</strong><br />

ses richesses, <strong>de</strong> l’argumentation et <strong>de</strong> la légitimation vont dépendre son i<strong>de</strong>ntité<br />

future. Il y a là une opportunité à pas manquer pour faire reconnaître la profession à<br />

sa juste valeur et l’ai<strong>de</strong>r à s’émanciper <strong>de</strong> ce lourd héritage <strong>de</strong> nombreux sièc<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

soumission servile (T15). Le travail sur l’engagement constitue un moyen privilégié<br />

pour contribuer à cette émancipation.<br />

19.6.1 Promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> la pratique<br />

Lorsqu’on interroge <strong>les</strong> jeunes en formation sur <strong>les</strong> éléments qui, selon eux,<br />

pourraient contribuer à construire encore plus soli<strong>de</strong>ment leur engagement durant la<br />

formation, nous constatons à plusieurs reprises le souhait d’un accompagnement<br />

plus individualisé, qui tienne compte <strong>de</strong>s aspirations et valeurs personnel<strong>les</strong>, ainsi<br />

que <strong>de</strong> leur projet professionnel (E1). Ce souhait est à réfléchir car <strong>les</strong> promotions très<br />

gran<strong>de</strong>s d’étudiants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> peuvent, <strong>de</strong> prime abord, constituer un<br />

obstacle (P8).<br />

Certes, la notion d’engagement reste difficile d’accès. Elle ne s’enseigne pas<br />

comme une autre matière et reste éminemment personnelle. L’engagement interroge<br />

la personne et reste « lié à la connaissance <strong>de</strong> soi (E5) ». Dans l’approche<br />

didactique, ce concept <strong>de</strong>vrait être lié à la notion <strong>de</strong> positionnement, un<br />

positionnement qui est important vis-à-vis <strong>de</strong>s partenaires interdisciplinaires (E5). Il<br />

s’agit déjà pour certains d’apprendre à savoir dire « non » et à déléguer (E26).<br />

Dans le même registre, <strong>les</strong> étudiantes souhaiteraient approfondir une réflexion<br />

sur leurs limites personnel<strong>les</strong>, afin d’être mieux préparées à <strong>les</strong> exprimer en situation<br />

(E7) et <strong>de</strong> savoir trouver un juste milieu avec la distance professionnelle (E15).<br />

En ce qui concerne <strong>les</strong> modalités pédagogiques, nous ne pouvons que souligner<br />

l’importance accordée à la dimension dynamique. En effet, le sujet ne se prêtant pas à<br />

un traitement conceptuel classique, il convient <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r une approche peut-<br />

417


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

être plus individualisée et plus ancrée <strong>dans</strong> la réalité professionnelle. Ainsi <strong>les</strong><br />

interventions <strong>de</strong> personnes très engagées ayant vécu un burnout seraient appréciées,<br />

<strong>de</strong> même que <strong>les</strong> sketches et mise en situation fictives, mais reposant sur du vécu et<br />

imposant d’adopter un regard critique sur <strong>de</strong>s comportements, pour s’interroger<br />

ensuite sur ses propres comportements en regard d’une situation similaire. Une<br />

étudiante ayant vécu <strong>de</strong>s sketchs d’enseignantes réalisés <strong>dans</strong> cet esprit raconte <strong>les</strong><br />

avoir beaucoup appréciés pour la manière dont ils l’ont interpellée (E13). Une autre<br />

étudiante souhaiterait que <strong>de</strong>s situations contraires à leurs propres valeurs soient<br />

exposées en classe, afin <strong>de</strong> susciter <strong>de</strong>s réflexions et réactions parmi <strong>les</strong> étudiants, et<br />

que l’ensemble du cours puisse être interactif (E1).<br />

Une étudiante explique qu’un certain nombre <strong>de</strong> ses collègues se plaignent <strong>de</strong><br />

n’avoir pas suffisamment <strong>de</strong> temps <strong>de</strong> stage, argumentant que ce temps permettrait<br />

justement <strong>de</strong> mieux intégrer son engagement professionnel et d’amortir le choc du<br />

passage du statut d’étudiante à celui <strong>de</strong> professionnelle (E17). Cette même jeune fille<br />

explique attendre <strong>de</strong>s enseignants qu’ils travaillent avec eux sur leurs attentes et<br />

l’adéquation <strong>de</strong> celle-ci, ou non, avec la réalité. Selon elle, l’école pourrait déjà<br />

« jouer un rôle amortir le choc (E17) ».<br />

La nature <strong>de</strong> l’engagement, peu saisissable sur un plan théorique, renforce ce<br />

besoin d’expérimentation pratique (E19), mais elle <strong>de</strong>vrait en tous <strong>les</strong> cas être<br />

abordée durant la formation, ce qui n’est pas encore réalisé (E17).<br />

Une étudiante propose même <strong>de</strong> pouvoir faire un stage après le diplôme,<br />

comme cela semble être le cas à Berne, mais toujours avec un statut d’étudiante, pour<br />

entrer progressivement <strong>dans</strong> la vie active (E17). Ce passage constitue encore un<br />

grand choc pour beaucoup (T14), ne serait-ce que par la découverte <strong>de</strong>s horaires <strong>de</strong><br />

nuit, <strong>de</strong>s nombreuses journées <strong>de</strong> travail d’affilée, d’une responsabilité nettement<br />

plus importante… (P9, E17).<br />

Le portfolio pourrait être un support très intéressant au développement du<br />

projet professionnel, s’il était bien expliqué et mieux encadré dès le départ (E26).<br />

C’est souvent seulement à la fin <strong>de</strong> la formation que <strong>les</strong> étudiants en découvrent tout<br />

l’intérêt (E26, P8). Il pourrait être travaillé en duo avec l’enseignant et l’étudiante<br />

418


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

pourrait ainsi grandir, au travers <strong>de</strong> cette relation <strong>de</strong> confiance, <strong>dans</strong> un engagement<br />

plus mature, parce que mieux préparé et sciemment accompagné (P8). Grâce à cet<br />

accompagnement, le choix <strong>de</strong> carrière pourrait davantage être en corrélation avec <strong>les</strong><br />

valeurs personnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’étudiante, ce qui ne semble pas toujours être le cas (P5).<br />

Face à cette génération <strong>de</strong> jeunes, influencés par le contexte sociopolitique et<br />

économique <strong>dans</strong> lequel ils évoluent, l’enseignant doit aussi développer <strong>de</strong> nouveaux<br />

mo<strong>de</strong>s pédagogiques. Dans <strong>de</strong>s temps pas encore si anciens, l’infirmière trouvait son<br />

i<strong>de</strong>ntité par son i<strong>de</strong>ntification avec la communauté professionnelle <strong>dans</strong> laquelle elle<br />

s’engageait. Aujourd’hui, l’enseignant et le praticien formateur ont un rôle <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>.<br />

Ce sont eux qui doivent donner à l’étudiante une carte routière indiquant <strong>les</strong><br />

possib<strong>les</strong> <strong>de</strong> son évolution professionnelle et l’ai<strong>de</strong>r à développer et nourrir <strong>les</strong><br />

valeurs qu’elle est prête à investir pour ce cheminement (P10).<br />

19.6.2 Limiter l’épuisement par la formation<br />

Les personnes interrogées sont unanimes à reconnaître que l’épuisement naît, le<br />

plus souvent, d’une difficulté à se distancier <strong>de</strong> la situation professionnelle (E4),<br />

quelle que soit, par ailleurs, la source <strong>de</strong> stress vécue au cœur <strong>de</strong> celle-ci. Un <strong>de</strong>s<br />

moyens privilégiés pour tenter <strong>de</strong> prévenir cet épuisement par le biais <strong>de</strong> la<br />

formation, cité à maintes reprises, rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> un « entraînement » à une posture <strong>de</strong><br />

réflexion distanciée. Ainsi, l’analyse réflexive est plébiscitée à <strong>de</strong> très nombreuses<br />

reprises, par tous <strong>les</strong> acteurs : étudiants, enseignants et praticiens. Elle permet <strong>de</strong><br />

poser <strong>les</strong> éléments <strong>de</strong> la situation, <strong>de</strong> se remettre en question, <strong>de</strong> faire émerger <strong>les</strong><br />

émotions (E3) et également d’apprendre <strong>de</strong> comportements passés (E7). Elle est,<br />

somme toute, une ai<strong>de</strong> à la construction du système <strong>de</strong> valeurs <strong>de</strong> l’étudiante au<br />

service <strong>de</strong> son activité professionnelle (T3).<br />

L’analyse réflexive permet <strong>de</strong> réfléchir à ses propres limites, élément aussi<br />

essentiel pour se préserver et prendre soin <strong>de</strong> soi (E5), et une étudiante fait<br />

remarquer que cette démarche d’introspection serait extrêmement bienvenue pour<br />

ai<strong>de</strong>r à se découvrir et ainsi aussi pouvoir i<strong>de</strong>ntifier, chez soi, <strong>les</strong> frontières d’un<br />

419


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

engagement qui <strong>de</strong>viendrait pathologique (E5). Car, comme l’exprime cet étudiante<br />

avec une gran<strong>de</strong> sincérité marquée d’inquiétu<strong>de</strong>, « c’est bête, mais on ne se connaît<br />

pas vraiment. On ne sait pas jusqu’où on peut aller, jusqu’où on peut supporter <strong>les</strong><br />

choses… pis <strong>de</strong>s fois où l’on remarque que c’est trop, c’est déjà trop tard… (E16) ».<br />

Une autre étudiante soulève l’idée intéressante d’un moment <strong>de</strong> réflexion qui<br />

permettrait <strong>de</strong> se détacher du patient pour s’autoriser à penser à soi et ainsi être<br />

légitimé à reconnaître ses propres limites et à apprendre à <strong>les</strong> exprimer <strong>de</strong> manière<br />

constructive, sans être accablé du poids <strong>de</strong> la culpabilisation d’un manque<br />

d’empathie ou d’échec <strong>dans</strong> la prise en soin (E9, T3).<br />

Mais cette introspection ne s’improvise pas et plusieurs étudiantes soulignent la<br />

nécessité d’être accompagnées <strong>dans</strong> ce processus, qui pour certaines se rapproche<br />

même un tant soit peu <strong>de</strong>s techniques <strong>de</strong> psychothérapie (E9, P9). Il faut, en effet, <strong>de</strong>s<br />

professionnels capab<strong>les</strong> d’ai<strong>de</strong>r à gérer le stress et l’anxiété (E11), parce que, par<br />

exemple, s’occuper d’une personne décédée, « pour certaines personnes c’est un<br />

sacré stress, jour et nuit ils y pensent, c’est pas facile (E16) », comme en<br />

témoigne cette étudiante. Cependant, avant même un accompagnement aussi<br />

spécifique, c’est déjà la présence d’une personne <strong>de</strong> référence qui serait indispensable,<br />

« quelqu’un à qui on peut s’adresser <strong>de</strong> précis (E7) » en cas <strong>de</strong> difficultés durant<br />

la formation. De toute évi<strong>de</strong>nce, cette dimension <strong>de</strong> soutien, même relativement<br />

impersonnel et ponctuel, fait défaut <strong>dans</strong> certaines institutions (E7) <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong><br />

<strong>les</strong> étudiants se sentent alors « paumées (E15)». L’étudiante explique, en parlant<br />

<strong>de</strong>s enseignants et responsab<strong>les</strong> <strong>de</strong> formation, qu’ils « se renvoient tous un peu la<br />

balle le jour où ça va pas (E7) » et, pour finir, l’étudiante en arrive à la conclusion<br />

du « débrouille-toi toute seule (E7) ». Ainsi, au lieu du soutien, elle rencontre une<br />

attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> retrait et d’indifférence et reste seule avec un malaise parfois très profond,<br />

comme le décrit cette étudiante : « je rentrais tous <strong>les</strong> soirs en pleurant, je<br />

dormais plus… on m’envoie chez l’infirmière scolaire pour prend re un<br />

Temesta® (calmant)… enfin, c’est pas ça qui m’ai<strong>de</strong>… (E7) ». Elle décrit ce<br />

stage comme « un enfer (E7) » qui la plongeait <strong>dans</strong> un tel état que, dit-elle, « ma<br />

maman, elle avait peur <strong>de</strong> me laisser aller tellement elle me voyait pas bien<br />

(E7) ». On comprend ici le besoin exprimé par l’étudiante <strong>de</strong> pouvoir trouver une<br />

420


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

oreille attentive et un conseil personnel <strong>dans</strong> une situation qui aurait pu avoir <strong>de</strong>s<br />

conséquences graves, sans doute sous-estimées. Une autre étudiante considère que<br />

cette personne <strong>de</strong> référence pourrait aussi se trouver sur le lieu <strong>de</strong> stage et jouer un<br />

rôle <strong>de</strong> tuteur (E16).<br />

Mais plusieurs étudiantes nous ren<strong>de</strong>nt attentive au fait qu’il serait incohérent<br />

<strong>de</strong> n’envisager une prévention du burnout que pendant la durée <strong>de</strong> la formation.<br />

El<strong>les</strong> mettent en évi<strong>de</strong>nce la difficile et récurrente confrontation avec <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong><br />

travail fatiguées, au bord <strong>de</strong> l’épuisement, et qui entraînent avec eux <strong>les</strong> personnes<br />

encore motivées (E11). Une étudiante pense qu’il serait nécessaire <strong>de</strong> réaliser un<br />

travail spécifique <strong>dans</strong> ce sens au sein « <strong>de</strong> la formation continue », avec <strong>les</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> et infirmières déjà en poste. Cela permettrait <strong>de</strong> « maintenir le sens et la<br />

motivation (E11) ». C’est du ressort <strong>de</strong> l’employeur, mais il y a sans doute « <strong>de</strong>s<br />

ponts à continuer (T12) » pour œuvrer <strong>dans</strong> cette direction (T4).<br />

De façon générale, la plupart <strong>de</strong>s personnes interrogées trouveraient important<br />

<strong>de</strong> thématiser l’engagement en lien avec cette notion d’épuisement et <strong>les</strong> différents<br />

éléments présentés ci-<strong>de</strong>ssus (E16). Selon une étudiante, il s’agit d’une question<br />

d’honnêteté <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s enseignants, ceux-ci ayant le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à mettre<br />

en lien leur engagement, souvent d’emblée assez « intuitif » et absolu, avec une<br />

réalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> qui peut vite s’avérer très <strong>de</strong>structrice, s’il l’on y est pas préparé<br />

(E17). Plusieurs professionnels attestent la nécessité <strong>de</strong> cette préparation (P2, P7). Et<br />

une enseignante acquiesce en soulignant l’importance <strong>de</strong> travailler avec <strong>de</strong>s<br />

situations emblématiques qui soient le reflet du contexte <strong>de</strong> <strong>soins</strong> actuel (T13). Au<br />

cœur <strong>de</strong> ce contexte, elle relève la nécessité incontournable d’œuvrer, avec <strong>les</strong><br />

étudiants, au développement <strong>de</strong> ressources et <strong>de</strong> <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à penser leur action au sein<br />

d’un collectif (T13).<br />

19.6.3 Promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> au cœur <strong>de</strong> la<br />

formation<br />

Il est nécessaire <strong>de</strong> travailler une alternance réelle avec un partenariat entre <strong>les</strong><br />

praticiens formateurs et <strong>les</strong> enseignants, et non pas un partenariat « entre chefs<br />

421


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

(T12) », c’est-à-dire qui se situe uniquement entre <strong>les</strong> directions <strong>de</strong>s différents<br />

établissements sous la forme <strong>de</strong> conventions, sans pour autant que la mise en œuvre<br />

concrète <strong>dans</strong> la pratique soit réellement l’objectif principal. L’analyse <strong>de</strong> pratique,<br />

vécue <strong>dans</strong> un cadre <strong>de</strong> partenariat comme celui-ci, serait extrêmement fructueuse<br />

(T12). Tous <strong>les</strong> praticiens s’accor<strong>de</strong>nt à reconnaître la richesse que l’interaction à trois,<br />

entre praticien, étudiant et enseignant, peut susciter, chacun pouvant apporter sa<br />

pierre à l’édifice d’une meilleure compréhension d’une situation. La motivation<br />

individuelle s’en trouve décuplée, et avec elle l’engagement (P8). Le clivage<br />

persistant entre éco<strong>les</strong> et milieux <strong>de</strong> la pratique pourrait alors être remplacé par une<br />

riche co-construction (T15), car, comme l’explique une enseignante : « finalement<br />

quand on bosse ensemble, on réalise que on ne vit pas <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s<br />

différents. On a <strong>de</strong>s fois <strong>de</strong>s points d’appui, on a <strong>de</strong>s pondérat ions qui sont<br />

différentes, mais… professionnellement on se retrouve… c’est plutôt l’aspect<br />

<strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et du positionnement qui posent question (T4) »,<br />

et une élaboration commune autour <strong>de</strong>s situations permettrait <strong>de</strong> <strong>les</strong> discuter et <strong>de</strong><br />

<strong>les</strong> préciser. Un enseignant insiste sur la nécessité <strong>de</strong> développer le jugement clinique<br />

comme élément clé unificateur, puisqu’il permet <strong>de</strong> partir <strong>de</strong> la pratique et <strong>de</strong> lui<br />

donner un fon<strong>de</strong>ment conceptuel concret. « Il permet <strong>de</strong> donner un sens à cet<br />

engagement naturel ou empathique (T15) », en incluant « <strong>dans</strong> l’agir<br />

compréhensif ou <strong>dans</strong> l’agir compassionnel <strong>de</strong>s éléments concrets (T15) ». Par<br />

là-même, le jugement clinique permet <strong>de</strong> valoriser le savoir infirmier et <strong>de</strong> montrer<br />

que l’infirmière est « un maillon très important (T12) », même si, <strong>de</strong> l’extérieur,<br />

on a l’impression que tout « va <strong>de</strong> soi, que c’est normal (T12) ». Le jugement<br />

clinique s’exprime au travers d’un choix <strong>de</strong> priorités et <strong>de</strong> connaissances qu’il « faut<br />

mobiliser à bon escient, au bon moment, et ça ne se dicte pas <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

procédures. Cette qualité-là, elle est singulière à chaque instant (T12) ».<br />

La formation modulaire revêt certaines limites par rapport au développement<br />

professionnel, puisqu’elle signe, à un moment donné, la fin d’un apprentissage. Une<br />

enseignante fait remarquer qu’un certain nombre d’éléments <strong>de</strong>vraient pouvoir être<br />

travaillés <strong>dans</strong> une continuité sur <strong>les</strong> quatre années <strong>de</strong> formation (T14). Le<br />

développement professionnel est un processus <strong>de</strong> construction qui se poursuit<br />

422


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

durant toute la formation, au même titre que l’i<strong>de</strong>ntité individuelle et nécessite d’être<br />

accompagné (T14). C’est à cet accompagnement que <strong>les</strong> enseignants doivent œuvrer<br />

en réfléchissant aux moyens d’ai<strong>de</strong>r à une prise <strong>de</strong> conscience sur la réalité, quitte à<br />

<strong>de</strong>voir reconstruire sur <strong>les</strong> ruines <strong>de</strong> représentations erronées (T14).<br />

Par ailleurs, la formation ne doit pas rester un espace confiné d’une réflexion<br />

ponctuelle, mais ouvrir sur <strong>les</strong> autres champs d’intervention possib<strong>les</strong>. Ainsi, une<br />

praticienne fait remarquer que, par le biais <strong>de</strong> la formation, il serait indispensable <strong>de</strong><br />

contribuer au développement <strong>de</strong> compétences que <strong>les</strong> soignants n’ont pas, à savoir<br />

<strong>les</strong> compétences d’un engagement plus politique (P2). Elle argumente en disant que<br />

l’on « connaît mal <strong>les</strong> lois <strong>de</strong> la politique et qu’il faut s’engager …<br />

politiquement en sachant tirer <strong>les</strong> bonnes ficel<strong>les</strong> (P2) ». Il faut écarter ce « soi<br />

niant » encore beaucoup trop largement influent <strong>dans</strong> la profession (P2). Cette<br />

action politique permettra aussi <strong>de</strong> sensibiliser la population, <strong>de</strong> l’informer sur <strong>les</strong><br />

conditions réel<strong>les</strong> du système <strong>de</strong> santé et d’inciter, <strong>de</strong> cette manière, à une<br />

mobilisation plus générale (P2). C’est aux jeunes professionnels <strong>de</strong> se fédérer et <strong>de</strong> se<br />

positionner ainsi politiquement (T10), avant qu’il ne soit trop tard (P10). Pour ce faire,<br />

la formation a une responsabilité importante en ce qu’elle est à même <strong>de</strong> leur offrir<br />

<strong>de</strong>s compétences et <strong>de</strong>s ressources pour réussir ce positionnement et faire évoluer<br />

l’image <strong>de</strong> la profession.<br />

Il est nécessaire effectivement <strong>de</strong> souligner le <strong>de</strong>gré, sans doute jamais inégalé,<br />

<strong>de</strong> changement au cœur même <strong>de</strong> cette profession. D’abord centré sur le patient et la<br />

mé<strong>de</strong>cine, elle s’est ensuite ouverte aux soignants, pour accueillir la notion<br />

d’interdisciplinarité il y a quelques années, puis celle d’institution et, pour finir, <strong>de</strong><br />

nos jours, s’étendre à un phénomène sociétal (T3).<br />

On mesure l’ampleur <strong>de</strong> cette évolution en regardant <strong>dans</strong> le rétroviseur <strong>de</strong><br />

l’histoire. De l’infirmière soumise au mé<strong>de</strong>cin (E1), celle-ci est <strong>de</strong>venue acteur du<br />

soin, douée d’un jugement argumenté et conceptuellement fondé (T15). Elle doit<br />

néanmoins encore fournir bien <strong>de</strong>s efforts pour se débarrasser <strong>de</strong> la culpabilité qui<br />

l’habite (E5, T9, T3, T5), alors qu’elle tend vers un idéal <strong>de</strong> perfection (T1) qui la<br />

423


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

pousse à se donner, corps et âme (E13), sans considération aucune <strong>de</strong> ses propres<br />

limites (T9).<br />

Ce poids d’une histoire, dont on ne se débarrasse que lentement, constitue un<br />

frein indéniable à la construction d’une i<strong>de</strong>ntité affirmée (T5).<br />

On se doit également <strong>de</strong> souligner le caractère fortement féminin <strong>de</strong> la<br />

profession qui contribue, sans aucun doute, à ce manque d’affirmation. On ne<br />

manquera pas <strong>de</strong> relever <strong>les</strong> difficultés très concrètes <strong>de</strong> la gestion d’une vie<br />

professionnelle, déjà très complexe en elle-même, avec <strong>les</strong> exigences d’une vie <strong>de</strong><br />

famille. Mais ce trait caractéristique est sans doute également la source d’une<br />

possibilité d’affirmation moindre (P7), tout particulièrement vis-à-vis du pouvoir<br />

médical, quant à lui largement masculin (P11).<br />

424


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

CHAPITRE 20 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE LINÉAIRE<br />

Après avoir réalisé cette analyse <strong>de</strong> l’ensemble du corpus <strong>de</strong>s données,<br />

catégorie par catégorie, en <strong>les</strong> recomposant <strong>de</strong> façon à rendre compte d’un tout<br />

cohérent, il apparaît à présent pertinent <strong>de</strong> procé<strong>de</strong>r à une analyse différente. Celle-ci<br />

ne procè<strong>de</strong>ra plus à un examen <strong>de</strong>s catégories, mais elle s’attar<strong>de</strong>ra à comprendre le<br />

discours <strong>de</strong> six personnes différentes, pour un dégager une lecture singulière.<br />

Les entretiens que nous avons retenus, pour en faire une analyse systématique<br />

linéaire, ont été sélectionnés <strong>de</strong> manière aléatoire. Nous avons considéré comme<br />

pertinent <strong>de</strong> retenir <strong>de</strong>ux entretiens pour chaque échantillon <strong>de</strong> population et nous<br />

avons, pour ce faire, considéré <strong>les</strong> entretiens <strong>dans</strong> leur ordre <strong>de</strong> transcription par<br />

population. Ainsi, par exemple, l’entretien E18 a été retenu en sa qualité <strong>de</strong> premier<br />

entretien retranscrit <strong>dans</strong> l’échantillon <strong>de</strong>s étudiants, l’entretien E26 ayant été le<br />

second à être retranscrit.<br />

Pour chacun <strong>de</strong> ces six entretiens, nous avons tout d’abord relevé <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

thématiques abordées. Puis, à l’intérieur <strong>de</strong> ces thématiques, nous avons noté <strong>les</strong><br />

unités sémantiques et idées clés. L’entier <strong>de</strong> cette analyse se trouve en Annexe15.<br />

Nous reprenons ici <strong>les</strong> idées clés pour mettre en exergue <strong>les</strong> points suivants : ce<br />

qui caractérise la personne interrogée, ce qui a trait à son expérience professionnelle,<br />

sa compréhension <strong>de</strong> l’engagement, ce qui le fon<strong>de</strong> et le dynamise, son regard sur la<br />

profession et sur la formation au <strong>de</strong>venir du professionnel en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

20.1 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s étudiants<br />

Les étudiants ont <strong>de</strong>s parcours différents, en fonction <strong>de</strong>s formations suivies et<br />

<strong>de</strong> leurs expériences <strong>de</strong> vie. Il est intéressant <strong>de</strong> suivre leur raisonnement et leur<br />

manière <strong>de</strong> concevoir leur engagement envers une profession qu’ils ne connaissent<br />

pas encore vraiment.<br />

425


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

20.1.1 Premier entretien : premier étudiant (E18)<br />

Le premier étudiant est en <strong>de</strong>uxième année Bachelor. Il est âgé <strong>de</strong> 22 ans et a<br />

déjà travaillé <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, étant au bénéfice d’un diplôme d’ASSC. Il<br />

est l’un <strong>de</strong>s premiers à avoir manifesté sa disponibilité, suite à notre <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

envoyée par mail à l’ensemble <strong>de</strong>s étudiants pour réaliser ces entretiens. Nous<br />

sommes frappée par la personnalité <strong>de</strong> notre interlocuteur, son <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> réflexion et<br />

<strong>de</strong> maturité.<br />

Né en Suisse, mais issu d’une famille qu’il qualifie <strong>de</strong> « multiculturelle », il se<br />

dit avoir toujours été très conscient <strong>de</strong> ses privilèges au point d’avoir beaucoup<br />

culpabilisé avec, dès le plus jeune âge, une attitu<strong>de</strong> très altruiste <strong>de</strong> vouloir partager<br />

et ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> autres : «… quand j’étais petit, je voulais jamais recevoir quelque<br />

chose, je voulais partager, toujours je voulais aller vers <strong>les</strong> autres ».<br />

Ses premières expérience <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> en Suisse n’ont pas été très<br />

satisfaisantes et le rôle infirmier n’était, selon lui, guère mis en valeur. À ce sta<strong>de</strong>, il<br />

hésitait encore entre plusieurs professions : physiothérapeute, ergothérapeute,<br />

éducateur… Tout lui plaisait et il était apprécié <strong>de</strong> tous. Mais c’est une expérience<br />

<strong>dans</strong> l’humanitaire qui va finalement orienter son choix définitif vers <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong>. Cette expérience semble avoir joué un rôle essentiel <strong>dans</strong> son <strong>de</strong>venir<br />

professionnel. Au travers <strong>de</strong> son investissement en In<strong>de</strong>, il découvre tout à la fois : un<br />

sentiment d’utilité inégalé, la reconnaissance <strong>de</strong>s patients et plus tard <strong>de</strong>s pairs, une<br />

confrontation à <strong>de</strong>s valeurs différentes, y compris parmi <strong>les</strong> bénévo<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s<br />

infirmières modè<strong>les</strong> qui vont lui donner envie <strong>de</strong> se lancer <strong>dans</strong> la profession, une<br />

nouvelle dynamique <strong>de</strong> projet qui va donner sens à sa formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

ouvrant la porte sur <strong>de</strong> nouveaux projets, une autre conception <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> orientée<br />

davantage vers l’accompagnement plutôt que vers la guérison. Enfin cette expérience<br />

va lui faire prendre conscience <strong>de</strong> sa responsabilité <strong>de</strong> mettre en œuvre <strong>les</strong><br />

changements à son niveau et lui permettre d’acquérir une maturité et une<br />

profon<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> réflexion étonnante : « … ça ne sert à rien <strong>de</strong> cracher sur le rôle,<br />

c’est à toi <strong>de</strong> le changer… ». Il ne sera pas, comme certains étudiants, aveuglé par<br />

une vision totalement idéaliste <strong>de</strong> l’humanitaire, mais pourra, au contraire, penser<br />

s’y investir tout en étant bien au clair avec <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> cette approche.<br />

426


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Parallèlement à sa formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> actuelle, cet étudiant est<br />

extrêmement actif. Il travaille, le week-end et certains soirs <strong>dans</strong> une maison pour<br />

personnes âgées, ainsi que sur appel <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s services <strong>de</strong> <strong>soins</strong> comme ASSC.<br />

Il exprime une gran<strong>de</strong> solidarité vis-à-vis <strong>de</strong> ses collègues qu’il vient épauler<br />

<strong>dans</strong> ses remplacements et s’investit beaucoup pour <strong>les</strong> patients. Il est en même<br />

temps conscient que son statut d’ASSC lui permet certaines libertés qu’une infirmière<br />

n’a pas, tant sa responsabilité est lour<strong>de</strong>. Par ailleurs, il fait également remarquer que<br />

la tâche est nettement plus facile pour quelqu’un qui, comme lui, ne vient que très<br />

ponctuellement et ne subit pas la lour<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> la tâche jour après jour. Il est conscient<br />

<strong>de</strong> la routine qui, combinée à l’usure physique, peuvent rapi<strong>de</strong>ment avoir <strong>de</strong>s<br />

conséquences néfastes sur la santé <strong>de</strong>s individus.<br />

Ces activités multip<strong>les</strong> ne l’empêchent toutefois pas <strong>de</strong> nourrir une vie sociale<br />

très <strong>de</strong>nse. Au contraire, nous précise-t-il, cette dimension sociale est d’autant plus<br />

importante que l’univers du travail est prenant. Ce sont pour lui <strong>de</strong>s ressources<br />

capita<strong>les</strong> pour <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il est prêt à faire beaucoup <strong>de</strong> sacrifices. Et l’étudiant fait là,<br />

à nouveau, preuve d’une gran<strong>de</strong> maturité <strong>dans</strong> la mesure où il explique avoir<br />

largement réfléchi à cette question <strong>de</strong> l’épuisement et s’être délibérément fixé <strong>de</strong>s<br />

priorités, en s’imposant <strong>de</strong>s limites et <strong>de</strong>s objectifs. La réflexion est sous-tendue par<br />

une stratégie ciblée, qui se matérialise par la mise sur pied <strong>de</strong> nombreux projets,<br />

comme celui imminent <strong>de</strong> partir faire plusieurs mois <strong>de</strong> stage à l’étranger.<br />

Tout en ayant un regard critique lui permettant <strong>de</strong> pointer du doigt ses<br />

difficultés, il fait preuve d’une confiance en soi et en ses capacités. Au niveau <strong>de</strong> la<br />

formation, il met en évi<strong>de</strong>nce le rôle essentiel du mentor qui l’ai<strong>de</strong> à mieux se<br />

structurer et à dépasser ses difficultés. Le mentor est un enseignant qui accompagne<br />

<strong>les</strong> mêmes étudiants tout au long <strong>de</strong> la formation et procè<strong>de</strong> avec eux à <strong>de</strong>s séances<br />

d’analyse réflexive. Cet accompagnement fait partie <strong>de</strong>s points forts <strong>de</strong> la formation,<br />

<strong>de</strong> même que <strong>les</strong> moments d’analyse <strong>de</strong> pratique par petits groupes, qui permettent<br />

la verbalisation <strong>de</strong>s émotions, le positionnement, ainsi qu’une meilleure connaissance<br />

<strong>de</strong> soi. Il regrette en revanche que la formation ne soit pas plus axée sur le jugement<br />

clinique, outil pourtant essentiel à la reconnaissance <strong>de</strong> l’étudiante par <strong>les</strong> pairs. La<br />

dynamique <strong>de</strong> groupe qui caractérise d’ailleurs le travail avec <strong>les</strong> pairs au sein d’une<br />

427


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

équipe serait, selon lui, appréhendée <strong>de</strong> façon trop superficielle durant la formation,<br />

le focus étant mis uniquement sur <strong>les</strong> conflits d’équipe. Or la dynamique d’équipe est<br />

centrale, à son sens, puisqu’elle est le lieu où doivent pouvoir s’incarner, au moins<br />

partiellement, <strong>les</strong> idéaux <strong>de</strong>s différentes personnes.<br />

Et l’on retrouve cette idée <strong>dans</strong> la conception <strong>de</strong> l’engagement chez cet étudiant.<br />

En effet, pour lui, l’engagement est porteur <strong>de</strong> satisfaction, pour autant qu’il ren<strong>de</strong> la<br />

poursuite <strong>de</strong> l’idéal possible, indépendamment <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong> travail qui n’est du<br />

coup que secondaire. En revanche, si cet idéal n’est pas atteignable, l’engagement<br />

peut vite <strong>de</strong>venir pathologique et conduire au burnout.<br />

Il donne la définition <strong>de</strong> l’engagement suivante : « L’engagement, c’est la<br />

motivation pour quelque chose, c’est l’envie d’all er, <strong>de</strong> faire avancer <strong>les</strong><br />

choses ». Il s’agit d’une définition à l’image <strong>de</strong> notre étudiant, doté d’une forte<br />

propension au mouvement, <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> dynamique évolutive orientée vers un<br />

but précis. Le sujet en est aussi le principal acteur.<br />

La motivation joue un rôle clé <strong>dans</strong> cette définition <strong>de</strong> l’engagement, mais<br />

plusieurs paramètres la conditionnent : d’une part, cette motivation est rendue<br />

possible lorsque le soin peut être centré sur la personne, individualisé et adapté au<br />

patient. D’autre part, la reconnaissance et <strong>les</strong> encouragements la favorisent<br />

également, <strong>de</strong> même que la perspective <strong>de</strong> réalisation <strong>de</strong> différents projets. La<br />

formation a une part importante <strong>dans</strong> la motivation, en tant qu’elle doit permettre<br />

une meilleure connaissance <strong>de</strong> soi, qui, à son tour, permet à l’individu <strong>de</strong> placer <strong>de</strong>s<br />

limites et d’agir selon ses valeurs. Car, selon notre étudiant, le soin centré sur la<br />

personne et la connaissance <strong>de</strong> soi sont <strong>de</strong>s préalab<strong>les</strong> incontournab<strong>les</strong> à l’exercice du<br />

soin envers le patient. Sans ces préliminaires, il y a risque d’épuisement et celui-ci<br />

<strong>de</strong>vient, à son tour, source <strong>de</strong> démotivation pour <strong>les</strong> autres.<br />

L’étudiant regrette d’ailleurs que la démotivation gagne aussi rapi<strong>de</strong>ment la<br />

jeunesse qu’il n’estime pas, pour autant, moins engagée que par le passé, mais plutôt<br />

désabusée, comme découragée par un combat qui semble perdu d’avance.<br />

Dans le regard que cet étudiant porte sur la profession se dressent <strong>de</strong>ux<br />

tableaux antagonistes qui marquent la profession actuelle. D’un côté, <strong>les</strong><br />

représentations très tenaces qui continuent <strong>de</strong> connoter cette profession avec <strong>de</strong>s<br />

428


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

attentes envers <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> encore très orientées vers <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la<br />

charité et <strong>de</strong> la miséricor<strong>de</strong>, et, <strong>de</strong> l’autre, une évolution inévitable, due à la<br />

conjoncture économique et à l’évolution sociétale, qui bouleverse en profon<strong>de</strong>ur<br />

toute la conception <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Face à cela, il <strong>de</strong>vient, selon lui, plus que jamais<br />

nécessaire que <strong>les</strong> infirmières se positionnent et adoptent une philosophie <strong>de</strong> combat.<br />

C’est cela que nous relevons comme le plus marquant <strong>dans</strong> cet entretien. En<br />

effet, nous y trouvons une constellation <strong>de</strong> métaphores empruntées au registre du<br />

combat. Des termes afférents apparaissent à quatre reprises au minimum, qui<br />

soulignent la conscience <strong>de</strong> cette responsabilité du soignant à œuvrer pour <strong>de</strong>s<br />

changements <strong>dans</strong> son <strong>de</strong>venir professionnel. Et l’étudiant <strong>de</strong> déplorer une attitu<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> victimisation et <strong>de</strong> défaitisme, chez certains professionnels, tout comme chez<br />

certains étudiants déjà, se plaignant <strong>de</strong> leurs conditions, sans pour autant<br />

entreprendre quoi que ce soit pour y remédier : « … je me suis dit, ça ne sert à<br />

rien <strong>de</strong> se plaindre et d’écarter le problème, autant l’affronter et justifier <strong>les</strong><br />

actions qu’on fait, d’argumenter nos ac tions, après, … je me dis que c’est à<br />

nous <strong>de</strong> combattre ». Membres <strong>de</strong> plusieurs associations, dont l’Association Suisse<br />

<strong>de</strong>s Infirmières, ainsi que d’un syndicat, l’étudiant estime pouvoir déjà réaliser un<br />

certain nombre <strong>de</strong> choses à son niveau, avant <strong>de</strong> passer à d’autres échelons. Il en<br />

appelle ainsi à la responsabilité <strong>de</strong> chacun <strong>de</strong> faire <strong>de</strong> même, en particulier pour<br />

valoriser le rôle autonome et par là-même la profession, à laquelle il accor<strong>de</strong> déjà un<br />

très grand intérêt.<br />

Résumé <strong>de</strong> l’analyse du premier entretien<br />

Si l’on résume, <strong>de</strong> manière plus succincte et schématique, cet entretien en<br />

fonction <strong>de</strong> notre objet, on pourrait le décrire <strong>de</strong> la manière suivante, <strong>les</strong> idées ou<br />

mots clés étant surlignés.<br />

L’expérience personnelle, conjuguée à une influence du cadre culturel et<br />

social ainsi que <strong>de</strong> l’éducation clairement perceptib<strong>les</strong>, ont contribué à un<br />

raisonnement mature et argumenté sur la manière d’envisager sa profession et plus<br />

spécifiquement son engagement au sein <strong>de</strong> cette profession.<br />

429


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Grâce, entre autres, à son séjour en In<strong>de</strong> et à une démarche d’introspection que<br />

cette expérience a favorisée, il a pu faire émerger <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong> qui vont gui<strong>de</strong>r son idéal <strong>dans</strong> cette profession. Cet idéal s’inscrit<br />

<strong>dans</strong> la définition <strong>de</strong> l’engagement suivante :<br />

« L’engagement, c’est la motivation pour quelque chose,<br />

c’est l’envie d’aller, <strong>de</strong> faire avancer <strong>les</strong> choses.»<br />

Au travers <strong>de</strong> cette définition, c’est l’individu qui a réellement le rôle principal.<br />

Il est lui-même l’acteur et l’engagement (au travers du positionnement, <strong>de</strong> la prise<br />

d’initiative, <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> projets) constitue ce qui donne sens à sa vie, la<br />

source <strong>de</strong> motivation étant directement liée au sentiment d’utilité concrétisé par cet<br />

engagement.<br />

Le sens n’est que très peu soutenu par la notion <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir ou par la fonction<br />

exercée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, mais provient :<br />

De cet engagement personnel pour un idéal,<br />

De la reconnaissance octroyée par <strong>les</strong> patients et <strong>les</strong> pairs.<br />

La conscience d’une responsabilité personnelle invite à concrétiser cet<br />

engagement et à le mettre en scène par <strong>de</strong>s actes réfléchis et argumentés. C’est tout le<br />

contraire <strong>de</strong> la victimisation.<br />

Face aux difficultés actuel<strong>les</strong>, l’engagement conduit à mener un combat.<br />

430


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Pour ce faire, il relève la nécessité <strong>de</strong> développer trois pô<strong>les</strong> :<br />

Des ressources personnel<strong>les</strong> Un idéal La connaissance <strong>de</strong> soi<br />

Socia<strong>les</strong> et <strong>de</strong>s dynamiques (soin au patient, ses limites (confiance en<br />

d’équipe positionnement) soi,valeurs personnel<strong>les</strong><br />

La formation peut et doit faciliter le développement <strong>de</strong> ces trois pô<strong>les</strong> :<br />

par <strong>de</strong>s enseignements pertinents et <strong>de</strong>s enseignants qui soient <strong>de</strong>s modè<strong>les</strong><br />

d’engagement,<br />

par l’accompagnement personnel et ciblé du mentor ou tuteur,<br />

par la verbalisation <strong>de</strong>s émotions et l’ai<strong>de</strong> à une meilleure connaissance <strong>de</strong> soi,<br />

par l’apprentissage d’un positionnement argumenté,<br />

par le renforcement du jugement clinique et <strong>de</strong>s compétences spécifiquement<br />

infirmières.<br />

Il s’agit bien entendu d’un étudiant encore relativement jeune, et certainement<br />

influencé par le discours entendu en formation.<br />

20.1.2 Deuxième entretien : <strong>de</strong>uxième étudiant (E26)<br />

La <strong>de</strong>uxième étudiante est en troisième année Bachelor. Elle aura son diplôme<br />

d’infirmière quelques mois après notre entretien. Elle est âgée <strong>de</strong> 23 ans.<br />

L’étudiante a choisi la profession infirmière un peu par défaut, après avoir raté<br />

le concours <strong>de</strong> physiothérapeute et estimé n’avoir pas le niveau pour faire institutrice.<br />

431


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Elle ne regrette toutefois pas ce choix et <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers stages, en particulier en milieu<br />

aigu, lui ont apporté beaucoup <strong>de</strong> satisfaction.<br />

De sa personne l’étudiante nous livre très peu, sinon qu’elle n’a comme hobby<br />

que <strong>de</strong> rares activités au club <strong>de</strong> ski et son travail d’ai<strong>de</strong>-soignante en home (maison<br />

<strong>de</strong> personnes âgées), ainsi que sa famille.<br />

Nous rencontrons une étudiante très préoccupée par <strong>les</strong> patients, leur bien-être<br />

et leur sécurité. Elle présente une caractéristique d’engagement intense, comme son<br />

langage l’indique puisqu’elle affirme, à cinq reprises « se donner à fond ». On<br />

retrouve ce don absolu <strong>de</strong> sa personne <strong>dans</strong> sa définition <strong>de</strong> l’engagement :<br />

« (L’engagement) c’est… c’est tout donner <strong>dans</strong> son métier, c’est un peu fort<br />

ce que je dis, c’est donner son énergie, c’est mettre à contribution tout c e que<br />

l’on a pour mettre <strong>dans</strong> son métier. Quand on va faire notre journée <strong>de</strong><br />

travail, on ressort, on est vidé, c’est ça pour moi être engagée <strong>dans</strong> quelque<br />

chose ». L’entier <strong>de</strong> la personne est sacrifié sur l’autel <strong>de</strong> l’engagement qui implique<br />

un positionnement puisque « quand on est engagé, on se positionne ». Cet<br />

engagement revêt un caractère absolu qui la conduit à s’investir intensément, au<br />

détriment <strong>de</strong> sa vie sociale : « <strong>dans</strong> mon <strong>de</strong>rnier stage j’ai fait beaucoup d’heures<br />

supplémentaires, donc quand tu re ssors, t’es vidée et puis c’est vrai qu’après<br />

je ne ressortais pas plus loin… » et <strong>de</strong> ses forces psychiques : « … j’en avais<br />

marre, j’en pouvais plus ». L’engagement semble ici conduire à un épuisement<br />

physique complet.<br />

Le sentiment d’utilité donne un sens à son activité et motive son engagement,<br />

par exemple au service <strong>de</strong>s personnes âgées <strong>dans</strong> le home pour lequel elle travaille<br />

un week-end sur <strong>de</strong>ux. La reconnaissance <strong>de</strong> ces personnes pour qui « on est un<br />

peu plus que <strong>de</strong>s soignants » génère <strong>de</strong> la motivation et un sentiment <strong>de</strong><br />

responsabilité qui entraîne l’investissement. Celui-ci est d’autant plus gratifiant que<br />

la qualité relationnelle à la personne âgée est encore préservée par la taille mo<strong>de</strong>ste<br />

<strong>de</strong> l’institution, ainsi que sa bonne dotation en personnel. Notre étudiante se fait<br />

néanmoins du souci quant à un <strong>de</strong>venir professionnel qui voit cette qualité <strong>de</strong> prise<br />

en charge diminuer inéluctablement. Préoccupation majorée encore par la crainte<br />

bien consciente <strong>de</strong> ne pas savoir poser <strong>de</strong> limites, <strong>de</strong> ne pas être à même d’affirmer<br />

432


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

un positionnement, et <strong>de</strong> voir sa vie familiale en souffrir. Ce qui la conduit même à<br />

envisager <strong>de</strong> pouvoir <strong>de</strong>venir une infirmière « robot », avec une approche techniciste<br />

pure, même si cela n’est pas son souhait. Elle reconnait nécessiter jusqu’ici la<br />

présence d’une tierce personne qui sache poser <strong>les</strong> limites pour elle, tout en étant<br />

totalement au clair avec le fait que ce ne sera pas toujours forcément le cas.<br />

La routine pourrait conduire à ce fonctionnement automatisé et c’est pourquoi<br />

l’étudiante cherche à investir un domaine professionnel où règne l’imprévu, comme<br />

<strong>les</strong> services d’urgences ou <strong>les</strong> ambulances. D’ailleurs un stage récent en psychiatrie,<br />

davantage dominé par <strong>de</strong>s activités répétitives, ne l’a pas du tout satisfaite. À cette<br />

frustration s’est ajouté un sentiment <strong>de</strong> négation <strong>de</strong> soi : « … j’avais l’impression<br />

d’être une marionnette, on tire <strong>dans</strong> un sens, <strong>dans</strong> l’autre… ». Elle se sentait<br />

trop peu sûre d’elle pour affronter cela et s’est, du coup, retrouvée très mal à l’aise.<br />

Le plaisir faisant défaut, c’est la démotivation qui a gagné du terrain et, là encore,<br />

nous retrouvons la dimension d’absolu puisque l’étudiante estime n’avoir « pas été<br />

engagée du tout ».<br />

Cette étudiante semble très consciente <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> faire un travail sur elle.<br />

Elle reconnaît avoir réalisé, peu <strong>de</strong> temps auparavant, l’intérêt du portfolio pourtant<br />

mis en place <strong>de</strong>puis le début <strong>de</strong> la formation. C’est la remise en question sur ses<br />

valeurs qui lui a paru particulièrement bénéfique et elle regrette que <strong>les</strong> apports sur<br />

<strong>les</strong> valeurs soient restés très superficiels durant la formation, sans que ne soit<br />

abordée la question <strong>de</strong>s limites. Pour elle, un travail sur <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> reconnaître<br />

ses limites, mais aussi sur la manière <strong>de</strong> <strong>les</strong> affirmer, <strong>de</strong> <strong>les</strong> défendre, ainsi que <strong>les</strong><br />

possibilités <strong>de</strong> mettre en place ou <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s ressources pour justement faire<br />

face à ces limites, seraient <strong>de</strong>s outils extrêmement bienvenus pour l’entrée <strong>dans</strong> la vie<br />

professionnelle. Avec <strong>les</strong> connaissances théoriques d’un côté, considérées comme le<br />

socle sur lequel l’engagement se construit, et, <strong>de</strong> l’autre, un accompagnement<br />

personnalisé <strong>dans</strong> la construction <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité reposant sur ses valeurs, le futur<br />

professionnel serait beaucoup mieux armé pour faire sa place <strong>dans</strong> son champ<br />

d’activité.<br />

433


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Résumé <strong>de</strong> l’analyse du <strong>de</strong>uxième entretien<br />

Les valeurs personnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’étudiante sont implicites, peu ou pas verbalisées.<br />

Le choix <strong>de</strong> la profession s’est fait par défaut, mais il en résulte une satisfaction<br />

pour <strong>de</strong>ux raisons majeures :<br />

Sentiment d’utilité Reconnaissance <strong>de</strong>s patients et <strong>de</strong>s<br />

pairs<br />

Engagement sans mesure : Définition.<br />

« (L’engagement) c’est… c’est tout donner <strong>dans</strong> son méti er, c’est un peu<br />

fort ce que je dis, c’est donner son énergie, c’est mettre à contribution tout ce<br />

que l’on a pour mettre <strong>dans</strong> son métier. Quand on va faire notre journée <strong>de</strong><br />

travail, on ressort, on est vidé, c’est ça pour moi être engagée ».<br />

Avec <strong>de</strong>s conséquences<br />

SE DONNE À FOND<br />

Travail en parallèle <strong>dans</strong> un home.<br />

Engagement très intense <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services <strong>de</strong><br />

<strong>soins</strong> (heures supplémentaires, exhaustivité<br />

<strong>dans</strong> le soin…).<br />

Travail durant toutes <strong>les</strong> vacances.<br />

Isolement social.<br />

Épuisement.<br />

Atteinte à la vie <strong>de</strong> famille.<br />

434


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Sentiment <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir et <strong>de</strong> responsabilité.<br />

Besoin <strong>de</strong> reconnaissance, <strong>de</strong> valorisation.<br />

Mais le manque <strong>de</strong> recul et <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> distance induit :<br />

Incapacité au positionnement peut envisager <strong>de</strong> travailler <strong>de</strong><br />

manière robotisée.<br />

Méconnaissance <strong>de</strong> ses limites risque d’épuisement très fortement<br />

435<br />

présent.<br />

Regard jugeant sur d’autres étudiants ayant fait d’autres choix pour leur avenir<br />

professionnel : homes, psychiatrie…<br />

Perte <strong>de</strong> distance professionnelle : « On est plus que <strong>de</strong>s soignants ».<br />

Rôle <strong>de</strong> l’école :<br />

Représentation idéalisée <strong>de</strong> certains services<br />

(exemple : urgences serait synonyme d’absence <strong>de</strong> routine).<br />

Permettre <strong>de</strong> travailler sur ses propres valeurs.<br />

Promouvoir la connaissance <strong>de</strong> soi.<br />

Promouvoir la connaissance <strong>de</strong> ses propres limites.<br />

Favoriser un positionnement argumenté.<br />

Permettre le développement <strong>de</strong> connaissances, socle à l’engagement.<br />

Favoriser l’élaboration <strong>de</strong> ressources.<br />

Permettre <strong>de</strong> travailler la confiance en soi.<br />

Nous avons donc ici <strong>de</strong>ux étudiants très différents. Les divergences majeures<br />

sont liées à un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses valeurs, <strong>de</strong> ses limites très<br />

différents entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux. Dans ce second entretien l’absence <strong>de</strong> la réflexion sur soi<br />

fait défaut, laissant la porte ouverte à <strong>de</strong>s comportements qui peuvent rapi<strong>de</strong>ment<br />

<strong>de</strong>venir délétères pour la personne. Ce manque <strong>de</strong> recul a automatiquement <strong>de</strong>s<br />

conséquences sur le faible positionnement <strong>de</strong> l’étudiante, qui, lorsqu’elle se trouvera


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

confrontée, comme ce fut déjà le cas lors du <strong>de</strong>rnier stage en psychiatrie, à <strong>de</strong>s<br />

situations qui confronteront ses propres valeurs, risque <strong>de</strong> vivre une gran<strong>de</strong><br />

souffrance intérieure anéantissant toute motivation, tout engagement et pouvant la<br />

conduire rapi<strong>de</strong>ment vers l’épuisement.<br />

20.2 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s praticiens<br />

Les <strong>de</strong>ux praticiens exercent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s milieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> qui présentent peu <strong>de</strong><br />

similitu<strong>de</strong>s. Il est malgré tout intéressant <strong>de</strong> repérer <strong>les</strong> préoccupations semblab<strong>les</strong><br />

qui <strong>les</strong> habitent et d’observer <strong>les</strong> façons distinctes d’y faire face.<br />

20.2.1 Troisième entretien : premier praticien (P3)<br />

Le premier praticien est âgé <strong>de</strong> 38 ans. Il a réalisé sa formation en France, mais<br />

travaille <strong>de</strong>puis plusieurs années en Suisse. Il est informaticien <strong>de</strong> première<br />

formation, mais a souhaité cette reconversion pour donner un sens plus concret à son<br />

existence. Après avoir tenté plusieurs concours, il s’est orienté vers la profession<br />

infirmière puisqu’elle lui ouvrait <strong>de</strong> nombreuses perspectives. Il travaille<br />

actuellement <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux ans <strong>dans</strong> un service <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine et exerce la fonction <strong>de</strong><br />

praticien formateur, c’est-à-dire qu’il encadre <strong>les</strong> étudiants qui viennent en stage, en<br />

faisant son possible pour <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à atteindre leurs objectifs <strong>de</strong> stage. Il est<br />

intéressant <strong>de</strong> noter que, cette première partie autobiographique passée, le praticien<br />

nous parlera pratiquement toujours à la première personne du pluriel, comme pour<br />

indiquer qu’il s’exprime au nom <strong>de</strong> toute la corporation. Ce n’est que lorsqu’il<br />

affirmera son opposition à certaines pratiques, entre autres <strong>de</strong> ses collègues, qu’il<br />

s’exprimera à nouveau, pour un temps, à la première personne du singulier.<br />

Sensible à la douleur <strong>de</strong>s patients, il a comme valeurs premières le respect <strong>de</strong><br />

leur dignité et <strong>de</strong> leurs propres valeurs. Sa plus gran<strong>de</strong> satisfaction en lien avec<br />

l’engagement s’exprime <strong>dans</strong> la conscience d’avoir fait du bon travail.<br />

Malheureusement, il vit actuellement beaucoup <strong>de</strong> frustrations <strong>de</strong> par <strong>les</strong><br />

conditions <strong>de</strong> travail qui n’octroient pas toujours la possibilité d’offrir ce cadre<br />

respectueux au patient. Il prend pour exemple la durée d’hospitalisation, expliquant<br />

436


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

que celle-ci est décidée en faveur <strong>de</strong> critères économiques et non pas en fonction <strong>de</strong><br />

l’état du patient. De ce fait, <strong>les</strong> valeurs du professionnel sont bafouées et il se sent<br />

discrédité <strong>dans</strong> son rôle et ses compétences, comme il l’exprime en disant qu’il<br />

connaît l’état du patient et sait ce qui serait bon pour lui, mais ne peut rien<br />

entreprendre sans prescription. C’est par ailleurs aussi le principe <strong>de</strong> non-<br />

malfaisance <strong>de</strong> la charte éthique <strong>de</strong>s soignants qui est mise à mal et le praticien<br />

d’utiliser un langage assez ru<strong>de</strong> pour décrire l’acte, à la mesure <strong>de</strong> celui-ci : « Si on<br />

doit sortir un patient, nous on sait que ce patient… n’est pas prêt à sortir, mais<br />

puisqu’il faut libérer le lit, en fait nous ce patient on l’enlève et il rentre ». On notera la<br />

chosification opérée <strong>de</strong> l’être humain qui n’est plus qu’une marchandise que l’on<br />

peut « sortir » ou « enlever », et l’on sent poindre la révolte chez ce soignant.<br />

Face à cette frustration, l’équipe joue un rôle décisif, en particulier <strong>de</strong> par le fait<br />

qu’elle permet <strong>de</strong> ventiler et d’échanger. Mais <strong>les</strong> doléances ne vont pas plus haut<br />

<strong>dans</strong> la hiérarchie, l’expérience ayant montré que cela ne sert à rien. Et ce praticien<br />

d’expliquer que <strong>les</strong> choses ont changé, en particulier <strong>dans</strong> l’organisation<br />

institutionnelle. Auparavant <strong>les</strong> responsabilités étaient clairement définies et l’on<br />

savait où s’adresser. La chef <strong>de</strong> service (ICUS) avait un certain pouvoir et relayait<br />

volontiers <strong>les</strong> <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s qui étaient ensuite examinées en haut-lieu. Mais à présent,<br />

avec <strong>les</strong> nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion, <strong>les</strong> responsabilités sont réparties entre <strong>de</strong><br />

multip<strong>les</strong> pô<strong>les</strong> d’activités et personne ne se sent plus vraiment responsable pour<br />

quoi que ce soit. L’autonomie <strong>de</strong>s chefs <strong>de</strong> service a diminué et ceux-ci subissent<br />

également <strong>de</strong>s pressions, tout comme le corps médical d’ailleurs, qui ren<strong>de</strong>nt leur<br />

position particulièrement inconfortable. Cette position pivot ambivalente est sans<br />

doute la cause d’au moins un burnout d’une ICUS, sur <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux recensés <strong>dans</strong> ce<br />

même service durant <strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers six mois. L’organisation du travail a donc <strong>de</strong>s<br />

répercussions directes sur la motivation qu’elle anéantit. De plus, l’augmentation <strong>de</strong><br />

la charge <strong>de</strong> travail représente également un poids grandissant sur <strong>de</strong>s équipes déjà<br />

fatiguées. Il s’ensuit <strong>de</strong>s désaccords d’ordre relationnel, parce que chacun est aux<br />

limites <strong>de</strong> ses forces. Ces désaccords, à nouveau, sapent le peu <strong>de</strong> motivation restante.<br />

Quant aux patients, ils ne sont pas dupes et chaque soignant sait qu’un patient qui<br />

ressent le stress du soignant aura tendance à être beaucoup plus <strong>de</strong>man<strong>de</strong>ur et<br />

437


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

exigeant, qu’en ayant en face <strong>de</strong> lui une personne détendue et à son écoute. C’est<br />

ensuite un processus en spirale. Un patient très exigeant, peu amène, génère chez le<br />

soignant épuisé une nervosité supplémentaire, qui peut alors rapi<strong>de</strong>ment se muer en<br />

une attitu<strong>de</strong> proche <strong>de</strong> la maltraitance.<br />

Mais le praticien explique également l’impact <strong>de</strong>s nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

management sur le genre <strong>de</strong> patients hospitalisés <strong>dans</strong> le service. En effet, <strong>de</strong>s<br />

patients, qui ne <strong>de</strong>vraient pas s’y trouver, y séjournent parfois plusieurs semaines,<br />

simplement pour « occuper <strong>de</strong>s lits ». Il en va ainsi, par exemple, <strong>de</strong> patients internés<br />

en psychiatrie et transférés, normalement, sur une très courte durée en service<br />

« normal » pour un traitement spécifique. Ceux-ci y séjournent parfois sur une<br />

longue pério<strong>de</strong> alors que le service n’est pas adapté pour ce genre <strong>de</strong> patients, <strong>les</strong><br />

soignants y sont peu habitués et la charge <strong>de</strong> travail quotidienne n’est pas diminuée<br />

pour autant. Ces cas d’hospitalisation prolongée sont alors vécus très difficilement<br />

par <strong>les</strong> soignants qui se considèrent comme <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> « pions sur l’échiquier »,<br />

un échiquier où la « logique comptable a pris le pas sur l’humain ». Ce soignant<br />

cite aussi un autre aspect révélateur <strong>de</strong> cette logique comptable, en expliquant<br />

l’impossibilité récente d’obtenir <strong>de</strong>s médicaments effervescents pour <strong>les</strong> patients<br />

nécessitant du calcium. Qui connaît ces comprimés sait qu’ils sont très gros,<br />

quasiment incassab<strong>les</strong> et ne peuvent que très difficilement être ingérés par <strong>les</strong><br />

personnes âgées, par ailleurs très nombreuses à en avoir besoin. Mais <strong>les</strong> priorités<br />

institutionnel<strong>les</strong> sont claires. L’économie réalisée en diminuant la consommation <strong>de</strong><br />

médicaments effervescents, pèse plus lourd <strong>dans</strong> la balance que le bienfait accordé<br />

par ces mêmes remè<strong>de</strong>s aux patients.<br />

L’infirmier interviewé vit ce contexte <strong>de</strong> travail et <strong>les</strong> changements <strong>dans</strong> la<br />

profession avec d’autant plus <strong>de</strong> regrets et d’amertume qu’il est conscient <strong>de</strong> sa<br />

responsabilité : « la personne soignée, quand elle est mala<strong>de</strong>, vous remet toute<br />

sa dignité entre vos mains… toute sa vie intime… ». Le sentiment d’échouer<br />

<strong>dans</strong> la pleine mesure <strong>de</strong> sa responsabilité conduit à un fort sentiment <strong>de</strong> culpabilité.<br />

Culpabilité <strong>de</strong> bafouer <strong>de</strong>s valeurs essentiel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> le soin et culpabilité <strong>de</strong> ne pas<br />

réaliser un travail <strong>de</strong> qualité. Dans la réalité, <strong>les</strong> responsabilités <strong>de</strong>s soignants sont<br />

toujours plus importantes, ne serait-ce que par le fait du nombre grandissant<br />

438


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

d’internes au détriment <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins qualifiés, dont le coût est, bien entendu,<br />

nettement plus élevé. Cette configuration médicale induit également d’importantes<br />

situations <strong>de</strong> stress, comme l’explique notre interlocuteur. En effet, <strong>les</strong> internes, qui,<br />

<strong>de</strong> leur côté, manquent <strong>de</strong> soutien et d’encadrement, sont souvent dépassés par <strong>les</strong><br />

situations rencontrées et ne répon<strong>de</strong>nt alors plus aux appels <strong>de</strong>s soignants. Ceux-ci<br />

peuvent parfois rester plusieurs heures sans réponse, alors qu’ils sont au chevet du<br />

patient et vivent au plus près sa douleur et son incompréhension. Situation d’autant<br />

plus inconfortable et révoltante que, comme l’explique le praticien, « moi en tant<br />

qu’infirmier je sais ce qu’il faut faire, ce qu’il faut lui donner, je le sais mais<br />

puisque c’est pas prescrit, je peux pas le faire , donc j’attends le mé<strong>de</strong>cin ».<br />

Face à cet état <strong>de</strong> fait, c’est une perte <strong>de</strong> sens qui se fait jour <strong>dans</strong> la motivation<br />

première du soignant à l’exercice <strong>de</strong> sa profession. Le danger est alors très menaçant<br />

<strong>de</strong> voir l’engagement réduit à une peau <strong>de</strong> chagrin. Dépourvu du sens, élément clé<br />

<strong>de</strong> l’agir humain, le soignant se voit alors dépourvu <strong>de</strong> sa caractéristique humaine au<br />

profit d’un rôle d’exécutant sans âme, à la manière du robot : « j’ai l’impression<br />

d’être un robot, on est <strong>de</strong>s exécutants… j’ai pas besoin <strong>de</strong> réfléchir, <strong>de</strong> toute<br />

façon si je réfléchis, ce sera la même chose au final , donc il y a pas besoin <strong>de</strong><br />

se fatiguer à réfléchir ».<br />

Seule lueur d’espoir <strong>dans</strong> cette perspective <strong>de</strong> travail mécaniste, l’atout que<br />

constitue la formation. Notre interlocuteur a récemment réalisé sa formation <strong>de</strong><br />

praticien formateur et explique comment celle-ci lui a été bénéfique, en particulier<br />

pour l’ai<strong>de</strong>r à sortir <strong>de</strong> la routine, à prendre <strong>de</strong> la distance et à mettre en place <strong>de</strong>s<br />

projets qui puissent donner un nouveau sens à son action en redynamisant un<br />

engagement premier très fort envers cette profession.<br />

En effet, on mesure l’ampleur <strong>de</strong> cet engagement professionnel lorsque le<br />

praticien nous explique que le fait d’avoir « épousé » cette profession constitue déjà<br />

en soi un acte d’engagement. On peut y voir un parallèle avec une sorte <strong>de</strong> contrat <strong>de</strong><br />

mariage. Et la définition accordée à l’engagement se situe <strong>dans</strong> la même idée,<br />

puisque celui-ci correspondrait à un don <strong>de</strong> soi, exercé à partir d’une volonté libre,<br />

comme une prise <strong>de</strong> risque volontaire en fonction d’un but précis. Dans <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong>, l’engagement n’est pas orienté uniquement vers le patient mais également<br />

439


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

vers l’institution. La logique <strong>de</strong> rentabilité porte donc atteinte à l’engagement <strong>dans</strong><br />

ces <strong>de</strong>ux perspectives.<br />

Par ailleurs, notre interlocuteur fait remarquer que l’engagement ne doit pas<br />

non plus être démesuré, sous peine <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir à son tour source <strong>de</strong> tension pour<br />

l’équipe. Celle-ci vit un présentéisme accru, par exemple, comme une marque <strong>de</strong><br />

méfiance, un « soupçon d’incapacité » démotivant. Par ailleurs, l’engagement<br />

démesuré conduirait à une forme d’aveuglement, un manque <strong>de</strong> discernement se<br />

concrétisant par une forte rigidité <strong>dans</strong> la conception du travail, un agir protocolaire<br />

très prononcé, <strong>de</strong>venant vite incompatible avec la dynamique <strong>de</strong> groupe basée sur<br />

l’échange, la négociation et l’ajustement <strong>de</strong>s positions réciproques.<br />

Dans son rôle <strong>de</strong> praticien formateur, ce soignant souhaite préserver l’étudiante<br />

<strong>de</strong> ces difficultés. Certes cette <strong>de</strong>rnière ne peut que constater certaines<br />

problématiques et certains dysfonctionnements, mais elle doit être protégée <strong>de</strong> cela le<br />

plus possible. Pour notre interlocuteur, il est important que l’étudiante puisse<br />

pleinement profiter <strong>de</strong> son temps d’étu<strong>de</strong>. Le sujet <strong>de</strong> l’engagement n’est pas abordé<br />

directement, si ce n’est lorsque le praticien formateur approuve <strong>les</strong> objectifs qui, eux,<br />

démontrent le <strong>de</strong>gré d’engagement. L’étudiante n’a pas d’autre opportunité <strong>de</strong><br />

s’engager, sinon pour l’atteinte <strong>de</strong> ses objectifs, puisque toute situation <strong>dans</strong> laquelle<br />

elle aurait à se positionner ouvertement est discutée avec le praticien formateur, puis<br />

reprise par lui <strong>dans</strong> l’équipe. Si cette manière <strong>de</strong> vivre l’accompagnement<br />

pédagogique a le mérite <strong>de</strong> mettre l’étudiante au cœur <strong>de</strong> son processus<br />

d’apprentissage, elle ne lui permet toutefois pas d’être confrontée à la réalité. Par<br />

ailleurs, <strong>les</strong> possibilités d’expression <strong>de</strong> l’étudiante s’en trouvent réduites, d’autant<br />

plus que le seul vrai espace <strong>de</strong> verbalisation se vit <strong>dans</strong> la confrontation avec celui<br />

qui sera, à la fin du stage, l’évaluateur <strong>de</strong>s compétences. Une réalité qui peut placer<br />

l’étudiante, tout comme le praticien, <strong>dans</strong> une situation délicate.<br />

Pour ce soignant, c’est surtout <strong>dans</strong> sa réalité future <strong>de</strong> professionnelle que<br />

l’étudiante va pouvoir développer son engagement, après une pério<strong>de</strong><br />

d’acculturation inévitable. Et, là encore, la qualité <strong>de</strong> l’équipe est rappelée pour<br />

spécifier l’importance <strong>de</strong> l’action collective. Il est important que <strong>les</strong> jeunes agissent,<br />

car ceux qui sont au front sont souvent en souffrance, mais trop épuisés pour<br />

440


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

pouvoir agir d’une quelconque manière. L’engagement doit ai<strong>de</strong>r à se positionner<br />

clairement, à oser avouer ses désaccords et notre interlocuteur déplore le fait que<br />

certains <strong>de</strong> ses collègues, prompts à la critique lorsqu’ils sont entre pairs, soient<br />

ensuite enfermés <strong>dans</strong> un mutisme total lorsqu’il s’agit <strong>de</strong> revendiquer haut et fort<br />

son positionnement face à la hiérarchie. La peur <strong>de</strong> perdre son travail serait la<br />

première cause <strong>de</strong> ce mutisme malsain.<br />

Pour notre praticien, la question est à présent <strong>de</strong> savoir jusqu’où cautionner ces<br />

pratiques. Il considère que l’engagement doit soutenir une prise <strong>de</strong> position affirmée<br />

et argumentée. Il ne s’agit pas <strong>de</strong> tomber <strong>dans</strong> la culpabilisation, comme le<br />

voudraient certains partisans du nouveau management, mais <strong>de</strong> retrouver, au<br />

travers <strong>de</strong> ce positionnement, un nouveau sens à son exercice.<br />

Résumé du troisième entretien<br />

Praticien caractérisé par :<br />

Implication, distance critique sur l’univers du travail,<br />

mais aussi sur ses propres attitu<strong>de</strong>s au sein <strong>de</strong> cet univers.<br />

Considère être engagé déjà par le choix <strong>de</strong> profession effectué.<br />

Engagement envers la profession très intense : « a épousé la profession ».<br />

441


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

S’investit comme professionnel avec <strong>de</strong>ux aspects majeurs :<br />

Empathie, souhaite le bien-être du patient Désir du travail bien<br />

fait<br />

MAIS<br />

Conditions <strong>de</strong> travail<br />

New management<br />

Répercussions sur le soin Répercussions soignants<br />

Équipe<br />

Qualité, relation Engagement, santé<br />

Tensions<br />

Rôle <strong>de</strong> la formation.<br />

Redonner du sens, <strong>de</strong> la motivation.<br />

Ai<strong>de</strong>r à construire <strong>de</strong>s projets pour faire face.<br />

Il est utile <strong>de</strong> se rappeler que ce praticien, déjà âgé <strong>de</strong> 38 ans, a abandonné son<br />

premier métier parce qu’il n’y trouvait plus <strong>de</strong> sens. On peut donc imaginer, et c’est<br />

ce qui ressort <strong>de</strong> la manière dont il parle <strong>de</strong> la profession soignante, qu’il a consenti<br />

beaucoup d’efforts en faveur <strong>de</strong> cette <strong>de</strong>rnière, en se référant à son idéal. La<br />

442


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

déconvenue <strong>de</strong>s limites à la prise en soin imposée par le système en est d’autant plus<br />

douloureuse et difficile à accepter.<br />

20.2.2 Quatrième entretien : <strong>de</strong>uxième praticien (P11)<br />

Notre <strong>de</strong>uxième praticienne, âgée <strong>de</strong> 30 ans, bénéficiaire d’un grand nombre<br />

d’expériences professionnel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> différents secteurs <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Son<br />

choix professionnel n’est pas un choix initial, puisqu’elle aurait souhaité étudier la<br />

mé<strong>de</strong>cine. Toutefois, après un stage en hôpital, elle a réalisé que <strong>les</strong> soignants avaient<br />

une plus gran<strong>de</strong> proximité avec <strong>les</strong> patients. Elle a donc choisi <strong>de</strong> s’orienter vers cette<br />

profession, convaincue par cet aspect qui, pour elle, était capital.<br />

Elle exerce à présent sa fonction d’infirmière et <strong>de</strong> praticienne formatrice au<br />

sein d’un service à domicile. Après la fréquentation <strong>de</strong> différents lieux d’exercice <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong>, elle a délibérément choisi <strong>de</strong> rester aux <strong>soins</strong> à domicile, car, dit-elle, ils offrent<br />

encore un espace un peu « protégé » contre la mainmise <strong>de</strong> l’économie sur le secteur<br />

<strong>de</strong> la santé.<br />

Pour elle, en effet, la profession est en danger vital <strong>de</strong> par <strong>les</strong> restrictions<br />

imposées au secteur sanitaire. C’est en effet la place <strong>de</strong> l’humain qui diminue, au<br />

profit d’une logique tayloriste et d’une réification <strong>de</strong> la personne, comme la<br />

praticienne l’illustre en expliquant le déroulement <strong>de</strong>s toilettes le matin à l’hôpital.<br />

De fait, l’écart entre le travail prescrit et le travail réel est toujours plus grand et c’est<br />

l’i<strong>de</strong>ntité même <strong>de</strong> la profession qui est atteinte : « on tue le métier… on fait<br />

jamais une longue carrière ! ». Les soignants qui ont choisi la profession par souci<br />

d’ai<strong>de</strong>r leur prochain, avec un attrait particulier pour la dimension relationnelle, sont<br />

frustrés <strong>de</strong> se retrouver à faire <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> tâches administratives et d’assouvir<br />

