ALEXANDREMICHAUDL a w ILES CHRONIQUES HISTORIQUESUNE MONARCHIEMUNICIAPLE AU QUEBECEn 1997, Denys Tremblay, un enseignanten art environnemental à l’Université duQuébec à Chicoutimi, est proclamé roi duvillage de l’Anse-Saint-Jean par référendum.Il s’agit symboliquement de la premièremonarchie d’Amérique du Nord.Appuyé par une majorité de 73,9%,l’homme prend le nom de Denys Ier del’Anse, et souhaite par son couronnementrelancer l’économie de la région,durement éprouvée après le déluge de1996. L’éphémère Royaume de l’Anse-Saint-Jean espérait ainsi attirer l’attentiondes médias afin de donner unsecond souffle à son industrie touristique,notamment en amassant les fondsnécessaires à la mise en place d’unevaste sculpture environnementale sur leflanc du Mont-Édouard représentant levisage et la main de saint Jean-Baptiste.Le sacre du monarque a lieu le 24 juin1997 en l’église de cette petite municipalitédu Saguenay. 1500 personnes assistentà la cérémonie, largementcouverte par la presse de l’époque, tantnationale qu’étrangère. Le roi a alorsprêté les serments religieux, civique etconstitutionnel, avant d’y aller d’un sermentd’allégeance à son peuple. Il fautdire en effet que cette monarchie constitutionnelled’inspiration française sevoulait des plus démocratiques : bienque nommé à vie, le souverain pouvaitêtre destitué en tout temps parplébiscite, sa fonction n’était pas héréditaire,pas plus qu’elle ne procurait deprivilèges, et l’institution en elle-mêmen’a rien coûté aux Anjeaneois. Le mairecontinuait d’y exercer ses fonctions, bienqu’en tant que représentant du monarque.La population, très enthousiaste, assisteeffectivement à une certaine repriseéconomique permise par cette nominationavant-gardiste et artistique : on créeune monnaie de collection, le « del’Artde l’Anse », une nouvelle bière, la «Royale de l’Anse » et on divise le territoirede la municipalité en duchés,comtés et baronnies, en collaborationavec la Commission de toponymie duQuébec, qui sont mis en vente avec lestitres de noblesse qui les accompagnent.La forte exposition médiatique – Sa Majestédonne plus de 200 entrevues auxquatre coins de la planète, de Londres àTokyo, en passant par la Russie – permetd’amasser des fonds pour le projetd’aménagement sculptural de Saint-Jeandu-Millénaire,dont le coût est évalué àun million de dollars.La création d’un tel « royaume » visaitégalement à ramener à une échelle localela notion de patrie. Le roi devait incarnerles valeurs fondamentales de sessujets, et l’identité de ce « peuple » s’estcristallisé non seulement dans la personnedu souverain, mais égalementdans toute une série de symboles régaliens: devise, drapeau, monnaie, timbres,emblème, hymne national,château-musée, etc.Le plus intéressant dans toute cette histoire,à tout le moins pour les étudiantsen droit que nous sommes, c’est que l’institutionde cette monarchie municipaleétait parfaitement légale, légitime etconstitutionnelle : ni lois ni conventionsne venaient l’empêcher, d’autant qu’elleavait été proclamée par référendum.Dans son premier discours du trône, leroi s’était même adressé directement àla reine Elizabeth II, alors en visite officielleà Terre-Neuve, pour lui demanderde reconnaître une monarchie autonomeau Québec. C’était là, en fait, une conceptionqu’il avait mise de l’avant bienplus tôt : dans le débat social précédantle référendum sur la souveraineté de1995, Denys Tremblay avait proposé,dans un mémoire jugé très original, quePaul Martin soit proclamé roi du Québec.Cette idée d’une nation politiquementsouveraine sans qu’il y ait de séparationlégale était selon lui le meilleur moyende satisfaire le plus de gens, les Québécoisvoulant, à son avis, « Un Québec indépendantdans un Canada uni ».Au final, le règne de Denys Ier aura duréprès de trois ans. Face à des accusationsde mégalomanie et à l’impossibilité detrouver un financement suffisant à sonprojet d’aménagement paysagé, le roiabdique solennellement en présence dela mairesse et de deux citoyens, non sansaccorder son pardon à ses détracteurs.De cette brève aventure peu évoquéeaujourd’hui, on retiendra le courage d’unpetit village qui a cherché à se prendreen main et à se sortir du marasmeéconomique par un projet novateur,dans lequel l’Art tenait une place essentielle.Dans nos époques troublées, commentne pas souhaiter que d’autrescommunautés tiennent compte de ceprécédent et trouvent à leur tour des solutionsinédites à leurs problèmes spécifiques?18 • 4 OCTOBRE <strong>2011</strong> • QN
JEAN-PHILIPPEMAC KAYL a w I IESCAPADES URBAINES : LA NOUVELLE CHRONIQUEQUI VA TE FAIRE SORTIR DU PLATEAULE VIADUC ROUEN ET UNEBALLADE DANS CENTRE-SUDIl serait intéressant de sonder les étudiantes et étudiants decette prestigieuse faculté perchée à flanc de montagne pour leurposer la question suivante : où habitez-vous? Selon mes estimationsgrossièrement imprécises et sommaires, près de 99,5% decelles-ci et ceux-ci n’habitent pas le quartier Hochelaga-Maisonneuve.Sur la base de ce calcul peu scientifique, il n’est pas exagéréde présumer que la plupart d’entre vous n’ont jamaisentendu parler du viaduc Rouen. Tout au long de l'année, je vousproposerai donc un petit “walking tour“ pour vous permettred’aller à la rencontre de cette ville qui recèle de petites merveilles.Poursuivez ensuite votre route vers l’Ouest. Pour lesgourmand.e.s, arrêtez-vous à la charcuterie polonaise entre Gasconet Bercy pour vous envoyer une bonne saucisse ou pouracheter de la choucroute à deux piastres. Satisfaction garantie.En dégustant vos achats, marchez vers le Sud pour aller rejoindrela rue Ontario. Avant de reprendre le métro (Frontenac), je voussuggère fortement d'aller faire un tour au marché Frontenac (ouvertle samedi, angle des rues Iberville et Ontario) ou au caféTouski, une merveilleuse coopérative de travail où tout est beau,bon, pas cher! (2361, Ontario Est).Comment se rendre au viaduc?Rien de plus simple. Débarquez à la station Préfontaine (ligneverte) et prenez la sortie « Hochelaga Sud ». Marchez directionSud sur la rue Préfontaine et tournez à droite sur la rue Rouen :devant vous se dressera le viaduc. Comme vous le verrez, celui-ciest un véritable joyau urbain : au fil des jours, les artistes de ruerecouvrent ses parois de magnifiques graffitis, de slogans antiracisteset, parfois, d'œuvres d’une valeur esthétique moindre...Fait intéressant, les graffitis que vous contemplerezdisparaîtront quelques heures (ou jours) après votre passage : leviaduc Rouen est vivant et change d’allure au gré de la créativitéde ces artistes qui mettent un peu de couleur dans la grisaille dece no man’s land urbain.QN • OCTOBER 4 <strong>2011</strong> • 19