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LES CAHIERS

Facteurs socioculturels du REX: sept études de terrain - Icsi

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2.1. Comprendre la sécurité dans l’aviation<br />

Les catégories que nous mentionnons sont bien entendu des « causes » d’incidents, ou, pour<br />

utiliser un langage plus délicat, des « facteurs contributifs » ou des « facteurs explicatifs ». Ceci<br />

soulève la question de la causalité, qui est un concept dépourvu de sens au regard de la théorie<br />

du système complexe [LeCoze 2005 ; Moulin et Pariès 2007] et du constructivisme [Gergen<br />

1999]. Même les évènements en apparence simples comme un défaut de boulon, peuvent mener<br />

à différents chemins si quelqu’un demande : « Pourquoi? » (Est-ce que l’opérateur effectuait<br />

un atterrissage difficile? S’agissait-il d’une erreur de maintenance ? Un défaut de conception ?<br />

Une dérive dans la qualité de fabrication? Un mauvais calcul concernant les matériaux sousjacents?<br />

Une erreur de contrôle dans n’importe lequel de ces domaines? etc.) Les accidents<br />

simples n’existent pas 4 .<br />

De par sa conception, une taxonomie simplifie cette complexité. Si l’on peut certainement apprendre<br />

en amassant des rapports qui étiquettent les évènements selon des typologies comme<br />

« incursion sur piste » ou bien « perte de distance de séparation », certains managers et régulateurs<br />

sont frustrés et déçus par le peu de leçons que l’on peut tirer de ces systèmes de<br />

reporting. Si la structure de ces systèmes fait qu’ils sont tout à fait adéquats pour rapporter les<br />

aspects techniques des incidents, ainsi que les évènements très spécifiques, très bien définis (par<br />

exemple une collision aviaire), est-ce vraiment le type d’informations que nous recherchons?<br />

Imaginons-nous vraiment en tirer des leçons valables ? Qu’en est-il de la contribution supposée<br />

à 70–90% des facteurs humains ?<br />

Le paradoxe c’est que les personnes qui vivent avec la taxonomie, qui croient que ce classement,<br />

ce comptage et ces calculs arbitraires équivalent à des progrès significatifs pour la sécurité, sont<br />

ceux-là mêmes qui insistent sur le fait que les facteurs humains jouent un rôle à 70–90% dans<br />

les accidents d’avion. Ils continuent à ne jurer que par un système absolument inapproprié à<br />

la capture des explications contextuelles profondes des occurrences notables dans les systèmes<br />

socio-techniques complexes.<br />

Ainsi, les systèmes de REX basés sur la taxonomie présentent de nombreuses limites parce<br />

qu’ils se fondent sur un modèle positiviste 5 , cartésien, mécaniste et par conséquent quantitatif<br />

du monde. Pourtant, comme nous allons le montrer par les exemples qui suivent et par<br />

notre revue de la littérature, ce « modèle du monde ne reflète pas le monde dans lequel nous<br />

vivons » [Woods 2004].<br />

2.1.5 Le « bon sens » remis en cause par l’empirisme<br />

Avec les exemples suivants, nous allons montrer comment certains accidents tristement célèbres<br />

ont remis en cause le bon sens supposé des hypothèses traditionnelles.<br />

Conflit entre TCAS et ATCos 6 : l’accident d’Überlingen<br />

Les appareils partageant le même espace aérien sont normalement dirigés par des contrôleurs aériens<br />

de façon à conserver une distance minimale entre eux. En dernier recours, si, pour une raison<br />

ou une autre, cette distance de séparation n’est pas respectée, existe le système TCAS (Traffic<br />

alert and Collision Avoidance System, ou système d’évitement de collision en vol). Les ordinateurs<br />

TCAS à bord des deux appareils en situation conflictuelle, vont coopérer pour résoudre le<br />

conflit (e.g. décider qu’un appareil doit descendre et l’autre monter) et donner des instructions<br />

verbales (des conseils de résolution) aux pilotes qui doivent les suivre selon leur propre discernement.<br />

Les contrôleurs aériens ne sont pas concernés par les conseils de résolution des TCAS et<br />

ne reçoivent aucune information des TCAS. Ainsi, dès la conception des TCAS, on reconnaît la<br />

possibilité d’émergence d’un conflit entre les instructions données aux pilotes par les contrôleurs<br />

aériens, et celles qu’ils reçoivent des TCAS. Des règles ont alors été mises en place pour permettre<br />

aux pilotes de compenser ce problème de conception.<br />

La collision à moyenne altitude au dessus d’Überlingen, en Allemagne en 2002, s’est produite<br />

après que les instructions données aux pilotes par les contrôleurs et les TCAS sont entrées en<br />

conflit. S’en est suivi une confusion des pilotes, ne sachant pas quelles instructions suivre. Finalement,<br />

l’un des appareils a suivi les instructions du TCAS, tandis que l’autre a suivi celles des<br />

contrôleurs. Après l’accident, le contrôleur aérien qui avait donné les instructions a été accusé<br />

d’homicide involontaire et assassiné plus tard par un homme ayant perdu sa famille dans l’accident.<br />

4 Dekker (2004), communication personnelle.<br />

5 Le positivisme est une philosophie qui revendique que la seule connaissance authentique est la connaissance acquise<br />

au travers de l’expérience par l’observation et la mesure de preuves expérimentales, généralement via l’application<br />

d’une méthode scientifique.<br />

6 Air Traffic Controller, contrôleurs aériens.<br />

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