<strong>les</strong> attentes d’une traçabilité sans fin, <strong>dans</strong> le seul but d’optimiser l’efficience. Tout ce<br />

temps dévolu à l’administration fait défaut auprès du patient. Dépourvu <strong>de</strong> leur<br />

dimension humaine, <strong>les</strong> <strong>soins</strong> automatisés génèrent l’indifférence et ne permettent<br />

pas au soignant <strong>de</strong> se développer, ni <strong>de</strong> développer son i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />

Outre <strong>les</strong> répercussions sur la prise en charge, c’est donc également l’image du<br />

métier qui est atteinte.<br />

443


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Face aux difficultés rencontrées, la praticienne soulève l’importance <strong>de</strong> la<br />

verbalisation en équipe et du soutien que le groupe peut apporter. Elle explique que,<br />

<strong>dans</strong> l’une <strong>de</strong>s équipes <strong>de</strong> <strong>soins</strong> à domicile, <strong>de</strong>s tensions se multiplient. La<br />

verbalisation en est rendue très difficile et certains soignants subissent une gran<strong>de</strong><br />

souffrance ; ils « mangent <strong>les</strong> problèmes en eux ». Dans <strong>les</strong> autres équipes, la<br />

verbalisation est certes plutôt informelle, mais elle est tout <strong>de</strong> même présente, avec<br />

une latitu<strong>de</strong> nettement plus importante qu’à l’hôpital.<br />

Dans ses expériences passées, la soignante a plusieurs fois choisi <strong>de</strong> quitter son<br />

lieu d’exercice, lorsque la confrontation à ses valeurs personnel<strong>les</strong> était <strong>de</strong>venue trop<br />

importante. Elle reconnaît cependant que ses valeurs profon<strong>de</strong>s peuvent aussi être<br />

contraires aux normes institutionnel<strong>les</strong>. Une limite à son engagement serait, pour elle,<br />

d’être tentée <strong>de</strong> soulager un patient en lui accordant l’euthanasie qu’il réclame, pour<br />

répondre à ses valeurs d’humanité. Mais, se sachant en porte-à-faux avec la loi, il<br />

serait alors temps pour elle <strong>de</strong> partir avant <strong>de</strong> commettre un geste illicite.<br />

Il existe cependant tout un éventail <strong>de</strong> situations qui mettent le soignant en<br />

porte-à-faux avec <strong>de</strong>s valeurs profon<strong>de</strong>s, quant à el<strong>les</strong> tout à fait licites et louab<strong>les</strong>.<br />

Cet écart génère un sentiment <strong>de</strong> trouble intérieur et une souffrance qui conduit soit<br />

au départ, soit à l’épuisement. Le conflit <strong>de</strong> valeurs peut parfois surgir entre le corps<br />

soignant et le corps médical, ces <strong>de</strong>rniers étant plutôt réticents à prescrire une<br />

antalgie forte, dont on sait qu’elle risque d’abréger la vie d’un patient, tandis que <strong>les</strong><br />

soignants, eux, au chevet du mala<strong>de</strong>, sont confrontés à <strong>de</strong>s souffrances parfois<br />

insupportab<strong>les</strong>.<br />

Pour cette soignante, il va <strong>de</strong> soi que l’engagement ne peut se réaliser sans être<br />

en accord avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong>. Selon sa définition, l’engagement c’est :<br />

« quand on veut réellement quelque chose qui pour nous est bien », un but<br />

pour lequel on met tout en œuvre et « on fait tout son possible pour<br />

l’atteindre ». C’est donc, a contrario d’une attitu<strong>de</strong> minimaliste, une mise en action<br />

pour mener un combat. Il est à noter que ce terme est particulièrement présent au<br />

cours <strong>de</strong> cet entretien, puisqu’il revient à cinq reprises, avec parfois encore d’autres<br />

444


termes voisins (défense, lutte…).<br />

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Or cet engagement doit impérativement être porté par le sens qui en est le<br />

fon<strong>de</strong>ment et le moteur. Lorsqu’on s’engage, c’est pour un combat qui doit avoir du<br />

sens, auquel on puisse donner un sens, et pour lequel on doit pouvoir être convaincu<br />

du sens donné.<br />

Vouloir considérer l’exercice soignant sans sa dimension d’engagement, c’est<br />

mettre en jeu l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession, <strong>dans</strong> la mesure où <strong>les</strong> personnes engagées<br />

sont aussi cel<strong>les</strong> qui permettent l’amélioration <strong>de</strong>s pratiques, avec un souci constant<br />

<strong>de</strong> faire évoluer ce qui a lieu <strong>de</strong> l’être.<br />

La difficulté <strong>de</strong> la personne engagée, c’est d’attendre le même engagement <strong>de</strong>s<br />

autres et notre interlocutrice reconnaît être ici parfois très exigeante, alors qu’elle est<br />

consciente que ces personnes peuvent avoir d’autres priorités.<br />

Vis-à-vis <strong>de</strong>s étudiantes, elle attend un engagement, mais qui n’est pas<br />

forcément verbalisé. La manière <strong>de</strong> développer <strong>les</strong> démarches <strong>de</strong> <strong>soins</strong> constitue,<br />

selon elle, une preuve déjà suffisante <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’apprenant.<br />

Pour elle, <strong>les</strong> étudiantes font face à une difficulté <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ordres lors <strong>de</strong> la sortie<br />

<strong>de</strong> la formation. En effet, d’un côté, el<strong>les</strong> se trouvent confrontées à la réalité<br />

professionnelle d’une perte <strong>de</strong> l’idéal lorsque « le beau métier est enterré sous <strong>les</strong><br />

obligations ». Et, <strong>de</strong> l’autre, alors qu’el<strong>les</strong> sont fragilisées par le passage du<br />

« cocon » douillet du mon<strong>de</strong> étudiant vers l’ « autre mon<strong>de</strong> » <strong>de</strong>s professionnels, el<strong>les</strong><br />

sont aussi jaugées par leurs pairs. Les nouveaux venus peuvent <strong>de</strong>venir rapi<strong>de</strong>ment<br />

<strong>les</strong> souffre-douleurs d’équipes fatiguées, voire usées. L’entrée <strong>dans</strong> la vie active en<br />

est rendue d’autant plus difficile et il peut s’ensuivre une atteinte à l’estime <strong>de</strong> soi.<br />

La formatrice regrette que la réflexion sur soi et la manière <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong><br />

soi aient été si peu abordées <strong>dans</strong> la formation, et a fortiori <strong>dans</strong> <strong>les</strong> formations<br />

postgra<strong>de</strong>s. Apprendre à reconnaître <strong>les</strong> signes <strong>de</strong> stress pourrait s’avérer fructueux,<br />

<strong>dans</strong> la mesure où la connaissance <strong>de</strong> ses propres fail<strong>les</strong> et doutes permettrait à<br />

l’étudiante d’élaborer <strong>de</strong>s ressources spécifiques. Notre interlocutrice reconnaît que<br />

sa force personnelle rési<strong>de</strong> justement <strong>dans</strong> le fait d’avoir su développer <strong>de</strong><br />

nombreuses ressources personnel<strong>les</strong> qui l’ai<strong>de</strong>nt à prendre <strong>de</strong> la distance.<br />

445


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Le découragement menace lorsque, par exemple, <strong>de</strong>s suppressions <strong>de</strong> postes<br />

sont envisagées, alors même que <strong>les</strong> soignants affichent déjà <strong>de</strong>s taux d’heures<br />

supplémentaires très élevés. Que l’on soit investi ou que l’on soit au bord du burnout,<br />

seuls <strong>les</strong> collègues sont là pour ai<strong>de</strong>r. Le mé<strong>de</strong>cin du personnel n’existe que « en<br />

tant que numéro <strong>de</strong> téléphone » en cas d’acci<strong>de</strong>nt du travail, mais il n’y pas <strong>de</strong><br />

suivi du personnel. Selon la praticienne, l’institution est elle-même en souffrance, elle<br />

ne peut donc pas s’occuper encore en plus <strong>de</strong>s individus. Le terme <strong>de</strong> « chaos » est<br />

évoqué pour montrer l’ampleur <strong>de</strong> la désorganisation. Les instances hiérarchiques ne<br />

semblent pas du tout au clair avec le fonctionnement <strong>de</strong>s praticiens formateurs par<br />

exemple, jusqu’à ignorer l’existence <strong>de</strong> certains d’entre eux. La vision d’ensemble est<br />

absente et <strong>les</strong> soignants ont l’impression <strong>de</strong> « jouer aux pompiers » en permanence.<br />

L’exemple est pris d’une collègue en souffrance psychique qui, pour compenser,<br />

s’investit encore davantage <strong>dans</strong> son travail et, par conséquent, s’épuise encore plus.<br />

Elle entre <strong>dans</strong> une psychosomatisation du stress, avec <strong>de</strong>s douleurs dorsa<strong>les</strong> que<br />

notre praticienne attribue au fait « qu’elle en a plein le dos ». Mais, en <strong>de</strong>hors <strong>de</strong><br />

l’équipe, personne ne réalise son malaise et aucune ai<strong>de</strong> n’est lui est proposée sur le<br />

plan institutionnel.<br />

L’absentéisme, en revanche, semble faire l’objet d’une préoccupation <strong>de</strong><br />

l’institution, puisque <strong>les</strong> professionnels concernés se voient appelés chez eux par<br />

téléphone pour un suivi <strong>de</strong> la situation. Certes bien vécu lorsque la confiance est là,<br />

ce suivi peut aussi être interprété comme une forme <strong>de</strong> pression institutionnelle<br />

stigmatisante.<br />

La praticienne accor<strong>de</strong> une importance capitale à la formation et au<br />

développement <strong>de</strong>s connaissances. Ces <strong>de</strong>rnières sont indispensab<strong>les</strong> pour<br />

« s’engager <strong>dans</strong> le combat », lutter contre la routine et gar<strong>de</strong>r la motivation.<br />

Il faut à tout prix éviter <strong>de</strong> sombrer <strong>dans</strong> le défaitisme, mais rester alerte, faire<br />

<strong>de</strong>s « piqûres <strong>de</strong> rappel » à la manière <strong>de</strong>s abeil<strong>les</strong>, protester et se positionner <strong>de</strong><br />

manière argumentée, même si cela <strong>de</strong>man<strong>de</strong> beaucoup d’énergie. Car, pour cette<br />

soignante, si aucun changement n’intervient, la prise en charge <strong>de</strong>s patients va<br />

446


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>de</strong>venir une réelle catastrophe. La prise <strong>de</strong> position dépend, <strong>de</strong> prime abord, d’une<br />

initiative personnelle sur <strong>les</strong> sujets qui nous touchent plus précisément, mais elle doit<br />

ensuite s’élaborer et se développer au sein d’un collectif pour avoir plus <strong>de</strong> poids.<br />

Le but <strong>de</strong> l’engagement en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> doit s’inscrire <strong>dans</strong> le sens que <strong>les</strong><br />

professionnels donnent à leur exercice et à sa défense, envers et contre tout.<br />

L’engagement trouve toute sa raison d’être <strong>dans</strong> un combat essentiel pour sauver la<br />

profession.<br />

Résumé du quatrième entretien<br />

Professionnelle positionnée, affirmée,<br />

prête au combat pour défendre <strong>les</strong> intérêts <strong>de</strong> la profession.<br />

Accuse<br />

Mainmise <strong>de</strong> l’économie réduit à néant la dimension humaine<br />

et fait du soignant un prestataire <strong>de</strong> service automatisé.<br />

L’engagement revêt <strong>de</strong> ce fait un rôle d’autant plus fondamental.<br />

Nécessité <strong>de</strong> s’engager pour défendre la profession et ses valeurs humaines :<br />

un but pour lequel on met tout en œuvre et « on fait tout son possible pour<br />

l’atteindre ».<br />

La défense <strong>de</strong> la profession constitue le sens <strong>de</strong> l’engagement.<br />

C’est un combat qui a du sens et pour lequel on est convaincu.<br />

La formation doit permettre d’acquérir <strong>de</strong>s armes en termes d’argumentation :<br />

Il en va <strong>de</strong> la santé <strong>de</strong>s soignants et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la<br />

profession<br />

447


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Si le vocabulaire du combat est ici très fortement présent, on doit cependant<br />

souligner que l’objet n’en est pas le même que chez <strong>les</strong> étudiantes. Pour ces <strong>de</strong>rnières,<br />

il s’agit d’un combat à mener pour le bien du patient et pour soi. En revanche, chez<br />

<strong>les</strong> praticiens, le combat est davantage mû par un souci <strong>de</strong> s’opposer à un système<br />

qui porte atteinte à l’essence même <strong>de</strong> la profession.<br />

20.3 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s enseignants<br />

Les <strong>de</strong>ux enseignants sont <strong>infirmiers</strong> et infirmières <strong>de</strong> première formation et<br />

leur choix <strong>de</strong> bifurquer vers l’enseignement résulte <strong>de</strong> cheminements personnels<br />

différents. Leur vécu personnel et professionnel imprègne leur façon d’envisager leur<br />

mission d’enseignant.<br />

20.3.1 Cinquième entretien : premier enseignant (T14)<br />

Notre première enseignante, âgée <strong>de</strong> 43 ans, est responsable <strong>de</strong> formation.<br />

Infirmière <strong>de</strong> première profession, avec tout son parcours scolaire en France, elle<br />

s’occupe aujourd’hui <strong>de</strong> la répartition <strong>de</strong>s cours <strong>dans</strong> le cursus Bachelor.<br />

Notre interlocutrice n’avait pas comme souhait premier <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir infirmière,<br />

mais elle se <strong>de</strong>stinait à la mé<strong>de</strong>cine. Toutefois, en échec <strong>dans</strong> cette formation, elle se<br />

présente alors à <strong>de</strong>ux concours : physiothérapeute et infirmière. Reçue au <strong>de</strong>ux, elle<br />

choisit le second pour <strong>les</strong> possibilités <strong>de</strong> promotion et la diversité que la profession<br />

offre.<br />

Cependant, avec le recul, elle explique que ce sont certainement <strong>de</strong>s aspects<br />

totalement inconscients qui l’ont guidée, à l’époque, vers ce choix. Il y a, d’un côté, le<br />

vécu d’une grand-mère très mala<strong>de</strong> et la culpabilité qui pèse lourd sur ses épau<strong>les</strong> <strong>de</strong><br />

n’avoir pu la soulager ; <strong>de</strong> l’autre, son besoin relationnel important et son besoin<br />

d’estime répon<strong>de</strong>nt à une carence affective <strong>dans</strong> l’enfance. Enfin, s’affiche également<br />

un intérêt pour autrui, réalisé bien <strong>de</strong>s années plus tard. On peut dire que le contexte<br />

socio-éducatif a joué un rôle <strong>dans</strong> son choix, mais plutôt en suscitant une contre-<br />

réaction.<br />

448


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Or, parce que ces be<strong>soins</strong> étaient inconscients, cette enseignante explique s’être<br />

fabriqué <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> défense permettant <strong>de</strong> faire face. Elle affirme avoir été<br />

une infirmière très bonne technicienne, mais pas une bonne infirmière <strong>dans</strong> le sens<br />

où elle n’était pas en mesure d’entrer réellement <strong>dans</strong> une relation d’empathie avec<br />

<strong>les</strong> patients, n’étant pas au clair avec elle-même. Elle pose donc la connaissance <strong>de</strong> soi<br />

comme un préalable à une relation <strong>de</strong> qualité.<br />

C’est après avoir quitté la France (<strong>de</strong>ux ans après son diplôme) et s’être intégrée<br />

en Suisse qu’elle réalise le malaise qu’elle éprouvait auparavant. La profession<br />

infirmière mettant, à cette époque, beaucoup plus l’accent sur la dimension<br />

relationnelle au patient, elle se sent, toujours inconsciemment, beaucoup plus en<br />

accord avec ses valeurs et cela lui « redonne la confiance <strong>dans</strong> le métier ». Ce<br />

décalage inconscient avec son idéal était finalement cause <strong>de</strong> souffrance et aurait,<br />

selon elle, provoqué rapi<strong>de</strong>ment l’abandon <strong>de</strong> la profession. C’est finalement une<br />

psychothérapie consécutive à un burnout qui a permis <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce tous ces<br />

éléments, en particulier le rôle central <strong>de</strong>s valeurs <strong>dans</strong> son état psychique.<br />

C’est elle qui reçoit tous <strong>les</strong> dossiers <strong>de</strong> candidature <strong>de</strong>s étudiantes,<br />

accompagnées, comme il se doit pour la postulation, <strong>de</strong> leur autobiographie et <strong>de</strong><br />

leurs motivations. Elle note <strong>de</strong>s liens évi<strong>de</strong>nts entre <strong>de</strong>s parcours <strong>de</strong> vie, <strong>de</strong>s<br />

situations familia<strong>les</strong> et le choix <strong>de</strong> la profession. Toutefois, rares sont cel<strong>les</strong>, dit-elle,<br />

qui font el<strong>les</strong>-mêmes ce lien, tout comme elle ne le faisait pas non plus à son entrée<br />

en formation, mais seulement bien plus tard.<br />

Il est difficile d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à travailler <strong>les</strong> valeurs, car el<strong>les</strong> sont en<br />

pleine construction i<strong>de</strong>ntitaire. Pourtant ce cheminement doit absolument être<br />

abordé, car la « profession remet beaucoup en question, <strong>de</strong> par la confrontation<br />

à la maladie, à la mort, <strong>de</strong> par ce qu’elle nous renvoie à notre fragilité ».<br />

Être conscient <strong>de</strong> ses fragilités et <strong>de</strong> ses doutes permet <strong>de</strong> mettre en œuvre <strong>de</strong>s<br />

stratégies. Mais, pour cela, il est nécessaire d’apprendre à penser ce qui, selon elle,<br />

n’est pas évi<strong>de</strong>nt chez <strong>les</strong> étudiantes. Il s’agit <strong>de</strong> « trouver la bonne clé » pour<br />

mobiliser <strong>les</strong> bonnes compétences. Une bonne clé qui ne serait autre que la<br />

connaissance <strong>de</strong> soi ? Il ne s’agit pas d’offrir une boîte à outils avec <strong>de</strong>s ressources<br />

449


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

prêtes à l’emploi, mais davantage d’accompagner l’étudiante <strong>dans</strong> un cheminement<br />

personnel à la découverte d’elle-même.<br />

Actuellement <strong>de</strong> grands efforts sont mis en place pour transmettre <strong>de</strong>s concepts,<br />

mais ceux-ci sont décontextualisés et très peu en lien avec le sujet lui-même. Selon<br />

cette enseignante, il serait important <strong>de</strong> faire un bout <strong>de</strong> chemin ensemble avec <strong>les</strong><br />

étudiantes pour <strong>les</strong> amener à mieux se connaître et ce, dès la première année.<br />

Notre interlocutrice estime avoir un caractère très passionné et s’investir à fond<br />

<strong>dans</strong> ses activités. Néanmoins, cette passion « brûle » beaucoup <strong>de</strong> ressources,<br />

jusqu’à leur consumation totale, comme l’exprime le terme burnout <strong>dans</strong> sa<br />

traduction littérale <strong>de</strong> l’anglais. Notre interlocutrice est actuellement en rémission<br />

après avoir été victime <strong>de</strong> burnout ! Elle reconnaît qu’un cheminement préalable sur<br />

elle-même aurait peut-être permis <strong>de</strong> l’éviter. Il a en tout cas la vertu <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à se<br />

reconstruire, à mieux comprendre le pourquoi <strong>de</strong> cet effondrement et à mieux<br />

pouvoir anticiper l’avenir.<br />

La connaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses valeurs permet un engagement plus raisonné et<br />

donc une plus gran<strong>de</strong> sérénité. Pour elle, la passion est quelque chose <strong>de</strong> positif, mais<br />

qui doit être cadré par la raison. Cette raison ne constitue pas un frein à l’engagement,<br />

mais permet qu’il soit mis en œuvre avec clairvoyance et puisse porter d’autant plus<br />

<strong>de</strong> fruits.<br />

Selon sa définition, l’engagement constitue « une prise <strong>de</strong> risque calculée ».<br />

L’engagement suppose <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix et donc <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong>s risques, mais<br />

limités par la connaissance <strong>de</strong> soi. Dans le domaine <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, l’engagement serait<br />

plus spécifiquement « la connaissance <strong>de</strong> soi au service d’autrui ».<br />

L’engagement est un positionnement qui s’incarne <strong>dans</strong> l’action. Les attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> sur-<br />

engagement sont typiques <strong>de</strong> la profession soignante et sont très souvent la cause <strong>de</strong>s<br />

pathologies du stress. Notre enseignante dit avoir parfois peur en lisant <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

autobiographies <strong>de</strong>s aveux passionnés, comme « j’ai toujours voulu faire ce<br />

métier, c’est le but <strong>de</strong> ma vie ». L’engagement est la mise en pratique concrète<br />

d’une posture, mais cela comporte <strong>de</strong>s risques importants.<br />

450


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Le formateur a donc non seulement une tâche, mais avant tout un <strong>de</strong>voir<br />

d’ai<strong>de</strong>r l’étudiante à prendre conscience <strong>de</strong> ces risques <strong>dans</strong> l’engagement, avec<br />

comme ressource première la réflexion sur soi et ses limites.<br />

Il est cependant important <strong>de</strong> souligner, pour notre interlocutrice, le caractère<br />

très exigeant d’un tel accompagnement <strong>de</strong>s étudiantes. Les ai<strong>de</strong>r à verbaliser, en<br />

exerçant l’art <strong>de</strong> la maïeutique, nécessite <strong>de</strong> vastes connaissances et <strong>de</strong>s expertises<br />

multip<strong>les</strong>. Les analyses <strong>de</strong> pratiques peuvent être <strong>de</strong> très bons outils <strong>dans</strong> ce sens là,<br />

si el<strong>les</strong> sont guidées par <strong>de</strong>s personnes compétentes. L’analyse <strong>de</strong> pratique ne saurait<br />

se confondre avec <strong>de</strong>s séances <strong>de</strong> discussion au retour <strong>de</strong>s stages. Elle constitue<br />

néanmoins une opportunité sans égal, <strong>dans</strong> la mesure où elle permet l’échange entre<br />

<strong>les</strong> pairs et la verbalisation, <strong>de</strong>ux ressources fondamenta<strong>les</strong> pour le travail d’équipe<br />

futur. Le collectif est aussi là pour ai<strong>de</strong>r à prévenir le stress et mettre en œuvre la<br />

solidarité <strong>dans</strong> l’équipe.<br />

L’anticipation permet <strong>de</strong> créer un pont entre l’idéal <strong>de</strong> l’étudiante et la réalité,<br />

en privilégiant une réflexion sur <strong>les</strong> valeurs à investir, valeurs qui, selon elle, seraient<br />

à cet âge-là encore comme <strong>de</strong> « la pâte à mo<strong>de</strong>ler ». Ces ressources doivent<br />

permettre <strong>de</strong> tenir ferme <strong>dans</strong> la tempête et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r le cap, c’est-à-dire le « bon »<br />

sens, car « lorsque le sens s’en va, tout perd sa raison d’être ».<br />

Selon cette professionnelle enseignante, un accompagnement pédagogique<br />

réellement adapté à la pratique, doit être pensé <strong>dans</strong> le système <strong>de</strong> formation en<br />

alternance qui est le nôtre. Or l’alternance est un modèle pédagogique exigeant, dont<br />

la logique est à intégrer dès le départ. L’enseignante regrette qu’elle soit souvent<br />

introduite après coup, avec une dimension alors très réductrice. Pour elle,<br />

l’alternance s’appuie sur une analyse <strong>de</strong> pratique bien guidée avec <strong>les</strong> bons acteurs.<br />

Malheureusement, jusqu’à ce jour, l’analyse <strong>de</strong> pratique n’est pas obligatoire et<br />

dépend « du bon vouloir <strong>de</strong> l’enseignant ». Le partenariat entre l’école et le stage<br />

<strong>de</strong>vrait se développer autour d’une co-construction et permettrait ainsi <strong>de</strong> revaloriser<br />

la pratique. Ce travail en commun aurait un impact immanquable sur l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle, puisqu’une « communauté <strong>de</strong> réflexion » <strong>de</strong>vient la source d’une<br />

« i<strong>de</strong>ntité commune forte et claire ».<br />

451


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Pour notre interlocutrice, l’engagement n’est pas une option. Il fait partie <strong>de</strong><br />

l’activité infirmière, dont on attend une implication personnelle liée à la nature même<br />

du travail effectué. Parce que l’entier <strong>de</strong> la personne est impliqué <strong>dans</strong> la relation <strong>de</strong><br />

soin, cela nécessite <strong>de</strong> bien se connaître pour savoir faire face. Ce processus <strong>de</strong><br />

connaissance <strong>de</strong> soi au travers <strong>de</strong>s situations rencontrées pourrait être on ne peut<br />

mieux mis en œuvre <strong>dans</strong> une démarche d’analyse <strong>de</strong> pratique.<br />

Résumé du cinquième entretien<br />

Professionnelle passionnée, très engagée.<br />

À découvert ses valeurs cachées à la suite d’un burnout.<br />

Prend conscience <strong>de</strong> l’adéquation avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> pour son équilibre.<br />

La non-prise en compte <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> a différentes inci<strong>de</strong>nces :<br />

Peut générer <strong>de</strong> la frustration et conduire à <strong>de</strong>s pathologies comme celle<br />

rencontrée ici.<br />

Empêche la personne d’être totalement authentique <strong>dans</strong> sa relation avec le<br />

soigné.<br />

Empêche le soignant d’entrer <strong>dans</strong> une dimension d’empathie véritable.<br />

Conduit à utiliser <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> défense qui peuvent altérer <strong>les</strong> relations<br />

<br />

interpersonnel<strong>les</strong>.<br />

L’engagement implique la personne au plus haut <strong>de</strong>gré :<br />

L’individu doit faire <strong>de</strong>s choix L’individu est poussé à prendre <strong>de</strong>s<br />

452<br />

risques.<br />

Il est donc primordial que cette prise <strong>de</strong> risque se fasse sous le contrôle <strong>de</strong> la raison.<br />

D’où la définition <strong>de</strong> l’engagement comme « une prise <strong>de</strong> risque calculée »,


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Mais une prise <strong>de</strong> risque qui nécessite « la connaissance <strong>de</strong> soi au service<br />

d’autrui ».<br />

La connaissance <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses valeurs, <strong>de</strong> ses limites comme préalable absolument<br />

indispensable à l’engagement infirmier.<br />

Même si <strong>les</strong> jeunes sont en construction i<strong>de</strong>ntitaire avec parfois une difficulté à<br />

entrer <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s raisonnements approfondis, le cheminement doit être amorcé avec<br />

eux dès la première année.<br />

L’analyse <strong>de</strong> pratique constitue un outil qui permet :<br />

Le lien avec la pratique et la réduction du fossé.<br />

La mise en perspective <strong>de</strong> situations vécues pour examiner son propre<br />

fonctionnement et mieux comprendre <strong>les</strong> valeurs en jeu.<br />

La confrontation et l’enrichissement <strong>de</strong> la discussion avec <strong>les</strong> pairs.<br />

La construction d’un savoir incarné et non uniquement conceptuel.<br />

La co-construction <strong>de</strong> la formation et <strong>de</strong> l’accompagnement entre pratique et<br />

école.<br />

La construction d’une i<strong>de</strong>ntité commune avec <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong>s terrains.<br />

L’engagement, un incontournable <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> mais qui doit avoir <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-fous<br />

et être bien ciblé pour porter <strong>de</strong>s fruits et ne pas <strong>de</strong>venir source <strong>de</strong> souffrance.<br />

Cette orientation pédagogique <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> l’engagement est certainement liée à<br />

la fonction d’enseignante <strong>de</strong> cette personne, <strong>de</strong> même qu’aux différentes expériences<br />

qu’elle a pu traverser.<br />

453


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

20.3.2 Sixième entretien : <strong>de</strong>uxième enseignant (T15)<br />

Notre <strong>de</strong>uxième enseignant est âgé <strong>de</strong> 54 ans. À l’origine instituteur, il se trouve<br />

<strong>dans</strong> ses premières années <strong>de</strong> pratique toujours à nouveau confronté à ses limites<br />

<strong>dans</strong> sa volonté <strong>de</strong> venir en ai<strong>de</strong> aux enfants en difficulté. Il se rend rapi<strong>de</strong>ment<br />

compte que la bonne volonté ne suffit pas et que, une fois <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> la pathologie<br />

atteintes, il est nécessaire d’avoir d’autres compétences pour ai<strong>de</strong>r ces enfants à<br />

progresser. Il choisit donc à ce moment-là <strong>de</strong> s’orienter vers la formation d’infirmier<br />

en psychiatrie, puisque à l’époque <strong>les</strong> cursus sont encore séparés : psychiatrie, <strong>soins</strong><br />

généraux ou pédiatriques.<br />

Après plusieurs années <strong>de</strong> pratique, il rejoint le corps enseignant, afin <strong>de</strong><br />

continuer à développer <strong>de</strong>s connaissances et à en faire profiter d’autres, plus jeunes,<br />

qui, selon son espérance, prendront le relais pour faire avancer et reconnaître la<br />

profession.<br />

Selon son expression, la formation <strong>de</strong>s jeunes constitue le « prétexte »<br />

permettant d’écrire le texte véritable, à savoir la connaissance <strong>de</strong> soi au service <strong>de</strong><br />

l’humanité.<br />

Il se rend compte alors que cet accompagnement à la connaissance <strong>de</strong> soi<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong> un champ <strong>de</strong> connaissances très vaste, qui ne saurait se résumer à « tenir la<br />

main » d’une personne, ce qui le conduit vers une formation plus spécifique.<br />

Il y a, selon notre interlocuteur, un champ <strong>de</strong> tension important <strong>dans</strong> la<br />

formation soignante, qui se focalise autour <strong>de</strong> la dichotomie entre la connaissance en<br />

tant que telle et la connaissance <strong>de</strong> soi. Les <strong>de</strong>ux sont maintenues divisées, alors<br />

qu’el<strong>les</strong> sont indissociab<strong>les</strong>, la connaissance générale s’incarnant au travers <strong>de</strong> la<br />

connaissance <strong>de</strong> soi. Ces lacunes <strong>dans</strong> le processus <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi ont <strong>de</strong>s<br />

conséquences directes sur l’engagement qui en constitue, selon lui, le fon<strong>de</strong>ment.<br />

Dans la dimension d’engagement, notre enseignant cite l’empathie comme étant<br />

une fragilité ou une vulnérabilité, à même cependant <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir une véritable force<br />

motrice d’engagement, à partir du moment où justement ce travail sur soi permet <strong>de</strong><br />

transformer la faib<strong>les</strong>se en force et d’en faire émerger une ressource. De fait, la<br />

454


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

connaissance <strong>de</strong> soi permet d’engager son humanité, sa réflexion, son savoir pour le<br />

conjuguer à celui <strong>de</strong> l’autre, <strong>dans</strong> une perspective <strong>de</strong> co-construction humaine.<br />

L’empathie constitue un préalable nécessaire pour être sensible à autrui, mais la<br />

compassion, sous l’angle scientifique, ouvre au positionnement <strong>de</strong> soi par le biais<br />

d’un jugement clinique, doté <strong>de</strong> repères conceptualisab<strong>les</strong>. Le risque <strong>dans</strong> notre<br />

profession est, selon notre interlocuteur, <strong>de</strong> confondre un engagement<br />

compassionnel pur, plus ou moins intuitif, avec une mise en œuvre professionnelle<br />

reposant, quant à elle, sur <strong>de</strong>s savoirs scientifiques.<br />

Cette dimension scientifique permet à la fois d’être plus adéquat <strong>dans</strong> la prise<br />

en charge, mais aussi <strong>de</strong> gagner en crédibilité sur le plan social, en tant que<br />

profession. Or, si « l’engagement c’est l’acceptation d’être touché par ce que vit<br />

l’autre et d’endosser notre responsabilité d’agir en fonction <strong>de</strong> cet éprouvé,<br />

(cela doit se faire non) selon mes propres cadres <strong>de</strong> références mais avec <strong>de</strong>s<br />

apports scientifiques ». Et là, « l’économie <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi,… elle est<br />

pas possible », car c’est la compréhension <strong>de</strong> l’impact sur soi-même <strong>de</strong> cette<br />

condition humaine qui est nécessaire à la crédibilité.<br />

L’engagement serait un lien intrinsèque à la vie. Et l’enseignant <strong>de</strong> se référer au<br />

processus créationnel pour le démontrer. Mais l’engagement professionnel, lui, se<br />

doit <strong>de</strong> dépasser l’engagement affectif et sensoriel pour « l’habiller d’une<br />

démarche scientifique structurée ». Il y a <strong>dans</strong> l’engagement, déjà au niveau<br />

primaire, une démarche volontaire qui consiste à « accepter d’endosser cette<br />

posture nécessaire pour la vie ».<br />

Et notre interlocuteur <strong>de</strong> résumer ce point en disant que « l’engagement, c’est<br />

se mettre en accord avec une caractéristique humaine pour la mettre au<br />

service structuré et intentionnel <strong>de</strong> co -création avec l’autre », et <strong>de</strong> rendre<br />

attentif à la nécessité <strong>de</strong> conserver l’humanité au centre <strong>de</strong> l’engagement, comme<br />

seule force motrice viable. Il soulève le risque, inhérent à la dimension éthique<br />

également, <strong>de</strong> réifier certaines notions clés dont l’humain doit absolument rester<br />

l’épicentre.<br />

L’enseignant considère comme une véritable responsabilité personnelle <strong>de</strong><br />

455


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

conduire <strong>les</strong> étudiants à cette introspection qui leur permet <strong>de</strong> mieux pouvoir ai<strong>de</strong>r<br />

l’autre : « mon engagement à moi il se situe justement <strong>dans</strong> l’accompagnement<br />

<strong>de</strong>s étudiants à la construction <strong>de</strong> cette, <strong>de</strong> cette compétence ». Mais, pour lui,<br />

le problème en formation n’est pas tant la capacité <strong>de</strong>s étudiants à faire une<br />

démarche d’introspection, que <strong>les</strong> modalités organisationnel<strong>les</strong> ne lui permettant pas<br />

d’être rendue possible pour tous. Certes certains contenus <strong>de</strong> cours (par exemple,<br />

l’approche santé et maladie d’un point <strong>de</strong> vue psychologique) favorisent déjà une<br />

amorce <strong>de</strong> cette dimension, mais cela <strong>de</strong>meure un socle très mince.<br />

L’autre difficulté, que notre interlocuteur remarque à cette démarche, rési<strong>de</strong><br />

<strong>dans</strong> l’écart entre l’idéal compassionnel <strong>de</strong> nombreux étudiants et la réalité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong><br />

qui génère la frustration. La difficulté se trouve <strong>dans</strong> l’impossibilité <strong>de</strong> mettre en<br />

œuvre une démarche dont la personne est pourtant convaincue elle-même. Et son<br />

expérience lui a fait rencontrer <strong>de</strong>s jeunes professionnels qui expliquent qu’ils<br />

préfèreraient ne pas avoir connu cet idéal auquel ils aspirent à présent, sans que<br />

s’offre à eux la possibilité <strong>de</strong> le réaliser. Cet état <strong>de</strong> fait est source d’une gran<strong>de</strong><br />

culpabilité pour l’enseignant, partagé entre l’envie <strong>de</strong> transmettre cet idéal et le souci<br />

<strong>de</strong> générer cette frustration chez <strong>les</strong> futurs professionnels sur qui repose la lour<strong>de</strong><br />

responsabilité <strong>de</strong> « transformer le terrain ».<br />

Pourtant, dit-il, « l’engagement est moteur d’une démarche indispensable<br />

au soin » et le jugement clinique permet <strong>de</strong> lui donner un sens et une consistance.<br />

Raison pour laquelle cet enseignant met un accent très important sur la notion <strong>de</strong><br />

jugement clinique.<br />

C’est lui qui permet à la parole <strong>de</strong> l’infirmière d’être soutenue par une<br />

argumentation, <strong>de</strong> mettre en mot ce que la situation <strong>de</strong> soin véhicule au plan<br />

théorique et humain. Le jugement clinique permet <strong>de</strong> donner à voir le raisonnement<br />

infirmier et, par là aussi, d’avoir une influence sur <strong>de</strong>s décisions thérapeutiques, par<br />

exemple. Il est le moteur d’une reconnaissance au niveau du système <strong>de</strong> santé <strong>dans</strong><br />

son ensemble. Il permet <strong>de</strong> relever le très grand défi qui consiste à conjuguer « le<br />

mouvement vocationnel avec la dimension scie ntifique, l’agir compassionnel<br />

avec l’engagement social, intellectuel et scientifique <strong>de</strong> l’infirmière », bref <strong>de</strong><br />

456


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

la faire sortir <strong>de</strong> son héritage historique <strong>de</strong> simple femme dévouée et empreinte <strong>de</strong><br />

miséricor<strong>de</strong>, à une professionnelle certes empathique mais légitimée <strong>dans</strong> son<br />

jugement par un savoir scientifique approprié, lui permettant aussi d’élargir son<br />

champ décisionnel. Et l’engagement responsable représente ici la possibilité d’être soi<br />

avec tout son savoir et son expérience, qui ouvrent sur un large champ <strong>de</strong><br />

compétences. Le raisonnement clinique, dont l’aboutissement constitue le jugement<br />

clinique, permet d’articuler entre eux ces savoirs et compétences spécifiquement<br />

infirmières. Il importe alors <strong>de</strong> limiter <strong>les</strong> recours à d’autres disciplines et d’éviter<br />

tout lien <strong>de</strong> subordination.<br />

Or ici rési<strong>de</strong>, selon notre interlocuteur, un autre problème majeur. À savoir que<br />

tous <strong>les</strong> enseignants ne sont pas formés à la démarche clinique. Il s’ensuit alors un<br />

inévitable préjudice pour l’apprentissage. Mais le problème est plus délicat encore,<br />

puisque <strong>les</strong> enseignants, même s’ils sont <strong>infirmiers</strong> à la base, ne sont pas tous<br />

convaincus du statut scientifique <strong>de</strong> la discipline et se tournent justement volontiers<br />

vers d’autres disciplines pour compléter leurs savoirs : psychologie, mé<strong>de</strong>cine…. Il<br />

n’y a, <strong>de</strong> ce fait, qu’une esquisse d’i<strong>de</strong>ntité commune qui se crée, car le corpus <strong>de</strong><br />

savoirs ne fait pas l’unanimité. Le raisonnement clinique infirmier, par exemple,<br />

permettrait, pour notre enseignant, d’affirmer l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle <strong>de</strong><br />

l’infirmière et sa reconnaissance. Dans cette perspective, la démarche clinique doit<br />

être au cœur <strong>de</strong> la profession, mais, pour ce faire, tous <strong>les</strong> enseignants <strong>de</strong>vraient en<br />

être convaincus. Notre interlocuteur place beaucoup d’espoir <strong>dans</strong> le nouveau<br />

programme, espérant que le raisonnement infirmier y trouve une place réellement<br />

centrale. Pensée comme telle dès le départ <strong>de</strong> la construction du programme, la<br />

pondération <strong>de</strong>s matières <strong>de</strong>vrait répondre à cette volonté <strong>de</strong> promouvoir le savoir<br />

infirmier.<br />

L’enjeu est pour lui important, car, si l’engagement est indispensable au soin,<br />

« il est nécessaire d’outiller cet engagement sans en déshumaniser l’essence<br />

profon<strong>de</strong> ».<br />

C’est pour la construction <strong>de</strong> cet engagement raisonné que notre interlocuteur<br />

s’engage lui-même avec beaucoup d’enthousiasme et <strong>de</strong> conviction.<br />

457


Résumé du sixième entretien<br />

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Instituteur, a choisi la profession infirmière pour pouvoir<br />

ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> enfants avec <strong>de</strong>s difficultés psychiques.<br />

Accor<strong>de</strong> beaucoup d’importance à la compassion et à l’empathie.<br />

L’empathie peut constituer un réel moteur d’engagement, à condition d’un travail<br />

préalable sur soi qui permette d’en faire une ressource.<br />

Pour cet enseignant : véritable responsabilité personnelle <strong>de</strong> conduire <strong>les</strong> étudiants<br />

à cette introspection qui leur permet <strong>de</strong> mieux pouvoir ai<strong>de</strong>r l’autre.<br />

« Mon engagement à moi il se situe justement <strong>dans</strong> l’accompagnement <strong>de</strong>s étudiants<br />

à la construction <strong>de</strong> cette compétence ».<br />

Connaissance et connaissance <strong>de</strong> soi doivent être pensées et transmises ensemble.<br />

Dénonce leur division <strong>dans</strong> la formation.<br />

La connaissance permet le positionnement <strong>de</strong> soi par le jugement clinique.<br />

et une reconnaissance scientifique.<br />

L’argumentation scientifique, par le biais <strong>de</strong> la démarche clinique, favorise la<br />

reconnaissance <strong>de</strong> la profession au sein du système <strong>de</strong> santé.<br />

Trois problèmes majeurs cependant :<br />

MAIS<br />

L’organisation structurelle <strong>de</strong> la formation qui ne favorise pas ce travail<br />

d’introspection et <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi ;<br />

Une frustration générée chez <strong>les</strong> étudiantes, qui découvrent le soin idéal avec<br />

l’agir compassionnel, mais ne peuvent l’appliquer <strong>dans</strong> la réalité ;<br />

Des divergences parmi <strong>les</strong> enseignants, entre ceux qui considèrent que la<br />

discipline a un statut réellement scientifique et <strong>les</strong> autres, ces <strong>de</strong>rniers<br />

accordant beaucoup moins d’importance au jugement clinique.<br />

458


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Pour cet enseignant, l’enjeu est important car :<br />

l’engagement est indispensable au soin, mais<br />

« il est nécessaire d’outiller cet engagement sans en<br />

déshumaniser l’essence profon<strong>de</strong> ».<br />

C’est pour la construction <strong>de</strong> cet engagement raisonné que notre interlocuteur<br />

s’engage lui-même avec beaucoup d’enthousiasme et <strong>de</strong> conviction.<br />

20.4 Conclusion <strong>de</strong> l’analyse qualitative<br />

On peut dire que nous retrouvons certaines constantes au travers <strong>de</strong> ces<br />

entretiens qui pourraient se résumer, <strong>de</strong> façon très générale, en quelques lignes : La<br />

mise en exergue <strong>de</strong>s difficultés rencontrées <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> avec <strong>de</strong>s<br />

conditions <strong>de</strong> travail et une politique organisationnelle qui conduit à la<br />

déshumanisation, obligent le soignant à sortir d’une posture compassionnelle<br />

altruiste pour développer une posture professionnelle, certes toujours orientée vers<br />

l’Autre mais favorisant une i<strong>de</strong>ntité professionnelle fondée sur <strong>de</strong>s compétences.<br />

Cette dimension est surtout défendue par <strong>les</strong> professionnels, tandis que <strong>les</strong><br />

enseignants mettent l’accent sur la connaissance <strong>de</strong> soi et le positionnement réfléchi.<br />

C’est cette posture argumentée et théoriquement fondée qui lui permettra <strong>de</strong> mener<br />

ce combat difficile, celui <strong>de</strong> la préservation <strong>de</strong> ses valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> l’exercice du soin.<br />

Nous conclurons l’ensemble <strong>de</strong> cette analyse en citant cet appel à l’action d’une<br />

enseignante engagée, pour qui il est temps que <strong>les</strong> soignants sortent d’une « certaine<br />

complaisance… à cet abonnement au passé (T11)» et acceptent que le mon<strong>de</strong><br />

change, tout en prenant conscience que « c’est aussi nous qui le faisons ce<br />

mon<strong>de</strong> (T11)». Et cette enseignante ajoute : « c’est mon combat, mais j’ai envie<br />

<strong>de</strong> dire… ne vous laissez pas gagner par le désespoir, l’espérance est vot re<br />

défi, surtout maintenant, il faut gar<strong>de</strong>r l a tête haute… (T11) ».<br />

459


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Et une autre enseignante rappelle l’immense responsabilité que nous avons <strong>de</strong><br />

nous mobiliser pour faire en sorte que notre profession ne meure pas, malgré la<br />

configuration actuelle et <strong>les</strong> changements qui viennent bouleverser le paysage du<br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé (T1).<br />

Cette conclusion se veut le résumé d’un appel à mener un combat engagé.<br />

Même si ce combat n’a pas toujours exactement la même visée selon que l’on se<br />

réfère aux étudiantes, aux praticiens ou aux enseignants, il marque néanmoins<br />

l’ensemble <strong>de</strong> notre analyse et souligne la nécessité d’une action collective pour<br />

défendre une profession et, avec elle, toute la pleine mesure d’un amour pour<br />

l’humanité qui lui donne sa vraie raison d’être et donne tout son sens à l’engagement<br />

<strong>de</strong>s professionnels du soin. Ce sont ces aspects que nous allons reprendre sous la<br />

forme d’une synthèse qui nous permettra d’abor<strong>de</strong>r la discussion en repartant <strong>de</strong>s<br />

points <strong>les</strong> plus saillants <strong>de</strong> cette analyse.<br />

460


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

CHAPITRE 21 : SYNTHÈSE DES RÉSULTATS<br />

Pour la synthèse <strong>de</strong> nos résultats, nous avons choisi <strong>de</strong> reprendre le modèle <strong>de</strong><br />

l’engagement, à la fois pour essayer d’en déterminer la pertinence, mais également<br />

pour organiser nos résultats <strong>de</strong> façon plus structurée.<br />

Cette synthèse est donc organisée selon notre modèle explicité <strong>dans</strong> la partie<br />

méthodologie (cf. schéma ci-<strong>de</strong>ssous). Dans un premier temps nous souhaitons<br />

mettre en évi<strong>de</strong>nce le fait que l’engagement, en tant que notion conceptuelle, ne fait<br />

pas l’objet d’un enseignement spécifique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> éco<strong>les</strong> en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> auprès<br />

<strong>de</strong>squel<strong>les</strong> nous avons enquêté.<br />

Cette constatation nous conduit à nous questionner sur la dimension<br />

véritablement éthique <strong>de</strong> l’engagement, en examinant <strong>les</strong> liens aux valeurs<br />

personnel<strong>les</strong>, ainsi qu’à une connaissance <strong>de</strong> soi qui s’inscrive autour <strong>de</strong> ces valeurs.<br />

Prenant alors appui sur cette réflexion autour <strong>de</strong>s valeurs et <strong>de</strong> la connaissance<br />

<strong>de</strong> soi, nous nous attardons sur l’équilibre entre le <strong>de</strong>voir professionnel, inséré <strong>dans</strong><br />

le cadre d’exercice <strong>de</strong> la profession d’un côté, et <strong>les</strong> motivations ou convictions<br />

personnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’autre, afin <strong>de</strong> pouvoir observer, plus précisément, le sens que le<br />

professionnel peut donner ou non à son activité, en fonction <strong>de</strong> cet équilibre.<br />

Ce développement nous conduit alors à i<strong>de</strong>ntifier ce que pourrait être un<br />

engagement réellement professionnel et la manière dont celui-ci s’incarne <strong>dans</strong> un<br />

agir professionnel, mais aussi et surtout façonne l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et, par ce<br />

biais également, l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession elle-même.<br />

Enfin, <strong>dans</strong> un <strong>de</strong>rnier temps, nous mettons en lumière <strong>les</strong> éléments<br />

pédagogiques valorisés par <strong>les</strong> différents répondants et qui pourraient favoriser une<br />

réflexion structurée sur le sujet.<br />

461


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

FIGURE 2 : SCHÉMA DE L’ENGAGEMENT<br />

462


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

21.1 L’engagement, une attitu<strong>de</strong> qui va <strong>de</strong> soi ?<br />

Les étudiantes relèvent la volonté légitime, <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ceux qui dispensent la<br />

formation, <strong>de</strong> vouloir transmettre une conception « idéale » <strong>de</strong> la prise en charge <strong>de</strong>s<br />

patients et <strong>de</strong> l’implication attendue <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> cette prise en charge. La<br />

dimension d’engagement paraît inhérente à cette conception et il ne semble pas<br />

nécessaire <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir s’y attar<strong>de</strong>r ou d’en faire l’objet <strong>de</strong> préoccupations plus<br />

spécifiques. De fait, c’est sans doute surtout sa mise en œuvre difficile qui constitue<br />

le principal frein. D’ailleurs le passage <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> la réflexion à la logique <strong>de</strong><br />

l’action, <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> la pratique, constitue, <strong>dans</strong> une certaine mesure, une forme<br />

<strong>de</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> cet engagement implicite.<br />

Durant la formation, l’engagement n’est pas nommément abordé en tant que<br />

concept, pas plus qu’il ne fait l’objet d’une attention singulière <strong>dans</strong> sa dimension<br />

personnelle. Il est indirectement abordé lorsqu’il est question <strong>de</strong> responsabilité ou<br />

d’autonomie, ou alors <strong>dans</strong> une mise en tension avec la notion <strong>de</strong> distance<br />

thérapeutique, tout spécifiquement lorsque sont évoquées <strong>les</strong> pathologies liées à <strong>de</strong>s<br />

addictions ou <strong>de</strong>s prises en charge impliquant <strong>de</strong>s populations spécifiques : enfants<br />

et personnes âgées, par exemple. Si l’enseignement autour <strong>de</strong> cette notion fait défaut,<br />

en revanche, l’engagement est bien présent comme posture vis-à-vis <strong>de</strong> la profession.<br />

On peut d’autant moins faire l’économie d’une réflexion approfondie sur le<br />

sujet que le domaine <strong>de</strong> la pratique est soumis à <strong>de</strong>s pressions très fortes <strong>de</strong><br />

performance et <strong>de</strong> rentabilité qui ne manqueront pas <strong>de</strong> façonner, voire d’anéantir,<br />

cette dimension d’implication. Le risque est alors <strong>de</strong> voir la préoccupation cognitive<br />

autour <strong>de</strong> l’engagement « nivelée par le bas (T3) », victime <strong>de</strong> la logique<br />

opérationnelle qui prévaut actuellement <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> du travail.<br />

Cette logique <strong>de</strong> l’action et <strong>de</strong> l’objet quantifiable semble bien, à présent,<br />

pénétrer aussi le domaine <strong>de</strong> la formation, en imposant <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s d’apprentissage<br />

basés sur <strong>les</strong> preuves, en valorisant l’intégration <strong>de</strong> procédures et l’utilisation d’outils<br />

techniques, au détriment d’apports davantage orientés vers la réflexion et le savoir-<br />

être. Cette réalité émerge à différentes reprises et sous plusieurs aspects. En lien avec<br />

cela, nous relevons, par exemple, la caractéristique, récurrente chez <strong>les</strong> étudiantes,<br />

463


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

d’un fon<strong>de</strong>ment argumentatif très peu étoffé. À cet égard <strong>les</strong> considérations relevées<br />

sur le thème du positionnement sont significatives. Si <strong>les</strong> avis sur ce sujet sont<br />

généralement assez prompts à être évoqués et <strong>les</strong> affirmations assez péremptoires, on<br />

ne peut néanmoins que constater la maigre teneur <strong>de</strong> l’argumentaire qui <strong>les</strong> justifie.<br />

Or <strong>les</strong> enseignements sur ce sujet restent également très lacunaires, orientés à<br />

nouveau, très largement, sur l’action. Sachant que le positionnement constitue le<br />

fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’engagement, vouloir le considérer comme un allant <strong>de</strong> soi, en<br />

faisant l’économie d’examiner ce qui le constitue, revient, pour une enseignante, à<br />

vouloir faire <strong>de</strong> la peinture sans avoir, au préalable, apposé une couche d’accroche<br />

(T9). La peinture, comme ici l’engagement, n’auront alors aucune chance d’être<br />

viab<strong>les</strong> sur la durée.<br />

On pourrait prétexter le jeune âge et le manque <strong>de</strong> maturité pour dispenser <strong>les</strong><br />

étudiantes d’une réflexion approfondie. Néanmoins, même s’ils sont jeunes, ils<br />

seront confrontés aux difficultés <strong>de</strong> la pratique : à la maladie, à la mort, à la violence<br />

etc… Eux-mêmes expriment d’ailleurs le besoin d’être davantage préparés à la réalité<br />

du mon<strong>de</strong> du travail, en acquérant, pour ce faire, une meilleure connaissance <strong>de</strong> soi.<br />

Certes, jusqu’à un certain point, le praticien formateur chargé d’encadrer<br />

l’étudiante sur son lieu <strong>de</strong> stage, peut ai<strong>de</strong>r cette <strong>de</strong>rnière <strong>dans</strong> ce cheminement <strong>de</strong><br />

manière ponctuelle. Toutefois sa position d’évaluateur en fin <strong>de</strong> stage, ainsi que sa<br />

présence très limitée <strong>dans</strong> un espace-temps <strong>de</strong> six semaines maximum, ne permettent<br />

pas <strong>de</strong> réunir <strong>les</strong> conditions favorab<strong>les</strong> à un cheminement qui peut s’avérer long et<br />

sinueux. C’est pourquoi plusieurs enseignants et étudiants souhaiteraient voir un<br />

accompagnement instauré spécifiquement <strong>dans</strong> ce sens dès l’entrée en formation, et<br />

sur toute la durée <strong>de</strong> celle-ci.<br />

Les entretiens révèlent aussi qu’en l’absence <strong>de</strong> réflexion sur l’engagement<br />

personnel, c’est aussi la réflexion sur ses propres valeurs qui fait défaut. Les valeurs<br />

ne sont abordées que sous l’aspect fortement conflictuel du dilemme éthique, et non<br />

sous l’angle d’une connaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses limites, <strong>de</strong>venu souci <strong>de</strong> soi au sens<br />

foucaldien du terme. Pourtant, enseignants tout comme étudiantes, reconnaissent le<br />

464


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

besoin d’une réflexion sur ce qui est à la base <strong>de</strong> leurs motivations profon<strong>de</strong>s. Dans<br />

une société où règne une confusion certaine parmi <strong>les</strong> valeurs qui étaient à l’origine<br />

transmises en fonction <strong>de</strong> certains critères sociaux ou d’appartenances<br />

communautaires, <strong>les</strong> jeunes, souvent décontenancés, sont soucieux <strong>de</strong> placer <strong>les</strong><br />

bonnes priorités <strong>dans</strong> cette profusion qui pose l’embarras du choix. L’exercice est<br />

d’autant plus ardu qu’ils semblent peu habitués à une réflexion approfondie sur ces<br />

sujets. Ce flou axiologique <strong>dans</strong> lequel ils sont immergés est sans doute en partie<br />

responsable d’une difficulté à s’engager que relèvent <strong>de</strong>ux professionnels. Pourtant<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s autres professionnels, tout comme <strong>les</strong> enseignants et <strong>les</strong> étudiantes,<br />

s’accor<strong>de</strong>nt à penser que l’engagement <strong>de</strong>s jeunes n’est pas moindre. En revanche, il<br />

peut parfois paraître plus réservé, <strong>les</strong> jeunes subissant <strong>les</strong> pressions qui s’exercent <strong>de</strong><br />

part et d’autre sur eux. Plusieurs jeunes relèvent l’importance d’un cadre pour<br />

baliser une route semée d’embûches et dont l’horizon incertain génère <strong>de</strong>s craintes<br />

ouvertement avouées.<br />

Le jeune, qui n’est pas au clair avec ses propres valeurs et cherche à y mettre <strong>de</strong><br />

l’ordre, attache alors une importance d’autant plus gran<strong>de</strong> aux modè<strong>les</strong><br />

d’engagement que <strong>les</strong> enseignants et professionnels peuvent incarner ou non, avec<br />

<strong>les</strong> risques inhérents à la présence <strong>de</strong> « contre-modè<strong>les</strong> », c’est-à-dire <strong>de</strong><br />

professionnels et d’enseignants peu engagés. L’impact <strong>de</strong>s enseignants semble<br />

effectivement jouer un rôle crucial <strong>dans</strong> la manière dont le jeune va construire, ou<br />

pas, sa motivation et son engagement professionnels. Une étudiante parle <strong>de</strong>s profs<br />

motivés et désireux <strong>de</strong> transmettre leur « amour du métier », en disant : « ils nous<br />

engagent, ils nous poussent à nous engager (E25) », et son avis est conforté par<br />

celui d’une enseignante pour qui il est évi<strong>de</strong>nt que « la meilleure façon <strong>de</strong> former<br />

à l’engagement, c’est d’être engagé soi-même (T1) ». L’influence <strong>de</strong>s enseignants<br />

et professionnels est telle qu’elle peut même avoir un impact sur le choix ultérieur du<br />

domaine <strong>dans</strong> lequel le soignant va opter <strong>de</strong> travailler.<br />

465


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

21.2 La dimension éthique <strong>de</strong> l’engagement<br />

On pourrait se poser la question <strong>de</strong> la pertinence du lien entre engagement et<br />

éthique. Si le lien n’est pas donné d’emblée, il découle très clairement <strong>de</strong> l’association<br />

<strong>de</strong> différentes questions. Selon <strong>les</strong> entretiens réalisés, plus <strong>de</strong> la moitié <strong>de</strong>s personnes<br />

considèrent que la motivation et l’adéquation avec <strong>les</strong> valeurs sont <strong>les</strong> raisons<br />

premières <strong>de</strong> l’engagement. Or la motivation n’est-elle pas, elle aussi, le fruit <strong>de</strong> nos<br />

valeurs profon<strong>de</strong>s ?<br />

Pour huit personnes sur dix, l’engagement est directement lié à un exercice<br />

professionnel éthique, c’est-à-dire dont l’agir se fon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong>. Ces données sont corroborées par <strong>les</strong> affirmations très claires tant<br />

<strong>de</strong> la part d’étudiantes que <strong>de</strong> professionnels ou d’enseignants, expliquant qu’il n’y a<br />

« pas d’engagement sans valeurs (T11) ». Cette affirmation fait écho aux données<br />

récoltées <strong>dans</strong> le questionnaire, et en particulier à la question ouverte qui posait la<br />

question d’un engagement qui puisse ne pas être éthique.<br />

Cette référence aux valeurs est extrêmement présente lorsque <strong>les</strong> soignants<br />

s’expriment sur ce qui a motivé leur choix professionnel. Que ce choix soit le fruit<br />

d’un « appel » reçu dès le plus jeune âge, d’un choix mûrement réfléchi ou même<br />

d’un choix par défaut, tous reconnaissent l’impact <strong>de</strong>s valeurs du milieu social et<br />

éducatif <strong>dans</strong> lequel ils ont grandi, avec parfois l’influence <strong>de</strong> personnes plus ou<br />

moins proches qui ont su leur transmettre ce goût du métier. Toutes aussi crucia<strong>les</strong><br />

sont <strong>les</strong> expériences personnel<strong>les</strong> ou professionnel<strong>les</strong> réalisées et l’impact qu’el<strong>les</strong> ont<br />

pu avoir sur le développement <strong>de</strong> l’individu. Même si l’engagement professionnel<br />

résulte alors davantage d’un besoin <strong>de</strong> « réparation », il n’en <strong>de</strong>meure pas moins que<br />

<strong>de</strong>s valeurs très fortes orientées vers la considération <strong>de</strong> la personne humaine sont<br />

pléthore <strong>dans</strong> la façon dont <strong>les</strong> soignants expriment leur attachement à la profession.<br />

Et le langage, par moment émotionnellement très chargé, se fait l’écho <strong>de</strong> cet<br />

attachement profond, comme on peut l’entendre chez cette professionnelle<br />

expliquant que, pour elle, la profession soignante relève <strong>de</strong> la vocation, c’est-à-dire<br />

qu’elle représente l’acte <strong>de</strong> « se donner pour quelqu’un et puis d’apporter<br />

quelque chose <strong>de</strong> soi à l’autre (P8) ». La mise en acte <strong>de</strong> ces valeurs <strong>dans</strong> la<br />

466


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

situation n’est autre que la dimension éthique <strong>de</strong> la profession.<br />

Même si l’on trouve, parmi <strong>les</strong> étudiantes interrogées, un attrait certain pour la<br />

dimension technique, dimension nettement moins présente <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux autres<br />

populations interviewées, <strong>de</strong>s valeurs communes sont néanmoins très fortes. En effet,<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> valeurs qui orientent <strong>les</strong> motivations <strong>de</strong>s soignants toutes catégories<br />

confondues, l’altruisme et la dimension relationnelle occupent très nettement le<br />

<strong>de</strong>vant <strong>de</strong> la scène. Et c’est tout particulièrement <strong>dans</strong> cette relation au patient que<br />

l’engagement trouve sa principale source <strong>de</strong> satisfaction exprimée plus haut.<br />

Lorsque nous avons <strong>de</strong>mandé aux différentes personnes <strong>de</strong> nous citer <strong>les</strong><br />

valeurs <strong>les</strong> plus importantes, selon el<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> leur exercice professionnel, seu<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux sur <strong>les</strong> dix-sept valeurs (sécurité et qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>) n’étaient pas en lien direct<br />

avec le patient, la plupart étant orientées vers la relation elle-même, et <strong>les</strong> autres vers<br />

l’attention portée à la personne soignée <strong>dans</strong> sa qualité d’être humain mala<strong>de</strong> et<br />

vulnérable. Ces valeurs ne sont pas pensées <strong>dans</strong> une relation exclusive du soignant<br />

envers son patient, mais sont incorporées <strong>dans</strong> un collectif qui en permet la pleine<br />

expression. L’équipe joue en effet un rôle primordial <strong>dans</strong> le bien-être du soignant et<br />

sa capacité à être disponible pour une relation <strong>de</strong> <strong>soins</strong> qui implique autant ses<br />

valeurs que ses émotions.<br />

Vu <strong>de</strong> l’extérieur, il est sans doute difficile <strong>de</strong> réaliser à quel point la profession<br />

peut confronter le soignant à ses propres limites, à ses faib<strong>les</strong>ses et à ses craintes. Le<br />

côtoiement quotidien avec la mort, la souffrance, la violence verbale et parfois<br />

physique, <strong>de</strong>s sentiments d’injustice, <strong>de</strong> tristesse… nous renvoient à notre simple<br />

condition d’humain, dépourvue <strong>de</strong> toute mascara<strong>de</strong>. Or justement, cette<br />

confrontation, en tant qu’elle vient renverser <strong>les</strong> murail<strong>les</strong> <strong>de</strong> nos certitu<strong>de</strong>s<br />

protectrices, se veut l’élément essentiel justifiant la nécessité d’une connaissance <strong>de</strong><br />

soi et <strong>de</strong> ses limites. L’engagement <strong>dans</strong> la relation <strong>de</strong> soin implique le soignant et <strong>les</strong><br />

limites <strong>de</strong> cet engagement doivent être réfléchies, car el<strong>les</strong> ne sont pas données<br />

d’emblée. On pensera aux limites <strong>de</strong> la charge physique, mais il faut aussi considérer<br />

tout autant <strong>les</strong> limites sur le plan du vécu émotionnel, <strong>les</strong> limites entre vie<br />

professionnelle et privée, <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> la relation à autrui…<br />

Et si, pour certains, le soin <strong>de</strong> l’Autre se conjugue avec l’oubli et le don <strong>de</strong> soi,<br />

467


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

comme le veut l’héritage d’un passé fortement ancré <strong>dans</strong> la profession, la plupart<br />

<strong>de</strong>s personnes interrogées défen<strong>de</strong>nt l’idée d’une connaissance <strong>de</strong> soi édifiante qui,<br />

loin d’être le reflet d’un égoïsme abusif, se veut la condition préalable à une<br />

préservation <strong>de</strong> soi nécessaire à une rencontre saine et distancée avec l’humain<br />

vulnérable, et donc à l’exercice d’un soin <strong>de</strong> qualité ancré sur une posture<br />

professionnelle raisonnée. La pensée <strong>de</strong> Lévinas et la responsabilité imposée par le<br />

visage <strong>de</strong> l’Autre n’est donc pas reniée mais transcendée, comme le souligne une<br />

enseignante en s’appuyant sur Ricœur, selon qui pour être avec l’Autre, il faut<br />

d’abord être avec soi. Une autre enseignante établit d’ailleurs, avec amertume, un<br />

lien entre l’absence <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> ses valeurs au début <strong>de</strong> sa carrière et son<br />

incapacité à entrer en empathie avec <strong>les</strong> patients, induisant l’incapacité <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />

accompagner vraiment. Et la même enseignante explique que l’intrusion <strong>de</strong> la raison<br />

<strong>dans</strong> le processus d’engagement ne dévalue pas celui-ci, mais lui ouvre, au contraire,<br />

<strong>de</strong>s chemins mieux balisés et donc un plus grand potentiel.<br />

21.3 Le sens, une question d’équilibre<br />

Si la notion d’engagement est peu considérée sous l’angle <strong>de</strong> l’enseignement, en<br />

revanche l’engagement en tant que posture vis-à-vis <strong>de</strong> la profession est, lui, bien<br />

présent. Ce sont, au total, en moyenne huit personnes sur dix qui se disent fortement<br />

à très fortement engagées.<br />

L’énergie, la persévérance, <strong>de</strong> même que le sentiment d’efficacité et<br />

l’enthousiasme forment un très large consensus (neuf personnes sur dix) pour<br />

caractériser <strong>les</strong> effets produits par l’engagement, qui semble alors possé<strong>de</strong>r <strong>les</strong><br />

caractéristiques propres à un carburant, en termes <strong>de</strong> potentiel énergétique. Mais<br />

l’engagement a aussi <strong>de</strong>s conséquences très spécifiques chez <strong>les</strong> soignants qui y<br />

voient un sens à leur existence, notion proche du sentiment d’utilité également très<br />

souvent cité. Si l’engagement constitue une prise <strong>de</strong> risque, pour pratiquement neuf<br />

personnes sur dix, <strong>dans</strong> la mesure où il implique <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix, induisant par là-<br />

même l’éventualité <strong>de</strong> l’erreur, il n’en <strong>de</strong>meure pas moins source <strong>de</strong> satisfaction et<br />

d’épanouissement personnel pour un grand nombre.<br />

468


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Le déséquilibre entre <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong>, celui <strong>de</strong>s motivations personnel<strong>les</strong> d’un<br />

côté, et celui <strong>de</strong>s contingences <strong>de</strong> la pratique <strong>de</strong> l’autre, a <strong>de</strong>s conséquences en termes<br />

d’insatisfaction et <strong>de</strong> frustration qui peuvent, à terme, mener soit à un<br />

développement pathologique, soit à un abandon <strong>de</strong> la profession. Cela explique sans<br />

doute, en gran<strong>de</strong> partie, la faible durée d’exercice <strong>de</strong>s infirmières, happées par un<br />

système trop nocif. Les éléments sont nombreux, tant sur le plan <strong>de</strong> la sémantique<br />

utilisée que <strong>dans</strong> <strong>les</strong> narrations mêmes <strong>de</strong>s personnes, qui accusent ouvertement une<br />

tendance croissante à la déshumanisation <strong>de</strong> l’univers hospitalier et tout<br />

particulièrement <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. La nouvelle gestion du système <strong>de</strong> santé et son mo<strong>de</strong><br />

d’organisation calqué toujours davantage sur le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’entreprise font <strong>de</strong> ce<br />

domaine un reflet du modèle entrepreneurial, substituant la rentabilité à la charité et<br />

la mécanisation à la relation. Le soignant n’est alors plus qu’un exécutant, une sorte<br />

<strong>de</strong> marionnette, dont le seul objectif doit être <strong>de</strong> répondre aux attentes <strong>de</strong> ceux qui en<br />

tiennent <strong>les</strong> fils et dont <strong>les</strong> logiques sont souvent peu compatib<strong>les</strong> avec <strong>les</strong> valeurs<br />

humanistes. Plusieurs <strong>de</strong>s enseignants que nous avons interrogés ont reconnu s’être<br />

« réfugiés » <strong>dans</strong> l’enseignement pour cette raison. L’inadéquation avec leurs propres<br />

valeurs était <strong>de</strong>venue telle que cette opportunité vers l’enseignement, dénoncée<br />

comme une « fuite » par certains, s’est trouvée comme une issue vitale. Une<br />

enseignante explique que c’était pour elle une question <strong>de</strong> survie et elle l’exprime<br />

sans ambages : « c’est vrai que là (en partant), j’ai peut -être joué ma peau<br />

(T4) ». Cette expression, qui peut paraître d’emblée quelque peu exagérée, trouve<br />

malheureusement écho <strong>dans</strong> <strong>de</strong> très nombreux témoignages d’enseignants et<br />

professionnels ayant effleuré ou dépassé ce seuil à partir duquel l’engagement est<br />

<strong>de</strong>venu source <strong>de</strong> tensions internes, sur une cor<strong>de</strong> vitale menaçant peu à peu <strong>de</strong> se<br />

rompre. Si <strong>de</strong>s ressources propres ne sont pas développées, la mise en sourdine <strong>de</strong>s<br />

motivations personnel<strong>les</strong> génère un malaise grandissant et la distance protectrice<br />

n’est plus suffisante pour endiguer la menace <strong>de</strong> l’effondrement <strong>de</strong>s ressources<br />

internes. Une enseignante explique être <strong>de</strong>venue la proie du burnout pour avoir<br />

étouffé en elle, sur une longue pério<strong>de</strong>, ses motivations profon<strong>de</strong>s et accepté <strong>de</strong> se<br />

soumettre à <strong>de</strong>s injonctions auxquel<strong>les</strong> elle ne pouvait adhérer. On voit ce danger<br />

poindre à l’horizon chez certains étudiants interrogés dont on perçoit déjà<br />

469


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

l’isolement social lié à la surcharge <strong>de</strong> travail et <strong>les</strong> prémisses d’un mal-être profond.<br />

À ces phénomènes extrêmes <strong>de</strong> stress s’ajoutent tout l’éventail <strong>de</strong>s troub<strong>les</strong><br />

psychosomatiques plus diffus et plus délicats à attribuer directement au stress. Ils<br />

nous sont pourtant fréquemment mentionnés et, pour ceux qui en sont victimes, le<br />

lien <strong>de</strong> causalité à la tension vécue sur le plan professionnel ne fait aucun doute. Ce<br />

sont pratiquement tous <strong>les</strong> systèmes physiologiques qui nous ont été cités comme<br />

subissant <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> ces tensions : troub<strong>les</strong> musculo-squelettiques,<br />

céphalées, irritabilité et instabilité émotionnelle, angoisses, problèmes gastro-<br />

intestinaux, troub<strong>les</strong> du sommeil… Une étudiante résume ces faits en parlant <strong>de</strong>s<br />

infirmières qui « se tuent à la tâche (E18) ». Si le travail <strong>de</strong>s soignants n’a jamais<br />

eu la prétention d’être une sinecure ; confrontation à la déchéance, à la maladie et à<br />

la souffrance oblige, il connaît <strong>de</strong>puis quelques années une dégradation inquiétante.<br />

À la pénibilité physique et psychique déjà importante au quotidien, viennent<br />

s’ajouter <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> contraintes administratives, une augmentation <strong>de</strong>s<br />

responsabilités, <strong>de</strong>s injonctions à la flexibilité, à la rapidité et, le tout, en offrant une<br />

qualité toujours supérieure avec <strong>de</strong>s dotations toujours plus restreintes. Dans<br />

certaines institutions, <strong>les</strong> primes au mérite ont été introduites avec <strong>de</strong>s critères<br />

d’obtention qui ne sont d’ailleurs pas toujours très clairs. À travers cela, c’est le<br />

collectif qui est visé. Si l’idéologie consensuelle du « management participatif » est<br />

plébiscitée, il n’en est pas moins reproché aux professionnels <strong>de</strong> manquer à leur tâche<br />

personnelle et d’usurper un temps précieux pour <strong>de</strong>s échanges secondaires ; le<br />

collectif est invité à se concentrer sur l’action et à l’exercer avec un maximum <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>xtérité et <strong>de</strong> rapidité. Certains semblent soumettre leur engagement à ces<br />

injonctions, peut-être <strong>dans</strong> le but <strong>de</strong> faire taire <strong>les</strong> dissonances cognitives auxquel<strong>les</strong><br />

ils doivent faire face (Nuttin, 2000). Ce faisant, c’est toute la richesse <strong>de</strong> la relation,<br />

tant entre collègues qu’avec le patient, qui est minée, voire parfois littéralement<br />

engloutie. Certains professionnels expriment, avec désarroi et découragement, la<br />

solitu<strong>de</strong> à laquelle ils font face toujours plus souvent. Par l’intensité <strong>de</strong> la charge <strong>de</strong><br />

travail, ainsi que par la réduction <strong>de</strong> l’espace accordé au collectif, <strong>les</strong> gestionnaires<br />

endiguent <strong>les</strong> velléités <strong>de</strong>s soignants <strong>de</strong> s’unir pour s’organiser <strong>dans</strong> leurs<br />

470


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

revendications. Le passage du rapport oral au rapport informatisé marque bien la<br />

volonté <strong>de</strong> séparer <strong>les</strong> individus, en leur laissant croire que cette communication<br />

virtuelle va pouvoir remplacer une communication réelle.<br />

Bien souvent, lorsque l’épuisement est trop intense, <strong>les</strong> professionnels<br />

choisissent alors <strong>de</strong> quitter le bateau. C’est une conséquence qui amène aussi son lot<br />

<strong>de</strong> problèmes <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s services où le roulement <strong>de</strong> personnel est parfois considérable.<br />

Il implique l’introduction <strong>de</strong> nouveaux collaborateurs à <strong>de</strong>s rythmes très soutenus,<br />

occasionnant par là-même une surcharge <strong>de</strong> travail. Le personnel <strong>de</strong> ces unités,<br />

souvent très jeune et peu expérimenté, vit alors une gran<strong>de</strong> solitu<strong>de</strong> et parfois une<br />

véritable angoisse à l’idée <strong>de</strong> l’erreur possible face à ce manque <strong>de</strong> soutien.<br />

Même si la hiérarchie directe s’avère compréhensive, elle ne peut apporter<br />

qu’un soutien très limité, <strong>dans</strong> la mesure où elle subit, elle aussi, <strong>de</strong>s pressions<br />

importantes <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> ses supérieurs. De ce fait, elle est parfois perçue comme<br />

instrumentée par sa direction, alors qu’elle tente <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r l’équilibre <strong>dans</strong> sa<br />

position scabreuse, entre <strong>de</strong>s supérieurs aux exigences importantes et une équipe<br />

soumise à une souffrance lancinante. Du plus important au plus insignifiant, chacun,<br />

<strong>dans</strong> l’institution, est invité à donner le meilleur <strong>de</strong> lui-même pour améliorer la<br />

productivité. Mais ce processus se développe en faisant fi <strong>de</strong> la personne humaine<br />

qui est à la fois le donneur et le receveur du soin. Et divers témoignages choquants<br />

démontrent l’importance majeure accordée à la rentabilité au détriment <strong>de</strong> l’humain.<br />

Les personnes que nous avons interrogées se déclarent bien engagées et le plus<br />

souvent engagées avec leur motivation, tout en reconnaissant que le système permet<br />

<strong>de</strong> moins en moins d’agir selon leurs valeurs. Certains sont conscients d’être<br />

directement menacés par la perte <strong>de</strong> sens évoquée <strong>dans</strong> notre schéma. En revanche,<br />

chaque personne a également pu citer une ou plusieurs collègues moins engagées,<br />

cherchant parfois à faire le minimum. Il s’agissait <strong>de</strong> personnes stigmatisées pour<br />

leur indifférence et leur manque d’empathie à l’égard <strong>de</strong>s patients.<br />

Il est intéressant <strong>de</strong> noter que <strong>les</strong> avis concernant la question sur l’opposition<br />

entre indifférence et engagement sont partagés, certaines personnes se refusant à voir<br />

471


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>dans</strong> l’indifférence une notion contraire à l’engagement, mais bien davantage un<br />

autre <strong>de</strong>gré d’engagement. Cela peut nous inviter à imaginer une posture plus ou<br />

moins conscientisée d’indifférence, comme signe non pas d’un désintérêt, mais plutôt<br />

comme attitu<strong>de</strong> d’auto-protection à l’égard d’un univers <strong>de</strong> travail difficile, marqué<br />

<strong>de</strong> plus en plus par la peur <strong>de</strong> l’erreur. Il s’agirait alors d’un refuge <strong>de</strong>rrière un<br />

masque pour se défendre d’un engagement qui tend à <strong>de</strong>venir nocif, voire pathogène.<br />

Et c’est ce qu’affirment plusieurs enseignants, en expliquant l’indifférence comme<br />

une forme d’emmurement <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mécanismes <strong>de</strong> défense inconscients, mais<br />

salvateurs pour le soignant. Ces mécanismes peuvent toutefois s’avérer<br />

dommageab<strong>les</strong> pour le patient et plusieurs professionnels nous ont rendue attentive<br />

aux dérives très proches <strong>de</strong> la maltraitance, dès lors que la distanciation opérée ne<br />

permet plus <strong>de</strong> voir <strong>dans</strong> l’autrui une personne humaine à respecter. Ce phénomène<br />

correspond parfaitement aux phases <strong>de</strong> cynisme et <strong>de</strong> dépersonnalisation mises en<br />

évi<strong>de</strong>nce par Freu<strong>de</strong>nberger, puis développées par Maslach lors <strong>de</strong> ses étu<strong>de</strong>s sur le<br />

burnout.<br />

Outre l’enjeu personnel d’un équilibre entre <strong>de</strong>voir et convictions, en termes <strong>de</strong><br />

satisfaction ou d’épuisement, l’enjeu se révèle donc aussi crucial au niveau du soin.<br />

D’ailleurs certains étudiants le lient très directement au fait <strong>de</strong> pouvoir être<br />

réellement professionnel et le rester sur la durée.<br />

21.4 De la posture professionnelle à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la<br />

profession<br />

Au travers du professionnel, c’est l’individu qui va être touché par ce qu’il vit,<br />

<strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité même. Celui-ci n’est pas, en effet, l’objet d’une dichotomie entre<br />

une partie professionnelle et une partie personnelle. C’est bien l’entier <strong>de</strong> la personne<br />

qui est impliquée et « l’épanouissement professionnel… va entraîner un<br />

épanouissement… personnel (P6) ».<br />

La personne peut d’autant mieux s’épanouir qu’elle se sent reconnue. En faisant<br />

valoir la profession, c’est aussi à sa reconnaissance que l’on œuvre, ainsi qu’à la<br />

472


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

reconnaissance <strong>de</strong> ceux qui la mettent en pratique. Là où le management laisse <strong>de</strong><br />

moins en moins <strong>de</strong> place à la reconnaissance, il est d’autant plus important que <strong>les</strong><br />

professionnels puissent en bénéficier autrement. La satisfaction <strong>de</strong>s patients et la<br />

conscience <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong> leurs compétences au service <strong>de</strong>s mala<strong>de</strong>s constituent<br />

une forme <strong>de</strong> reconnaissance certaine, mais qui ne sauraient être pleinement<br />

suffisantes. Sentiment d’utilité et désir <strong>de</strong> reconnaissance sont intimement liés et, si la<br />

reconnaissance vient à manquer, l’impact sur l’estime <strong>de</strong> soi en subit <strong>les</strong><br />

conséquences. Là où la reconnaissance est présente, nous avons pu noter que<br />

l’engagement est aussi largement favorisé.<br />

De même l’absence <strong>de</strong> sens a un impact direct sur l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s soignants, à en<br />

croire cette professionnelle qui nous explique, en parlant <strong>de</strong>s infirmières, qu’el<strong>les</strong> ne<br />

« peuvent plus donner du sens à ce qu’il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> faire… » et qu’il<br />

y a, <strong>de</strong> ce fait, « une perte <strong>de</strong> cette i<strong>de</strong>ntité professionnelle à laquelle el<strong>les</strong><br />

croyaient et qu’el<strong>les</strong> souhaitaient… (P2) ». L’exercice d’un jugement clinique et<br />

la mise en œuvre <strong>de</strong>s savoirs scientifiques sont <strong>de</strong>s moyens privilégiés pour <strong>les</strong><br />

soignants <strong>de</strong> démontrer leurs compétences et <strong>de</strong> se positionner. Cette démarche<br />

appartient à chacun.<br />

Ce positionnement raisonné permet non seulement à la profession d’être mieux<br />

reconnue, mais il permet également au soignant <strong>de</strong> gagner en satisfaction, pouvant<br />

ainsi développer son rôle propre qui, comme cela nous a été exprimé plusieurs fois,<br />

constitue l’élément réellement source <strong>de</strong> motivation et d’engagement <strong>dans</strong> le travail<br />

quotidien. Ce rôle, qualifié <strong>de</strong> rôle propre ou autonome, constitue une source<br />

importante <strong>de</strong> valorisation pour <strong>les</strong> soignants. Cette posture professionnelle, qui<br />

invite <strong>les</strong> soignants à faire reconnaître leur profession, en démontrant toute sa<br />

complexité et son ancrage nécessairement théorique, constitue un tournant historique<br />

<strong>dans</strong> l’évolution d’une profession encore très marquée du sceau <strong>de</strong> la soumission au<br />

corps médical et peu encline à s’affirmer ouvertement. Pourtant, l’évolution du<br />

système <strong>de</strong> santé et cet écart grandissant, entre le soin considéré comme étant <strong>de</strong><br />

qualité et celui qui peut être fourni réellement, constituent <strong>de</strong>s raisons suffisantes<br />

pour obliger à une prise <strong>de</strong> position publique. C’est donc ici toute la dimension<br />

i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> la profession qui est en ligne <strong>de</strong> mire.<br />

473


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

21.5 Développer l’engagement durant la formation<br />

Les avis sont unanimes quant à l’intérêt <strong>de</strong> développer un enseignement sur le<br />

concept d’engagement. Même si la notion est abstraite, l’abor<strong>de</strong>r sous la forme d’un<br />

cheminement personnel accompagné paraît très pertinent pour ai<strong>de</strong>r l’étudiante à se<br />

construire <strong>dans</strong> sa posture professionnelle.<br />

Au travers <strong>de</strong> la référence faite aux valeurs, mais aussi <strong>de</strong> la nécessité d’une<br />

verbalisation et d’un regard sur son propre fonctionnement, nous serions tentée <strong>de</strong><br />

retenir surtout l’intérêt d’une réflexion sur soi qui permette <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s choix<br />

raisonnés, selon le principe <strong>de</strong> la Zweckrationalität <strong>de</strong> Weber (Lallement, 1993), en<br />

favorisant un engagement réfléchi avec une finalité instrumentale d’efficacité.<br />

Comme le signifie une enseignante, « on ne s’engage pas moins quand on<br />

introduit une dose <strong>de</strong> raison <strong>dans</strong> ses choix, on s’engage tout autant, on va<br />

simplement être plus clairvoyant par rapport au chemin qui nous attend et<br />

aux obstac<strong>les</strong> qui sont sur ce chemin… on est plus engagé quand on est<br />

conscient <strong>de</strong> ce pour quoi on fait <strong>les</strong> choses (T14) ». Nous ne saurions cependant<br />

mettre <strong>de</strong> côté la dimension <strong>de</strong> cohérence et d’engagement par rapport aux valeurs,<br />

incarnée <strong>dans</strong> la Wertrationalität. Les résultats l’ont largement montré, <strong>les</strong> valeurs<br />

jouent un rôle extrêmement important <strong>dans</strong> l’exercice professionnel <strong>de</strong>s soignants et<br />

font la part belle à cette rationalité axiologique. La mise en réflexion <strong>de</strong>s valeurs,<br />

durant la formation, doit se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> n’obéir qu’à <strong>de</strong>s critères d’instrumentalité. Elle<br />

doit pouvoir ouvrir la porte à la connaissance <strong>de</strong> soi au sens où Platon la conçoit.<br />

Ce n’est sans doute pas par hasard que la réflexivité ou la pratique réflexive<br />

reviennent comme <strong>de</strong>s leitmotivs parmi <strong>les</strong> moyens pédagogiques qu’étudiantes,<br />

mais aussi praticiens et enseignants souhaitent voir se développer. Si elle ne se<br />

contente pas d’une focalisation sur l’agir en situation et la recherche <strong>de</strong> réponses<br />

toutes faites ou <strong>de</strong> ressources purement fonctionnel<strong>les</strong>, mais au contraire mobilise<br />

une introspection et une connaissance <strong>de</strong> soi, elle <strong>de</strong>vient alors particulièrement<br />

bénéfique pour le développement <strong>de</strong> l’individu. La pratique réflexive peut entre<br />

autres permettre l’i<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong> séquel<strong>les</strong> d’une souffrance antérieure fragilisante<br />

et la transformation <strong>de</strong> celle-ci en une réelle force intérieure. En effet, si nous nous<br />

474


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

rappelons qu’un certain nombre <strong>de</strong> soignants ont choisi cette profession en lien avec<br />

une expérience <strong>de</strong> vie difficile <strong>dans</strong> le passé et la confrontation à la maladie ou à la<br />

mort <strong>de</strong> proches, on peut aisément comprendre que cela puisse donner lieu ensuite à<br />

<strong>de</strong>s phénomènes psychologiques <strong>de</strong> projection, <strong>de</strong> transfert. À plusieurs reprises,<br />

nous avons pu noter ce besoin <strong>de</strong>s soignants <strong>de</strong> comprendre et <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s<br />

ressources pour mieux faire face à l’avenir, comme l’exprime cette enseignante<br />

touchée par la mort <strong>de</strong> sa grand-mère et marquée d’une gran<strong>de</strong> culpabilité d’avoir<br />

été impuissante à l’accompagner <strong>dans</strong> cette <strong>de</strong>rnière phase <strong>de</strong> vie : « c’est comme si<br />

on avait besoin <strong>de</strong> comprendre pourquoi on a pas su faire, peut -être trouver<br />

<strong>de</strong>s ressources pour pouvoir le faire (T14) ». En favorisant une prise <strong>de</strong> distance<br />

et en questionnant la personne, la pratique réflexive est aussi l’endroit où peut se<br />

construire le sens, un sens ou une direction qui n’est parfois pas aussi évi<strong>de</strong>nt à<br />

trouver d’emblée. On se rend compte, à partir <strong>de</strong>s affirmations posées, que <strong>les</strong> jeunes<br />

considèrent cet aspect du sens comme un primat essentiel. Il est réellement le moteur<br />

<strong>de</strong> leurs convictions. En partant <strong>de</strong> ce sens, il est alors possible <strong>de</strong> contribuer au<br />

développement <strong>de</strong> la motivation nécessaire à l’engagement. S’engager <strong>dans</strong> la voie<br />

<strong>de</strong> cette réflexion mûrie, c’est aussi marquer son opposition à la tendance actuelle qui<br />

privilégie l’action au détriment <strong>de</strong> la réflexion. Elle permet également <strong>de</strong> répondre à<br />

un besoin évi<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> formation par la transmission <strong>de</strong> savoirs théoriques, mais<br />

également <strong>de</strong> savoirs expérientiels transmis par <strong>les</strong> pairs. Enfin, par son caractère<br />

incarné à la pratique et à <strong>de</strong>s situations concrètes, la pratique réflexive est un moyen<br />

privilégié <strong>de</strong> pouvoir agir sur ces contextes qui ren<strong>de</strong>nt la pratique si difficile.<br />

L’appréhension <strong>de</strong> ces différents contextes permet <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s stratégies pour<br />

<strong>les</strong> contourner ou, si ce n’est pas possible, en subir le moins <strong>de</strong> conséquences<br />

possib<strong>les</strong>. La réflexion ne doit cependant pas se borner à une simple analyse <strong>de</strong>s<br />

pratiques, mais interroger plus largement la dimension axiologique et le sens <strong>de</strong><br />

l’expérience située <strong>dans</strong> son contexte. Ainsi <strong>les</strong> actions mises en place, qu’el<strong>les</strong> soient<br />

entreprises sous la forme <strong>de</strong> projets, <strong>de</strong> propositions ou autres, peuvent ainsi, en<br />

étant ancrées sur <strong>de</strong>s connaissances avérées, permettre <strong>de</strong>s choix éclairés qui donnent<br />

sens à l’engagement, ainsi qu’à l’argumenter et le défendre.<br />

475


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Certes on ne peut concevoir la réflexion sur son agir et sur soi comme une<br />

démarche à circonscrire <strong>de</strong> manière linéaire et exhaustive. Il s’agit bien davantage<br />

d’ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à amorcer un processus qui va se poursuivre durant toute leur<br />

carrière. Mais <strong>les</strong> graines <strong>de</strong> conscientisation semées pourront alors germer au fur et<br />

à mesure <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> l’individu. Le défi est <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r l’étudiante pour qu’elle<br />

puisse elle-même trouver la bonne clé qui lui ouvrira <strong>les</strong> portes d’une connaissance<br />

<strong>de</strong> soi au service <strong>de</strong>s autres, <strong>dans</strong> un contexte qui fasse sens pour elle.<br />

Cette démarche peut s’inscrire <strong>dans</strong> une perspective théorique et se doter <strong>de</strong>s<br />

outils <strong>de</strong> la science pour fon<strong>de</strong>r son assise réellement professionnelle. Le jugement<br />

clinique en constitue un fon<strong>de</strong>ment par excellence. Et, comme le souligne un<br />

enseignant, ce genre d’accompagnement relève d’un « enseignement <strong>de</strong> haut<br />

niveau, nécessitant <strong>de</strong>s connaissances très vastes… (T13) » <strong>de</strong> la part <strong>de</strong>s<br />

enseignants qui œuvrent <strong>dans</strong> ce sens auprès <strong>de</strong>s apprenantes.<br />

La pratique réflexive, en permettant d’exposer, en tout confiance, <strong>de</strong>s situations<br />

ayant généré <strong>de</strong>s questionnements ou un vécu difficile, constitue un moyen<br />

privilégié pour ai<strong>de</strong>r l’étudiante à la découverte d’elle-même, comme l’explique cette<br />

étudiante : « grâce à ces séminaires, j’ai compris où pouvaient être mes<br />

faib<strong>les</strong>ses et où pouvaient être mes forces (E19) ». L’individu est aussi interpellé<br />

<strong>dans</strong> ses valeurs personnel<strong>les</strong> et professionnel<strong>les</strong>. Par ailleurs l’analyse permet d’aller<br />

au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> cette simple réflexion personnelle et <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong>s pairs,<br />

ainsi que <strong>de</strong> la présence du tuteur, pour développer <strong>de</strong>s ressources et <strong>de</strong>s stratégies<br />

qui lui permettront, lorsqu’une situation similaire se produira ou même <strong>dans</strong><br />

d’autres situations, d’être beaucoup mieux préparé pour pouvoir <strong>les</strong> gérer. Pour une<br />

enseignante, il est clair que la formation a le <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> donner ainsi <strong>de</strong>s ressources et<br />

<strong>de</strong>s outils aux étudiantes, pour qu’el<strong>les</strong> soient à même d’abor<strong>de</strong>r plus sereinement<br />

leur profession et <strong>les</strong> situations diffici<strong>les</strong> que celle-ci leur réserve. La pratique<br />

réflexive permet <strong>de</strong> fédérer, autour d’un objectif précis, <strong>de</strong>s ressources (verbalisation,<br />

expression <strong>de</strong> ses limites, auto-évaluations…) dont il est parfois question <strong>dans</strong><br />

certains cours, mais <strong>de</strong> manière relativement aléatoire et peu différenciée, à en croire<br />

certains enseignants et étudiantes.<br />

476


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Des moyens pédagogiques doivent être pensés pour rendre accessible cet<br />

accompagnement en mo<strong>de</strong> individuel ou par petits groupes, et ce, malgré le nombre<br />

important d’étudiantes et <strong>les</strong> promotions toujours plus <strong>de</strong>nses. L’analyse réflexive<br />

peut-être aussi l’occasion pour un enseignant <strong>de</strong> témoigner <strong>de</strong> son propre<br />

engagement, en entrant <strong>dans</strong> une relation <strong>de</strong> partenariat avec <strong>les</strong> personnes qu’il a<br />

pour mission d’accompagner durant leur formation. Il y a lieu d’institutionnaliser<br />

cette démarche et <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r la reconnaissance méritée.<br />

Les professionnels du soin se trouvent à un moment charnière <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong><br />

leur profession. Ils sont <strong>de</strong> plus en plus sollicités et leur champ <strong>de</strong> compétences<br />

s’accroît régulièrement. La pénurie <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cins entraîne une modification <strong>de</strong><br />

certaines activités infirmières, qui se voient à présent beaucoup plus actives <strong>dans</strong><br />

l’éducation au patient, <strong>dans</strong> la pose <strong>de</strong> certains diagnostics, la réalisation <strong>de</strong> certains<br />

examens ou encore la mise en œuvre <strong>de</strong> politiques <strong>de</strong> prévention.<br />

On comprend dès lors qu’il soit essentiel, pour <strong>les</strong> infirmières, <strong>de</strong> bien définir<br />

<strong>les</strong> contours <strong>de</strong> leur profession et d’affirmer leurs compétences par un<br />

positionnement clair et argumenté. Face aux multiplications <strong>de</strong>s responsabilités et<br />

<strong>de</strong>s <strong>de</strong>man<strong>de</strong>s diverses, l’infirmière doit pouvoir justifier ses priorités, tant au niveau<br />

du patient qu’au niveau <strong>de</strong> son activité propre. Elle va <strong>de</strong>voir surmonter un obstacle<br />

fréquent, à savoir oser verbaliser ses limites. En ce sens, la formation peut être une<br />

ai<strong>de</strong> non négligeable pour développer une argumentation, exprimer son<br />

positionnement à l’oral comme à l’écrit, et trouver sa légitimité <strong>dans</strong> ce<br />

positionnement. Mais elle est aussi une ai<strong>de</strong> à penser le positionnement collectif.<br />

L’infirmière ne peut porter l’entière responsabilité d’une évolution <strong>de</strong> la profession<br />

qu’elle subit. L’action collective doit se concrétiser <strong>dans</strong> l’institution pour préciser le<br />

rôle <strong>de</strong> l’infirmière et réduire le décalage entre rôle perçu, rôle hérité et rôle actuel.<br />

L’enjeu est finalement l’i<strong>de</strong>ntité du professionnel, <strong>dans</strong> la mesure où celui-ci,<br />

mieux équipé pour faire face aux difficultés, pourra aussi mieux se développer <strong>dans</strong><br />

sa profession et ainsi, par là-même, contribuer plus activement au développement <strong>de</strong><br />

la profession elle-même. En ce sens la réflexivité est un atout majeur, <strong>dans</strong> la mesure<br />

où elle permet aux infirmières <strong>de</strong> développer, en utilisant <strong>les</strong> synergies possib<strong>les</strong>,<br />

477


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

leur expertise au moyen d’un jugement clinique clairement établi sur <strong>de</strong>s concepts<br />

étayés et en référence à <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> concrètes. Par là-même, elle est un<br />

moyen pour la profession <strong>de</strong> se faire reconnaître <strong>dans</strong> sa dimension réellement<br />

scientifique.<br />

Les professionnels sont <strong>les</strong> premiers à reconnaître <strong>les</strong> vertus évi<strong>de</strong>ntes <strong>de</strong> la<br />

pratique réflexive, puisqu’ils sont pratiquement unanimes sur l’intérêt à voir <strong>de</strong>s<br />

analyses <strong>de</strong> pratiques régulières, menées en partenariat entre praticiens sur <strong>les</strong> lieux<br />

<strong>de</strong> stage, enseignants et étudiants. Que ce soit <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong>s contrats tripartites<br />

ou d’autres moments clés, ces temps <strong>de</strong> co-construction du savoir infirmier ne<br />

pourraient être que bénéfiques, tant pour <strong>les</strong> individus que pour la construction d’un<br />

savoir infirmier et d’une i<strong>de</strong>ntité commune. Ce moyen pédagogique présente <strong>de</strong><br />

multip<strong>les</strong> atouts. Il convient néanmoins <strong>de</strong> souligner l’importance <strong>de</strong> ne pas le penser<br />

<strong>dans</strong> une visée d’amélioration uniquement, comme conformité d’un professionnel<br />

toujours plus adapté au système. La question fondamentale du sens, du rapport à soi,<br />

à la maladie et au patient, nécessite une réflexion en profon<strong>de</strong>ur sans visée<br />

d’application. Inscrire cette réflexion <strong>dans</strong> le collectif permet ensuite <strong>de</strong> mener <strong>de</strong>s<br />

actions à un niveau institutionnel pour faire valoir le rôle et l’i<strong>de</strong>ntité infirmière.<br />

Alors que la pratique offre <strong>de</strong> moins en moins d’espace pour promouvoir une<br />

communauté <strong>de</strong> pensée, <strong>de</strong>s objectifs communs et une vision partagée <strong>de</strong> la<br />

profession, c’est aux lieux <strong>de</strong> formation qu’appartient cet immense défi. Mais, pour<br />

promouvoir l’engagement professionnel durant la formation, il faut d’abord en<br />

démontrer le sens. Or, nous l’avons vu, le sens se trouve <strong>dans</strong> la mise en œuvre <strong>de</strong><br />

ses valeurs propres. La formation constitue un moment privilégié où l’étudiante peut<br />

prendre le temps <strong>de</strong> réfléchir à ses valeurs, à ses limites et au professionnel qu’il<br />

souhaite <strong>de</strong>venir ou non. Cependant cette démarche doit être guidée et il faut donc<br />

pouvoir mettre en œuvre <strong>les</strong> modalités pédagogiques qui la rendront possible. Très<br />

nombreux sont <strong>les</strong> étudiants à souhaiter un accompagnement beaucoup plus<br />

individualisé qu’il ne l’est actuellement, avec un enseignant qui sache <strong>les</strong> entendre,<br />

<strong>les</strong> gui<strong>de</strong>r, <strong>les</strong> ai<strong>de</strong>r à surmonter le choc <strong>de</strong> la réalité professionnelle. Idéalement, ce<br />

serait un accompagnement qui encadre mais ne juge ou n’évalue pas, réalisé selon <strong>les</strong><br />

478


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

principes éthiques et permettant <strong>de</strong> discuter <strong>les</strong> valeurs et limites <strong>de</strong> l’étudiante.<br />

Dans différents lieux <strong>de</strong> formation, <strong>les</strong> ressentis <strong>de</strong>s étudiants se font l’écho <strong>de</strong>s<br />

ressentis <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> <strong>les</strong> institutions <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Le sentiment d’être un pion<br />

parmi d’autres, happé par un système impersonnel et froid où n’ont <strong>de</strong> place que<br />

ceux qui réussissent et rentrent parfaitement <strong>dans</strong> le moule.<br />

Par ailleurs, <strong>les</strong> cours sur <strong>les</strong> concepts qui sont liés, <strong>de</strong> près ou <strong>de</strong> loin à<br />

l’engagement, comme l’épuisement professionnel, la motivation, la responsabilité,<br />

ainsi que <strong>les</strong> valeurs, par exemple, <strong>de</strong>vraient se soustraire à <strong>de</strong>s formes<br />

d’enseignement théoriques pour privilégier la rencontre dynamique avec <strong>de</strong>s<br />

situations réel<strong>les</strong>. Les sketches, <strong>les</strong> rencontres avec <strong>de</strong>s personnes partageant leurs<br />

expériences <strong>de</strong> vie, <strong>les</strong> mises en situation sont citées par <strong>les</strong> étudiants comme étant <strong>les</strong><br />

moyens pédagogiques <strong>de</strong> prédilection.<br />

Le bénéfice <strong>de</strong> la formation est tel que plusieurs étudiants souhaiteraient<br />

pouvoir prolonger certains moments privilégiés au départ <strong>de</strong> leur pério<strong>de</strong> d’insertion<br />

professionnelle, par exemple, sous forme <strong>de</strong> groupe d’analyse réflexive. La<br />

possibilité <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> la distance, <strong>de</strong> partager leur vécu et <strong>de</strong> profiter <strong>de</strong>s<br />

expériences <strong>de</strong> leurs pairs constituerait pour eux un bénéfice certain.<br />

21.6 Comparaison <strong>de</strong>s résultats<br />

De gran<strong>de</strong>s similitu<strong>de</strong>s sont à souligner entre <strong>les</strong> trois formes <strong>de</strong> données<br />

récoltées. L’altruisme, le souhait <strong>de</strong> venir en ai<strong>de</strong>, le sentiment d’utilité et la<br />

satisfaction qu’il génère, la motivation, l’importance du sens… autant d’éléments<br />

intimement liés à la dynamique <strong>de</strong> l’engagement et que l’on retrouve indifféremment<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> trois variantes.<br />

Il est intéressant <strong>de</strong> noter que si l’engagement est reconnu comme nécessitant<br />

beaucoup d’énergie, il n’est pas pour autant synonyme d’une prise <strong>de</strong> risque. Ces<br />

données corroborent <strong>les</strong> entretiens. Les interviewés reconnaissent en effet s’investir<br />

beaucoup, certains mêmes « se donnant à fond ». Néanmoins ils considèrent que leur<br />

engagement <strong>de</strong>vient réellement préjudiciable seulement au moment où il est mal<br />

investi ou ne correspond pas à leurs valeurs fondamenta<strong>les</strong>.<br />

479


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

On retrouve ici très largement le lien, présent <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> formes <strong>de</strong><br />

données, entre l’engagement et <strong>les</strong> valeurs. Dans l’analyse quantitative, la figure 11<br />

(Engagement et éthique) est sans équivoque sur ce point.<br />

Les valeurs orientées vers le souci <strong>de</strong> l’Autre, la relation humaine et la sollicitu<strong>de</strong><br />

sont très présentes <strong>dans</strong> toutes <strong>les</strong> données, tandis que <strong>les</strong> valeurs plus matérialistes<br />

en sont quasi absentes. Face à la question <strong>de</strong> l’intérêt salarial, <strong>de</strong> prime abord plus<br />

difficile à abor<strong>de</strong>r en entretien, <strong>les</strong> répondants auraient pu profiter <strong>de</strong> l’anonymat du<br />

questionnaire pour faire valoir cet aspect. Il semble néanmoins que cet intérêt ne<br />

fasse pas partie <strong>de</strong>s motivations à l’engagement. L’une <strong>de</strong>s personnes explique<br />

d’ailleurs, durant l’entretien, que <strong>les</strong> exigences matériel<strong>les</strong> constituent même un frein<br />

à l’engagement, à nouveau parce que ces exigences prennent alors le pas sur <strong>les</strong><br />

valeurs initia<strong>les</strong>.<br />

On notera une différence significative entre le peu d’importance accordée à<br />

la notion <strong>de</strong> reconnaissance sociale comme facteur d’engagement <strong>dans</strong> le<br />

questionnaire, alors que cette même notion est mise en avant à maintes reprises<br />

durant <strong>les</strong> entretiens. Le sentiment d’utilité et la reconnaissance qui en découle sont<br />

gage d’une satisfaction qui génère une motivation importante pour la mise en œuvre<br />

<strong>de</strong> l’engagement. Nous posons l’hypothèse d’une difficulté à appréhen<strong>de</strong>r la<br />

catégorie « reconnaissance » <strong>dans</strong> le caractère anonyme du questionnaire. L’intérêt<br />

<strong>de</strong> l’entretien qui favorise l’explicitation prend ici tout son sens. Les questions <strong>de</strong><br />

relance favorisent l’obtention <strong>de</strong> réponses beaucoup plus complètes et précises.<br />

Les émotions sont aussi naturellement davantage verbalisées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> entretiens qui<br />

offrent un espace privilégié à leur expression. Par ailleurs, <strong>les</strong> questions <strong>de</strong><br />

dynamique <strong>de</strong> groupe sont absentes du questionnaire, ce qui constitue un manque<br />

certain au vu <strong>de</strong> l’importance accordée, à l’oral, à cette question. Il semble que cet<br />

aspect soit pour beaucoup un moteur essentiel à l’engagement.<br />

De façon générale, on note très peu <strong>de</strong> différence entre <strong>les</strong> populations. Des<br />

traits caractéristiques peuvent être retenus et qui sont aussi caractéristiques <strong>de</strong>s<br />

analyses linéaires réalisées : <strong>les</strong> étudiants sont avant tout soucieux <strong>de</strong> la prise en soin<br />

et du bien-être du patient. Néanmoins ils sont nombreux à se faire du souci pour leur<br />

480


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

avenir, et beaucoup perçoivent déjà <strong>les</strong> paradoxes et difficultés auxquels la pratique<br />

va immanquablement <strong>les</strong> confronter. Les praticiens, quant à eux, sont très influencés<br />

par le contexte d’exercice <strong>dans</strong> leur rapport à l’engagement ainsi que <strong>dans</strong> leurs<br />

réflexions sur cette notion. Les difficultés rencontrées au quotidien teintent leur<br />

discours même si, pour le plus grand nombre, l’engagement reste incontestable. On<br />

est frappé par l’ampleur <strong>de</strong>s émotions qui transparaissent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> entretiens, allant<br />

<strong>de</strong>s larmes au rire, en passant par la révolte, la colère ou le découragement. Cette<br />

souffrance est clairement perceptible et laisse entrevoir la douleur du déchirement à<br />

<strong>de</strong>voir, comme plusieurs l’expliquent, renier l’humain <strong>dans</strong> la prise en soin.<br />

Enfin <strong>les</strong> enseignants ont un discours plus structuré, faisant preuve d’une<br />

gran<strong>de</strong> décentration, convoquant <strong>de</strong>s concepts divers et élaborant <strong>de</strong>s mises en lien<br />

complexes. Plusieurs ont reconnu avoir choisi cette voie d’enseignement en raison<br />

d’une inadéquation majeure <strong>de</strong> leurs valeurs avec l’exercice actuel <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Il est<br />

intéressant <strong>de</strong> voir que l’on retrouve également ce souci <strong>de</strong> l’Autre auprès du corps<br />

enseignant, mais <strong>dans</strong> une sorte <strong>de</strong> transposition du patient à l’étudiante.<br />

Enfin nous conclurons avec le fait qu’il ne nous a pas été possible <strong>de</strong> mettre<br />

en évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s différences fondamenta<strong>les</strong> selon que <strong>les</strong> personnes s’étaient<br />

d’emblée portées volontaires pour cette recherche, ou qu’el<strong>les</strong> avaient été plus<br />

directement interpellées. À l’exception d’une étudiante qui n’a pas été très loquace<br />

durant l’entretien et n’a que partiellement répondu aux questions, l’ensemble <strong>de</strong>s<br />

autres personnes interrogées ont fait preuve d’un enthousiasme certain à abor<strong>de</strong>r ce<br />

sujet.<br />

21.7 Critique du modèle : pertinence et améliorations<br />

Au terme <strong>de</strong> l’analyse, nous pouvons affirmer que l’engagement relève d’un<br />

intérêt tout particulier pour la profession soignante. Étudiantes tout comme<br />

enseignants sont unanimes à penser que le processus d’engagement, avec tous <strong>les</strong><br />

paramètres qu’il convoque, doit faire l’objet d’une attention et d’un accompagnement<br />

particuliers, afin <strong>de</strong> favoriser une construction professionnelle soli<strong>de</strong> et pérenne.<br />

Pour reprendre <strong>de</strong> manière très résumée notre modèle, nous dirons donc que la<br />

réflexion sur soi, son origine culturelle, sociale, éducative, mais aussi la mise en<br />

481


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

réflexion <strong>de</strong> ses expériences <strong>de</strong> vie, constituent <strong>de</strong>s préalab<strong>les</strong> indispensab<strong>les</strong> pour<br />

une connaissance <strong>de</strong> soi et <strong>de</strong> ses valeurs. Il s’agit en effet <strong>de</strong> montrer à l’étudiante<br />

l’impact conscient mais surtout inconscient que ces valeurs vont avoir sur sa vie<br />

professionnelle. En effet, que <strong>les</strong> valeurs trouvent leur place <strong>dans</strong> notre exercice<br />

professionnel ne relève pas d’un idéal optionnel, mais d’une nécessité<br />

inconditionnelle, car ces valeurs sont la terre nourricière indispensable à un<br />

engagement soli<strong>de</strong>ment enraciné.<br />

Or, lorsque l’on se réfère aux valeurs nommées comme valeurs centra<strong>les</strong> pour le<br />

choix professionnel par ceux qui l’exercent, à savoir pour la quasi-totalité, <strong>de</strong>s<br />

valeurs orientées autour <strong>de</strong> la relation au patient impliquant le soignant jusqu’à<br />

l’expression d’un « don complet <strong>de</strong> sa personne (E25) », on prend conscience <strong>de</strong> la<br />

place centrale que l’humain y occupe. On peut, dès lors, comprendre que le non-<br />

respect <strong>de</strong> ces valeurs engendre un conflit majeur chez bon nombre <strong>de</strong> professionnels.<br />

Des témoignages multip<strong>les</strong> démontrent l’intensité <strong>de</strong> la relation au patient et le <strong>de</strong>gré<br />

d’empathie à son égard. Nier cette relation, c’est nier la nature même du soin et <strong>les</strong><br />

valeurs qui la fon<strong>de</strong>nt.<br />

Ce modèle s’avère d’autant plus pertinent que l’engagement ne saurait se<br />

résumer, en fin <strong>de</strong> compte, à la relation du soignant à son patient. Certes, c’est là sans<br />

doute la dimension centrale. Mais nous ne saurions passer sous silence <strong>les</strong> autres<br />

formes d’engagement, explicites ou plus implicites, qui lient également le soignant<br />

<strong>dans</strong> son activité. En effet, dès lors qu’il exerce sa profession, le soignant s’engage<br />

envers ce corps professionnel, mais il s’engage également envers son institution,<br />

envers ses collègues plus proches ou plus lointains, ainsi que, sur un plan plus macro,<br />

au niveau sociétal également. De par sa nature fortement orientée vers le collectif,<br />

l’engagement <strong>dans</strong> l’équipe revêt une importance toute spéciale. Ce sont<br />

pratiquement tous <strong>les</strong> soignants et une gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s étudiantes qui ont mis<br />

l’accent sur cette dimension fondamentale <strong>de</strong> la solidarité entre pairs. Une solidarité<br />

qui peut, à son tour, conduire l’engagement à un dépassement néfaste <strong>de</strong> ses limites.<br />

Accompagner l’étudiante à penser l’engagement doit donc s’inscrire <strong>dans</strong> cette<br />

multidimensionnalité pour réellement rendre compte du phénomène <strong>dans</strong> toute sa<br />

complexité.<br />

482


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

L’enjeu semble bien être <strong>dans</strong> l’équilibre entre le pôle <strong>de</strong> la conviction, <strong>de</strong> l’idéal<br />

d’un côté, et celui <strong>de</strong>s obligations et du travail prescrit <strong>de</strong> l’autre, comme l’exprime<br />

une étudiante pour laquelle « si on respecte ses valeurs, on se respecte soi, et<br />

puis si on arrive à trouver l’équilibre entre finalement ce qu’on nous <strong>de</strong>mand e<br />

d’un point <strong>de</strong> vue déontologique et puis ce que nous on a comme<br />

convictions… on est moins sujet, sans doute, à l’épuisement (E5) ».<br />

La formation ne doit pas s’enfermer <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> idéal qui ne ferait que<br />

bercer l’étudiante d’illusions éphémères. Ce <strong>de</strong>rnier doit être mis au courant <strong>de</strong>s<br />

conditions climatiques <strong>de</strong> l’exercice <strong>de</strong> la profession qui prévalent <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

la santé et <strong>de</strong>s tempêtes qui font rage. Mais il doit aussi être préparé en conséquence,<br />

c’est-à-dire recevoir la formation et <strong>les</strong> outils lui permettant d’être à même d’ai<strong>de</strong>r à<br />

redresser le navire et à gar<strong>de</strong>r le cap, en étant conscient <strong>de</strong> sa responsabilité pour cela.<br />

Si nous reprenons notre modèle, nous pouvons donc dire que <strong>les</strong> résultats<br />

obtenus par le biais <strong>de</strong> ces différentes analyses confirment sa pertinence. Le seul<br />

point sur lequel nous avons amené <strong>de</strong>s modifications concerne l’équilibre entre <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux plateaux <strong>de</strong> la balance. Nous avions initialement prévu <strong>de</strong> placer, d’un côté, <strong>les</strong><br />

motivations et, <strong>de</strong> l’autre, <strong>les</strong> <strong>de</strong>voirs. Les motivations étaient privilégiées en tant<br />

qu’el<strong>les</strong> représentent l’étape précé<strong>de</strong>nt l’engagement, cette forme <strong>de</strong> dynamisme ou<br />

ce potentiel d’énergie capable <strong>de</strong> mettre en mouvement l’engagement. Mais <strong>les</strong><br />

données recueillies nous ont conduite à prendre conscience <strong>de</strong> l’importance <strong>de</strong>s<br />

autres notions que nous avons associées, <strong>de</strong> part et d’autre <strong>de</strong> cette balance. Sans ces<br />

éléments également très influents, notre balance serait incomplète et la notion <strong>de</strong> sens<br />

qui en constitue le but ne pourrait être réellement mise en valeur.<br />

Même si nous avions connaissance <strong>de</strong>s difficultés liées aux conditions <strong>de</strong> travail<br />

<strong>de</strong>s soignants, nous avons néanmoins été frappée par la récurrence <strong>de</strong>s propos<br />

relatant ce combat au quotidien, et choquée <strong>de</strong> mesurer le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> souffrance<br />

enduré. Devant l’ampleur du phénomène, il <strong>de</strong>venait alors essentiel <strong>de</strong> lui accor<strong>de</strong>r<br />

une part plus importante <strong>dans</strong> notre réflexion, et surtout <strong>de</strong> l’inclure sous la mention<br />

483


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

du contexte d’exercice pour le mettre en tension avec la notion d’engagement qui, <strong>de</strong><br />

par son incarnation <strong>dans</strong> l’agir en situation, en subit une forte influence.<br />

De même, la notion <strong>de</strong> sens a également pris une place beaucoup plus<br />

importante que nous ne l’avions envisagé. Nous nous sommes rendue compte que<br />

penser un engagement professionnel, sans qu’auparavant la question du sens ne soit<br />

élucidée, relevait d’un construit bancal dont l’équilibre ne serait que <strong>de</strong> courte durée.<br />

Le sens constitue à la fois l’explication et la direction <strong>de</strong> l’activité. Il est en quelque<br />

sorte l’épicentre <strong>de</strong> cette activité, comme par ricochet avec la question du sens telle<br />

qu’elle se pose au soignant au contact d’un patient qui exprime son incompréhension,<br />

sa colère ou son anxiété face à une situation <strong>de</strong> vie dont le sens lui échappe. Comme<br />

l’exprime un soignant, pour que l’engagement se déploie, « il faut qu’il y ait un<br />

sens… qu’on puisse donner un sens et qu’on soit vraiment convaincu du sens<br />

qu’on donne (P11) ». La négation du sens implique, à un moment donné, une<br />

négation <strong>de</strong> soi avec le risque encouru, propre à l’engagement, <strong>de</strong> voir ses ressources<br />

épuisées et son estime personnelle anéantie.<br />

La notion <strong>de</strong> responsabilité a pris également un rôle plus conséquent, car nous<br />

avons réalisé que si cette responsabilité est en soi bénéfique <strong>dans</strong> la mesure où elle<br />

permet l’exercice <strong>de</strong>s compétences acquises, elle <strong>de</strong>vient délétère dès lors que la<br />

pression externe dépasse <strong>les</strong> ressources <strong>de</strong> l’individu. Et nous avons pu noter, aux<br />

dires <strong>de</strong>s différentes personnes, <strong>les</strong> velléités du système à donner toujours plus <strong>de</strong><br />

responsabilités aux soignants, sans considération <strong>de</strong> leurs ressources effectives et<br />

<strong>dans</strong> un contexte où la liberté d’action est <strong>de</strong> plus en plus restreinte. Alors même que<br />

la liberté <strong>de</strong>vrait constituer une condition indispensable à l’exercice d’une<br />

responsabilité réellement possible à assumer.<br />

On a pu remarquer, à différentes reprises, l’impact essentiel <strong>de</strong> cette liberté<br />

<strong>dans</strong> la confrontation au stress. En effet, <strong>les</strong> soignants qui <strong>de</strong>meurent le plus positif,<br />

malgré une charge <strong>de</strong> travail très conséquente et <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> gestion très aigus,<br />

sont ceux qui exercent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s secteurs encore un peu « protégés », tels que <strong>les</strong> <strong>soins</strong><br />

à domicile ou l’enseignement hospitalier, par exemple. À côté <strong>de</strong> la dynamique<br />

d’équipe qui constitue également une pièce maîtresse <strong>dans</strong> ces rapports <strong>de</strong> force, la<br />

484


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

liberté relative mais réelle, <strong>de</strong> pouvoir accor<strong>de</strong>r à la relation au patient la place qui lui<br />

revient, reste la raison majeure d’un certain « bien-être » <strong>de</strong> ces soignants <strong>dans</strong> leur<br />

exercice professionnel. La dimension relationnelle, orientée vers le patient, tout<br />

comme vers <strong>les</strong> autres membres <strong>de</strong> l’équipe, semble prendre une place grandissante<br />

à mesure que la hiérarchie faillit à son rôle. Plusieurs soignants mettent bien en<br />

évi<strong>de</strong>nce la désorganisation et le manque <strong>de</strong> clarté qui prévalent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />

institutions où <strong>les</strong> responsabilités <strong>de</strong>s supérieurs ont été réparties <strong>de</strong> manière peu<br />

spécifique, <strong>de</strong> sorte que « personne n’est jamais responsable <strong>de</strong> rien (P7) » et<br />

que l’encadrement <strong>de</strong>s équipes est <strong>de</strong> plus en plus déficient, ne laissant pratiquement<br />

plus d’espace à l’expression d’une quelconque reconnaissance, pourtant nécessaire à<br />

chaque individu.<br />

485


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

486


CHAPITRE 22 : DISCUSSION<br />

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Pour gui<strong>de</strong>r la discussion, nous reprendrons <strong>les</strong> hypothèses en <strong>les</strong> éclairant à la<br />

lumière <strong>de</strong>s résultats que nous avons pu obtenir au moyen <strong>de</strong> nos différentes récoltes<br />

<strong>de</strong> données. Nous serons alors en mesure <strong>de</strong> dire si ces hypothèses peuvent être ou<br />

non confirmées, ou tout au moins si el<strong>les</strong> peuvent l’être partiellement, tout en<br />

explicitant <strong>les</strong> écueils éventuels ainsi que <strong>les</strong> perspectives <strong>de</strong> recherche qui<br />

permettraient <strong>de</strong> compléter nos analyses. Un recours à notre cadre théorique et à la<br />

littérature sur le sujet permettra ensuite d’approfondir ces hypothèses et <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />

mettre réellement en discussion.<br />

22.1 L’engagement : <strong>de</strong> l’absence théorique à l’évi<strong>de</strong>nce<br />

pratique<br />

Le mon<strong>de</strong> du travail est marqué par une invitation forte à s’engager <strong>dans</strong> un<br />

objectif <strong>de</strong> performance et <strong>de</strong> rentabilité. Clot (2005, p.22) va jusqu’à évoquer la<br />

survenue d’une « démesure <strong>de</strong> l’engagement ». Notre première hypothèse intitulée :<br />

« L’engagement, tant professionnel que personnel, n’est pas abordé explicitement<br />

durant la formation, ni sous l’angle théorique ni sous l’angle éthique », s’est<br />

trouvée néanmoins totalement confirmée par <strong>les</strong> trois populations auprès <strong>de</strong>squel<strong>les</strong><br />

<strong>les</strong> entretiens ont été menés. Si <strong>de</strong>s notions proches, tel<strong>les</strong> que la responsabilité ou la<br />

morale sont abordées sous un angle déontologique, en revanche la dimension<br />

psychologique et individuelle <strong>de</strong> l’engagement ne fait pas l’objet d’un enseignement,<br />

ni même d’une approche pédagogique qui approcherait un développement<br />

théorique ou éthique.<br />

Les personnes interrogées sont néanmoins unanimes pour reconnaître que<br />

l’engagement ne se laisse pas subsumer sous <strong>de</strong>s concepts, mais qu’il implique la<br />

personne <strong>dans</strong> son entier. De diverses manières et à <strong>de</strong> très nombreuses reprises,<br />

487


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

l’intensité <strong>de</strong> l’engagement apparaît en faisant référence à la notion <strong>de</strong> lien, <strong>de</strong>s<br />

praticiens allant jusqu’à évoquer le lien marital à la profession. Cette idée rejoint la<br />

conception <strong>de</strong> Bobineau lorsqu’il décrit l’engagement comme le fait <strong>de</strong> « se donner<br />

en gage, se lier » en se mettant au service <strong>de</strong> quelqu’un ou quelque chose<br />

(Bobineau, 2010a, p.12). Les soignants se sentent, pour une large part, appelés à la<br />

responsabilité par la seule présence du patient qui leur fait face et, même si aucun n’y<br />

fait explicitement référence, on entrevoit très clairement la figure hyperbolique du<br />

Visage qu’Emmanuel Lévinas développe en parlant <strong>de</strong> l’altérité (Lévinas, 1982).<br />

Cette dimension du lien revient <strong>de</strong> manière récurrente et ostentatoire <strong>dans</strong> <strong>les</strong><br />

questions sur le choix professionnel. L’intensité <strong>de</strong> l’engagement, ainsi que son<br />

implication sur la personnalité même <strong>de</strong> l’intéressé, sur ses émotions et son être<br />

intérieur, est particulièrement frappante. Pour plusieurs personnes, la nature très<br />

personnelle <strong>de</strong> l’engagement est ce qui rend d’autant plus nécessaire la connaissance<br />

<strong>de</strong> soi, car, « si le soignant n’est pas bien <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité », il ne pourra pas<br />

« s’engager efficacement auprès d’autrui (T14) ». Dans l’enseignement sur<br />

l’engagement, c’est tout particulièrement cet aspect <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi qui fait<br />

défaut, or <strong>les</strong> valeurs sont le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> l’engagement (E11). Selon Gros<br />

(2007), nous avons opéré un glissement d’une « éthique <strong>de</strong> la construction <strong>de</strong> soi<br />

à une morale du <strong>de</strong>voir », délaissant ainsi l’exigence socratique d’une éthique du<br />

souci <strong>de</strong> soi, vue comme soin <strong>de</strong> son âme et indissociable du soin <strong>de</strong> l’Autre (Gros,<br />

2007, p.16). Cette déviation vers une conception du <strong>de</strong>voir <strong>dans</strong> la relation s’exprime<br />

tout particulièrement au travers <strong>de</strong> la récurrence frappante <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> respect<br />

que nous avons pu relever chez une très gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong> nos interlocuteurs. Le<br />

respect, contrairement à l’empathie ou à la sollicitu<strong>de</strong>, se présente comme une<br />

exigence rationnelle liée à la conception kantienne <strong>de</strong> la dignité et du <strong>de</strong>voir qui lui<br />

est afférent (Gros, 2007), mais elle n’interroge pas la personne <strong>dans</strong> son for intérieur.<br />

Néanmoins, <strong>dans</strong> le rapport à l’Autre, l’exigence déontologique ne saurait s’avérer<br />

suffisante. Jollien (2006), philosophe polyhandicapé, familier <strong>de</strong> l’univers <strong>de</strong>s<br />

soignants, explique comment une attitu<strong>de</strong> soignante empreinte <strong>de</strong> respect peut<br />

<strong>de</strong>venir une forme-limite <strong>de</strong> la maltraitance <strong>dans</strong> la non-reconnaissance <strong>de</strong> la<br />

singularité du soigné que ce respect stérile véhicule. Là où le respect correspond à<br />

488


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

une exigence rationnelle et normative, un <strong>de</strong>voir moral impératif, la compassion et la<br />

sollicitu<strong>de</strong> sont <strong>les</strong> résultats d’une altérité vécue au cœur <strong>de</strong> l’humanité. Cependant<br />

ce soin <strong>de</strong> l’Autre, induit par la compassion désignant le fait <strong>de</strong> « souffrir avec »,<br />

implique un préalable, à savoir le soin <strong>de</strong> soi. Foucault insiste fortement, en se<br />

référant principalement à Platon, mais également aux différents courants<br />

philosophiques qui se sont succédé <strong>dans</strong> la Grèce Antique, sur l’importance du souci<br />

<strong>de</strong> soi, dont la connaissance <strong>de</strong> soi constitue une règle subordonnée essentielle<br />

(Foucault, 2001). En effet, l’épiméleia heautou (le souci <strong>de</strong> soi) désigne l’ensemble<br />

<strong>de</strong>s introspections et transformations <strong>de</strong> soi qui permettent l’accès à la vérité,<br />

condition indispensable à la prise d’autorité <strong>dans</strong> la vie publique (et, pour nous, <strong>dans</strong><br />

l’hôpital).<br />

Cette connaissance <strong>de</strong> soi <strong>de</strong>vient essentielle, tout particulièrement à cette<br />

pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la vie où l’étudiante quitte le cocon douillet <strong>de</strong> l’école et « sort <strong>de</strong> la<br />

main <strong>de</strong>s pédagogues » pour s’orienter vers le milieu professionnel (Foucault, 2001,<br />

p.38). À ce moment critique, surtout si elle est jeune, l’étudiante est encore très<br />

influençable, « ouverte à tous <strong>les</strong> vents » et toutes <strong>les</strong> représentations du mon<strong>de</strong><br />

extérieur qu’elle accepte souvent sans <strong>les</strong> examiner ni <strong>les</strong> analyser. La connaissance<br />

<strong>de</strong> soi doit lui permettre d’être capable d’opérer une « discriminatio », c’est-à-dire<br />

d’avoir un regard critique sur ce que le mon<strong>de</strong> extérieur lui propose. Si déjà <strong>les</strong><br />

Anciens évoquaient ce cheminement introspectif comme un passage nécessaire, à<br />

combien plus forte raison <strong>de</strong>vons-nous le prendre en considération à notre époque et<br />

au cœur <strong>de</strong> « l’effervescence axiologique » qui caractérise notre société mo<strong>de</strong>rne<br />

(Bobineau, 2010a, p.50). Selon Bobineau, la « prolifération <strong>de</strong>s valeurs,<br />

l’ébullition <strong>de</strong>s références » placent <strong>les</strong> jeunes, tout comme <strong>les</strong> professionnels <strong>dans</strong><br />

l’embarras et ceux-ci reconnaissent que « quand y a trop on sait plus quoi choisir<br />

(P5) ». Une professionnelle plus âgée souligne la différence fondamentale qui<br />

marque l’entrée <strong>de</strong>s étudiantes aujourd’hui <strong>dans</strong> la profession infirmière en<br />

comparaison avec ses débuts à elle, en précisant que ce sont à présent <strong>les</strong> jeunes qui<br />

doivent, eux-mêmes, remplir leur propre panier <strong>de</strong> valeurs. Celui-ci ne leur est plus<br />

livré en l’état <strong>de</strong> par la seule appartenance à la communauté (P9). Le risque <strong>de</strong> ce<br />

foisonnement <strong>de</strong> références non hiérarchisées est alors que le jeune en formation<br />

489


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

construise un système <strong>de</strong> valeur amoral, c’est-à-dire sans connaissance et sans<br />

conscience <strong>de</strong>s tenants et aboutissants <strong>de</strong> ses choix (Bobineau, 2010a, p.50). C’est ce<br />

que Fabre (2011, p.23) assimile à « la question <strong>de</strong>s repères <strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> sans<br />

repères, la dialectique entre certitu<strong>de</strong> et incertitu<strong>de</strong> quand menacent le<br />

relativisme et l’intégrisme, la question <strong>de</strong> la valeur au temps <strong>de</strong> la<br />

sécularisation… ». Il y a donc réelle nécessité d’un accompagnement à cette<br />

hiérarchisation et à la mise en lumière <strong>de</strong>s motivations personnel<strong>les</strong> pouvant être<br />

liées à <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> vie, ainsi que <strong>de</strong> leur influence sur l’individu. La<br />

pédagogie trouve ici toute son importance au sens <strong>de</strong> la pai<strong>de</strong>ia grecque combinée<br />

avec l’éthos et qui permet d’ai<strong>de</strong>r l’individu à grandir <strong>dans</strong> une connaissance vaste.<br />

Le processus nécessite néanmoins l’intervention d’un tiers qui va jouer le rôle <strong>de</strong><br />

gui<strong>de</strong> et ai<strong>de</strong>r à la prise <strong>de</strong> conscience du but souhaité et <strong>de</strong>s objectifs à poursuivre,<br />

ainsi que <strong>de</strong>s valeurs qui sous-ten<strong>de</strong>nt ce but et ces objectifs (Foucault, 2001). Nous<br />

trouvons alors particulièrement pertinente la vision du pédagogue développée par<br />

Fabre. Pour cet auteur, le pédagogue a un rôle <strong>de</strong> gui<strong>de</strong> et peut donc ai<strong>de</strong>r « <strong>dans</strong> la<br />

découverte <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi » et l’émergence <strong>de</strong>s ressources<br />

personnel<strong>les</strong> (T14) ». Il met à disposition <strong>de</strong>s jeunes gens la boussole et la carte,<br />

afin que ceux-ci puissent ensuite s’orienter sur <strong>les</strong> chemins <strong>de</strong> leur existence<br />

personnelle et professionnelle (Fabre, 2011). Le pédagogue joue le rôle d’un capitaine<br />

qui apprend à ses élèves à utiliser la carte et la boussole.<br />

Ce souci <strong>de</strong> soi répond donc aux exigences <strong>de</strong> l’éthos professionnel, « entendu<br />

comme engagement socio-psychologique et axiologique du sujet <strong>dans</strong> l’activit é<br />

professionnelle » (Jorro, 2010, p.3). Selon cette auteure, il y a la nécessité <strong>de</strong><br />

confronter <strong>les</strong> étudiants à la fois à une approche i<strong>de</strong>ntitaire, explorant le vécu et <strong>les</strong><br />

expériences <strong>de</strong>s sujets, ainsi qu’à une approche axiologique qui vient questionner <strong>les</strong><br />

valeurs sous-tendant le rapport à l’action <strong>de</strong> même que l’orientation <strong>de</strong> celle-ci<br />

(Houssaye, 1997). L’approche axiologique porte à la fois sur <strong>les</strong> valeurs et <strong>les</strong> normes,<br />

aussi bien personnel<strong>les</strong> que professionnel<strong>les</strong>. Grâce à cette approche, <strong>les</strong> valeurs<br />

peuvent se muer en une véritable éthique qui, elle, constitue un puissant antidote à<br />

un formalisme et à un conventionnalisme, tous <strong>de</strong>ux « drapés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> plis <strong>de</strong> la<br />

490


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

morale et <strong>les</strong> replis <strong>de</strong> la bonne conscience » (Misrahi, 1995, p.76).<br />

En ce qui concerne la notion même d’engagement, nos résultats confirment qu’il<br />

s’agit d’une notion fortement polysémique, avec <strong>de</strong>s acceptions fort différentes selon<br />

que l’on se réfère au paradigme philosophique (Savadogo, 2008), psychologique<br />

(Joule & Beauvois, 1998, 2002) ou économique (Schaufeli et al, 2004). L’enjeu pour <strong>les</strong><br />

étudiants n’est alors pas tant <strong>dans</strong> une compréhension fine et conceptuelle <strong>de</strong> la<br />

notion, que <strong>dans</strong> la réflexion sur leur propre engagement et ce qui le dynamise ou au<br />

contraire le freine.<br />

Nous insisterons donc sur la connaissance <strong>de</strong> soi comme processus <strong>de</strong> création<br />

<strong>de</strong> soi par la prise <strong>de</strong> conscience et l’adhésion à <strong>de</strong>s principes, <strong>de</strong>s valeurs et <strong>de</strong>s<br />

règ<strong>les</strong> qui vont donner une direction à notre existence et à notre engagement au cœur<br />

<strong>de</strong> cette existence (Savadogo, 2008). L’importance <strong>de</strong> cette connaissance <strong>de</strong> soi, si elle<br />

est d’après Platon (2002) un détour obligé pour toute personne entrant <strong>dans</strong> la vie<br />

adulte, l’est sans doute encore davantage pour celui qui se <strong>de</strong>stine à une profession<br />

qui n’engage pas que sa personne, mais implique d’autres être humains sur <strong>les</strong>quels<br />

il exercera, consciemment ou malgré lui, un certain pouvoir, ne serait-ce que par la<br />

dissymétrie inhérente à la relation soignante.<br />

Toutefois il ne suffit pas d’être convaincu <strong>de</strong> la pertinence du concept et <strong>de</strong>s<br />

richesses qu’il recèle en son sein. Encore faut-il le connaître réellement. Notre<br />

<strong>de</strong>uxième hypothèse tente d’en examiner un aspect fondamental, à savoir celui du<br />

sens.<br />

22.2 Les éléments qui contribuent à favoriser l’engagement :<br />

l’enjeu du sens<br />

La <strong>de</strong>uxième hypothèse : « L’engagement professionnel ne peut se développer<br />

et se maintenir sur la durée que si l’étudiante, puis la professionnelle, trouve un<br />

sens à sa pratique » a fait l’objet d’un traitement <strong>de</strong> données relativement <strong>de</strong>nse.<br />

Nous n’avons pu discriminer ce que certains considèrent comme <strong>de</strong>s tendances<br />

régressives, à savoir la déliquescence d’un engagement au sein <strong>de</strong>s <strong>de</strong>rnières<br />

491


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

générations. Les jeunes semblent tout aussi engagés que leurs aînés, mais le focus a<br />

peut-être changé. Le moteur <strong>de</strong> l’engagement n’est plus l’institution mais la relation<br />

au patient. Dans <strong>les</strong> motivations à l’engagement, cette relation du soignant au soigné,<br />

c’est–à-dire du soignant à celui qui est en position <strong>de</strong> vulnérabilité et qui a besoin<br />

d’ai<strong>de</strong>, occupe une place absolument prépondérante. On ne peut qu’être frappés <strong>de</strong>s<br />

efforts consentis à la dimension relationnelle. Les étudiantes sont souvent prêtes à<br />

tout donner au détriment <strong>de</strong> leur propre personne (T9). La compassion et la<br />

sollicitu<strong>de</strong>, qui émanent particulièrement <strong>de</strong>s propos <strong>de</strong>s apprenantes, interpellent<br />

par leur récurrence. L’engagement s’exprime chez ces jeunes gens <strong>de</strong> manière<br />

préférentielle <strong>dans</strong> une action autonome et <strong>dans</strong> le rapport confinitaire d’une relation<br />

duale, aux dépens <strong>de</strong> la dimension communautaire d’adhésion à la profession. En<br />

cela, nos observations rejoignent très précisément l’analyse <strong>de</strong> Bobineau (2010a) pour<br />

qui l’engagement a effectivement évolué vers un espace relationnel plus restreint, et<br />

où chacun y trouve un possible intérêt ou en tire quelque bénéfice, par exemple en<br />

termes <strong>de</strong> reconnaissance. Cette tendance explique également le développement très<br />

prégnant du concept <strong>de</strong> sollicitu<strong>de</strong>, que Ricœur considère comme une forme <strong>de</strong> trait<br />

d’union entre alter et ego, une forme <strong>de</strong> pont entre celui qui est à la fois i<strong>de</strong>ntique et<br />

différent (Ricœur, 1990). Svandra (2009a) met en évi<strong>de</strong>nce une étymologie i<strong>de</strong>ntique<br />

<strong>de</strong> ce terme avec celle du mot soin, le mot latin sollicitudo signifiant « souci, trouble<br />

moral, inquiétu<strong>de</strong> ». La particularité <strong>de</strong> ce concept, à la différence <strong>de</strong> la compassion,<br />

est <strong>de</strong> caractériser une empathie envers le soigné qui n’exclut pas d’emblée une<br />

forme <strong>de</strong> réciprocité, mais au contraire l’encourage (Gros, 2007). Et on note<br />

effectivement l’importance <strong>de</strong> la reconnaissance comme forme <strong>de</strong> gain, accessible au<br />

soignant <strong>dans</strong> sa relation au soigné. Comme l’explique une étudiante, « c’est tout le<br />

côté relationnel… qui apporte vraiment énormément… (E3) », et cela confirme<br />

la thèse <strong>de</strong> Nuttin (2000, p.182) lorsqu’il affirme qu’en s’occupant <strong>de</strong> son prochain,<br />

l’individu « contribue le plus souvent à son propre épanouissement ». La<br />

reconnaissance joue un rôle que nous avions sous-estimé en examinant la<br />

problématique <strong>de</strong> l’engagement. Force dynamisante extrêmement puissante, son<br />

absence est en revanche vectrice d’une démotivation importante (Schaufeli &<br />

Salanova, 2012).<br />

492


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Cette reconnaissance est certainement d’autant plus gran<strong>de</strong> que l’évolution<br />

sociale <strong>dans</strong> la mouvance néolibérale conduit <strong>les</strong> rapports <strong>de</strong> travail à être toujours<br />

plus aseptisés et l’univers <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> plus en plus impersonnel, victime lui aussi <strong>de</strong><br />

la désagrégation du lien sociétal (Ehrenberg, 2010) avec le climat d’incertitu<strong>de</strong> et<br />

l’inquiétu<strong>de</strong> qui en découlent. Cette peur engendre d’ailleurs <strong>de</strong>s réticences à<br />

l’engagement, voire parfois une attitu<strong>de</strong> qui peut s’apparenter à <strong>de</strong> la nonchalance.<br />

Une étudiante explique cependant qu’il s’agit d’une protection pour éviter <strong>de</strong><br />

réfléchir à un « avenir qui déprime (E16) ». Or la motivation qui fon<strong>de</strong><br />

l’engagement prend non seulement sa source <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s cognitions, mais également<br />

<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s affects que l’individu éprouve et qui vont orienter ses éventuel<strong>les</strong> actions<br />

(Nuttin, 1985). Ce <strong>de</strong>rnier a donc besoin d’un cadre qui lui permette <strong>de</strong> pouvoir<br />

exprimer oralement <strong>les</strong> émotions ainsi que <strong>les</strong> valeurs qui leur sont liées, car comme<br />

le dit une étudiante : « nos valeurs et nos émotions, el<strong>les</strong> sont toujours là, mais<br />

parfois implicites et ça ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>les</strong> exprimer (E22) ». Dans ce sens nous avons pu<br />

mettre en évi<strong>de</strong>nce l’impact particulièrement favorable <strong>de</strong> la verbalisation sur la<br />

motivation et l’engagement. En effet, <strong>les</strong> personnes, et tout spécifiquement <strong>les</strong><br />

professionnels, qui nous ont fait part d’un engagement important, ont toutes, sans<br />

exception, relié ce <strong>de</strong>rnier à la possibilité <strong>de</strong> vivre un réel partage <strong>de</strong> leur vie<br />

professionnelle avec leurs collègues. C’est <strong>dans</strong> la communauté et le partage que « le<br />

vécu prend sens (T14) ». La notion <strong>de</strong> pairs revêt ici une importance sans<br />

précé<strong>de</strong>nt, qui confirme également le glissement évoqué par Bobineau (2010a) d’une<br />

« morale <strong>de</strong>s Pères à une morale <strong>de</strong>s pairs », comme lieu d’échange et <strong>de</strong> co-<br />

construction professionnelle. Et, par ailleurs, le soignant doit également pouvoir<br />

vivre son activité selon ses valeurs et ses émotions car il ne saurait s’apparenter à une<br />

machine.<br />

L’engagement se veut réellement à la conjonction <strong>de</strong> la source axiologique et <strong>de</strong><br />

la source relationnelle. En tant que dynamique comportementale orientée vers une<br />

altérité elle-même regardée à travers le prisme <strong>de</strong> valeurs soli<strong>de</strong>ment ancrées,<br />

l’engagement va pouvoir s’épanouir pour autant qu’il y ait une adéquation avec ses<br />

valeurs. C’est à ce prix que peut se construire un sens <strong>de</strong> la vie professionnelle qui,<br />

elle, pourra se développer au point <strong>de</strong> d’influencer l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et<br />

493


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

personnelle (Jorro & De Ketele, 2011). Et une praticienne <strong>de</strong> confirmer que, lorsque<br />

<strong>les</strong> infirmières « ne peuvent plus donner du sens à ce qu’il leur est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong><br />

faire… il y a une perte d’i<strong>de</strong>ntité professi onnelle… (P2) ».<br />

Or, pour que le sens advienne pleinement, la responsabilité professionnelle,<br />

même si elle est « la juste contrepartie <strong>de</strong> la liberté comme principe d’action »<br />

(Svandra, 2009b, p.11), doit pouvoir se développer en laissant à l’individu une marge<br />

<strong>de</strong> liberté minimale <strong>dans</strong> laquelle il puisse exprimer sa singularité. La<br />

standardisation et l’hypernormalisation <strong>de</strong>s pratiques imposées aux soignants sont<br />

<strong>de</strong>s limites à la liberté et à l’éthique du soignant. La parcellarisation <strong>de</strong>s tâches qui<br />

fait obstacle à la vision holistique <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> soin est un facteur certain <strong>de</strong><br />

démotivation (E22). Au mépris <strong>de</strong> cette liberté s’adosse alors une obéissance servile<br />

rendue quasi incontournable par <strong>les</strong> ca<strong>de</strong>nces imposées, la fatigue générée par<br />

l’usure quotidienne. Mais celle-ci a <strong>de</strong>s conséquences néfastes à la fois pour <strong>les</strong><br />

patients, car « l’erreur est vite arrivée et elle peut avoir <strong>de</strong>s conséquences<br />

dramatiques… (E19) », mais également pour le soignant qui n’y voit plus <strong>de</strong> sens.<br />

Il y a lieu <strong>de</strong> mettre en parallèle ces considérations avec le triangle éthique <strong>de</strong> Paul<br />

Ricœur. Selon ce modèle, l’auteur conçoit un acteur, le pôle « je » tout en haut du<br />

triangle, disposant d’une liberté et d’une volonté propre, liberté et volonté qui vont<br />

servir <strong>de</strong> cadre à sa relation au pôle « tu », à cet Autre avec qui le « je » entre en<br />

contact. Cependant ce contact s’inscrit <strong>dans</strong> un contexte spécifique, le pôle « il ».<br />

Celui-ci est le référent commun, comme ici l’institution. Si ce <strong>de</strong>rnier pôle est<br />

défaillant, c’est l’équilibre entre <strong>les</strong> pô<strong>les</strong> « je » et « tu » qui va en subir <strong>de</strong>s<br />

conséquences, et avec eux l’intention éthique en elle-même (Svandra, 2009a). Et nous<br />

pouvons effectivement remarquer l’inci<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s problèmes institutionnels sur la<br />

prise en charge <strong>de</strong>s patients et sur la relation <strong>de</strong> soin que le professionnel aimerait<br />

pouvoir instaurer, alors même qu’il déplore et souffre <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir y renoncer.<br />

494


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

22.3 Les entraves à la construction <strong>de</strong> l’engagement<br />

professionnel<br />

Notre troisième hypothèse, selon laquelle «le sens <strong>de</strong> l’engagement est<br />

prétérité : par l’inadéquation <strong>de</strong> la pratique avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong>, par<br />

l’écart entre l’idéal <strong>de</strong> la prise en soin et la prise en soin réelle, ainsi que par <strong>les</strong><br />

conditions d’exercice » se trouve largement corroborée par <strong>les</strong> données récoltées.<br />

Dans le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé <strong>les</strong> métho<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion ont changé et celui-ci<br />

se voit soumis aux mêmes règ<strong>les</strong> que toute autre entreprise. Alors qu’il recevait<br />

jusqu’à présent une enveloppe avec pour mission d’offrir la meilleure qualité <strong>de</strong><br />

<strong>soins</strong> possible <strong>dans</strong> <strong>les</strong> limites <strong>de</strong> cette enveloppe, il est aujourd’hui assigné à<br />

rentabilité. L’hôpital doit accomplir <strong>de</strong>s actes médicaux au meilleur rapport<br />

qualité et coût, selon une tarification toujours plus précise et rigi<strong>de</strong>. Le patient<br />

est à présent considéré comme un client, tandis que le soignant représente une<br />

force <strong>de</strong> travail. La singularité apparaît laminée et déterminée par <strong>les</strong><br />

apparences. Nos interlocuteurs sont très peu enclins à juger positive cette<br />

évolution du secteur hospitalier et s’accor<strong>de</strong>nt avec Dubreuil pour affirmer que<br />

« le statut <strong>de</strong> client relève <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> marché, alors que le secteur<br />

social et médico-social relève d’une logique <strong>de</strong> solidarité, ce qui est en soi<br />

incompatible avec la recherche d’un profit financier, sauf à dégra<strong>de</strong>r l a<br />

qualité <strong>de</strong> la prestation en réduisant <strong>les</strong> moyens… » (Dubreuil, 2009, p.3).<br />

L’univers médical est effectivement marqué par la réduction <strong>de</strong>s coûts, la<br />

multiplication <strong>de</strong>s documents, ce que De Gaulejac (2011) nomme l’avènement<br />

<strong>de</strong> la procédurite et <strong>de</strong> la prescriptophrénie, la gestion <strong>de</strong>s lits à flux tendus,<br />

l’organisation du travail sur le modèle taylorien et l’hyperspécialisation <strong>de</strong> tous<br />

<strong>les</strong> secteurs. Il s’ensuit une diminution <strong>de</strong> la vue d’ensemble qui engendre un<br />

risque d’erreurs potentialisé ainsi qu’une perte <strong>de</strong> sens. Cette perte <strong>de</strong> sens<br />

ayant, comme nous l’avons vu, <strong>de</strong>s conséquences très négatives sur<br />

l’engagement, dès lors que le professionnel ne peut plus entrer <strong>dans</strong> une<br />

495


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

relation empathique avec <strong>les</strong> patients dont il a la charge et mettre en œuvre ce<br />

que Kant nomme « l’exercice <strong>de</strong> sa mentalité élargie » (Fiat, 2006, p.57). Les<br />

infirmières voient s’opposer toujours davantage la logique <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong> et la<br />

logique comptable (Dubet, 2002) et c’est ici la responsabilité imposée par le<br />

visage <strong>de</strong> l’Autre qui est mise en danger. Le diktat économique et l’idéologie<br />

managériale incarnée <strong>dans</strong> le New Public Management, dont <strong>les</strong><br />

conséquences polymorphes sont omniprésentes, génèrent une désorganisation<br />

générale et constituent un obstacle à la réalisation d’un travail <strong>de</strong> qualité. De<br />

plus en plus, <strong>les</strong> soignants se trouvent <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> désaffection et <strong>de</strong><br />

travail empêché (Clot, 2010), voire sont parfois victimes d’un sentiment<br />

d’imposture face à l’impossibilité <strong>de</strong> faire du « bon travail » (Sennett, 2010). La<br />

frustration <strong>de</strong> ne pas « faire du bon boulot (E2) » génère un « tiraillement<br />

<strong>de</strong> la conscience (T10) », une forme <strong>de</strong> « détresse morale (T10) » qui<br />

engendre « la frustration et l’épuisement (E13) ». Un abandon fréquent <strong>de</strong><br />

la profession (Estryn-Béhar, 2004), confirmé par plusieurs <strong>de</strong>s enseignants<br />

interrogés qui reconnaissent avoir fui l’univers <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, principalement en<br />

milieu hospitalier, précisément pour cette raison d’une inadéquation<br />

insupportable avec leurs propres valeurs, <strong>de</strong> même que <strong>de</strong> nombreux troub<strong>les</strong><br />

psychopathologiques liés au stress, nous ont été relatés qui confirment <strong>les</strong> écrits<br />

foisonnant sur le sujet (De Bouvet & Sauvaige, 2005 ; Canouï & Mauranges,<br />

2008). Alors que Foucault (1975) accusait déjà le capitalisme <strong>de</strong> vouloir<br />

« rendre <strong>les</strong> corps uti<strong>les</strong>, doci<strong>les</strong> et productifs » et <strong>de</strong> vouloir accroître la<br />

force <strong>de</strong> travail au détriment <strong>de</strong> la santé physique, on ne peut qu’être atterré<br />

aujourd’hui en observant <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> cette mainmise <strong>de</strong> l’économie sur<br />

l’humain. Les répercussions ne sont plus seulement physiques, mais<br />

engendrent <strong>de</strong>s dommages considérab<strong>les</strong> sur le plan psychique également.<br />

Comme l’explique Dubet (2002), l’infirmière intervient <strong>dans</strong> trois mon<strong>de</strong>s<br />

simultanés : celui <strong>de</strong> la compétence professionnelle, celui <strong>de</strong> la relation et celui<br />

<strong>de</strong> l’organisation. Or cette tridimensionalité abrite <strong>de</strong>s logiques différentes qui<br />

conduisent la soignante à <strong>de</strong>s grands-écarts permanents. Pour Samaniego (2003,<br />

p.56), le soi psychologique subit <strong>de</strong>s pressions intenses en raison <strong>de</strong>s<br />

496


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

nombreuses sollicitations auxquel<strong>les</strong> il est exposé, doublées <strong>de</strong>s rô<strong>les</strong> sociaux<br />

multip<strong>les</strong> auxquels il est assigné et qui provoquent une « fragmentation du<br />

soi ». Cette fragmentation, à son tour, génère <strong>de</strong> multip<strong>les</strong> troub<strong>les</strong><br />

psychologiques. Nous avons pu lire moult écrits concernant l’épuisement<br />

professionnel <strong>dans</strong> <strong>les</strong> milieux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> (Belorgey, 2010 ; Danet, 2008 ; De<br />

Gaulejac, 2011), mais nous sommes néanmoins très préoccupée par <strong>les</strong> récits <strong>de</strong><br />

nos interlocuteurs, certains ayant vécu eux-mêmes un burnout, ou se<br />

considérant comme jouxtant <strong>les</strong> limites pathologiques <strong>de</strong> l’épuisement, avec<br />

toute la panoplie <strong>de</strong>s symptômes qui lui sont liés. Le mal-être, voire parfois la<br />

souffrance émanant <strong>de</strong> ces discussions nous ont interpellée. Au travers <strong>de</strong> leurs<br />

discours, <strong>les</strong> professionnels nous ont ouvert une porte sur la vision inquiétante<br />

<strong>de</strong>s ravages causés par un épuisement <strong>de</strong> plus en plus fréquent <strong>dans</strong> l’univers<br />

hospitalier, tandis que certains n’hésitent pas à parler d’une « explosivité <strong>de</strong><br />

burnouts (E5) ».<br />

Alors que <strong>les</strong> responsabilités ne cessent d’augmenter, <strong>les</strong> professionnels se<br />

trouvent aux prises avec un mouvement paradoxal d’une autonomie toujours plus<br />

instrumentalisée et qui se veut presque une contre-rhétorique <strong>de</strong> l’autonomie. La<br />

faible marge <strong>de</strong> manœuvre, cumulée aux contingences institutionnel<strong>les</strong> et à la<br />

difficulté <strong>de</strong> l’exercice professionnel évoquées précé<strong>de</strong>mment, conduit <strong>les</strong> soignants<br />

<strong>dans</strong> une situation d’impasse qui ne saurait manquer d’avoir <strong>de</strong>s répercussions sur<br />

l’engagement.<br />

Pour contrevenir à cette problématique, certains professionnels avouent<br />

ouvertement <strong>de</strong>voir frau<strong>de</strong>r. La frau<strong>de</strong> représente, pour le psychanalyste Dejours<br />

(2008), un principe <strong>de</strong> défense ou un moyen <strong>de</strong> survie pour l’individu. Elle est<br />

considérée par Malherbe comme une « transgression par sagacité » (2007, p.92),<br />

cherchant à se dérober à un mal plus grand après une évaluation <strong>de</strong>s risques, en<br />

particulier sous un angle éthique. Ainsi certains soignants avouent mentir sur le<br />

<strong>de</strong>gré d’autonomie d’un patient pour ne pas voir la dotation en personnel diminuée<br />

<strong>les</strong> jours suivants, d’autres s’accor<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> temps en temps un jour <strong>de</strong> repos sous<br />

forme d’absence, quand d’autres encore s’octroient <strong>de</strong>s droits qui ne leur<br />

appartiennent pas mais qui leur permettent <strong>de</strong> continuer à faire un travail <strong>de</strong> qualité,<br />

497


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

comme cette praticienne qui a pris l’initiative <strong>de</strong> recenser l’ensemble <strong>de</strong> ses collègues<br />

praticiennes formatrices <strong>dans</strong> l’institution, afin d’organiser leurs rencontres, <strong>de</strong><br />

rédiger un cahier <strong>de</strong>s charges ou encore <strong>de</strong> structurer leur mission. Ces tâches<br />

appartiennent clairement aux ressources humaines mais, <strong>de</strong>vant l’inertie du système,<br />

la prise en main du domaine par cette professionnelle a permis <strong>de</strong> conserver la<br />

cohérence <strong>de</strong> la mission (P11).<br />

En quoi ces problèmes <strong>de</strong> management sont-ils importants lorsque l’on évoque<br />

le phénomène <strong>de</strong> l’engagement ? La problématique est à considérer sous <strong>de</strong>ux ang<strong>les</strong>.<br />

Il y a, d’une part, l’engouement <strong>de</strong> la psychologie organisationnelle pour cette notion<br />

d’engagement. Cet enthousiasme relativement récent n’est pas fortuit. En effet le<br />

nouveau management a trouvé <strong>de</strong>s cib<strong>les</strong> privilégiées <strong>dans</strong> <strong>les</strong> personnes engagées.<br />

Ce sont <strong>de</strong>s personnes reconnues comme étant rentab<strong>les</strong> parce qu’investies <strong>dans</strong> leur<br />

activité et leur institution, soucieuses d’effectuer un travail <strong>de</strong> haute qualité.<br />

Cependant ce sont aussi cel<strong>les</strong> qui sont le plus passib<strong>les</strong> <strong>de</strong> tomber <strong>dans</strong> le piège <strong>de</strong><br />

l’épuisement professionnel, <strong>dans</strong> la mesure où el<strong>les</strong> s’investissent sans respecter leurs<br />

limites, en donnant tout <strong>de</strong> leur personne (E25) et en payant parfois un prix très élevé<br />

(T9). Il convient donc <strong>de</strong> mettre en gar<strong>de</strong> ces soignants engagés, afin qu’ils ne<br />

s’égarent pas <strong>dans</strong> <strong>les</strong> méandres d’un idéal inatteignable mais sachent conserver un<br />

esprit clair et luci<strong>de</strong> face aux réalités. D’autre part, l’engagement est frappé <strong>de</strong> plein<br />

fouet par la mise en œuvre <strong>de</strong>s nouveaux mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion qui placent l’économie<br />

au centre <strong>de</strong> l’activité infirmière et réduisent la relation <strong>de</strong> soin à une simple<br />

transaction marchan<strong>de</strong>.<br />

Mues par ce souci du prendre soin, cet élan passionné comparé par une<br />

personne à un souffle vital, <strong>les</strong> infirmières s’investissent avec leurs valeurs profon<strong>de</strong>s<br />

et, lorsque cel<strong>les</strong>-ci sont mises à mal par un système dont <strong>les</strong> objectifs sont purement<br />

comptab<strong>les</strong>, une souffrance liée à la perte <strong>de</strong> sens et au désaveu se fait jour. Nuttin<br />

(1985) rappelle que le décalage, entre le projet personnel porté par <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la<br />

personne et le travail réel que celle-ci doit exécuter, constitue le facteur essentiel du<br />

conflit motivation-travail, conflit débouchant sur la perte <strong>de</strong> sens lorsque la<br />

discrépance ne peut être comblée. Le soignant vit alors un phénomène <strong>de</strong> déliaison<br />

entre son idéal et son <strong>de</strong>voir (Clot, 2008). C’est aussi la pierre d’achoppement décrite<br />

498


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

par Dejours (2008), lorsqu’il évoque le grand-écart entre le travail prescrit et le travail<br />

réel. L’histoire <strong>de</strong> la profession favorise encore le schéma d’un engagement<br />

inconditionné, l’infirmière continuant à incarner, pour certains, la figure<br />

vocationnelle qui se donne entièrement pour son prochain. On trouve ainsi une<br />

récurrence marquée <strong>de</strong> personnes engagées parmi <strong>les</strong> soignants. Plusieurs <strong>de</strong> nos<br />

interlocuteurs ont évoqué <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> culpabilité, ainsi que le<br />

désappointement face à la conscience <strong>de</strong> réaliser un travail dont la dimension <strong>de</strong><br />

perfectibilité <strong>de</strong>meure toujours inassouvie. Car la volonté est là <strong>de</strong> « vouloir<br />

toujours faire au mieux et pas seulement au bien (P10) ».<br />

Derrière ces mots se cache une véritable souffrance. Cette <strong>de</strong>rnière ne saurait,<br />

selon Ricœur, se limiter seulement à la douleur physique ou mentale, mais elle est<br />

également générée « par la diminution voire la <strong>de</strong>struction <strong>de</strong> la capacité<br />

d’agir, du pouvoir-faire, ressenties comme atteinte à l’intégrité <strong>de</strong> soi »<br />

(Ricœur, 1990, p.223). Selon cette définition, la souffrance est alors une impuissance à<br />

dire, à faire. Il en résulte un véritable empêchement (Clot, 2008).<br />

On pourrait alors se poser la question d’une problématique <strong>de</strong> l’engagement<br />

excessif comme résultant <strong>de</strong> postures et <strong>de</strong> caractéristiques individuel<strong>les</strong>. Mais ce<br />

serait faire la part belle à un système <strong>de</strong> gestion qui contribue largement au malaise<br />

<strong>de</strong>s soignants. Nous nous sommes posée la question <strong>de</strong> savoir si <strong>les</strong> propos critiques<br />

<strong>de</strong> nos interlocuteurs à l’égard du système <strong>de</strong> santé ne sont pas quelque peu<br />

outranciers. N’est-ce pas excessif d’évoquer une dictature <strong>de</strong> l’économie <strong>de</strong> marché ?<br />

Il suffit <strong>de</strong> lire <strong>les</strong> <strong>de</strong>rnières revues <strong>de</strong> <strong>soins</strong> pour se convaincre du contraire. Ne<br />

peut-on pas parler d’économicisation du système <strong>de</strong> santé lorsqu’une maison <strong>de</strong><br />

personnes âgées du canton <strong>de</strong> Berne reçoit un prix pour sa qualité <strong>de</strong> « discounter »,<br />

prix remporté grâce à l’engagement <strong>de</strong> bénévo<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> ? Ce titre prestigieux<br />

n’entraîne pas <strong>de</strong> baisse <strong>de</strong>s prix <strong>de</strong> séjour pour <strong>les</strong> rési<strong>de</strong>nts, mais génère par contre<br />

une hausse <strong>de</strong>s intérêts pour <strong>les</strong> actionnaires (Camenzind, 2012). De son côté, Föhn<br />

dénonce <strong>dans</strong> le magazine alémanique Der Beobachter (Föhn, 20/11) l’embauche <strong>de</strong><br />

personnel étranger <strong>dans</strong> certaines maisons <strong>de</strong> retraite, personnel ne parlant parfois<br />

que très mal la langue mais nettement moins rémunéré que le personnel suisse. Enfin,<br />

que dire <strong>de</strong>s nouvel<strong>les</strong> solutions proposées aux personnes âgées ayant <strong>de</strong> faib<strong>les</strong><br />

499


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

revenus, <strong>de</strong> vivre leur <strong>de</strong>rnière pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie <strong>dans</strong> une maison <strong>de</strong> retraite en Croatie,<br />

sans en connaître même la langue ? Il y aurait presque quelque chose d’ubuesque à<br />

cette proposition, si elle ne nous plaçait pas face à l’évi<strong>de</strong>nce même <strong>de</strong> la<br />

déshumanisation, lorsqu’une personne se voit ainsi implicitement accusée d’être une<br />

trop lour<strong>de</strong> charge pour la société, ce qui justifie qu’on l’exporte vers l’étranger<br />

comme une marchandise <strong>de</strong> moindre valeur, voire sans valeur. Et une économiste <strong>de</strong><br />

clamer son inquiétu<strong>de</strong> face à cette forme <strong>de</strong> « pensée utilitariste <strong>de</strong> l’économie », à<br />

savoir « l’absence <strong>de</strong> la souffrance humaine, <strong>de</strong> la vulnérabilité <strong>de</strong> chaque être<br />

humain et <strong>de</strong> la question <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> l’homme <strong>dans</strong> le discours sur<br />

l’économie <strong>de</strong> la santé » (Madörin citée par Camenzind, 2012, p.51). Nous <strong>de</strong>vons<br />

nous défendre contre l’impérialisme d’un mon<strong>de</strong> économique pour lequel l’homme<br />

n’a plus qu’une valeur marchan<strong>de</strong>, selon la réduction béhavioriste dont l’accuse Le<br />

Goff (2000) en évoquant la conception instrumentaliste <strong>de</strong> l’être humain. Les données<br />

récoltées ne font que confirmer largement cette tendance à une réification <strong>de</strong><br />

l’humain, entrevu sous un angle unifocal <strong>de</strong> productivité. La souffrance exprimée<br />

par cette négation <strong>de</strong> soi comme soignant, <strong>de</strong>venu « soi-nié » par le système, n’a pour<br />

écho que le désarroi <strong>de</strong>vant un système <strong>de</strong> santé qui réduit le soin à un acte<br />

marchand, décontextualisé <strong>de</strong> toute consistance relationnelle. C’est même la<br />

dimension simplement humaine qui est bafouée, comme l’exprime cette praticienne<br />

expliquant qu’elle a quitté l’hôpital révoltée car « un patient n’est pas un bout <strong>de</strong><br />

vian<strong>de</strong> que l’on balance sur un lit et qu’on retourne <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong> sens sans<br />

veiller à son confort (P11) ». La tension aura été trop difficile à supporter pour<br />

cette professionnelle frappée par « l’antagonisme entre logiques managéria<strong>les</strong> et<br />

professionnalisme » (Belorgey, 2010, p.215).<br />

Si cette professionnelle est partie vers le secteur extra hospitalier, c’est parce<br />

qu’elle ne pouvait plus trouver <strong>de</strong> sens à sa pratique. Le sens, suivi <strong>de</strong> la motivation<br />

et <strong>de</strong> l’engagement qui en résulte, sont tous trois intimement liés aux valeurs du<br />

soignant (P2, P7). Dès lors que ces valeurs sont bafouées, le sens est discrédité et, au-<br />

<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’activité du professionnel, c’est son i<strong>de</strong>ntité qui est également remise en<br />

question. Il s’agit donc à présent <strong>de</strong> se poser la question du rôle que peut jouer la<br />

formation sur cette construction <strong>de</strong> sens. Cette question est d’autant plus importante<br />

500


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

que le sens joue un rôle déterminant <strong>dans</strong> <strong>les</strong> générations actuel<strong>les</strong>. Les personnes<br />

interrogées rejoignent Bobineau (2010a), lorsqu’el<strong>les</strong> affirment que <strong>les</strong> générations<br />

actuel<strong>les</strong> s’engagent dès lors qu’el<strong>les</strong> peuvent y trouver du sens (P2). Les étudiantes<br />

confirment <strong>les</strong> affirmations <strong>de</strong> l’auteur, lorsque celui-ci explique que l’appartenance à<br />

une communauté n’est plus le motif <strong>de</strong> l’engagement, mais que « c’est le sens<br />

qu’on donne aux choses et pourquoi on a choisi <strong>de</strong> faire ce métier qui fait<br />

qu’on est engagé (E11) ». L’i<strong>de</strong>ntité du futur soignant n’est donc plus tant une<br />

i<strong>de</strong>ntité héritée, qu’une i<strong>de</strong>ntité qui va se construire au fur et à mesure <strong>de</strong>s<br />

expériences du sujet et du sens qu’il attribuera à cel<strong>les</strong>-ci. Dès lors on peut se poser la<br />

question du rôle que peut jouer la formation <strong>dans</strong> cette construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />

22.4 La formation, construction du sens et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle<br />

Cette quatrième hypothèse, selon laquelle « La formation peut ai<strong>de</strong>r<br />

l’étudiante à construire le sens <strong>de</strong> sa pratique et son i<strong>de</strong>ntité professionnelle<br />

malgré <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail diffici<strong>les</strong> » a pu trouver <strong>de</strong>s pistes <strong>de</strong> réponse <strong>dans</strong><br />

cette recherche. Certes cela reste parcellaire, car la notion même d’i<strong>de</strong>ntité est un<br />

construit social complexe dont il faudrait investiguer <strong>les</strong> dimensions<br />

épistémologiques pluriel<strong>les</strong> pour pouvoir en rendre réellement compte. Il est<br />

néanmoins possible d’en faire émerger quelques éléments significatifs.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité pour soi se forme à partir <strong>de</strong> la reconnaissance d’autrui et Osty (2003)<br />

élargit cette idée à une dimension plus vaste, en expliquant que la reconnaissance<br />

symbolique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> relations quotidiennes <strong>de</strong> travail et la reconnaissance<br />

institutionnelle constituent « <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux modalités <strong>de</strong> développement d’une i<strong>de</strong>ntité<br />

collective <strong>de</strong> métier » (p.97). Une enseignante résume cela parfaitement en<br />

expliquant comment l’absence <strong>de</strong> retours, et en particulier <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong> la<br />

part <strong>de</strong>s membres <strong>de</strong> son équipe lors d’un stage, l’ont conduite à douter <strong>de</strong> son choix<br />

professionnel et <strong>de</strong> ses capacités, la plongeant <strong>dans</strong> une situation <strong>de</strong> perte <strong>de</strong><br />

confiance dont elle a eu, par la suite, beaucoup <strong>de</strong> peine à se relever (T9). De façon<br />

très marquée, la reconnaissance <strong>de</strong>s patients est relevée par <strong>les</strong> étudiantes et<br />

501


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

praticiens comme étant l’un <strong>de</strong>s facteurs essentiels à leur bien-être professionnel (E18,<br />

E13, P8).<br />

Selon Dubar (2000), il y a <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> logiques i<strong>de</strong>ntitaires qui coexistent :<br />

une logique diachronique (i<strong>de</strong>ntité pour soi) qui permet à l’individu <strong>de</strong> cerner<br />

l’i<strong>de</strong>ntité qu’il a pour lui par un processus d’i<strong>de</strong>ntification. Et une logique<br />

synchronique (i<strong>de</strong>ntité pour autrui) qui permet <strong>de</strong> cerner la construction i<strong>de</strong>ntitaire<br />

<strong>de</strong> l’individu <strong>dans</strong> son rapport aux institutions et aux autres par le processus <strong>de</strong><br />

différenciation. La formation permet d’entrer <strong>dans</strong> ces <strong>de</strong>ux logiques et l’on voit <strong>les</strong><br />

étudiantes évoluer d’une logique plus fortement orientée vers l’i<strong>de</strong>ntification aux<br />

pairs en début <strong>de</strong> formation, à une logique <strong>de</strong> différenciation vers la fin <strong>de</strong> la<br />

<strong>de</strong>uxième année et la troisième année. C’est <strong>dans</strong> cette <strong>de</strong>uxième pério<strong>de</strong> aussi que<br />

<strong>les</strong> étudiantes parviennent à être plus critiques et à concevoir leur propre pratique.<br />

Sans doute est-ce la raison pour laquelle certaines reconnaissent n’avoir compris<br />

l’intérêt d’un cheminement réflexif que vers la fin, ou même à l’issue <strong>de</strong> la formation<br />

(E18, P2). Ce cheminement n’en est pas moins important et <strong>les</strong> personnes interrogées<br />

souhaiteraient qu’il soit mieux expliqué et fasse l’objet d’un accompagnement plus<br />

spécifique, afin d’être une réelle ai<strong>de</strong> à la construction professionnelle. Dubar (2000)<br />

se réfère à Sainsaulieu (1996) qui, <strong>de</strong> son côté, considère l’institution ou l’organisation<br />

<strong>de</strong> travail comme un système social influençant le <strong>de</strong>venir i<strong>de</strong>ntitaire du<br />

professionnel. On relèvera ici l’impact très important <strong>de</strong>s enseignants qui constituent<br />

<strong>de</strong>s modè<strong>les</strong> et influencent l’engagement par leur seule manière d’être et <strong>de</strong> vivre<br />

leur propre engagement professionnel. Et <strong>les</strong> différents niveaux <strong>de</strong> prise en compte<br />

<strong>de</strong>s individus mais aussi <strong>de</strong>s institutions <strong>de</strong> <strong>soins</strong> nous permettent d’acquiescer<br />

pleinement, au vu <strong>de</strong> nos résultats, à la définition <strong>de</strong> Dubar, selon qui l’i<strong>de</strong>ntité est<br />

définie comme « le résultat à la fois stable et provisoire, individuel et collectif,<br />

subjectif et objectif, biographique et structurel, <strong>de</strong>s divers processus <strong>de</strong><br />

socialisation qui, conjointement, construisent <strong>de</strong>s individus et définissent <strong>de</strong>s<br />

institutions » (Dubar, 1961, p.113). Durant la formation l’étudiante se trouve au<br />

cœur <strong>de</strong> ces différents processus <strong>de</strong> socialisation qui vont façonner son i<strong>de</strong>ntité à la<br />

fois personnelle et professionnelle (T13), <strong>de</strong> manière différente selon ses expériences<br />

<strong>de</strong> stage, par exemple (E15). Et face à la perte d’i<strong>de</strong>ntité que peut parfois générer la<br />

502


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

difficulté <strong>de</strong> l’exercice professionnel (P2), le rôle <strong>de</strong>s enseignants <strong>de</strong>vient encore plus<br />

capital. Nombreux sont en effet <strong>les</strong> étudiantes à avoir cité <strong>de</strong>s enseignants comme <strong>de</strong>s<br />

modè<strong>les</strong> <strong>de</strong> motivation et d’engagement (E25), <strong>de</strong>s exemp<strong>les</strong> <strong>de</strong> gens dont la passion<br />

pour la profession est communicative (E5, E17) même si le sujet est, <strong>de</strong> prime abord,<br />

peu intéressant (E7). Plusieurs ont relevé l’importance <strong>de</strong> la co-construction <strong>de</strong> sens à<br />

une pratique difficile avec ces enseignants leur permettant <strong>de</strong> prendre du recul et <strong>de</strong><br />

s’affirmer <strong>dans</strong> leur i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> professionnels (E7). L’école est aussi le lieu où se<br />

transmet en gran<strong>de</strong> partie le rôle propre, essentiel à l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle et où il<br />

est défendu face à <strong>de</strong>s structures <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il « <strong>de</strong>vient <strong>de</strong> plus en plus<br />

maigre… par manque <strong>de</strong> temps (P10) ».<br />

Cette construction i<strong>de</strong>ntitaire sera toutefois d’autant plus facilitée que<br />

l’étudiante y trouvera du sens, et nous avons pu mesurer l’importance <strong>de</strong> cette<br />

notion <strong>de</strong> sens lors <strong>de</strong> ces entretiens, un sens qui permet <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r « le moteur<br />

motivationnel en éveil (T14) » et au-<strong>de</strong>là, donne sens à l’existence elle-même (E<br />

15). Les différents éléments que le sujet va travailler en formation doivent s’inscrire<br />

<strong>dans</strong> une perspective <strong>de</strong> sens, c’est-à-dire pouvoir s’intégrer à un schéma <strong>de</strong> pensées,<br />

à <strong>de</strong>s valeurs, à un développement professionnel ou personnel.<br />

La formation est importante <strong>dans</strong> la mesure où elle peut offrir une double<br />

perspective, à la fois <strong>de</strong> sens comme direction, c’est-à-dire d’orientation vers la<br />

finalité <strong>de</strong> la formation, mais également <strong>de</strong> sens comme signification, comme<br />

intelligibilité <strong>de</strong> concepts, d’expériences et <strong>de</strong> situations en regard d’une pratique<br />

plus vaste (T13). C’est ce sens comme porteur d’intérêt qui suscite l’engagement car<br />

« c’est vrai que si j’y vois pas <strong>de</strong> sens, ben je vais pas m’engager . Donc c’est<br />

vrai que s’il y a du sens, il y a aussi un intérêt personnel (T3) ». Et le sens est<br />

relié à l’i<strong>de</strong>ntité comme l’explique une professionnelle en parlant <strong>de</strong> ses collègues<br />

désabusées, qui perdant le sens <strong>de</strong> leur action, perdaient également l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle qui avait suscité leur motivation et leur choix professionnel (P10).<br />

En réponse à notre quatrième hypothèse, nous pouvons donc affirmer que la<br />

formation a bien la possibilité d’ai<strong>de</strong>r l’étudiante à construire du sens à sa pratique et<br />

<strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>r à construire son i<strong>de</strong>ntité professionnelle, dès lors qu’elle permet d’explorer<br />

<strong>les</strong> différentes sphères énoncées ci-<strong>de</strong>ssus par Dubar.<br />

503


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

22.5 La contribution <strong>de</strong> la formation au développement <strong>de</strong><br />

l’engagement<br />

Enfin, notre cinquième et <strong>de</strong>rnière hypothèse, qui résume en gran<strong>de</strong> partie <strong>les</strong><br />

quatre autres : « La formation peut contribuer, par le biais d’un travail sur <strong>les</strong><br />

valeurs, <strong>les</strong> ressources et <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong>, à ai<strong>de</strong>r l’étudiante à développer<br />

un engagement sain et durable » a également trouvé <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong> réponse<br />

importants.<br />

En effet, parce qu’elle offre aux étudiants la possibilité <strong>de</strong> trouver du sens à leur<br />

pratique par le biais <strong>de</strong> la réflexion sur <strong>les</strong> valeurs, et <strong>de</strong> la motivation à leurs<br />

activités <strong>de</strong> soignants, la formation contribue très clairement au développement <strong>de</strong><br />

l’engagement professionnel.<br />

La formation est le moment propice pour examiner <strong>les</strong> fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> la<br />

profession, ses origines ainsi que ses spécificités. C’est en ayant considéré ce champ<br />

<strong>de</strong> connaissances que l’étudiante va réellement pouvoir appréhen<strong>de</strong>r quel<strong>les</strong> peuvent<br />

être ses limites et, par conséquent, <strong>de</strong> quel<strong>les</strong> ressources il aura besoin pour exercer<br />

sa profession. Ainsi, pour certains, la formation a été l’occasion <strong>de</strong> s’engager <strong>dans</strong><br />

l’Association Suisse <strong>de</strong>s Infirmières (E15), <strong>de</strong> plai<strong>de</strong>r pour la mise sur pied d’un<br />

Ordre Infirmier (T7), ou encore <strong>de</strong> développer <strong>de</strong>s ressources plus concrètes, en<br />

termes <strong>de</strong> tissu relationnel, <strong>de</strong> loisirs (E15) ou d’aménagement <strong>de</strong> ses horaires (P9).<br />

La construction <strong>de</strong>s connaissances, rendue possible par la formation, représente pour<br />

une gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong>s personnes une ressource absolument essentielle qui permet<br />

<strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> la distance (E25), <strong>de</strong> comprendre <strong>les</strong> phénomènes (E22), <strong>de</strong> mieux<br />

comprendre l’Autre (T13), <strong>de</strong> se positionner clairement et <strong>de</strong> manière argumentée<br />

(T15), en apportant <strong>de</strong>s idées novatrices (E1, P3).<br />

La connaissance <strong>de</strong>s limites personnel<strong>les</strong>, qui passe par une connaissance <strong>de</strong> soi<br />

approfondie, s’avère également indispensable si l’on pense aux situations délicates<br />

auxquel<strong>les</strong> <strong>les</strong> soignants vont être confrontés et face auxquel<strong>les</strong> il est important « <strong>de</strong><br />

prendre soin <strong>de</strong> soi pour éviter <strong>de</strong> s’exposer trop (E5) ». Sans ce regard réflexif<br />

sur sa pratique et ses limites, <strong>de</strong>s sentiments <strong>de</strong> culpabilité (T9), d’imposture (P3) ou<br />

504


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

encore d’incompétence (P10) peuvent rapi<strong>de</strong>ment surgir, parfois couplés à <strong>de</strong>s<br />

phénomènes psychologiques <strong>de</strong> projection, d’i<strong>de</strong>ntification ou <strong>de</strong> transfert et contre-<br />

transfert (E2, E17), qui vont porter atteinte à l’engagement du futur soignant. Or,<br />

comme nous l’avons vu, <strong>les</strong> conditions d’exercice et <strong>les</strong> mesures <strong>de</strong> restriction<br />

budgétaire qui se généralisent <strong>dans</strong> <strong>les</strong> services <strong>de</strong> soin, frappent l’engagement <strong>de</strong><br />

plein fouet également, en s’opposant parfois <strong>de</strong> manière violente aux idéaux<br />

professionnels <strong>de</strong>s soignants (P3). La réflexion sur <strong>les</strong> limites à cet engagement ne<br />

peut alors s’émanciper d’une réflexion sur <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s individus. Comprendre l’univers <strong>dans</strong> lequel il évolue, la place<br />

<strong>de</strong> sa profession (T5), le rôle qu’il peut y jouer (E1, E21, E18) et l’importance qu’il<br />

souhaite donner à certaines <strong>de</strong> ses valeurs (T4), permet à l’étudiante <strong>de</strong> mieux cerner<br />

ses limites (E5, E3) et <strong>de</strong> défendre ce qui motive son engagement, un engagement<br />

raisonné et raisonnable (T14). Quand Socrate, mis en scène par Platon s’adresse à<br />

Xénophon (Platon, trad. Chambry), il évoque la connaissance <strong>de</strong> soi comme une<br />

connaissance <strong>de</strong> ses capacités, mais aussi <strong>de</strong> son ignorance et donc, par là-même <strong>de</strong><br />

ses limites, ainsi qu’une connaissance procédant comme un examen critique <strong>de</strong> ses<br />

idées propres et <strong>de</strong> leur adéquation avec <strong>les</strong> actes. La connaissance <strong>de</strong> soi est, comme<br />

l’exprimait Platon, un détour incontournable avant <strong>de</strong> se préoccuper <strong>de</strong>s autres.<br />

Ainsi, différentes personnes interrogées le reconnaissent également : « pour prendre<br />

soin <strong>de</strong> l’Autre… il faut quand même se soucier <strong>de</strong> soi (E2) » car « pour être<br />

avec l’Autre, il faut d’abord être avec soi (T1) » et faillir à cette rencontre<br />

préalable <strong>de</strong> soi-même, c’est faillir à l’authenticité (T1). Une enseignante abon<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />

ce sens en expliquant son regret <strong>de</strong> n’avoir pas pu investir complètement sa<br />

profession en raison <strong>de</strong> cette absence <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong> travail sur ses valeurs<br />

propres (T14).<br />

Il convient, dès lors, <strong>de</strong> réfléchir avant tout aux moyens pédagogiques qui vont<br />

permettre la mise en œuvre <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> socialisation en interrogeant la sphère<br />

<strong>de</strong>s valeurs ainsi que son inscription <strong>dans</strong> la motivation et le sens donné à la pratique,<br />

qui eux, à leur tour, vont donner corps à l’engagement professionnel.<br />

Or la réponse nous a été très fortement suggérée par nos différents<br />

interlocuteurs. Qu’ils soient étudiants, enseignants ou praticiens formateurs, tous<br />

505


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

affirment la nécessité d’œuvrer à construire une cohérence <strong>dans</strong> la pratique<br />

infirmière et à réduire ainsi aussi le clivage persistant entre la théorie et la pratique. Il<br />

n’y a pas un groupe d’interlocuteurs qui n’ait évoqué la pratique réflexive comme<br />

étant un moyen <strong>de</strong> prédilection pour travailler ces aspects. Les références qui s’y<br />

rapportent sont extrêmement nombreuses.<br />

Il faut effectivement reconnaître que cet outil pédagogique, qui comme tout<br />

outil conserve ses limites, ouvre néanmoins <strong>de</strong>s horizons très vastes pour travailler<br />

<strong>les</strong> différents niveaux individuels et collectifs du développement professionnel.<br />

Selon Boutet et Pharand (2009), la pratique réflexive comporte trois grands<br />

enjeux qui sont : <strong>de</strong> faire face à <strong>de</strong>s situations professionnel<strong>les</strong> toujours plus<br />

complexes, <strong>de</strong> pouvoir y développer son i<strong>de</strong>ntité professionnelle en fonction <strong>de</strong>s<br />

contextes, et <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong> l’idiosyncrasie d’une pratique précise pour s’ouvrir à une<br />

communauté <strong>de</strong> pratiques. Il y a, <strong>dans</strong> l’analyse réflexive, convocation et<br />

interpénétration <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s, celui très concret et cher à Aristote <strong>de</strong>s<br />

expériences et du sens, et celui plus abstrait <strong>de</strong> la théorie, plus proche du mon<strong>de</strong> <strong>de</strong><br />

la pensée et <strong>de</strong> la raison chez Platon.<br />

Lorsqu’il développe sa réflexion autour <strong>de</strong> la pratique réflexive en s’appuyant<br />

sur <strong>les</strong> travaux <strong>de</strong> Dewey et sa conviction que l’on ne peut pas connaître sans agir,<br />

Schön (1994) propose <strong>de</strong> s’appuyer sur la pratique pour voir comment se fon<strong>de</strong> l’agir<br />

professionnel. Il part <strong>de</strong> l’expérience comme un construit qui, loin d’être évanescent,<br />

s’inspire <strong>de</strong>s expériences passées et se transforme à la fois par l’action et la réflexion,<br />

donc par la conceptualisation abstraite. La posture épistémologique <strong>de</strong> Schön permet<br />

<strong>de</strong> valoriser le savoir professionnel <strong>dans</strong> l’action, ainsi que la modification <strong>de</strong> ces<br />

savoirs pratiques par l’expérience et la conceptualisation, afin <strong>de</strong> maintenir leur<br />

expertise. C’est ce processus que Schön a souhaité mettre en œuvre par le concept <strong>de</strong><br />

pratique réflexive.<br />

Si nous nous référons à Perrenoud (2001, p.46), la pratique réflexive, i<strong>de</strong>ntifiée<br />

au métier d’enseignant, permet <strong>de</strong> :<br />

506


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

1. Compenser la légèreté <strong>de</strong> la formation professionnelle,<br />

2. Favoriser l’accumulation <strong>de</strong> savoirs d’expérience,<br />

3. Accréditer une évolution vers la professionnalisation,<br />

4. Préparer à assumer une responsabilité politique et éthique,<br />

5. Permettre <strong>de</strong> faire face à la complexité croissante <strong>de</strong>s tâches,<br />

6. Ai<strong>de</strong>r à vivre un métier impossible,<br />

7. Donner <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> travailler sur soi,<br />

8. Encourager à affronter l’irréductible altérité <strong>de</strong> l’apprenant,<br />

9. Ouvrir à la coopération avec <strong>les</strong> collègues,<br />

10. Accroître <strong>les</strong> capacités d’innovation.<br />

Dans <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s lignes, il est possible d’effectuer un parallèle assez fidèle avec la<br />

profession infirmière qui présente <strong>de</strong>s caractéristiques fort similaires. Si nous<br />

reprenons ces différents points un à un, en nous permettant <strong>de</strong> <strong>les</strong> regrouper au<br />

besoin, voire <strong>de</strong> <strong>les</strong> renommer, nous pouvons montrer comment la pratique réflexive<br />

peut ai<strong>de</strong>r au développement <strong>de</strong> la profession soignante, en corrélation avec <strong>les</strong><br />

résultats <strong>de</strong> nos entretiens. Nous nous sommes également autorisée à introduire ces<br />

différents points <strong>dans</strong> un ordre qui nous paraît plus approprié à notre objet, avec un<br />

développement posant, en premier, le cadre : la formation et la complexité <strong>de</strong> la<br />

pratique, pour ensuite abor<strong>de</strong>r la sphère individuelle et le rapport à l’autre avec la<br />

dimension éthique et la collaboration, pour enfin atteindre l’aspect réellement<br />

professionnel avec la professionnalisation et l’innovation.<br />

Compléter la formation professionnelle et favoriser l’accumulation <strong>de</strong><br />

savoirs d’expérience<br />

Évoquer la légèreté <strong>de</strong> la formation comme le fait Perrenoud nous semble<br />

quelque peu péjoratif, raison pour laquelle nous avons préféré employer le terme<br />

compléter, sachant, bien évi<strong>de</strong>mment, que la formation en école n’est jamais<br />

suffisante. Le souhait est réitéré par <strong>les</strong> étudiantes mais aussi par <strong>les</strong> professionnels<br />

<strong>de</strong> pouvoir étoffer leurs connaissances à partir <strong>de</strong> situations pratiques, en ayant<br />

l’opportunité et le temps <strong>de</strong> pouvoir examiner ces <strong>de</strong>rnières à la lumière d’un<br />

507


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

éclairage théorique spécifique. Plusieurs professionnels déplorent le fait <strong>de</strong> voir leurs<br />

connaissances théoriques s’amenuiser drastiquement au fur et à mesure <strong>de</strong> leur<br />

activité professionnelle, alors qu’el<strong>les</strong> leur seraient <strong>de</strong> plus en plus nécessaires au vu<br />

<strong>de</strong> la complexité <strong>de</strong>s situations. Or <strong>les</strong> enseignants, <strong>de</strong> leur côté, regrettent <strong>de</strong> voir<br />

leurs connaissances pratiques s’étioler et se sentent souvent peu pertinents <strong>dans</strong> ce<br />

domaine, en particulier en regard <strong>de</strong> l’évolution <strong>de</strong>s pratiques et <strong>de</strong>s techniques. Les<br />

étudiantes se trouvent, quant à el<strong>les</strong>, <strong>dans</strong> l’interstice entre le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la pratique<br />

soignante et le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la théorie qui entoure <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. El<strong>les</strong> vivent mal ce clivage<br />

qui <strong>les</strong> place parfois <strong>dans</strong> une posture très inconfortable et qui, <strong>de</strong> plus, contribue à<br />

renforcer leur difficulté <strong>de</strong> concevoir le soin comme un tout. El<strong>les</strong> ont bien davantage<br />

une vision faite <strong>de</strong> concepts morcelés, propre à notre système sociétal et à la<br />

défragmentation <strong>de</strong>s différents espaces qui le composent (Chauvière, 2011), et <strong>de</strong><br />

représentations parfois divergentes qui empêchent la construction <strong>de</strong> la cohérence.<br />

La pratique réflexive, en reliant <strong>les</strong> différents savoirs, constitue aussi le moyen <strong>de</strong><br />

réduire leur niveau d’abstraction par la mise en relation avec la pratique. Elle<br />

favorise l’articulation entre <strong>les</strong> apports théoriques et l’application pratique (Barbier,<br />

2004), et permet à l’étudiante <strong>de</strong> favoriser cette construction complexe utile à sa<br />

profession.<br />

Il y a donc lieu <strong>de</strong> revaloriser l’expérience et l’apprentissage expérientiel comme le<br />

souhaitent enseignants et praticiens, mais il est également nécessaire <strong>de</strong> nourrir cette<br />

expérience avec la substance théorique qui permet son émancipation et <strong>de</strong> l’inscrire<br />

<strong>dans</strong> un réseau conceptuel plus global. Les praticiens ont, à plusieurs reprises,<br />

évoqué la souffrance <strong>de</strong> ne pas avoir le temps <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> la distance, en<br />

particulier <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations complexes (P3, P10). Cette distanciation critique aurait<br />

comme grand avantage d’ai<strong>de</strong>r le soignant à pouvoir profiter <strong>de</strong>s expériences<br />

passées, aussi ardues soient-el<strong>les</strong>, pour affronter cel<strong>les</strong> à venir avec davantage <strong>de</strong><br />

sérénité.<br />

Permettre <strong>de</strong> faire face à la complexité croissante <strong>de</strong>s tâches<br />

La pratique réflexive constitue aussi une réponse, comme nous le voyons au point<br />

cinq <strong>de</strong> la liste exposée par Perrenoud (2001), à la complexité croissante <strong>de</strong>s<br />

508


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

situations <strong>de</strong> travail. D’entrée <strong>de</strong> jeu, la profession infirmière suppose l’interaction <strong>de</strong><br />

dimensions cognitives, affectives, socia<strong>les</strong> et éthiques chez <strong>les</strong> soignants. Mais,<br />

parallèlement à ces exigences premières, se sont greffées <strong>de</strong>s problématiques<br />

nouvel<strong>les</strong> qui accentuent encore cette complexité. Ainsi le mon<strong>de</strong> du travail a<br />

passablement évolué durant <strong>les</strong> <strong>de</strong>rnières décennies. Celui <strong>de</strong> la santé n’est pas<br />

épargné, loin s’en faut ! Les évolutions majeures sont liées, d’une part, aux nouveaux<br />

mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> gestion qui imposent <strong>de</strong>s structures différentes et <strong>de</strong>s formes<br />

d’organisation inédites impliquant <strong>de</strong>s comportements en adéquation : flexibilité,<br />

rapidité, rentabilité… Les nouvel<strong>les</strong> tarifications et le raccourcissement <strong>de</strong>s durées <strong>de</strong><br />

séjour ont pour conséquence une intensification du travail lors <strong>de</strong>s hospitalisations,<br />

puisque <strong>de</strong>s patients dépendants <strong>de</strong> <strong>soins</strong> complexes s’y trouvent pris en charge<br />

simultanément (Sainsaulieu, 2003). Le secteur hospitalier est loin d’être le seul<br />

concerné, l’ensemble <strong>de</strong>s secteurs médicaux est atteint. D’autre part, <strong>les</strong> évolutions<br />

sont également dues à l’aspect démographique du vieillissement <strong>de</strong> la population et<br />

au fait que la population soignée, vieillissante, présente <strong>de</strong> plus en plus fréquemment<br />

<strong>de</strong>s polypathologies. Les patients cumulent souvent pathologies physiques et<br />

psychiques qui nécessitent <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> invasifs et intensifs. La complexité est donc<br />

double et c’est là la gran<strong>de</strong> difficulté qu’expriment <strong>les</strong> soignants. Ils sont d’une part<br />

astreints à une pratique toujours plus complexe <strong>de</strong> par <strong>les</strong> caractéristiques médica<strong>les</strong><br />

<strong>de</strong> leurs patients. Et, d’autre part, <strong>les</strong> injonctions d’efficience et <strong>les</strong> mesures qui <strong>les</strong><br />

accompagnent sont également génératrices <strong>de</strong> complexité pour le travail <strong>de</strong>s<br />

soignants. Cette complexité n’a <strong>de</strong> cesse d’augmenter à mesure que <strong>les</strong> réformes se<br />

succè<strong>de</strong>nt ; que <strong>les</strong> structures fusionnent, <strong>de</strong>viennent beaucoup plus gran<strong>de</strong>s et<br />

s’opacifient, que <strong>les</strong> outils et techniques se complexifient…<br />

La pratique réflexive peut permettre <strong>de</strong> prendre <strong>de</strong> la distance vis-à-vis <strong>de</strong> tous ces<br />

fonctionnements pour essayer <strong>de</strong> déjouer, en partie au moins, la complexité et <strong>de</strong><br />

l’apprivoiser. Mais, parce qu’elle ne saurait avoir la prétention <strong>de</strong> pouvoir changer<br />

réellement <strong>les</strong> mo<strong>de</strong>s <strong>de</strong> fonctionnement d’une institution, elle est aussi et surtout<br />

une ai<strong>de</strong> personnelle. En effet, au travers <strong>de</strong> cette pratique, le soignant a la possibilité<br />

<strong>de</strong> s’observer lui-même, en tant que sujet, au sein <strong>de</strong> cet univers professionnel (Vinje<br />

& Mittelmark, 2006).<br />

509


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Donner <strong>les</strong> moyens <strong>de</strong> travailler sur soi<br />

Et en regard <strong>de</strong> nos résultats et <strong>de</strong> l’importance que nous avons pu mettre en<br />

évi<strong>de</strong>nce du « souci <strong>de</strong> soi » au sens foucaldien du terme, la pratique réflexive nous<br />

semble effectivement détenir <strong>de</strong>s qualités particulièrement propices et précieuses. Il<br />

ne s’agit pas d’une connaissance <strong>de</strong> soi qui aurait comme seul objectif <strong>de</strong> favoriser<br />

une adaptation à tout prix à un contexte <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce assez toxique. Il s’agit<br />

davantage d’une ouverture à soi-même et à ses propres limites (E5), afin <strong>de</strong> pouvoir<br />

s’ouvrir ensuite à l’Autre (Arendt, 2005). La pratique réflexive permet en effet<br />

d’apprendre à se connaître, à mettre un nom sur <strong>les</strong> valeurs essentiel<strong>les</strong> qui fon<strong>de</strong>nt<br />

nos pensées et nos actions (Houssaye, 1999), et à poser <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-fous pour éviter <strong>de</strong><br />

<strong>les</strong> bafouer et d’en subir <strong>les</strong> conséquences. Pour Fabre (2011), le polythéisme <strong>de</strong>s<br />

valeurs, caractéristique <strong>de</strong> notre sécularisation, nous invite à faire l’apologie d’un<br />

esprit <strong>de</strong> discernement sur notre mon<strong>de</strong>, et ce regard introspectif sur soi a pour<br />

objectif <strong>de</strong> questionner le sens <strong>de</strong> notre expérience, <strong>de</strong> notre action au cœur <strong>de</strong> cette<br />

expérience, et <strong>de</strong>s perspectives futures qu’elle laisse entrevoir (E5, T5). Le prendre<br />

soin <strong>de</strong> soi constitue, pour Honoré (2003), une dimension <strong>de</strong> l’activité formative qui<br />

éloigne du discours déjà construit pour rapprocher du discours critique, capable<br />

d’aller à la rencontre <strong>de</strong> la différence. Ce discours critique est aussi celui qui permet<br />

au sujet <strong>de</strong> s’auto-constituer <strong>dans</strong> un processus d’autopoièse, qui lui permet <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>venir un agent responsable (Honoré, 2003) et d’exprimer cette responsabilité<br />

éthique <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s actes (Gohier, 2007), mais dont la responsabilité est à la mesure <strong>de</strong><br />

ses possibilités et <strong>de</strong> ses limites. La pratique réflexive a donc également comme<br />

objectif central d’apprendre à connaître ses limites, à <strong>les</strong> argumenter et à <strong>les</strong><br />

verbaliser en reconnaissant leur légitimité (T14). La perspective dialogisante peut<br />

constituer une amorce pour permettre <strong>de</strong> <strong>de</strong>sserrer l’étau déontologique <strong>dans</strong> lequel<br />

le soignant est enfermé et d’alléger la chape <strong>de</strong> responsabilités qui pèse sur ses<br />

épau<strong>les</strong> (E11, E9).<br />

Encourager à affronter l’irréductible altérité du patient (<strong>de</strong> l’étudiante)<br />

Ce regard introspectif est d’autant plus essentiel que <strong>les</strong> responsabilités du soignant<br />

ne cessent d’augmenter. Or, au cœur <strong>de</strong> ces responsabilités, c’est la question <strong>de</strong><br />

510


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

l’altérité qui occupe la place d’honneur. Face à l’exigence du Visage d’Autrui tel que<br />

l’entend Lévinas, et qui le convoque par sa seule présence (Honoré, 2003), se trouve<br />

le soignant avec son caractère, ses sentiments, son vécu, ses difficultés… Ces<br />

différents paramètres vont largement influencer, souvent à son insu, la relation au<br />

patient. Il suffit alors parfois <strong>de</strong> peu <strong>de</strong> choses pour que soit mise aux oubliettes la si<br />

fondamentale dignité humaine. Différents témoignages nous ont confirmé qu’au<br />

cœur <strong>de</strong> l’activité quotidienne et <strong>de</strong> l’usure qui accompagne souvent la routine, <strong>les</strong><br />

limites professionnel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la relation <strong>de</strong> soin peuvent vite être franchies et la<br />

maltraitance peut survenir subrepticement et beaucoup plus insidieusement qu’on<br />

ne le penserait (P3). La situation est peut-être plus complexe encore <strong>dans</strong> le domaine<br />

<strong>de</strong> la psychiatrie, où <strong>de</strong>s schémas pathologiques confrontent encore plus <strong>les</strong><br />

soignants en <strong>les</strong> amenant parfois <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations très inconfortab<strong>les</strong>. On pensera<br />

à l’agressivité verbale, mais aussi physique, évoquée par <strong>les</strong> professionnels ainsi que<br />

par <strong>les</strong> étudiants durant leurs stages, que ce soit en psychiatrie, aux urgences ou <strong>dans</strong><br />

d’autres services (P8). On peut également évoquer <strong>de</strong>s situations moins dramatiques,<br />

mais où le soignant se trouve pris au piège, malgré lui, <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong><br />

transfert et contre-transfert, <strong>de</strong> projections et autres mécanismes psychiques<br />

influençant très fortement la relation <strong>de</strong> soin.<br />

La pratique réflexive, grâce à la prise <strong>de</strong> recul qui l’accompagne et à la<br />

possibilité <strong>de</strong> profiter du regard <strong>de</strong>s pairs sur son propre fonctionnement, permet <strong>de</strong><br />

dévoiler ce genre <strong>de</strong> processus et <strong>de</strong> pouvoir <strong>les</strong> dépasser. Elle est le moyen d’ai<strong>de</strong>r à<br />

une prise <strong>de</strong> conscience qui constitue le passage obligé vers une possibilité <strong>de</strong><br />

transformation <strong>de</strong> ses propres schèmes d’action (E5). Travailler la distance<br />

thérapeutique, comme cela nous a été maintes fois signalé (T9), est certes une bonne<br />

chose. Mais cela ne saurait se substituer à une réflexion sur soi au préalable. Pour<br />

bien comprendre l’importance <strong>de</strong> la distance thérapeutique, mais aussi pouvoir<br />

l’établir <strong>de</strong> manière juste et pertinente, encore faut-il savoir à quoi elle se réfère<br />

exactement en regard <strong>de</strong> son propre fonctionnement, afin qu’elle ne soit pas l’image<br />

d’un protocole qui n’aurait d’autre vertu que celle d’un traitement symptomatique<br />

pour un mal dont on ignorerait la cause.<br />

511


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la dimension relationnelle et singulière du soignant au soigné, il en va,<br />

<strong>dans</strong> cette appréhension <strong>de</strong> l’altérité, d’une dimension beaucoup plus générale <strong>de</strong>s<br />

valeurs éthiques introduites <strong>dans</strong> un comportement professionnel (Jutras, 2007b).<br />

Préparer à assumer une responsabilité éthique<br />

L’interrogation éthique a pour but <strong>de</strong> susciter l’inquiétu<strong>de</strong> fondamentale du rapport<br />

à l’Autre qui permet <strong>de</strong> ne pas oublier que cet Autre est unique et qu’il convient <strong>de</strong><br />

considérer, au travers <strong>de</strong> l’altérité, la dignité d’un être singulier. C’est pour cette<br />

raison que Sirven (1999) insiste sur l’habitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> se soumettre au questionnement<br />

éthique, comme moyen « d’éviter cette éclipse <strong>de</strong> la conscience que l’on nomme<br />

bonne conscience et qui peut tout justifie r » (p.120). Le questionnement n’attend<br />

pas <strong>de</strong> réponse, mais relève d’une mise en gar<strong>de</strong> et d’une inquiétu<strong>de</strong> au sens<br />

aristotélicien du terme. Il s’agit d’une pru<strong>de</strong>nce faite d’un esprit sur le qui-vive, sans<br />

repos, attentif aux évènements. C’est le doute évoqué par Svandra (2004) comme<br />

étant une forme d’obligation à une remise en question constante du soignant sur le<br />

sens et <strong>les</strong> conséquences <strong>de</strong> son action, remise en question émanant du souci éthique<br />

<strong>de</strong> la relation (P8).<br />

La responsabilité éthique s’exprime, bien entendu, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations <strong>de</strong><br />

dilemmes éthiques dont la pratique hospitalière foisonne. Différentes situations qui<br />

heurtent <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong>s soignants comme <strong>de</strong>s situations d’euthanasie, <strong>de</strong> sédation<br />

terminale, <strong>de</strong> contention, d’injustices <strong>dans</strong> <strong>les</strong> traitements, nous ont été relatées. La<br />

responsabilité éthique <strong>dans</strong> ces situations est évi<strong>de</strong>nte. Néanmoins, la responsabilité<br />

qui jouxte la pratique quotidienne, qui l’encadre et la justifie, n’en est pas moins<br />

importante. Or, la dimension éthique, présente <strong>dans</strong> la quotidienneté <strong>de</strong> la pratique<br />

plus routinière, semble parfois peu consciente, tout particulièrement chez <strong>les</strong><br />

soignants. Elle n’est en tout cas pas, ou très peu, verbalisée. C’est comme si elle<br />

n’avait pas vraiment <strong>de</strong> place, une sorte <strong>de</strong> remise en question indésirable <strong>dans</strong> cette<br />

pratique dominée par <strong>les</strong> consensus complices <strong>de</strong> la logique <strong>de</strong> rentabilité. La<br />

pratique réflexive permettrait <strong>de</strong> lui redonner la place centrale qui lui revient <strong>dans</strong> le<br />

questionnement <strong>de</strong> l’activité au quotidien (P8).<br />

Contrairement à Perrenoud (2001), nous séparons ici la dimension éthique et<br />

512


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

politique, puisque cette <strong>de</strong>rnière est, selon nous, davantage en lien avec le processus<br />

relativement récent <strong>de</strong> professionnalisation <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

Ouvrir à la coopération avec <strong>les</strong> collègues<br />

En revanche, nous mettrons un accent tout particulier à ce point <strong>de</strong> la coopération<br />

qui, <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, relève à notre avis encore davantage d’une co-<br />

construction que d’une coopération. C’est une profession qui est à construire<br />

collectivement. Cette « délibérative collective », qui constitue selon Savadogo<br />

(2008, p.78), « la démarche la plus adéquate pour apprécier <strong>les</strong> principes <strong>de</strong><br />

l’action humaine », revêt une importance particulière à plusieurs niveaux. D’une<br />

part, la pratique soignante se caractérise par une diversité <strong>de</strong> pratiques et <strong>de</strong><br />

spécialités très vaste. Le lien est donc d’autant plus important à consoli<strong>de</strong>r et à<br />

intensifier entre <strong>les</strong> différents secteurs. D’autre part, la pratique, avec <strong>les</strong> innovations<br />

technologiques d’un côté et <strong>les</strong> modifications structurel<strong>les</strong> et économiques <strong>de</strong> l’autre,<br />

poursuit <strong>de</strong>s objectifs souvent différents <strong>de</strong> la dimension scientifique plus présente<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> milieux <strong>de</strong> la formation. Il s’ensuit un écart grandissant entre <strong>les</strong> actes <strong>de</strong> la<br />

pratique et <strong>les</strong> contenus <strong>de</strong> la formation qui porte préjudice à la profession <strong>dans</strong> son<br />

ensemble. Il est donc essentiel d’engager le collectif <strong>dans</strong> une démarche commune et<br />

une co-construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité, par <strong>de</strong>là <strong>les</strong> frontières qui séparent <strong>les</strong> mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la<br />

formation et <strong>de</strong> la pratique (P8, P10, T9, T15). C’est ce qui permet d’empêcher que ce<br />

collectif ne soit réduit à une somme d’individus exposés à l’isolement, mais privés,<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> faits, du réel collectif <strong>de</strong> travail (Clot, 2008). Il est essentiel pour <strong>de</strong>s<br />

collègues <strong>de</strong> pouvoir prendre du temps pour avoir <strong>de</strong>s dialogues véritab<strong>les</strong>, <strong>de</strong>s<br />

mises en commun et <strong>de</strong>s débats qui ne soient pas <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> temps d’échanges<br />

d’informations, comme peuvent l’être <strong>les</strong> rapports <strong>de</strong>s soignants lors <strong>de</strong>s<br />

changements d’équipes. Ces échanges reconnus comme essentiels ten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus en<br />

plus à être réduits au strict minimum, alors que le soignant tout comme le soigné<br />

<strong>de</strong>meurent <strong>de</strong>s sujets dotés d’une parole consciente et constructrice. Les soignants<br />

ont besoin d’expérimenter une solidarité qui peut « servir d’exutoire au caractère<br />

anxiogène <strong>de</strong> l’activité ou du moins à sa charge mentale… en arrachant<br />

l’individu à une épreuve solitaire » (Osty, 2003, p.219).<br />

513


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Les échanges construits au sein du collectif sont autant <strong>de</strong> débats riches<br />

d’idées et une recherche commune <strong>de</strong> formes élaborées <strong>de</strong> conceptualisation<br />

permettant <strong>de</strong> mutualiser <strong>les</strong> ressources <strong>dans</strong> la transformation du travail (Clot, 2005).<br />

Par ailleurs, ces moments <strong>de</strong> regroupements entre <strong>les</strong> professionnels sont aussi <strong>de</strong>s<br />

occasions uniques <strong>de</strong> favoriser la mise en synergie <strong>de</strong>s ressources et l’apprentissage<br />

entre pairs, tel que cela <strong>de</strong>vrait se vivre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> terrains (Bakker & Demerouti, 2007).<br />

Le souhait <strong>de</strong> travailler <strong>dans</strong> une perspective comme celle-ci nous a été réitéré à <strong>de</strong><br />

multip<strong>les</strong> reprises et par <strong>de</strong>s individus issus <strong>de</strong> nos trois populations. Par ces<br />

rencontres, ils souhaitent permettre, en premier lieu, <strong>de</strong> répondre à <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong><br />

pragmatiques <strong>dans</strong> une démarche herméneutique développée à partir <strong>de</strong>s situations<br />

vécues, pour ensuite ouvrir <strong>les</strong> écluses d’une réflexion qui s’appuie sur un savoir<br />

scientifique reconnu et non pas sur <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> « recettes » plus ou moins obsolètes et<br />

transmises avec plus ou moins d’exactitu<strong>de</strong>. Avec Houssaye et Cosnefroy, nous<br />

affirmons que « penser le mon<strong>de</strong> (tout comme panser <strong>dans</strong> un univers <strong>de</strong><br />

soignants) nécessite à la fois <strong>de</strong>s ressources conceptuel<strong>les</strong> et cognitives,<br />

indissolublement liées comme le recto et le verso <strong>de</strong> la feuille » (2010, p.259), or<br />

ces ressources peuvent être développées au sein du collectif.<br />

Par la mutualisation <strong>de</strong>s ressources, il est possible <strong>de</strong> potentialiser <strong>les</strong><br />

résultats (P2), car la synergie permet d’obtenir un résultat nettement supérieur à la<br />

somme <strong>de</strong>s parties. L’analyse réflexive permet <strong>de</strong> rendre possible la mise en œuvre<br />

<strong>de</strong>s dispositions cognitives qui vont donner naissance aux formes <strong>de</strong> réflexion <strong>les</strong><br />

plus sophistiquées.<br />

Par ailleurs, elle est aussi un moyen <strong>de</strong> s’exercer à la réalité, <strong>de</strong> vivre <strong>dans</strong> un<br />

espace réduit ce qui se vit <strong>dans</strong> le réel <strong>de</strong> l’activité professionnelle. En effet, tout<br />

comme <strong>dans</strong> son équipe, le praticien réflexif doit trouver sa place <strong>dans</strong> un collectif et<br />

contribuer à sa consolidation, au renforcement <strong>de</strong> liens <strong>de</strong> solidarité que le système<br />

tend à affaiblir. Cette co-construction et cette élaboration d’un sens qui fait consensus<br />

<strong>de</strong>vient une force sans pareille pour <strong>les</strong> professionnels qui, par ce biais, mettent en<br />

œuvre le principe <strong>de</strong> « l’union qui fait la force ».<br />

Cette co-construction ne saurait pour autant servir uniquement à développer <strong>de</strong>s<br />

ressources <strong>dans</strong> le seul but d’améliorer l’adaptation individuelle au contexte. Elle<br />

514


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

doit davantage être le lieu d’une construction <strong>de</strong> sens, et l’espace <strong>dans</strong> lequel<br />

s’élabore et s’affermit l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle.<br />

Accréditer une évolution vers la professionnalisation<br />

La co-construction d’une i<strong>de</strong>ntité autour d’objectifs communs et d’une vision à la fois<br />

expérientielle et scientifique <strong>de</strong> la profession sont <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments importants pour le<br />

processus <strong>de</strong> professionnalisation. Cette i<strong>de</strong>ntité est constituée <strong>de</strong>s pratiques,<br />

comportements et valeurs du professionnel. L’analyse <strong>de</strong> pratique permet <strong>de</strong><br />

mobiliser tout un savoir scientifique et d’exercer un jugement clinique basé sur ce<br />

savoir pour argumenter <strong>de</strong>s priorités, <strong>de</strong>s prises <strong>de</strong> position et justifier le passage du<br />

statut <strong>de</strong> métier à celui <strong>de</strong> profession (Dallaire, 2008). Consciente <strong>de</strong>s limites du<br />

savoir scientifique, la pratique réflexive puise néanmoins à sa source pour éclairer <strong>les</strong><br />

pratiques. En faisant valoir le savoir issu <strong>de</strong> leur expérience, en se dotant d’outils<br />

scientifiques vali<strong>de</strong>s et en se référant à <strong>de</strong>s concepts reconnus pour analyser <strong>les</strong><br />

situations <strong>de</strong> travail, <strong>les</strong> infirmières sont à même <strong>de</strong> démontrer leurs compétences<br />

réel<strong>les</strong> (P8). Il s’agit <strong>de</strong> sortir d’un sens commun limité et pétri <strong>de</strong> préjugés. En cela, la<br />

problématisation <strong>de</strong>s situations <strong>de</strong> travail peut être aidante, mais pour autant qu’elle<br />

convoque <strong>les</strong> savoirs <strong>de</strong> l’expérience ainsi que la mise en œuvre <strong>de</strong> savoirs<br />

disciplinaires et <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s spécifiques et vali<strong>de</strong>s pour leur résolution.<br />

Pour reprendre la métaphore <strong>de</strong> la boussole et <strong>de</strong> la carte, la carte<br />

représenterait l’ensemble <strong>de</strong>s chemins déjà tracés par <strong>les</strong> professionnels nous ayant<br />

précédés. Alors que la boussole cognitive, la démarche scientifique ainsi que <strong>les</strong><br />

connaissances théoriques, auraient comme objectif d’ai<strong>de</strong>r à prendre la bonne<br />

direction, <strong>de</strong> s’orienter correctement <strong>dans</strong> une visée <strong>de</strong> développement professionnel.<br />

Dans ce tableau, il ne faut néanmoins pas oublier le sujet lui-même qui, porteur<br />

d’une expérience <strong>de</strong> vie, voire d’une expérience professionnelle, <strong>de</strong> valeurs et <strong>de</strong><br />

ressources personnel<strong>les</strong>, met également en œuvre un savoir qui lui est propre. Il sera<br />

peut-être lui-même créateur <strong>de</strong> nouvel<strong>les</strong> routes.<br />

À une pério<strong>de</strong> où <strong>de</strong>s bouleversements majeurs secouent le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé, et<br />

tout particulièrement l’univers <strong>de</strong>s soignants, ceux-ci doivent d’autant plus se référer<br />

à leur boussole pour déterminer quel<strong>les</strong> peuvent être <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> routes à<br />

515


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

emprunter pour un développement <strong>de</strong> leur profession qui répon<strong>de</strong> à leurs attentes et<br />

à leurs valeurs. Leurs compétences sont aussi <strong>les</strong> instruments uti<strong>les</strong> pour ouvrir <strong>de</strong>s<br />

horizons vers une pratique novatrice, adaptée aux changements sociétaux qui<br />

marquent notre époque, mais el<strong>les</strong> doivent s’inscrire <strong>dans</strong> un univers <strong>de</strong> sens qui<br />

s’enracine au plus profond <strong>de</strong>s valeurs et normes <strong>de</strong> la profession.<br />

Accroître <strong>les</strong> capacités d’innovation<br />

Si, selon le principe holistique, le tout est supérieur à la somme <strong>de</strong>s parties, alors, <strong>de</strong><br />

la même manière, la symphonie sera toujours plus riche que ne peuvent l’être <strong>les</strong><br />

interprétations <strong>de</strong>s solistes prises séparément. Aussi virtuoses soient ces <strong>de</strong>rniers,<br />

leur contribution sera toujours parcellaire et, selon Savadogo, « il est (…)<br />

impossible qu’un individu soit capable <strong>de</strong> s’assurer seul, à travers une théorie<br />

arbitrairement élaborée, <strong>de</strong> la vérité <strong>de</strong> ses choix éthiques . » (2008, p.78). Si le<br />

collectif ne peut non plus se prévaloir <strong>de</strong> possé<strong>de</strong>r la vérité, en revanche il favorise,<br />

par le dialogue, un ajustement et un consensus. Grâce à <strong>de</strong>s temps concrets <strong>de</strong><br />

pratique réflexive, <strong>les</strong> professionnels peuvent construire ensemble, à partir <strong>de</strong>s<br />

partitions <strong>de</strong> solistes, une motivation et un engagement commun, basés sur <strong>de</strong>s choix<br />

éthiques, d’un côté en développant ensemble <strong>de</strong>s solutions inédites, en élaborant <strong>de</strong>s<br />

projets, en étant <strong>dans</strong> une dynamique d’amélioration <strong>de</strong> la qualité et <strong>de</strong><br />

renouvellement <strong>de</strong>s pratiques, et, <strong>de</strong> l’autre, en construisant du sens <strong>dans</strong> la<br />

discussion <strong>de</strong>s valeurs fondamenta<strong>les</strong>.<br />

Alors que <strong>les</strong> pratiques ten<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus en plus à l’hyperspécialisation, il<br />

s’agit <strong>de</strong> réintroduire une cohérence générale en replaçant la complexité <strong>dans</strong> son<br />

contexte et la pratique <strong>dans</strong> son univers <strong>de</strong> sens. Ce n’est que par ce biais d’une<br />

réflexion qui n’adopte pas un angle <strong>de</strong> vue parcellaire, mais au contraire offre un<br />

horizon couvrant l’étendue <strong>de</strong> la matière formelle et informelle, que <strong>les</strong><br />

professionnels pourront retrouver le sens <strong>de</strong> l’ensemble, la cohérence du tout, et, par<br />

là-même redonner à la motivation et à l’engagement leur substantifique moelle. Le<br />

développement <strong>de</strong>s connaissances et la réflexion sur <strong>les</strong> normes et valeurs <strong>de</strong> la<br />

profession doivent permettre <strong>de</strong> rendre compte <strong>de</strong> l’ineptie d’un système <strong>de</strong> gestion<br />

qui veut calquer sur l’hôpital le modèle entrepreneurial, omettant l’exposition<br />

516


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

permanente à l’aléas qui est propre au travail avec l’humain, et négligeant par la<br />

même occasion le fait que cet humain est un sujet doué <strong>de</strong> parole, et non un sujet<br />

muet (Malherbe, 2001, 2007).<br />

Le risque clairement exprimé, et pour certains déjà <strong>de</strong>venu une réalité, d’une<br />

négation <strong>de</strong> l’humain et d’une réification <strong>de</strong> tous <strong>les</strong> acteurs du système hospitalier,<br />

convoque <strong>les</strong> professionnels à prendre une responsabilité sans précé<strong>de</strong>nt, à savoir à<br />

défendre leur i<strong>de</strong>ntité, mais aussi l’i<strong>de</strong>ntité et la place <strong>de</strong> l’humain <strong>dans</strong> le système.<br />

Et, là où la tâche semble parfois se rapprocher d’une mission sans espoir, la pratique<br />

réflexive pensée <strong>dans</strong> ces <strong>de</strong>ux dimensions aristotéliciennes <strong>de</strong> la praxis et <strong>de</strong> la<br />

poiesis peut encore fournir <strong>de</strong>s ressources pour faire reculer <strong>les</strong> limites <strong>de</strong><br />

l’impossible, en replaçant le patient au centre du projet non pas ici éducatif, comme<br />

l’évoque Jutras (2010) pour le domaine <strong>de</strong> l’éducation, mais du projet <strong>de</strong> soin. Le soin<br />

est alors conçu comme anthropocentré, et non comme une activité mécanique et<br />

procédurale. La dimension productive <strong>de</strong> la poiesis incarnée <strong>dans</strong> l’acte technique<br />

du soin est contrebalancée et relativisée par rapport à la praxis représentant l’agir<br />

éthique et une action avec une fin en soi.<br />

Ai<strong>de</strong>r à vivre un métier impossible<br />

Ce titre est certes attribué par Perrenoud à la profession enseignante. On peut<br />

néanmoins aisément l’attribuer à la profession soignante, au vu <strong>de</strong>s récriminations<br />

actuel<strong>les</strong> qui la caractérisent. Si, <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, et nous ne saurions nous bercer<br />

d’illusions, notre impact sur le contexte économique et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> <strong>soins</strong> présente un empan extrêmement limité, il est en revanche possible <strong>de</strong><br />

penser ce contexte en se plaçant du côté <strong>de</strong>s soignants. Il faut songer à afficher ses<br />

valeurs et affirmer un rôle, mais aussi à développer <strong>de</strong>s stratégies <strong>de</strong> défense et<br />

prendre en considération toutes <strong>les</strong> modifications qui peuvent être apportées à la<br />

pratique hospitalière, si petites soient-el<strong>les</strong>. La pratique réflexive constitue un espace<br />

privilégié pour une réflexion qui doit être sans cesse renouvelée, car sans cesse<br />

confrontée aux limites du possible et sans cesse en quête <strong>de</strong> sens. Dans cet espace, la<br />

théorie et la pratique s’entrelacent pour se co-construire et générer un sens essentiel à<br />

la motivation (P2).<br />

517


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

À présent, la formation ne peut plus s’engager sur un chemin tout tracé. Il ne<br />

suffit plus <strong>de</strong> transmettre <strong>de</strong>s savoirs que l’on appliquera une fois pour toutes. Ce<br />

mon<strong>de</strong> « problématique » qui est le nôtre brouille <strong>les</strong> pistes et nous place face à une<br />

multitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> choix et <strong>de</strong> situations complexes, parfois inextricab<strong>les</strong>. Au cœur <strong>de</strong> ces<br />

situations, le rôle <strong>de</strong> formateur <strong>de</strong>vient davantage celui du gui<strong>de</strong> qui conduit la<br />

réflexion et qui remet à l’étudiante carte et boussole pour qu’il sache, à son tour, faire<br />

face à ce contexte peu avenant et prendre le chemin le plus cohérent pour lui, le<br />

moment venu.<br />

Avec Fabre (2011), nous dirons que tout l’enjeu rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong> « contrer la<br />

figure du <strong>de</strong>stin en ouvrant <strong>les</strong> possib<strong>les</strong> » et <strong>de</strong> conduire <strong>les</strong> étudiants à <strong>de</strong>venir<br />

véritablement <strong>les</strong> architectes du changement. Un changement <strong>de</strong> perception du rôle,<br />

avant tout.<br />

Des avantages et limites <strong>de</strong> l’analyse réflexive<br />

L’analyse réflexive, outre son utilité <strong>dans</strong> la prise en charge <strong>de</strong>s patients et le<br />

développement professionnel personnel, peut donc s’avérer un moment très utile<br />

pour réfléchir, au sein du groupe, aux difficultés <strong>de</strong> la pratique et aux contingences<br />

institutionnel<strong>les</strong>. Sur la base <strong>de</strong> ces réflexions, il est ensuite possible <strong>de</strong> dénoncer ce<br />

qui ne peut plus être considéré comme relevant d’un soin digne <strong>de</strong> ce nom, en<br />

regardant la pratique au travers du prisme <strong>de</strong> la théorie et <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong><br />

et professionnel<strong>les</strong>.<br />

Il faut toutefois être vigilant à ce que la pensée réflexive ne <strong>de</strong>vienne pas une<br />

injonction, comme certains <strong>de</strong> nos interlocuteurs, en particulier <strong>les</strong> enseignants, le<br />

craignent. Avec Demailly (2008), ils craignent que cette obligation à la réflexivité ne<br />

répon<strong>de</strong> à nouveau aux exigences managéria<strong>les</strong> d’efficience et d’efficacité, la<br />

réflexivité jouant alors le rôle d’une évaluation sur une action pouvant être réajustée<br />

et continuellement améliorée. C’est cette tendance que nous trouvons énoncée <strong>dans</strong><br />

l’Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’Infirmier (cf. Annexe 5). Cet<br />

arrêté, qui introduit <strong>les</strong> nouvel<strong>les</strong> formations <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré universitaire, présente la<br />

pratique réflexive comme un instrument permettant à l’étudiante d’« évaluer sa<br />

progression ». Dans cette perspective, le formateur doit se centrer sur <strong>de</strong>s exercices<br />

518


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

permettant l’acquisition d’une démarche dont le but est <strong>de</strong> résoudre <strong>les</strong> problèmes <strong>de</strong><br />

<strong>soins</strong> et <strong>de</strong> développer <strong>les</strong> interventions avec une mobilisation <strong>de</strong> compétences<br />

toujours plus rapi<strong>de</strong> et efficace.<br />

Nous sommes là face à une conception très procédurale <strong>de</strong> la formation,<br />

perçue comme un lieu d’entraînement en vue <strong>de</strong> l’acquisition <strong>de</strong> capacités et <strong>de</strong><br />

comportements adéquats en regard d’attentes externes spécifiques. Il faut être<br />

vigilant à ne pas laisser la formation tomber <strong>dans</strong> un enfermement <strong>de</strong> la pensée,<br />

entièrement soumise à <strong>de</strong>s logiques techno-économiques. La rationalité pratique ne<br />

doit pas obérer la rationalité morale et la nature <strong>de</strong>s be<strong>soins</strong>, la source <strong>de</strong> ceux-ci.<br />

C’est la question du sens <strong>de</strong> l’activité, en regard d’une compréhension <strong>de</strong> l’humain<br />

qui est en jeu, et la question du comment, c’est-à-dire <strong>de</strong>s moyens pour la réaliser<br />

doit lui rester subordonnée.<br />

Cependant, conscients <strong>de</strong> la nécessité d’une réflexion à plusieurs niveaux,<br />

l’analyse réflexive comporte trop d’avantages pour être délaissée sous prétexte d’une<br />

possible utilisation déviante.<br />

Les entretiens que nous avons menés auprès d’une école qui a introduit cet<br />

outil pédagogique <strong>de</strong>puis plusieurs années, dès le départ <strong>de</strong> la formation et sur toute<br />

sa durée, ont clairement mis en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> fruits <strong>de</strong> la métho<strong>de</strong>. En effet, nous<br />

avons pu relever <strong>de</strong>s signes i<strong>de</strong>ntiques chez l’ensemble <strong>de</strong>s étudiantes interrogées<br />

<strong>dans</strong> cette institution ; à savoir une verbalisation <strong>de</strong> leurs valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong> qui témoigne d’une réflexion approfondie, une argumentation<br />

aboutie sur leurs choix en cohérence avec <strong>les</strong> valeurs citées, une capacité <strong>de</strong><br />

distanciation critique, étant capable d’assumer un positionnement argumenté. Il est<br />

évi<strong>de</strong>mment difficile <strong>de</strong> juger <strong>de</strong> la pratique <strong>de</strong> ces étudiants, mais leur engagement,<br />

durant l’entretien, était sans conteste clairement perceptible.<br />

Face au règne <strong>de</strong> la compétence, notion très largement issue <strong>de</strong> ce<br />

mouvement <strong>de</strong> promotion d’une économie <strong>de</strong> marché (Wittorski, 2007), nous faisons<br />

comme nôtres <strong>les</strong> craintes d’Astolfi <strong>de</strong> voir celle-ci se substituer aux savoirs<br />

(Houssaye et Cosnefroy, 2010) <strong>dans</strong> un raccourci fonctionnel mais totalement<br />

réducteur. La pratique réflexive constitue une possibilité extrêmement riche <strong>de</strong><br />

519


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

pouvoir redonner leur place à ces savoirs, pour autant qu’elle s’ouvre aux gran<strong>de</strong>s<br />

questions <strong>de</strong> l’Être.<br />

Cette métho<strong>de</strong> pédagogique répond aux exigences exposées par Jorro (2010),<br />

lorsqu’elle développe l’idée d’un éthos nécessaire au développement professionnel et<br />

mentionne la présence <strong>de</strong> grands processus simultanés qui ren<strong>de</strong>nt ce<br />

développement possible. La pratique réflexive permet en effet <strong>de</strong> répondre à trois<br />

processus essentiels : elle favorise d’abord le processus d’anticipation vers l’univers<br />

professionnel, puis le processus d’engagement qui se doit, toujours selon Jorro, d’être<br />

effectivement initié dès le début <strong>de</strong> la formation, et enfin elle permet au processus<br />

d’incorporation d’être mis en œuvre par l’intégration et la mobilisation <strong>de</strong>s différents<br />

savoirs scientifiques. Très complète puisqu’englobant ces trois dimensions, la<br />

pratique réflexive permet donc la transformation <strong>de</strong> l’acteur en lien avec l’action, la<br />

construction <strong>de</strong> sens et l’ancrage sur la conceptualisation.<br />

Et Clot (2008, p.100) insiste sur l’importance <strong>de</strong>s échanges collectifs aussi<br />

comme moyen <strong>de</strong> lutte pour que <strong>les</strong> soignants puissent conserver leur santé. Selon<br />

lui, « en cherchant à faire parler le métier grâce à la restauration <strong>de</strong> débats<br />

d’école, <strong>de</strong> controverses, et <strong>de</strong> dialogues entre professionnels, nous<br />

réussissons parfois à transformer l’expérience mal vécue en moyen <strong>de</strong> vivre<br />

d’autres expériences ». Il s’agit <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>s expériences passées, <strong>de</strong>s leviers<br />

permettant <strong>de</strong> transformer le futur.<br />

Le principal risque est finalement <strong>de</strong> tomber <strong>dans</strong> le piège d’une valorisation<br />

excessive <strong>de</strong> l’activité au détriment <strong>de</strong> la pensée. Et nous reprendrons là l’opposition<br />

wébérienne pour souligner la nécessité <strong>de</strong> partir d’une réflexion et <strong>de</strong><br />

comportements qui soient, certes, orientés vers une finalité, un but concret<br />

(Zweckrationalität), mais également orientés vers la dimension plus globale <strong>de</strong><br />

l’humanité et <strong>de</strong>s valeurs qui s’y rapportent et donnent sens à son existence et à son<br />

<strong>de</strong>venir (Wertrationalität) (Boudon, 1999).<br />

Sans cette réflexion plus générale et une remise en question s’exerçant par le<br />

jugement au sens philosophique du terme, la « paresse <strong>de</strong> l’esprit » peut conduire<br />

à oublier que la pratique s’ancre <strong>dans</strong> un univers plus large <strong>de</strong> la relation humaine<br />

qui porte en elle le sens <strong>de</strong> toute action. Il ne s’agit pas d’opposer la connaissance<br />

520


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

spécifique à la connaissance universelle, mais d’être bien conscients que la première<br />

est totalement assujettie à la secon<strong>de</strong>. Et même si Platon <strong>dans</strong> l’Apologie <strong>de</strong> Socrate<br />

reconnaît aux artisans une sagesse pratique que lui-même ignore, faisant <strong>de</strong> cet « agir<br />

en compétence » une source <strong>de</strong> savoir réel, il s’empresse néanmoins d’en montrer <strong>les</strong><br />

limites. Et, surtout, Platon entrevoit le danger <strong>de</strong> voir cette connaissance se prévaloir<br />

d’exhaustivité et porter atteinte à la vraie sagesse, <strong>de</strong> la recherche du Bien pour<br />

l’humanité (Apologie, 22 d).<br />

Par le biais <strong>de</strong> la réflexion sur la pratique durant la formation, c’est la<br />

construction d’une assertivité qui est rendue possible et par laquelle l’individu va<br />

être capable <strong>de</strong> s’engager et <strong>de</strong> s’affirmer tout en respectant <strong>les</strong> autres autour <strong>de</strong> lui,<br />

<strong>de</strong> défendre son point <strong>de</strong> vue et ses valeurs sans renier ceux <strong>de</strong> ses interlocuteurs.<br />

Si l’enseignement se base sur <strong>de</strong>s outils qui tiennent compte <strong>de</strong> la complexité du<br />

mon<strong>de</strong> professionnel et <strong>de</strong> son embourbement <strong>dans</strong> la logique <strong>de</strong> l’efficience, en<br />

démontrant la nécessité d’une posture réfléchie, argumentée et affirmée, il ne pourra<br />

pas être reproché aux futurs professionnels <strong>de</strong> se prévaloir uniquement <strong>de</strong> pures<br />

théories scientifiques déconnectées du réel, pas plus que l’on ne pourra <strong>les</strong> accuser <strong>de</strong><br />

se baser uniquement sur un savoir expérientiel sans substance. L’alliance <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux,<br />

nourrie par un enracinement <strong>dans</strong> un socle <strong>de</strong> valeurs communes à la profession et<br />

une éthique <strong>de</strong> l’Être, est ce qui permettra <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> réel<strong>les</strong><br />

compétences <strong>de</strong>s infirmières et <strong>de</strong> <strong>les</strong> affirmer publiquement.<br />

La formation constitue donc le terreau par excellence d’un engagement qui<br />

est capable <strong>de</strong> s’incarner <strong>dans</strong> une prise <strong>de</strong> position publique, une action politique et<br />

médiatique, et une contribution à la sensibilisation <strong>de</strong> la population (Dallaire, 2008).<br />

En tout premier lieu, elle doit contribuer à faire prendre connaissance <strong>de</strong> principes<br />

ou <strong>de</strong> lois souvent ignorés, comme le fait d’oser être objecteur <strong>de</strong> conscience dont<br />

nous avons entendu parler pour la première fois lors <strong>de</strong> nos entretiens. Après la prise<br />

<strong>de</strong> conscience, c’est la communication vers l’extérieur qui doit être au centre <strong>de</strong>s<br />

préoccupations. L’importance <strong>de</strong> la recherche, s’appuyant parfois sur la preuve<br />

scientifique mais aussi et surtout sur la praxis <strong>de</strong> la profession, <strong>de</strong> même que <strong>les</strong><br />

vertus <strong>de</strong> l’écriture et le poids <strong>de</strong> la narration <strong>de</strong> l’activité, sont autant d’éléments qui<br />

521


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

peuvent ai<strong>de</strong>r la profession à être mieux reconnue (Kérouac et al., 2010), et le vécu<br />

<strong>de</strong>s soignants à être mieux pris en considération. Il nous appartient donc <strong>de</strong> gui<strong>de</strong>r<br />

nos étudiants vers le développement <strong>de</strong> ces ressources essentiel<strong>les</strong>. Pour l’exprimer<br />

<strong>de</strong> manière plus prosaïque, <strong>de</strong> formateurs que nous étions, nous <strong>de</strong>venons <strong>de</strong> plus en<br />

plus <strong>de</strong>s accompagnateurs sur le chemin d’un <strong>de</strong>venir professionnel dont l’étudiante<br />

reste seule le maître. Il appartient à l’enseignant d’accompagner l’étudiante vers une<br />

connaissance plus large, celle <strong>de</strong> la carte <strong>dans</strong> laquelle ce chemin se trouve situé. Le<br />

chemin ne prend sens qu’en rapport avec ce qui l’entoure, <strong>de</strong> même que le <strong>de</strong>venir<br />

professionnel d’un individu ne prend sens qu’en regard du mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> lequel il<br />

s’inscrit.<br />

Le souci <strong>de</strong> soi est donc bien l’étape à considérer en premier <strong>dans</strong> la<br />

construction d’un engagement sain. S’il est une forme <strong>de</strong> maïeutique visant à faire<br />

émerger nos valeurs <strong>les</strong> plus profon<strong>de</strong>s, le souci <strong>de</strong> soi est loin d’inciter l’individu à<br />

s’éloigner du mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> un cheminement introspectif répondant à une exigence <strong>de</strong><br />

solitu<strong>de</strong>. Il constitue au contraire un « intensificateur <strong>de</strong>s relations socia<strong>les</strong> »<br />

(Foucault, 2001, p.517) et un « principe régulateur <strong>de</strong> l’activité, <strong>de</strong> notre rapport<br />

au mon<strong>de</strong> et aux autres » (Foucault, 2001, p.519). Cette introspection permet <strong>de</strong><br />

construire son édifice professionnel sur le roc <strong>de</strong>s valeurs profon<strong>de</strong>s, et non sur le<br />

sable mouvant d’un fonctionnalisme dépourvu <strong>de</strong> sens. Mais elle est également, et<br />

peut être avant tout, une ai<strong>de</strong> à la connaissance <strong>de</strong> soi comme légitimation à sortir du<br />

« soi niant » hérité du passé vocationnel <strong>de</strong>s sœurs <strong>de</strong> charité, et du « soi nié »<br />

favorisé par le contexte d’exercice, pour <strong>de</strong>venir un soignant réfléchi, capable <strong>de</strong><br />

s’adapter à un mon<strong>de</strong> complexe, conscient <strong>de</strong> ses limites et apte à soutenir un<br />

dialogue intérieur <strong>de</strong> type axiologique. Cette prise en considération <strong>de</strong>s valeurs n’est<br />

pas une option, elle <strong>de</strong>vient un phénomène incontournable à un moment <strong>de</strong><br />

l’évolution sociétale où <strong>les</strong> valeurs, enserrées <strong>dans</strong> le relativisme, per<strong>de</strong>nt leur valeur.<br />

Le caractère anxiogène du mon<strong>de</strong> du travail, <strong>les</strong> questions sans réponses et <strong>les</strong><br />

gran<strong>de</strong>s interrogations quant à l’avenir, placent <strong>les</strong> jeunes face à un <strong>de</strong>stin très<br />

inconfortable, <strong>dans</strong> lequel ils doivent pouvoir se projeter en y trouvant du sens.<br />

La quête <strong>de</strong> sens prend <strong>de</strong>s proportions considérab<strong>les</strong> comme le montrent nos<br />

522


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

résultats, aussi bien quantitatifs que qualitatifs. Cette réalité est à souligner et<br />

constitue aussi pour nous une chance <strong>de</strong> pouvoir rejoindre <strong>les</strong> étudiants, au travers<br />

<strong>de</strong> leurs valeurs, qui fon<strong>de</strong>nt le projet humain. Comme le montre Bobineau (2010a),<br />

<strong>les</strong> jeunes s’éloignent <strong>de</strong> la logique d’appartenance qui induisait un engagement <strong>de</strong><br />

facto, pour s’orienter vers une recherche personnelle <strong>de</strong> sens. Si celui-ci leur apparaît<br />

clairement, ils sont alors prêts à investir beaucoup. Travailler durant la formation sur<br />

cette notion <strong>de</strong> sens, permet <strong>de</strong> travailler l’engagement par la même occasion. C’est<br />

aussi le moyen <strong>de</strong> contrecarrer <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> retrait et d’indifférence, résultant non<br />

d’un désintérêt mais représentant un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> réponse à <strong>de</strong>s risques encourus<br />

(Gauchet, 2002), ainsi qu’un mécanisme d’autoprotection (Giraud, 2003).<br />

Même si la perte <strong>de</strong> sens est perçue par <strong>de</strong> nombreuses personnes, <strong>les</strong><br />

éléments argumentés pour tenter <strong>de</strong> le retrouver s’inscrivent pour une très large<br />

majorité <strong>dans</strong> la logique <strong>de</strong> l’action et <strong>dans</strong> le registre du faire. La réflexion plus<br />

générale sur le sens comme explication <strong>de</strong> la vie et <strong>de</strong>s rapports à l’humanité reste<br />

largement absente.<br />

Il faut éviter que l’on puisse retrouver <strong>de</strong>s soignants qui sembleraient agir en<br />

analogie avec le système, c’est-à-dire <strong>de</strong>s personnes désengagées, happées par le<br />

processus <strong>de</strong> déshumanisation, au même titre que le système <strong>dans</strong> lequel el<strong>les</strong> sont<br />

immergées.<br />

L’engagement, s’il est un puissant catalyseur pour la qualité <strong>de</strong> la prise en<br />

charge, est également une source puissante <strong>de</strong> motivation et <strong>de</strong> satisfaction<br />

personnelle qui puise <strong>dans</strong> le sens <strong>de</strong> l’existence. Il a donc un double effet, vers<br />

l’extérieur <strong>dans</strong> le travail accompli, et vers soi, <strong>dans</strong> l’affirmation d’une i<strong>de</strong>ntité<br />

personnelle et professionnelle.<br />

523


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

524


CONCLUSION GÉNÉRALE<br />

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Cette recherche visait à montrer la pertinence <strong>de</strong> développer un<br />

accompagnement pédagogique spécifique à la construction <strong>de</strong> l’engagement<br />

professionnel <strong>de</strong>s étudiants et étudiantes en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, sous un angle éthique et<br />

comme facteur favorisant <strong>de</strong> la construction i<strong>de</strong>ntitaire professionnelle. Bien<br />

évi<strong>de</strong>mment ce travail n’a pas la prétention <strong>de</strong> constituer une réponse définitive,<br />

mais il représente, selon nous, une <strong>de</strong>s pistes d’exploration possib<strong>les</strong> <strong>de</strong> la<br />

problématique.<br />

Étudier l’engagement relève d’une entreprise délicate tant le concept est<br />

complexe et s’inscrit <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s paradigmes différents. Penser l’engagement, qui plus<br />

est <strong>dans</strong> sa dimension éthique, au cœur <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, rajoute encore à la<br />

complexité. Nous avons donc choisi <strong>de</strong> réaliser cette étu<strong>de</strong> en commençant par un<br />

double approfondissement théorique. La première partie théorique nous a permis <strong>de</strong><br />

bien situer <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, leur histoire, <strong>les</strong> différentes philosophies qui <strong>les</strong><br />

animent, le contexte actuel <strong>de</strong> leur mise en pratique, ainsi que <strong>les</strong> aspects éthiques<br />

étroitement liés à la profession, tant <strong>dans</strong> la dimension du soin, que <strong>dans</strong> la<br />

dimension relationnelle ou <strong>de</strong> rencontre avec <strong>les</strong> étapes diffici<strong>les</strong> <strong>de</strong> l’existence. Ces<br />

réflexions sur <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et l’éthique ont ensuite été considérées <strong>dans</strong> le<br />

cadre <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s infirmières et <strong>infirmiers</strong>. L’impact <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> et <strong>de</strong> la<br />

formation sur l’i<strong>de</strong>ntité personnelle et professionnelle <strong>de</strong>s futurs soignants a été<br />

souligné. La secon<strong>de</strong> partie, quant à elle, a servi avant tout à mieux cerner la notion-<br />

même d’engagement, ainsi que tous <strong>les</strong> concepts qui lui sont proches et qui occupent<br />

une position d’influence par rapport à cette notion.<br />

Notre souhait d’examiner <strong>les</strong> possibilités d’un accompagnement à la<br />

construction <strong>de</strong> l’engagement durant la formation s’est trouvé confronté à cette<br />

complexité du phénomène et nous a encouragée à esquisser un modèle convoquant<br />

<strong>les</strong> différents paramètres qu’il nous semble indispensable <strong>de</strong> prendre en compte en<br />

vue <strong>de</strong> cet accompagnement. Notre recherche aura permis <strong>de</strong> mieux cerner la notion<br />

d’engagement, mais également <strong>de</strong> savoir si ce modèle est pertinent et si, le cas<br />

échéant, il doit faire l’objet <strong>de</strong> modifications.<br />

525


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Forte <strong>de</strong>s différents bagages conceptuels rassemblés ainsi que d’une phase<br />

exploratoire <strong>de</strong> sept entretiens, nous avons mis sur pied une méthodologie <strong>de</strong> recueil<br />

et d’analyse <strong>de</strong> données, <strong>dans</strong> une approche à la fois compréhensive et<br />

herméneutique, pour tenter d’apporter <strong>de</strong>s réponses à nos hypothèses ci-<strong>de</strong>ssous et<br />

juger <strong>de</strong> la pertinence du modèle esquissé.<br />

Hypothèses :<br />

L’engagement, tant professionnel que personnel, n’est pas abordé<br />

explicitement durant la formation, ni sous l’angle théorique ni sous<br />

l’angle éthique.<br />

L’engagement professionnel ne peut se développer et se maintenir<br />

sur la durée que si l’étudiante, puis le professionnel, trouvent un sens<br />

à sa pratique.<br />

Le sens <strong>de</strong> l’engagement est prétérité : par l’inadéquation <strong>de</strong> la<br />

pratique avec <strong>les</strong> valeurs personnel<strong>les</strong>, par l’écart entre l’idéal <strong>de</strong> la<br />

prise en soin et la prise en soin réelle, ainsi que par <strong>les</strong> conditions<br />

d’exercice.<br />

La formation peut ai<strong>de</strong>r l’étudiante à construire le sens <strong>de</strong> sa pratique<br />

et son i<strong>de</strong>ntité professionnelle malgré <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail<br />

diffici<strong>les</strong>.<br />

La formation peut contribuer, par le biais d’un travail sur <strong>les</strong> valeurs,<br />

<strong>les</strong> ressources et <strong>les</strong> limites personnel<strong>les</strong>, à ai<strong>de</strong>r l’étudiante à<br />

développer un engagement sain et durable.<br />

Par un dispositif d’enquête utilisant trois métho<strong>de</strong>s distinctes, nous avons<br />

tenté <strong>de</strong> cerner la problématique <strong>de</strong> la manière la plus exhaustive possible. Une<br />

première étape quantitative nous a permis d’obtenir <strong>de</strong>s données généra<strong>les</strong>, pour la<br />

plupart factuel<strong>les</strong>, mais pour certaines aussi personnel<strong>les</strong>, voire presque intimes,<br />

permettant d’établir <strong>de</strong>s comparaisons et <strong>de</strong> dresser un tableau, une sorte <strong>de</strong><br />

photographie du phénomène.<br />

La <strong>de</strong>uxième étape, constituée d’entretiens semi-directifs réalisés auprès <strong>de</strong> 44<br />

526


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

étudiants, enseignants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et praticiens formateurs (infirmières et<br />

<strong>infirmiers</strong> encadrant <strong>les</strong> étudiantes en stage), nous a permis d’appréhen<strong>de</strong>r la<br />

compréhension qu’ont <strong>les</strong> différentes personnes <strong>de</strong> leur engagement et <strong>de</strong> ce qui le<br />

stimule ou au contraire le freine. Dans une troisième phase, nous avons choisi <strong>de</strong><br />

compléter cette palette <strong>de</strong> résultats très large et diversifiée par une <strong>de</strong>rnière étape<br />

d’analyse linéaire effectuée en profon<strong>de</strong>ur pour six entretiens, soit <strong>de</strong>ux entretiens<br />

<strong>dans</strong> chacune <strong>de</strong>s trois populations.<br />

Limites et pertinence <strong>de</strong> la recherche<br />

De façon générale, la recherche menée a permis d’atteindre <strong>les</strong> objectifs fixés au<br />

départ et qui étaient <strong>les</strong> suivants :<br />

Mettre en évi<strong>de</strong>nce le rôle central <strong>de</strong> l’engagement <strong>de</strong> l’infirmière en<br />

formation et sa dimension éthique <strong>dans</strong> la relation à l’Autre, tout<br />

particulièrement <strong>dans</strong> la relation à cet Autre vulnérable qui est le<br />

bénéficiaire <strong>de</strong> soin ;<br />

Examiner <strong>les</strong> concepts voisins qui permettent <strong>de</strong> mieux cerner la notion et<br />

qui pourraient être mobilisés <strong>dans</strong> la construction d’un enseignement sur le<br />

sujet ;<br />

Mettre en relief le bien-fondé d’un enseignement spécifique et structuré sur<br />

le sujet <strong>de</strong> l’éthique <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> une perspective d’amélioration<br />

<strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, <strong>de</strong> satisfaction au travail, <strong>de</strong> motivation, mais également <strong>de</strong><br />

construction i<strong>de</strong>ntitaire.<br />

Les limites <strong>de</strong> cette étu<strong>de</strong> rési<strong>de</strong>nt néanmoins <strong>dans</strong> la complexité du phénomène<br />

<strong>de</strong> l’engagement, en particulier lorsqu’il est associé à la profession infirmière et à<br />

l’histoire qu’elle véhicule, mais également <strong>dans</strong> la pluralité <strong>de</strong>s concepts qu’il<br />

convoque et <strong>de</strong>s paradigmes qu’il interpelle. Nous avons tenté <strong>de</strong> <strong>les</strong> prendre en<br />

considération, sans toutefois oser prétendre à l’exhaustivité. Par ailleurs, l’approche<br />

du phénomène <strong>de</strong> l’engagement s’est trouvée influencée par <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail<br />

<strong>de</strong>s infirmières. Ces conditions constituent un terreau particulier dont <strong>les</strong> inci<strong>de</strong>nces<br />

sont parfois très importantes. En effet, comme nous avons pu le constater,<br />

527


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

l’engagement <strong>dans</strong> le contexte professionnel actuel comporte <strong>de</strong>s certains risques, et<br />

nous avons pu relever maintes conséquences négatives, tel<strong>les</strong> <strong>les</strong> situations<br />

d’épuisement qui nous ont été relatées. Si certains traits <strong>de</strong> personnalité ainsi qu’une<br />

fragilité psychologique ou <strong>de</strong>s expériences <strong>de</strong> vie diffici<strong>les</strong> sont <strong>de</strong>s éléments<br />

susceptib<strong>les</strong> <strong>de</strong> favoriser l’épuisement, ce <strong>de</strong>rnier ne saurait être attribué uniquement<br />

à <strong>de</strong>s facteurs individuels. Les paramètres contextuels accentuent largement la<br />

problématique, jusqu’à la rendre préoccupante. L’engagement en subit <strong>les</strong><br />

répercussions, soit en termes <strong>de</strong> conséquences négatives, soit <strong>dans</strong> l’hésitation <strong>de</strong>s<br />

professionnels à habiter <strong>de</strong>s postures d’engagement qui pourraient se révéler<br />

préjudiciab<strong>les</strong>. Cette recherche a permis <strong>de</strong> rendre visib<strong>les</strong> <strong>de</strong>s facteurs pluriels ayant<br />

un impact sur l’engagement ou non <strong>de</strong>s personnes et ses effets. Le bien-fondé d’une<br />

réflexion approfondie sur le sujet a donc été largement démontré, un sujet dont la<br />

pertinence n’a eu cesse <strong>de</strong> transparaître au travers <strong>de</strong>s entretiens et <strong>de</strong>s rencontres,<br />

tant avec <strong>les</strong> étudiants qu’avec <strong>les</strong> enseignants et <strong>les</strong> praticiens. Parce qu’il préoccupe<br />

l’ensemble <strong>de</strong>s acteurs du soin et <strong>de</strong> la formation aux <strong>soins</strong>, et parce qu’il constitue<br />

l’un <strong>de</strong>s ciments unificateurs principaux <strong>de</strong> la profession, une attention toute<br />

particulière doit être apportée à l’engagement, en particulier <strong>dans</strong> sa dimension<br />

éthique.<br />

Et si <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> ce travail ont pu démontrer que cette notion n’est quasiment<br />

pas abordée, en tout cas pas directement, durant la formation, mais bien davantage<br />

considérée comme un « allant <strong>de</strong> soi », nous pouvons affirmer, à l’instar <strong>de</strong> Bobineau<br />

(2010a), que l’engagement mérite d’être étudié et développé sous la double<br />

configuration, théorique et éthique. Au terme <strong>de</strong> cette recherche, nous pensons avoir<br />

mis en évi<strong>de</strong>nce le caractère essentiel <strong>de</strong> cette notion pour la profession infirmière, et<br />

au-<strong>de</strong>là pour la société <strong>dans</strong> son ensemble.<br />

D’un côté, l’apport théorique, à la fois <strong>de</strong> large spectre mais également<br />

approfondi que procure cette analyse, offre la possibilité <strong>de</strong> mieux appréhen<strong>de</strong>r <strong>les</strong><br />

dimensions conceptuel<strong>les</strong> et pragmatiques <strong>de</strong> cette notion ainsi que <strong>les</strong> modalités <strong>de</strong><br />

sa mise en œuvre en situation. De l’autre, <strong>les</strong> résultats obtenus et <strong>les</strong> réflexions qu’ils<br />

ont suscitées sur la nature profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> cet engagement ancré <strong>dans</strong> un tissu <strong>de</strong><br />

références axiologiques, el<strong>les</strong>-mêmes enracinées <strong>dans</strong> une humanité, ont rendu<br />

528


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

possible la perspective idiosyncrasique <strong>de</strong> cette notion, en particulier <strong>dans</strong> un<br />

cheminement réflexif sur soi et son histoire, tout autant qu’ils ont rendu visible le<br />

contexte social <strong>dans</strong> lequel l’engagement s’incarne avec ses limites et ses dangers. Un<br />

bref survol <strong>de</strong>s principaux résultats, organisés par thèmes ci-après, permet <strong>de</strong> rendre<br />

compte <strong>de</strong>s éléments centraux mis en exergue <strong>dans</strong> cette recherche.<br />

Engagement et sens, un lien d’apparence évi<strong>de</strong>nt<br />

Si la quasi-totalité <strong>de</strong>s participants à la recherche, voire la totalité s’accor<strong>de</strong> à<br />

reconnaître que l’essence même <strong>de</strong> la profession, c’est le rapport à l’humain, en<br />

particulier à celui qui est en souffrance, nécessitant qu’on lui accor<strong>de</strong> un soin<br />

réparateur ou en tout cas bienfaisant, <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> l’altérité sont alors à privilégier.<br />

C’est <strong>dans</strong> cette altérité et cette prise en considération <strong>de</strong> la souffrance du prochain<br />

que la majorité <strong>de</strong>s soignants explique trouver le sens profond <strong>de</strong> leur activité. Or<br />

l’engagement est tributaire du sens, nous dit Bobineau (2010a). Il en constitue le<br />

principe fondateur essentiel sans lequel s’engager <strong>de</strong>vient un non-sens. Il y a donc<br />

lieu <strong>de</strong> souligner l’importance du sens, même si elle relève d’une évi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong>s plus<br />

bana<strong>les</strong>, et <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>r à l’esprit que l’altruisme constitue le principal sens et donc le<br />

principal moteur d’engagement pour <strong>les</strong> soignants. Ils sont unanimes à dire que,<br />

lorsque le sens est là, il se mue en une gran<strong>de</strong> source d’épanouissement qui s’incarne<br />

souvent <strong>dans</strong> un agir <strong>de</strong> l’ordre <strong>de</strong> l’engagement. Alors que, a contrario, si l’intérêt<br />

d’une activité n’est pas perceptible, la démotivation et le désengagement guettent.<br />

Le sens revêt un caractère d’autant plus essentiel qu’il est aussi le grand laissé<br />

pour compte d’une société en manque <strong>de</strong> repères (Taylor, 2002). Différents auteurs<br />

affirment que <strong>les</strong> jeunes sont en quête <strong>de</strong> sens, ce que confirment professionnels et<br />

enseignants. La perte <strong>de</strong>s repères (<strong>de</strong> Gaulejac, 2011), la dialectique entre certitu<strong>de</strong>s<br />

et incertitu<strong>de</strong>s (Morin, 2000) et <strong>les</strong> angoisses face à un len<strong>de</strong>main précaire (Castel,<br />

2009) sont autant <strong>de</strong> facteurs qui conduisent <strong>les</strong> jeunes à s’i<strong>de</strong>ntifier <strong>de</strong> moins à<br />

moins à une corporation ou à une institution, mais davantage à chercher le sens <strong>dans</strong><br />

l’activité elle-même et le rapport aux autres, au sein d’un espace confiné (Bobineau,<br />

2010a).<br />

529


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Or ce sens entrevu au travers du prisme <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong> se trouve <strong>de</strong> plus en plus mis en déroute par la nature <strong>de</strong> l’activité<br />

elle-même et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> son émergence. Ces champs <strong>de</strong> tension entre l’idéal et<br />

le réel <strong>de</strong>viennent fréquemment <strong>de</strong>s sources <strong>de</strong> frustration qui occasionnent une<br />

perte <strong>de</strong> sens. Un sens qui réunit <strong>les</strong> enjeux individuel et collectif.<br />

Le sens, inscription d’une singularité <strong>dans</strong> un collectif<br />

Penser le sens et le promouvoir s’avère aussi avoir un double enjeu sur le plan<br />

éthique. On relèvera tout d’abord l’enjeu inhérent à une profession dont l’autrui<br />

représente le cœur <strong>de</strong> l’activité, mais on évoquera également l’enjeu afférent à<br />

l’équilibre précaire <strong>de</strong> l’activité soignante qui assiste à un face à face toujours plus<br />

acerbe entre <strong>les</strong> valeurs <strong>de</strong> la personne et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> son exercice professionnel.<br />

Comme nous l’avons vu, l’engagement est très intimement lié à la notion <strong>de</strong><br />

sens qui en constitue la source et lui offre <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> son épanouissement.<br />

Dans <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, nous avions mis en évi<strong>de</strong>nce le nécessaire équilibre entre,<br />

d’un côté, <strong>les</strong> motivations et intérêts personnels investis <strong>dans</strong> l’activité et, <strong>de</strong> l’autre,<br />

la nature <strong>de</strong>s tâches à effectuer, le rôle prescrit et <strong>les</strong> conditions <strong>dans</strong> <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> il<br />

s’exerce. Or la confrontation <strong>de</strong> nos résultats avec la littérature nous a amenée à<br />

constater une proximité entre ce binôme constituant <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux pô<strong>les</strong> <strong>de</strong> la balance<br />

<strong>dans</strong> notre modèle, et le binôme déjà évoqué par Aristote lorsque celui-ci examine la<br />

notion <strong>de</strong> travail (Imbert, 2000). En effet, le pôle <strong>de</strong> la tâche prescrite, <strong>de</strong> l’activité<br />

technicisée, instrumentée, orientée vers la finalité, n’est autre que celui <strong>de</strong> la poiesis<br />

chez Aristote. Il s’agit <strong>de</strong> l’action <strong>dans</strong> sa visée productive. En revanche, le pôle <strong>de</strong> la<br />

motivation correspond davantage à la praxis aristotélicienne, c’est-à-dire à une<br />

action ayant pour fin l’accomplissement du bien, dont l’homme est le principe avec<br />

sa pensée. C’est une action qui s’inscrit <strong>dans</strong> l’histoire singulière d’un individu<br />

appartenant à un collectif, et plus globalement encore à l’humanité. La praxis<br />

représente l’action humaine comme agir moral (Blon<strong>de</strong>au, 1999). En ce sens la praxis<br />

est une valeur avec un ancrage fondamental <strong>de</strong> la visée <strong>de</strong> la « vie bonne », alors que<br />

la poiesis est activité et « là où l’activité est elle-même sa propre fin, ce qui<br />

prévaut, c’est l’activité » (Imbert, 2000). Dans la poiesis, le but est externe à<br />

530


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

l’individu, tandis que, <strong>dans</strong> la praxis, il est interne à la personne. Pour Sainsaulieu<br />

(2003, p.33), la centration sur la poiesis est dangereuse, car « en plus <strong>de</strong> risquer <strong>de</strong><br />

décourager le personnel hospitalier, la rationalité purement instrumentale<br />

risque <strong>de</strong> faire mentir l’hôpital sur ses missi ons et <strong>les</strong> hospitaliers risquent <strong>de</strong><br />

trahir le patient ». Dans la logique <strong>de</strong> rentabilité et <strong>de</strong> performance qui prévaut<br />

actuellement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, le pôle <strong>de</strong> la praxis se voit <strong>de</strong> plus en plus délaissé au<br />

profit d’une action productive, quantifiable et efficace. La technique prend le pas sur<br />

la relation et le rôle prescrit sur le rôle autonome. Il y a donc un enjeu d’éthique<br />

professionnelle <strong>dans</strong> <strong>les</strong> difficultés contextuel<strong>les</strong> que rencontrent <strong>les</strong> soignants, la<br />

rationalisation <strong>de</strong>venant source <strong>de</strong> tensions téléologiques divergentes, selon que l’on<br />

se place du côté <strong>de</strong>s gestionnaires ou <strong>de</strong> celui <strong>de</strong>s soignants. Car contrairement à une<br />

focalisation sur l’activité technique, l’ouverture à la praxis permet à la personne<br />

d’évoluer, <strong>de</strong> se développer, en lien avec ses aspirations, vers un accomplissement<br />

personnel qui à son tour va stimuler l’engagement.<br />

La dimension téléologique <strong>de</strong> l’activité, parce qu’elle interpelle le sujet au plus<br />

profond <strong>de</strong> ce qu’il est, rend nécessaire le souci <strong>de</strong> soi associé au précepte <strong>de</strong>lphique<br />

<strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi qui permettent d’être au clair avec ses aspirations et ses<br />

valeurs, condition préalable, pour Platon, à l’ouverture et à la connaissance <strong>de</strong>s<br />

autres. L’incompréhension <strong>de</strong> soi entraînant souvent une incompréhension d’autrui<br />

(Morin, 2000).<br />

Cette introspection, le retour sur soi <strong>dans</strong> le sens <strong>de</strong> la metanoia grecque avec<br />

la mise en réflexion <strong>de</strong> sa posture et <strong>de</strong> son inscription <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> professionnel,<br />

est d’autant plus importante chez l’étudiante qui entre <strong>dans</strong> un univers encore<br />

inconnu pour elle, et qui va solliciter tout son être intérieur. Le souci <strong>de</strong> soi n’est pas<br />

mise à l’écart du mon<strong>de</strong> mais bien au contraire préparation au mon<strong>de</strong> et à la place<br />

que l’on est appelé à y jouer. Il constitue donc un principe régulateur <strong>de</strong> l’activité<br />

<strong>dans</strong> notre rapport au mon<strong>de</strong> et aux autres. Il constitue l’activité, lui donne sa mesure<br />

et sa forme, et même l’intensifie. (Foucault, 2001, p.519).<br />

Cette démarche réflexive permet à l’étudiante <strong>de</strong> s’affranchir <strong>de</strong>s<br />

représentations et pensées toutes faites, <strong>de</strong> faire le partage, la discriminatio , c’est-à-<br />

dire <strong>de</strong> discerner ce qui a réellement <strong>de</strong> la valeur et justifie son engagement, <strong>de</strong> faire<br />

531


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>de</strong>s choix autonomes et réfléchis portés par un « horizon <strong>de</strong> sens nécessaire à tout<br />

acte qui se veut libre » (Moreau citant Renaut, 2012, p.252), en un mot <strong>de</strong> <strong>de</strong>venir<br />

une citoyenne raisonnée et raisonnable, consciente du mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> lequel elle vit, <strong>de</strong><br />

ses pluralités, <strong>de</strong> ses antagonismes et <strong>de</strong> ses ressources, tout en sachant s’affirmer<br />

par une position assumée et engagée. Loin d’un narcissisme qui répondrait à une<br />

hypertrophie du Moi, cette démarche introspective constitue une philosophie <strong>de</strong> vie<br />

morale, nécessaire à l’acceptation <strong>de</strong> l’Autre <strong>dans</strong> sa différence et à l’appréhension <strong>de</strong><br />

la complexité humaine (Morin, 2000).<br />

Dans la formation, l’étudiante se trouve confrontée à <strong>de</strong>ux processus que l’on<br />

pourrait penser contradictoires <strong>de</strong> prime abord, mais qui, <strong>de</strong> fait, sont<br />

complémentaires ; le processus <strong>de</strong> connaissance <strong>de</strong> soi d’un côté et le développement<br />

d’une posture scientifique pour défendre la profession <strong>de</strong> l’autre. Le développement<br />

d’un raisonnement théoriquement ancré et éthiquement fondé va lui permettre <strong>de</strong><br />

trouver à la fois une pertinence pragmatique, une efficacité pratique, un sens éthique<br />

et une crédibilité publique.<br />

Il s’agit d’une lecture à la fois synchronique et diachronique. Dans ce<br />

processus <strong>de</strong> réflexion sur soi, l’étudiante procè<strong>de</strong> à une méta-analyse <strong>de</strong> son agir<br />

personnel en situation, <strong>de</strong> même qu’à une observation <strong>de</strong> sa posture personnelle<br />

globale <strong>dans</strong> la profession, et du rôle qu’elle est appelé à y jouer. C’est donc son<br />

i<strong>de</strong>ntité même, qui va être interpellée au travers <strong>de</strong> ces réflexions.<br />

Le chemin introspectif est un moyen <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> sources <strong>de</strong><br />

tension rencontrées <strong>dans</strong> la pratique et parfois <strong>de</strong> <strong>les</strong> dépasser ou <strong>de</strong> <strong>les</strong> faire évoluer.<br />

Comme l’explique Honneth (2007, p.24),<br />

« c’est un processus <strong>de</strong> formation <strong>dans</strong> lequel <strong>les</strong> sujets peuvent se<br />

reconnaître eux-mêmes individuellement et collectivement comme <strong>de</strong>s<br />

sujets <strong>de</strong> l’action, construisant l’histoire, grâce à l’expérience qu’ils<br />

font d’eux-mêmes <strong>dans</strong> le produit <strong>de</strong> leur travail ».<br />

C’est ici que le souci <strong>de</strong> soi, en ouvrant la porte à la composante éthique et à<br />

l’examen <strong>de</strong>s valeurs personnel<strong>les</strong>, constitue une approche extrêmement favorable à<br />

la quête <strong>de</strong> sens <strong>dans</strong> la pratique. Sans cette démarche d’introspection et <strong>de</strong> réflexion<br />

532


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

sur <strong>les</strong> valeurs, il y a le risque qu’un processus contreproductif s’installe et nuise au<br />

développement <strong>de</strong> l’engagement, en suscitant chez le professionnel un<br />

comportement réfractaire envers un contexte <strong>de</strong> travail difficile, <strong>dans</strong> lequel il lui<br />

parait inconcevable <strong>de</strong> voir s’épanouir ses motivations profon<strong>de</strong>s, donc d’y trouver<br />

un sens réel.<br />

Nous avons pris pleinement conscience <strong>de</strong> cette dimension du sens et <strong>de</strong> sa<br />

signification en confrontant nos résultats avec la littérature. Si nous avions bien perçu<br />

l’importance <strong>de</strong> cette catégorie pour notre objet, nous n’avions en revanche pas<br />

complètement discerné <strong>les</strong> différences sémantiques qui imprègnent cette notion <strong>de</strong><br />

« sens » selon la perspective que l’on adopte.<br />

En effet, nous avons pu constater que le terme « sens » peut certes être<br />

compris comme nous l’entendions précé<strong>de</strong>mment, c’est-à-dire comme signification,<br />

une signification qui convoque à un niveau d’abstraction important, qui est celui <strong>de</strong><br />

l’Être et <strong>de</strong> son vécu <strong>dans</strong> l’histoire humaine. Mais il peut être également compris<br />

comme direction, c’est-à-dire comme finalité. Et <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> nos entretiens ont<br />

clairement montré cette dichotomie entre une vision gestionnaire <strong>de</strong> l’activité basée<br />

avant tout sur le sens comme finalité, tandis que le sens entendu par le professionnel,<br />

vecteur <strong>de</strong> ses motivations et <strong>de</strong> son engagement, s’apparentait davantage à la<br />

signification <strong>dans</strong> sa portée humaine avec son inscription <strong>dans</strong> le collectif<br />

professionnel et son histoire.<br />

Et cette double dimension du « sens » nous ramène à l’opposition<br />

précé<strong>de</strong>mment relevée entre la praxis comme agir moral selon un idéal<br />

professionnel, et la poiesis comme action productive encouragée par une économie<br />

marchan<strong>de</strong> soucieuse <strong>de</strong>s résultats.<br />

En regard <strong>de</strong> ces logiques différentes que l’étudiante va être appelée à<br />

rencontrer <strong>dans</strong> sa pratique, la mise en réflexion s’avère d’autant plus indispensable.<br />

Ce cheminement ne saurait cependant s’inscrire uniquement <strong>dans</strong> un parcours<br />

individuel mais doit s’ouvrir à une réflexion éthique <strong>de</strong> nature plus fondamentale,<br />

comme valorisation <strong>de</strong> la capacité <strong>de</strong> discernement historiquement ancrée et intégrée<br />

à un espace dialogique.<br />

Cet espace est le lieu permettant <strong>de</strong> réfléchir et <strong>de</strong> questionner <strong>les</strong> logiques<br />

533


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

managéria<strong>les</strong>, organisationnel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> enjeux <strong>de</strong> pouvoir, <strong>les</strong> représentations socia<strong>les</strong><br />

ainsi que ses propres références axiologiques et théoriques. Ici apparaît<br />

ostensiblement l’importance du collectif. Ce collectif joue <strong>de</strong>ux rô<strong>les</strong> majeurs que<br />

sont, d’une part, l’ai<strong>de</strong> à la décentration <strong>de</strong> situations vécues et à leur analyse, et <strong>de</strong><br />

l’autre, un rôle majeur <strong>de</strong> reconnaissance <strong>de</strong>venue un besoin d’estime essentiel <strong>dans</strong><br />

notre mon<strong>de</strong> professionnel occi<strong>de</strong>ntal.<br />

Nous avons pu remarquer, <strong>de</strong> par la diversité d’âge <strong>de</strong>s personnes interrogées<br />

(<strong>de</strong>ux générations), cette évolution <strong>de</strong> l’importance du travail pour l’individu que<br />

relatent <strong>les</strong> écrits sur le sujet. En effet, le travail revêt une valeur symbolique pour<br />

laquelle l’individu a besoin d’être reconnu. Aujourd’hui plus que par le passé,<br />

l’individu cherche à trouver du plaisir et à se réaliser <strong>dans</strong> son travail qui <strong>de</strong>vient<br />

lieu d’épanouissement. Il prend un plaisir certain à accomplir un travail <strong>de</strong> qualité<br />

pour sa propre satisfaction déjà. La frustration est donc d’autant plus importante<br />

lorsque cette réalisation est empêchée par <strong>les</strong> contingences institutionnel<strong>les</strong>.<br />

L’absence <strong>de</strong> reconnaissance constitue, selon Osty (2003), une véritable menace sur<br />

l’i<strong>de</strong>ntité. Or au vu <strong>de</strong> cette intrication entre le personnel et le professionnel, ce n’est<br />

plus seulement l’i<strong>de</strong>ntité au travail qui est en jeu (Sainsaulieu, 1977), mais le sujet<br />

<strong>dans</strong> son intégrité. Et plus la réification du contexte professionnel s’accroît, plus le<br />

besoin <strong>de</strong> reconnaissance augmente.<br />

Cette <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> reconnaissance est clairement perceptible <strong>dans</strong> <strong>les</strong> résultats<br />

<strong>de</strong> cette recherche. Les personnes interrogées admettent aisément l’importance <strong>de</strong>s<br />

remerciements et autres expressions <strong>de</strong> satisfaction <strong>de</strong>s patients, mais aussi et surtout<br />

la nécessité <strong>de</strong>s feed-backs positifs accordés par <strong>les</strong> pairs. Les interactions au sein <strong>de</strong><br />

l’équipe sont perçues comme l’un <strong>de</strong>s principaux moteurs motivationnels conduisant<br />

à l’engagement, à l’instar <strong>de</strong>s résultats obtenus par Bélair qui démontrent que la<br />

reconnaissance par <strong>les</strong> pairs est vécue comme « un <strong>de</strong>s éléments clés favorisant la<br />

persévérance <strong>dans</strong> la profession » (Bélair in A. Jorro, 2009, p.46).<br />

Le dialogue et le partage d’expériences sont à la fois réconfortants, en même<br />

temps qu’ils sont une ressource importante <strong>dans</strong> le développement <strong>de</strong> stratégies<br />

permettant <strong>de</strong> surmonter <strong>les</strong> champs <strong>de</strong> tension évoqués. La question est à présent <strong>de</strong><br />

savoir comment ces <strong>de</strong>rniers sont abordés durant la formation et quel engagement<br />

534


est attendu <strong>de</strong>s étudiantes.<br />

QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

La question du sens et <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> la formation<br />

La formation est le lieu par excellence <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> distance, <strong>de</strong> questionnement<br />

et <strong>de</strong> mise en perspective. C’est <strong>dans</strong> cette dynamique <strong>de</strong> développement que <strong>les</strong><br />

représentations soli<strong>de</strong>ment ancrées qui collent à la profession pourront être mises en<br />

évi<strong>de</strong>nce et ainsi faire l’objet <strong>de</strong> prises <strong>de</strong> conscience et <strong>de</strong> transformations parfois<br />

majeures. Parce qu’il s’agit d’une formation, ancrée sur <strong>de</strong>s savoirs, et non d’un<br />

apprentissage qui part avant tout <strong>de</strong> l’expérience, <strong>les</strong> connaissances constituent<br />

réellement un levier important pour mettre en mouvement la personne et la conduire<br />

à s’émanciper, malgré <strong>les</strong> contraintes actuel<strong>les</strong>.<br />

Le temps <strong>de</strong> formation aura donc, parmi ses objectifs, la constitution d’un<br />

corpus <strong>de</strong> connaissances étoffé, dont la richesse sera garante d’une capacité<br />

d’argumentation avérée. Comme le déclare Dallaire (2008), le savoir est un atout<br />

essentiel, puisque ce sont <strong>les</strong> infirmières qui le détiennent qui pourront réellement le<br />

faire valoir et <strong>de</strong>viendront, par là-même, <strong>les</strong> instigatrices du <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> leur<br />

profession. El<strong>les</strong> auront la possibilité d’évoluer, du statut <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> exécutantes vers<br />

celui d’actrices professionnel<strong>les</strong> avisées (Jutras, 2007b).<br />

Néanmoins ce seul aspect scientifique et technique ne saurait constituer<br />

l’unique bastion <strong>dans</strong> l’édification d’une posture professionnelle. Il n’est à considérer<br />

que <strong>dans</strong> l’espace plus large d’un questionnement éthique et philosophique qui lui<br />

donne son crédit et sa portée. Car c’est aussi en se référant à <strong>de</strong>s principes<br />

axiologiques, en développant leur posture et <strong>de</strong>s choix assumés que <strong>les</strong><br />

professionnels vont pouvoir développer leur autonomie et habiter pleinement la<br />

dimension <strong>de</strong> la praxis.<br />

Or ici se pose à nouveau la question du sens, et tout particulièrement du sens<br />

donné à la formation. Nous avons été amenée à constater que le courant néo-libéral<br />

qui pénètre <strong>de</strong> plus en plus le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé, s’insère également <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> la formation. On assiste à une intrication complexe <strong>de</strong>s registres économiques,<br />

politiques et organisationnels qui ont <strong>de</strong>s inci<strong>de</strong>nces certaines sur <strong>les</strong> politiques <strong>de</strong><br />

535


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

formation choisies et <strong>les</strong> priorités retenues.<br />

L’activité étant ici, comme à l’hôpital, regardée <strong>dans</strong> sa dimension d’efficience<br />

et <strong>de</strong> rentabilité, elle se voit <strong>de</strong> plus en plus reléguée à <strong>de</strong>s aspects purement<br />

techniques et opérationnels. Elle est défragmentée en une multiplicité d’actions plus<br />

ou moins reliées. Cette disjonction <strong>de</strong> l’activité, qui induit <strong>dans</strong> la formation un mo<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> connaissance réducteur et unifocal, relève d’une atteinte puissante à la cohérence<br />

(Morin, 2000). L’accent est mis sur un savoir technique réifié qui nuit complètement<br />

au processus d’émancipation et <strong>de</strong> subjectivation que ce savoir <strong>de</strong>vrait permettre. Par<br />

ailleurs, ces savoirs sont morcelés et<br />

« l’intelligence parcellaire compartimentée, mécaniste, disjonctive,<br />

réductionniste, brise le complexe du mon<strong>de</strong> en fragments disjoints,<br />

fractionne <strong>les</strong> problèmes, sépare ce qui est relié, unidimensionnalise le<br />

multidimensionnel. C’est une intelligence myope qui finit le plus<br />

souvent par être aveugle. Elle détruit <strong>dans</strong> l’œuf <strong>les</strong> possibilités <strong>de</strong><br />

compréhension et <strong>de</strong> réflexion… » (Morin, 2000, p.44).<br />

Sévère jugement à l’égard d’une conception <strong>de</strong>s savoirs qui s’immisce toujours<br />

davantage <strong>dans</strong> <strong>les</strong> processus <strong>de</strong> formation et qui concourt à faire perdre le sens et la<br />

cohérence <strong>de</strong> la connaissance, et par là-même <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong>s futurs professionnels.<br />

Nous nous trouvons piégés par <strong>de</strong>s courants <strong>de</strong> pensées pragmatiques, dominés par<br />

un paradigme utilitariste (Chauvière, 2011) avec un coût humain en termes <strong>de</strong> santé<br />

psychique qui ne saurait se limiter à être un épiphénomène passager, mais qui au<br />

contraire prend constamment <strong>de</strong> l’ampleur.<br />

Le savoir se voit ainsi assujetti à l’économie <strong>dans</strong> un rapport <strong>de</strong> domination,<br />

<strong>de</strong>s critères économiques prévalant sur <strong>les</strong> critères scientifiques. Ce faisant c’est la<br />

vocation émancipatrice <strong>de</strong> la formation qui est prétéritée. Que ce soit par l’acquisition<br />

<strong>de</strong> compétences développées en vue <strong>de</strong> l’employabilité et en réponse au marché, par<br />

l’accentuation <strong>de</strong> la pensée technique au détriment <strong>de</strong> la pensée philosophique, par le<br />

développement d’une conception <strong>de</strong> la formation qui s’apparente toujours davantage<br />

à une prestation <strong>de</strong> service, <strong>les</strong> cursus répon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> plus en plus à une rationalité<br />

instrumentale, procédurale, orientée vers un but productif final ; c’est la<br />

536


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Zweckrationalität dont parle Weber. Tandis que, lorsque l’auteur évoque la<br />

Wertrationalität, il s’agit d’une rationalité basée avant tout sur le sens <strong>dans</strong> sa<br />

dimension <strong>de</strong> signification, selon un questionnement et une approche<br />

philosophiques et éthiques <strong>de</strong> l’existence.<br />

Tout comme nous avons montré la plus-value accordée par la pratique à<br />

l’action productive, nous <strong>de</strong>vons reconnaître, au terme <strong>de</strong> cette recherche, que le<br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la formation tend aussi à s’orienter, très ouvertement, vers le pôle du<br />

résultat.<br />

« Il faut produire <strong>de</strong>s élèves employab<strong>les</strong> en adaptant <strong>les</strong> cours aux<br />

exigences <strong>de</strong>s employeurs plutôt que <strong>de</strong>s citoyens capable <strong>de</strong> construire<br />

une société du bien-vivre » (De Gaulejac, 2011, p.259).<br />

Osty (2003) écrit, en citant Brangier et al., que la compétence « fabrique un<br />

nouveau modèle <strong>de</strong> l’individu productif », idée soutenue par Wittorski (2011)<br />

selon qui la compétence est une notion apparue avec le mouvement néo-libéral et<br />

s’est développée <strong>dans</strong> <strong>les</strong> années quatre-vingt parallèlement à la notion <strong>de</strong><br />

professionnalisation.<br />

Les compétences citées <strong>dans</strong> l’introduction du présent travail illustrent<br />

parfaitement cette visée technique et productive, Nous avions évoqué l’importance<br />

accordée à la notion d’engagement. Reste à présent à prendre en considération le<br />

contexte <strong>de</strong> cette inscription <strong>de</strong> l’engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> référentiels examinés.<br />

Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor suisse (Annexe 4, p.31):<br />

En tant qu’apprenant-e-s et formateur-trice-s, <strong>les</strong> infirmier-ère-s démontrent,<br />

<strong>de</strong> manière continue, un engagement professionnel fondé sur une pratique<br />

réflexive, ainsi que sur l’utilisation, la création et la diffusion <strong>de</strong> données<br />

probantes.<br />

Référentiel européen <strong>de</strong>s compétences (Annexe 6, p.6):<br />

S’engager <strong>dans</strong> un développement personnel et professionnel. Être acteur <strong>de</strong><br />

sa formation, se construire en professionnel autonome, afin <strong>de</strong> promouvoir la<br />

qualité <strong>de</strong> la pratique professionnelle.<br />

537


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Certes la dimension humaniste est toujours présente, mais semble bien<br />

assujettie aux dimensions pratiques et techniques.<br />

Les données probantes ont en soi <strong>de</strong>s aspects tout à fait positifs. Néanmoins,<br />

dès lors qu’el<strong>les</strong> <strong>de</strong>viennent prépondérantes et que, par une procédure<br />

réductionniste, el<strong>les</strong> servent à définir la profession, cette <strong>de</strong>rnière perd sa substance<br />

vitale dont l’axe central reste la personne humaine. La normalisation <strong>de</strong>s<br />

comportements porte directement atteinte au sens <strong>de</strong> l’activité. La technique<br />

conjuguée à la charge administrative qualifiée <strong>de</strong> procédurite et <strong>de</strong> prescriptophrénie<br />

par De Gaulejac (2011), prend <strong>de</strong> plus en plus le pas sur l’activité soignante et<br />

l’important n’est plus tant la qualité du soin et <strong>de</strong> la relation établie que « la<br />

capacité à traduire son action en variab<strong>les</strong> et à <strong>les</strong> codifier…» (De Gaulejac,<br />

2011, p.177) pour <strong>les</strong> entrer <strong>dans</strong> <strong>les</strong> feuil<strong>les</strong> <strong>de</strong> suivi et d’évaluation <strong>de</strong> la dotation.<br />

L’ingérence <strong>de</strong> la pensée économique est omniprésente.<br />

Que ce soit <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la pratique, tout comme <strong>dans</strong> celui <strong>de</strong> la<br />

formation, on observe d’ailleurs <strong>de</strong>s glissements sémantiques intéressants. Ainsi la<br />

valeur au sens éthique du terme <strong>de</strong>vient valeur marchan<strong>de</strong>, le patient ou l’étudiante<br />

se transforment en clients, le soin s’apparente à une prestation et <strong>les</strong> soignants <strong>de</strong>s<br />

prestataires, le savoir se réduit à un produit et l’engagement n’est plus à considérer<br />

comme engagement par conviction, mais comme engagement par intérêt, en vue<br />

d’un résultat. Loin d’être anodins, ces détournements sémantiques appréhen<strong>de</strong>nt,<br />

selon Supiot (2010, p.142)<br />

« <strong>les</strong> personnes comme <strong>de</strong>s choses et substituent aux catégories<br />

juridiques <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> penser importées <strong>de</strong> la physique ou <strong>de</strong> la<br />

biologie ».<br />

Le champ <strong>de</strong> tension <strong>dans</strong> lequel évoluent professionnels et étudiants, entre<br />

leur idéal et <strong>les</strong> modalités d’exercice est donc bien présent et c’est déjà le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

formation qui doit être attentif à ne pas se laisser assujettir par la pensée mo<strong>de</strong>rne<br />

d’une société où l’économie règne en autorité suprême, et qui veut lui imposer ses<br />

lois et lui dicter ses attentes.<br />

538


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Le risque encouru par cette technicisation n’est autre que la désincarnation <strong>de</strong><br />

l’acte soignant, et la réification <strong>de</strong>s acteurs.<br />

L’accompagnement à l’engagement, une exigence éthique<br />

Face à ce risque, il convient donc <strong>de</strong> remettre l’humain à sa place et<br />

d’accompagner <strong>les</strong> étudiantes à cette posture <strong>de</strong> réflexion et à ce questionnement<br />

philosophique sur l’humanité, et plus précisément sur leur place <strong>dans</strong> cette humanité,<br />

en tant que personnes et en tant que professionnel<strong>les</strong>. La connaissance <strong>de</strong> soi doit<br />

ouvrir ces horizons <strong>de</strong> réflexion et se gar<strong>de</strong>r <strong>de</strong> s’enfermer <strong>dans</strong> une connaissance à<br />

nouveau très instrumentale <strong>de</strong> ses propres fonctionnements, dont le but ne serait<br />

autre que leur modification pour répondre aux attentes du système.<br />

Le questionnement éthique est particulièrement adéquat, car il interroge <strong>les</strong><br />

valeurs et <strong>les</strong> normes. Mais, là encore, ce ne doit pas être une éthique palliative dont<br />

le manteau, réputé vertueux, servirait à couvrir un univers <strong>de</strong> soin <strong>de</strong> plus en plus<br />

déshumanisé. Les valeurs et normes sollicitées doivent être un éclairage sur la<br />

compréhension <strong>de</strong> l’homme et <strong>de</strong> sa place <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>.<br />

Ces valeurs et normes vont aussi être <strong>les</strong> pierres angulaires du sens attribué<br />

aux choses. Or, lorsqu’il y a prise <strong>de</strong> conscience du sens, il y a prise <strong>de</strong> responsabilité,<br />

car l’aptitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’étudiante à donner une direction l’enjoint à assumer sa<br />

responsabilité, mais une responsabilité dont elle saisit <strong>les</strong> enjeux, la portée et l’intérêt,<br />

à la fois pour elle mais également pour l’être vulnérable dont elle a à s’occuper. Une<br />

fois cette conscience ontologique et éthique éveillée, le positionnement est rendu<br />

possible, lequel s’appuie sur <strong>de</strong>s normes et <strong>de</strong>s valeurs d’une communauté face à son<br />

<strong>de</strong>venir et celui <strong>de</strong> ses semblab<strong>les</strong>.<br />

L’engagement, <strong>de</strong>s enjeux éthiques à trois niveaux<br />

L’enjeu éthique <strong>de</strong> l’engagement embrasse <strong>de</strong> fait trois niveaux différents. Le<br />

premier niveau <strong>de</strong> ces enjeux pointe en premier lieu l’acteur même du soin et tout<br />

particulièrement l’étudiante.<br />

La conception technique <strong>de</strong> la formation réduit terriblement <strong>les</strong> potentialités<br />

émancipatoires <strong>de</strong> la connaissance <strong>de</strong> soi. À l’inverse, une conception élargie, inscrite<br />

539


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

<strong>dans</strong> une pensée plus globale et <strong>dans</strong> une histoire, permet à l’individu <strong>de</strong> s’i<strong>de</strong>ntifier<br />

à <strong>de</strong>s valeurs, d’inscrire sa singularité <strong>dans</strong> cette histoire et <strong>de</strong> trouver un sens, à la<br />

fois comme direction, mais aussi comme signification à son <strong>de</strong>venir professionnel et<br />

personnel. En un mot, cette double logique lui permet <strong>de</strong> construire son i<strong>de</strong>ntité, en<br />

consolidant ce qu’il est déjà (dimension <strong>de</strong> mêmeté) et en lui donnant <strong>les</strong> repères<br />

pour évoluer et se développer (dimension d’ipséité) (Ricœur, 1990). La cohérence<br />

construite durant la formation entre <strong>les</strong> valeurs propres et le projet éthique constitue<br />

un socle essentiel à la recherche <strong>de</strong> cohérence <strong>dans</strong> la vie professionnelle. Elle a<br />

valeur <strong>de</strong> gar<strong>de</strong>-fou pour l’étudiante à l’encontre d’un conflit <strong>de</strong> loyauté envers <strong>les</strong><br />

<strong>de</strong>ux mon<strong>de</strong>s qu’elle habite. Pour Moreau, ce déchirement entre la co-existence <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>ux cultures conduit à un dédoublement du soi qui tient d’une tendance schizoï<strong>de</strong> ;<br />

le jeune voit sa personnalité osciller entre ses valeurs personnel<strong>les</strong> et <strong>les</strong> modalités<br />

d’exercice <strong>de</strong> la profession, il est <strong>dans</strong> une posture <strong>de</strong> grand écart entre une volonté<br />

d’adhérer au système et un refus intérieur <strong>de</strong> trahir certains <strong>de</strong> ses référents<br />

axiologiques.<br />

Mais un <strong>de</strong>uxième enjeu éthique <strong>de</strong> l’engagement se situe également au<br />

niveau <strong>de</strong> la profession elle-même.<br />

Si la situation conjoncturelle actuelle n’est certes pas enviable pour ceux qui<br />

œuvrent <strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la santé, nous restons convaincue qu’elle peut aussi<br />

constituer une chance pour la profession infirmière. En effet, <strong>les</strong> infirmières sont<br />

appelées à défendre la profession et à la faire valoir, aux yeux <strong>de</strong>s autorités, mais<br />

aussi vis-à-vis du grand public et, plus spécifiquement encore, vis-à-vis <strong>de</strong> leurs pairs<br />

du milieu médical et <strong>de</strong>s disciplines proches.<br />

Une part <strong>de</strong> cette apologie se fera en démontrant toute la difficulté <strong>de</strong> leurs<br />

tâches multip<strong>les</strong>, la pénibilité du travail quotidien, ainsi que la spécificité réellement<br />

complexe <strong>de</strong> l’activité <strong>de</strong>s infirmières, et le caractère scientifique <strong>de</strong>s interventions<br />

qu’el<strong>les</strong> ont à mener. Mais, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ces activités spécifiques, la défense <strong>de</strong> la<br />

profession passe par la définition <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité. Les infirmières sont indispensab<strong>les</strong>,<br />

comme le dit si bien une professionnelle (P8), et, lorsqu’el<strong>les</strong> s’engagent, el<strong>les</strong> doivent<br />

oser faire valoir ce qu’el<strong>les</strong> sont, et non uniquement ce qu’el<strong>les</strong> font. On prend<br />

540


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

conscience ici du caractère multifocal <strong>de</strong> cette réflexion et du cheminement important<br />

qu’elle sous-entend. Elle doit, par conséquence, être amorcée dès le début <strong>de</strong> la<br />

formation et en constituer une trame centrale tout au long du cursus d’étu<strong>de</strong>s.<br />

Avec la disparition progressive <strong>de</strong> l’influence <strong>de</strong> la science médicale sur la<br />

profession soignante et l’amplification, chez cette <strong>de</strong>rnière, <strong>de</strong> ses rapports avec <strong>les</strong><br />

disciplines connexes, elle est appelée à clarifier sa propre définition ainsi que son<br />

i<strong>de</strong>ntité. Si elle est en mesure d’affirmer cette i<strong>de</strong>ntité, la profession soignante ne peut<br />

alors que tirer profit <strong>de</strong>s apports <strong>de</strong> ces disciplines voisines, <strong>de</strong>s apports qui,<br />

conjugués avec ceux <strong>de</strong>s sciences infirmières, contribuent à édifier cette profession en<br />

participant à son ossature conceptuelle et en lui conférant simultanément un système<br />

d’intelligibilité interne, mais également externe.<br />

Certes <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> sont une profession centrée sur une pratique, mais<br />

cette pratique ne naît pas <strong>de</strong> nulle part, elle est ancrée <strong>dans</strong> une conception <strong>de</strong><br />

l’humain qui lui donne vie, et elle s’inscrit <strong>dans</strong> une dimension résolument collective.<br />

C’est pourquoi il serait erroné <strong>de</strong> s’enliser <strong>dans</strong> le seul registre du savoir, qui plus est<br />

d’un savoir individuel. Si le consensus autour d’un corpus <strong>de</strong> connaissances<br />

spécifiques est nécessaire à la définition i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> la profession, <strong>de</strong>s moments <strong>de</strong><br />

réflexion et d’échanges, entre <strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong> et infirmières <strong>de</strong> différents secteurs et <strong>de</strong><br />

différents horizons, en particulier <strong>de</strong>s mon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la formation et <strong>de</strong> la pratique, sont<br />

comme autant <strong>de</strong> faisceaux <strong>de</strong> motivations dynamiques qui se potentialisent <strong>dans</strong> un<br />

processus itératif, pour finalement permettre le développement d’une i<strong>de</strong>ntité<br />

partagée, mo<strong>de</strong>lée par une élaboration commune <strong>de</strong> sens, comme signification <strong>de</strong><br />

l’action collective <strong>dans</strong> l’histoire.<br />

Il y a fort à parier que la difficulté actuelle <strong>de</strong>s soignants <strong>dans</strong> l’affirmation <strong>de</strong><br />

leur i<strong>de</strong>ntité provient d’un déséquilibre entre une conception du soin très largement<br />

imputée au registre <strong>de</strong> l’action et <strong>de</strong> la technique, conception renforcée par la<br />

rationalisation actuelle, et une conception comme expression du souci <strong>de</strong> l’Autre, <strong>de</strong><br />

l’humain et <strong>de</strong> sa place. Le système, froid et quelque peu machiavélique, voit<br />

l’individu transformé en simple « force <strong>de</strong> travail ». A l’entrai<strong>de</strong> et à la solidarité se<br />

substituent <strong>de</strong> plus en plus souvent la négociation entre <strong>les</strong> détenteurs <strong>de</strong> ressources<br />

stratégiques.<br />

541


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Lorsque nous observons <strong>les</strong> différentes mesures entreprises pour défendre<br />

l’i<strong>de</strong>ntité infirmières ainsi que <strong>les</strong> écrits qui <strong>les</strong> accompagnent, force est <strong>de</strong> constater<br />

que ceux-ci sont très souvent largement axés sur <strong>les</strong> compétences <strong>de</strong> l’infirmière, son<br />

savoir et son savoir-faire (technique et relationnel), ses aptitu<strong>de</strong>s<br />

communicationnel<strong>les</strong>. Mais il est peu fait référence à la dimension collective <strong>de</strong> la<br />

profession, à son inscription <strong>dans</strong> une histoire et à la posture à envisager en regard<br />

<strong>de</strong> cette histoire et du sens, ou <strong>de</strong> la signification, que l’on souhaite voir se<br />

développer au cœur même <strong>de</strong> cette profession. L’engagement se situerait, à notre<br />

sens, à ce niveau. Les personnes interrogées, quelle que soit leur fonction, ont en effet<br />

été quasi unanimes pour affirmer que leur i<strong>de</strong>ntité est à chercher avant tout <strong>dans</strong> leur<br />

rôle propre, c’est-à-dire <strong>dans</strong> la dimension d’autonomie, <strong>de</strong> savoir-être et <strong>de</strong> relation<br />

spécifique au patient. Si donc <strong>les</strong> infirmières revendiquent cette i<strong>de</strong>ntité, il y a alors<br />

lieu d’en faire l’objet d’un engagement ciblé, instillé dès le début <strong>de</strong> la formation. Les<br />

connaissances axiologiques, pratiques et scientifiques, sont <strong>de</strong>s armes <strong>de</strong> choix<br />

permettant <strong>de</strong> mener un combat victorieux vers l’émancipation et la reconnaissance<br />

<strong>de</strong> la profession.<br />

Fort d’un positionnement argumenté au plan <strong>de</strong>s actions, mais aussi <strong>de</strong> la<br />

conscience <strong>de</strong> la profession, <strong>les</strong> jeunes doivent être invités à s’avancer sur la scène<br />

politique et à <strong>de</strong>venir <strong>de</strong>s acteurs pour faire évoluer le système <strong>de</strong> santé. Dans cette<br />

optique, il y a tout un travail <strong>de</strong> sensibilisation et <strong>de</strong> légitimation à effectuer, pour<br />

ai<strong>de</strong>r <strong>les</strong> étudiantes à prendre part et à s’impliquer concrètement <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s débats.<br />

Citant Davies, Dallaire (2008) affirme que ce savoir n’est pas mis en valeur à sa<br />

juste mesure. Les <strong>soins</strong> ne font pas l’objet d’une analyse suffisante et sont<br />

insuffisamment représentés <strong>dans</strong> <strong>les</strong> discours publics.<br />

Dès le départ, ces futures professionnel<strong>les</strong> doivent<br />

« travailler à une meilleure compréhension <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> par le public et,<br />

finalement, poursuivre l’analyse <strong>de</strong> ceux -ci afin <strong>de</strong> trouver <strong>de</strong>s moyens<br />

<strong>de</strong> mieux <strong>les</strong> développer » (Dallaire, 2008, p.470).<br />

El<strong>les</strong> doivent cependant dépasser ce registre purement pragmatique et<br />

instrumental pour expliquer également leur rôle et leurs valeurs au grand public.<br />

542


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Les soignants sont appelés à être sujets <strong>de</strong> leur existence et non objets <strong>de</strong>s<br />

circonstances (Malherbe, 2001). En jetant un « pavé <strong>dans</strong> la mare », Nadot (2012)<br />

rappelle <strong>les</strong> infirmières à cette responsabilité qui est la leur. La responsabilité est<br />

quasi consubstantielle <strong>de</strong> l’humanité du soignant. Cette hésitation à défendre leur<br />

profession, à affirmer un rôle, et ce manque <strong>de</strong> courage pour développer <strong>de</strong>s<br />

connaissances en <strong>les</strong> ordonnant en un corpus qui fasse sens, nuisent à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong>s<br />

infirmières et à leur pouvoir d’action en faveur <strong>de</strong> cette humanité menacée, alors<br />

même qu’el<strong>les</strong> détiennent, et certaines en sont conscientes (T12), un véritable pouvoir<br />

au cœur même <strong>de</strong> la société.<br />

La crise hospitalière actuelle constitue le moment favorable, pour <strong>les</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> et infirmières, <strong>de</strong> s’unir et <strong>de</strong> favoriser un esprit <strong>de</strong> corps autour <strong>de</strong><br />

normes et <strong>de</strong> valeurs communes, <strong>de</strong> réflexions sur <strong>les</strong> leçons à tirer <strong>de</strong> l’héritage<br />

historique, <strong>de</strong> compréhensions du soin et <strong>de</strong> l’altérité, et <strong>de</strong> la revalorisation d’une<br />

dynamique collaborative autour <strong>de</strong> consensus vers une i<strong>de</strong>ntité partagée. Face aux<br />

tumultes qui agitent le secteur <strong>de</strong> la santé et la société <strong>dans</strong> son ensemble, <strong>les</strong><br />

infirmières sont appelées à s’unir et à faire valoir leur profession, en renforçant <strong>les</strong><br />

liens du collectif.<br />

Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> la simple défense <strong>de</strong> leur i<strong>de</strong>ntité professionnelle, <strong>les</strong> soignants<br />

jouent <strong>de</strong> plus en plus un rôle d’avocats auprès <strong>de</strong>s patients (Tschudin, 2003). Peut-<br />

être faut-il penser l’engagement plus précisément sous l’angle <strong>de</strong> la relation du<br />

soignant à la personne, plutôt que <strong>de</strong> sa relation au soin. Cela revient à mettre<br />

l’humain au centre.<br />

Et nous parvenons ici au troisième niveau <strong>de</strong> l’engagement éthique, un<br />

niveau macro qui concerne finalement la société <strong>dans</strong> son ensemble.<br />

La question <strong>de</strong> l’engagement n’est pas une option. Durant la formation, <strong>les</strong> étudiants<br />

doivent être sensibilisés à cette notion, pas seulement en tant qu’engagement <strong>dans</strong><br />

leur activité quotidienne, mais engagement d’une portée beaucoup plus vaste, à un<br />

niveau sociétal. Car l’enjeu <strong>de</strong> cet engagement, s’il se situe à plusieurs niveaux, n’est<br />

toutefois pas tant la défense d’une profession que <strong>dans</strong> la défense d’un humain qui<br />

tend, <strong>de</strong> plus en plus, à être réduit à sa version la plus fonctionnelle, par un système<br />

543


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

économique soucieux d‘atteindre l’efficience maximale. Après l’euphorie<br />

prométhéenne qui fit croire au mythe <strong>de</strong> la santé parfaite, l’enjeu est à présent <strong>de</strong><br />

rendre compatible l’évolution démographique et sociale, avec <strong>les</strong> ressources à<br />

disposition, sans pour autant oublier que l’être humain se trouve au cœur <strong>de</strong> ces<br />

échanges.<br />

Nous avons pu remarquer, à différentes reprises, combien la personne, que ce<br />

soit le soignant ou le patient, tend à perdre sa place <strong>dans</strong> le contexte <strong>de</strong> travail actuel.<br />

Or si le soignant ne peut pas agir sur <strong>de</strong>s facteurs comme la crise économique et <strong>les</strong><br />

mesures <strong>de</strong> restrictions qui l’accompagnent, il peut en revanche agir sur d’autres<br />

facteurs qui relèvent, quant à eux, directement ou non <strong>de</strong> politiques <strong>de</strong> gestion. Les<br />

soignants veulent agir et ils n’ont pas peur du défi, mais ils veulent l’affronter en<br />

pouvant s’engager avec l’assurance d’être soutenus et reconnus, et en y trouvant le<br />

sens adéquat, c’est-à-dire en s’engageant pour recentrer le débat sur l’essentiel : la<br />

personne humaine. Il doit donc y avoir un mouvement parallèle d’une humanisation<br />

<strong>de</strong>s pratiques soignantes avec une humanisation <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail <strong>de</strong>s<br />

soignants, rendant possible le souci <strong>de</strong> l’humain. L’assertion est d’apparence banale,<br />

mais elle renferme le secret d’un <strong>de</strong>venir véritablement viable et il s’agit pour cela <strong>de</strong><br />

déjouer <strong>les</strong> discours managériaux qui opacifient <strong>les</strong> difficultés réel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s soignants<br />

pour amener ceux-ci à prendre position sur la place publique, au nom <strong>de</strong> l’humanité.<br />

Il faut faire en sorte que <strong>les</strong> soignants engagés, caractérisés par une <strong>de</strong>s praticiennes<br />

interrogées <strong>de</strong> « gens vivants », restent réellement vivants. Car « le soin n’est autre<br />

que l’expression agissante <strong>de</strong> notre humanité », comme le confirme Svandra<br />

(2009b, p.11). Face à cette tendance sociétale <strong>de</strong> négation d’un être humain,<br />

subitement frappé d’ostracisme, le soin, loin <strong>de</strong> n’être qu’une finalité en soi, pourrait<br />

même avoir pour vocation <strong>de</strong> constituer un modèle relationnel et une éthique <strong>de</strong> la<br />

relation humaine (Svandra, 2009b).<br />

Dans cette forme d’engagement au niveau sociétal, l’éthique occupe une place<br />

privilégiée (Bolly, 2010). L’éthique permet d’accompagner l’engagement <strong>dans</strong> son<br />

mouvement dynamique à partir du sens et sa fonction créatrice d’avenir, tout en<br />

respectant à la fois la dimension déontologique et la dimension téléologique, comme<br />

le souligne Rameix (1996, p. 87) en expliquant qu’être<br />

544


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

« éthique, c’est accepter et vivre le conflit du bien à faire et du <strong>de</strong>voir<br />

à accomplir, comme si la <strong>de</strong>stination <strong>de</strong> l’homme était d’en sortir <strong>dans</strong><br />

un mon<strong>de</strong> meilleur qui n’est pas à atteindre, mais à construire ».<br />

Vivre ce conflit n’est pas du ressort <strong>de</strong> l’inné ou <strong>de</strong> l’évi<strong>de</strong>nce. Cela nécessite<br />

une préparation et un cheminement, tant sur le plan <strong>de</strong>s concepts qu’au niveau <strong>de</strong> la<br />

connaissance <strong>de</strong> soi, <strong>de</strong> ses valeurs et <strong>de</strong> ses motivations.<br />

En ce sens l’école a un rôle déterminant à jouer et se doit <strong>de</strong> prendre cette tâche au<br />

sérieux, tout particulièrement face au contexte actuel qui caractérise l’exercice <strong>de</strong>s<br />

<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, et pas uniquement ce contexte puisque pour Bobineau la<br />

problématique est nettement plus profon<strong>de</strong> (2010a, p.74) :<br />

« ce n’est plus tant la question <strong>de</strong> vivre ensemble, <strong>de</strong> co -exister et <strong>de</strong><br />

réguler la vie collective <strong>de</strong> manière stable, mais la question <strong>de</strong> la survie<br />

<strong>de</strong> l’humanité qui est en jeu ».<br />

Et l’engagement a ici un rôle déterminant à jouer pour stimuler <strong>de</strong>s actions<br />

individuel<strong>les</strong>, mais aussi et surtout collectives, qui vont permettre d’assurer cette<br />

survie et <strong>de</strong> lui donner un sens… humain. De Gaulejac (2003, p.148) citant Chanlat<br />

souligne<br />

« la pression idéologique qui impose à l’ensemble <strong>de</strong> la société <strong>de</strong>s<br />

principes utilitaristes et productifs », chaque individu <strong>de</strong>vant « faire la<br />

preuve <strong>de</strong> son utilité sociale en s’adaptant aux be<strong>soins</strong> du marché du<br />

travail… ».<br />

Le retour à une éthique anthropocentrée est nécessaire, une éthique qui a entre autres<br />

pour objectifs<br />

« l’humanisation <strong>de</strong> l’humanité, le respect en autrui <strong>de</strong> sa différence<br />

d’avec soi et son i<strong>de</strong>ntité d’avec soi, le développement <strong>de</strong> la solidarité et<br />

<strong>de</strong> la compréhension… » (Morin, 2000, p.120).<br />

Ainsi le modèle que nous avions élaboré pour permettre la réflexion<br />

545


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

autour d’un accompagnement à la construction <strong>de</strong> l’engagement professionnel a le<br />

mérite d’interpeller ces trois niveaux d’engagement <strong>dans</strong> leur dimension éthique. Il<br />

ne se veut pas un modèle linéaire, exhaustif et qui se déroulerait sur un continuum<br />

<strong>dans</strong> une chronologie précise, mais bien davantage une sorte <strong>de</strong> vue synoptique<br />

mettant en relief <strong>les</strong> différents paramètres influençant l’engagement, que ce soit au<br />

niveau du soignant lui-même, <strong>de</strong> sa profession ou encore au niveau général du<br />

contexte sociétal <strong>dans</strong> lequel s’inscrit l’acte <strong>de</strong> soin. Le modèle est alors compris<br />

comme outil <strong>de</strong> travail, servant <strong>de</strong> référence à <strong>de</strong>s réflexions philosophiques et<br />

éthiques plus approfondies à partir <strong>de</strong> la pratique, et permettant ensuite un retour<br />

vers cette même pratique avec <strong>les</strong> ressources puisées en amont <strong>dans</strong> le dialogue et la<br />

réflexion.<br />

L’impact i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> cette forme d’engagement n’étant pas à sous-<br />

estimer, mais bien au contraire à souligner.<br />

La confirmation <strong>de</strong>s réflexions réalisées autour <strong>de</strong> ce schéma et <strong>les</strong> aménagements<br />

apportés au terme <strong>de</strong> cette recherche, permettent d’envisager à présent <strong>de</strong>s<br />

perspectives plus concrètes, que ce soit en termes d’actions ou <strong>de</strong> recherches.<br />

Perspectives et recommandations<br />

En Suisse, il n’existe pas <strong>de</strong> loi qui dit ce que fait une infirmière, ni <strong>de</strong> quelle<br />

formation elle a besoin. Il n’est non plus nulle part fait mention <strong>de</strong> qui <strong>les</strong> protège et<br />

qui protège leur titre. Il s’agit <strong>de</strong> ne pas rester suspendu à un dolorisme peu<br />

constructif, mais d’œuvrer, en développant <strong>les</strong> atouts nécessaires, pour faire<br />

reconnaître cette place qui appartient <strong>de</strong> droit à ces professionnels dévoués à leurs<br />

semblab<strong>les</strong>.<br />

Une enseignante rappelle que nous avons une responsabilité si nous ne<br />

voulons pas que notre profession meure (T1). Il ne s’agit pas <strong>de</strong> vouloir s’émanciper<br />

pour <strong>de</strong>venir une profession totalement autonome, ce serait là un objectif qui ne<br />

serait ni viable ni raisonnable. Il s’agit bien davantage <strong>de</strong> penser l’émancipation <strong>dans</strong><br />

un contexte grandissant d’interdisciplinarité où chacun doit bien se connaître, afin <strong>de</strong><br />

faire valoir l’i<strong>de</strong>ntité propre à sa discipline, pour coopérer <strong>dans</strong> une complémentarité<br />

efficace.<br />

546


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

À l’encontre du défaitisme, <strong>les</strong> soignants sont donc appelés à faire reconnaître<br />

leur profession. Dans ce sens, nous retiendrons l’usage récurrent d’expressions en<br />

lien avec l’idée <strong>de</strong> confrontation qui invitent <strong>les</strong> infirmières au combat, mais avec <strong>de</strong>s<br />

armes bien réfléchies, <strong>de</strong>s savoirs argumentés et une posture axiologique intégrée à<br />

une vision éthique <strong>de</strong> l’humain. Et nous rappellerons le mot d’ordre <strong>de</strong> cet étudiant<br />

pour qui c’est une évi<strong>de</strong>nce : « c’est à nous <strong>de</strong> changer <strong>les</strong> choses (E18) », c’est la<br />

responsabilité <strong>de</strong> chacun (P10) <strong>de</strong> ne pas <strong>de</strong>venir <strong>de</strong> simp<strong>les</strong> exécutants, mais d’être<br />

<strong>de</strong>s locomotives qui « entraînent… <strong>dans</strong> leur sillage le reste <strong>de</strong> l’équipe (E4) »<br />

et qui défen<strong>de</strong>nt à la fois <strong>les</strong> intérêts <strong>de</strong> la profession, mais aussi ceux <strong>de</strong> la société en<br />

général. Cependant, pour jouer ce rôle <strong>de</strong> moteur, encore faut-il en voir le sens.<br />

On peut difficilement nier l’impact <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail actuel, en<br />

particulier en lien avec la crise économique et sociale que traverse le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la<br />

santé, sur le processus personnel d’engagement et cette propension à jouer le rôle <strong>de</strong><br />

locomotive. Mais l’inscription <strong>de</strong> la profession <strong>dans</strong> une vision plus large permet<br />

d’entrevoir la crise actuelle comme l’opportunité d’une remise en question <strong>de</strong> la<br />

profession avec tout son héritage historique, ses i<strong>de</strong>ntités multip<strong>les</strong> et souvent<br />

inabouties, son image sociale peu valorisée, souvent à <strong>de</strong>s lieues <strong>de</strong> la réalité. La<br />

gageure que représente cette remise en question trouve écho <strong>dans</strong> l’affirmation d’un<br />

enseignant pour qui « c’est lorsque l’on a perdu le sens que l’on peut découvrir<br />

l’essence (T15)». Une perte <strong>de</strong> sens <strong>de</strong> l’activité soignante constitue, sans aucun<br />

doute, une opportunité <strong>de</strong> pouvoir réfléchir à ce qui doit en constituer sa réelle<br />

substance et son sens, en tant que finalité, mais surtout en tant que signification pour<br />

l’humain. Vaste défi lancé à la formation et aux formateurs.<br />

Perspectives au niveau <strong>de</strong> la formation<br />

Il s’agit donc <strong>de</strong> repenser l’engagement à la lumière <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux dimensions,<br />

en démontrant son utilité, sa pertinence et sa puissance, ce dès le début <strong>de</strong> la<br />

formation, en le pensant comme un processus complexe et progressif d’assimilation<br />

d’une i<strong>de</strong>ntité collectivement légitimée et encouragée.<br />

547


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

Nos recommandations vont <strong>dans</strong> le sens d’un accompagnement spécifique et<br />

organisé sur la durée <strong>de</strong> la formation, visant à ce que l’étudiante apprenne à se<br />

connaître, à connaître ses valeurs, à i<strong>de</strong>ntifier le rôle qu’elle veut jouer <strong>dans</strong> cet<br />

univers professionnel, et à savoir développer <strong>de</strong>s ressources à la fois personnel<strong>les</strong><br />

mais également mobilisab<strong>les</strong> à l’extérieur.<br />

Ce cheminement doit être accompagné <strong>de</strong> manière spécifique par <strong>de</strong>s<br />

enseignants formés qui la rendront capable <strong>de</strong> construire du sens autour <strong>de</strong> son<br />

activité et ainsi <strong>de</strong> mieux pouvoir affronter <strong>les</strong> aléas <strong>de</strong> la pratique, en se positionnant<br />

<strong>de</strong> façon argumentée pour défendre ses idéaux. Foucault se réfère à Sénèque pour<br />

souligner la nécessaire présence d’un gui<strong>de</strong>, le jeune n’étant pas capable <strong>de</strong> sortir <strong>de</strong><br />

son état inculte (stultitia) tout seul : « il a besoin qu’on lui ten<strong>de</strong> la main et<br />

qu’on l’en tire ». (Foucault, 2001, p.477). L’accompagnant a le rôle <strong>de</strong> « passeur » au<br />

sens <strong>de</strong> Sénèque. Il a pour but <strong>de</strong> transmettre son savoir et <strong>de</strong> jouer le rôle d’exemple<br />

en indiquant la direction à suivre. La formation ne vise pas l’unité <strong>de</strong> doctrine, mais<br />

bien l’unité en direction d’une vie éthique cohérente.<br />

L’accompagnateur est donc celui qui donne la boussole et la carte (Fabre,<br />

2010), mais aussi celui qui intercè<strong>de</strong> auprès <strong>de</strong> l’étudiante pour l’ai<strong>de</strong>r à se construire<br />

et à créer <strong>de</strong> la cohérence <strong>dans</strong> un contexte toujours plus disloqué et parcellarisé.<br />

L’accompagnateur reconnaît l’étudiante à la fois <strong>dans</strong> sa dimension <strong>de</strong><br />

mêmeté et l’ai<strong>de</strong> à se développer <strong>dans</strong> son ipséité (Ricœur, 2004) afin qu’elle<br />

parvienne au bout <strong>de</strong> sa reconnaissance <strong>de</strong> soignante en perpétuel développement.<br />

Et Jorro <strong>de</strong> préciser que<br />

« <strong>dans</strong> le contexte <strong>de</strong> la formation, c’est le maillage <strong>de</strong> la connaissance<br />

et <strong>de</strong> la reconnaissance qui interroge la manière dont le formateur<br />

s’enquiert <strong>de</strong>s processus <strong>de</strong> changement vécus par le stagiaire » (Jorro,<br />

2009, p.186).<br />

Foucault reprenant Sénèque insiste sur l’importance <strong>de</strong>s exercices personnels<br />

d’expression tels que <strong>les</strong> journaux <strong>de</strong> bord, <strong>les</strong> notes <strong>de</strong> lecture, la mise sur papier <strong>de</strong><br />

ses réflexions personnel<strong>les</strong>, <strong>les</strong> écrits que nous nommerions aujourd’hui portfolios, le<br />

dialogue et <strong>les</strong> débats… Ces supports constituent, aujourd’hui encore, <strong>de</strong>s moyens<br />

548


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

privilégiés pour que le sujet puisse s’approprier à lui-même et comprendre son rôle<br />

<strong>dans</strong> sa profession.<br />

Nourrie <strong>de</strong> ces réflexions, l’étudiante sera alors à même <strong>de</strong> pouvoir s’engager<br />

pleinement et sainement, mais <strong>de</strong> manière raisonnée. Ces considérations nous<br />

conduisent à souligner la nécessité évoquée <strong>de</strong> promouvoir la connaissance <strong>de</strong> soi, en<br />

tant qu’elle ouvre la voie à ce questionnement plus large sur le soi au cœur <strong>de</strong><br />

l’existence.<br />

La pratique réflexive constitue, sans nul doute, une <strong>de</strong>s clefs <strong>de</strong> voûte vers la<br />

construction d’une i<strong>de</strong>ntité professionnelle affermie et orientée vers <strong>les</strong> valeurs<br />

humanistes qui fon<strong>de</strong>nt la profession. Elle permet <strong>de</strong> soustraire l’individu à une<br />

épreuve solitaire qui peut être particulièrement anxiogène et lui offrir <strong>de</strong>s pistes <strong>de</strong><br />

compréhension insoupçonnées, <strong>dans</strong> un espace privilégié <strong>de</strong> dialogue et <strong>de</strong> respect<br />

permettant l’expression <strong>de</strong>s émotions.<br />

Par la pratique réflexive il est possible <strong>de</strong> travailler sur <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux niveaux <strong>de</strong><br />

compréhension auxquels le sujet en formation <strong>de</strong>vrait pouvoir accé<strong>de</strong>r, selon Morin<br />

(2000) : le niveau intellectuel, celui du savoir intelligible, <strong>de</strong> l’explication et <strong>de</strong> la<br />

démonstration, ainsi que le niveau humain, celui <strong>de</strong> l’intersubjectivité et <strong>de</strong><br />

l’inscription <strong>de</strong> l’être <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> le rapport avec ses semblab<strong>les</strong>, à la fois<br />

i<strong>de</strong>ntiques et différents. La pensée réflexive concourt à la reconnaissance <strong>de</strong> la<br />

professionnalité émergente <strong>de</strong> l’étudiante (Jorro & De Ketele, 2011).<br />

Mais penser <strong>de</strong>man<strong>de</strong> du temps, dialoguer implique <strong>de</strong>s tiers, réfléchir<br />

suppose une remise en question permanente, conditions a priori peu compatib<strong>les</strong><br />

avec le rythme <strong>de</strong> <strong>soins</strong> actuel, basé sur un modèle <strong>de</strong> flux tendus. Et pourtant nous<br />

réalisons à quel point elle est primordiale ! L’utilisation constante <strong>de</strong> la réflexion sur<br />

soi, durant la formation, doit avoir comme objectif <strong>de</strong> sensibiliser <strong>les</strong> étudiantes à<br />

cette dimension <strong>de</strong> l’être et à son importance pour <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, afin qu’el<strong>les</strong> soient à<br />

même d’en défendre le développement <strong>dans</strong> leur champ d’activités.<br />

Les formateurs doivent être vigilants pour ne pas travailler uniquement sur<br />

l’objet, mais également sur l’Être. Les établissements <strong>de</strong> formation, quant à eux,<br />

doivent veiller à ne pas cé<strong>de</strong>r à <strong>de</strong>s injonctions externes, visant l’adaptation au<br />

549


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

système, en promouvant <strong>de</strong> manière préférentielle un catalogue <strong>de</strong> techniques et <strong>de</strong><br />

procédures, avec <strong>les</strong> effets d’enfermement désastreux que l’on peut imaginer. Ils<br />

doivent, au contraire, veiller à réinsuffler du sens et <strong>de</strong>s valeurs, là où ceux-ci<br />

s’estompent ou disparaissent à l’arrière-plan.<br />

Par ailleurs, <strong>de</strong> par la difficulté <strong>de</strong> la profession à s’affirmer <strong>dans</strong> son i<strong>de</strong>ntité,<br />

mais également en raison <strong>de</strong> l’écart grandissant entre l’idéal soignant professé à<br />

l’école et <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> sa mise en pratique en institution, un travail <strong>de</strong> co-<br />

construction <strong>de</strong> sens, <strong>de</strong> connaissances et d’expériences entre lieux <strong>de</strong> formation,<br />

lieux <strong>de</strong> pratique et étudiants, prendrait ici tout son sens, constituant une dynamique<br />

extrêmement favorable à une co-élaboration <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité infirmière. L’objectif serait<br />

un construit commun auquel pourrait participer l’étudiante, plutôt que <strong>de</strong> se trouver<br />

aux prises entre <strong>de</strong>s logiques parfois très divergentes et déstabilisantes.<br />

Sur le plan <strong>de</strong> la recherche, le présent travail nécessiterait <strong>de</strong>s prolongements<br />

pour cerner plus précisément quels sont <strong>les</strong> éléments (moments pédagogiques,<br />

confrontations à la réalité pratique lors <strong>de</strong>s stages, rencontres, apprentissages…) qui<br />

concourent au développement professionnel <strong>de</strong> l’étudiante et quel lien unit, en fin <strong>de</strong><br />

compte, ce développement professionnel avec l’engagement <strong>dans</strong> la profession.<br />

Mieux comprendre ces différents facteurs d’influence et leur impact respectif<br />

permettrait <strong>de</strong> pouvoir <strong>les</strong> intégrer <strong>dans</strong> le cheminement <strong>de</strong> l’étudiante sur son<br />

engagement personnel.<br />

En amont il s’agirait <strong>de</strong> mettre en évi<strong>de</strong>nce, par différentes recherches, le<br />

glissement <strong>de</strong> la formation vers un versant techniciste et instrumental et d’en<br />

montrer <strong>les</strong> limites, voire <strong>les</strong> dangers. Par opposition il serait également nécessaire <strong>de</strong><br />

montrer le caractère fondamental <strong>de</strong> la centration sur l’humain <strong>dans</strong> la pratique<br />

infirmière et <strong>dans</strong> la formation, ainsi que l’importance d’une réflexion sur sa place<br />

personnelle <strong>dans</strong> son univers professionnel, et au-<strong>de</strong>là <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> en général.<br />

C’est ici la dimension éthique qui est convoquée comme repère axiologique <strong>de</strong> tous<br />

ces processus mis en place <strong>dans</strong> notre société et clé d’intelligibilité quant aux valeurs<br />

qui gui<strong>de</strong>nt l’action humaine. L’éthique permet une remise en question constante,<br />

550


QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

réfléchie et argumentée, <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments <strong>de</strong> notre mon<strong>de</strong> personnel, professionnel et<br />

social.<br />

Des recherches similaires pourraient sans nul doute être conduites <strong>dans</strong><br />

d’autres milieux, tels que l’enseignement, le travail social ou tout autre domaine<br />

organisé autour <strong>de</strong> la relation humaine. De nombreux auteurs mettent en évi<strong>de</strong>nce la<br />

présence <strong>de</strong> problématiques similaires (Chauvière, 2011).<br />

Pour conclure<br />

Certes, nos entretiens le soulignent largement, il y a réellement un combat qui<br />

fait rage <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé occi<strong>de</strong>ntal actuel, mais il convient <strong>de</strong> ne pas se<br />

tromper <strong>de</strong> combat. La réflexion sur l’engagement est centrale, car l’engagement qui<br />

est <strong>de</strong>mandé <strong>de</strong> la part du soignant n’est plus seulement un engagement au chevet<br />

d’un patient. Il ne se résume pas à une finalité instrumentale mais il est un<br />

engagement pour redonner <strong>de</strong> la cohérence à une profession, du sens à une activité<br />

soignante, et surtout <strong>de</strong> l’humain au milieu <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> (P10) et <strong>de</strong> la cohésion à une<br />

société. Car, finalement, « l’engagement est l’ultime support qui procure un<br />

sens à l’existence <strong>dans</strong> son ensemble :"Exister est synonyme <strong>de</strong> s’engager ". »<br />

(Savadogo, 2008, p.60).<br />

Il ne s’agit pas <strong>de</strong> s’achopper à une vision purement manichéenne du système<br />

en gémissant sur notre propre impuissance, mais bien davantage d’agir, chacun <strong>dans</strong><br />

son champ <strong>de</strong> responsabilité et d’autonomie, à la mesure <strong>de</strong> ses capacités, pour<br />

promouvoir la réflexion <strong>dans</strong> une optique d’une prise <strong>de</strong> conscience partagée et une<br />

recherche <strong>de</strong> solution au sein du collectif, qui soit le fon<strong>de</strong>ment d’un engagement fort<br />

et pérenne.<br />

L’engagement est avant tout un engagement pour la cohésion sociale et <strong>dans</strong><br />

ce sens nous gardons fermement à l’esprit l’exigence kantienne qui veut que<br />

l’humain soit considéré toujours comme une fin et jamais comme un moyen. Une<br />

voie décisive pour l’avenir (Morin, 2011) et qui constitue un salutaire rappel en ces<br />

temps d’injonction à la compétitivité et à la rentabilité.<br />

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QUATRIÈME PARTIE – RÉSULTATS ET ANALYSES<br />

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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

CINQUIÈME<br />

PARTIE : ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

ANNEXE A : LISTE RÉCAPITULATIVE DES ANNEXES<br />

Annexe 01 Catégorisation <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens sous forme <strong>de</strong> DVD<br />

(média joint à ce document).<br />

Annexe 02 Décret <strong>de</strong> compétences , Art. 1 &2).<br />

Annexe 03 Référentiel <strong>de</strong> compétence, HES.<br />

Annexe 04 Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor, 2012.<br />

Annexe 05 Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’Infirmier.<br />

Annexe 06 Référentiel européen <strong>de</strong> compétences en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, 2008.<br />

Annexe 07 Données <strong>de</strong> la phase exploratoire.<br />

Annexe 08 Grille du questionnaire.<br />

Annexe 09 Trame pour <strong>les</strong> entretiens semi-directifs.<br />

Annexe 10 L’ensemble <strong>de</strong>s questionnaires est disponible sous forme <strong>de</strong> DVD<br />

(média joint à ce document).<br />

Annexe 11 Traitement Excel <strong>de</strong>s questionnaires.<br />

Annexe 12 Analyse <strong>de</strong>s questions ouvertes.<br />

Annexe 13 Arbre thématique par catégories.<br />

Annexe 14 Catégorisation externe <strong>de</strong> trois entretiens.<br />

Annexe 14.1 Tableau d’entretien DPM 0039<br />

Annexe 14.2 Tableau d’entretien DPM 0044<br />

555


CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

Annexe 14.3 Tableau d’entretien DPM 0062<br />

Annexe 15 Analyse linéaire <strong>de</strong>s six entretiens.<br />

Annexe 15.1 Analyse linéaire (E18 : étudiant)<br />

Annexe 15.2 Analyse linéaire (E26 : étudiant)<br />

Annexe 15.3 Analyse linéaire (P3 : praticien formateur)<br />

Annexe 15.4 Analyse linéaire (P11 : praticien formateur)<br />

Annexe 15.5 Analyse linéaire (T14 : enseignant)<br />

Annexe 15.6 Analyse linéaire (T15 : enseignant)<br />

Annexe 16 Liste récapitulative: in<strong>de</strong>x <strong>de</strong>s figures.<br />

Figure 01 « Santé Éthique et Liberté », 3.3.2.2, p.93.<br />

Figure 02 « Schéma <strong>de</strong> l’engagement », Chapitre 11, p.231 et Chapitre 21,<br />

p.466.<br />

Figure 03 « Dispositif <strong>de</strong> recherche », 17.4, p.296.<br />

Figure 04 « Degré d’engagement professionnel », 18.1, p.300.<br />

Figure 05 « Facteurs d’engagement », 18.2, p.302.<br />

Figure 06 « Engagement et énergie / persévérance », 18.3, p.303.<br />

Figure 07 « Sentiment d’efficacité », 18.3, p.303.<br />

Figure 08 « Sentiment d’absorption <strong>dans</strong> l’activité », 18.3, p.304.<br />

Figure 09 « Résultats <strong>de</strong> l’engagement », 18.4, p.305.<br />

Figure 10 « L’engagement comme prise <strong>de</strong> risque », 18.4.1, p.306.<br />

Figure 11 « Indifférence et engagement », 18.4.2, p.307.<br />

Figure 12 « Rôle professionnel, éthique et engagement », 18.4.3, p.307.<br />

Figure 13 « Déontologie et éthique selon Ricœur », p.197.<br />

Figure 14 « Triangle éthique revisité », p.222.<br />

Annexe 17 Liste récapitulative: in<strong>de</strong>x <strong>de</strong>s tableaux.<br />

Tableau 01 « Caractéristiques du soin », 1.2, p.29-30.<br />

Tableau 02 « Objectifs prioritaires <strong>de</strong> la recherche », 10.3, p. 223.<br />

Tableau 03 « Hypothèses <strong>de</strong> recherche »,11.2, 2345.<br />

Tableau 04 « Hypothèse 1 », 11.2, p.237.<br />

556


CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

Tableau 05 « Hypothèse 2 » 11.2, p.238.<br />

Tableau 06 « Hypothèse 3 », 11,2, p.239.<br />

Tableau 07 « Hypothèse 4 »,1.2, p.240.<br />

Tableau 08 « Hypothèse 5 », 11.2, p. 241.<br />

Tableau 09 « Principaux concepts en lien avec <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> », 12.1, 247.<br />

Tableau 10 « Principaux concepts en lien avec l’éthique », 11.2, p.248.<br />

Tableau 11 « Principaux concepts en lien avec l’i<strong>de</strong>ntité », 11.2, 249.<br />

Tableau 12 « Principaux concepts en lien avec la formation », 11.2, p.250.<br />

Tableau 13 « Principaux concepts en lien avec l’engagement », 11.2, p.251.<br />

Tableau 14 « Modèle <strong>de</strong> traitement pour l’analyse linéaire », 16.4, p.283.<br />

Tableau 15 « Modèle <strong>de</strong> traitement pour l’analyse transversale ». Chapitre 19,<br />

p.309.<br />

Tableau 16 « Valeurs essentiel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> l’exercice <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> », 19.2.1,<br />

p.318.<br />

557


CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

558


Annexe 2<br />

CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

JORF n°40 du 16 février 2002<br />

Texte n°18<br />

DECRET<br />

Décret n° 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à<br />

l’exercice <strong>de</strong> la profession d’infirmier<br />

Le Premier ministre,<br />

NOR: MESP0220026D<br />

Sur le rapport <strong>de</strong> la ministre <strong>de</strong> l’emploi et <strong>de</strong> la solidarité et du ministre délégué à la<br />

santé,<br />

Vu le co<strong>de</strong> <strong>de</strong> la santé publique ;<br />

Vu le décret n° 90-1118 du 18 décembre 1990 modifiant le décret n° 47-1544 du 13<br />

août 1947 instituant un diplôme d’Etat <strong>de</strong> puériculture ;<br />

Vu le décret n° 91-1281 du 17 décembre 1991 modifiant le décret n° 88-903 du 30<br />

août 1988 créant un certificat d’aptitu<strong>de</strong> aux fonctions d’infirmier spécialisé en<br />

anesthésie-réanimation ;<br />

Vu le décret n° 92-48 du 13 janvier 1992 modifiant le décret n° 71-388 du 21 mai<br />

1971 portant création d’un certificat d’aptitu<strong>de</strong> aux fonctions d’infirmier <strong>de</strong> salle<br />

d’opération ;<br />

Vu le décret n° 93-221 du 16 février 1993 relatif aux règ<strong>les</strong> professionnel<strong>les</strong> <strong>de</strong>s<br />

<strong>infirmiers</strong> et <strong>de</strong>s infirmières ;<br />

Vu l’avis <strong>de</strong> la commission <strong>de</strong>s <strong>infirmiers</strong> du Conseil supérieur <strong>de</strong>s professions<br />

paramédica<strong>les</strong> en date du 23 février 2001 ;<br />

Vu l’avis <strong>de</strong> l’Académie nationale <strong>de</strong> mé<strong>de</strong>cine en date du 26 juin 2001 ;<br />

Le Conseil d’Etat (section sociale) entendu,<br />

Décrète :<br />

Article 1<br />

559


CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

L’exercice <strong>de</strong> la profession d’infirmier comporte l’analyse, l’organisation, la réalisation<br />

<strong>de</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et leur évaluation, la contribution au recueil <strong>de</strong> données cliniques<br />

et épidémiologiques et la participation à <strong>de</strong>s actions <strong>de</strong> prévention, <strong>de</strong> dépistage, <strong>de</strong><br />

formation et d’éducation à la santé. Dans l’ensemble <strong>de</strong> ces activités, <strong>les</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

sont soumis au respect <strong>de</strong>s règ<strong>les</strong> professionnel<strong>les</strong> et notamment du secret<br />

professionnel. Ils exercent leur activité en relation avec <strong>les</strong> autres professionnels du<br />

secteur <strong>de</strong> la santé, du secteur social et médico-social et du secteur éducatif.<br />

Article 2<br />

Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>, préventifs, curatifs ou palliatifs, intègrent qualité technique et<br />

qualité <strong>de</strong>s relations avec le mala<strong>de</strong>. Ils sont réalisés en tenant compte <strong>de</strong> l’évolution<br />

<strong>de</strong>s sciences et <strong>de</strong>s techniques. Ils ont pour objet, <strong>dans</strong> le respect <strong>de</strong>s droits <strong>de</strong> la<br />

personne, <strong>dans</strong> le souci <strong>de</strong> son éducation à la santé et en tenant compte <strong>de</strong> la<br />

personnalité <strong>de</strong> celle-ci <strong>dans</strong> ses composantes physiologique, psychologique,<br />

économique, sociale et culturelle :<br />

1° De protéger, maintenir, restaurer et promouvoir la santé physique et mentale <strong>de</strong>s<br />

personnes ou l’autonomie <strong>de</strong> leurs fonctions vita<strong>les</strong> physiques et psychiques en vue<br />

<strong>de</strong> favoriser leur maintien, leur insertion ou leur réinsertion <strong>dans</strong> leur cadre <strong>de</strong> vie<br />

familial ou social ;<br />

2° De concourir à la mise en place <strong>de</strong> métho<strong>de</strong>s et au recueil <strong>de</strong>s informations uti<strong>les</strong><br />

aux autres professionnels, et notamment aux mé<strong>de</strong>cins pour poser leur diagnostic et<br />

évaluer l’effet <strong>de</strong> leurs prescriptions ;<br />

3° De participer à l’évaluation du <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> dépendance <strong>de</strong>s personnes ;<br />

4° De contribuer à la mise en oeuvre <strong>de</strong>s traitements en participant à la surveillance<br />

clinique et à l’application <strong>de</strong>s prescriptions médica<strong>les</strong> contenues, le cas échéant,<br />

<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s protoco<strong>les</strong> établis à l’initiative du ou <strong>de</strong>s mé<strong>de</strong>cins prescripteurs ;<br />

5° De participer à la prévention, à l’évaluation et au soulagement <strong>de</strong> la douleur et <strong>de</strong><br />

la détresse physique et psychique <strong>de</strong>s personnes, particulièrement en fin <strong>de</strong> vie au<br />

moyen <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> palliatifs, et d’accompagner, en tant que <strong>de</strong> besoin, leur entourage.<br />

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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

Annexe 3 : Référentiel <strong>de</strong> compétences en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

Annexe 4 : Plan d’étu<strong>de</strong>s Bachelor, 2012.<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Annexe 5 : Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’Infirmier.<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Annexe 6 : Référentiel européen <strong>de</strong> compétences en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

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CINQUIÈME PARTIE – ANNEXES<br />

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Annexes 7<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

DONNÉES DE LA PHASE EXPLORATOIRE<br />

Cette phase a été menée <strong>dans</strong> un IFSI français afin <strong>de</strong> ne pas empiéter sur la<br />

population susceptible <strong>de</strong> participer à la recherche ultérieure. Même si certains<br />

éléments sont certes différents, <strong>les</strong> problématiques centra<strong>les</strong>, en particulier liées à<br />

l’engagement et à sa dimension éthique, conservent un caractère suffisamment<br />

semblable pour que cette phase ait pu constituer une amorce pertinente au<br />

développement <strong>de</strong>s entretiens qui ont suivi en Suisse.<br />

Les entretiens n’ont pas été retranscrits intégralement, mais ont fait l’objet<br />

d’une prise <strong>de</strong> notes pendant chaque entretien, complétée immédiatement après. Ces<br />

notes ont ensuite été reprises et classées par thèmes pour l’ensemble <strong>de</strong>s entretiens.<br />

D’une manière générale, <strong>les</strong> neuf personnes interrogées démontrent toutes une<br />

volonté certaine d’exercer cette profession.<br />

Pour <strong>de</strong>ux personnes plus âgées, il s’agit d’une véritable réorientation<br />

professionnelle. L’un est agriculteur et l’autre ven<strong>de</strong>use. Dans <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux cas, c’est une<br />

recherche profon<strong>de</strong> <strong>de</strong> sens à l’existence qui <strong>les</strong> a motivés à faire ce changement <strong>de</strong><br />

cap important.<br />

Une troisième personne plus âgée également travaillait en entreprise, à<br />

EDF/GDF. Elle a fait cette formation sur un congé mais sans donner sa démission.<br />

Persuadée <strong>dans</strong> un premier temps qu’elle quitterait l’entreprise pour rejoindre le<br />

mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>, elle a été profondément découragée par <strong>les</strong> difficultés rencontrées<br />

et envisage à présent, au terme <strong>de</strong> cette formation, <strong>de</strong> repartir <strong>dans</strong> son entreprise.<br />

Les valeurs et le sens <strong>de</strong> la profession<br />

Toutes <strong>les</strong> personnes interrogées sont fondamentalement interpellées par le<br />

sens <strong>de</strong> leurs actes et la responsabilité qui leur incombe, une responsabilité qui pour<br />

certains est angoissante et difficile à gérer.<br />

Lorsque nous <strong>de</strong>mandons <strong>de</strong> citer <strong>les</strong> valeurs prédominantes pour eux en<br />

tant que futurs soignants, <strong>les</strong> valeurs récurrentes <strong>de</strong> respect, <strong>de</strong> dignité et <strong>de</strong><br />

631


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

disponibilité sont évoquées. On trouve ensuite <strong>de</strong>s valeurs soulignant l’importance<br />

<strong>de</strong> l’humain : humanité, relationnel, écoute, patience, accompagnement, non-<br />

jugement, réconfort, authenticité, congruence… tandis que d’autres sont plus liées à<br />

la compétence professionnelle : rigueur, désir <strong>de</strong> bien faire, conscience<br />

professionnelle, responsabilité, efficacité… et enfin d’autres s’apparentent davantage<br />

à un don <strong>de</strong> soi : se mettre au service, donner du positif, faire le bien.<br />

Au niveau <strong>de</strong> la formation, plusieurs regrettent que la thématique <strong>de</strong>s<br />

valeurs ne soit que très rapi<strong>de</strong>ment abordée, et ce en première année, sans<br />

approfondissement ni exploitation sur <strong>de</strong>s situations pratiques, sauf lorsque le cas se<br />

présente durant un stage et là « c’est souvent difficile <strong>de</strong> prendre le recul pour<br />

analyser <strong>de</strong> manière objective ».<br />

Les étudiants et la réalité professionnelle<br />

Ce qui d’emblée nous a frappée à la réalisation <strong>de</strong> ces entretiens individuels,<br />

fut le cri <strong>de</strong> révolte unanime <strong>de</strong> ces personnes, pour dénoncer le système <strong>dans</strong> lequel<br />

el<strong>les</strong> ont effectué leurs stages.<br />

S’ils se plaignent aussi <strong>de</strong> manière récurrente <strong>de</strong> n’être « que » <strong>de</strong> la « main<br />

d’œuvre » à moindre coût, <strong>les</strong> stages ne constituant pas une réelle préparation à la<br />

pratique professionnelle, il est surtout frappant <strong>de</strong> noter à quel point <strong>les</strong> étudiants<br />

sont choqués par <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail rencontrées. Et <strong>les</strong> exemp<strong>les</strong> qu’ils donnent,<br />

multip<strong>les</strong> et divers, sont diffici<strong>les</strong> à imaginer. Ils se réfèrent pour la plupart au Centre<br />

Hospitalier <strong>de</strong> la région qui est non seulement le seul hôpital aux alentours mais qui,<br />

par ailleurs, représente également le plus gros pourvoyeur d’emplois <strong>de</strong> la région.<br />

Fort <strong>de</strong> cet atout, cet établissement offre <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> travail extrêmement<br />

pénib<strong>les</strong>. Les étudiants relatent <strong>de</strong>s états <strong>de</strong> fatigue extrêmes qui ont <strong>de</strong>s<br />

répercussions sur <strong>les</strong> équipes qui se désolidarisent, mais au-<strong>de</strong>là même sur <strong>les</strong><br />

patients qui subissent <strong>de</strong> réel<strong>les</strong> maltraitances, en particulier psychologiques (pas <strong>de</strong><br />

réponses aux sonnettes, lits salis non changés, repas insuffisants…). De plus, la<br />

menace n’avoir plus qu’une semaine <strong>de</strong> vacances en été, <strong>de</strong> ne plus avoir <strong>de</strong> primes<br />

ou <strong>de</strong> possibilité d’avancement etc… sape la motivation restante du personnel, tandis<br />

que <strong>les</strong> évaluations annuel<strong>les</strong> renforcent un esprit <strong>de</strong> compétition entre <strong>les</strong> soignants<br />

632


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

qui souhaitent gagner <strong>les</strong> faveurs <strong>de</strong> leurs cadres pour bénéficier <strong>de</strong>s seuls avantages<br />

encore accessib<strong>les</strong>.<br />

Ces dynamiques particulièrement diffici<strong>les</strong> à supporter pour <strong>les</strong> soignants<br />

ont bien entendu aussi <strong>de</strong>s répercussions sur <strong>les</strong> étudiants et plusieurs se sont vus<br />

encouragés à changer <strong>de</strong> voie par <strong>de</strong>s soignants qui <strong>les</strong> encadraient.<br />

Les personnes modè<strong>les</strong> sont cel<strong>les</strong> qui prennent le temps <strong>de</strong> discuter avec le<br />

patient, mais ce sont aussi cel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> étudiants voient décompenser physiquement<br />

et psychiquement.<br />

Sept étudiants sur <strong>les</strong> neuf relèvent le problème moral que représente pour<br />

eux le fait <strong>de</strong> <strong>de</strong>voir exercer <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> qui vont profondément à l’encontre <strong>de</strong> leurs<br />

valeurs. Un huitième en éprouve même un sentiment <strong>de</strong> colère : « c’est terriblement<br />

frustrant <strong>de</strong> ne pas pouvoir répondre lorsque le patient dit cela ne va pas, mais on<br />

n’a pas le temps ! ». « Je me sens coupable <strong>de</strong> voir toutes ces vieil<strong>les</strong> personnes<br />

attachées, couvertes d’escarres, déshydratées, simplement parce qu’on n’a pas le<br />

temps <strong>de</strong> passer plus <strong>de</strong> cinq minutes <strong>dans</strong> la matinée ». Les étudiants relèvent la<br />

difficulté <strong>de</strong> voir <strong>de</strong>s patients renvoyés chez eux alors même que le contexte ne<br />

permettra pas qu’ils soient pris en charge correctement.<br />

l’acte ».<br />

« Ils sont simplement <strong>de</strong>venus trop coûteux <strong>dans</strong> le système <strong>de</strong> tarification à<br />

La frustration est d’autant plus gran<strong>de</strong> qu’il est difficile d’entreprendre <strong>de</strong>s<br />

démarches pour dénoncer ces abus <strong>dans</strong> la mesure où la Haute Autorité <strong>de</strong> Santé a<br />

cédé son autorité à <strong>de</strong>s tutel<strong>les</strong> multip<strong>les</strong> qui exercent <strong>de</strong>s pressions différentes et<br />

parfois contradictoires sur <strong>les</strong> pô<strong>les</strong> hospitaliers.<br />

Principes éthiques<br />

Les étudiants regrettent <strong>de</strong> n’avoir travaillé le thème <strong>de</strong>s valeurs que <strong>de</strong><br />

manière très conceptuelle, <strong>de</strong> même qu’ils n’ont pas abordé l’éthique en lien avec la<br />

profession. Pourtant, leur vécu démontre l’importance <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments éthiques qui<br />

sous-ten<strong>de</strong>nt leur exercice professionnel. Si nous reprenons <strong>les</strong> principes éthiques tels<br />

qu’édictés pour la profession par l’Association Suisse <strong>de</strong>s Infirmières, nous réalisons<br />

633


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

que chacun <strong>de</strong> ces principes est mis à mal par <strong>les</strong> situations qu’ils ont vécues. On<br />

peut dès lors aisément comprendre le malaise rencontré par ces étudiants.<br />

1.- Principe d’équité : <strong>les</strong> patients ne sont pas traités <strong>de</strong> la même manière. Un patient<br />

qui est bien entouré par sa famille et dont on sait que celle-ci sera attentive à la<br />

manière dont il est pris en charge, reçoit plus d’attention que ceux dont personne ne<br />

se préoccupe. « Le matin on a <strong>de</strong>ux paires <strong>de</strong> draps propres pour 36 lits (service <strong>de</strong><br />

mé<strong>de</strong>cine aigue) donc on discute au colloque pour savoir qui aura <strong>de</strong> la visite. C’est<br />

ceux-là qui reçoivent <strong>les</strong> draps ».<br />

2.- Principe <strong>de</strong> véracité : <strong>les</strong> mensonges quant aux diagnostics sont courants. « Si<br />

t’annonces à quelqu’un qu’il a un cancer, il faut prendre du temps, prendre <strong>de</strong>s gants<br />

et lancer tout un arsenal pour l’accompagner psychologiquement, c’est trop<br />

coûteux ».<br />

3.- Principe <strong>de</strong> bienfaisance : <strong>les</strong> soignants ne sont pas en mesure <strong>de</strong> faire le bien<br />

qu’ils jugent bon. Ils doivent fonctionner <strong>dans</strong> l’urgence et toujours au coup par coup.<br />

Par exemple si un patient décè<strong>de</strong>, il est remplacé <strong>dans</strong> l’heure qui suit par un autre.<br />

Aucune possibilité <strong>de</strong> faire le <strong>de</strong>uil, la chambre doit être rentabilisée.<br />

La charge administrative absorbe <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> temps au détriment du temps<br />

passé auprès du patient.<br />

Certains étudiants culpabilisent car, disent-ils, lors que la journée est déjà<br />

tellement remplie et que cinq minutes sont enfin libres, « on a plus qu’une envie,<br />

c’est <strong>de</strong> s’asseoir sur une chaise au calme et non pas près d’un patient ».<br />

Certains étudiants affirment ne pas avoir <strong>de</strong> pause, le plus souvent, avant 17<br />

heures. Actif sur le service <strong>de</strong>puis 7 heures le matin, ils n’ont pas le temps <strong>de</strong> manger<br />

jusqu’à ce qu’arrive la relève du soir.<br />

4.- Principe <strong>de</strong> non-malfaisance : <strong>les</strong> étudiants sont conscients d’être partiellement<br />

responsab<strong>les</strong> d’escarres par exemple, simplement par manque <strong>de</strong> temps pour la<br />

mobilisation. Pour certains ce sont <strong>de</strong>s conflits intérieurs lourds à supporter. Selon<br />

eux, diverses complications pourraient être évitées avec d’autres conditions <strong>de</strong><br />

634


travail : infections à répétition, phlébites…<br />

Fonctionnement organisationnel<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Au plan organisationnel, <strong>les</strong> personnes regrettent l’absence <strong>de</strong> budgets pour<br />

<strong>les</strong> formations ainsi que pour <strong>les</strong> projets institutionnels. Ainsi par exemple, un<br />

étudiant explique qu’en psychiatrie toutes <strong>les</strong> subventions pour <strong>les</strong> projets, <strong>les</strong> sorties<br />

et <strong>les</strong> ateliers ont été coupées. De ce fait, <strong>les</strong> patients chroniques hospitalisés parfois à<br />

vie <strong>dans</strong> ces lieux se retrouvent sans activités. Le désœuvrement conduit aux<br />

querel<strong>les</strong>, puis aux violences entre patients mais également à l’égard du personnel.<br />

Actuellement une <strong>de</strong> ses collègues est arrêtée <strong>de</strong>puis <strong>de</strong>ux mois pour burnout après<br />

la violente agression d’un patient. Elle n’est pas remplacée et le surcroît <strong>de</strong> travail se<br />

répartit sur l’équipe qui s’épuise à son tour, et dont certains membres menacent à<br />

présent aussi <strong>de</strong> tomber mala<strong>de</strong>.<br />

Formation<br />

Au niveau <strong>de</strong> la formation, <strong>les</strong> étudiants sont unanimes pour en reconnaître<br />

la qualité. Certains regrettent que l’accent soit encore un peu trop mis sur <strong>les</strong><br />

capacités techniques plus que sur <strong>les</strong> capacités relationnel<strong>les</strong> mais reconnaissent<br />

néanmoins un effort consenti <strong>dans</strong> ce sens.<br />

L’école prend <strong>les</strong> étudiants au sérieux et se soucie d’eux, <strong>de</strong> leur vécu en<br />

stage et <strong>de</strong> leur bien-être. Les enseignants sont très présents et à l’écoute. Néanmoins<br />

plusieurs se font du souci du fait <strong>de</strong> l’absence <strong>de</strong> ce pôle d’écoute et <strong>de</strong> conseil après<br />

la formation. « L’école c’est notre soupape, je peux pas m’imaginer comment ça sera<br />

après ». Une étudiante exprime le souhait <strong>de</strong> pouvoir continuer à venir, au moins<br />

<strong>de</strong>ux fois par mois, pour discuter si possible avec ses pairs, mais aussi avec <strong>de</strong>s<br />

enseignants afin <strong>de</strong> pouvoir obtenir <strong>de</strong>s conseils sur sa pratique.<br />

L’i<strong>de</strong>ntité infirmière est abordée sur le plan conceptuel mais ne fait pas<br />

l’objet d’une exploration en profon<strong>de</strong>ur, <strong>dans</strong> une perspective <strong>de</strong> développement <strong>de</strong><br />

la profession. Cela reste très abstrait car <strong>dans</strong> la réalité <strong>de</strong> la pratique il n’y a que très<br />

peu <strong>de</strong> place pour le rôle autonome.<br />

L’engagement n’est pas du tout un concept thématisé durant la formation.<br />

635


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Quant à l’épuisement professionnel, il semble que ce soit la première année qu’un<br />

cours <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux heures ait été dispensé sur le sujet. Il a consisté en la présentation <strong>de</strong><br />

symptômes et a permis <strong>de</strong> comprendre le lien avec le stress.<br />

Les mesures <strong>de</strong> prévention et le lien avec l’engagement n’ont pas été abordés.<br />

Les ressources actuel<strong>les</strong> ou possib<strong>les</strong><br />

Les ressources personnel<strong>les</strong> apparaissent pour beaucoup comme un élément<br />

essentiel <strong>dans</strong> la gestion <strong>de</strong> cette vie professionnelle difficile. C’est souvent au travers<br />

<strong>de</strong> la verbalisation que ces ressources jouent un rôle clé. Que ce soit <strong>dans</strong> la famille,<br />

<strong>dans</strong> <strong>les</strong> échanges avec un proche, avec <strong>de</strong>s amis, <strong>de</strong>s collègues ou encore <strong>de</strong>s<br />

enseignants, cette mise en mots du vécu permet <strong>de</strong> s’en distancer et <strong>de</strong> mieux<br />

pouvoir le gérer.<br />

Ils sont convaincus <strong>de</strong> la nécessité <strong>de</strong> s’écouter et <strong>de</strong> prendre soin <strong>de</strong> soi, tout<br />

en regrettant <strong>de</strong> n’avoir pas beaucoup d’outils pour le faire.<br />

Les étudiants n’ont pas envie <strong>de</strong> baisser <strong>les</strong> bras mais souhaitent contribuer à<br />

un changement <strong>dans</strong> cette situation. « Il faut travailler avec <strong>les</strong> cadres, ce sont eux qui<br />

peuvent faire bouger <strong>les</strong> choses ». La motivation et l’engagement jouent <strong>dans</strong> ce sens<br />

un rôle essentiel : « Il faut nourrir la motivation, ne pas se résigner ». Cette<br />

motivation passe par une offre plus importante <strong>de</strong> formations complémentaires,<br />

l’accessibilité au travail à temps partiel.<br />

Pour ces étudiants, il est temps que la situation change et cela peut se faire à<br />

condition <strong>de</strong> démarrer cela dès la formation, lorsque la motivation et l’énergie sont<br />

encore pleinement disponib<strong>les</strong>. Dans ce sens on pourrait travailler <strong>de</strong>s stratégies<br />

défensives : « Il faut créer <strong>de</strong>s mouvements à l’école pour nous défendre, défendre<br />

nos idées, faire valoir notre i<strong>de</strong>ntité » mais également élaborer <strong>de</strong>s stratégies<br />

permettant d’asseoir l’i<strong>de</strong>ntité infirmière en prenant l’initiative <strong>de</strong> ce combat : « Il<br />

faudrait apprendre à se positionner et à mettre en place <strong>de</strong>s groupes <strong>de</strong> réflexion<br />

avec le ministère <strong>de</strong> la santé ».<br />

636


Conclusion<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

On ne peut être qu’admiratif <strong>de</strong>vant la détermination <strong>de</strong> ces personnes, qui<br />

malgré ce contexte professionnel extrêmement difficile, continuent d’être<br />

passionnées par leur profession et souhaitent l’exercer du mieux possible. Loin <strong>de</strong><br />

baisser <strong>les</strong> bras, el<strong>les</strong> souhaitent s’engager, pour le patient mais également pour la<br />

profession elle-même, tout en étant clairvoyantes sur <strong>les</strong> risques <strong>de</strong> cet engagement.<br />

Il est donc nécessaire que l’école soit un lieu <strong>de</strong> préparation à cela, et accentue encore<br />

ses apports sur <strong>les</strong> valeurs qui sous-ten<strong>de</strong>nt cet engagement et <strong>les</strong> gui<strong>de</strong>nt et <strong>les</strong><br />

outillent pour leur permettre d’y faire face sans y laisser leur santé.<br />

637


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

638


Annexe 8 : Grille du questionnaire.<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

QUESTIONNAIRE ENGAGEMENT ET ÉTHIQUE<br />

Comment qualifieriez-vous votre engagement professionnel ?<br />

Cochez la case qui vous semble le mieux correspondre à votre niveau d’engagement<br />

professionnel ?<br />

Pas engagé<br />

Très peu<br />

engagé<br />

Assez<br />

engagé<br />

639<br />

Engagé<br />

Fortement<br />

engagé<br />

Quels sont <strong>les</strong> facteurs d’engagement pour vous, <strong>dans</strong> un ordre <strong>de</strong> priorité ?<br />

Très<br />

fortement<br />

engagé<br />

Classer ces facteurs par ordre d’importance (1 étant l’aspect le plus important pour<br />

vous).<br />

Motivation, intérêt pour ce que je fais<br />

Adéquation avec mes convictions, mes valeurs<br />

Responsabilité, <strong>de</strong>voir<br />

Sens, cohérence avec mes objectifs, intérêt<br />

Intérêt du patient, bienveillance<br />

Gain salarial, rémunération<br />

Reconnaissance sociale<br />

Autre, précisez………………………………………………….


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Quel<strong>les</strong> sont <strong>les</strong> manifestations <strong>de</strong> l’engagement ? (Répondre par oui ou non)<br />

Je suis plein d’énergie, <strong>de</strong> persévérance oui non<br />

Je me sens efficace, enthousiaste oui non<br />

Je suis absorbé <strong>dans</strong> mon activité, je ne vois pas le temps<br />

passer oui non<br />

Quels sont <strong>les</strong> résultats <strong>de</strong> l’engagement pour la personne qui s’engage ?<br />

(Donner un chiffre par ordre d’importance, 1 étant l’aspect qui vous semble le plus<br />

important.)<br />

Reconnaissance sociale<br />

Sens à son existence<br />

Valorisation<br />

Sentiment d’utilité<br />

Satisfaction<br />

Perte <strong>de</strong> liberté<br />

Épanouissement<br />

Efficacité<br />

Êtes-vous d’accord avec <strong>les</strong> affirmations suivantes ? (Quel que soit votre choix,<br />

explicitez en quelques mots-clés votre réponse.)<br />

640


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

L’engagement constitue une prise <strong>de</strong> risque ?<br />

oui non Pourquoi ?<br />

L’indifférence est le contraire <strong>de</strong> l’engagement ?<br />

oui non Pourquoi ?<br />

On peut exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique sans être engagé ?<br />

oui non Pourquoi ?<br />

641


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

642


Annexe 9<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

TRAME SERVANT DE BASE AUX ENTRETIENS SEMI-DIRIGÉS<br />

CHOIX PROFESSIONNEL<br />

Motivation au choix <strong>de</strong> la profession.<br />

Motivation actuelle sur le plan professionnel.<br />

ÉTHIQUE, PROFESSION ET ENGAGEMENT<br />

Valeurs considérées comme essentiel<strong>les</strong> <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>.<br />

Importance <strong>de</strong> l'adéquation entre valeurs personnel<strong>les</strong> et/ou professionnel<strong>les</strong><br />

avec l'engagement.<br />

ENGAGEMENT ET VÉCU PERSONNEL<br />

Définition et compréhension <strong>de</strong> l'engagement.<br />

Expériences personnel<strong>les</strong> et interpersonnel<strong>les</strong> avec la notion d'engagement.<br />

Lien entre engagement et responsabilité, <strong>de</strong>voir, valeurs propres,<br />

sens/cohérence, motivation.<br />

ENGAGEMENT ET FORMATION PRATIQUE OU THÉORIQUE<br />

Moteurs et freins à l'engagement, durant la formation et <strong>dans</strong> la pratique.<br />

Dimension communicationnelle et relationnelle <strong>de</strong> l'engagement.<br />

Cours ou moments pédagogiques ayant un impact sur la dimension éthique<br />

<strong>de</strong> l'engagement.<br />

Éléments qui pourraient être uti<strong>les</strong> durant la formation pour favoriser la<br />

construction d'un engagement sain.<br />

643


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

644


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Annexe 11 Traitement Excel <strong>de</strong>s questionnaires<br />

645


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

646


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

647


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

648


Annexe 12<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

ANALYSE DES QUESTIONS OUVERTES<br />

QUESTION : L’ENGAGEMENT CONSTITUE UNE PRISE DE RISQUE ?<br />

Mots-clés justifiant la réponse oui :<br />

- « mise en danger <strong>de</strong> soi »<br />

- « on s’expose »<br />

- « engagement = exposition <strong>de</strong> soi »<br />

- « il faut argumenter sa position et l’affirmer »<br />

- « cela implique une prise <strong>de</strong> position on s’expose à un jugement »<br />

- Prise <strong>de</strong> risque nécessaire <strong>dans</strong> le sens qu’elle fait partie <strong>de</strong> l’engagement<br />

- Du moment « que l’on s’engage, il y a prise <strong>de</strong> risque »<br />

- « sans prise <strong>de</strong> risque, il n’y a pas d’évolution »<br />

- « il faut faire le choix <strong>de</strong> s’engager ou pas et il y a un risque <strong>de</strong>s 2 côtés »<br />

- « la prise <strong>de</strong> risque peut être calculée. Sans risque on ne fait rien »<br />

- « l’engagement (…) implique une prise <strong>de</strong> risque »<br />

- « Risque d’être déçu »<br />

- Risque d’ « être déçu, touché »<br />

- « on peut être déçu » soit parce que <strong>dans</strong> l’erreur, soit par manque <strong>de</strong><br />

confiance d’autrui<br />

- « attentes » par rapport à l’autre « risque que l’autre ne veuille pas <strong>de</strong> cet<br />

engagement »<br />

- « Risque à s’engager », « risque du résultat »<br />

- « prise <strong>de</strong> risque car pas sûr du résultat »<br />

- « pas la garantie que notre engagement soit reconnu et valorisé »<br />

- « on ne sait pas (…) si l’engagement (…) aura <strong>de</strong>s conséquences »<br />

649


- « Risque d’épuisement »<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

- «Risque d’ « épuisement », <strong>de</strong> « frustration »<br />

- « risque <strong>de</strong> ne pas arriver au bout <strong>de</strong> l’engagement frustration »<br />

- « risque d’épuisement » « si pas <strong>de</strong> recul ou si contrainte »<br />

- « engagement nécessite investissement important » donc « risque <strong>de</strong> conduire<br />

à l’épuisement et finalement provoque désengagement »<br />

- « risque pour la santé »<br />

- « si trop d’engagement », risque <strong>de</strong> « perturber la personne en <strong>de</strong>hors du<br />

travail »<br />

- « une prise <strong>de</strong> risque <strong>de</strong> s’oublier soi-même et son réseau social »<br />

- « engagement comme prise <strong>de</strong> « temps » et d’ « énergie »<br />

- Nécessite « beaucoup d’énergie, investissement personnel »<br />

- Engagement excessif : trop pour <strong>les</strong> autres, pas assez pour soi »<br />

- « il faut savoir ses limites »<br />

- « prise <strong>de</strong> responsabilité »<br />

Mots-clés justifiant la réponse non :<br />

- « l’engagement est un positionnement » « mais sans prendre <strong>de</strong> risque » par<br />

rapport à « la fonction ni face au patient »<br />

- « prise <strong>de</strong> risque calculée en fonction <strong>de</strong> ma motivation, sens du<br />

professionnalisme »<br />

- Pas <strong>de</strong> risque si on est « authentique », si on fonctionne <strong>dans</strong> « l’authenticité »<br />

- « on choisit on désire s’engager »<br />

650


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

QUESTION : L’INDIFFÉRENCE EST LE CONTRAIRE DE L’ENGAGEMENT ?<br />

Mots-clés justifiant la réponse oui :<br />

- « l’engagement signifie un investissement qui <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>s convictions »<br />

- « l’indifférence » = « quand on ne s’investit pas », « l’engagement » = « un<br />

investissement <strong>de</strong> sa personne »<br />

- « engagement = attention envers l’autre », l’engagement peut dépendre <strong>de</strong> la<br />

situation<br />

- « indifférence = désintérêt »<br />

- « indifférence = passivité »<br />

- « Pour moi l’engagement signifie qu’il y a au bout un épanouissement et une<br />

reconnaissance, si au moins ces 2 valeurs ne sont pas respectées cela veut dire<br />

[que] le groupe auquel on appartient est indifférent à notre participation »<br />

- « Car l’absence d’avis implique une non-motivation »<br />

- « Engagement en rapport avec : nos valeurs, croyances, sens qu’on donne,<br />

donc on y est pas indifférent, on éprouve un intérêt »<br />

- « intérêt à l’autre/négation <strong>de</strong> l’autre »<br />

- « indifférent = non-motivé »<br />

- « peut pas être indifférent si engagé ni l’inverse »<br />

- « On ne peut être indifférent quand on est engagé »<br />

- « Quelqu’un d’indifférent à une situation ne va pas s’engager pour celle-ci »<br />

Mots-clés justifiant la réponse non :<br />

- Car le contraire d’engagement = « désengagement » (« action active »).<br />

« Indifférence pas <strong>de</strong> positionnement actif »<br />

- Le contraire d’ « engagement = désengagement » et non pas indifférence<br />

- « pas forcément le contraire, mais un autre <strong>de</strong>gré d’engagement »<br />

- « <strong>de</strong>ux concepts qui ne sont pas sur le même échelon »<br />

- « <strong>les</strong> <strong>de</strong>ux sont sur un même continuum »<br />

651


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

- « pas possible d’être indifférent pour pratiquer ce métier »<br />

- « Je pense qu’on peut fonctionner sans être engagé, mais pas en étant<br />

indifférent »<br />

- « Car ce n’est pas parce que on ne s’engage pas qu’on est forcément<br />

indifférent »<br />

- L’indifférence peut être une « attitu<strong>de</strong> défensive contre un engagement sans<br />

limite »<br />

- « pas forcément, car il y a <strong>de</strong>s situations on fait l’indifférent pour mieux<br />

réfléchir », prendre du recul<br />

- « on peut être indifférent mais pour avoir pris du recul, pas forcément qu’une<br />

situation ne nous touche pas »<br />

- « on peut être engagé <strong>dans</strong> son activité tout en étant indifférent sur certains<br />

aspects »<br />

- « on peut être indifférent à certains aspects <strong>de</strong> quelque chose pour lequel on<br />

s’engage »<br />

- « c’est un choix <strong>de</strong> s’engager, mais quelqu’un d’indifférent va peut-être avoir<br />

d’autres satisfactions »<br />

- « L’indifférence est une forme d’engagement »<br />

- « on ne peut pas souhaiter s’engager par choix sans être indifférent à la<br />

thématique/ au problème »<br />

QUESTION : ON PEUT EXERCER UN RÔLE PROFESSIONNEL DE FAÇON ÉTHIQUE SANS ÊTRE<br />

ENGAGÉ ?<br />

Mots-clés justifiant la réponse oui :<br />

- « est-il possible <strong>de</strong> ne pas faire <strong>de</strong> compromis entre » « éthique<br />

professionnel[le] <strong>de</strong> responsabilité » et « éthique <strong>de</strong> conviction »<br />

652


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

- « on peut exercer son rôle professionnel <strong>de</strong> façon « minimal[e] » sans le petit<br />

« plus » qui nous caractérise »<br />

- « on peut faire ce qu’il faut <strong>de</strong> manière professionnelle. » Mais « <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>,<br />

on est « obligé » d’avoir un certain engagement envers le patient »<br />

- « On peut faire du travail efficace sans pour autant s’y donn[er] corps et âme »<br />

- « Exercer le travail, <strong>de</strong> façon « machinale » en étant prise par nos pensées »<br />

- « Mais on perd en efficacité et en efficience »<br />

- « Si c’est une notion <strong>de</strong> venir travailler pour la rémunération sans avoir la<br />

motivation <strong>de</strong> ce que l’on en fait »<br />

- « en fonction <strong>de</strong> notre éducation, <strong>de</strong> nos valeurs personnel<strong>les</strong> et<br />

professionnel<strong>les</strong> »<br />

Mots-clés justifiant la réponse non :<br />

- « l’engagement amène la réflexion éthique »<br />

- « éthique = valeurs = fon<strong>de</strong>ment »<br />

- « on s’engage avec nos valeurs »<br />

- « l’éthique appelle nos valeurs. Et <strong>les</strong> valeurs nous engagent. »<br />

- « dépend <strong>de</strong> ses valeurs éthiques, mais (…) on ne peut être professionnel sans<br />

s’engager pour ce que l’on fait »<br />

- « si on s’engage, on le fait avec ses valeurs propre[s]. Sans engagement (…) on<br />

perd <strong>de</strong> vue ces valeurs »<br />

- « l’éthique signifie aussi <strong>les</strong> valeurs personnel[le]s ce qui correspond aussi à<br />

l’engagement personnel »<br />

- « s’engager est donner <strong>de</strong> sa personne donc se donner avec ses valeurs »<br />

- « L’éthique nous engage automatiquement puisqu’elle implique la mise en jeu<br />

<strong>de</strong> nos valeurs »<br />

- « nos convictions personnel<strong>les</strong> motivent forcément notre engagement »<br />

- « l’éthique mobilise aussi <strong>de</strong>s valeurs sur ce qui est bon ou mauvais (…). Si<br />

nos valeurs n’y correspon<strong>de</strong>nt pas (comme l’intérêt <strong>de</strong> la vie humaine) il est<br />

difficile d’avoir un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique. »<br />

653


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

- « la gran<strong>de</strong> partie du rôle professionnel est l’engagement personnel, être<br />

éthique sans être engagé ne mènera à rien <strong>de</strong> satisfaisant »<br />

- « dépend du niveau d’engagement du professionnel »<br />

- « <strong>dans</strong> l’éthique il y a déjà une notion d’engagement <strong>dans</strong> le sens où je fais<br />

l’effort d’avoir un comportement relatif à l’éthique <strong>de</strong> la formation. En<br />

respectant <strong>les</strong> normes éthique[s] c’est comme si j’en prenais l’engagement »<br />

- « être éthique convoque l’entier <strong>de</strong> la personne. Le professionnel se doit d’être<br />

engagé. »<br />

- « un rôle professionnel engage un point <strong>de</strong> vue éthique. »<br />

- « l’éthique nécessite un minimum d’engagement. Les conditions d’éthique,<br />

tel<strong>les</strong> que l’écoute, l’empathie,… suggèrent que le pro[fessionnel] doit se sentir<br />

investi par son rôle (…)<br />

- « on ne peut pas avoir une attitu<strong>de</strong> éthique sans s’engager pour le bien-être <strong>de</strong><br />

l’autre »<br />

- « pas possible <strong>dans</strong> la relation à l’autre. Entre « humains » la relation signifie<br />

engagement à l’autre, sous diverses formes certes mais engagement »<br />

- « exercer sont rôle <strong>de</strong> manière éthique c’est être bienveillant avec l’autre, ne<br />

pas faire <strong>de</strong> mal… ». épanouissement et reconnaissance <strong>de</strong> son engagement<br />

permettent d’exercer son métier <strong>de</strong> « manière éthique ».<br />

- « s’engager c’est faire un choix, prendre position »<br />

- « l’exercice d’un rôle professionnel <strong>de</strong> manière éthique implique une prise <strong>de</strong><br />

position ainsi qu’un avis »<br />

- « engagement = responsabilité = <strong>de</strong>voir éthique »<br />

- « si on n’est pas engagé, <strong>les</strong> aspects éthiques ne seront pas respectés <strong>de</strong> la<br />

même manière que si l’on est engagé. »<br />

- « risque d’oublier son rôle professionnel, <strong>de</strong> ne pas pouvoir rester « neutre »,<br />

<strong>de</strong> vouloir persua<strong>de</strong>r l’autre [ce] qui n’est pas notre rôle<br />

- « engagement multiforme intégrant <strong>de</strong>s notions d’éthique, <strong>de</strong> respect, etc… »<br />

- « on est forcément impliqué <strong>dans</strong> son rôle <strong>dans</strong> la mesure où on le joue avec<br />

qui on est »<br />

654


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Pour ce qui est <strong>de</strong>s réponses venant justifiées le non, j’ai trouvé intéressant <strong>de</strong><br />

mettre en évi<strong>de</strong>nce <strong>les</strong> différentes associations, surtout concernant <strong>les</strong> notions<br />

d’éthique, d’engagement, <strong>de</strong> valeur.<br />

655


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

656


Annexe 13 : Arbre thématique<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

657


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

658


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

659


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

660


Annexe 14.1<br />

Thèmes<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

TABLEAU ENTRETIEN DPM 0039<br />

principaux<br />

Choix<br />

professionnels<br />

Motivation<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Choix <strong>de</strong> la profession lié au « hasard » 1 et au « système<br />

scolaire » 1 :<br />

D’abord volonté <strong>de</strong> s’engager <strong>dans</strong> l’éducation puis changement<br />

d’orientation du fait du « système scolaire » 1 et recherche d’une<br />

profession <strong>dans</strong> <strong>les</strong> « mêmes cor<strong>de</strong>s » 1, soit une formation en<br />

<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> : du fait du travail « sur le terrain » durant la<br />

formation, pour le « contact avec <strong>les</strong> personnes » 1, pour le « côté<br />

relationnel » 1 (signalé également <strong>dans</strong> le domaine éducatif) ,<br />

comme éventuelle « occasion <strong>de</strong> travailler avec <strong>les</strong> enfants » 1<br />

Choix <strong>de</strong> la profession lié à la socialisation :<br />

La sœur <strong>de</strong> l’interlocutrice a déjà fait <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s en <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> 2.<br />

Des connaissances : selon <strong>les</strong> « dires <strong>de</strong>s gens que je connaissais<br />

qui étaient <strong>infirmiers</strong> ça me paraissait une profession qui<br />

m’attirait » 1<br />

« Je sais plus qui disait, notamment en psychiatrie, qu’on ne<br />

faisait pas <strong>de</strong> la psychiatrie pour rien, j’en suis persuadé et même<br />

<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> généraux » 9<br />

Motivation liée au sens donné à l’activité :<br />

Exercice <strong>de</strong> la profession avec « toujours la même foi » 1,<br />

« motivation pour ce que je faisais et pour qui je le faisais » 2<br />

Changement du lieu <strong>de</strong> travail quand désaccord avec <strong>les</strong><br />

« valeurs »2, avec une certaine « philosophie »2<br />

(responsabilisation <strong>de</strong>s patients, respect <strong>de</strong>s « choix » 2 et<br />

661


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

« désirs » 2 <strong>de</strong>s patients<br />

Motivation liée à la temporalité :<br />

« ici c’est le lieu où je suis resté le plus longtemps » 1<br />

Engagement Engagement lié au sens <strong>de</strong> l’activité :<br />

« fais <strong>de</strong>s choses avec <strong>les</strong>quel<strong>les</strong> tu es au clair » 2, « en accord<br />

avec tes valeurs » 3,<br />

« on ne peut pas faire un métier comme ici sans s’engager, ça n’a<br />

pas <strong>de</strong> sens » 3<br />

« au niveau <strong>de</strong> l’engagement, on essaie <strong>de</strong> faire <strong>les</strong> choses, d’être<br />

au clair avec ce que l’on fait et pis d’essayer d’aller au bout et<br />

enfin […] ce que l’on fait doit avoir un sens sinon ça ne sert à<br />

rien » 3<br />

Engagement comme « prise <strong>de</strong> risque » 3<br />

Limites <strong>de</strong> l’engagement :<br />

- en termes <strong>de</strong> prise <strong>de</strong> distance: « équilibre normal par <strong>les</strong><br />

relations »<br />

- en termes <strong>de</strong> responsabilité quant aux résultats: « <strong>les</strong><br />

progrès ou <strong>les</strong> régressions <strong>de</strong>s rési<strong>de</strong>nts ne sont pas <strong>de</strong><br />

notre fait » 3, le rôle est d’ « accompagner » 3) bien que la<br />

« distance thérapeutique » apparaît aux dires <strong>de</strong><br />

l’interlocutrice comme « quelque chose qui se travail tout<br />

au long d’une carrière » 3<br />

- par rapport aux tâches à effectuer : « On leur dit, vous<br />

faites, ils font, vous faites, ils font… il y a un moment<br />

donné, et pour soi et pour <strong>les</strong> personnes qui sont<br />

hospitalisées, il faut arrêter quoi. » 10<br />

662


Thèmes<br />

principaux<br />

Travail en<br />

équipe<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Diversité et complémentarité <strong>de</strong> différents points <strong>de</strong> vue :<br />

« ça nourrit », « ça permet d’avancer » 4 et « d’avoir la vision <strong>de</strong>s<br />

collègues » 4<br />

Dynamique <strong>de</strong> groupe en lien avec le respect et le dialogue :<br />

« on a la chance ici d’avoir <strong>de</strong> l’équipe avec <strong>de</strong>s caractères<br />

différents mais qui se respecte et s’entend bien donc, <strong>les</strong> gens<br />

peuvent ? généralement dire ce qui ne va pas, comment ils vivent<br />

<strong>les</strong> choses. » 5. Les « clivages » 5 au sein d’une équipe sont<br />

« compliqués » 5 en termes <strong>de</strong> dynamiques d’équipe.<br />

Représentation <strong>de</strong> « bonnes équipes » :<br />

Les « bonnes équipes » sont cel<strong>les</strong> où il y a « <strong>de</strong> la discussion » 6,<br />

pour « être au clair sur le terrain » 6, pour « gar<strong>de</strong>r du sens et<br />

aussi renvoyer du sens aux personnes » 6 et éviter qu’ « on<br />

tourne en rond » 6. Pourtant, « <strong>dans</strong> <strong>les</strong> équipes <strong>de</strong> <strong>soins</strong>, y a pas<br />

le temps pour <strong>les</strong> discussions, ça manque <strong>de</strong> discussion, ça<br />

manque <strong>de</strong> réflexion c’est… » 10<br />

Burnout Les multip<strong>les</strong> facteurs du burnout :<br />

Selon l’interlocutrice, le burnout est « multifactoriel » 7 et est lié :<br />

- Au fait qu’il y a <strong>de</strong> « plus en plus <strong>de</strong> pressions » 4« on est<br />

<strong>dans</strong> un mon<strong>de</strong> où il y a <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> pression mais<br />

pas forcément au travail, ça peut être aussi <strong>de</strong>s pressions<br />

<strong>de</strong> l’extérieur » 4<br />

- À un surinvestissement et sentiment <strong>de</strong> responsabilité<br />

(<strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> professionnel)<br />

- Au manque <strong>de</strong> « parole » 4 <strong>dans</strong> certaines institutions (la<br />

parole, le dialogue permettant pourtant, selon<br />

l’interlocutrice, d’évacuer <strong>les</strong> pressions et éviter « stress » 5<br />

663


Thèmes<br />

principaux<br />

L’hôpital et sa<br />

gestion<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

et « tensions » 5, « le fait <strong>de</strong> pouvoir verbaliser c’est quand<br />

même, ça permet <strong>de</strong> vi<strong>de</strong>r la marmite au fur et à mesure »<br />

5)<br />

- Aux « conditions <strong>de</strong> travail » 5<br />

- À une difficulté <strong>de</strong>s personnes présentant <strong>de</strong>s risques au<br />

burnout<br />

Désengagement et sur-engagement :<br />

Selon l’interlocutrice, il y a « <strong>de</strong>ux positions » face à<br />

l’épuisement : « Ou <strong>les</strong> gens sont au bord <strong>de</strong> l’épuisement ou ils<br />

lâchent l’affaire, ils viennent et la seule chose c’est prendre un<br />

salaire » 6<br />

Le désengagement / désinvestissement comme stratégie pour<br />

éviter le burnout : attitu<strong>de</strong> par laquelle <strong>les</strong> personnes, selon<br />

l’interlocutrice, ne trouvent pas <strong>de</strong> « satisfaction » 6 au travail.<br />

Surinvestissement : « ce sont <strong>de</strong>s gens qui se ren<strong>de</strong>nt<br />

indispensab<strong>les</strong> » 6 et qui présentent un « besoin <strong>de</strong><br />

reconnaissance » 7, un « manque <strong>de</strong> confiance » 7<br />

Conception <strong>de</strong> la gestion hospitalière :<br />

Conception <strong>de</strong> la gestion hospitalière, <strong>de</strong> la « logique<br />

économique » 10 : « c’est du délire » 10, « c’est un manque <strong>de</strong><br />

respect » 10, « C’est n’importe quoi, c’est inconcevable. »10<br />

Comparaison entre la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> en Suisse et en France :<br />

« Les <strong>soins</strong> en Suisse ce n’est quand même pas <strong>les</strong> <strong>soins</strong> en<br />

France. Quand on voit la différence, même si ça a tendance à se<br />

restreindre […] il faut juste espérer que ce pays n’aille pas en<br />

direction <strong>de</strong> la France. Parce qu’en France… c’est compliqué ».<br />

11.<br />

664


Thèmes<br />

principaux<br />

Formations et<br />

professions en<br />

<strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong><br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Conception et particularité <strong>de</strong> l’institution hospitalière :<br />

« c’est <strong>de</strong> loin pas tout rose, on est quand même <strong>dans</strong> un milieu<br />

psychiatrique avec <strong>de</strong>s personnes en souffrance av <strong>de</strong>s personnes<br />

qui justement qui avec qui on vit entre guillemets <strong>dans</strong> tous <strong>les</strong><br />

cas sept heures par jour à <strong>de</strong>s pourcentages différents. » 5.<br />

« Et pis on peut bien avoir peur <strong>de</strong> venir ici […]. Parce que c’est<br />

un mon<strong>de</strong> qu’on ne connaît pas, qu’on découvre avec <strong>de</strong>s gens<br />

qui sont pas bien, qui sont mala<strong>de</strong>s avec <strong>de</strong>s pathologies assez<br />

lour<strong>de</strong>s qui peuvent avoir <strong>de</strong>s comportements, on a pas <strong>de</strong><br />

maîtrise. » 8<br />

La formation au sein <strong>de</strong> ce milieu hospitalier :<br />

« on peut pas s’imaginer à quoi on va être confronté <strong>dans</strong> cette<br />

formation » 9, « ça peut remuer et pis ça remue à tout âge je veux<br />

dire » 9.<br />

L’interlocutrice évoque une « idée <strong>de</strong> supervision <strong>de</strong> retour» 9 <strong>de</strong><br />

stage pour permettre <strong>de</strong> « déposer un peu se qu’ils ressentent, ce<br />

qu’ils vivent par rapport aux situations. » 9. Pour l’interlocutrice<br />

il s’agit <strong>de</strong> faire par aux étudiants <strong>de</strong> la réalité du milieu<br />

professionnel : « Pour moi, il faut être honnête le plus possible et<br />

être au plus près possible <strong>de</strong> la réalité avec <strong>les</strong> gens que l’on<br />

forme. » 11<br />

Conceptions <strong>de</strong> la profession infirmière :<br />

- L’essentiel <strong>de</strong> la profession : « mais l’essentiel aussi <strong>dans</strong> je<br />

pense, <strong>dans</strong> le métier c’est d’essayer <strong>de</strong> faire au mieux et<br />

pis on peut aussi se tromper mais si on fait mieux et que<br />

on n’a pas grand-chose à se reprocher, si on fait au mieux<br />

pour l’intérêt <strong>de</strong>s personnes et l’intérêt en général » 2.<br />

665


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Cette conception introduit une limite <strong>de</strong> l’engagement en<br />

termes <strong>de</strong> responsabilité.<br />

- Conception <strong>de</strong> la profession infirmière comme un « métier<br />

<strong>dans</strong> lequel on évolue tout le temps » 4<br />

- Conception du caractère éducatif <strong>de</strong> la profession<br />

infirmière : « c’est du travail infirmier mais c’est du travail<br />

aussi éducatif » 4<br />

- Conception <strong>de</strong> la profession infirmière comme <strong>de</strong>vant « se<br />

positionner » 10 : « on est <strong>dans</strong> une profession qui <strong>de</strong>puis<br />

<strong>de</strong>s lustres et <strong>de</strong>s lustres le côté infirmier, infirmières<br />

c’était… et pis c’est toujours… ce côté […] être bon, brave<br />

et soumis et ça je me dis que eux [<strong>les</strong> jeunes], c’est eux, qui<br />

vont être amené à le faire changer parce qu’il y a un<br />

moment où il faut se positionner aussi. »10. « J’ai<br />

l’impression que c’est une profession où <strong>les</strong> gens ne savent<br />

pas défendre leurs droits » 10<br />

Jeunesse Évocation <strong>de</strong> la stigmatisation <strong>de</strong> la « jeunesse » 7.<br />

Évocation <strong>de</strong> sa « foi en cette génération <strong>de</strong>s jeunes » 10<br />

Selon l’interlocutrice, la formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> <strong>de</strong>vrait<br />

permettre <strong>de</strong> donner du sens, <strong>de</strong> se « responsabiliser » 7 et <strong>de</strong><br />

tenir compte <strong>de</strong>s « intentions » 8 <strong>de</strong>s étudiants (qui sont liées à la<br />

socialisation et qui permettent <strong>de</strong> donner sens, <strong>de</strong> se<br />

comprendre).<br />

666


Annexe 14.2<br />

Thèmes<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

TABLEAU ENTRETIEN DPM 0044<br />

principaux<br />

Choix<br />

professionnels<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Choix <strong>de</strong> la profession d’infirmière :<br />

choix lié à la situation familiale : « oui, alors après… quelques<br />

années, j’ai réalisé que j’avais choisi ce métier en lien avec une<br />

problématique familiale » 1, « à l’époque j’ai fait <strong>de</strong> la<br />

psychiatrie donc…, je me suis rendue compte, ouais après<br />

quelques années qu’en fait, j’avais un frère qui était, euh, on<br />

peut pas dire maladie mentale mais ?, oui, donc, euh, mais que<br />

ça avait pesé assez lourd <strong>dans</strong> le système familial que mon choix<br />

a quand même été assez clairement orienté par ça, ouais. » 1<br />

Choix <strong>de</strong> la profession d’enseignante :<br />

Choix lié à une décision <strong>de</strong> réorientation et à l’influence du<br />

conjoint : « j’ai décidé <strong>de</strong> m’orienter un peu différemment. Plus<br />

sur <strong>les</strong> conseils <strong>de</strong> mon mari qui lui avait très envie <strong>de</strong> faire <strong>de</strong><br />

l’enseignement, puis, je me suis dit après tout pourquoi pas.<br />

J’avais postulé à l’époque à l’école <strong>de</strong> psychiatrie <strong>de</strong> M., et puis<br />

j’ai été prise sans problème puis voilà, je suis restée. » 1<br />

Motivation Selon l’interlocutrice, sa motivation « a pas mal bougé » 2 au<br />

cours <strong>de</strong> sa carrière professionnelle et ceci est notamment lié à la<br />

difficulté <strong>de</strong> concilier vie professionnelle et vie privée :<br />

« j’ai trouvé compliqué, comme beaucoup <strong>de</strong> femmes,[…] mais<br />

moi j’ai trouvé compliqué toute la pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> la petite enfance,<br />

parce qu’il fallait conjuguer, j’avais un pourcentage <strong>de</strong> travail et<br />

il y a eu vraiment <strong>de</strong>s pério<strong>de</strong>s où je me disais je ne fais rien <strong>de</strong><br />

bien […] donc il y a eu <strong>de</strong>s vagues comme ça, puis, je dirais que<br />

<strong>de</strong>puis une année j’ai pu reprendre avec un pourcentage plus<br />

667


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

important, mon fils est grand, il a dix-neuf ans. Moi j’ai plutôt<br />

l’impression d’avoir retrouvé <strong>de</strong> l’énergie, d’avoir envie <strong>de</strong><br />

creuser encore certaines choses, euh…, jusqu’à la fin <strong>de</strong> ma<br />

carrière quoi. » 1-2<br />

Engagement Engagement, écoute et volonté :<br />

L’interlocutrice fait le lien entre l’engagement et <strong>de</strong>s qualités<br />

comme l’écoute et la volonté :<br />

« je trouve qu’il y a un … <strong>de</strong>s fois une espèce <strong>de</strong> côte à côte avec<br />

le patient, une… volonté d’essayer <strong>de</strong> travailler avec l’autre <strong>de</strong><br />

considérer… <strong>de</strong> … ouais. » 5<br />

« Ouais et pis en psychiatrie, <strong>de</strong>s fois c’est piège, parce que c’est<br />

aussi <strong>de</strong>s fois pour dire non à quelqu’un, ce n’est pas que lui<br />

dire mais oui mais oui, c’est aussi <strong>de</strong>s fois dire non, écouter… je<br />

trouve qu’il y a <strong>de</strong>s gens-là on sent qu’il y a une force intérieure<br />

et qu’il y a ouais… une volonté, enfin je ne sais pas comment on<br />

dit cela. » 5<br />

Sens <strong>de</strong> l’engagement et sens <strong>de</strong> l’existence :<br />

« je trouve que ça <strong>de</strong>vient difficile d’en parler [du sens] aux<br />

étudiants. Et ça je le vois <strong>de</strong>s fois <strong>dans</strong>… quand vous travaillerez<br />

avec <strong>de</strong>s patients en oncologie en psychiatrie ou etc… vous<br />

serez confrontés à cette question du sens ou du non-sens <strong>de</strong><br />

l’existence et vous serez amenés à <strong>de</strong>voir abor<strong>de</strong>r ces questions-<br />

là. El<strong>les</strong> seront peut-être pas posées <strong>dans</strong> ces termes, n’empêche<br />

qu’il faudra entrer sur ce terrain-là, mais là, j’ai l’impression<br />

qu’il aurait lieu au moins… et je ne sais pas pourquoi, j’ai vu<br />

que cela allait, je ne sais pas comment on ? ouais, dites-nous ce<br />

que l’on doit faire, donnez-nous <strong>de</strong>s solutions. » 6<br />

668


Thèmes<br />

principaux<br />

Valeurs<br />

professionnel<strong>les</strong><br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Solidarité et humanité :<br />

« je continue <strong>de</strong> mettre en avant, euh, la solidarité, je je ouais,<br />

c’est quelque chose qui compte pour moi, euh […] euh,<br />

continuer <strong>de</strong> considérer que <strong>les</strong> gens sont d’abord <strong>de</strong>s humais<br />

donc, qu’il y a <strong>de</strong>s… fail<strong>les</strong>, qu’on n’est pas parfait, qu’on n’est<br />

pas euh… […] d’essayer toujours <strong>de</strong> continuer <strong>de</strong> voir la<br />

personne avant euh euh <strong>les</strong> résultats ou ce qui est produit<br />

finalement. » 2<br />

Valeurs et enseignement :<br />

« il y a un travail sur <strong>les</strong> valeurs, sur la clarification <strong>de</strong> leurs<br />

valeurs déjà personnel<strong>les</strong>, ensuite professionnel<strong>les</strong>, ensuite<br />

institutionnel<strong>les</strong>, ensuite montrer où sont <strong>les</strong> tensions enfin etc.<br />

qui se fait très peu, très peu… parce que j’ai eu un peu<br />

l’impression que… ben oui, <strong>dans</strong> une école d’infirmières, il y a<br />

beaucoup <strong>de</strong> choses qu’ils doivent apprendre et pi là aussi, ça<br />

grandit donc comment faire <strong>de</strong>s bons choix, <strong>de</strong>s choix pertinents<br />

euh… il me semble que là, il y a un problème. » 3<br />

« … moi, j’ai un ou <strong>de</strong>ux cours sur l’altérité <strong>de</strong> façon générale et<br />

là, je leur <strong>de</strong>man<strong>de</strong> par exemple, plutôt que <strong>de</strong> réciter mon<br />

cours, […] <strong>de</strong> travailler sur une question en lien avec l’altérité<br />

par exemple. […] c’est très basique hein, mais peu importe le<br />

type d’altérité mais je, j’ai été heurtée, enfin … et apparaissent<br />

là, parfois justement <strong>de</strong>s aspects <strong>de</strong> valeurs ou <strong>de</strong>s<br />

cheminements qu’ils ont fait par rapport, par exemple au<br />

multiculturalisme ou euh, <strong>de</strong>s incompréhensions qui peu à peu<br />

heu, qui peu à peu ils comprennent mieux il me semble.<br />

Maintenant, oui, il y a quand même un certain nombre <strong>de</strong><br />

choses qui se font mais <strong>dans</strong> ce que j’ai recensé, j’ai l’impression<br />

669


Thèmes<br />

principaux<br />

Changements (au<br />

travers <strong>de</strong> son<br />

discours,<br />

l’interlocutrice fait<br />

allusion à<br />

différents<br />

changements en<br />

distinguant le<br />

passé du présent)<br />

Changements au<br />

niveau sociétal.<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

que c’est plutôt on leur balance plutôt un certain nombre <strong>de</strong><br />

contenus quoi, il faut qu’ils sachent à peu près ce que c’est la<br />

bioéthique, il faut qu’ils sachent qu’est-ce qu’on entend par…<br />

enfin <strong>les</strong> gran<strong>de</strong>s thématiques hein… l’assistance au suici<strong>de</strong>, le…<br />

ouais j’en passe hein, mais j’ai pas l’impression que <strong>les</strong> choses<br />

sont empoignées par le bon bout ça l’air vraiment <strong>de</strong> partir<br />

<strong>de</strong> … » 3-4<br />

Changements relatifs aux valeurs et aux références :<br />

« aujourd’hui le problème ce n’est pas qu’il n’y a plus <strong>de</strong> valeur<br />

c’est qu’il y en a tellement qu’il faut essayer, comme vous le<br />

dites, <strong>de</strong> se faire son propre système <strong>de</strong> références pi que… ben<br />

ça se construit pis c’est aussi un processus ça ne tombe pas du<br />

ciel quoi, donc euh, ouais ça complique un peu <strong>les</strong> affaires. » 3<br />

L’interlocutrice note une perte <strong>de</strong> référents, notamment pour ce<br />

qui est “<strong>de</strong>s églises, la théologie mais aussi parce qu’elle est mal<br />

comprise. Aujourd’hui, <strong>de</strong> dire qu’on est chrétien enfin, ça fait<br />

doucement sourire mais j’ai parfois l’impression que c’est<br />

dommage car il y a <strong>de</strong>s trésors <strong>de</strong> richesse bien entendu. Mais<br />

moi ce qui m’inquiète pas plus mais au même titre c’est que dès<br />

que l’on parle <strong>de</strong> philosophie j’ai l’impression très vite <strong>les</strong><br />

étudiants disent, « non on ne va pas se prendre la tête ». Alors<br />

<strong>de</strong>s fois moi j’interroge ça, je dis mais c’est quoi « pas se prendre<br />

la tête » ? » 7<br />

Changements <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> :<br />

« j’ai pas l’impression qu’ils [<strong>les</strong> étudiants] soient moins<br />

engagés, mais c’est différents, j’ai… le sentiment aussi que<br />

globalement on a changé hein… <strong>de</strong>puis quarante ans, forcément,<br />

et que euh, ils essaient, peut-être davantage respecter leur<br />

670


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

sphère privée, c’est, c’est très important pour eux cet aspect <strong>de</strong>s<br />

loisirs, cet aspect d’avoir <strong>de</strong>s… du temps pour eux, enfin <strong>de</strong>,<br />

<strong>de</strong>… moi, … moins engagés j’sais pas, moi je <strong>les</strong> sens un petit<br />

peu plus fragi<strong>les</strong>, c’est plutôt ça, c’est plutôt ça que je dirais, un<br />

peu plus fragile <strong>dans</strong> <strong>les</strong> confrontations. » 2<br />

[Par rapport au désengagement] « mais à mon sens c’est pas là<br />

que moi j’ai l’impression que que … <strong>les</strong> gens sont … cherchent<br />

encore à faire leur travail au mieux, vraiment. Mais, moi ce qui<br />

me pèse, disons le plus par rapport à cette thématique c’est le<br />

discours plutôt. Il y a quand même <strong>dans</strong> notre Institution, un<br />

discours parfois <strong>de</strong> personnes qui n’arrêtent pas <strong>de</strong> râler, qui<br />

n’arrêtent pas d’idéaliser le passé, qui n’arrêtent pas <strong>de</strong> penser<br />

qu’au fond c’était tellement mieux avant euh, etc… et puis pour<br />

finir j’en viens à me dire <strong>de</strong>s fois s’il n’y a pas une certaine<br />

complaisance aussi à cet abonnement au passé, au… bien sûr<br />

que le mon<strong>de</strong> change mais c’est aussi nous qui le faisons ce<br />

mon<strong>de</strong>. Donc j’ai envie <strong>de</strong> dire… mais peut-être que c’est mon<br />

combat, mais j’ai envie <strong>de</strong> dire mais ne vous laissez pas gagner<br />

par le désespoir, l’espérance est votre défi, surtout maintenant il<br />

faut gar<strong>de</strong>r la tête haute, j’ai envie <strong>de</strong> dire. » 5<br />

Changements relatifs à l’éducation et à la formation :<br />

« encore une fois le mon<strong>de</strong> a changé, je pense que moi, j’ai<br />

beaucoup été éduquée <strong>dans</strong> le sens du <strong>de</strong>voir, <strong>dans</strong> le sens <strong>de</strong><br />

heu… <strong>de</strong>s obligations, <strong>de</strong> rendre service <strong>de</strong> … etc…. J’ai<br />

l’impression qu’aujourd’hui, heu… l’éducation <strong>les</strong> a peut-être<br />

davantage baignés… quoique… mais enfin <strong>dans</strong> une<br />

atmosphère peut-être plus euh, ou il y a quand même un peu<br />

plus <strong>de</strong> plaisir, un peu plus <strong>de</strong> confort quand même <strong>dans</strong><br />

671


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

certains milieux, d’où la possibilité quand même d’avoir <strong>de</strong>s<br />

vacances, d’avoir <strong>de</strong>s plaisirs enfin <strong>dans</strong> la vie… qui peut-être<br />

font que… j’ai ma foi l’impression que, en même temps, si je<br />

peux m’exprimer comme cela que le réveil il est difficile parce<br />

que il y a peut-être un certain sens <strong>de</strong>s réalités qui… peut-être<br />

qu’ils ont été un petit peu protégés et que c’est peut-être quand<br />

même un peu plus difficile aujourd’hui <strong>de</strong> tout d’un coup<br />

tourner <strong>les</strong> yeux sur <strong>les</strong> réalités d’aujourd’hui quoi. » 2<br />

« C’est vrai que ça c’est une vraie question parce que je me dis<br />

au fond moi je fais partie maintenant <strong>de</strong>s anciens, il y a<br />

longtemps que je suis là, alors je trouve que c’est bien, il faut<br />

assurer la relève, il faut que <strong>les</strong> jeunes viennent, c’est évi<strong>de</strong>nt<br />

pour moi mais <strong>de</strong>s fois je me dis mais comment je fais pour<br />

suivre quand même le mouvement. Je me sens pas non plus<br />

complètement <strong>les</strong> pattes arrière, donc ce qui vient aujourd’hui,<br />

euh…. ? une philosophie <strong>de</strong> vie, j’ai pas envie <strong>de</strong> vieillir comme<br />

une vieille dame aigrie, pleine d’amertume, je trouve cela trop<br />

triste, quoi, donc j’essaie <strong>de</strong> me dire euh… il y a <strong>de</strong>s choses<br />

auxquel<strong>les</strong> je tiens, donc ça, je … en tout cas j’essaie <strong>de</strong> <strong>les</strong><br />

incarner mais ma foi, par rapport aux supérieurs, par rapport<br />

à … voilà… j’attends pas non plus la lune, enfin je me dis ils<br />

font, ils font ce qu’ils peuvent. Mais, je trouve un petit peu<br />

inquiétant, euh, chez certains anciens l’impression d’un<br />

essoufflement avec <strong>de</strong>s gens qui effectivement voient le mon<strong>de</strong><br />

changer, voient que il y a beaucoup <strong>de</strong> valeurs qui, qui arrivent<br />

pas à se dire, finalement j’ai encore ma place, j’ai encore le droit<br />

d’être là, même si j’ai plus <strong>de</strong> cinquante ans. » 4<br />

672


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

« Ouais, encore une fois on a connu une école, qui était bien sûr<br />

très humaniste, très familiale, ce temps-là est fini. Donc, … il y a<br />

du mentorat <strong>dans</strong> l’école, donc euh, il y <strong>de</strong>s occasions <strong>de</strong> parler<br />

avec <strong>de</strong>s collègues par rapport à du coaching qui font par<br />

rapport au « bachelor thesis » à ce type d’accompagnement. Je<br />

trouve qu’on sent que certains professeurs sont … vraiment<br />

motivés, enfin ils font ça <strong>de</strong>, ils s’impliquent enfin alors que<br />

d’autres, sans jugement <strong>de</strong> valeurs, auraient tendance à dire il<br />

faut qu’ils se débrouillent, s’ils n’arrivent pas ben tant pis quoi.<br />

Je peux aussi comprendre ça parce que bon ben le nombre<br />

d’étudiants augmente et le ratio enseignants/étudiants va pas<br />

augmenter quoi. » 5<br />

« autrefois on avait presque une année <strong>de</strong> formation<br />

pédagogique tandis qu’aujourd’hui s’ils ont <strong>les</strong> contenus ben<br />

c’est bon mais en même temps vous voyez <strong>de</strong>s jeunes<br />

enseignants ils ont la trouille en salle <strong>de</strong> classe. On voit bien,<br />

alors tout ce qu’ils racontent c’est juste, ce n’est pas la question<br />

mais il y a un blocage par rapport à <strong>de</strong>s jeunes qui aujourd’hui<br />

euh ... <strong>de</strong>s fois percutent. Il y a <strong>de</strong>s questions qui ne sont pas<br />

faci<strong>les</strong> quoi. » 6<br />

« l’éducation morale à l’école, j’entends c’est périmé, c’est<br />

terminé, il n’y a plus rien alors que ça pourrait être extrêmement<br />

intéressant d’abor<strong>de</strong>r ces questions même <strong>dans</strong> <strong>les</strong> petites<br />

classes, c’est quoi qui prend sens, je ne sais pas moi, ce serait<br />

peut-être intéressant plutôt que dire ce sont <strong>de</strong>s d’histoires<br />

d’enfants et <strong>de</strong> <strong>les</strong> laisser se battre <strong>dans</strong> <strong>les</strong> cours <strong>de</strong> récréation, il<br />

673


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

y a <strong>de</strong>s souffrances terrib<strong>les</strong> qui sont complètement inexploitées,<br />

non. Mais je me suis rendue compte alors effectivement ça c’est<br />

complètement en perte <strong>de</strong> vitesse mais ça paraît complètement<br />

ringard <strong>dans</strong> l’éducation. » 7<br />

« C'est-à-dire que tout le mon<strong>de</strong> va vous dire oui, oui, oui, bien<br />

sûr <strong>les</strong> questions éthiques c’est important, c’est tout ce que vous<br />

voulez mais à côté <strong>de</strong> cela ben maintenant il faut <strong>les</strong> former à<br />

l’évaluation clinique, il faut faire du skills lab 4 , il faut faire du e-<br />

learning, il faut faire etc.. etc.. et tout ça c’est <strong>de</strong>s priorités. » 7<br />

« Le travail que je viens <strong>de</strong> faire m’a vraiment rendue attentive,<br />

je me suis dit, tel<strong>les</strong> que <strong>les</strong> choses sont faites aujourd’hui, c’est<br />

clairement insatisfaisant. Il ne faut pas s’attendre à ce qu’au bout<br />

du compte l’étudiant ait <strong>de</strong> quoi affronter et se positionner <strong>dans</strong><br />

<strong>de</strong>s situations éthiques problématiques. » 8<br />

Changements relatifs au système <strong>de</strong> <strong>soins</strong> et à la profession<br />

infirmière :<br />

« avec <strong>les</strong> changements qui sont apparus <strong>dans</strong> la pratique, c’est<br />

vrai qu’ils sont aussi confrontés en année préparatoire à <strong>de</strong>s<br />

situations extrêmement diffici<strong>les</strong> et c’est pas parce qu’ils ont<br />

choisi ce métier là qu’au fond ils <strong>de</strong>vraient avoir la force <strong>de</strong><br />

supporter. » 2<br />

4 Apprentissage en laboratoire <strong>de</strong> simulation.<br />

« Alors, je pense… maintenant à … à l’interruption volontaire <strong>de</strong><br />

grossesse par l’alternative médicamenteuse qui se font<br />

674


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

désormais sur l’étage et, jusque-là au fond, <strong>les</strong> étudiants et <strong>les</strong><br />

infirmières, el<strong>les</strong> n’étaient pas confrontées à l’embryon, alors<br />

qu’aujourd’hui, en fait, el<strong>les</strong> doivent, ben ça sonne, et pis el<strong>les</strong><br />

doivent aller récolter. Il y a <strong>de</strong>s étudiantes qui disent ça el<strong>les</strong> ne<br />

savent pas comment nommer, ce qu’el<strong>les</strong> doivent aller heu et là<br />

j’ai vu qu’il y a <strong>de</strong>s étudiantes qui étaient profondément<br />

perturbées et qui étaient en désarroi enfin c’était vraiment<br />

difficile quoi. » 2<br />

« c’est peut-être quand même un peu plus difficile aujourd’hui<br />

<strong>de</strong> tout d’un coup tourner <strong>les</strong> yeux sur <strong>les</strong> réalités d’aujourd’hui<br />

quoi. Effectivement, ben à l’hôpital ils sont confrontés à <strong>de</strong>s<br />

vieux, à <strong>de</strong>s pauvres, à <strong>de</strong>s… inégalités, à <strong>de</strong>s… ouais enfin, ça<br />

ne doit pas être facile quoi. » 2-3<br />

« il y a une forme <strong>de</strong> rouleau compresseur du système actuel<br />

quoi, <strong>dans</strong> le fait que je ne sais pas, il y a une espèce <strong>de</strong><br />

banalisation et certaines interventions <strong>de</strong>viennent <strong>de</strong>s<br />

prestations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> comme une autre et pis ma foi, il faut vous<br />

aligner quoi. » 4<br />

« aujourd’hui <strong>de</strong> plus en plus <strong>les</strong> infirmières seront appelées à<br />

être finalement à remplacer en partie <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> premier<br />

recours » 9<br />

675


Thèmes<br />

principaux<br />

Positionnement<br />

professionnel<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Formation et positionnement :<br />

« Et puis bon, c’est toujours la même chose, il y a quelques<br />

étudiants qui s’en sortent un peu mieux, alors ce que j’ai pu voir,<br />

c’est ou bien <strong>de</strong>s ASSC 5 qui ont déjà quatre ans <strong>de</strong>rrière el<strong>les</strong> et<br />

puis el<strong>les</strong> arrivent ici et pour certaines mais ça leur paraît un<br />

luxe d’être ici parce qu’el<strong>les</strong> sont mieux accompagnées en stage,<br />

il y a <strong>de</strong>s PF, parce que euh, el<strong>les</strong> ont envie, pour el<strong>les</strong>, je pense<br />

qu’il y a une espèce d’ascension sociale encore pour certaines<br />

donc, une valorisation, je crois qu’ils y a <strong>de</strong>s étudiantes, <strong>de</strong>s<br />

étudiants, <strong>de</strong>s gars extraordinaires vraiment, ils sont un peu<br />

plus âgés, certains ont bossés quelques années, alors après on a<br />

parfois <strong>de</strong>s échanges vraiment extrêmement intéressants et puis<br />

quelques débats et puis bien sûr quelques autres parcours pour,<br />

je voudrais pas, il y toujours <strong>dans</strong> une formation quelques-uns<br />

qui sortent un peu du lot et puis qui arrivent à se positionner en<br />

<strong>de</strong>rnière année <strong>de</strong> façon intéressante. » 8<br />

« mais oui, il y a quand même un apprentissage du<br />

positionnement professionnel qui se fait je dirais alors là, qui<br />

traverse un peu la formation » 8<br />

Évolution professionnelle et positionnement:<br />

« Là moi je me <strong>de</strong>man<strong>de</strong> si on ne <strong>de</strong>vrait pas plus travailler aussi<br />

l’aspect du lea<strong>de</strong>rship quand même. Parce que je me dis bon<br />

sang <strong>de</strong> bonsoir, j’entends, aujourd’hui <strong>de</strong> plus en plus <strong>les</strong><br />

infirmières seront appelées à être finalement à remplacer en<br />

partie <strong>les</strong> mé<strong>de</strong>cins <strong>de</strong> premier recours. » 9<br />

« <strong>dans</strong> le territoire <strong>de</strong>s infirmières, c’est dommage, il faudra petit<br />

5 ASSC : Assistant en Soins Santé Communautaires.<br />

676


Thèmes<br />

principaux<br />

Détresse et<br />

souffrance<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

à peu qu’el<strong>les</strong> se fédèrent autrement, qu’el<strong>les</strong> … parce qu’en<br />

même temps, el<strong>les</strong> <strong>de</strong>vront répondre à un certain nombre <strong>de</strong><br />

choses. El<strong>les</strong> ne doivent pas dire non, non, moi j’ai exécuté <strong>les</strong><br />

ordres du mé<strong>de</strong>cin, petit à petit c’est fini. » 9<br />

Détresse, souffrance et enseignement :<br />

« il faudrait justement leur ai<strong>de</strong>r à différencier c’est quoi la<br />

souffrance psychique, je suis fatigué, j’ai plus d’énergie euh…<br />

ouais, je suis triste aussi peut-être parce qu’il m’arrive <strong>de</strong>s<br />

choses <strong>dans</strong> ma vie, parce que je dois faire le <strong>de</strong>uil <strong>de</strong> mon<br />

ado<strong>les</strong>cence, etc. et pis qu’est-ce que c’est une détresse morale.<br />

Et ça j’ai l’impression effectivement que c’est pas fait et que du<br />

coup <strong>les</strong> réponses cherchées ne sont pas toujours <strong>les</strong> bonnes. » 3<br />

Détresse, souffrance et réalité <strong>de</strong> l’hôpital :<br />

« Que la détresse morale c’est euh… pour moi c’est une<br />

souffrance qui est occasionnée justement à cause d’un<br />

tiraillement <strong>de</strong> conscience. C’est-à-dire, je crois que c’est bon ou<br />

que c’est bien <strong>de</strong> faire ceci ou cela et pi au fond, je me trouve<br />

<strong>dans</strong> une réalité ou on me dit, écoute aujourd’hui <strong>les</strong> dos tu<br />

laisses tomber parce que on n’est pas assez, y’a pas le temps<br />

donc tu fais vite fait et puis on verra pour une autre fois. Il y a<br />

<strong>de</strong>s <strong>soins</strong> d’escarres qui sont laissés <strong>de</strong> côté, il y a un certain<br />

nombre <strong>de</strong> choses qui doivent / ça <strong>les</strong> met comme j’ai pu le voir<br />

<strong>dans</strong> <strong>de</strong>s analyses <strong>de</strong> pratique, ça <strong>les</strong> met <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s situations<br />

diffici<strong>les</strong> et pis ça s’accumule hein désormais. » 3<br />

Burnout Les multip<strong>les</strong> facteurs du burnout :<br />

« Alors, moi j’ai <strong>de</strong> la peine à répondre que disons ma réponse<br />

au burnout elle est quand même que il y a <strong>de</strong>s facteurs qui sont<br />

677


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

liés, qui sont d’ailleurs probablement un peu minimisés, surtout<br />

en Suisse où la mé<strong>de</strong>cine du travail est très peu présente, active,<br />

si on pense à d’autres pays d’Europe, c’est un peu différent.<br />

Mais pour moi, il y a un ensemble <strong>de</strong> facteurs, il y a une<br />

synergie entre <strong>de</strong>s facteurs qui font que l’on aboutit à cela, j’ai <strong>de</strong><br />

la peine à vous dire que l’on pourrait invoquer seulement la<br />

cause <strong>de</strong> l’engagement qui ferait que quelqu’un s’effondre. À un<br />

moment donné, il y a d’autres facteurs qui, mais bon, c’est un<br />

peu ma théorie, je je… » 5-6<br />

Burnout et enseignement :<br />

« <strong>de</strong>s épreuves <strong>de</strong> vie aussi qui viennent affecter au fond l’élan<br />

ou le punch et pis qui font que là on entre <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s histoires <strong>de</strong><br />

résilience, enfin qu’est-ce qui fait que certains même si ils<br />

tombent arrivent à se relever et puis d’autres pas et pour moi là<br />

c’est une énigme. J’ai pas <strong>de</strong> réponse mais c’est clair, ouais, bien<br />

sûr le manque <strong>de</strong> reconnaissance, une certaine solitu<strong>de</strong> <strong>dans</strong><br />

l’enseignement parce qu’effectivement il faut beaucoup assumer<br />

<strong>de</strong> choses seule. » 6<br />

678


Annexe 14.3<br />

Thèmes<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

TABLEAU ENTRETIEN DPM 0062<br />

principaux<br />

Choix<br />

professionnels<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Choix <strong>de</strong> la profession :<br />

L’interlocutrice nous dit au sujet <strong>de</strong> choix <strong>de</strong> sa profession qu’<br />

« au début, c’est pas du tout ce que je voulais faire » 1.<br />

Désireuse <strong>de</strong> travailler <strong>dans</strong> l’enseignement, elle estime qu’elle<br />

n’avait « pas <strong>les</strong> capacités pour aller à la HEP ou ailleurs » 1.<br />

Suite à l’école <strong>de</strong> Numa-Droz, elle avait <strong>de</strong>ux possibilités, soit<br />

une école <strong>de</strong> physiothérapie, soit une école d’infirmière. Ayant<br />

échoué <strong>les</strong> examens d’admission <strong>de</strong> l’école <strong>de</strong> physiothérapie,<br />

elle n’a pas d’autres options que l’école d’infirmière : « il me<br />

restait l’école d’infirmière. Voilà, il n’y a pas <strong>de</strong> critère… » 1<br />

Toutefois, l’interlocutrice présente sa décision comme un choix<br />

et dit avoir trouvé sa voie : « c’est un choix que je ne regrette<br />

pas du tout, ça me plaît beaucoup pis je m’investis beaucoup là-<br />

<strong>de</strong><strong>dans</strong> » 1 , « le métier d’infirmière, j’ai trouvé ma voie, j’ai<br />

l’impression » 1.<br />

Orientation professionnelle future :<br />

Aux urgences : « c’est là-<strong>de</strong><strong>dans</strong> [aux urgences] que j’aimerais<br />

me diriger après » 1<br />

Raison <strong>de</strong> ce choix : il n’y a pas <strong>de</strong> routine, « il n’y a rien qui est<br />

vraiment programmé » 1<br />

679


Thèmes<br />

principaux<br />

Valeurs<br />

professionnel<strong>les</strong><br />

I<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

La « sécurité » et l’ « empathie » 2 :<br />

Si en tant qu’étudiante, l’interlocutrice pense respecter ces <strong>de</strong>ux<br />

valeurs, le non-respect <strong>de</strong> ces valeurs, notamment par manque<br />

<strong>de</strong> temps pour ce qui est <strong>de</strong> l’empathie, pourrait engendrer<br />

chez elle et selon ses dires une frustration. Une <strong>de</strong>s solutions<br />

avancées pour y remédier étant la délégation. Elle dit d’ailleurs<br />

apprécier son travail au home où « c’est chouette, on a vraiment<br />

le temps d’aller discuter avec <strong>les</strong> rési<strong>de</strong>nts » 2. Par contre, si l’<br />

« on vient parce qu’on est obligé pour avoir un salaire et puis…<br />

j’ai l’impression qu’on n’a pas d’empathie pour le patient. » 7<br />

Ces valeurs, et plus particulièrement l’empathie, semblent<br />

participer à la construction <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité professionnelle : « on<br />

est un peu plus que <strong>de</strong>s soignants » 2<br />

Le respect :<br />

Le « respect » est également indiqué comme valeur 7.<br />

Valeurs et i<strong>de</strong>ntité professionnelle :<br />

L’i<strong>de</strong>ntité professionnelle est liée aux valeurs professionnel<strong>les</strong>.<br />

Lorsqu’il y a du temps à disposition pour faire preuve<br />

d’empathie envers <strong>les</strong> patients, « on est un peu plus que <strong>de</strong>s<br />

soignants » 2<br />

Pour l’interlocutrice, l’i<strong>de</strong>ntité infirmière « ça représente qui on<br />

est et puis nos valeurs. » 7, « c’est ça qu’on défend<br />

continuellement » 7<br />

Engagement Motivation, positionnement et engagement : <strong>dans</strong> son<br />

discours, l’interlocutrice fait le lien entre engagement,<br />

motivation et positionnement : « si on n’est pas engagée, on<br />

paraît démotivée, donc… ça nous fait déjà pas, on ne reflète pas<br />

680


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

quelque chose <strong>de</strong> positif » 4, « si on est engagé on a un avis, on<br />

se positionne, on aime que <strong>les</strong> choses oui, que <strong>les</strong> choses soient<br />

vues… je n’arrive pas à l’exprimer. Je pense qu’il y a un grand<br />

lien quand même. » 7<br />

Selon l’interlocutrice, l’engagement peut-être défini comme<br />

suit : « c’est tout donner <strong>dans</strong> son métier, c’est un peu fort ce<br />

que je dis, c’est donner son énergie, c’est mettre à contribution<br />

tout ce que l’on a pour mettre <strong>dans</strong> son métier. Quand on va<br />

faire notre journée <strong>de</strong> travail, on ressort, on est vidé, c’est ça<br />

pour moi être engagée <strong>dans</strong> quelque chose. » 2<br />

Sens <strong>de</strong> l’engagement :<br />

Ce qui semble donner sens à l’engagement c’est la<br />

« reconnaissance » <strong>de</strong>s collèges et <strong>de</strong>s patients et un « sentiment<br />

d’utilité » 3 : « le sens <strong>dans</strong> le fait <strong>de</strong> se sentir utile » 3<br />

Limites <strong>de</strong> l’engagement :<br />

Évocation du besoin et <strong>de</strong> la difficulté à se « donner » 2 <strong>de</strong>s<br />

limites. Selon l’interlocutrice, l’expérience permettrait <strong>de</strong> s’en<br />

donner : « avec l’expérience ça veut venir » 2, « quand j’aurai <strong>de</strong><br />

l’expérience, je serai plus à l’aise <strong>dans</strong> mon travail et puis ça me<br />

permettra d’être moins stressée et puis <strong>de</strong> prendre un peu <strong>de</strong><br />

recul ouais » 3,<br />

Si <strong>dans</strong> un <strong>de</strong>s stages, elle prétend avoir eu « <strong>de</strong> la chance<br />

d’avoir une infirmière référente » 4 qui « posait <strong>les</strong> limites » 4<br />

pour l’étudiante alors que <strong>dans</strong> certains autres elle « n’arrivai[t]<br />

pas à donner <strong>les</strong> limites et pis t’as pas envie <strong>de</strong> montrer que tu<br />

peux plus, alors étant étudiante, il faut faire un bon stage et pis<br />

y aller » 4<br />

681


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Pour « être autant engagée » qu’elle, autrement dit un tel<br />

engagement est possible pour elle, du fait qu’elle est « toute<br />

seule », qu’elle n’a « pas <strong>de</strong> vie <strong>de</strong> famille », « pas d’enfants » 3<br />

Mise en gar<strong>de</strong> par rapport à ces limites en lien avec le risque <strong>de</strong><br />

burnout. Du fait <strong>de</strong> son engagement, <strong>de</strong>s collègues l’ « ont<br />

vraiment mis en gar<strong>de</strong> » 3<br />

Savoir se donner <strong>de</strong>s limites est mis en rapport avec la notion<br />

<strong>de</strong> motivation. Selon l’interlocutrice, il s’agit <strong>de</strong> « se donner <strong>de</strong>s<br />

limites puis à dire là stop, j’ai fini mon travail, j’y vais. Peut-être<br />

que ça permettrait qu’il y ait moins <strong>de</strong> gens qui soient<br />

démotivés oui. »4<br />

Pour poser <strong>de</strong>s limites, il s’agit, selon et pour l’interlocutrice d’<br />

« apprendre à dire non et puis quand c’est l’heure c’est l’heure<br />

malgré qu’il y ait beaucoup <strong>de</strong> travail et puis apprendre à<br />

déléguer, ça c’est un point qu’il faut que je travaille la<br />

délégation. » 6<br />

Désengagement et sur-engagement :<br />

- Désengagement expliqué par la temporalité : « il y en a<br />

une, qui était, ça faisait vingt ans qu’elle est là et puis<br />

voilà… Elle venait pour être au boulot ou pour gagner<br />

un salaire mais j’avais pas l’impression qu’elle se donnait<br />

à fond comme <strong>les</strong> gens motivés. » 4, « ce n’était pas la<br />

première à dire bon moi j’y vais ou bien elle n’avait pas<br />

d’avis sur <strong>les</strong> choses, elle ne s’intéressait pas forcément<br />

aux nouveautés » 4, « je pense que cela faisait trop<br />

682


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

longtemps qu’elle était <strong>dans</strong> le service et pis elle aurait<br />

peut-être besoin <strong>de</strong> voir autre chose » 4<br />

- Désengagement expliqué par la spécificité du milieu<br />

psychiatrique : concernant son engagement,<br />

l’interlocutrice dit qu’ « il a beaucoup augmenté durant<br />

<strong>les</strong> <strong>de</strong>rniers stages sauf un, le stage en psychiatrie où là,<br />

je n’ai pas été engagée du tout parce que c’était un lieu<br />

où je ne me plaisais pas et puis la psychiatrie je n’arrivais<br />

pas, je n’avais pas le feeling pour être <strong>de</strong><strong>dans</strong>. Donc là,<br />

j’étais un peu désengagée » 6, « le contact ça passait pas<br />

et puis, j’avais l’impression d’être tout le temps<br />

manipulée […] d’être une marionnette » 6, « C’est pas ce<br />

qui me convient en tout cas » 6<br />

- Sur-engagement : l’interlocutrice dit que lors d’un<br />

précé<strong>de</strong>nt stage, elle était « un peut trop engagée oui,<br />

parce que je me plaisais, parce que c’était une bonne<br />

équipe et pis j’avais l’impression d’être <strong>dans</strong> ce que<br />

j’aime. » 6<br />

Engagement en tant qu’étudiant-e :<br />

En ce qui la concerne, l’étudiante interrogée évoque son propre<br />

engagement en tant qu’étudiante : « pis t’as pas envie <strong>de</strong><br />

montrer que tu peux plus, alors étant étudiante, il faut faire un<br />

bon stage et pis y aller » 4<br />

À la fin <strong>de</strong> ces étu<strong>de</strong>s elle dit que « moi j’aimerais faire plein <strong>de</strong><br />

choses » 8<br />

683


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

L’interlocutrice dit concernant le trajet du retour qu’en fin <strong>de</strong><br />

journée « pour rentrer à la maison, là j’en avais marre » 5, « j’en<br />

avais marre, j’en pouvais plus » 5.<br />

Elle dit que « <strong>les</strong> stages ça va, parce que c’est en même temps<br />

défini, on sait que jusqu’à cette date on se donne à fond mais<br />

après <strong>dans</strong> la vie professionnelle, il faut pouvoir se dire, mais<br />

non, je ne peux pas me donner à fond tout le temps. Le travail<br />

c’est tout le temps c’est pas pendant <strong>de</strong>ux mois. » 5<br />

En ce qui concerne <strong>les</strong> étudiants <strong>de</strong> manière plus générale, elle<br />

dit « une bonne moitié est engagée puis l’autre est… j’ai<br />

l’impression non. », « je sais pas si on fait quatre ans d’étu<strong>de</strong>s<br />

pour avoir un métier, il faut quand même être motivé et être<br />

intéressé mais il y a une certaine partie qui ne paraît pas<br />

intéressée à… » 8<br />

Équipe Représentation <strong>de</strong> l’équipe :<br />

La conception <strong>de</strong> l’équipe est mise en rapport avec le statut<br />

d’étudiante ainsi qu’avec <strong>les</strong> notions <strong>de</strong> « responsabilités » 5 et<br />

d’engagement : « en tout cas en temps qu’étudiante, plus ils<br />

nous mettent <strong>de</strong>s responsabilités plus on a envie d’être<br />

engagée, on veut montrer qu’on peut, qu’on sait. Oui, je pense<br />

que plus ils nous donnent <strong>de</strong>s responsabilités plus ça montre<br />

qu’on est capable et plus on a envie <strong>de</strong> s’engager. » 5<br />

Travail en équipe, motivation et engagement :<br />

L’interlocutrice évoque également la division au sein d’équipes<br />

en fonction <strong>de</strong> la motivation : « il y avait un peu <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux côtés,<br />

<strong>les</strong> gens motivés c’étaient un groupe et puis ceux qui étaient<br />

démotivés qui en avait ras-le-bol c’en était un autre.<br />

684


Thèmes<br />

principaux<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Sous-thèmes et extraits<br />

Elle dit aussi s’être plus engagée lorsque « que c’était un bonne<br />

équipe » 6 que lorsque que « l’équipe était un peu froi<strong>de</strong> » 6<br />

Burnout Mise en gar<strong>de</strong> par rapport au burnout :<br />

« il y en a un, je pense qu’il a dû faire un burnout ou quelque<br />

chose, parce que il m’a vraiment mis en gar<strong>de</strong> » 3<br />

Syndromes du burnout :<br />

« il ne peut pas s’empêcher <strong>de</strong> s’engager <strong>dans</strong> le service. Il est à<br />

fond <strong>de</strong><strong>dans</strong> » 3, « <strong>les</strong> heures supplémentaires, ils ne<br />

regardaient pas ils faisaient, ils aimaient finir ce qu’ils avaient<br />

commencé, ils délèguent peu et puis ils ont <strong>de</strong>s avis pour tout,<br />

ils s’impliquent <strong>dans</strong> tout ce qui touche au service. […] ils sont<br />

tout le temps disponib<strong>les</strong>, un peu trop. » 3<br />

Les multip<strong>les</strong> facteurs du burnout :<br />

Évocation <strong>de</strong> la pluralité <strong>de</strong> facteurs pouvant être à l’origine<br />

d’un burnout par la présentation d’un cas particulier 7.<br />

Connaissances théoriques au sujet du burnout :<br />

Évocation <strong>de</strong> connaissances théoriques sur le burnout 8<br />

Enseignement Lien entre la théorie et la pratique 5-6<br />

Conséquences<br />

potentiel<strong>les</strong> <strong>de</strong> la<br />

gestion<br />

hospitalière<br />

Portfolio 8-9<br />

Elle dit espérer ne pas <strong>de</strong>venir « un robot » 7 notamment du fait<br />

d’une « perte <strong>de</strong> liberté, une perte <strong>de</strong> mouvements, <strong>de</strong> faire ce<br />

que je veux et mon rôle sera décrit, prescrit, je ne peux plus<br />

prendre du temps pour le patient ou d’avoir un champ <strong>de</strong><br />

liberté. » 7<br />

685


Annexe 15.1<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

686


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

687


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

688


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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Dugravier-Guérin, N. (2010). La relation <strong>de</strong> soin: Approches éthiques et philosophiques.<br />

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Dupuis, M., Gueibe, R. & Hesbeen, W. (2011). La banalisation <strong>de</strong> l’humain <strong>dans</strong> le<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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Gauchet, M. (1985). Le désenchantement du mon<strong>de</strong>. Paris: Gallimard.<br />

Gauchet, M. (2002). La démocratie contre elle-même. Paris: Gallimard.<br />

Gaulejac, V. (<strong>de</strong>) (2005). La société mala<strong>de</strong> <strong>de</strong> la gestion. Idéologie gestionnaire, pouvoir<br />

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Gaulejac, V. (<strong>de</strong>) (2009). Qui est « je »? Sociologie clinique du sujet. Paris: Seuil.<br />

Gaulejac, V. (<strong>de</strong>) (2011). Les raisons <strong>de</strong> la colère. Paris: Seuil.<br />

Gaziaux, É. (1998). L’autonomie en morale au croisement <strong>de</strong> la philosophie et <strong>de</strong> la théologie.<br />

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en public. Paris: Éditions <strong>de</strong> Minuit.<br />

Goffman, E. (1973). Les rites d’interaction. Paris: Éditions <strong>de</strong> Minuit.<br />

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Grondin, J. (2003). Du sens <strong>de</strong> la vie. Essai philosophique. Québec: Bellarmin.<br />

836


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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Guillemin, M. (2011). Les dimensions insoupçonnées <strong>de</strong> la santé au travail. Paris:<br />

L’Harmattan.<br />

Habermas, J. (1963). Theorie und Praxis. Neuwied am Rhein: Luchterhand.<br />

Habermas, J. (1987). Théorie <strong>de</strong> l’agir communicationnel (Tome 2): pour une critique <strong>de</strong> la<br />

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Havard-Duclos, B. & Nicourd, S. (2005). Pourquoi s’engager? Bénévo<strong>les</strong> et militants<br />

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Hegel, G.W.F. (1807). La phénoménologie <strong>de</strong> l’esprit. Tome 1. Trad. <strong>de</strong> l’allemand par J.<br />

G. Hyppolyte (1939-1941). Paris: Aubier-Montaigne.<br />

Hegel, G.W.F. (1807). La phénoménologie <strong>de</strong> l’esprit. Tome 2. Trad. <strong>de</strong> l’allemand par<br />

J.G. Hyppolite (1939-1941). Paris: Aubier-Montaigne.<br />

Hesbeen, W. (1998). La qualité du soin infirmier: penser et agir <strong>dans</strong> une perspective<br />

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Hesbeen, W. (2000). Prendre soin <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong>. Contribuer à un univers plus soignant.<br />

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Hesbeen, W. (2002). La qualité du soin infirmier. Penser et agir <strong>dans</strong> une perspective<br />

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Hirsch, E. (1997). Soigner l’Autre. Paris: Belfond.<br />

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Hirsch, E., Dagognet F. (préf.) & Pont-Humbert (av.-pr.) (2006). L’éthique au cœur <strong>de</strong>s<br />

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Hirsch, E. & Ferlen<strong>de</strong>r, E. (1998). Droits <strong>de</strong> l’homme et pratiques soignantes. Paris: Doin.<br />

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Imbert, F. (2000). L'impossible métier <strong>de</strong> pédagogue: praxis ou poièsis, éthique ou morale.<br />

Issy-<strong>les</strong>-Moulineaux: ESF.<br />

Ion, J. (1997). La fin <strong>de</strong>s militants? Paris: Éditions <strong>de</strong> l’Atelier/Ouvrières.<br />

Ion, J. (2012). S’engager <strong>dans</strong> une société d’individus. Paris: Colin.<br />

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Jorion, P. (2012). Misère <strong>de</strong> la pensée économique. Paris: Fayard.<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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Jorro, A. (dir.) (2009). La reconnaissance professionnelle: évaluer, valoriser, légitimer.<br />

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Jorro, A. & De Ketele, J.-M. (2011). La professionnalité émergente: quelle<br />

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Trad. et présenté par A. Renaut (1994). Paris: GF-Flammarion.<br />

Kant, E. (1785). Métaphysique <strong>de</strong>s mœurs II. Trad. et présenté par A. Renaut (1994).<br />

Paris: GF-Flammarion.<br />

Kant, E. (1797). Métaphysique <strong>de</strong>s mœurs. Première partie: Doctrine du droit. Introduction<br />

et traduction par A. Philonenko (1971). Paris: Vrin.<br />

Kant, E. (1797). Métaphysique <strong>de</strong>s mœurs. Deuxième partie: Doctrine <strong>de</strong> la vertu.<br />

Introduction et traduction par A. Philonenko (1971). Paris: Vrin.<br />

Kant, E. (1788). Critique <strong>de</strong> la raison pratique. Trad. française par F. Picavet,<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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Pluriel.<br />

Kaufmann, J.-C. (2011). L’entretien compréhensif. L’enquête et ses métho<strong>de</strong>s. Paris: Colin.<br />

Kelly, L.Y. & Joël, L.A. (1995). Dimensions of Professional Nursing. 7 th ed. New York:<br />

McGray Hill.<br />

Kemp, P. (1973). Théorie <strong>de</strong> l’engagement. Pathétique <strong>de</strong> l’engagement. Tome 1. Paris:<br />

Seuil.<br />

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Lamoureux, A. (2006). Recherche et méthodologie en sciences humaines. 2 e éd. Montréal<br />

(Québec): Beauchemin.<br />

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In R. Blouin et al., La réorganisation du travail. Efficacité et implication (pp.3-43). Sainte<br />

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Lavelle, L. (1991). L’existence et la valeur: Leçon inaugurale et résumés <strong>de</strong>s cours au Collège<br />

<strong>de</strong> France (1941-1951). Documents et inédits du Collège <strong>de</strong> France. Paris: Collège <strong>de</strong><br />

France<br />

Lallement, M. (1993). Histoire <strong>de</strong>s idées sociologiques. Des origines à Weber. Tome 1.<br />

Paris: Nathan.<br />

840


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Lang V. (1999). La professionnalisation <strong>de</strong>s enseignants: sens et enjeux d'une politique<br />

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L’Écuyer, R. (1990). Méthodologie <strong>de</strong> l’analyse développementale <strong>de</strong> contenu: Métho<strong>de</strong> GPS<br />

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Le Boterf, G. (1998). L’ingénierie <strong>de</strong>s compétences. Paris: Éditions d’Organisation.<br />

Le Boterf, G. (2010). Professionnaliser. Construire <strong>de</strong>s parcours personnalisés <strong>de</strong><br />

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Lévinas, E. (1986). Humanisme <strong>de</strong> l’autre homme. Paris: LGF<br />

Lévinas, E. (1994). Liberté et comman<strong>de</strong>ment. Saint-Clément-la-Rivière: Fata Morgana.<br />

Lévinas, E. (1998). Éthique comme philosophie première. Paris: Payot et Rivages.<br />

Libaert, T. (2010). Communication et environnement, le pacte impossible? Paris: PUF.<br />

Lipiansky, E.M. (1992). I<strong>de</strong>ntité et communication. Paris: PUF.<br />

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Loriol, M. (2000). Le temps <strong>de</strong> la fatigue. La gestion sociale du mal-être au travail.<br />

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CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

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Maesschalck, M. (2010). Transformations <strong>de</strong> l’éthique, De la phénoménologie radicale au<br />

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Magnon, R. (2006). Les infirmières: i<strong>de</strong>ntité, spécificité et <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Paris: Masson.<br />

Malewska-Peyre, H. (1999). Le processus <strong>de</strong> dévalorisation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité et <strong>les</strong> stratégies<br />

i<strong>de</strong>ntitaires. Paris: PUF.<br />

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(Québec): Liber.<br />

Malherbe, J.-F. (2007). Sujet <strong>de</strong> vie ou objet <strong>de</strong> <strong>soins</strong>? Introduction à la pratique <strong>de</strong> l’éthique<br />

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Marc, E. (2005). Psychologie <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité. Soi et le groupe. Paris: Dunod.<br />

Marchal, A. & Psiuk, T. (2002). Le paradigme <strong>de</strong> la discipline infirmière en France. Paris:<br />

Seli Arslan.<br />

Van <strong>de</strong>r Maren, J.-M. (2003). La recherche appliquée en pédagogie. 2 e éd. Bruxel<strong>les</strong>: De<br />

Boeck & Larcier.<br />

Marrou, H.I. (2003). Saint-Augustin et l’augustinisme. Paris: Points.<br />

Martucelli, D. & Cara<strong>de</strong>c, V. (Ed.). (2004). Matériaux pour une sociologie <strong>de</strong> l'individu.<br />

Perspectives et débats. Villeneuve-d'Ascq: Presses Universitaires du Septentrion.<br />

Martucelli, D. (2005). La consistance du social. Une sociologie pour la mo<strong>de</strong>rnité. Rennes:<br />

Presses Universitaires <strong>de</strong> Rennes.<br />

Martuccelli, D. (2006). Forgé par l’épreuve. L’individu <strong>dans</strong> la France contemporaine. Paris:<br />

Colin.<br />

Maslach, C. & Leiter, M.P. (1997). The truth about burnout: How organizations cause<br />

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Maslach, C. (1982). Burnout: the cost of caring. Englewood Cliffs (New York): Prentice-<br />

Hall.<br />

Maslow, A. (2004). L’accomplissement <strong>de</strong> soi: <strong>de</strong> la motivation à la plénitu<strong>de</strong>. Paris:<br />

Eyrol<strong>les</strong>.<br />

Mauss, M. (1997). Sociologie et anthropologie. Paris: PUF.<br />

842


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Meirieu, P. (1995). La pédagogie, entre le dire et le faire. Paris: ESF.<br />

Men<strong>de</strong>l, G. (2004). Construire le sens <strong>de</strong> sa vie. Une anthropologie <strong>de</strong>s valeurs. Paris: La<br />

Découverte.<br />

Mérini, C. (1999). Le partenariat en formation. De la modélisation à une application. Paris:<br />

L’Harmattan.<br />

Merleau-Ponty, M. (1964). Le visible et l’invisible. Paris: Gallimard.<br />

Messant, F. & Modak, M. (2005). Entre engagement et arrangements. Le sens <strong>de</strong> la<br />

responsabilité au travail chez <strong>de</strong>s cols blancs <strong>de</strong> PME. Lausanne: Cahiers <strong>de</strong> l’EESP.<br />

Mills, W. (1967). L’imagination sociologique. Paris: Maspéro.<br />

Misrahi, R. (1995). La signification <strong>de</strong> l’éthique. Paris: Synthélabo.<br />

Moreau, D. (2011). Éducation et théorie morale. Paris: J. Vrin.<br />

Moreau, D. (dir) (2012). L'éthique professionnelle <strong>de</strong>s enseignants: enjeux, structures et<br />

problèmes. Paris: L’Harmattan.<br />

Morin, E. (1982). Science avec conscience. Paris: Fayard.<br />

Morin, E. (1990). Introduction à la pensée complexe. Paris: ESF.<br />

Morin, E. (1999). Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur. Paris: Seuil.<br />

Morin, E. (2012). La Voie : pour l’avenir <strong>de</strong> l’humanité. Paris: Fayard/Pluriel.<br />

Morin L. & Brunet, L. (1996). Philosophie <strong>de</strong> l’éducation. Bruxel<strong>les</strong>: De Boeck.<br />

Morissette, D. & Gingras, M. (1989). Enseigner <strong>de</strong>s attitu<strong>de</strong>s? Planifier, intervenir,<br />

évaluer. Québec: Presses <strong>de</strong> l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> Laval; Bruxel<strong>les</strong>: De Boeck-Wesmael.<br />

Mucchielli, R. (1974). L’analyse <strong>de</strong> contenu: <strong>de</strong>s documents et <strong>de</strong>s communications :<br />

Connaissances du problème – Applications pratiques. Paris: ESF.<br />

Mucchielli, A. (dir.) (1996). Dictionnaire <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s qualitatives en sciences humaines et<br />

socia<strong>les</strong>. Paris: Colin.<br />

Mucchielli, A. (1999). L’i<strong>de</strong>ntité. 4 e éd. Paris: PUF.<br />

Mucchielli, A. (2006). Les motivations. 8 e éd. mise à jour. Paris: PUF.<br />

Müller, D. (1999). L’éthique protestante <strong>dans</strong> la crise <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité. Genève: Cerf &<br />

Labor et Fi<strong>de</strong>s.<br />

843


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Mussen, P. (1986). La formation <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité. Découvertes psychologiques et<br />

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Toulouse: Privat.<br />

Nadot, M. (2012). Le mythe infirmier. Ou le pave <strong>dans</strong> la mare! Paris: L’Harmattan.<br />

Nicolas-Le Strat, P. (1996). L’implication, une nouvelle base <strong>de</strong> l’intervention sociale. Paris:<br />

L’Harmattan.<br />

Nicourd, S. (2007). Comprendre <strong>les</strong> engagements aujourd’hui. Sociologie Pratiques. N°15.<br />

Paris: PUF.<br />

Nuttin, J. (1985). Théorie <strong>de</strong> la motivation humaine. 2 e éd. Paris: PUF.<br />

Nuttin, J. (2000). Théorie <strong>de</strong> la motivation humaine. 5 e éd. Paris: PUF.<br />

O’Neil, O. (1998). Comment peut-on i<strong>de</strong>ntifier <strong>les</strong> problèmes moraux? In K.S. Lukas<br />

(dir), La vie <strong>de</strong>s normes, l’esprit <strong>de</strong>s lois. Paris: L’Harmattan.<br />

Olson, M. (1978). Logique <strong>de</strong> l’action collective. Paris: PUF.<br />

Osty, F. (2003). Le désir <strong>de</strong> métier. Engagement, i<strong>de</strong>ntité et reconnaissance au travail.<br />

Rennes: Presses Universitaires <strong>de</strong> Rennes.<br />

Otero, M. (2003). Les règ<strong>les</strong> <strong>de</strong> l'individualité contemporaine. Santé mentale et société.<br />

Sainte-Foy (Québec): Presses <strong>de</strong> l'<strong>Université</strong> <strong>de</strong> Laval.<br />

Paillé, P. (dir). (2006). La méthodologie qualitative: postures <strong>de</strong> recherche et travail <strong>de</strong><br />

terrain. Paris: Colin.<br />

Paillé, P. & Mucchielli, A. (2010). L'analyse qualitative en sciences humaines et socia<strong>les</strong>.<br />

Paris: Colin.<br />

Parse, R.R. (1998). The human becoming school of thought: A perspective for nurses and<br />

other health professionals. Thousand Oaks (CA): Sage.<br />

Pauchant T.C. (1996). La Quête du sens .Gérer nos organisations pour la santé <strong>de</strong>s<br />

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Québec/Amérique.<br />

Pelletier, L.G. & Vallerand, R.J. (1993). Une perspective humaniste <strong>de</strong> la motivation:<br />

<strong>les</strong> théories <strong>de</strong> la compétence et <strong>de</strong> l'autodétermination. In R.J. Vallerand & E.E. Thill<br />

(dir.), Introduction à la psychologie <strong>de</strong> la motivation. Laval (Québec): Étu<strong>de</strong>s vivantes.<br />

Perrenoud, P. (1999). Dix nouvel<strong>les</strong> compétences pour enseigner. Une invitation au voyage.<br />

Paris: ESF.<br />

844


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Perrenoud, P. (2006). Développer la pratique réflexive <strong>dans</strong> le métier d’enseignant. Paris:<br />

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Petitat, A. (1989). Les infirmières: <strong>de</strong> la vocation à la profession. Montréal (Québec):<br />

Boréal.<br />

Pettier, J.C. (2004). Apprendre à philosopher. Lyon: Chronique Sociale.<br />

Pfeffer, J. & Sutton, R. (2007). Faits et foutaises <strong>dans</strong> le management. Paris: Vuibert.<br />

Piret, A. Nitez, J. Bourgeois, E. (1996). L’analyse structurale. Bruxel<strong>les</strong>: De Boeck.<br />

Platon (1993). Ménon. Trad. et introduit par M. Canto-Sperber. Paris: GF-Flammarion.<br />

Platon (1997). Les Lois (Extraits). Trad. par A. Castel-Bouchouchi. Paris: Gallimard.<br />

Platon (2002). Œuvres complètes. Tome 1. Traduit par M. Croiset. Paris: Les Bel<strong>les</strong><br />

Lettres.<br />

Poletti, R. (1978). Les <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>: théories et concepts. Paris: Centurion.<br />

Pourtois, J.-P. & Desmet, H. (1997). Épistémologie et instrumentation en sciences<br />

humaines. 2 e éd. Sprimont (Belgique): Mardaga.<br />

Pourtois, J.-P. & Desmet, H. (2002). L’éducation postmo<strong>de</strong>rne. 2 e éd. Paris: PUF.<br />

Quivy, R. & Van Campenhoudt, L. (2006). Manuel <strong>de</strong> recherche en sciences socia<strong>les</strong>. 3 e<br />

éd. Paris: Dunod<br />

Rabaté, J.-M, & Wetzel, M. (dir.) (1992). L’éthique du don. Jacques Derrida et la pensée<br />

du don. Paris: Métailié-Transition.<br />

Rameix, S. (1996). Fon<strong>de</strong>ments philosophiques <strong>de</strong> l’éthique médicale. Paris: Ellipses.<br />

Reboul, O. (1989). La philosophie <strong>de</strong> l’éducation. Paris: PUF.<br />

Reboul, O. (1992). Les valeurs <strong>de</strong> l’éducation. Paris: PUF.<br />

Reboul, O. (1999). Les valeurs <strong>de</strong> l’éducation. 2 e éd. Paris: PUF.<br />

Reyes, P. (1990). Teachers and their workplace: commitment, performance and productivity.<br />

Newbury Park (CA): Sage Publications.<br />

Ricœur, P. (1984). Du texte à l’action, Essais d’herméneutiques II. Paris: Seuil.<br />

Ricœur, P. (1990). Soi-même comme un autre. Paris: Seuil.<br />

Ricœur. P. (2000). The Concept of Responsibility: An Essay in Semantic Analysis. In<br />

The Just, trans. D. Pellauer, Chicago: The University of Chicago Press.<br />

845


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Ricœur, P. (2000). La mémoire, l’histoire, l’oubli. Paris: Seuil.<br />

Ricœur, P. (2004). Parcours <strong>de</strong> la reconnaissance. Paris: Stock.<br />

Ricœur, P. (2005). Parcours <strong>de</strong> la reconnaissance. Paris: Seuil<br />

Rigaux, N. (2008). Introduction à la sociologie par sept grands auteurs. Bruxel<strong>les</strong>: De<br />

Boeck.<br />

Robert, A.D. & Bouillaguet, A. (1997). L’analyse <strong>de</strong> contenu. Paris: PUF.<br />

Rogers, M.E. (1970). An Introduction to the Theoretical Basis of Nursing. New York: F.A.<br />

Davis Company.<br />

Rogers, C. R. (2010). La relation d’ai<strong>de</strong> et la psychothérapie. Paris: ESF.<br />

Roussel, E. (2007). Vie <strong>de</strong> cadres: Vers un nouveau rapport au travail. Rennes: Presses<br />

Universitaires <strong>de</strong> Rennes.<br />

Rouvière, N. (2007). Astérix ou la parodie <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités. Paris: Flammarion.<br />

Ruano-Borbalan, J.-Cl. (2001), L’individu, le groupe, la société. Paris: Sciences<br />

Humaines.<br />

Rubenfeld, M.G., Scheffer, B. K. (1999). Raisonnement critique en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

Bruxel<strong>les</strong>: De Boeck.<br />

Russ, J. (1995). La pensée éthique contemporaine. Paris: PUF.<br />

Sainsaulieu, R. (1996). L’i<strong>de</strong>ntité au travail. 3 e éd. Paris: Presses <strong>de</strong> la FNSP.<br />

Sainsaulieu, I. (2003). Le malaise <strong>de</strong>s soignants. Le travail sous pression à l’hôpital.<br />

Logiques socia<strong>les</strong>. Paris: l’Harmattan.<br />

Salanskis, J.-M. (2001). Sens et philosophie du sens. Paris: Desclée <strong>de</strong> Brouwer.<br />

Sartre, J-P. (1996). L’existentialisme est un humanisme. Paris: Gallimard.<br />

Savadogo, M. (2008). Pour une éthique <strong>de</strong> l’engagement. 2 e éd. Namur: Presses<br />

Universitaires <strong>de</strong> Namur.<br />

Scallon, G. (2004). L'évaluation <strong>de</strong>s apprentissages <strong>dans</strong> une approche par compétences.<br />

Bruxel<strong>les</strong>: De Boeck <strong>Université</strong>.<br />

Schaufeli W.B. & Enzmann D. (1998), The Burnout Companion to Study and Research:<br />

Acritical Analysis. London: Taylor & Francis.<br />

846


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Schaufeli, W.B. & Salanova, M. (2012). Work engagement: An emerging<br />

psychological concept and its implications for organizations. In S.W. Gilliland, D. D.<br />

Steiner & D.P. Skarlicki (Eds.), Research in social issues in management. Greenwich, CT:<br />

Information Age Publishers.<br />

Scheler, M. (1991). Le formalisme en éthique et l’éthique matérielle <strong>de</strong>s valeurs. Paris:<br />

Gallimard.<br />

Schmidinger, H. (1994). Der Mensch ist Person. Wien-Innsbruck: Tyrolia Verlag.<br />

Schober, M. & Fadwa, A. (2007). Advanced Nursing Practice. Oxford: Blackwell.<br />

Schön, D.A. (1987). Educating the reflective practitioner. San Francisco (CA): Jossey-<br />

Bass.<br />

Schön, D.A. (1994). Le praticien réflexif: à la recherche du savoir caché <strong>dans</strong> l’agir<br />

professionnel. Trad. et adapté par J. Heynemand & D. Gagnon. Montréal: Editions<br />

Logiques.<br />

Schurmans, M.-M. (2006). Expliquer, interpréter, comprendre. Genève: FPSE.<br />

Sennett, R. (2010). Ce que sait la main. La culture <strong>de</strong> l’artisanat. Paris: Albin Michel.<br />

Sfez, L. (1995). La santé parfaite: critique d’une nouvelle utopie. Paris: Le Seuil.<br />

Simon, R. (1993). Éthique <strong>de</strong> la responsabilité. Paris: Cerf.<br />

Sirven, R. (1999). De la clinique à l’éthique. Paris: L’Harmattan.<br />

Skinner, B.F. (1953). Science and Human Behavior. New York: Macmillan.<br />

Smith, R. E., Sarason, I. G. & Sarason, B. R. (1982). Psychology: The frontiers of<br />

behavior. New York: Harper and Row.<br />

Sorel, M. & Wittorski, R. (2005). La professionnalisation en actes et en question. Paris:<br />

L'Harmattan.<br />

Stacey Taylor, J.S. (2008). New Essays on personal autonomy and its role in contemporary<br />

philosophy. Cambridge: Cambridge University Press.<br />

Svandra, P. (2004). L’éthique n’est pas une science. Objectif <strong>soins</strong>, 131, 9-10.<br />

Svandra, P. (2005). Comment développer la démarche éthique en unité <strong>de</strong> <strong>soins</strong>? Issy-<strong>les</strong>-<br />

Moulineaux: Estem.<br />

Svandra, P. (2009a). Le soignant et la démarche éthique. Paris Estem.<br />

Svandra, P. (2009b). Éloge du soin. Une éthique au cœur <strong>de</strong> la vie. Paris: Seli Arslan.<br />

847


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Tap, P. (1979). I<strong>de</strong>ntité individuelle et personnalisation. Toulouse: Privat.<br />

Tap, P. (1986). I<strong>de</strong>ntités collectives et changements sociaux. Toulouse: Privat.<br />

Tap, P. (1998) Marquer sa différence. In J.-Cl. Ruano-Borbalan, L’i<strong>de</strong>ntité. L’individu, le<br />

groupe, la société (pp. 65-68). Auxerre: Sciences Humaines.<br />

Tap, P. (2004) Marquer sa différence. In C. Halpern et J.-Cl. Ruano-Borbalan,<br />

L’I<strong>de</strong>ntité. L’individu, le groupe, la société (pp. 57-60). Auxerre: Sciences Humaines.<br />

Taylor, C. (2002). Le malaise <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité. Paris: Cerf.<br />

Taylor, J.S. (Ed.) (2005). Personal autonomy: new essays on personal autonomy and its role<br />

in contemporary moral philosophy. New-York: Cambridge University Press.<br />

Terssac, G. <strong>de</strong>. (1992). Autonomie <strong>dans</strong> le travail. Paris: PUF.<br />

Théry, L. (dir.) (2006). Le travail intenable. Résister collectivement à l’intensification du<br />

travail. Paris: La Découverte.<br />

Tope, R. & Koskinen, M-K. (2003). Quality assurance: an ethical responsibility. In<br />

Ethics in Nursing Education, research and management. New York: Win Tadd.<br />

Touraine, A. (1992). Critique <strong>de</strong> la mo<strong>de</strong>rnité. Paris: Fayard.<br />

Tozzi, M. (2002). Penser par soi-même. Initiation à la philosophie. 5 e éd. Lyon:<br />

Chroniques socia<strong>les</strong>.<br />

Tronto, J. (2009). Un mon<strong>de</strong> vulnérable. Pour une politique du care. Paris: La Découverte.<br />

Tschudin, V. (1999). Nurses Matter. Reclaiming our professional i<strong>de</strong>ntity. London:<br />

Macmillan.<br />

Tschudin, V. (2002). Ethics in nursing. The caring relationship. 3 rd Ed. Oxford:<br />

Butterwoth Heineman.<br />

Tschudin, V. (2003). Ethics in nursing. The caring relationship. London: Butterworth<br />

Heinemann.<br />

Vallerand, R.J. & Thill, E.E. (dir.). (1993). Introduction à la psychologie <strong>de</strong> la motivation.<br />

Laval (Québec): Étu<strong>de</strong>s Vivantes.<br />

Van <strong>de</strong>r Arend, A. & Smits, M-J. (2003). Ethics Education. Does It Make for Ethical<br />

Practice? In W. Tadd (Ed.), Ethics in nursing education. Research and Management.<br />

Perspectives from Europe. New-York: Palgrave Macmillan.<br />

Vermersch, P. (1994). L’entretien d’explicitation, 5 e éd. Paris: ESF.<br />

Vermersch, P. (2010). L’entretien d’explicitation, 6 e éd. Paris: ESF.<br />

848


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Vlastos, G. (1994). Socrate, ironie et philosophie morale. Trad. <strong>de</strong> l’anglais par C.<br />

Dalimier. Paris: Aubier.<br />

Voyer, G. (1996). Qu’est-ce que l’éthique clinique? Essai philosophique sur l’éthique<br />

clinique conçue comme réactualisation <strong>de</strong> l’éthique aristotélicienne. Namur (Belgique):<br />

Artel; Saint-Laurent (Québec): Fi<strong>de</strong>s.<br />

Waelhens, A. <strong>de</strong> (1942). La philosophie <strong>de</strong> Martin Hei<strong>de</strong>gger. Louvain: Institut Supérieur<br />

<strong>de</strong> Philosophie.<br />

Watson, J. (1999). Postmo<strong>de</strong>rn nursing and beyond. London: Harcourt Brace and<br />

Company.<br />

Watzlawick, P. (1986). Le langage du changement: éléments <strong>de</strong> communication<br />

thérapeutique. Paris: Seuil.<br />

Weber, M. (1959). Le savant et le politique (1 ère éd. trad. 1919). Paris: Plon.<br />

Weber, M. (1965). Essais sur la théorie <strong>de</strong> la science. Recueil d’artic<strong>les</strong> écrits et publiés<br />

entre 1904 et 1917, trad. par Freund. Paris: Plon.<br />

Wenner, M. (2006). L’expérience infirmière. Paris: Seli Arslan.<br />

Williams, B. (1995). Ethics and the Limits of Philosophy. Cambridge: Harvard.<br />

Wittorski, R. (2005). Travail, formation et professionnalisation. Paris: L’Harmattan.<br />

Wittorski, R. (2007). Professionnalisation et développement professionnel. Paris:<br />

L’Harmattan.<br />

Wittorski, R. (2011). Regards croisés sur la professionnalisation et ses objets. Toulouse:<br />

Presses Universitaires du Mirail.<br />

Wood, W. (1999). Autonomy as the Ground of Morality. O’Neil Memorial Lectures.<br />

University of New Mexico.<br />

Worms, F. (2010). Le moment du soin: À quoi tenons-nous? Paris: PUF.<br />

Zarifian, P. (2009). Le travail et la compétence: entre puissance et contrôle. Paris: PUF.<br />

849


ANNEXE B 2 : ARTICLES<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Anadón, M. (1997-2). Les mots, <strong>les</strong> arguments: le discours officiel québécois sur le<br />

partenariat <strong>dans</strong> la formation <strong>de</strong>s enseignants. Le Partenariat: définition, enjeux,<br />

pratique. Éducation Permanente, 131.<br />

Apesoa-Varano, E.C. (2007). Educated caring: the imergence of professionnal<br />

i<strong>de</strong>ntity among nurses. Qualitative sociology, 30,3, 249-274.<br />

Bakker, A.B., Demerouti, E., De Boer, E. & Schaufeli, W. (2003). Job <strong>de</strong>mands and<br />

job resources as predictors of absence duration and frequency. Journal of Vocational<br />

Behavior, 62, 341-356.<br />

Bakker, A.B. & Demerouti, E. (2007). The job <strong>de</strong>mands-resources mo<strong>de</strong>l: state of the<br />

art. Journal of Managerial Psychology, 22, 309-328.<br />

Bakker, A.B. & Demerouti, E. (2008). Towards a mo<strong>de</strong>l of work engagement. Career<br />

Development International, 13,3, 209-223.<br />

Baranes, M.-F. (2002). L’éthique mise en pratique. L’infirmière magazine, 174, 54-55.<br />

Barbier, J.-M. (1996). De l’usage <strong>de</strong> la notion d’i<strong>de</strong>ntité en recherche, notamment<br />

<strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong> la formation. Éducation Permanente, 128,3, 11-26.<br />

Barret, G. & Mougel, P. (1994). « Des approches constructivistes à l’évaluation<br />

axiologique, questionnement à propos <strong>de</strong> la formation au savoir-être <strong>de</strong>s travailleurs<br />

sociaux ». Éthique et éducation, 153-164.<br />

Beagan, B. & Ells, C. (2007). Values that matter, barriers that interfere. the struggle to<br />

enact their values. Canadian Journal for Nursing Research (CJNR), 39,4, 37-57.<br />

Becker, H.S. (2006). Notes sur le concept d’engagement. Trad. par l’auteur à partir <strong>de</strong><br />

« Notes on the Concept of Commitment ». The American Journal of Sociology, 66,1, 32-<br />

40.<br />

Becouze, O., Chauchon, C. & Salomon, N. (1996). Des représentations du métier à la<br />

construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle. Revue <strong>de</strong> l’ARSI (Association <strong>de</strong> Recherche<br />

en Soins Infirmiers), 45, 147-153.<br />

Benhamou-Jantelet, G. & Echard, L. (2004). Comportement éthique <strong>de</strong>s infirmières<br />

<strong>dans</strong> leurs pratiques et <strong>dans</strong> la recherche clinique médicale. Recherche en Soins<br />

Infirmiers, 77, 66-86.<br />

Besanceney, J.-Cl. (1999). Former à la démarche éthique en IFSI. Soins Cadres, 32, 25-<br />

28.<br />

850


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Birkelund, R. (2000). Ethics and education. Nursing Ethics, 7,6, 473-480.<br />

Boitte, P. (2000). L’éthique en petits comités? Comités d’éthique hospitalier et<br />

fonction éthique à l’hôpital. Ethica Clinica, 15.<br />

Boittin, I. (2002-3). Etudiants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> <strong>de</strong> <strong>de</strong>uxième année crise i<strong>de</strong>ntitaire<br />

« la mise à l’épreuve <strong>de</strong>s motivations ». Recherche en Soins Infirmiers, 68, 66-92.<br />

Bourgeois, E. (1996). I<strong>de</strong>ntité et apprentissage. Éducation Permanente, 128, 3, 27-35.<br />

Boutelier, C. (1998). Une éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Revue <strong>de</strong> l’infirmière, 35, 67-74.<br />

Britt, T.W. (2003). Black hawk down at work: When your most motivated employees<br />

can’t do with their job, get ready for an exodus. Harvard Business Review, 81, 16-17.<br />

Brown, S.P. (1996). A meta-analysis and review of organizational research on job<br />

involvment. Psychological Bulletin, 2, 235-255.<br />

Camenzind, M. (2012). « Vous coûtez trop cher ! Economisez, bon sang ! Revue <strong>soins</strong><br />

<strong>infirmiers</strong> SBK/ASI, 10, 46-51.<br />

Carper B.A. (1978). Fundamental Patterns of Knowing in Nursing. Advances in<br />

Nursing Sciences, 1,1, 13-24.<br />

Chambers, G. (2006 janvier/février). Trois clés pour un double défi. Perspective<br />

infirmière, 3,3, 18-19.<br />

Clenet J. & Roquet, P. (2005). Conceptions et qualités <strong>de</strong> l'alternance. Modélisation<br />

d'une expérience régionale. Éducation Permanente, 163, 43 -58.<br />

Clot, Y. (2005). Entretien avec Yves Clot. Sciences Humaines, 165, .22.<br />

Codol, J.P. & Tap, P. (1988). Dynamique personnelle et i<strong>de</strong>ntités socia<strong>les</strong>. Revue<br />

internationale <strong>de</strong> psychologie sociale (RIPS), 2 (n° spécial), 167-172.<br />

Cohen-Scali, V. & Guichard, J. (2008). L’i<strong>de</strong>ntité: perspectives développementa<strong>les</strong>.<br />

I<strong>de</strong>ntités et Orientation, 37, 3, 321-345.<br />

Collière, M.-F. (1986). Invisible Care and Invisible Women as Health Care-Provi<strong>de</strong>rs.<br />

International Journal of Nursing Studies, 23,2, 95-112.<br />

Comte, D. (2004-02). Des partenaires pour l’école. Vers l’Education Nouvelle, 513, 20-<br />

129.<br />

Cooper, C.L. (2005). Research note: the future of work: careers, stress and well-being.<br />

Career Development International, 10, 369-399.<br />

851


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Crochard, M. (2007). Contribution à l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s liens entre engagement en formation<br />

et rapport au travail. Savoirs, Hors série, 47-60.<br />

Dekussche, C. (2005). Ethique et pratiques. Soins dossiers, 697, 31-54.<br />

Demarteau, M., Vandoorne C., Grignard S. & Lafontaine C. (2000). L’éthique, un<br />

questionnement perpétuel. Éducation Santé, 152, 5-7.<br />

Denoyel, N. (2005-2). L’alternance structurée comme un dialogue. Pour une<br />

alternance dialogique. Éducation Permanente, 163, 99-110.<br />

Duchesne, C., Savoie-Zajc, L. & St-Germain, M. (2005). La raison d’être <strong>de</strong><br />

l’engagement professionnel chez <strong>de</strong>s enseignantes du primaire selon une perspective<br />

existentielle. Revue <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> l’éducation, 31,3, 497-518.<br />

Estryn-Behar, M., Négri, J. F. & Le Nézet, O. (2007). Abandon prématuré <strong>de</strong> la<br />

profession infirmière, le respect <strong>de</strong>s valeurs professionnel<strong>les</strong> dépend <strong>de</strong>s conditions<br />

<strong>de</strong> travail. Droit, Déontologie et Soins, 7, 308-327.<br />

Estryn-Behar, M. (2004). Infirmières: êtes-vous satisfaites <strong>de</strong> vos conditions <strong>de</strong><br />

travail? Revue <strong>de</strong> l'infirmière, hors-série (juin 2004).<br />

Estryn-Behar, M. & Le Nezet, O. (2006). Insuffisance <strong>de</strong> travail en équipe et burn out,<br />

<strong>de</strong>ux prédicteurs majeurs <strong>dans</strong> l'intention <strong>de</strong> quitter la profession d'infirmière. Soins<br />

Cadres, hors-série 2, 2-17.<br />

Fawcett, J. (1984). The Metaparadigm of Nursing: Present Status and Future<br />

Refinements. Image: The Journal of Nursing Scholarschip, 16,3, 84-89.<br />

Fawcett, J. (2000). The State of Nursing Science: Where is the Nursing in the Science?<br />

Theoria: Journal of Nursing Theory, 9,3, 3-10.<br />

Ferrand, J.-L. (1997-2). Partenariat et formation professionnelle continue: <strong>de</strong><br />

l’inexistence d’un concept. Le Partenariat, définition, enjeux, pratique. Éducation<br />

Permanente, 131, 63-80.<br />

Fiat, E. (2006). Les enjeux éthiques <strong>de</strong> la décision. Revue Santé mentale, 113, 54-59.<br />

Föhn, M. (2011-20). Sparen auf Kosten <strong>de</strong>s Personals. Zeitschift Der Beobachter.<br />

Formarier, M. (1991-3). Relation entre i<strong>de</strong>ntité et savoir infirmier. Gestions<br />

Hospitalières, 304.<br />

Gabriel, G. (1999). Introduire une formation à la réflexion éthique <strong>dans</strong> la pratique<br />

infirmière. Soins Cadres, 32, 29-31.<br />

Gaillard, J.-P. (2007-4). Sur le façonnement psychosociétal en cours: enjeux<br />

psychothérapeutiques et éducatifs. Thérapie Familiale, 28, 349-367.<br />

852


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Gilioli, C. (2004). Responsabilité pratique, pratique <strong>de</strong>s responsabilités. Objectif Soins,<br />

125, 10-11.<br />

Gilioli, C. (2005). Pour une éthique du soin. Éthique et Pratiques. Soins dossier, 697.<br />

Gortner, S.R. (1983). The history and philosophy of nursing science and research.<br />

Advances in Nursing Sciences, 5,2, 1-8.<br />

Gortner, S.R. (2000). Knowledge <strong>de</strong>velopment in nursing: our historical roots and<br />

future opportunities. Nursing Outlook, 48,2. 60-67.<br />

Gros, F. (2007). Le soin au cœur <strong>de</strong> l’éthique et l’éthique du soin. Recherche ARSI, 89,<br />

15-20.<br />

Gruat, F. (2009-3). Les valeurs en crise. Recherche en Soins Infirmiers, 96, 5-7.<br />

Haberey-Knuessi, V. (2010-4). L’enseignement <strong>de</strong> l’éthique: un défi majeur pour <strong>les</strong><br />

formateursenseignants. Soins Infirmiers, 48-50.<br />

Hakanen, J. (2006). Burnout and work engagement among teachers. The Journal of<br />

School Psychology, 43, 495-513.<br />

Hallberg, U. , Johansson, G. & Schaufeli W.B. (2007). Type A behavior and work<br />

situation: associations with burnout and work engagement. Scandinavian Journal of<br />

Psychology. 48, 135-142.<br />

Harter, J.K. Schmidt, F.L. & Hayes, T.L. (2002). Business-unit-level relationschip<br />

between employee satisfaction, employee engagement, and business outcomes: a<br />

meta-analysis. Journal of Applied Psychology, 87, 2, 268-279.<br />

Hébrard, P. (2011). L’humanité comme compétence ? Une zone d’ombre <strong>dans</strong> la<br />

professionnalisation aux métiers <strong>de</strong> l’interaction avec autrui. Les Sciences <strong>de</strong> l’éducation,<br />

44, 2, 103-121.<br />

Honneth A. & Gernet I. (2007/2) Travail et agir instrumental. À propos <strong>de</strong>s<br />

problèmes catégoriels d’une théorie critique <strong>de</strong> la société. Travailler,18, 17-58.<br />

Houssaye, J. & Cosnefroy, L. (2010). Hommage à Jean-Pierre Astolfi (1943-2009).<br />

Revue <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l’éducation, 36,1, 255-265.<br />

Jorro, A. (2009). La construction <strong>de</strong> l’éthos professionnel en formation alternée.<br />

Travail et apprentissages, 3, 13-25.<br />

Jutras, F. (2007a). Le développement <strong>de</strong> l’éthique professionnelle en enseignement :<br />

le cas du Québec. Les Sciences <strong>de</strong> l’Education. Pour l’Ère nouvelle, 40,2.<br />

Kahn, W.A. (1990). Psychological conditions of personal engagement and<br />

disengagement at work. Aca<strong>de</strong>my of Management Journal, 33,4, 692-724.<br />

853


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Keogh, J. (1997). Professionalization of nursing: <strong>de</strong>velopment, difficulties and<br />

solutions. Journal of Advanced Nursing, 25, 302-308.<br />

Kuhse, H. (1998). A Nursing Ethics of Care? Why Caring is not enough in Applied<br />

Ethics in a troubled World. Philosophical studies. Kluwer Aca<strong>de</strong>mic Publishers.<br />

Laschinger, H. K.S. & Leiter, M. P. (2006). The impact of nursing work environments<br />

on patient safety outcomes: the mediating role of burnout/engagement. Journal of<br />

Nursing Administration, 5, 259-267<br />

Le Blanc, G. (2006). Penser la fragilité. Revue Esprit, mars/avril 206 (La pensée Ricoeur)<br />

250-255.<br />

Lecomte, M.-A. (2006). La formation à l’éthique <strong>de</strong>s étudiants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>.<br />

Recherche en Soins Infirmiers, 86, 4-23.<br />

Léry, N. (1999). Méthodologie d’ai<strong>de</strong> à la décision éthique <strong>dans</strong> <strong>les</strong> situations<br />

complexes. Soins cadres, 32, 21-23.<br />

Lessard, C. (1986). La profession enseignante: multiplicité <strong>de</strong>s i<strong>de</strong>ntités<br />

professionnel<strong>les</strong> et culture commune. Repères, essais en éducation, 8.<br />

Lessard, C. & Bourdoncle, R. (2003). Qu'est-ce qu'une formation professionnelle<br />

universitaire? Les caractéristiques spécifiques: programmes, modalités et métho<strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong> formation (note <strong>de</strong> synthèse, 1 ère partie). Revue Française <strong>de</strong> Pédagogie, 142, 131-181.<br />

Longerich, B. (2010). Enfin <strong>de</strong> vraies perspectives <strong>de</strong> carrière ! Revue ASI (Association<br />

Suisse <strong>de</strong>s Infirmières), 12.<br />

Longneaux, J.-M. (2002). Inscrire <strong>les</strong> droits du patient à l’intérieur d’une éthique <strong>de</strong><br />

la relation <strong>de</strong> <strong>soins</strong>. Ethica Clinica, 27, 40-44.<br />

Loriol, M. (2003). Faire exister une maladie controversée : <strong>les</strong> associations <strong>de</strong> mala<strong>de</strong>s<br />

du syndrome <strong>de</strong> fatigue chronique et Internet. Sciences Socia<strong>les</strong> et Santé, 21,4, 6-31.<br />

Luthans, F., Norman, S.M., Avolio, B.J. & Avey, J.B. (2008). The mediating role of<br />

psychological capital in the supportive organizational climate: employee<br />

performance relationship. Journal of Organizational Behavior, 29, 219-38.<br />

Maroy, J.-L. (1997-2). Partenariat et formation professionnelle continue: <strong>de</strong><br />

l’inexistence d’un concept. Le Partenariat, définition, enjeux, pratique. Éducation<br />

Permanente, 131, 63-80.<br />

Maslach, C., Schaufeli, W.B. & Leiter, M.P. (2001). Job Burnout. Annual Review of<br />

Psychology, 52, 1, 397-422.<br />

854


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Mauno, S., Kinnunen, U. & Ruokolainen, M. (2007). Job <strong>de</strong>mands and Resources as<br />

antece<strong>de</strong>nts of work engagement : a longitudinal study. Journal of Organizational<br />

Behavior, 70, 149-71.<br />

Meyer, J.P. & Allen, N.J. (1991). A three-component conceptualization of<br />

organizational commitment. Human Resource Management Review, 1, 61-89.<br />

Meyer, J.P. & Herscovitch, L. (2002). Commitment in the workplace: toward a<br />

general mo<strong>de</strong>l. Human Resources Management Revue, 11,3, 299-326.<br />

Molewijk B, Za<strong>de</strong>lhoff E, Len<strong>de</strong>meijer B & Wid<strong>de</strong>rshoven G. (2008). Implementing<br />

moral case <strong>de</strong>liberation in Dutch health care: improving moral competency of<br />

professionals and quality of care. Bioethica Forum, 1,1, 57-65.<br />

Mougel, P. (1995). Enseigner la vertu? Une exploration <strong>de</strong>s valeurs incertaines <strong>de</strong><br />

recherches. Éthique et éducation. Paris: CNDP.<br />

Nadot, M. (2002). Médiologie <strong>de</strong> la santé. De la tradition soignante à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la<br />

discipline. Perspectives soignantes, 4,13, 29-86.<br />

Newell, C. (2000). Biome<strong>de</strong>cine, Genetics and Disability: Reflections on Nursing and<br />

Philosophy of Holism. Nursing Ethics, an international Journal for Health Care<br />

professional, 7,3.<br />

Newman, M. A. (1992). Prevailing paradigms in nursing. Nursing Outlook, 40,1, 10-14.<br />

Newman, M.A. (1994). Theory for nursing practice. Nursing Science Quarterly, 7,4,<br />

153-157.<br />

Otero, M. (2005). Santé mentale, adaptation sociale et individualité. Cahiers <strong>de</strong><br />

recherche sociologique, 41-42, 65-89.<br />

Otero, M. (dir.) (2006), Michel Foucault: sociologue? Sociologie et sociétés, 38,2.<br />

Paillé, P. (2008). Citoyenneté, engagement, satisfaction et implication en contexte<br />

organisationnel. Revue européenne <strong>de</strong> psychologie appliquée, 58, 145-153.<br />

Périneau, M. (1999). Réseaux <strong>de</strong> <strong>soins</strong> et éthique. D’une éthique <strong>de</strong> conviction à une<br />

éthique <strong>de</strong> responsabilité. Ethica Clinica, 16.<br />

Perlemuter, L. (2003). Législation, éthique et déontologie, responsabilité,<br />

organisation du travail. Nouveaux cahiers <strong>de</strong> l’infirmière, 4.<br />

Perrenoud, P. (2001). Mettre la pratique réflexive au centre du projet <strong>de</strong> formation.<br />

Cahiers Pédagogiques, 390, 42-45.<br />

Perrenoud, P. (2001). De la pratique réflexive au travail sur l'habitus. Recherche et<br />

Formation, 35, 131-162.<br />

855


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Pescheux, M. (2008-2). Analyser sa pratique, entre « caché » et « visible ».Soins Cadres<br />

65, 39-40.<br />

Piot, T. (2009). Quels indicateurs pour mesurer le développement professionnel <strong>dans</strong><br />

<strong>les</strong> métiers adressés à autrui? Revues Questions vives, 5,11, 259-275.<br />

Postel-Ferry, B. (1999). L’éthique, entre Aristote et la chambre d’hôpital. L’infirmière<br />

magazine, 144.<br />

Prairat, E. (2007). Introduction à l’éthique et déontologie <strong>de</strong> l’enseignement. Les<br />

Sciences <strong>de</strong> l’Education, 40,2.<br />

Pronost, A.M. (2001). La prévention du burnout et ses inci<strong>de</strong>nces sur <strong>les</strong> stratégies <strong>de</strong><br />

coping. Revue <strong>de</strong> Recherche en Soins Infirmiers, 67, 121-130.<br />

Rawls, A. W. (2002-1). L'émergence <strong>de</strong> la socialité: une dialectique <strong>de</strong> l'engagement.<br />

Revue du Mauss, 19, 130-149.<br />

Rispali, D. (1999). Écrire l’éthique. Soins cadres, 32, 32-33.<br />

Rozenblatt, P. (2002) (Dir.). Le mirage <strong>de</strong> la compétence. Revue française <strong>de</strong> sociologie,<br />

43,3, 596-599.<br />

Samaniego, M. (05/2003). Postmo<strong>de</strong>rnisme, éthique et polythéisme. Revue Soins<br />

Cadres, 46, 54-58.<br />

Schaufeli, W.B. & Bakker, A.B. (2004). Job <strong>de</strong>mands, job resources and their<br />

relationship with burnout and engagement: a multi-sample study. Journal of<br />

Organizational Behavior, 25, 293-315.<br />

Schaufeli, W.B., Bakker, A.B. & Salanova, M. (2006). The measurement of work<br />

engagement with a short questionnaire: A cross-national study. Educational and<br />

Psychological Measurement, 66, 701–716.<br />

Schaufeli, W.B., Martinez, I., Marques Pinto, A., Salanova, M. & Bakker, A.B.<br />

(2002). Burnout and engagement in university stu<strong>de</strong>nts: A cross-national study.<br />

Journal of Cross-Cultural Psychology, 33, 464–481.<br />

Schaufeli, W.B. & Salanova, M. (2007). Efficacy or inefficacy, that’s the question:<br />

Burnout and work engagement and their relationship with efficacy beliefs. Anxiety,<br />

Stress and Coping, 20, 177-196.<br />

Schaufeli W.B., Salanova M., Gonza<strong>les</strong>-Romá V. & Bakker A., (2002), The<br />

Measurement of engagement and burnout : A two sample confirmatory factor<br />

analytic approach, Journal of Happiness Studies, 3,1, 71-92.<br />

Schaufeli, W.B. & Taris, T.W. (2005). The Conceptualization and measurement of<br />

Burnout: Common Ground and Worlds apart. Work & Stress, 19, 256-262.<br />

856


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Schaufeli, W.B. & Van Rhenen, W. (2006). About the role of positive and negative<br />

emotions in managers‘ well-being: A study using the Job-related Affective Well-<br />

Being Scale (JAWS). Gedrag & Organisatie, 19, 323-244.<br />

Schin<strong>de</strong>lholz, P. (2006). L'i<strong>de</strong>ntité infirmière existe-t-elle? Soins Cadres, 57, 58- 60.<br />

Severinsson, E. & Hummelvoll, J.K. (2001). Factors influencing job satisfaction and<br />

ethical dilemmas in acute psychiatric care. Nursing Health Sciences, 3, 81-90.<br />

Simpson, M.R. (2009). Engagement at work: A review of the literature. International<br />

Journal of Nursing Studies, 46, 1012-1024.<br />

Smadja, D. (2006). Engagement et responsabilité. Revue Santé mentale, 113, 24-27.<br />

Solignac, M. (2003). Quelle éthique pour l’hôpital du XXI e siècle. Soins Cadres, 46, 8-9.<br />

Svandra, P. (2006). Le temps et le corps <strong>dans</strong> la relation <strong>de</strong> soin. Perspective<br />

soignante, avril 2006. 6-15.<br />

Svandra, P. (2006). Le soin, un acte gratuit ? Soins cadres, 52, 43-46.<br />

Svandra, P. (2008). Un regard sur le soin. Revue ARSI, 95, 6-13.<br />

Sy, T., Côté, S. & Saavedra, R. (2005). The contagious lea<strong>de</strong>r: impact of lea<strong>de</strong>r’s<br />

mood on the mood of group members, group affective tone and group processes.<br />

Journal of Applied Psychology, 90, 295-305.<br />

Tap, P. (2003) I<strong>de</strong>ntité, reconnaissance et relation <strong>de</strong> travail. N° spécial « Une<br />

sociologie <strong>de</strong> l’action. L’engagement <strong>de</strong> Renaud Sainsaulieu ». Sociologie, Pratiques, 8,<br />

69-75.<br />

Vanhulle, S. (2005). Favoriser l’émergence du “je” professionnel en formation initiale:<br />

une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> cas. Revue <strong>de</strong>s sciences <strong>de</strong> l’éducation, 31,1, 157-176.<br />

Vinje, H.F. & Mittelmark, M.B. (2006). Deflecting the path to burnout among<br />

community health nurses: How the effective practice of self-care renews job<br />

engagement. International Journal Mental Health Promot., 8, 36-47.<br />

Watson, J. (1997). The theory of human caring: Retrospective and prospective.<br />

Nursing Science Quarterly, 10, 49-52.<br />

Wenner, M. (2003). De l’intérêt d’une réflexion éthique sur <strong>les</strong> pratiques<br />

professionnel<strong>les</strong>. Soins Gérontologie, 42, 20-21.<br />

Willis, J. (1995). A recursive, Reflective Instructional Design Mo<strong>de</strong>l Based on<br />

Constructivist-Interpretivist Theory. Educational Technology, 35,6, 5-23.<br />

857


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Wintzer, P. (2004). Réflexions sur l’éthique à partir d’une évaluation <strong>de</strong><br />

l’appropriation <strong>de</strong> la dimension éthique <strong>dans</strong> le rôle professionnel. Recherche en Soins<br />

<strong>infirmiers</strong>, 77, 56-65.<br />

Wittorski, R. (2004). Les rapports théorie-pratique <strong>dans</strong> la conduite <strong>de</strong>s dispositifs<br />

d’analyse <strong>de</strong> pratiques. Éducation Permanente, 160, 61-70.<br />

Xanthopoulou, D., Bakker, A.B., Demerouti, E. & Schaufeli, W.B. (2007). The role of<br />

personal resources in the job <strong>de</strong>mands-resources mo<strong>de</strong>l. International Journal of Stress<br />

Management, 14, 121-41.<br />

Zaoui, E. (2008). Les groupes d’analyse <strong>de</strong>s pratiques cliniques. Une opportunité<br />

pour l’encadrement infirmier <strong>de</strong> renforcer le management <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>. Recherche en<br />

Soins Infirmiers, 93. 4-7.<br />

858


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

ANNEXE B 3 : RESSOURCES INTERNET<br />

Boula, J.-G. (2010). Le soi et Rôle professionnel. Fondation Genevoise pour la Formation<br />

et la Recherche Médica<strong>les</strong>. Accès:<br />

http://gfmer.ch/Présentations_Fr/Soi_role_professionnel.htm [page consultée le 4<br />

janvier 2010].<br />

Décret n° 2002-194 du 11 février 2002 relatif aux actes professionnels et à l'exercice <strong>de</strong> la<br />

profession d'infirmier. Accès:<br />

http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000410355&<br />

dateTexte=&categorieLien=id [page consultée le 30 janvier 2013].<br />

Dubar, C. (2011, 4 juillet). Une critique sociale du temps au cœur <strong>de</strong>s préoccupations <strong>de</strong><br />

Temporalités. Accès: http://temporalites.revues.org/1504 [page consultée le 22<br />

novembre 2012].<br />

Durckheim, E. (1922). Leçons <strong>de</strong> sociologie: physique <strong>de</strong>s mœurs et du droit (Cours<br />

dispensés entre 1892 et 1900). Accès:<br />

http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/lecons_<strong>de</strong>_sociologie/Lecon<br />

s_socio.doc [page consultée le 21 décembre 2012].<br />

Estryn-Béhar, M. et al. (2004, janvier). Étu<strong>de</strong> Presst-Next sur la santé au travail <strong>de</strong>s<br />

infirmières. Accès: http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/estrynbehar.pdf [page<br />

consultée le 10 décembre 2012].<br />

Ladrière, J., Lecarme, J. & Moatti, C. (2002). Engagement: 1 Problématique <strong>de</strong><br />

l’engagement. Encyclopédie Universalis [en ligne]. Accès:<br />

http://www.universalis.fr/encyclopedie/engagement/1-problematique-<strong>de</strong>-lengagement/<br />

[page consultée le 8 janvier 2013].<br />

Platon (s.d.). Apologie <strong>de</strong> Socrate [Livre électronique]. Trad. par É. Chambry. La<br />

Bibliothèque électronique du Québec. Garnier-Flammarion. Accès:<br />

http://beq.ebooksgratuits.com/Philosophie/Platon-apologie.pdf [page consultée le<br />

6 janvier 2013].<br />

859


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

ANNEXE B 4 : TRAVAUX DE FORMATION ET DE<br />

RECHERCHES<br />

Chatelain, B. (1997). De quelques repères pour évaluer la construction <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle <strong>dans</strong> le champ <strong>de</strong> la formation infirmière. Mémoire <strong>de</strong> licence, sciences <strong>de</strong><br />

l’éducation: <strong>Université</strong> <strong>de</strong> Genève.<br />

Douguet F. (dir.), Muñoz J. & Leboul D. (2005, juin). Les effets <strong>de</strong> l’accréditation et <strong>de</strong>s<br />

mesures d’amélioration <strong>de</strong> la qualité <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> sur l’activité <strong>de</strong>s personnels soignants,<br />

Document <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> la DREES (Direction <strong>de</strong> la Recherche, <strong>de</strong>s Etu<strong>de</strong>s, <strong>de</strong><br />

l’Evaluation et <strong>de</strong>s Statistiques), N°48.<br />

Engelbrecht, S. (2006). Motivation and burnout in human service work: the case of<br />

midwifery in Denmark. Doctoral dissertation. Rolskil<strong>de</strong>: Roskil<strong>de</strong> University.<br />

Garnier, M. (2002). Rupture et continuité: histoire <strong>de</strong> la construction d'une i<strong>de</strong>ntité<br />

professionnelle. Mémoire <strong>de</strong> maîtrise en sciences <strong>de</strong> l’éducation. <strong>Université</strong> Lyon II<br />

Lumières.<br />

Lanza, D. (1997). I<strong>de</strong>ntités au travail et socialisation professionnelle: le cas <strong>de</strong>s infirmières.<br />

Mémoire <strong>de</strong> maîtrise en sociologie. <strong>Université</strong> <strong>de</strong> Genève.<br />

Pattaroni, L. (1995). Politique <strong>de</strong> la responsabilité. Promesses et limites d’un mon<strong>de</strong> fondé<br />

sur l’autonomie. Thèse <strong>de</strong> doctorat en sciences économiques et socia<strong>les</strong> et en sociologie.<br />

Paris/EHESS; Genève/<strong>Université</strong> <strong>de</strong> Genève..<br />

860


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

ANNEXE B 5 : DOCUMENTS DE RÉFÉRENCES<br />

Arrêté du 31 juillet 2009 relatif au Diplôme d’État d’Infirmier. Albi: IFSI.<br />

ASI/SBK (1990). Principes éthiques pour <strong>les</strong> <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Berne: Association Suisse<br />

<strong>de</strong>s Infirmières.<br />

ASI/SBK (1999). Dossier éthique et <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Berne: Association Suisse <strong>de</strong>s<br />

Infirmières.<br />

DRASS Bourgogne (2009). Gui<strong>de</strong> pour <strong>les</strong> professionnels <strong>de</strong>s terrains <strong>de</strong> stage accueillant<br />

<strong>de</strong>s étudiants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong>. Programme 2009.<br />

Niedleman J., Buerhaus P.I., Mattke S., Stewart M. & Zelevinsky K. (2001). Nurse<br />

staffing and patients outcome in hospitals, Final Report for Health Resources Service<br />

Administration. Harvard school of public health.<br />

Recueil <strong>de</strong>s principaux textes relatifs à la formation préparant au diplôme d’État et<br />

à l’exercice <strong>de</strong> la profession d’infirmier (2007). Référence 531 001. Uzès: SEDI<br />

861


ANNEXE B 6 : CONFÉRENCES<br />

CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Dubar, C. (1999). « Evénements et repères <strong>dans</strong> <strong>les</strong> biographies » intervention <strong>dans</strong> le<br />

séminaire Dynamiques <strong>de</strong>s repères temporels. Paris: IRESCO.<br />

Gillen, E. & Geißner U. (Ed.) (2004). Ethik und Autonomie: Wissenschaftliches<br />

Symposium an <strong>de</strong>r Katholischen Fachhochschule Freiburg. Forum Religion & Sozialkultur,<br />

Vol. 14. Münster (D): LIT.<br />

Gohier, C. (2008, novembre). I<strong>de</strong>ntité enseignante: quels parallè<strong>les</strong> avec la profession<br />

soignante? De la relation pédagogique à la relation <strong>de</strong> soin. Actes <strong>de</strong> la journée scientifique:<br />

L’i<strong>de</strong>ntité infirmière: De la pratique aux sciences. Neuchâtel: Haute École <strong>de</strong> Santé<br />

ARC.<br />

Gohier, C., Jutras, F. & Desautels, L. (2007). La mise au jour <strong>de</strong>s enjeux éthiques <strong>de</strong> la<br />

profession enseignante: le focus group, une bonne métho<strong>de</strong>? Actes du Congrès<br />

International (Strasbourg): Actualité <strong>de</strong> la Recherche en Éducation et en Formation<br />

(AREF).<br />

Jorro, A. (2010, septembre). Instituer l’invisible <strong>dans</strong> le développement professionnel <strong>de</strong>s<br />

acteurs: la question <strong>de</strong> l’ethos professionnel. Actes du congrès <strong>de</strong> l’Actualité <strong>de</strong> la<br />

Recherche en Éducation et en Formation (AREF), <strong>Université</strong> <strong>de</strong> Genève.<br />

Lacroix, A. (16 avril 2008). Directeur du Centre d’Ethique Appliquée (CIREA) à<br />

l’<strong>Université</strong> <strong>de</strong> Sherbrooke. Autodétermination <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>. Conférence tenue à<br />

Lausanne, Haute École <strong>de</strong> Santé la Source.<br />

Pourtois, J-P. Desmet, H. & Lahaye, W. (1998) Les points charnières <strong>de</strong> la recherche<br />

scientifique. Cours édité par la Faculté <strong>de</strong> Psychologie et <strong>de</strong>s Sciences <strong>de</strong> l’Éducation,<br />

<strong>Université</strong> <strong>de</strong> Mons-Hainaut.<br />

Rey, B. (2000, janvier). Titulaire <strong>de</strong> la chaire internationale en éducation à<br />

l’<strong>Université</strong> libre <strong>de</strong> Bruxel<strong>les</strong>. Construction <strong>de</strong>s savoirs, alternance et formation<br />

professionnelle. Conférence tenue à Lausanne, École Supérieure d’Enseignement<br />

Infirmier <strong>de</strong> la Croix-Rouge.<br />

Rothmann, S. & Storm, K. (2003, 14-17 May). Work engagement in the South African<br />

Police Service. 11th European Congress of Work and Organizational Psychology.<br />

Lisbon..<br />

Sonon, A.-M. (2010, 6-9 octobre). Du manque d’indicateurs pour certaines compétences<br />

du référentiel européen. 8 e Congrès <strong>de</strong> la Fédération Européenne en Soins Infirmiers<br />

(FINE), Lisbonne.<br />

862


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

ANNEXE B 7 : PROGRAMMES INFORMATIQUES UTILISÉS<br />

Logiciel <strong>de</strong> traitement <strong>de</strong> texte : Microsoft Word, version 2007 et 2010.<br />

Logiciel <strong>de</strong> correction : Antidote HD, version 7.6.7000.<br />

Logiciel <strong>de</strong> conversion <strong>de</strong> documents: Foxit® Phantom PDF, version<br />

5.1.5.115.<br />

Logiciel d’analyse qualitative <strong>de</strong> données: NVivo, version 9.0.264.0.<br />

Logiciel <strong>de</strong> dictée: SpeechExec Dictate, version 5.0440.00.<br />

Logiciel <strong>de</strong> transcription: SpeechExec Transcribe, version 5.0440.00.<br />

Tableur Microsoft Excel, version 2007 et 2010.<br />

863


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

864


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

ANNEXE C : TABLE DES MATIÈRES<br />

SIGLES ET ABRÉVIATIONS .............................................................................................. 6<br />

INTRODUCTION GÉNÉRALE ........................................................................................ 10<br />

PREMIÈRE PARTIE : CADRE THÉORIQUE ...................................................... 15<br />

CHAPITRE 1 – LES SOINS INFIRMIERS : D’HIER À AUJOURD’HUI .................. 17<br />

1.1 La profession infirmière ou le résultat d’une longue histoire ........................ 17<br />

1.2 Nature <strong>de</strong>s <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> ................................................................................. 22<br />

1.3 Une profession en mutation ................................................................................ 33<br />

1.4 État <strong>de</strong>s lieux aujourd’hui.................................................................................... 37<br />

CHAPITRE 2 - ÊTRE SOIGNANT, UN DÉFI AU QUOTIDIEN ................................ 43<br />

2.1 La réalité d’un contexte difficile ......................................................................... 43<br />

2.2 La souffrance du paradoxe .................................................................................. 45<br />

2.3 Soins, management et nécessité éthique ............................................................ 49<br />

CHAPITRE 3 – DE L’ÉTHIQUE À L’ÉTHIQUE DES SOINS INFIRMIERS............ 55<br />

3.1 Éthique et histoire ................................................................................................. 56<br />

3.2 I<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> l’éthique ............................................................................................ 68<br />

3.2.1 Définition <strong>de</strong> l’éthique ......................................................................................... 69<br />

3.2.2 Éthique et la responsabilité ................................................................................. 71<br />

3.2.3 Éthique, droit et déontologie ............................................................................... 74<br />

3.2.3.1 Éthique et droit ....................................................................................................... 75<br />

3.2.3.2 Éthique et déontologie ........................................................................................... 75<br />

3.3 L’éthique à l’hôpital .............................................................................................. 78<br />

3.3.1 L’éthique au service <strong>de</strong> la mé<strong>de</strong>cine .................................................................. 79<br />

3.3.2 L’éthique au chevet du patient ........................................................................... 82<br />

3.3.2.1 Le « Prendre soin » ................................................................................................. 86<br />

3.3.2.2 Le soignant et sa position face au mala<strong>de</strong> .......................................................... 90<br />

3.4 La relation soignante ............................................................................................ 94<br />

3.5 L’éthique au service <strong>de</strong>s soignants ..................................................................... 99<br />

3.6 Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l’éthique, la question <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité ............................................... 102<br />

CHAPITRE 4 - IDENTITÉ DU SOIGNANT ................................................................. 105<br />

4.1 Aux origines <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité .................................................................................. 105<br />

865


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

4.2 Compréhension du concept .............................................................................. 106<br />

4.2.1 I<strong>de</strong>ntité personnelle ............................................................................................ 108<br />

4.2.2 I<strong>de</strong>ntité sociale ..................................................................................................... 111<br />

4.2.3 I<strong>de</strong>ntité professionnelle ...................................................................................... 114<br />

4.3 De la mo<strong>de</strong>rnité à la crise d’i<strong>de</strong>ntité plurielle................................................. 118<br />

4.4 I<strong>de</strong>ntité : <strong>de</strong> l’étudiante à la soignante ............................................................. 119<br />

CHAPITRE 5 - LA FORMATION EN SOINS INFIRMIERS .................................... 125<br />

5.1 La professionnalisation ...................................................................................... 127<br />

5.2 La formation <strong>dans</strong> <strong>les</strong> HES et <strong>les</strong> compétences infirmières .......................... 134<br />

5.3 Une formation en alternance pour un engagement professionnel .............. 139<br />

5.4 L’éthique comme fon<strong>de</strong>ment <strong>de</strong> la pensée réflexive ..................................... 143<br />

DEUXIÈME PARTIE : CADRE DE RÉFÉRENCE SPÉCIFIQUE ............... 153<br />

CHAPITRE 6 : UN CONCEPT FAÇONNÉ PAR L’ÉVOLUTION SOCIÉTALE .... 157<br />

6.1 L’engagement, d’hier à aujourd’hui ................................................................. 157<br />

6.2 L’influence du mon<strong>de</strong> mo<strong>de</strong>rne ....................................................................... 161<br />

6.3 L’engagement et la psychologie du travail ..................................................... 163<br />

CHAPITRE 7 : L’ÉTHIQUE DE L’ENGAGEMENT : ENTRE LES SOINS ET LE<br />

MANAGEMENT ................................................................................................................ 169<br />

7.1 L’engagement au cœur d’un métier humain .................................................. 170<br />

7.2 L’engagement <strong>dans</strong> une société néolibérale.................................................... 172<br />

7.3 Engagement, entre satisfaction et performance ............................................. 173<br />

7.4 Les risques liés à l’engagement ......................................................................... 176<br />

CHAPITRE 8 : LES CONCEPTS COROLLAIRES DE L’ENGAGEMENT ............. 179<br />

8.1 Engagement et responsabilité ........................................................................... 179<br />

8.2 Engagement et autonomie ................................................................................. 184<br />

8.3 De la motivation à l’engagement ...................................................................... 188<br />

8.4 La question du sens et <strong>de</strong> la reconnaissance ................................................... 194<br />

CHAPITRE 9 : VERS UN ENGAGEMENT RÉFLÉCHI.............................................. 199<br />

9.1 Engagement et réflexivité .................................................................................. 200<br />

9.2 Du rôle moteur <strong>de</strong>s ressources .......................................................................... 206<br />

9.3 Défendre un positionnement ............................................................................ 208<br />

9.4 L’engagement, dynamique pour l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle.......................... 209<br />

866


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

CHAPITRE 10 : DU PROBLÈME À LA THÈSE ........................................................... 211<br />

10.1 L’éclairage apporté par le cadre <strong>de</strong> référence ................................................. 212<br />

10.2 Problématique actuelle et pertinence <strong>de</strong> la recherche ................................... 213<br />

10.3 Thèse et objectifs ................................................................................................. 222<br />

TROISIÈME PARTIE : MÉTHODOLOGIE .................................................................. 227<br />

CHAPITRE 11 : DU MODÈLE AUX HYPOTHÈSES ................................................... 229<br />

11.1 Explication du schéma ....................................................................................... 231<br />

11.2 Questionnements, hypothèses et indicateurs ................................................. 232<br />

CHAPITRE 12 : CADRE DE RÉFÉRENCE ET MÉTHODOLOGIQUE ................... 243<br />

12.1 Cadre épistémologique ...................................................................................... 243<br />

12.2 Choix <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s d’enquête ......................................................................... 250<br />

12.3 Avantages et inconvénients <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s ..................................................... 252<br />

CHAPITRE 13 : OPÉRATIONNALISATION ............................................................... 253<br />

13.1 Contexte <strong>de</strong> la recherche .................................................................................... 253<br />

13.2 Choix <strong>de</strong>s populations ....................................................................................... 254<br />

13.3 Constitution <strong>de</strong>s échantillons ............................................................................ 256<br />

13.4 Les HES, une histoire récente ............................................................................ 257<br />

13.5 Des échantillons hétérogènes ............................................................................ 259<br />

CHAPITRE 14 : INSTRUMENTS UTILISÉS POUR LE RECUEIL DE DONNÉES261<br />

14.1 De l’intérêt <strong>de</strong>s métho<strong>de</strong>s .................................................................................. 262<br />

14.2 Caractéristiques du questionnaire .................................................................... 263<br />

14.3 Caractéristiques <strong>de</strong>s entretiens ......................................................................... 265<br />

CHAPITRE 15 : TRAITEMENT DES INFORMATIONS ........................................... 269<br />

15.1 Posture éthique et méthodologie <strong>de</strong> recherche .............................................. 269<br />

15.2 Critique <strong>de</strong>s résultats .......................................................................................... 272<br />

CHAPITRE 16 : ANALYSE DU CONTENU ................................................................. 275<br />

16.1 Type d’information recherché ........................................................................... 275<br />

16.2 Méthodologie d’analyse <strong>de</strong>s données .............................................................. 277<br />

16.3 Analyse du questionnaire .................................................................................. 278<br />

16.4 Analyse <strong>de</strong>s entretiens ....................................................................................... 279<br />

CHAPITRE 17 : VALIDITÉ DE LA RECHERCHE ...................................................... 289<br />

17.1 Validité <strong>de</strong> signifiance ........................................................................................ 289<br />

867


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

17.2 Triangulations et validité ................................................................................... 291<br />

17.3 Triangulation <strong>de</strong>s sources .................................................................................. 291<br />

17.4 Dispositif <strong>de</strong> recherche ....................................................................................... 292<br />

QUATRIÈME PARTIE : RÉSULTATS ET ANALYSES ................................. 293<br />

CHAPITRE 18 : RÉSULTATS DU QUESTIONNAIRE .............................................. 295<br />

18.1 Des professionnels fortement engagés ............................................................ 296<br />

18.2 Un engagement porté par une motivation et <strong>de</strong>s convictions ..................... 297<br />

18.3 L’engagement, un potentiel d’énergie ............................................................. 298<br />

18.4 L’engagement : pour un sens à son existence ................................................. 300<br />

18.5 L’engagement constitue une prise <strong>de</strong> risque .................................................. 301<br />

18.6 L’indifférence est le contraire <strong>de</strong> l’engagement ............................................. 302<br />

18.7 Exercer un rôle professionnel <strong>de</strong> façon éthique sans être engagé ............... 304<br />

CHAPITRE 19 : RÉSULTATS ET ANALYSE DU CORPUS D’ENTRETIENS ...... 305<br />

19.1 Éléments du parcours <strong>de</strong> vie personnel et professionnel ............................. 306<br />

19.2 Dimension éthique <strong>de</strong>s <strong>soins</strong>............................................................................. 312<br />

19.2.1Valeurs <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong>, déontologie ................................................................. 312<br />

19.2.2Des valeurs personnel<strong>les</strong> à leur expression <strong>dans</strong> le milieu professionnel . 316<br />

19.2.3Éthique et souci <strong>de</strong> soi ........................................................................................ 320<br />

19.2.4Valeurs comme fon<strong>de</strong>ments et moteur <strong>de</strong> l’engagement ............................. 327<br />

19.3 L’engagement et ses corollaires ........................................................................ 330<br />

19.3.1Définitions et caractéristiques <strong>de</strong> l’engagement............................................. 332<br />

19.3.2De la responsabilité ............................................................................................ 338<br />

19.3.3La motivation comme source d’engagement .................................................. 339<br />

19.3.4Le sens <strong>de</strong> l’engagement .................................................................................... 344<br />

19.3.5Les connaissances, <strong>de</strong>s ressources pour un engagement raisonné .............. 350<br />

19.3.6Les limites <strong>de</strong> l’engagement .............................................................................. 355<br />

19.3.7L’engagement, élément fondateur <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle ................. 360<br />

19.3.8La dynamique d’équipe, élément contributif à l’engagement ..................... 367<br />

19.3.9Caractéristiques sociéta<strong>les</strong> sur l’engagement ................................................. 374<br />

19.3.10De la reconnaissance ........................................................................................ 379<br />

19.3.11Engagement comme prise <strong>de</strong> position ........................................................... 381<br />

19.4 L’engagement <strong>dans</strong> le cursus <strong>de</strong> formation en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> .................. 385<br />

868


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

19.4.1Spécificités <strong>de</strong> la formation duale .................................................................... 385<br />

19.4.2Travail sur <strong>les</strong> valeurs en formation et soin <strong>de</strong> soi ........................................ 388<br />

19.4.3L’engagement <strong>dans</strong> la formation ...................................................................... 392<br />

19.4.4Impact <strong>de</strong>s enseignants sur l’engagement ...................................................... 394<br />

19.4.5Les ressources contre l’épuisement .................................................................. 396<br />

19.4.6De l’enjeu <strong>de</strong> la réflexivité ................................................................................. 397<br />

19.4.7Le positionnement professionnel ..................................................................... 399<br />

19.5 Contexte hospitalier ............................................................................................ 401<br />

19.5.1L’exercice du soin <strong>dans</strong> le contexte sanitaire .................................................. 401<br />

19.5.2Qualité <strong>de</strong>s prestations <strong>de</strong> <strong>soins</strong> ....................................................................... 410<br />

19.5.3De l’épuisement professionnel <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> ................................................ 411<br />

19.5.4De l’importance <strong>de</strong> la verbalisation ................................................................. 415<br />

19.6 Perspectives futures ............................................................................................ 417<br />

19.6.1Promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> la pratique ................................................... 417<br />

19.6.2Limiter l’épuisement par la formation ............................................................. 419<br />

19.6.3Promouvoir l’engagement <strong>dans</strong> <strong>les</strong> <strong>soins</strong> au cœur <strong>de</strong> la formation ............ 421<br />

CHAPITRE 20 : RÉSULTATS DE L’ANALYSE LINÉAIRE ....................................... 425<br />

20.1 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s étudiants ............................................................. 425<br />

20.1.1Premier entretien : premier étudiant (E18) ..................................................... 426<br />

20.1.2Deuxième entretien : <strong>de</strong>uxième étudiant (E26) .............................................. 431<br />

20.2 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s praticiens ............................................................ 436<br />

20.2.1Troisième entretien : premier praticien (P3) ................................................... 436<br />

20.2.2Quatrième entretien : <strong>de</strong>uxième praticien (P11) ............................................ 443<br />

20.3 Analyse linéaire auprès <strong>de</strong>s enseignants ......................................................... 448<br />

20.3.1Cinquième entretien : premier enseignant (T14) ............................................ 448<br />

20.3.2Sixième entretien : <strong>de</strong>uxième enseignant (T15) .............................................. 454<br />

20.4 Conclusion <strong>de</strong> l’analyse qualitative ................................................................. 459<br />

CHAPITRE 21 : SYNTHÈSE DES RÉSULTATS .......................................................... 461<br />

21.1 L’engagement, une attitu<strong>de</strong> qui va <strong>de</strong> soi ? .................................................... 463<br />

21.2 La dimension éthique <strong>de</strong> l’engagement ........................................................... 466<br />

21.3 Le sens, une question d’équilibre ..................................................................... 468<br />

21.4 De la posture professionnelle à l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession ........................... 472<br />

869


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

21.5 Développer l’engagement durant la formation .............................................. 474<br />

21.6 Comparaison <strong>de</strong>s résultats ................................................................................ 479<br />

21.7 Critique du modèle : pertinence et améliorations .......................................... 481<br />

CHAPITRE 22 : DISCUSSION ........................................................................................ 487<br />

22.1 L’engagement : <strong>de</strong> l’absence théorique à l’évi<strong>de</strong>nce pratique ...................... 487<br />

22.2 Les éléments qui contribuent à favoriser l’engagement : l’enjeu du sens .. 491<br />

22.3 Les entraves à la construction <strong>de</strong> l’engagement professionnel .................... 495<br />

22.4 La formation, construction du sens et <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité professionnelle ........... 501<br />

22.5 La contribution <strong>de</strong> la formation au développement <strong>de</strong> l’engagement ....... 504<br />

CONCLUSION GÉNÉRALE ............................................................................................ 525<br />

CINQUIÈME PARTIE : ANNEXES ........................................................................ 553<br />

ANNEXE A : LISTE RÉCAPITULATIVE DES ANNEXES ........................................ 555<br />

ANNEXE B : BIBLIOGRAPHIE....................................................................................... 781<br />

ANNEXE B 1 : OUVRAGES GÉNÉRAUX ..................................................................... 827<br />

ANNEXE B 2 : ARTICLES ................................................................................................ 850<br />

ANNEXE B 3 : RESSOURCES INTERNET ................................................................... 859<br />

ANNEXE B 4 : TRAVAUX DE FORMATION ET DE RECHERCHES .................... 860<br />

ANNEXE B 5 : DOCUMENTS DE RÉFÉRENCES ....................................................... 861<br />

ANNEXE B 6 : CONFÉRENCES ...................................................................................... 862<br />

ANNEXE B 7 : PROGRAMMES INFORMATIQUES UTILISÉS ............................. 863<br />

ANNEXE C : TABLE DES MATIÈRES ........................................................................... 865<br />

870


CINQUIÈME PARTIE - ANNEXES<br />

Résumé<br />

L’exercice <strong>de</strong> la profession infirmière ne saurait se penser en <strong>de</strong>hors d’une dimension d’engagement<br />

qui en constitue l’un <strong>de</strong>s fon<strong>de</strong>ments essentiels (Dallaire, 2008). Cependant, l’engagement n’est pas<br />

une notion très valorisée <strong>dans</strong> notre société actuelle. Dans le mon<strong>de</strong> professionnel, elle l’est d’autant<br />

moins que <strong>les</strong> conditions <strong>de</strong> travail se détériorent et que la satisfaction du travail bien fait, laisse <strong>de</strong><br />

plus en plus place à la frustration <strong>de</strong> toujours <strong>de</strong>voir parer au plus pressé. Or cette dialectique entre le<br />

pôle déontologique, pôle du <strong>de</strong>voir prescrit, et le pôle téléologique visant, quant à lui, à la mise en<br />

œuvre <strong>de</strong> ce que le sujet considère comme bien et correspondant à ses principes axiologiques, doit<br />

pouvoir s’inscrire <strong>dans</strong> un équilibre, afin que le professionnel puisse trouver du sens à sa pratique.<br />

Dépourvu <strong>de</strong> sens, l’engagement perd sa raison d’être et engendre alors <strong>de</strong>s répercussions sur la<br />

motivation <strong>de</strong> l’individu, sur son i<strong>de</strong>ntité, voire sur sa santé. Face à cet enjeu <strong>de</strong> taille, une réflexion<br />

s’impose en amont, pour savoir quel rôle la formation pourrait jouer <strong>dans</strong> l’accompagnement <strong>de</strong><br />

l’étudiant afin qu’il soit à même <strong>de</strong> développer un engagement qui fasse sens pour lui, en regard <strong>de</strong><br />

son éthique, <strong>de</strong> son expérience et <strong>de</strong> ses objectifs. L’objectif principal étant <strong>de</strong> le préparer à faire face et<br />

à se positionner <strong>dans</strong> un milieu <strong>de</strong> travail difficile, pour défendre <strong>les</strong> valeurs qui fon<strong>de</strong>nt son intérêt<br />

pour l’humain, nous avons esquissé un modèle d’accompagnement à la construction <strong>de</strong> l’engagement,<br />

<strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> la formation <strong>de</strong>s infirmières et <strong>infirmiers</strong>. Pour le vali<strong>de</strong>r et bien cerner cette notion<br />

d’engagement, tout spécialement <strong>dans</strong> sa dimension éthique, ses principa<strong>les</strong> caractéristiques, ses<br />

fon<strong>de</strong>ments axiologiques, ses principes fondateurs, ses concepts explicatifs, ses freins et ses facteurs<br />

dynamisants, une recherche compréhensive et herméneutique a été menée. Nous avons procédé à<br />

plusieurs recueils <strong>de</strong> données auprès <strong>de</strong> 44 étudiants, enseignants en <strong>soins</strong> <strong>infirmiers</strong> et praticiens<br />

formateurs (professionnels soignants encadrant <strong>les</strong> étudiants <strong>infirmiers</strong> en stage). Les résultats <strong>de</strong> cette<br />

démarche montrent que l’enjeu est triple : on relève un enjeu individuel, au niveau du soignant luimême<br />

; un enjeu collectif au niveau <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> la profession et <strong>de</strong> ses valeurs, ainsi qu’un enjeu<br />

sociétal en regard <strong>de</strong> la considération accordée à l’être humain.<br />

The nursing practice can not be imagined outsi<strong>de</strong> a dimension of engagement that constitutes one of<br />

its essential foundations (Dallaire, 2008). However, the commitment is not a notion highly valued in<br />

our society today. In the professional world, it is even <strong>les</strong>s valued than the working conditions are<br />

<strong>de</strong>teriorated and the satisfaction of a job well done is reduced, leaving more room for the frustration<br />

of always having to work to fill the gap. But this dialectic between the <strong>de</strong>ontological pole, the pole of<br />

prescribed duty and the teleological pole, the one that aims, the implementation of what the subject<br />

consi<strong>de</strong>rs good and which correspond to his axiological princip<strong>les</strong>, must be in a balance so that the<br />

professional can find meaning in his practice. Meaning<strong>les</strong>s, commitment loses its rationale and<br />

implications are then to be expected on the motivation of the individual, on his i<strong>de</strong>ntity or even on his<br />

health. Faced with this major challenge, a reflection is nee<strong>de</strong>d upstream: What role the education<br />

could play in supporting the stu<strong>de</strong>nt in or<strong>de</strong>r that they are able to <strong>de</strong>velop a commitment that makes<br />

sense to him, according to his ethics, his experience and goals. The main objective is to prepare them<br />

to cope with and position themselves in a challenging work environment, to <strong>de</strong>fend the values that<br />

un<strong>de</strong>rpin his interest in humans. A mo<strong>de</strong>l to support the construction of the commitment was<br />

<strong>de</strong>signed which required to be validated, to clearly <strong>de</strong>fine the concept, especially in its ethical<br />

dimension, and examine what are the main features, the foundations axiological founding princip<strong>les</strong>,<br />

explanatory concepts, brakes and energizing factors. This is what we tried to achieve through a<br />

comprehensive and hermeneutical research, combining several data collections with 44 stu<strong>de</strong>nts,<br />

teachers and practitioners instructors (professional caregivers supervising nursing stu<strong>de</strong>nts in<br />

trainingsperiod). This approach seemed even more essential that the challenge is threefold:<br />

individual-level the caregiver himself, collective-level because of the i<strong>de</strong>ntity of the profession and its<br />

values, but also societal-level because of the consi<strong>de</strong>ration given to humans.<br />

Mots-clés : Engagement – Sens – Ethique – Connaissance <strong>de</strong> soi – Soins <strong>infirmiers</strong> – Formation –<br />

Pratique réflexive<br />

Key words : Commitment – Meaning - Ethics – Self Knowledge – Nursing practice – Education –<br />

Reflective practice.<br />

871

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